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554. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

L’idée qui se rapporte bien au plus subtil raffinement de la passion est celle-ci : Rodrigue, sous prétexte de lui faire ses adieux, vient déclarer à Chimène qu’il ne se défendra pas contre don Sanche, qu’il est décidé à se laisser vaincre et tuer ; il espère ainsi lui arracher l’ordre de vivre et de vaincre, mais il tient à le lui faire dire, à l’entendre de sa bouche en termes formels ; il ne se contentera pas à moins. […] Rodrigue ne s’estimera pas pleinement heureux et satisfait de vaincre don Sanche, d’obtenir Chimène et de lui agréer, bon gré, mal gré : il lui faut encore, par un excès de délicatesse, que ce soit consenti à l’avance, voulu et ordonné par elle, et ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra goûter toutes les satisfactions et les jouissances raffinées de la passion pure. […] S’il ne tient pas à vivre, se croyant condamné par elle, que du moins il songe à l’idée qu’on prendra de lui s’il succombe ; il y va de sa gloire : « Quand on le saura mort, on le croira vaincu. » La passion a ses sophismes : c’est au nom même de son père mort, de ce comte si redouté, qu’elle prétend prouver à Rodrigue qu’il est obligé de se défendre vaillamment contre un moins vaillant que ce guerrier illustre : autrement on croira que le comte valait moins que don Sanche. […] Il est venu, comme on dit, la mettre au pied du mur, pour mieux voir de ses yeux la pure passion déployer ses ailes et s’envoler. […] On ne se cotise pas pour sentir une flamme ; on ne plaide pas la passion devant la raison.

555. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Coulmann d’avoir eu toutes les nobles et bonnes passions de son temps, et de les avoir eues à leur heure. […] Mme Dufrenoy était un vrai poète par l’âme, par la passion, par le sentiment du rythme et de l’harmonie ; elle avait de la composition, du dessin jusque dans l’élégie : par malheur, l’éclat du style a manqué à ses inspirations et à sa flamme. […] Mme Dufrenoy que je vois en cela semblable à d’autres personnes qui ont souffert du désaccord conjugal et qui n’ont point trouvé de satisfaction complète ailleurs, dans les passions inspirées ou ressenties, en était venue à placer naturellement le bonheur dans la situation contraire à la sienne, c’est-à-dire dans un bon mariage, dans une union bien assortie. […] Enfin, quand elle posa sa tête sur mon épaule, que ses larmes mouillèrent ma robe, je pressai sa main avec force sur mon cœur, et je sentis que le malheur est le plus fort de tous les attraits. » Mme Dufrenoy s’est souvent plainte, pour elle, de cette sécheresse extérieure : « J’ai toujours besoin de pleurer, disait-elle, et mes yeux ne peuvent verser des larmes. » La passion n’avait épuisé ni tari en son âme la source de la sensibilité, mais le ruisseau ne coulait plus à la surface. […] Ses passions sont tout artificielles.

556. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Même avant cette fin de la passion d’amitié, on la voit subir un échec, une variation assez sensible à mi-chemin environ, et sitôt qu’un premier sentiment d’amour s’est venu loger dans le cœur qui d’abord n’avait pas de partage. […] Mais la gaieté naturelle, une joie de force et d’innocence corrigeait bientôt la langueur ; le calme et l’équilibre étaient maintenus ; tout en redisant quelque ode rustique à la Thompson, ou en moralisant sur les passions à réprimer, elle ajoutait avec une gravité charmante : « Je trouve dans ma religion le vrai chemin de la félicité ; soumise à ses préceptes, je vis heureuse : je chante mon Dieu, mon bonheur, mon amie : je les célèbre sur ma guitare : enfin, je jouis de moi-même. » Elle en était encore à la première saison, à la première huitaine de mai du cœur. […] Et pourquoi enfin, quand plus tard une situation nouvelle s’établit décidément, quand le mariage, non pas de passion, mais de raison, vient clore vos rêves, pourquoi la dernière lettre de la Correspondance que nous lisons est-elle justement celle de faire part ? […] Ce sentiment pour La Blancherie, s’il ne mérite pas absolument le nom d’amour et s’il ne remplit pas tout à fait l’idée qu’on se pourrait faire d’une première passion en une telle âme, passait pourtant les bornes du simple intérêt ; il est tout naturel que Mme Roland dans ses Mémoires, jugeant de loin et en raccourci, l’ait un peu diminué : ici nous le voyons se dérouler avec plus d’espace. […] Elle nous donne particulièrement à apprécier un de ses amis très-affectueux et très-mûrs, M. de Sainte-Lette, qui vient de Pondichéry, qui va y retourner, qui sait le monde, qui a éprouvé les passions, qui regrette sa jeunesse, et qui sur le tout est athée.

557. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Aussi, du premier jour, elles se jettent sur l’œuvre qui est plus ou moins leur miroir, et elles se mettent à en adorer l’auteur avec passion et reconnaissance, comme si, en composant, il n’avait songé qu’à elles. […] Mais quand on aime vraiment, d’une passion de cœur et non d’une passion de tête, est-ce qu’on songe à tirer ainsi son cœur de la classe commune et à l’en distinguer ? […] Elle s’exalte et se monte la tête sur la pureté de sa passion, sur la beauté du motif qui l’anime. […] Il n’a pas seulement jeté l’enchantement sur la passion, il a su, comme l’a dit Byron, donner à la folie l’apparence de la beauté, et recouvrir des actions ou des pensées d’erreur avec le céleste coloris des paroles.

558. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] Il fera tout pendant des années, auprès de la mère patrie, pour éclairer l’opinion et conjurer les mesures extrêmes ; jusqu’au dernier moment, il s’efforcera d’atteindre à une réconciliation fondée sur l’équité ; un jour qu’un des hommes influents de l’Angleterre (lord Howe) lui en laissera entrevoir l’espérance à la veille même de la rupture, on verra une larme de joie humecter sa joue : mais, l’injustice s’endurcissant et l’orgueil obstiné se bouchant les oreilles, il sera transporté de la plus pure et de la plus invincible des passions ; et lui qui pense que toute paix est bonne, et que toute guerre est mauvaise, il sera pour la guerre alors, pour la sainte guerre d’une défense patriotique et légitime. […] a remarqué un des écrivains de l’école de Franklin24, une des passions que l’homme a le moins et qu’il est le plus difficile de développer en lui, c’est la passion de son bien-être. » Franklin fit tout pour l’inoculer à ses compatriotes, pour leur faire prendre goût à ces premiers arts utiles et pour améliorer la vie. […] Mais, pour lui qui maîtrisait ses passions et qui se gouvernait par prudence, ces sortes d’aventures d’un moment et d’échappées à travers l’espace n’avaient point d’inconvénients ; il revenait dans la pratique de chaque jour à l’expérience et au possible : ce que ses disciples, nous le verrons, ne firent pas toujours.

559. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Le meilleur et le mieux informé de ses biographes, Meister de Zurich, qui avait été pendant des années son secrétaire, et qui l’a peint au naturel avec reconnaissance, nous indique de lui dans sa jeunesse un amour profond et mystérieux pour une princesse allemande qui se trouvait alors à Paris : cette passion silencieuse faillit faire de Grimm un Werther. Une autre passion dont on sait l’objet, est celle qu’il eut pour Mlle Fel, chanteuse de l’Opéra. […] De là sa passion pour elle, qui n’a rien de plus étonnant que celle que nous avons vue à certains dilettanti de nos jours pour les Sontag et les Malibran, et cette passion fait honneur à Grimm, au lieu de le rendre ridicule, comme on s’est amusé à nous le présenter. […] Grimm eut l’esprit assez élevé et assez équitable pour ne point donner dans ce petit côté et pour ne point faire céder le jugement à la passion ou à une curiosité maligne.

560. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Il revient à sa première passion ; cette femme et son frère l’entraînent au Ridotto, sorte de club, où la république encourageait, pendant le carnaval, toutes les vicissitudes corruptives du jeu : ils finissent par y perdre les monceaux d’or qu’ils y avaient d’abord gagnés. […] C’est tout un drame où la passion se mêle au sourire de la tristesse religieuse, conçu et exécuté par un génie qui unissait la grâce de Raphaël, la mélancolie de Virgile, à la sombre vigueur de Dante et de Shakespeare. […] Tout cela forme un trio plein de verve, de contraste et de passion. […] Lisez Byron pour le faux rire, allez entendre Mozart pour voir transfigurer en mélodies diverses et délicieuses, en sourires ou en larmes, toutes les passions du cœur humain, depuis les amours de la terre jusqu’aux enthousiasmes du ciel. […] Est-ce que la musique n’est pas une langue complète, une langue aussi expressive, une langue aussi génératrice d’idées, de passions, de sentiments, de fini et d’infini que la langue des mots ?

561. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Émile de Girardin, en se moquant avec un immense talent des fausses passions et des lieux communs d’opposition banale, promettait un nouvel organe où M.  […] Elle a eu de la passion, mais point de haine. […] Aucune passion de haine ou d’envie n’aurait pu être exprimée par cette physionomie : il lui aurait été impossible de n’être pas bon. […] Point, mère, je veille sur mes passions. […] Une jeune et aimable étrangère, une de ces femmes dont l’imagination est une puissance, conçut pour lui une ardente passion.

562. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Que par amour du paradoxe ou passion politique, certains tentent de le diminuer, peu nocive est leur besogne, tant elle apparaît vaine à tout esprit de bonne foi. […] Elles sont les points communs qui permettent d’en admirer la sève et le bien-fondé et de rendre justice à des parti-pris différents, opposés, mais tous procédant d’une passion de vérité, de conscience et d’originalité. […] Étrange manière de juger la littérature en songeant uniquement à servir les besoins d’une cause ou d’un parti, et la passion politique peut-elle aveugler à ce point ? […] » Songez au bouillonnement de passions et de rancunes que cette question eût soulevé chez les émigrés, les bonapartistes, les anciens régicides et les ultras. […] Il est l’héritier le plus complet de sa passion et de son vocabulaire, de sa substance et de son esprit.

563. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Il faut dire tout de suite le bon, puisqu’il y en a un mauvais, et des passions intéressées à confondre l’un avec l’autre. […] En lisant ces peintures voluptueuses sans amour, on rougit de confusion pour l’homme supérieur qui se commet pour peindre, au lieu de la passion, le libertinage discret. […] Il était de notre pays, où, soit attachement médiocre pour le vrai, soit plutôt passion d’un peuple artiste pour la forme, on considère le style à part des idées, et l’on enseigne officiellement dans les écoles la dangereuse distinction de la forme et du fond. […] Les passions des personnages de Gil Blas sont en petit nombre et générales. […] Ces différences de condition et de caractère font voir la même passion sous des aspects variés, et nous mènent au même but par une agréable diversité de chemins.

564. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Ce ne sont pas des doctrines, mais des passions, sous les couleurs de l’amour du genre humain. […] Ecole des grandes passions à froid, des larmes sur le papier, de ces inventions romanesques où l’on se donne dans les mots le spectacle de voluptés dont on n’est pas capable. […] Cette part de passion naturelle et de bonté vraie lui a inspiré des pages énergiques et tendres, où il est créateur et inimitable. […] Que de belles pages encore ne devons-nous pas à cette passion pour la contradiction dont il ne s’est pas excepté lui-même ! […] Traité des passions de l’âme, article 160.

565. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Toutefois il eût mieux peint les passions terribles, telles que la vengeance, la fureur, que la tendresse et l’amour. […] Une irrésistible passion les poussant vers les planches, ils abandonnèrent le pétrin pour les tréteaux. […] Sous sa plume, la passion prend des couleurs fortes et tragiques. […] Ses tragédies décèlent une âme ferme, élevée, apte à comprendre et à exprimer noblement les grandes passions. […] Son style est ferme, élevé, nourri, pompeux même, propre, en un mot, à exprimer les passions violentes.

566. (1881) Le naturalisme au théatre

Le théâtre jouait trois fois par semaine, et j’en avais la passion. […] Même l’intérêt de la besogne est dans la passion. […] Je ne crois pas à une passion littéraire bien forte. […] Il faut de la passion dans une littérature. […] Emile Moreau se défendait d’avoir imaginé la passion de Robespierre pour Lucile ; certains documents permettraient de croire à la réalité de cette passion.

567. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Ainsi l’homme vertueux et maître de ses passions doit détourner avec soin, comme je le fais, ses regards de la femme étrangère !  […] Les brahmanes, prêtres de la religion et gardiens des mœurs, n’auraient pas permis sans doute qu’on donnât en spectacle à la multitude, comme on l’a fait malheureusement en Grèce, à Rome et chez nous, des passions féroces et des attentats odieux reproduits en langage et en action sur la scène, et propres à dépraver les imaginations d’un peuple religieux. […] Les métaphysiciens de l’Inde, qui se sont occupés de l’art dramatique, comptent huit espèces d’émotions constituant le pathétique, ou la passion dont cette poésie doit agiter les âmes. […] Cette poésie ne reconnaît de véritable grandeur que dans la domination du héros sur ses propres passions. […] Dans la poésie de Bavahbouti, mugissent et se calment tour à tour les orages de toutes les passions, que sa main puissante sait éveiller et assoupir.

568. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Si l’on voulait, à toute force, tirer une leçon du livre, rien ne serait plus aisé : les moralistes chrétiens ont parlé souvent en termes généraux, mais avec une grande vérité, des misères de la passion et de l’enfer des jalousies ; on en a ici un exemple à nu, on a un damné qui sort de son gouffre et de son cercle dantesque pour nous faire sa confession atroce et d’une énergie truculente. […] Un des moralistes qui ont le mieux observé et noté la passion, La Rochefoucauld a dit : « La jalousie naît avec l’amour, mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Pourquoi donc alors cette jalousie, qui peut très bien s’irriter et s’ulcérer dans les derniers temps par amour-propre, n’est-elle pas née en Roger du premier jour qu’il a aimé Fanny ? […] Quelques autres prétendent que le cas de Roger est trop singulier et trop poussé à bout pour être tout à fait vrai, que l’impitoyable rigueur logique avec laquelle procède sa passion est plus logique que la vérité même, ou du moins que la vraisemblance en pareil cas ; que cette impression se prononce surtout en avançant, et qu’on y croit sentir un parti pris ; que ce n’est que quand on invente que l’on est tenté ainsi d’exagérer, et que tout s’expliquerait pour la critique s’il n’y avait de tout à fait observés que les trois quarts de l’histoire de Roger, le reste étant inventé et composé. […] Plein de passion et d’ardeur, dévoué, dans une existence partagée, au noble culte de l’art, il saura se donner cette plus large carrière ; il la médite et l’embrasse déjà.

569. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Le vent était tout à la passion, sinon au vice. […] Ce docteur vaccine ou inocule en quelque sorte Mme de Marsan ; il lui donne le vaccin de la passion. […] Feuillet a prouvé dans plus d’une de ses compositions, notamment dans Dalila, et par la bouche de sa Leonora, de son Carnioli (une de ses plus heureuses créations), qu’il savait comprendre la passion, l’art à outrance, la frénésie de la sensation et du plaisir, et qu’il n’était nullement inférieur et insuffisant à les mettre en scène par d’émouvants personnages ; mais il est vrai aussi que, cette excursion faite, cette aventure épuisée et accomplie, il a son chez-lui préféré, sa ligne naturelle et sa voie dans laquelle il aime à rentrer, son inclination tracée et bien distincte. […] Mais pendant le bal et dans cette scène si bien amenée, où la jeune femme, qui n’a rien de grave, après tout, à se reprocher, tout émue enfin de tendresse, et transformée par la passion, se déclare au jeune amateur artiste et en vient à lui offrir son cœur, sa vie, sa main, — car elle est veuve, — d’où vient cette austérité subite et non motivée, cette pruderie farouche du jeune homme, déjà touché lui-même, et qui n’a plus aucune raison de la repousser ?

570. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Elle poussa même l’amitié, dans une violente crise de passion qui le bouleversa, jusqu’à l’assister à titre de médecin-moraliste , je ne trouve pas de terme plus approprié : les lettres qu’elle lui écrit tiennent à la fois du directeur et du médecin. […] Vous n’êtes pas fait pour vivre sans passions ; de légers amusements ne peuvent nourrir un cœur aussi dévorant que le vôtre. […] au moment où elle apprécie le mieux le dévouement et les mérites du pauvre Maisonrouge, c’est l’autre encore qu’elle regrette ; avec une âme si ferme, avec un esprit si supérieur, misérable jouet d’une indigne passion, elle fuit qui la cherche, et cherche qui la fuit, selon l’éternel imbroglio du cœur. […] Je suis étonnée qu’une personne si vénérable ne regarde pas les passions comme des égarements d’esprit, qui ne sont point susceptibles de l’ordre qu’on y veut admettre.

571. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Il n’y a que Rousseau et Goethe qui aient su peindre la passion réfléchissante, la passion qui se juge elle-même, et se connaît sans pouvoir se dompter. […] Lorsque les passions agitent l’existence, le calme extérieur de la nature est un tourment de plus. […] Leur génie leur inspire souvent les expressions les plus simples pour les passions les plus nobles ; mais quand ils se perdent dans l’obscurité, l’intérêt ne peut plus les suivre, ni la raison les approuver.

572. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

La race n’est pas éteinte des gens qui, du temps de la Bruyère, recherchaient avec passion si c’était la main gauche ou la main droite qu’Artaxercès avait plus longue que l’autre. […] Et c’est pour cela que la passion scientifique a chez quelques savants la sérénité et l’énergie d’une foi religieuse et qu’ils apparaissent à la foule avec quelque chose de l’antique prestige des prêtres. […] Il n’a point les ardeurs naïves, les admirations intolérantes de tel romanisant qui, parce qu’il a consacré sa vie à cette littérature, ne voit rien au monde de plus beau et, pour peu qu’on le pousse, vous met la Chanson de Roland au-dessus de l’Iliade et le Mystère de la Passion au-dessus des tragédies de Racine. […] Il est certain que l’âme du moyen âge avait en elle des trésors de sentiment, d’imagination et de passion tels que l’âme antique semblerait presque indigente auprès.

573. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

D’abord, je veux dire que la tendance qui domine en une époque est toujours remplacée dans l’époque suivante par une tendance exactement contraire ; que le triomphe de l’autorité éveille l’amour de la liberté ; que la victoire du réalisme a pour lendemain un réveil de l’idéalisme ; que le souci exclusif de la vie mondaine fait naître la passion de la solitude et de la vie des champs. […] C’est pourquoi dans la seconde moitié du siècle la passion, l’emphase, le ton brusque et rude sont à la mode ; c’est pourquoi le mot de nature rallie tous les novateurs, pourquoi la vie des champs, que dis-je ! […] Musset et ses imitateurs ont déifié la passion ; ils ont répété avec enthousiasme : Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir. […] Ainsi dans notre période classique, le respect et l’imitation de l’antiquité subissent plusieurs flux et reflux qu’il est aisé de suivre ; et en même temps la littérature passe tour à tour de l’idéalisme au réalisme, de la synthèse à l’analyse, de l’amour pour la vie mondaine à la passion de la nature, de la dévotion à l’impiété, de l’effusion sentimentale à l’impassibilité, etc.

574. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Des faits encore, déguisés sous une conversation, jetés en parenthèse, arrivant comme par hasard au bout d’une phrase, servent à caractériser ces personnages fugitifs qui ne traversent qu’une page, à décrire un lieu, à spécifier une sensation par une comparaison, à montrer en raccourci l’aspect et les êtres d’un salon, à noter le paroxysme d’une maladie ou l’affolement d’une passion, à marquer les réalités d’une répétition, la physionomie d’un souteneur, l’aspect particulier d’un public de cirque à Paris, le débraillé d’un cabotin, la colère d’une atrice ou d’une petite fille ; et, dans cette profusion de notes, d’anecdotes, d’incidents, de gestes et de mines, il en est que l’auteur nous donne par surcroît, sans nécessité pour le roman, comme une bonne partie des premiers chapitres de la Faustin, comme ce souriant récit où Mascaro, le fantastique et vague serviteur du maréchal Handancourt, emmène Chérie dans la forêt « voir des bêtes », et sous les grands arbres précède la petite fille émerveillée, faisant chut de la main sur la basque de son habit noir. […] Si l’on compare l’aspect particulier sous lequel M. de Goncourt voit les paysages, les intérieurs, les gens, les physionomies, les attitudes, les passions, la nature psychologique de ses personnages préférés, on extraira de cette collection, la notion d’un artiste épris de mouvement, notant la vie dans son évolution, les visages dans leurs transformations, les émotions dans leurs conflits, chaque âme dans sa diversité. […] Et cette perpétuelle vision de mouvements physiques, ces physionomies changeantes, ces bras remuants, ces muscles frissonnants sous l’épiderme, toute cette vie qui s’agite dans les pages descriptives de M. de Goncourt, secoue et précipite les passions de ses personnages, accélère leurs conversations en ripostes serrées de près, fait voler leur esprit, emporte leurs actes, varie leurs humeurs. […] Personne ne pouvait mieux rendre les légers et coquets caprices d’une âme de fillette, la demi-pâmoison d’une femme amoureuse, la longue douceur de la passion satisfaite : En la paix du grand hôtel, au millieu de la mort odorante de fleurs, dont la chute molle des feuilles, sur le marbre des consoles, scandait l’insensible écoulement du temps, tandis que tous deux étaient accotés l’un à l’autre la chair de leurs mains fondue ensemble, des heures remplies des bienheureux riens de l’adoration passaient dans un far-niente de félicité, où parler leur semblait un effort.

575. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

Aucun n’a négligé de convaincre l’esprit, d’échauffer le cœur, & de triompher des passions. […] On fait quelquefois les peintures les plus indécentes, jusqu’à représenter une femme frivolement occupée à sa toilette, avec toute la vivacité d’une passion, tous les termes de la plus fade coquetterie ; jusqu’à dire, mot pour mot, comme faisoit le P. de ***, un billet qu’il supposoit avoir été écrit par un amant à sa maîtresse. […] Son établissement miraculeux, son triomphe sur les démons & sur les passions des hommes, la violence qu’elle nous commande de faire à nos desirs, la réformation du cœur, la sublimité de ses mystères & de ses dogmes, l’éternité de gloire & de supplices qu’elle nous présente, l’héroisme de ses généreux athlètes  ; toutes ces idées, véritablement grandes, prêtent plus à l’éloquence, au génie heureusement né pour l’art oratoire, que les intérêts des plus grands états. […] Lorsqu’on demandoit à Massillon où il avoit pu trouver des peintures du monde aussi saillantes, aussi finies & aussi ressemblantes : dans le cœur humain, répondoit-il ; pour peu qu’on le sonde, on y découvrira le germe de toutes les passions.

576. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

D’ailleurs, son ton, ses yeux, sa voix, tous ses mouvements, de concert avec la passion qui l’anime, persuadent que cette passion est vraie. […] Toutes les manières pathétiques et fortes, dont les gens à passions s’expriment, ont été rangées sous une nomenclature aride de figures. […] Dans ce contraste, et d’organisation et de caractère, chacun cependant prend pour la nature ce qui est lui : nos passions ou nos faiblesses, voilà la règle de nos jugements.

577. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Il se jeta au milieu de toutes les passions populaires ; il en précipita le mouvement pour se faire craindre, et fut lui-même entraîné par elles. […] Ceux qui ne croient ni à son héroïsme, ni à ses forfaits, seront difficilement écoutés par les passions qui le défendent ou le condamnent. […] Elles participent à l’intérêt éternel de ses passions et de ses sentiments, qui ont le même caractère dans tous les âges. […] C’est sous ce point de vue que l’auteur envisage dans les arts, et surtout dans la poésie des peuples modernes, les effets de toutes les passions. […] Mais les femmes ne sont bien louées que par les passions qu’elles inspirent.

578. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Augier, Émile (1820-1889) »

Agressive jusqu’à la passion, elle provoquera les passions contraires.

579. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Béranger a joué le rôle le plus perfide, le plus coupable et le plus vil ; qu’il doit figurer au premier rang de ceux qui ont fait du mal à l’humanité, à leur époque et à leur pays ; que ce mal, il l’a fait sciemment, froidement, non pas par entraînement et par passion… mais avec calcul, en versant la goutte de poison là où il savait qu’elle serait plus corrosive et plus meurtrière et en prenant pour auxiliaire, dans son œuvre criminelle, tout ce que l’esprit de parti a de plus bas, de plus méchant et de plus bête. […] Louis Veuillot Il a, pour servir ses passions, dégradé la langue comme l’âme du peuple… Il a parodié les paroles de la prière pour outrager les sentiments chrétiens ; il a tourné en ridicule la foi, les sacrements, la pudeur et la mort… [Mélanges, tome III, 2e série.]

580. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Théâtre français. » pp. 30-34

Les Confrères de la Passion ayant loué une salle à l’hôpital de la Trinité, élevèrent un théâtre propre à ce genre de représentations qu’ils donnèrent au peuple les jours de fête. […] Au nom de moralité succéda celui de mystères de la passion.

581. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Ce poème est un des chefs-d’œuvre de Théocrite ; celui de la Magicienne lui est peut-être supérieur par l’ardeur de la passion, mais il est moins pastoral. […] Cette idylle respire la passion.

582. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

L’églogue ne convient pas aux passions violentes et sanguinaires. […] Les vertus n’ont-elles pas leurs premiers mouvemens ainsi que les passions vicieuses ?

583. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

En effet, Michelet, qui a une passion malheureuse pour les idées générales, Michelet, qui veut toujours aller du fait à l’idée, — ce qui est un glorieux chemin, mais dans lequel il tombe toujours, — Michelet se préoccupe beaucoup, dans son histoire des Femmes de la Révolution, de la destinée future de la femme, et nous vous dirons qu’à plus d’une page il n’est pas médiocrement embarrassé. […] Ne sachant trop que penser, lancé dans un sens par sa passion politique ou philosophique, relancé dans la voie contraire par ce que l’Histoire, dont on n’éteint pas complètement la lueur en soi, lui a pendant si longtemps enseigné, il ne sait à quoi se résoudre.

584. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Les poètes doivent s’attacher à ce ridicule durable qui prolonge l’existence de leurs ouvrages et qui l’égale à celle de la nature impérissable des passions qu’ils représentent. […] Trop de passions alors s’y mêlaient, et la pitié qu’il pouvait exciter, en immolant une victime connue et désignée, troublait en quelque sorte l’enjouement de la satire. […] Dès que l’auteur entre en passion, on aperçoit qu’il se venge de telle ou telle chose, de tels ou tels gens ; et le ridicule disparaît, n’étant plus marqué au coin de la vérité. […] La comédie veut les corriger de ce travers de passion qui nuit à leur repos, et leur apprendre à s’aimer en paix. […] Sur les caractères comiques ; sur leurs espèces ; sur les passions, et sur les mœurs.

585. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

C’est la contradiction, la contradiction qui s’attaque à la vérité, mais qui, en cherchant ses points vulnérables, l’oblige à se dégager des ombres que les passions humaines ont pu mêler à son divin éclat, c’est-à-dire des abus. […] La passion est dans l’expression, mais elle ne trouble ni la clairvoyance du regard ni la droiture du jugement. […] On voit ici à la fois la passion du parti philosophique et révolutionnaire qui s’effrayait du succès des conférences de M.  […] Les tristesses et les joies, les passions et les inquiétudes de toute une société, soufflent sur eux comme ces grands vents, qui venaient agiter les cordes frémissantes des harpes ossianiques. […] Ne cherchez plus la passion ardente et emportée comme elle l’est dans Catulle, voluptueuse et épicurienne comme elle l’est dans Horace, naïve et soupirant sans cesse ses douleurs et les cruautés de Délie, comme dans l’élégiaque Tibulle.

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