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224. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

S’il est vrai que le théâtre soit un grossissement et une simplification de la vie, la comédie pourra nous fournir, sur ce point particulier de notre sujet, plus d’instruction que la vie réelle. […] Elle ne nous fait rire que parce qu’elle symbolise un certain jeu particulier d’éléments moraux, symbole lui-même d’un jeu tout matériel. […] Le mécanisme raide que nous surprenons de temps à autre, comme un intrus, dans la vivante continuité des choses humaines, a pour nous un intérêt tout particulier, parce qu’il est comme une distraction de la vie. […] Le comique est ce côté de la personne par lequel elle ressemble à une chose, cet aspect des événements humains qui imite, par sa raideur d’un genre tout particulier, le mécanisme pur et simple, l’automatisme, enfin le mouvement sans la vie. […] Il ne constate pas, à l’aide du langage, certaines distractions particulières des hommes ou des événements.

225. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Direction des particuliers. […] J’y vois, pour mon compte, les titres du monde moderne, les privilèges particuliers de l’esprit français, et les droits mêmes de la raison. […] En religion, il n’y a pas de doctrine particulière qui ne devienne un schisme, pas de dissident qui ne dégénère en sectaire. […] Direction des particuliers, lettres spirituelles. […] Ce n’est pas dommage que de tels hommes nous donnent leur goût particulier pour la règle du beau.

226. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Louis Dumur Cette mince plaquette se présente avec des allures mystérieuses bien particulières. […] Sa sensibilité est d’une qualité particulière, il est grave et probe.

227. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Sophocle, et Euripide. » pp. 12-19

Il avoit jusques-là très-bien joué le héros, l’auteur qui méprise sa gloire particulière, qui n’aime que le progrès de l’art, son repos & sa liberté, la paix & l’union entre les gens de lettres. […] La lettre rouloit « sur le grand intérêt que les Athéniens avoient pris à cet événement ; sur le danger auquel la république des lettres avoit été exposée ; sur l’attention particulière de la providence à rendre à la patrie, au genre humain, un homme qui en avoit si bien mérité ».

228. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

— Chacun admettra que les instincts sont d’aussi grande importance au bien de chaque espèce, sous ses conditions de vie particulières, que peuvent l’être les organes corporels. […] Ainsi, les nids d’oiseaux varient, en partie, d’après leur situation particulière et selon la nature et la température de la contrée, mais souvent aussi par des causes qui nous sont complétement inconnues. […] Si nous voyions un Loup, encore jeune et sans aucune éducation préalable, demeurer immobile comme une statue la première fois qu’il sent ou aperçoit sa proie, et ramper ensuite vers elle avec une démarche toute particulière ; si nous voyions au contraire une autre espèce tourner autour d’un troupeau de Daims, au lieu de le poursuivre, et le chasser ainsi vers un point déterminé, assurément nous attribuerions de tels actes à l’instinct. […] — Peut-être comprendrons-nous mieux comment les instincts peuvent se modifier à l’état de nature en étudiant quelques cas tout particuliers. […] Naturellement, les Abeilles ne savent pas plus qu’elles décrivent leurs sphères à une distance particulière les unes des autres, qu’elles ne savent ce que c’est que les divers côtés d’un prisme hexagone ou les rhombes de sa base119.

229. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Il y débute par des axiomes, en déduit toutes les idées particulières et s’efforce de suivre une méthode géométrique que le sujet ne comporte pas toujours. […] Passer de la poésie à la prose, c’était abstraire et généraliser ; car le langage de la première est tout concret, tout particulier. […] L’histoire romaine nous le confirme : les plébéiens combattaient pour l’intérêt des nobles, à leurs propres dépens, et ceux-ci les ruinaient par l’usure, les enfermaient dans leurs cachots particuliers, les déchiraient de coups de fouets. […] La loi, toute particulière encore, n’a pour elle que l’autorité (dura est, sed scripta est) ; elle n’est pas encore fondée en principe, en vérité. […] Répétons donc ici le premier principe de la Science nouvelle : les hommes ont fait eux-mêmes le monde social, tel qu’il est ; mais ce monde n’en est pas moins sorti d’une intelligence, souvent contraire, et toujours supérieure aux fins particulières que les hommes s’étaient proposées.

230. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

A la science revient de plus en plus la constatation des faits particuliers et généraux, la recherche des effets et des causes, la critique des textes, des dates, des documents ; à la littérature le souci de l’arrangement, des proportions, du style. […] L’esprit scientifique, partout où il pénètre, apporte avec lui l’habitude de rechercher le comment et le pourquoi des choses, l’effort pour établir un enchaînement serré de causes et d’effets, le dessein de condenser une quantité de faits particuliers dans une formule générale, le désir de découvrir des lois constantes dans la suite des phénomènes. […] Il ne lui a plus suffi d’interroger la conscience ; elle a senti la nécessité de connaître les résultats où chaque science particulière aboutit, de relier les phénomènes physiques aux phénomènes moraux, de rattacher par exemple la psychologie à la physiologie. […] Mieux vaut signaler chez de nombreux écrivains qui ont devancé ou suivi Edgar Poe l’existence d’un fantastique particulier, lucide, méthodique, où les idées s’enchaînent avec une logique si serrée qu’il est presque impossible de marquer le point précis où l’on passe de ce qui est à ce qui peut être et du possible à l’impossible. […] Leur opposition à Descartes et les qualités particulières de leur œuvre sont dans la littérature le reflet d’une autre philosophie, d’une autre méthode scientifique.

231. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Dans une telle logique, résultant elle-même d’une telle métaphysique, les premiers poètes devaient tirer les noms des choses d’idées sensibles et plus particulières ; voilà les deux sources de la métonymie et de la synecdoque. […] Pour dire tant d’années, on disait tant d’épis, ce qui est encore plus particulier que moissons. […] En effet, les poètes ayant d’abord formé le langage poétique par l’association des idées particulières, comme on l’a démontré, les peuples formèrent ensuite la langue de la prose, en ramenant à un seul mot, comme les espèces au genre, les parties qu’avait mises ensemble le langage poétique. […] Ensuite vinrent Aristote et Zénon ; le premier enseigna le syllogisme, forme de raisonnement qui n’unit point les idées particulières pour former des idées générales, mais qui décompose les idées générales dans les idées particulières qu’elles renferment ; quant au second, sa méthode favorite, celle du sorite, analogue à celle de nos modernes philosophes, n’aiguise l’esprit qu’en le rendant trop subtil. […] On doit conjecturer que les Latins et les Grecs en font autant, lorsqu’ils expriment tant de choses particulières aux barbares, avec des mots qui sonnent si bien en latin et en grec.

232. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Sans parler de sa gouvernante, la baronne de Reding, elle y reçut des soins particuliers d’une tante, la comtesse de Survilliers (née Clary). […] J’en avais la certitude ; mais, dans la situation actuelle, je devais éprouver une satisfaction particulière à recevoir de bonnes et amicales paroles qui me parviennent d’un pays où, dans ces derniers temps, la Russie et son souverain n’ont cessé d’être en bulle aux plus haineuses accusations. […] La famille régnante fut parfaite en ces années pour la fille des Napoléon : la princesse Mathilde ne l’a jamais oublié ; et depuis, dans une circonstance pénible où la politique impériale eut à exercer sur les biens de la maison déchue une de ces mesures d’État, commandées sans doute et nécessaires, elle et la duchesse d’Hamilton, n’écoutant que leurs sentiments particuliers et de leur propre mouvement, s’honorèrent par une démarche dont l’intention doit leur être comptée.

233. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Je n’ai pas assez comparé les deux pays pour être juge ; mais ici le monde catholico-légitimiste qui avait pourtant connu Chateaubriand aussi bien que moi, et qui, dans le particulier, ne s’exprimait pas autrement sur son compte, parut se scandaliser et s’insurgea sur toute la ligne. […] M. de Loménie, affilié à la coterie, poussa aussi son soupir qu’il appuya de toutes sortes de réfutations et de raisonnements : essayant de m’opposer moi-même à moi-même, il ne daigna pas admettre qu’en pareille matière de jugements contemporains il vient une heure et un moment où, quand on n’est lié par rien de particulier, la vérité reparaît de plein droit et prend le pas sur la politesse. […] Paul de Raynal ; 3e édition : 2 vol. in-18, chez Didier, quai des Augustins, 35. — On me permettra d’ajouter que cette édition a été revue avec un soin tout particulier par le frère de M. 

234. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Outre ces difficultés générales, qu’on pourrait indiquer plus au long, il y en avait de particulières à Béranger ; pour mille raisons, ce qu’il avait fait la première fois n’était pas à recommencer de plus belle. […] On ferait preuve d’un esprit bien superficiel en n’y voyant que des accidents particuliers auxquels se serait pris le poëte : Béranger a dramatisé, sous ces figures populaires, toute une économie politique impuissante, tout un système d’impôts écrasants ; il a touché en plein la question d’égalité réelle, du droit de chacun à travailler, à posséder, à vivre, la question, en un mot, du prolétaire.  […] Mais sous la forme particulière dont Béranger a fait usage, la mise en œuvre de cet esprit national nous semble pour longtemps interdite.

235. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Sabbatier ne craint pas de s’exprimer : « Quant à l’ouvrage de M. de Barante, des considérations particulières avaient bien pu lui faire accorder une mention, mais ne pouvaient donner à personne l’idée de le mettre en parallèle avec un écrit de Victorin Fabre !  […] Ajoutez l’inconvénient de rêver trop longtemps de prix et d’accessit, ce qui est un tic particulier à ce genre d’émulation. […] Cette théorie de l’invasion, qui impute à un fait national aussi douloureux et aussi désastreux que la catastrophe de 1814 et 1815 tout le libre mouvement de renaissance philosophique, historique et littéraire dont nous provenons, et qui essaye par là de le flétrir, n’est point d’ailleurs particulière à l’éditeur, et M.

236. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Le plus souvent cette vive action s’est produite dans des circonstances toutes particulières et sur des questions très-déterminées. […] Comme toute étude d’ailleurs qui porte sur l’histoire, l’éclectisme a sa réalité, indépendante même de la philosophie particulière à laquelle il s’appuie. […] De celui-là, qui échappe pour le moment à l’appréciation littéraire, mais qu’une curiosité respectueuse ne saurait, même à ce seul titre, s’empêcher de suivre en silence et d’observer, il me suffira de dire qu’il a eu cela de particulier et d’original, que, trempé encore plus expressément par la nature pour les luttes et pour les triomphes de l’orateur, il y a de plus en plus aguerri et assoupli sa parole : cette netteté, ce nerf, cette décision de pensée et d’expression qu’il a sans relâche développés et qu’il porte si hautement dans les discussions publiques, toutes ces qualités ardentes et fortes, il semble que ce soit plutôt l’orateur encore qui, chez lui, les communique et les confère ensuite à l’écrivain ; et si l’on pouvait en telle matière traiter un contemporain si présent comme on ferait un grand orateur de l’antiquité, on aurait droit de dire à la lettre que c’est sur le marbre de la tribune, et en y songeant le moins, qu’il a poli, qu’il a aiguisé son style.

237. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Ce qui s’établit alors en France comme aux alentours, ce sont les monarchies régulières qui, abolissant les puissances particulières et indépendantes, instituent une administration et une hiérarchie sous l’autorité et la majesté d’un roi. […] En même temps la science aide le dogme ; les forces naturelles disparaissent ; entre les mains des philosophes, les êtres perdent leur énergie efficace ; les dieux intérieurs qui vivent dans les choses sont anéantis ; toutes les puissances particulières se concentrent dans le Dieu unique. […] Le premier est la faculté d’imiter intérieurement et de reproduire en soi-même tout sentiment, tout geste, toute forme, toute chose particulière et sensible, tout détail de la vie et de l’action.

238. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Cependant il serait vrai, je crois, de dire que si beaucoup d’œuvres particulières des écrivains anglais furent chez nous en crédit, aucun mouvement considérable n’a son réel point de départ en Angleterre : nous trouvons dans le courant de notre littérature même, dans les transformations de l’esprit public et des mœurs sociales, dans l’apparition enfin de certaines originalités individuelles, les raisons essentielles de l’évolution du goût et des formes littéraires. […] Mais ici encore, je crois, la pensée de nos philosophes a été chercher eu Angleterre plutôt des soutiens, des exemples, des vérifications que des principes et l’impulsion initiale : c’est chez nous et de nous surtout que les inventions particulières par lesquelles les Anglais avaient mis leurs intérêts intellectuels et matériels, privés et nationaux, dans les meilleures conditions qu’ils pouvaient, ont assuré la diffusion. […] Nombre d’autres écrivains ou écrivassiers français furent alors les correspondants particuliers de souverains, de princes, de gentilshommes dont la France était la patrie intellectuelle.

239. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Chaque cellule est déjà un petit animal ; les grands organes, comme le cœur, l’estomac, le cerveau, sont des associations particulières en vue de besoins particuliers, au sein de l’association générale. […] Tous ces phénomènes confirment ce principe que chaque état psychique a pour corrélatif un état moteur particulier ; « notion fort importante, dit avec raison M. 

240. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

J’ai souvent entendu dire de Hogarth : « C’est l’enterrement du comique. » Je le veux bien ; le mot peut être pris pour spirituel, mais je désire qu’il soit entendu comme éloge ; je tire de cette formule malveillante le symptôme, le diagnostic d’un mérite tout particulier. […] Goya n’est précisément rien de spécial, de particulier, ni comique absolu, ni comique purement significatif, à la manière française. […] Même au point de vue particulier de l’histoire naturelle, il serait difficile de les condamner, tant il y a analogie et harmonie dans toutes les parties de leur être ; en un mot, la ligne de suture, le point de jonction entre le réel et le fantastique est impossible à saisir ; c’est une frontière vague que l’analyste le plus subtil ne saurait pas tracer, tant l’art est à la fois transcendant et naturel37.

241. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Qu’y a-t-il donc en eux de particulier ? […] Je doute qu’ils aient quoi que ce soit de particulier dans leur organisation physique. […] Les yeux ont certainement quelque chose de particulier. […] C’est qu’il y a là un cas très particulier qui mérite d’être étudié à part. […] Pourquoi cette conception semble-t-elle particulière aux artistes du Nord ?

242. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Cependant, cette Providence particulière est celle des chrétiens. […] En ce sens, l’Histoire des variations n’est qu’une application particulière du principe posé dans le Discours sur l’histoire universelle, et la justesse même de l’application achève, pour Bossuet, de démontrer la vérité du principe. […] Il en trouve une sixième dans la dévotion très particulière qu’au dire d’Alexis de Salo, de très insignes scélérats ont témoignée pour la Vierge. […] La cour le mène aux rois, parmi lesquels il choisit Louis XI pour en faire « une considération particulière ». […] Ni son sujet en général, ni le point particulier que j’ai choisi pour bien faire voir comment il ne compose pas, n’ont rien qui lui soit personnel.

243. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Mais ce n’est point en ces créations pour ainsi dire instantanées, en ces générations pullulantes que se marque le génie particulier de Tolstoï. […] Tous les personnages qui l’entourent, se meuvent selon cette carrière, en courbes particulières ; conduits par le temps, soumis à la dure pression des faits, déformant peu à peu chaque forme de leur être, sans fixité, une pure fuite, qui ne vit que parce qu’il cesse à tout instant d’être lui-même. […] Le prince Pierre est sans doute par certains côtés le Russe et la Russie, lourd, bon, à peine dégrossi, avec de pesants instincts animaux, sourdement inquiet cependant et ne sachant comment vivre ; mais il est aussi un débauché ordinaire, un idéologue enthousiaste de Napoléon, de la franc-maçonnerie, un homme timide, gauche, myope, amoureux, d’une certaine sorte d’humeur avec ses domestiques, un mari ayant avec sa femme des relations particulières de colère et de faiblesse. […] Ces êtres sont étudiés non en une aventure particulière, en une manifestation spéciale de l’une ou de l’autre des grandes passions humaines, mais suivis pas à pas dans leur carrière extérieure, leur évolution mentale et corporelle ; c’est le cours même de la vie, le flux des pensées, des forces, de l’existence, du temps en l’homme qu’ils montrent, comme ils mesurent de leur nombre et de leur variété l’épais enchevêtrement d’un peuple. […] Par une vertu particulière de la race slave, ou par un penchant de l’écrivain, les hommes de Tolstoï sont naturellement bons, portés d’un premier mouvement affectueux vers leurs semblables, disposés d’instinct à la confiance, à la compassion, aptes à sentir, en dépit des hiérarchies et des préjugés sociaux, les penchants secrets de fraternité qui forcent finalement les hommes à agir humainement l’un à l’égard de l’autre.

244. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

D’autre part, la prose peut être poétique ; de Rousseau à Chateaubriand et aux romanciers modernes, il s’est produit en France de nombreux écrits qui ont pour caractère particulier d’exprimer, en une parole librement cadencée, le genre d’émotions élevées et vagues que suggèrent les beaux vers. […] S’il s’agit, pour un littérateur, de désigner un arbre particulier, une nuance précise de bleu perçu, une façon de frapper, il n’y parvient qu’en accouplant à grand’peine une série de mots toujours génériques mais qui se bornent réciproquement et, à force de se préciser les uns les autres, parviennent enfin à cerner, pour ainsi dire, mais toujours à distance, l’objet qu’il s’agit de montrer. […] Chez Henri Heine l’intelligence et la sensibilité se balançaient presque et ce qui se remarque dans son œuvre, c’est la condition particulière d’instabilité de ses sentiments. […] Hamlet et Werther sont des modèles de douloureuse indécision : toute l’école naturaliste brise le ressort de ses créatures : celui des modernes qui a poussé le plus loin la démonstration de cette hypocondrie particulière, Tourguénef, a également fait d’une façon magistrale l’étude des maladies de la volonté. […] Le seul héritier de son observation concise et nuancée, de ses analyses Fragmentaires et profondes, de son sentiment de l’individuel en chaque être humain, de sa composition écourtée toute soumise à sa psychologie, de son amour de la réflexion, des idées générales sur l’homme, de son pessimisme particulier, d’une partie de sa tendresse, est M. 

245. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il était de fière et forte race, descendant des anciens ducs et rois de Bretagne, allié et apparenté aux principales maisons souveraines : « Je me contenterai, écrit à ce sujet un de ses anciens biographes, de dire seulement une chose assez belle et assez particulière, c’est qu’en quelque lieu de l’Europe qu’il allât, il se trouvait parent de ceux qui y régnaient. » On sait le mot de sa sœur répondant à une déclaration galante de Henri IV : « Je suis trop pauvre pour être votre femme, et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. » Né au château de Blein en Bretagne en 1579, Henri de Rohan, l’aîné de sa famille, fut donc élevé avec de grands soins par sa mère veuve, Catherine de Parthenay, qui mit de bonne heure sur lui son orgueil et ses espérances. […] Son dessein eût été d’agir militairement, de démanteler les petites places qui ne pouvaient tenir, et de fortifier les principales, Nîmes, Montpellier, Uzès ; « Nous avions, dit-il, des hommes assez suffisamment pour faire une gaillarde résistance ; mais l’imprévoyance des peuples et l’intérêt particulier des gouverneurs des places firent rejeter mon avis, dont depuis ils se sont bien repentis. » Dans ses remarques sur les Commentaires de César, admirant l’influence qu’eut Vercingétorix sur les peuples de la Gaule pour leur faire accueillir les meilleurs moyens de défense : Il a eu, dit-il, le pouvoir de faire mettre le feu à plus de vingt villes pour incommoder leurs ennemis, ce qui témoigne son bon sens… Son grand crédit est remarquable ; car, à des peuples libres, au commencement d’une guerre, avant que d’en avoir éprouvé les mauvais succès et dans l’espérance de pouvoir vaincre sans venir à des remèdes si cuisants, il leur persuade de mettre le feu à leurs maisons et à leurs biens, pour la conservation desquels se fait le plus souvent la guerre. […] La ruine de ceux de la religion n’est pas si prochaine qu’elle ne donne aux mécontents loisir de former des partis… Songez que vous avez moissonné tout ce que les promesses mêlées de menaces vous pouvaient acquérir, et que ce qui reste combat pour la religion qu’il croit… Il finit en refusant de se prêter à aucune conclusion particulière et qui le sépare de l’intérêt général. Car, une fois ces guerres religieuses entamées, ce fut l’honneur de M. de Rohan de ne jamais donner les mains à des traités particuliers et de ne pas sacrifier son parti ; c’est en cela autant que par ses talents de capitaine qu’il se distingue des autres seigneurs tôt ou tard défectionnaires, et qu’il a mérité que cette cause protestante française restât identifiée à son nom.

246. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Henri devint roi ; son trésorier particulier, M. de Roquancour, passa trésorier de l’Épargne, et Olivier, à vingt-deux ans, fut son premier commis. […] Il jeta ses vues sur la famille de M. de Morvilliers, évêque d’Orléans et conseiller d’État, et rechercha une de ses nièces qui lui fut accordée : cette jeune personne appartenait du côté paternel à la famille de saint François de Paule, pour qui la famille d’Ormesson aura une dévotion toute particulière. […] Et ce qu’il a eu encore de plus admirable et comme particulier en lui, c’est d’avoir approché les rois sans médiateur, d’avoir amassé des richesses sans avarice, d’être parvenu aux grandes charges sans ambition, d’avoir bâti une bonne maison avec peu de matière, d’avoir eu beaucoup de prospérité sans orgueil, d’avoir, aimant la douceur et la tranquillité, vécu trente-cinq ans de suite dans la Cour, fait sa retraite vingt ans avant de mourir, sans aucune disgrâce précédente, d’avoir vécu soixante et seize ans d’une santé très parfaite, rarement troublée de maladies, d’avoir joui en repos des biens qu’il avait amassés, d’avoir reçu de l’honneur aux charges qu’il a exercées, d’avoir fait grande quantité d’amis et point d’ennemis, d’avoir habité les maisons qu’il avait bâties, s’être promené à l’ombre des bois qu’il avait plantés, d’avoir reçu de ses enfants le contentement qu’il en pouvait espérer. […] Il s’est fait en lui, à l’origine, une confusion naïve de son intérêt particulier comme maître des requêtes qui s’insurge pour défendre son office, et de l’intérêt public.

247. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Son indolence le portait à céder facilement à tout ce qu’ils lui proposaient, sans prendre la peine de l’examiner, encore moins de le contredire ; son jugement sain et l’expérience qu’il avait des affaires lui faisaient souvent désapprouver en secret leur conduite et leurs mesures ; rarement il se permettait des représentations, il n’y insistait jamais : la consolation de ces âmes indolentes, que la faiblesse domine sans leur ôter l’intelligence, est le mépris pour ceux qui les conseillent mal, soit par ignorance, soit par des passions particulières. […] Comme jusqu’alors ses intentions avaient été droites, il désespéra de pouvoir jamais faire le bien, parce qu’on est toujours plus disposé à regarder comme impossible en soi ce qu’on n’a pas le courage de faire… C’est à ce point qu’était parvenu par degrés un homme qui, s’il fût né particulier, aurait été jugé, par son intelligence et son caractère, au-dessus du commun et ce qu’on appelle proprement un galant homme. […] Je ne sais quel don, quelle supériorité de nature et de caractère, ce qu’il lui aurait fallu d’énergie poursuivre le conseil de Villars qui lui disait dès le lendemain de son arrivée à Fontainebleau : « Madame, la satisfaction est générale du mariage et des commencements, et tout ce qui connaît les grandes qualités qui sont en vous désire que vous preniez empire sur l’esprit du roi. » Ambition, génie, éclair, étincelle, feu d’enfer ou feu sacré, de quelque nom qu’on vous appelle, quand des particulières qui ne savent qu’en faire vous possèdent, on est en droit de vous réclamer chez les reines ! […] Celui-ci prétendait être toujours présent quand M. le Duc travaillait avec le roi, et M. le Duc, de son côté, prétendait avoir des audiences particulières, ce qui était assez raisonnable pour un premier ministre.

248. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

L’impartialité nous oblige à dire que tous les conseils de Marie-Thérèse à sa fille n’étaient pas également bons ; nous distinguerons entre ceux qu’elle lui donnait sur son métier de reine, conseils sages, utiles, excellents à suivre en tout point, et ceux que la politique particulière de l’Autriche lui dictait : ces derniers conseils, soupçonnés du public, étaient parfois périlleux pour Marie-Antoinette, tendaient à la rendre impopulaire et à justifier le reproche qu’on lui faisait généralement, de sacrifier l’intérêt de la France à celui de l’Autriche. […] On le vit bien, lorsqu’à la nouvelle de la mort inopinée de l’Électeur de Bavière, décédé sans héritier direct en décembre 1777, l’Autriche, sous prétexte de droits particuliers qu’elle revendiquait et qui n’étaient connus que d’elle, se mit en possession militairement des deux tiers du pays. […] Une note avait été envoyée de Versailles, dès le 5 février, à tous les Cabinets de l’Europe, par laquelle le roi déclarait n’avoir eu aucune connaissance de la convention particulière conclue entre la Cour de Vienne et l’Électeur palatin, et n’y avoir pris aucune part. […] On sait que Marie-Thérèse, plus émue que personne (et elle en avait le droit), prit sur elle alors d’ouvrir une négociation particulière avec le roi de Prusse (juillet 1778) ; la négociation manqua : Joseph II fut très irrité quand il sut la tentative de sa mère.

249. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Ce que nous appelons des idées générales, ne sont que des faits particuliers, et ne présentent qu’un côté d’une question, sans en laisser voir l’ensemble. […] Mais ce favorable hasard tient à des circonstances particulières, et ne préjuge en rien, ni quels sont les principes invariables en eux-mêmes, ni de quelle application ils sont susceptibles dans d’autres pays. […] Ces vérités se composent de chaque fait et de chaque existence particulière. […] La politique est soumise au calcul, parce que s’appliquant toujours aux hommes réunis en masse, elle est fondée sur une combinaison générale, et par conséquent abstraite ; mais la morale ayant pour but la conservation particulière des droits et du bonheur de chaque homme, est nécessaire pour forcer la politique à respecter, dans ses combinaisons générales, le bonheur des individus.

250. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Mais, si intéressantes que soient les descriptions de la réalité prochaine, l’exotisme, quand il est sincère, garde un charme particulier, un charme pénétrant et attristant. […] Mais cette mélancolie et ce délice sont chez Pierre Loti d’une particulière intensité. […] Mais ce qui lui est particulier, c’est que sensations et sentiments se résolvent d’ordinaire en je ne sais quelle langueur de volupté et de désir, comme si le trouble qu’éveille en lui la figure de la Terre était un peu semblable à un autre trouble, à celui qui nous vient de la femme, et y disposait l’âme et le corps… Tout cela est bien difficile à dire clairement. […] D’abord par l’impression de volupté particulière qui s’en dégage, volupté profonde, absorbée, sans pensée ni parole.

251. (1890) L’avenir de la science « V »

Soigner sa belle humanité 57 sera alors la Loi et les Prophètes, et cela, sans aucune forme particulière, sans aucune limite qui rappelle la secte et la confraternité exclusive. Le trait général des œuvres religieuses est d’être particulières, c’est-à-dire d’avoir besoin, pour être comprises, d’un sens spécial que tout le monde n’a pas : croyances à part, sentiments à part, style à part, figures à part. […] Mais ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’une doctrine n’a désormais quelque chance de faire fortune qu’en se rattachant bien largement à l’humanité, en éliminant toute forme particulière, en s’adressant à tout le monde, sans distinction d’adeptes et de profanes. […] À cet excès doit aboutir tout ce qui est monopole dans le monde de la pensée, tout ce qui exige pour être compris une sorte de révélation particulière, un sens à part que n’a pas l’humanité.

252. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Cousin en vient à des analyses particulières de certains philosophes ou moralistes. […] À tout moment, en le lisant, on se redit les vers d’Horace ou de Lucrèce, si bien traduits par Molière, sur les illusions particulières aux amants qui donnent un joli nom à chaque défaut de la personne qu’ils aiment : Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable ! […] De quel désintéressement particulier avez-vous fait preuve ? […] [NdA] La duchesse de Mecklembourg, « qui avait des façons de dire particulières », disait de Mme de Longueville « qu’elle enchavignait tout le monde ».

253. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Ses amis plus particuliers étaient, parmi les personnages connus, Turgot, le bon duc de La Rochefoucauld, Lavoisier, le monde de Mme Helvétius à Auteuil, l’abbé Morellet, Cabanis, etc. […] Les jeux d’esprit, les contes et apologues dont il était prodigue en ces moments, se sont en partie conservés et nous le rendent avec son accent particulier. […] On a souvent cité les extraits de son Journal particulier qui se rapportent aux communications plus ou moins bizarres et chimériques dont il était l’objet et comme le point de rendez-vous, de la part de tous les faiseurs de projets, de machines, de systèmes ou de constitutions. […] Par l’argument qu’il contient contre une Providence particulière, quoique vous accordiez une Providence générale) vous sapez les fondements de toute religion : car, sans la croyance à une Providence qui connaît, surveille et guide, et peut favoriser quelques-uns en particulier, il n’y a aucun motif pour adorer une Divinité, pour craindre de lui déplaire ou pour implorer sa protection.

254. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Quant à l’exceptionnel tout pur, le plus souvent il rebute par son caractère, apparemment hybride, par l’incertitude où l’on est s’il est une vérité, auquel cas il n’y aurait rien de plus intéressant, ou s’il est une fantaisie, auquel cas il n’intéresse que sur l’auteur, doué d’un tour d’imagination si particulier. […] Les amateurs d’exceptionnel en littérature et qui l’aiment, non point parce qu’ils sont blasés sur le normal, mais par goût de s’évader de la vie réelle, se trompent donc, je crois, en s’adressant à la littérature, y entretiennent en se plaisant à lui un genre qui, en littérature, est un genre faux, et feraient mieux, je crois, de s’adresser, selon leurs tempéraments particuliers, à l’un ou à l’autre des deux autres arts que j’ai dits. […] Il est un peu comme le Fantasio de Musset disant : « Je voudrais être ce monsieur qui passe ; il doit avoir une foule d’idées qui me sont complètement étrangères ; son essence lui est particulière ». […] Je veux dire qu’à chaque époque l’homme de raison, d’imagination, de sensibilité et dégoût y trouve son plaisir, à la condition qu’il ne soit pas dominé par le tour d’imagination, de sensibilité, de goût et de raisonnement qui est particulier à son temps même.

255. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Pour cela, je vais le faire naître, et je le ferai naître en observant les cas particuliers où il se, produit. […] Dans tous les cas, j’ai recréé mon idée, en reproduisant la circonstance particulière qui l’a fait naître ; j’ai démêlé cette circonstance en la rendant sensible ; je l’ai rendue sensible en la grossissant ; et je l’ai grossie en la répétant plusieurs fois. […] Et pour cela, nous avons pris un moyen simple : nous avons ramené les noms compliqués et généraux aux cas particuliers et singuliers qui les suscitent ; en réunissant plusieurs exemples, nous avons démêlé et détaché la circonstance commune qu’ils désignent ; nous les avons réduits à exprimer cette circonstance. […] Pour cela on met le mot dans les cas particuliers, singuliers et déterminés où il peut naître ; on le fait ainsi renaître ; et en répétant l’opération plusieurs fois, sur des exemples distincts et semblables, on finit par démêler la circonstance à laquelle il correspond.

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