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369. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il l’écrit d’ailleurs pour préparer une exception et s’occuper — de façon peu heureuse — d’une question pratique, vérifier cette parole quand il croit y manquer. […] Il est obligé de parler ou d’écrire pour elle ; sa parole ou son écriture deviennent elles-mêmes de l’action politique. […] Celle-ci se rapporte, dans l’ordre de la parole, à une habitude systématique d’employer des expressions neuves et des images trouvées. […] Une logique abstraite, une continuité forment le sel conservateur de toute parole humaine. […] Le poète aperçoit sa main qui fait le geste, habituel aux musiciens de la parole, de rythmer en caresse les inflexions de sa voix.

370. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

« Quand un homme serait déclaré par les États-Généraux du royaume le Père de la Langue et de l’Éloquence française, il n’aurait pourtant pas le pouvoir d’ôter ni de donner l’usage à un seul mot. » C’est Vaugelas qui a dit cette belle et juste parole. […] C’est le premier éclat simple (nitor), la lumière même de la pensée dans la parole, et que les grands esprits droits préfèrent à toute fausse couleur. […] Abordant ainsi le sujet à son corps défendant, c’était chose curieuse, pour un lecteur déjà poli, de l’entendre considérer les mots finement, discourir de la pureté des dictions, se demander d’où pouvait procéder, en fait de paroles, cette grande aversion contre celles qui ne sont pas dans le commerce ordinaire, dans l’usage, et en chercher la raison jusque dans les Topiques d’Aristote. […] Ce grand orateur, en son temps, savait fort bien se moquer de ces petites bouches et de ces esprits pusillanimes qui, à force de craindre la moindre ambiguïté dans le langage, en venaient à ne plus même oser articuler leur nom ; et M. de La Mothe ajoute dans un sentiment vigoureux et mâle : « Ceux dont le génie n’a rien de plus à cœur que cet examen scrupuleux de paroles, et j’ose dire de syllabes, ne sont pas pour réussir noblement aux choses sérieuses, ni pour arriver jamais à la magnificence des pensées. […] Si l’on récite devant vous, par exemple, le Sommeil de Booz, de Victor Hugo, quelle est la parole qui sort la première de votre bouche pour exprimer votre impression ?

371. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Chateaubriand, Mémoires Nous sommes dans un temps où tout se hâte, se divulgue, et où la parole n’attend pas. […] Littérairement, il n’y avait qu’une voix pour saluer le fondateur, parmi nous, de la poésie d’imagination, le seul dont la parole ne pâlissait pas dans l’éclair d’Austerlitz. […] La liberté de la parole et de la presse est, en quelque sorte, l’axe fixe autour duquel sa noble course politique a erré. […] On le voulut sauver en lui filant une corde : « Je suis prisonnier sur parole, » s’écrie-t-il du milieu des flots ; et il revient à terre, où il est fusillé avec Sombreuil. — Gesril, vous êtes mort en héros, vous avez égalé Régulus et surpassé d’Assas ; et qui connaît votre nom cependant ? […] Alors il y a un court moment d’explosion de paroles et d’allégement.

372. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

On est revenu sur ce point à une idolâtrie, du moins en paroles, qui rappellerait celle des premiers âges ; ce ne sont que demi-dieux toujours absous, quoi qu’ils fassent, et toujours écrasants. […] On laissait aux enfants et aux écoliers cette pieuse parole que le poëte a mise à la bouche du héros, compagnon d’Hector : Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem, Fortunam ex aliis……. […] Il y a donc eu, et il y a en ce moment abus dans l’ordre de la parole et de l’imagination, comme auparavant dans l’ordre civil et politique. […] Michelet a senti en un endroit cette absence de soin moral qui caractérise le moment présent, si animé d’ailleurs, si intelligent et si vivement poétique ; il a exprimé son regret et son espoir en paroles ardentes qu’on est heureux d’avoir pour auxiliaires : ne pourrait-on pas les lui opposer à lui-même quelquefois ? C’est à propos des conseils pieux, donnés par saint Louis à son fils, et qui rappellent le mot tout à l’heure cité d’Énée à Ascagne : « Belles et touchantes paroles !

373. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

L’orchestre invisible est une innovation favorable à l’audition plus encore qu’au spectacle : en atténuant la sonorité, il permet de donner aux instruments toute leur puissance, de déchaîner, sous les paroles et sans les couvrir, tous les éclats de l’instrumentation : à Bayreuth, on entend pour la première fois ce qu’est la musique de Tristan. […] Parole e Musica di Riccardo Wagner. […] Parole e Musica di Riccardo Wagner. […] Grand-opéra romantique en 2 actes, paroles et musique de Richard Wagner, 1855. […] Paroles et Musique de Richard Wagner.

374. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Et l’autre sœur, qui, plus brave et aventurière, émancipée de bonne heure, s’est ruée dans les hasards du monde, dans le tourbillon et la fange des capitales, qui n’a eu peur ni des goujats des camps, ni des théâtres obscènes, ni des rues dépavées, et qui, le front débarrassé de vergogne et la grosse parole à la bouche, s’est faite honnête homme cynique, n’espérant plus redevenir une vierge accomplie, ne la prenez pas trop au mot non plus, je vous conseille ; ne croyez pas trop qu’elle se plaise à cette corruption dont elle nous fait honte, à cette nausée éructante qu’elle nous jette à la face pour provoquer la pareille en nous, à cette lie de vin bleu dont elle barbouille exprès son vers pour qu’il nous tienne lieu de l’ilote ivre et qu’il nous épouvante ; osez regarder derrière l’hyperbole étalée et échevelée par laquelle, égalant la luxure latine, elle divulgue sans relâche et le plus effrontément la plaie secrète de ce siècle menteur, tout plein en effet de prostitutions et d’adultères ; osez percer au delà de cette monstrueuse orgie qu’elle déchaîne en mille postures devant nous, — et vous sentirez dans l’âme de cette muse une intention scrupuleuse, un effort austère, un excès de dégoût né d’une pudeur trompée, une délicatesse dédaigneuse qui, violée une fois, s’est tournée en satirique invective, une nature de finesse et d’élégance, que l’idéal ravirait aisément et qui ne ferait volontiers qu’un pas de la Curée au monde des anges. […] Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas. […] D’autres personnes, au contraire, d’un goût plus féminin, se sont révoltées à ces mêmes images, à ces abus de parole où se délectent les audacieux.

375. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

C’est que Nodier l’était en effet ; une certaine jeunesse d’imagination et de poésie a revêtu jusqu’au bout chacune de ses paroles, chaque ligne échappée de lui ; le souffle léger ne l’a pas quitté un instant. […] La réunion était complète, on s’asseyait : c’est alors qu’il s’animait par degrés, que sa parole facile, élégante, retrouvait ses accents vibrants et doux, que le souvenir évoquait en lui les Ombres de ce passé charmant qu’il redemandait tout à l’heure au sommeil ; le conteur-poète était devant nous ; nous possédions Nodier encore une fois tout entier. […] Entouré de la famille la plus aimable et la plus aimée, d’une famille que l’adoption dès longtemps n’avait pas craint de faire plus nombreuse, de ses quatre petits-enfants qui Jouaient la veille encore, ne pouvant rien comprendre à ces approches funèbres, de sa charmante fille, sa plus fidèle image, son œuvre gracieuse la plus accomplie, Nodier a traversé les heures solennelles au milieu de tout ce qui peut les soutenir et les relever ; si une pensée de prévoyance humaine est venue par moments tomber sur les siens, elle a été comprise, devinée et rassurée par la parole d’un ministre, son confrère, l’ami naturel des lettres193.

376. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

L’Église, fondée par la parole de Jésus-Christ et par les Apôtres, dès les premiers pas faits sur la terre y mettait la main en même temps que le pied, et voici comment elle y mettait la main : elle la tendait et l’aumône y tombait. […] Il écrit cependant quelque part, en commençant son histoire : « Il n’est pas sans intérêt de montrer comment les circonstances, en manifestant PEUT-ÊTRE un dessein providentiel, ont dégagé dans l’histoire cette souveraineté naissante… » Mais il oublie que la question est plus profonde que cela, et cette parole : Le dessein peut-être providentiel, est une de ces faiblesses qui prouve que chez M. de L’Épinois le penseur catholique est inférieur à l’érudit. […] L’auteur du Gouvernement des Papes a pris pour épigraphe cette forte parole : Res, non verba !

377. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Je ne pouvais guère recueillir que des paroles d’intellectuels, mais ils ne valent pas moins, ceux qui se taisent depuis le commencement de la guerre, ce bourgeois, ce paysan, qui y vont avec courage, sans écrire trois lignes, et qui n’éprouvent pas le besoin de se demander pourquoi ils se font tuer. […] Après l’Évangile, le curé parla, et quand il eut terminé, il vint par un mouvement du cœur au banc du capitaine, l’inviter à prendre la parole. […] Ensuite, un officier catholique, parent du sous-officier protestant, prit la parole au bord de la fosse et exprima sa reconnaissance d’avoir entendu les représentants des deux églises chrétiennes symphoniser ainsi… »‌ Ah !

378. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Le goût du philosophe pour les institutions lacédémoniennes, son penchant à les imiter dans sa République idéale, la place qu’il y donne aux jeux guerriers et à une sorte d’éducation héroïque de l’âme et du corps, devaient lui rendre précieuse cette magnifique parole du poëte, qu’il cite parfois à l’égal des traditions antiques dont il aime il s’autoriser. […] Pour ta beauté qui lui était chère, le nourrisson d’Atarné a quitté la lumière du jour : aussi sera-t-il à jamais célébré ; et les Muses, filles de Mnémosyne, augmenteront son immortel renom, attentives à célébrer en lui le culte de Jupiter hospitalier, et la gloire de l’amitié fidèle. » Ces courtes paroles littéralement traduites ne semblent-elles pas garder encore la marque ineffaçable du grave et lumineux esprit qui leur avait donné la mélodie de sa langue et celle des vers ? […] Ecrit en majestueux hexamètres, sans les détours impétueux de la strophe et les variétés du rhythme, avec des paroles simples et de grandes images, cet hymne, chanté sans doute sur les tons de quelque ancienne et austère mélodie, nous semble le plus beau démenti des abaissements où se laissait réduire la Grèce, comme des erreurs brillantes qui l’avaient jadis égarée.

379. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Rien ne me paraît choquant comme d’entendre une parole légère et voluptueuse sortir de lèvres d’où je croyais que devaient tomber seulement des paroles de sagesse, et je suis presque scandalisé de rencontrer une exhortation à la vertu là où j’allais chercher une flatterie pour mes vices. […] C’est qu’il y a deux Cervantes comme il y a deux don Quichotte, et que l’un et l’autre prennent alternativement la parole. […] Quand il parle, il parle beaucoup et longtemps, comme un homme à qui l’on n’a jamais coupé la parole et que son rang place au-dessus de la contradiction. […] Dans Byron éclate en paroles enflammées le mépris des vices mesquins et de la vulgaire corruption sociale. […] Ces faux jugements n’auraient pas tant de ténacité si tous ceux à qui s’adressent véritablement ses paroles avaient le loisir de les entendre.

380. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Ces dernières paroles de Bernis doivent toujours nous être présentes comme un sommet dans le lointain, lorsque nous nous abandonnons avec lui aux distractions et aux grâces humaines du voyage. […] Sa Sainteté est assez maîtresse de ses paroles, mais nullement de son visage. […]  » Le résumé de la conduite de Bernis en cette grande et longue affaire est dans cette parole. […] Les événements de la Révolution vinrent mettre à l’épreuve sa fermeté : il vit cette opulence presque royale dont il jouissait depuis plus de vingt ans et dont il usait avec une libéralité vraiment auguste, lui échapper tout à coup, et la misère, à soixante-seize ans, lui apparaître ; il fut le même : « À soixante-seize ans révolus, disait-il, on ne doit pas craindre la misère, mais bien de ne pas remplir exactement ses devoirs. » J’ai déjà cité quelques-unes de ses nobles paroles. […] C’est sur ces dernières paroles qu’on aime à rester avec Bernis.

381. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Voici un homme des plus singuliers dans la littérature et la philosophie du xviiie  siècle ; il a publié ses ouvrages sans nom d’auteur ou sous le seul titre de Philosophe inconnu, d’Amateur des choses sacrées ; ses livres ont été peu lus, mais sa personne et sa parole ont été fort goûtées de quelques-uns ; il a eu son influence vers la fin : pour nous aujourd’hui il a surtout une signification de contraste, d’opposition, de protestation dans le courant d’idées alors régnantes. […] Dieu sait que je versai des larmes plein mon chapeau le jour de cette maudite réception où mon père assista à mon insu dans une tribune : si je l’avais vu, cela m’eût coupé tout à fait la parole. […] Ces paroles d’ailleurs nous montrent bien le rôle que s’accordait à lui-même Saint-Martin au milieu de cette société incrédule, mais qui commençait, depuis Jean-Jacques, à ne plus l’être systématiquement. […] Ce qu’il faut lui demander en attendant, avant de pousser plus loin le récit de sa vie et pour nous bien persuader qu’il mérite l’examen et l’attention de tous, ce sont les pensées du cœur, les mouvements puisés dans la sublime logique de l’amour ; car c’est à quoi il était le plus sensible et le plus propre : J’ai été attendri un jour jusqu’aux larmes, dit-il, à ces paroles d’un prédicateur : « Comment Dieu ne serait-il pas absent de nos prières, puisque nous n’y sommes pas présents nous-mêmes ?  […] Ce sont là des paroles d’or.

382. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Ce régime de Robespierre lui arrache quelques-unes de ces paroles d’indignation comme nous les désirons de lui et de tout homme de cœur. […] Il y avait des jours destinés aux conférences, et où les élèves prenaient la parole ou lisaient des objections. […] À cette nouvelle séance, il demanda, par une lettre motivée qu’il lut à haute voix, trois nouveaux amendements à la doctrine du professeur : 1º sur le sens moral dont il réclamait la reconnaissance nette et distincte et le rétablissement formel dans une bonne description de la nature humaine ; 2º sur la nécessité d’une première parole accordée ou révélée à l’homme dès la naissance du monde, et sur la vérité de ce mot de Rousseau que la parole a été une condition indispensable pour l’établissement même de la parole  ; 3º sur la matière non pensante, et qu’il fallait remettre à sa place bien loin de ce sublime attribut : Je fus mal reçu par l’auditoire, dit-il, qui est dévoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence et de son système des sensations.

383. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

C’est, lui qui, la veille du discours de réception de Victor Hugo à l’Académie, disait à quelqu’un qui ne paraissait pas sûr de pouvoir y assister : « Il faut y aller, on s’attend a de l’imprévu. » Et après la séance, il dit au glorieux récipiendaire, en manière de compliment : « Monsieur, vous avez fait un bien grand discours pour une bien petite assemblée. » C’est lui qui, à un célèbre candidat pour l’Académié46, qui s’étonnait d’apprendre de sa bouche qu’il n’eût pas lu ses ouvrages, fit cette réponse qui a couru et qui court encore : « Je ne lis pas, Monsieur, je relis. » On aurait pu trouver quelquefois qu’il usait et abusait du poids de sa parole pour écraser les gens. […] » Il avait ainsi une manière de piquer et de renchérir sur ce que vous aviez dit, et d’une de vos paroles ordinaires, en la reprenant et en la refrappant, il en faisait une toute neuve et saillante. […] Royer-Collard eut de hautes et belles paroles, et surtout appropriées aux temps : elles tombaient de tout leur poids dans cette Chambre royaliste qu’il adjurait de ne pas vouloir être plus sage que le roi, ou moins clémente que lui ; de ne point rentrer et se traîner dans les voies révolutionnaires, en voulant combattre l’esprit de la Révolution ; de ne pas infirmer la justice, en mettant à une trop rude épreuve la conscience du juge ; de ne pas intercepter le pardon et de ne pas lui faire rebrousser chemin, après qu’il était descendu du trône ; de ne pas ériger après coup contre des condamnés un surcroît de peines rétroactives ; de ne pas introduire sous le titre d’indemnités, et dans une loi d’amnistie, l’odieuse mesure des confiscations expressément abolies par la Charte : « Les confiscations, nous ne l’avons pas oublié, disait-il avec l’autorité d’un témoin aussi pur que les plus purs, sont l’âme et le nerf des révolutions ; après avoir confisqué parce qu’on avait condamné, on condamne pour confisquer ; la férocité se rassasie ; la cupidité, jamais. […] Royer-Collard n’eut donc, en variant, aucun tort ; sa conduite, dans les deux cas, fut sage ; sa parole seulement reste debout et se dresse à nos veux un peu excessive et absolue dans l’expression, comme c’était la condition et la forme de son talent : nous ne sommes pas assez casuiste pour le lui reprocher. […] A la tribune, s’il eut le mérite d’apporter de prime-abord un talent d’improvisation véritable, chose alors très-neuve, maître d’ailleurs de sa parole, il la gouverna toujours et sut la tenir également éloignée de la passion on du système.

384. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Vraiment c’est ici le refuge de la peinture ; on sent qu’elle y est adorée par une religion profonde, sans paroles. […] Paroles de Mme Desbordes-Valmore, musique de Mme Pauline Duchambge, cela se voyait à son heure sur tous les pianos. […] Jars, veut offrir au poëte une mélodie qu’il a faite sur ses paroles. […] Nous savons que l’une des deux nobles personnes fut véritablement bonne et ne s’en tint pas toujours aux paroles. Ici les cœurs étaient généreux autant que les paroles gracieuses : l’ironie n’était qu’entre les deux sorts.

385. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Quand il apprécie le savant, le géomètre, on s’incline, on accepte ses jugements sans les discuter, et avec le respect qui est dû à sa parole. […] Condorcet demande la parole pour observer qu’une ouvrière de ce faubourg, qu’il avait vue le mercredi matin, lui avait dit que M.  […] Malesherbes s’en indignait, et, dans sa colère d’honnête homme, il a proféré sur Condorcet des paroles d’exécration qu’on a retenues. Noble vieillard, ces paroles n’étaient pas dignes d’une bouche telle que la vôtre ; mais le vrai coupable est celui qui a pu vous les arracher ! […] Il trouve d’énergiques paroles pour flétrir Marat ; il fait appel à la concorde et à l’union au sein de la Convention naissante.

386. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

C’est une de ces natures qui sont en tout des échos, des reflets fidèles et variés de leur temps et de leurs entours : excellents témoins de la langue courante, toutes les fois que leur parole se fixe par écrit. […] C’est un charmant causeur, trouvant de jolies paroles qui précèdent quelquefois la pensée, mais qui atteignent souvent la nuance fugitive. […] Quand la balle me vient bien naturellement, et que je me sens instruit à fond de la chose dont il s’agit, alors je me laisse forcer et je parle à demi-bas ; modeste dans le ton de la voix aussi bien que dans les paroles. […] Choisy dut s’en excuser auprès du roi, qui lui dit pour toute parole : Cela suffit, et qui lui tourna brusquement le dos : « Je crus qu’il fallait laisser passer l’orage, ajoute le pauvre mortifié, et je m’en allai à Paris m’enfermer dans mon séminaire, où une demi-heure d’oraison devant le Saint-Sacrement me fit bientôt oublier tout ce qui venait de m’arriver. » Il ne fallait pas moins que cette oraison devant le Saint-Sacrement pour soulager l’abbé courtisan de la douleur d’avoir pu déplaire un instant à son maître, — à son autre maître. […] Roze sur le temps du cardinal Mazarin ; j’entretiens M. de Brienne… Je laisse jaser la bonne femme du Plessis-Bellière, qui ne radote point… Je tire quelquefois une parole du bonhomme Bontemps ; j’en tire douze de Joyeuse, et vingt de Chamarante, qui est ravi qu’on lui aille tenir compagnie : il n’y a rien qui délie si bien la langue que la goutte aux pieds et aux mains.

387. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Je ne sais pas agir, je passe mon temps à contempler. » Approchons donc avec respect du grand contemplateur, et recueillons quelques-unes de ses belles paroles comme des germes que nous sèmerons ensuite chacun dans notre propre terrain, et qui y lèveront assez diversement, mais toujours avec fruit et vers le ciel. […] « Les minutes des empires, dit-il magnifiquement, sont des années de l’homme… Quand je songe que la postérité dira peut-être : Cet ouragan ne dura que trente ans, je ne puis m’empêcher de frémir. » Au reste, pour caractériser Bonaparte et l’espèce de mission providentielle temporaire qu’il lui reconnaît, M. de Maistre ne trouve jamais que de hautes et belles paroles. […] Il ne la connut en effet qu’en 1814, et cette idée de séparation et de privation paternelle revient souvent sous sa plume, paroles et expressions les plus vives et qui vont au cœur : « L’idée de partir de ce monde sans te connaître, lui écrit-il, est une des plus épouvantables qui puissent se présenter à mon imagination. » Il avait une autre fille aînée qui était également loin de lui, et qui était alors à marier, avec toutes sortes de qualités, mais sans fortune ; c’est en pensant à elle qu’il s’écriait d’une manière charmante : « Ah ! […] Est-ce l’homme systématique et impitoyable qu’on a voulu faire, qui écrit ces paroles attendries : « L’homme n’a que des rêves, il n’est lui-même qu’un rêve. […] C’est toujours le même homme d’esprit, le même gentilhomme chrétien que nous connaissons, avec son timbre vibrant, sa parole aiguë qui part, qui éclate, qui du premier jet va plus loin qu’il ne semblerait nécessaire à la froide raison, mais qu’on serait fâché de trouver plus retenue et plus circonspecte ; car elle porte avec elle bien des vérités, et s’il semble qu’il y ait souvent colère en elle, lors même qu’il s’agit des amis, écoutez et sachez bien distinguer : c’est la colère de l’amour.

388. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Sa facilité de parole et d’improvisation ne l’empêchait pas de creuser solitairement sa pensée. […] C’était un virtuose de la parole. […] Cette parole aux mains d’un seul semble bientôt une usurpation, et Rivarol, tranchant, abondant dans son sens, imposant silence aux autres, n’a rien fait pour échapper au reproche de fatuité qui se mêle inévitablement jusque dans l’éloge de ses qualités les plus belles. […] Il considère la parole comme « la physique expérimentale de l’esprit », et il en prend occasion d’analyser l’esprit, l’entendement, et tout l’être humain dans ses éléments constitutifs et dans ses idées principales ; il le compare avec les animaux et marque les différences essentielles de nature : puis il se livre, en finissant, à des considérations éloquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur la supériorité sociale des croyances religieuses comparativement à la philosophie. […] [NdA] On trouve quelques détails sur la mort de Rivarol et sur ses dernières paroles au tome II, p. 357, des Mémoires sur la Révolution et l’émigration, par M. 

389. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

La Harpe cependant faisait bonne contenance, bien qu’il ait dit depuis qu’à un moment il fut tenté de prendre la parole et d’apostropher le public. […] Je l’ouvre au hasard, et je tombe, en l’ouvrant, sur ces paroles : « Me voici, mon fils ! […] Je tombai la face contre terre, baigné de larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles entrecoupées. […] Il prend la parole, et du ton le plus sérieux : « Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime Révolution que vous désirez tant. […] La duchesse de Grammont, présente au dîner, prend la parole : « Pour çà (dit-elle), nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n’être pour rien dans les révolutions.

390. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Marmont s’est trouvé en face d’événements plus forts que les hommes ; tout s’arrangera ; il nous reviendra avant peu. » Dans tout ce que je dis ici sur Napoléon, je sens combien la lutte est inégale entre lui et Marmont, et je ne prétends nullement l’établir : mais j’aime à recueillir les bonnes paroles, celles qui tendaient à réparer. […] Il n’y a que quand il a dit : Moi sans la France, que je me suis détaché de lui. » Je rappellerai plus tard des paroles de lui sur Napoléon plus émues et plus semblables aux impressions de sa jeunesse. […] Les paroles qu’il dit en sa faveur au roi étant restées sans réponse, il s’agissait, en désespoir de cause, d’introduire Mme de Lavalette au château, nonobstant les consignes les plus sévères, et de la faire se trouver sur le passage du roi et de la duchesse d’Angoulême. […] Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable. […] Ce prince bienveillant et faible, et qui appréciait avec cœur des services dont il n’avait pas su profiter, lui fit cadeau de l’épée qu’il portait, en lui disant : « Monsieur le maréchal, je vous remets, en témoignage de haute estime, l’épée que je portais quand je voyais les troupes françaises. » Parole qui fait sourire, mais qui est touchante d’intention dans sa modestie même et sa faiblesse.

391. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

« C’est un homme, disait en terminant l’abbé de Choisy, d’une vivacité surprenante, d’une éloquence qui ne laisse pas la liberté de douter de ses paroles, bien que, à la quantité qu’il en dit, il ne soit pas possible qu’elles soient toutes vraies. […] Lorsque je voulus représenter à M. le prince de Conti que je m’étais engagé à Molière sur ses ordres, il me répondit qu’il s’était depuis lui-même engagé à la troupe de Cormier, et qu’il était plus juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. […] Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je résolus de les faire monter sur le théâtre à Pézenas, et de leur donner mille écus de mon argent, plutôt que de leur manquer de parole. […] Cette première surprise fut suivie presque aussitôt d’une si grande abondance de larmes, que je fus persuadé qu’elle aimait sincèrement ce prince ; mais, peu après, elle m’épargna toutes les paroles que je cherchais pour la consoler, et entra en conversation sur des choses indifférentes avec autant de tranquillité que s’il ne se fût rien passé dans son âme. […] À ces paroles ses pleurs recommencèrent avec tant d’abondance, que je crus qu’elle n’était pas contente d’une si petite somme.

392. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

On dit, il est vrai : Mundum tradidit disputationibus eorum , et il semble par là que la liberté de penser en matière de science n’est qu’une permission, une concession que l’on couvre ainsi d’une parole de l’autorité ; mais celui qui use de cette liberté sent très-bien que ce n’est pas là une faveur, que c’est un droit qui résulte immédiatement de la nature d’un être pensant. […] Le juge chargé de décider une affaire ne s’en rapporte pas à une illumination d’en haut, à un sentiment confus, à la parole des autres. […] Enfin, pour tout dire, accepter une vérité transmise sans la choisir, même après réflexion et contrôle, c’est ressembler aux pies et aux perroquets qui prononcent certaines paroles sans y attacher aucun sens. Il est, dit-on, une limite où la pensée doit nécessairement s’arrêter : c’est lorsqu’elle rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation. […] Le surnaturel est le domaine sacré où la parole humaine doit se taire et la pensée s’humilier.

393. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Les orateurs ont appliqué d’abord aux grands objets du gouvernement le talent de la parole ; et comme dans ces occasions il fallait en même temps convaincre et remuer le peuple, ils appelèrent l’éloquence l’art de persuader, c’est-à-dire de prouver et d’émouvoir tout ensemble. […] C’est affaiblir une grande idée que de chercher à la relever par la pompe des paroles. […] « L’éloquence, dit très bien M. de Voltaire, a tant de pouvoir sur les hommes, qu’on admira Balzac de son temps, pour avoir trouvé cette petite partie de l’art ignorée et nécessaire, qui consiste dans le choix harmonieux des paroles, et même pour l’avoir souvent employée hors de sa place. » Le style de Thucydide, auquel il ne manque que l’harmonie, ressemble, selon Cicéron, au bouclier de Minerve par Phidias, qu’on aurait mis en pièces. […] On peut juger sur ces principes, combien il y a loin de la véritable éloquence à cette loquacité si ordinaire au barreau, qui consiste à dire si peu avec tant de paroles. […] Les musiciens m’entendront, et il faudrait trop de paroles pour me faire entendre aux autres.

394. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

D’ailleurs, au point de vue littéraire, l’éditeur de 1825, dans les portions où les manuscrits nous permettent de le contrôler, a perpétuellement agi comme s’il avait eu droit d’arranger et de traduire à sa guise les paroles du marquis d’Argenson, telles qu’il les trouvait toutes vives et ayant sauté du cœur sur le papier. […] Et comme le marquis d’Argenson dit en terminant : « Mon imagination aime les images, et le bonheur coule de là chez moi par les sens », au lieu de cette parole expressive, l’éditeur de 1825 lui fait dire : « Mon imagination aime les images ; il me semble qu’à la lecture de nos vieux romanciers le bonheur me pénètre par tous les pores » ; transportant ainsi à la lecture des romans ce qui est dit, au sens physique, de la seule vue des images et des estampes.

395. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

De même, quand l’écho me fait entendre les airs que tu joues sur ta flûte, j’en répète les paroles au fond de ce vallon… …………………………………………………………………………………………… Je prie Dieu tous les jours pour ma mère, pour la tienne, pour toi, pour nos pauvres serviteurs ; mais quand je prononce ton nom, il me semble que ma dévotion augmente. […] Son églogue n’est si touchante que parce qu’elle représente deux familles chrétiennes exilées, vivant sous les yeux du Seigneur, entre sa parole dans la Bible, et ses ouvrages dans le désert.

396. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il a cette beauté rare de ressembler à la parole, d’être continuellement ce qu’est la parole quand elle rencontre juste, et l’on sait ce qu’alors, unissant au spontané l’exactitude, la parole a de puissance, de grâce et de charme. […] C’est quelque chose entre l’homme et la parole de Dieu. […] La tradition c’est, entre la parole de Dieu et nous, la pensée humaine, pour interpréter, sans doute, la parole divine, mais aussi pour obscurcir. […] Il n’y a de parole que la parole de Dieu. […] Le style est une chose et la parole en est une autre.

397. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

De cette parole, je fus tout réjoui, et répondis : Grand merci. […] Elle rendit, si l’on peut parler ainsi, de grandes idées avant que la parole sût les exprimer. […] Cependant les dernières paroles écrites par Pison, et apportées dans le sénat, démentent cette conjecture. […] Mais la décadence du goût, le faste des paroles altèrent souvent son génie. […] Il est homme célèbre, notre Roscius anglais, et celui qui sait le plus admirablement adapter l’action aux paroles et les paroles à l’action53, etc.

398. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Elle avait coutume de dire qu’une période retranchée d’un ouvrage valait un louis d’or, et un mot vingt sous : cette parole a toute valeur dans sa bouche, si l’on songe aux romans en dix volumes dont il fallait avant tout sortir. […] Huyghens et sa question, croyez-le bien, pour lui faire prendre ainsi la parole sur le trochée et sur l’ïambe103. […] Mais la confidence de Mme Scarron se resserrant par degrés, il en résulta de ces paroles rapportées et de ces conjectures qui déplaisent entre amis : « L’idée d’entrer en religion ne m’est jamais venue dans l’esprit, écrivait Mme de Maintenon à l’abbé Testu ; rassurez donc Mme de La Fayette. » Donnant à son frère des leçons d’économie, Mme de Maintenon écrivait en 1678 : « J’aurois cinquante mille livres de rente que je n’aurois pas le train de grande dame, ni un lit galonné d’or comme Mme de La Fayette, ni un valet de chambre comme Mme de Coulanges. […] Voici quelques-unes des paroles sévères qu’adressait ce prêtre selon l’esprit, à la pénitente qui les lui avait demandées : « J’ai cru, madame, que vous deviez employer utilement les premiers moments de la journée, où vous ne cessez de dormir que pour commencer à rêver. […] Tallemant des Réaux, ce rapporteur ordinaire des mauvaises paroles, en attribue une à Mlle de La Vergne sur son maître Ménage : « Cet importun Ménage va venir tantôt. » Il la rapporte au reste à bonne fin, et pour montrer que le pédant galant n’était pas du dernier bien avec ses belles élèves.

399. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« Enfin, si je manque à la parole que j’avais donnée à mes amis, ils doivent me le pardonner : c’est l’effet de cette variation attachée à l’esprit humain, dont personne n’est exempt, excepté ces hommes parfaits qui ne perdent pas de vue le souverain bien. […] « La joie me coupe la parole, lui écrit Pétrarque ; peu importe que vous soyez né en Allemagne, pourvu que vous soyez né pour l’Italie. » Invité par l’empereur à venir conférer avec lui, Pétrarque accourut à Mantoue. […] Je ne résiste pas à citer textuellement les paroles de la lettre de Pétrarque à Boccace sur la Divine Comédie du Dante. […] « Âme heureuse, s’écrie-t-il, qui abaisses si amoureusement ces yeux plus resplendissants que la lumière, et qui me laisses entendre des soupirs et des paroles si vivants qu’il me semble que ces paroles me résonnent encore dans l’âme ! […] ces paroles me résonnent toujours dans le cœur, et il me semble connaître quelqu’un qui peut-être un jour mourra de même en les répétant. » (Ugo Foscolo parlait là de lui-même, et son triste sort a vérifié son pressentiment : il est mort encore jeune à Londres, dans l’exil, dans le travail mercenaire et dans le dénuement.

400. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Et nous voyons encore le Maître, avec la Volonté ordonnatrice déjà indiquée, trouver cette mélodie sans sortir de la musique, comme de l’Idée du monde ; car, en vérité, ce n’est point le sens des paroles qui nous émeut lorsqu’apparaissent les voix humaines, mais seulement le caractère même de ces voix humaines. […] Il est entièrement visible que, précisément, les paroles de Schiller ont été mises sous la mélodie principale, la première fois, avec peu d’enthousiasme, et par force ; car en elle-même, et supportée par les seuls instruments, cette mélodie s’est déjà développée une première fois devant nous avec sa pleine largeur, et nous a remplis, dès lors, de l’émotion innommée, étrangement joyeuse, à la vue de ce paradis regagné. […] À Bayreuth, nous voyons « l’ideé même de l’Art, en sa réalisation idéale. » X : Le style de Bayreuth. — Nous entendons par style « la conformité absolue entre le contenu et la forme, et, de plus, la concordance, également absolue, des divers éléments expressifs, par lesquels le contenu manifeste sa forme ». — La Musique : la forme (dans le drame musical) est le Motif, simple, incomparablement suggestif, plastique ; le Motif agit comme la force vitale, intime, d’une forme idéale déterminée ; « ici, le contenu et la forme sont identiques ». — Le Drame : la forme est la Parole chantée ; cette parole chantée est le trait d’union : « par elle, l’essence idéale de la Musique, qui avait pris forme dans le motif, devient un fait dramatique, tandis que le Drame pénètre, comme élément actif, dans le domaine de l’Idéal ». Le Mot est, pour l’exposition dramatique, ce qu’est le Motif pour la musique. — L’Acteur : il trouve, dans la musique, la révélation de l’essence des caractères et des situations, et, en même temps, un commentaire perpétuel pour son jeu ; où le Motif s’intercale dans un discours, de façon à compléter la phrase, le chanteur doit s’identifier par le Geste avec la Parole musicale. « C’est dans de tels moments, que le Drame et la Musique révèlent, de la manière la plus saisissante, leur intime connexité ». […] Des fragments de la Valkyrie et des Maîtres Chanteurs avec paroles françaises de M. 

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