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333. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

À côté d’œuvres éminentes, bien des essais informes, bien des nouveautés éphémères naquirent pour disparaître le lendemain. […] L’homme est pour être heureux ! […] Malheur aux enfants qui naissent de telles unions ! […] Créé pour la société, appelé à y vivre par toutes ses facultés et par tous ses besoins, l’homme naît plongé dans le milieu social, comme il naît plongé dans l’atmosphère respirable. […] Le jour où nous sommes nés, vous riche et moi pauvre, nous étions ennemis.

334. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Toutes les pièces de théâtre ne sont qu’un enchaînement d’incidents subordonnés les uns aux autres, et tendant tous à faire naître l’incident principal qui termine l’action. […] Ce qu’on peut ajouter par rapport aux incidents, aux épisodes, c’est qu’ils doivent naître du fonds du sujet, et ne point paraître forcés, ni amenés de trop loin. […] Ils ne peuvent jamais réussir, à moins que leur incertitude ne naisse d’une passion violente, et qu’on ne voie, dans cette indécision même, l’effet du sentiment dominant qui les emporte. […] C’est de ces combats que naît la chaleur de l’action théâtrale et le pathétique des mouvements. […] Atys est vraiment opéra, parce que tous les incidents naissent de l’amour ; Armide de même ; Phaéton un peu moins, car l’ambition du soleil est peu agréable.

335. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 127-131

DESCARTES, [René] à la Haye, petite ville de Touraine, en 1596, mort à Stockholm en 1650, le pere de la Philosophie en Europe, & fait pour l’être dans tous les pays où l’on voudra bien raisonner. […] Les passions & leur premiere origine, ce qui peut les faire naître & les modifier, ce qui les allume & les réprime, rien ne résiste à la sagacité de cet Investigateur habile.

336. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428

avec des talens propres à le faire exister par lui-même, après avoir donné deux bons Ouvrages de son propre fonds, il s’est attaché à des Compilations, & par malheur il ne paroît pas avoir su bien choisir ses matériaux. […] GOUDELIN, [Pierre] à Toulouse, mort dans la même ville en 1649, âgé de 67 ans, célebre Poëte Gascon, dont les Ouvrages subsisteront tant qu’on parlera la Langue dans laquelle ils sont écrits, & qui serviront à la faire subsister elle-même.

337. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Robé de Beauveset, [N.ABCD] à Vendôme dans la Beauce. […] Ce n'est pas qu'il ne soit avec du talent : il est peu d'exemples d'une versification aussi énergique & aussi vigoureuse que la sienne ; mais sa verve ayant presque toujours choisi le vice pour sujet, son esprit doit en tirer peu de vanité : au contraire, son nom est devenu un opprobre aux yeux de quiconque conserve encore de la pudeur.

338. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

L’homme a vu naître le tigre et le lion, spectacle peu agréable ; en compensation, il vit naître par la suite le bœuf et le cheval. […] Nous serions loin de la fatalité instinctive, puisque l’habitude ne peut naître que du hasard ou du choix. […] Mais c’est le loisir qui donne le goût, ou du moins qui le conserve, si l’éducation, par hasard, l’a fait naître. […] Transporté dans les Pyrénées, il est un guide aussi sûr que dans les Alpes, où il est . […] Un délire naquit, dont c’est à peine, si on prévoit, non pas la fin, mais l’apaisement relatif.

339. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Il est avec le mépris du peuple et le sentiment qu’il n’en est pas, qu’il n’en a jamais été, même avant de naître. […] Ce sont les deux traits essentiels de l’enfant de caste, bien pour en faire partie. […] Vous faites naître l’État tous les dix ans. […] L’homme est nul. […] Rousseau croit que l’homme naît bon, et que la société le déprave ; de Bonald croit, non pas que l’homme naît mauvais, mais qu’il naît nul, et que la société le fait.

340. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Dante et Pétrarque sont les seuls poètes nés au moyen âge qui aient survécu à l’apparition de la littérature classique. […] La volonté est aussi impuissante à l’éveiller qu’elle est impuissante à faire naître le génie. […] Mille sciences nouvelles sont nées depuis lors et naîtront encore ; le cœur s’est enrichi de mille fibres plus délicates, l’intelligence a franchi mille horizons nouveaux dans le monde des idées : eh bien ! […] La poésie est née au sein des classes conservatrices de la parole sociale. […] C’est d’ailleurs chez les Grecs qu’est née la critique comme y est née la démocratie.

341. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Note qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour. »

— Je n’ai voulu traiter dans cet ouvrage que des passions ; les affections communes dont il ne peut naître aucun malheur profond, n’entraient point dans mon sujet, et l’amour, quand il est une passion, porte toujours à la mélancolie : il y a quelque chose de vague dans ses impressions, qui ne s’accorde point avec la gaîté ; il y a une conviction intime au-dedans de soi, que tout ce qui succède à l’amour est du néant, que rien ne peut remplacer ce qu’on éprouve, et cette conviction fait penser à la mort dans les plus heureux moments de l’amour. […] Racine, ce peintre de l’amour, dans ses tragédies, sublimes à tant d’autres égards, mêle souvent aux mouvements de la passion des expressions recherchées qu’on ne peut reprocher qu’à son siècle : ce défaut ne se trouve point dans la tragédie de Phèdre ; mais les beautés empruntées des anciens, les beautés de verve poétique, en excitant le plus vif enthousiasme, ne produisent pas cet attendrissement profond qui naît de la ressemblance la plus parfaite avec les sentiments qu’on peut éprouver.

342. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Je suis à Boulogne-sur-Mer le 23 décembre 1804. […] Tissot, je n’y pus faire que deux leçons, ayant été empêché par une sorte d’émeute, née des passions et préventions politiques. […] « — Charles-Augustin Sainte-Beuve est le 2 nivôse an XIII (23 décembre 1804) à Boulogne-sur-Mer. […] Pour moi, après la mort de mon père, j’ai trouvé ma mère s’appelant Mme Sainte-Beuve tout court. […] C’était le dernier de la famille.

343. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — Mais il y en a plus d’une ; car, s’il n’y en avait qu’une, à mesure qu’on avancerait vers le violet, elle faiblirait avec le raccourcissement et l’accélération croissante des ondes, et le spectre tout entier ne présenterait que les degrés d’intensité du rouge, tandis que, de fait, au minimum apparent du rouge nous voyons naître une seconde sensation distincte celle du jaune. […] Car, outre les nerfs non gustatifs, des nerfs gustatifs différents interviennent pour la faire naître. […] Simplifions le fait ; ajournons tout ce qui dans cette sensation appartient au tact, âcreté, astringence, irritation, chaleur, fraîcheur, sensation musculaire spontanée et irradiée vers le canal alimentaire ; considérons seulement les sensations des nerfs gustatifs eux-mêmes, et mettons-les sur la même ligne, soit qu’elles naissent à l’avant, soit qu’elles naissent à l’arrière de la bouche ; leurs principaux types sont les sensations de l’amer et du sucré avec leurs variétés innombrables ; quand nous les avons nommées, nous sommes au bout de notre science, comme tout à l’heure quand nous avons nommé les sensations d’odeur fétide ou parfumée. — Voyons cependant ce que nous pouvons apprendre sur les unes et sur les autres en nous aidant des réductions précédentes, et en étudiant les circonstances où elles naissent. […] Celles que font naître les nerfs olfactifs et gustatifs correspondent à des mouvements moléculaires dont la forme est déterminée. […] « Partant, dit encore Weber, la sensation de pression et le discernement de ses degrés si nombreux et si différents ne sont possibles que lorsque la pression agit sur les organes du tact, et à travers eux, sur les extrémités des nerfs tactiles ; cette sensation ne naît point quand les nerfs tactiles sont directement comprimés. » — Par conséquent la sensation de pression a pour condition spéciale, non pas la pression du nerf, mais une certaine modification de certains organes ou alentours du nerf.

344. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

au Havre en 1737, son imagination d’enfant s’égara de bonne heure sur les flots. […] Instinct déclaré encore d’une âme que les seules beautés naturelles raviront, que l’art des hommes touchera peu ou même choquera, et qui, dans Paul et Virginie (seule tache peut-être en ce chef-d’œuvre), ira jusqu’à déclamer en quatre endroits très-rapprochés contre les monuments des rois opposés à ceux de la nature ! […] Mais, scientifiquement parlant, son point de vue n’était qu’un aperçu heureux, instantané, un ensemble mêlé de lueurs vraies et de jours faux, et d’où il ne pouvait sortir autre chose que la peinture même qu’il en offrait, et l’impression enthousiaste, affectueuse, qu’elle ferait naître. […] Quiconque est sensible de cœur, quiconque est voyageur par instinct ou poëte, lit un jour Bernardin et est initié par lui. […] Tous les enfants qui naissaient en ces années se baptisaient Paul et Virginie, comme précédemment on avait fait à l’envi pour les noms de Sophie et d’Émile.

345. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

L’enfant en sort ainsi deux fois , après le temps qui aurait été celui de la grossesse naturelle. […] Cette goutte de liqueur sauvage, c’est l’humble source d’où il a jailli comme un fleuve : Bacchus est du Soma aryen. […] Bacchus y naît, sous le nom de Zagreus, d’un hymen de Zeus, déguisé en serpent, avec Perséphone. […] Ils disaient qu’il avait une mère dont il était interdit de prononcer le nom : un hymne orphique le déclarait «  de lits ineffables ». […] Il est le dieu Panthée, solaire, terrestre, infernal, d’où tout naît et en qui tout rentre, père de l’Océan, chorège des étoiles.

346. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Elle ne fit que précéder le déclin où semble tombé à son tour le roman de psychologie pure, lui-même d’une réaction contre l’école antérieure. […] Sa mentalité n’est qu’un prolongement de la pitié dont nous avons vu naître les premières manifestations sous l’influence des grands écrivains russes : et cela seul donne à ses œuvres un caractère nettement social. […] En comprenant l’âme de ces pays étrangers, ils comprennent mieux aussi leur patrie et que tout être vivant naît d’une race, d’un sol, d’une atmosphère… « Si donc l’on veut réaliser la vie dans sa plénitude, il faut commencer par reconnaître les liens qui nous relient à la terre où nous sommes nés, à la race dont nous sommes issus. […] Henri de Régnier, sans préoccupation de thèse, a principalement cultivé l’art de conter selon l’instinct français de l’élégance, en y mêlant ce quelque chose d’alerte, de spirituel, de gracieux et même d’impertinent qui est au xviiie  siècle. […] Elle semble née de cet esprit de révolte contre la situation que l’égoïsme masculin a faite à la femme, ou de cette fièvre d’indépendance et d’égalité qui les travaille toutes.

347. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Aimons-en donc le vol double et les délicates diaprures, d’autant mieux que ces gracieuses strophes, nées de circonstances sympathiques, ont des qualités intrinsèques de simplicité et d’harmonie. […] sur le sol albigeois, au pied de « l’Aric poudreux où montent les bergers » où fréquentent les perdreaux rauques dans le vent fiévreux, il a réalisé une poésie vivante et vibrante, douloureuse et forte. […] Les origines du monde sont ainsi expliquées en cinquante pages… Une impression vraiment profonde naît parfois de l’animation des tableaux évoqués ; mais l’émotion n’y a aucune part. […] Chez lui comme chez tous les poètes nés autour du Rhône, il faut noter aussi l’influence des grands lyriques provençaux, Mistral et Aubanel, ces chantres des déesses protectrices de la terre et instigatrices du désir. […] Toi qui naquis du temps, père tu fus le nombre !

348. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

La pousser plus loin, dire ce qui durera de tout ce que les deux premiers tiers du dix-neuvième siècle ont vu naître d’ouvrages d’esprit, je ne m’en sens pas l’autorité. […] Les livres nés de cette ambition sont de ceux où vont volontiers rêver, sur l’origine des sociétés humaines et sur les formes des gouvernements, les esprits touchés d’idéologie. […] sur les rives de la Méditerranée, l’auteur a vu et entendu à son tour ce que, jusqu’à la fin des temps, l’imagination des poètes verra dans les flots aux mille aspects de la mer, entendra dans les mille murmures de sa voix. […] La pratique du gouvernement de discussion en a fait naître le goût dans notre pays. […] Je compte sur mes doigts celles qui se jouent aujourd’hui ; encore y faut-il un acteur, tout exprès, un retour du goût passager qui les a fait réussir, une pénurie momentanée de pièces nouvelles.

349. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Sans la langue de Voltaire, le journalisme n’aurait pas pu naître, le monde aurait continué à être sourd ; il fit l’écho qui répercute partout les idées. […] Il était de lui-même, fils de ses œuvres, comme on a dit plus tard ; écrivain de sentiment, il tirait tout de son propre cœur. […] Rousseau l’éloquence de nos tribunes ; il était le maître de diction des orateurs qui allaient naître et parler après sa mort. […] Sous ce premier rapport, c’est-à-dire comme corps destiné à faire naître et à élever le niveau du génie dans la nation, c’est à nos yeux une institution puérile ; nous dirons plus, c’est une institution complétement contraire à son but. Ce ne sont pas les corps qui font naître le génie, c’est la nature ; ce ne sont pas même les corps qui reconnaissent, qui constatent, qui honorent le génie, c’est la postérité.

350. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Elle naît avec lui, sans cesse lui demande Un tribut dont en vain son orgueil se défend. […] Née vers 1638, environ sept ans après Mme de La Fayette185, mariée encore enfant à M. […] Tremblez, tremblez, jeunes Cœurs : L’aimable Printemps fait naître Autant d’amours que de fleurs. […] Ravenel (Annuaire historique, pour l’année 1840, publié par la Société de l’histoire de France) ; jusqu’alors on l’avait crue née plus tôt, vers 1634. Il résulte des registres de l’état civil qu’elle a été baptisée le 2 janvier 1638, à Saint-Germain-l’Auxerrois ; elle était probablement née la veille, ou au plus tôt, le dernier jour de l’année 1637.

351. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Les poëtes primitifs, fondateurs, originaux sans mélange, nés d’eux-mêmes et fils de leurs œuvres, Homère, Pindare, Eschyle, Dante et Shakspeare, sont quelquefois sacrifiés, préférés le plus souvent, toujours opposés aux génies studieux, polis, dociles, essentiellement éducables et perfectibles, des époques moyennes. […] Les uns véritablement prédestinés et divins, naissent avec leur lot, ne s’occupent guère à le grossir grain à grain en cette vie, mais le dispensent avec profusion et comme à pleines mains en leurs œuvres ; car leur trésor est inépuisable au dedans. […] Les autres ont besoin de naître en des circonstances propices, d’être cultivés par l’éducation et de mûrir au soleil ; ils se développent lentement, sciemment, se fécondent par l’étude et s’accouchent eux-mêmes avec art. […] Racine, en 1639, à la Ferté-Milon, fut orphelin dès l’âge le plus tendre. […] Sans doute ses deux dernières pièces, Iphigénie et Phèdre, avaient excité contre l’auteur un redoublement d’orage : tous les auteurs siffles, les jansénistes pamphlétaires, les grands seigneurs surannés et les débris des précieuses, Boyer, Leclerc, Coras, Perrin, Pradon, j’allais dire Fontenelle, Barbier-d’Aucourt, surtout dans le cas présent le duc de Nevers, madame Des Houlières et l’Hôtel de Bouillon, s’étaient ameutés sans pudeur, et les indignes manœuvres de cette cabale avaient pu inquiéter le poëte : mais enfin ses pièces avaient triomphé ; le public s’y portait et y applaudissait avec larmes ; Boileau, qui ne flattait jamais, même en amitié, décernait au vainqueur une magnifique épître, et bénissait et proclamait fortuné le siècle qui voyait naître, ces pompeuses merveilles.

352. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Pierre, l’aîné de ses fils, épousa Lucretia Tornabuoni, de laquelle il eut deux enfants : Laurent, le 1er janvier 1448, et Julien, en 1453. […] Ordinairement, c’est l’amour qui fait les poëtes ; mais, chez Laurent il paraît que ce fut la poésie qui fit naître l’amour. […] Je composai aussi quelques sonnets sur ce sujet ; et pour les rendre plus touchants, je m’efforçai de me persuader que j’avais perdu moi-même l’objet de mon amour, et de faire naître dans mon âme tous les sentiments qui pouvaient me rendre capable d’émouvoir la compassion des autres. […] Au lieu de se plaire, comme auparavant, au milieu des fêtes magnifiques, du tumulte de la ville et des embarras des affaires publiques, il sentit naître en lui un attrait inconnu pour le silence et la solitude ; et il se plaisait à associer l’idée de sa maîtresse aux impressions que produisait sur son âme le spectacle varié de la nature champêtre17. […] Politien, génie vraiment antique et digne d’Horace ne s’enivra pas de cette faveur ; il était d’une bonne famille à Montepulciano, petite ville de la Toscane, comme Flaccus, en Calabre ; c’est de là qu’il prit son nom. « Je ne me sens pas plus enorgueilli des flatteries de mes amis, ou humilié des satires de mes ennemis, disait-il, que je ne le suis par l’ombre de mon corps ; car, quoique mon ombre soit plus grande le matin ou le soir qu’elle ne l’est au milieu du jour, je ne me persuaderai point que je sois plus grand moi-même dans l’un ou l’autre de ces moments que je ne le suis à midi. » XI Le pape étant mort en ce temps-là, Laurent de Médicis fit un voyage à Rome, pour recommander Julien, son jeune frère, à Sa Sainteté, dans le but de le faire élire au cardinalat.

353. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Ils nous parlent d’une « religion » encore à naître, d’une « nature » encore incomprise, d’une « vie » plus large. […] C’est l’humanité qui entre en scène, avec le sentiment de naître à peine à ses destinées, avec la conjecture que les centaines de mille ans qui la séparent de ses origines ne sont encore que de l’enfance dans l’évolution générale du monde. […] Il n’y a rien au fond de plus « humain » que ce sentiment « divin », puisqu’il s’épanouit en nous dans les moments de plénitude et d’expansion, à cette heure, où la bonté, la passion sexuelle, la défense de la vérité nous transfigurent, où nous nous précipitons en dehors de toute limite, où nous sentons naître une légion de forces et de désirs qui dormaient en nous. […] Celui qui considère à priori tous les hommes nés en dehors des frontières de son pays, comme des ennemis ou des « étrangers », qui ne les voit pas d’un œil simplement humain, se renie lui-même et redescend aux degrés de l’animalité. […] Sur ses ruines, une autre naîtra, dont les adeptes diront : Nous reconnaissons nous aussi une patrie d’origine ; nous ne méconnaissons pas le lien sacré qui unit l’homme au sol, non plus que celui qu’a lentement constitué la communauté des douleurs et des joies.

354. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Premièrement, il ne faut point faire fi de ces choses agréables qui ont été universellement goûtées en leur temps et dans le siècle où elles sont nées, dussent-elles avoir perdu de leur sel pour nous aujourd’hui : c’est un léger effort et un bon travail pour un esprit cultivé que de se remettre au point de vue convenable pour en bien juger. […] Mais en même temps qu’on se rendra mieux compte de la circonstance et du tour d’esprit naturel qui l’ont fait naître, il s’y joindra un regret : c’est qu’il soit arrivé à cette jolie pièce d’esprit un malheur qui arrive à toute chose nouvelle qui réussit, elle est devenue le point de départ d’une mode et d’un genre. […] Si Bernier, dans cette lettre, ne se réconcilie pas nettement avec Descartes qu’il continue de considérer comme un philosophe trop affirmatif en ses solutions, il y rétracte du moins aussi formellement que possible les doctrines de Lucrèce et d’Épicure et toutes les assertions purement matérialistes nées de la théorie des atomes ; il y insiste particulièrement sur l’impossibilité d’expliquer par la matière seule et par le mouvement de corpuscules, si petits qu’on les fasse, des opérations d’un ordre aussi élevé que celles qui constituent l’intelligence, le raisonnement, la perception de certaines idées, la conscience qu’on a d’avoir ces idées, la volonté, le choix dans les déterminations, etc. ; en un mot, il y combat au long et avec détail l’épicuréisme, auquel il sait bien que Chapelle incline et est d’humeur, soit en théorie, soit en pratique, à s’abandonner : Je me promets, lui dit-il, que vous donnerez bien ceci à ma prière, qui est de repasser un moment sur ces pensées si ingénieuses et si agréablement tournées qu’on a su tirer de vos mémoires (apparemment quelques écrits et cahiers de philosophie et de littérature de Chapelle), sur tant d’autres fragments de même force que je sais qui y ont resté, et généralement sur tous ces enthousiasmes et emportements poétiques de votre Homère, Virgile et Horace, qui semblent tenir quelque chose de divin. […] Joubert ou d’un Doudan, d’un de ces « esprits délicats nés sublimes », nés du moins pour tout concevoir, et à qui la force seule et la patience d’exécution ont manqué, tandis que Chapelle n’est qu’un paresseux trop souvent ivre, un homme de beaucoup d’esprit naturel, mais sans élévation et sans idéal ; et c’est précisément cet idéal trop haut placé qui décourage les autres, les suprêmes délicats.

355. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je vous avouerai d’abord, fort naturellement, que si j’étais à la Cour, ou plus près que je n’en suis, je ne m’y serais point déplu ou ennuyé autant que vous. […] Ainsi, mon cher Mirabeau, je maintiens ce que j’ai dit ; si j’étais à la Cour, je ne vois pas que j’eusse été contraint de m’y déplaire, ou il y aurait eu de ma faute ; mais la Providence m’a placé si loin de cette Cour, qu’il serait ridicule de me demander pourquoi je n’y suis pas. […] Mais, cette gloire que vous aimiez (pourrait-on vous dire), dont le goût était avec vous, l’a-t-on dépouillée de ses charmes ? […] Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur. […] Il n’y a qu’un nom pour les passions que les mêmes objets font naître mais les objets ont tant de faces, et peuvent être envisagés dans des jours si différents, que les sentiments qu’ils inspirent ne se ressemblent en rien… Par notre idée nous ennoblissons nos passions, ou nous les avilissons ; elles s’élèvent ou descendent, selon les cœurs.

356. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

clandestinement, nourri avec mystère dans un quartier désert de Paris, puis emmené et comme perdu dans une campagne de Normandie, ayant reçu les premiers, les seuls éléments indispensables du curé du lieu, il grandit librement, sans assujettissement aucun ni discipline, et arrivé à l’âge de sentir, il trouva à sa disposition, dans un château voisin, une bibliothèque de dix ou vingt mille volumes, composée en grande partie d’histoires, de romans. […] Il naît dans une société marâtre, désavoué par elle, repoussé de tous les côtés, et il débute par un cri de révolte à la Jean-Jacques, de ce Jean-Jacques dont il a reçu le baptême par le nom d’Émile, et qui est mort l’ami et l’hôte de ses grands parents. […]  » Ceux qui sont si empressés à refuser aux hommes engagés dans la vie active et dans l’âpreté des luttes publiques la faculté de sentir et de souffrir n’ont pas lu Émile, où se rencontrent, au milieu d’une certaine exaltation de tête, tant de pensées justes, délicates ou amères nées du cœur : « A l’âge où les facultés sont usées, où une expérience stérile a détruit les plus douces illusions, l’homme, en société avec son égoïsme, peut rechercher l’isolement et s’y complaire ; mais, à vingt ans, les affections qu’il faut comprimer sont une fosse où l’on est enterré vivant. » « Cette proscription qui désole mon existence ne cessera entièrement que lorsque j’aurai des enfants que je vous devrai (il s’adresse à celle qu’il considère déjà comme sa compagne dans la vie) ; je le sens, j’ai besoin de recevoir le nom de père pour oublier que le nom de fils ne me fut jamais donné. » Émile parle de source et, quand il le pourrait, il n’a à s’inspirer d’aucun auteur ancien ; la tradition, je l’ai dit, ne le surcharge pas ; elle commence pour lui à Jean-Jacques, et guère au-delà : c’est assez dans le cas présent. […] Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon. […] L’estime est la plus forte de toutes les sympathies. » La religion n’est pas absente dans Émile ; sans parler de l’abbé de La Tour qui la représente dignement par la plus pure morale, le nom de Dieu y revient souvent et y est invoqué par la bouche d’Émile : « Il est impossible à l’homme qui médite souvent sur lui-même de ne pas remonter à la cause qui l’a fait naître ; toutes les grandes pensées aboutissent à Dieu… « Dieu existe !

357. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] Oui, il est bien constant désormais que Jean de La Bruyère a été baptisé le 17 août 1645 dans l’église de Saint-Christophe en la Cité ; il était probablement la veille. […] On avait cru d’abord, d’après une note qui se lit sur le Catalogue de la Bibliothèque du Roi, que La Bruyère était « dans un village proche de Dourdan. » On l’a dit et répété faute de mieux. […] La Bruyère, proche de Dourdan, n’en était pas moins très-propre à devenir un parfait Parisien ; il suffisait qu’il fût venu à Paris de bonne heure et qu’il y eût été élevé. Racine, pour être à la Ferté-Milon, n’est pas moins Parisien d’esprit pour cela.

358. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

L’étude, qui vient à l’appui, a pu vérifier pour lui cette opinion, mais elle n’a pas contribué seule à la faire naître. […] Malgré la difficulté d’être vraiment naïf, en sachant si bien ce qu’on veut et ce qu’on fait, il a laissé échapper sur presque toutes les pages la candeur, que sa piété n’a pas perdue, la facilité à l’enthousiasme, le bonheur d’admirer, d’adorer, la docilité, l’élancement, la simplicité de cœur, toutes ces belles qualités du disciple et du jeune homme, si rares de nos jours à rencontrer, si perverties le plus souvent et si exploitées là où elles essayent de naître. […] Ces fins de chapitres sont charmantes d’accent et comme harmonieuses, relevées d’une poésie toujours née du cœur. […] La sœur Emmerich, née dans l’évêché de Munster en 1774, morte au couvent d’Agnetenberg, à Dulmen, en 1824, est la dernière des saintes âmes mystiques qui jouirent de tels spectacles. […] Phanor est disciple. » (1836.)

359. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

« Aussi, puisque seule tu gouvernes la nature, que sans toi rien ne s’élève jusqu’aux rivages célestes du jour, que rien d’heureux, rien d’aimable ne peut naître sans toi, j’aspire à t’avoir pour associée dans les vers que je vais écrire, ces vers sur la Nature, auxquels je travaille pour notre cher Memmius, que toi, déesse, tu as voulu toujours orner de tous les dons ! […] « Telle qu’une fleur solitaire est née dans l’enclos d’un jardin, à l’abri des troupeaux, loin du soc de la charrue, caressée par les souffles de l’air, fortifiée par le soleil, nourrie des eaux du ciel, objet d’envie qu’ont souhaité bien des enfants et des jeunes filles ; et puis, s’est-elle fanée sous le doigt léger qui la cueille, nuls enfants, nulles jeunes filles ne l’ont plus souhaitée : telle la vierge, tant qu’elle reste pure, est chérie des siens. […] « Telle une vigne qui naît isolée dans une campagne nue, ne s’élève jamais, ne porte jamais de grappes mûres, mais, inclinant sous son propre poids sa tige délicate, touche de sa racine le faîte de ses branches, et n’attire près d’elle nuls laboureurs et nuls troupeaux. […] « Il naîtra pour vous un Achille au-dessus de la crainte, dont l’ennemi ne verra jamais que le front et la poitrine hardie, et qui souvent, vainqueur aux jeux de la course, passera de bien loin les traces enflammées de la biche légère. […] Mais cette étude profonde de la poésie grecque, ce sentiment du beau qui remonte, non pas au type divin, mais aux copies sublimes de l’art, ce second enthousiasme, de l’admiration et du goût, continuera de suivre la trace marquée par Catulle.

360. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Nous y verrons Rivarol, en 1753, Joubert en 1754, Fontanes en 1757, André Chénier en 1762. […] Mais il s’agit ici de ces deux contemporains de Napoléon, de Chateaubriand et de Mme de Staël, qui sont Saint-Simon, en 1760 et Fourier en 1772 soit, en 1789, l’un moins de trente ans, l’autre moins de vingt ans. […] La date de la mort de Napoléon, 1821, c’est l’année de la majorité du pur Enfant du siècle, avec lui. […] Elle n’y était pas née. […] D’une larme du Christ, un ange-femme est née.

361. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Ernest Renan, qui n’a pas quarante ans encore, est en 1823 en Bretagne, — dans la Basse-Bretagne, ne l’oublions pas, — à Tréguier. […] le dernier de la famille, douze ans après les autres, après une sœur qui l’assista dans sa jeunesse, qui lui fut comme une seconde mère, qui ne voulut jamais le quitter, et qu’il a eu tout récemment le malheur de perdre pendant ce pèlerinage scientifique en Orient où elle l’accompagnait encore, il reçut et il a nourri en lui, sans les dissiper, les affections et les vertus domestiques. […] Dupanloup, homme d’éloquence et de zèle, mais d’un zèle qui n’est pas toujours sûr, il lui sembla tomber dans un monde tout nouveau : au sortir d’une nourriture chrétienne classique, sévère et sobre, il était mis à un régime bien différent ; il avait affaire pour la première fois à ce catholicisme parisien et mondain, d’une espèce assez singulière, que nous avons vu, dans ses diverses variétés, naître, croître chaque jour et embellir ; catholicisme agité et agitant, superficiel et matériel, fiévreux, ardent à profiter de tous les bruits, de toutes les vogues et de toutes les modes du siècle, de tous les trains de plaisir ou de guerre qui passent, qui vous met à tout propos le feu sous le ventre et vous allume des charbons dans la tête : il en est sorti la belle jeunesse qu’on sait et qu’on voit à l’œuvre. […] Et puis, nous dit-il encore : « Si j’étais pour être chef d’école, j’aurais eu un travers singulier : je n’aurais aimé que ceux de mes disciples qui se seraient détachés de moi. » L’enseignement philosophique, en effet, s’il n’est pas la démonstration obligée d’une sorte de catéchisme philosophique dont les articles, posés à l’avance, sont réputés irréfutables, ne saurait être qu’une provocation et une excitation à une recherche incessante, qui, dès lors, amène avec elle ce qu’elle peut et n’exclut rien de ce qu’elle trouve.

362. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Rousseau banni adressait à ses protecteurs des odes composées au jour le jour, sans unité d’inspiration, et que n’animait ni l’esprit du siècle nouveau ni celui du siècle passé, en 1729, à l’hôtel de Conti, naissait d’un des serviteurs du prince un poëte qui devait bientôt consacrer aux idées d’avenir, à la philosophie, à la liberté, à la nature, une lyre incomplète, mais neuve et sonore, et que le temps ne brisera pas. […] dans un rang inférieur, sans fortune et à la charge d’un grand seigneur, Le Brun dut se plier jeune aux nécessités de sa condition. […] En 1763, Le Brun, âgé de trente-quatre ans, adressait à l’Académie de La Rochelle un discours sur Tibulle, où on lit ce passage : « Peut-être qu’au moment où j’écris, tel auteur, vraiment animé du désir de la gloire et dédaignant de se prêter à des succès frivoles, compose dans le silence de son cabinet un de ces ouvrages qui deviennent immortels, parce qu’ils ne sont pas assez ridiculement jolis pour faire le charme des toilettes et des alcôves, et dont tout l’avenir parlera, parce que les grands du jour n’en diront rien à leurs petits soupers. » André Chénier fut cet homme ; il était en 1762, un an précisément avant la prédiction de Le Brun. […] La nature de France, les bords de la Seine, les îles de la Marne, tout ce paysage riant et varié d’alentour se mire en sa poésie comme en un beau fleuve ; on sent qu’il vient de Grèce, qu’il y est , qu’il en est plein : mais ses souvenirs d’un autre ciel se lient harmonieusement avec son émotion présente, et ne font que l’éclairer, pour ainsi dire, d’un plus doux rayon.

363. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

On naît mathématicien, on ne le devient pas, et il semble aussi qu’on naît géomètre, ou qu’on naît analyste. […] Un logicien aurait rejeté avec horreur une semblable conception, ou plutôt il n’aurait pas eu à la rejeter, car dans son esprit elle n’aurait jamais pu naître.

364. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Elle a de l’intérêt par elle-même ; il n’est pas indifférent à la morale, de voir comment cette femme, née dans une prison, d’un père protestant, qui se ruina au jeu et mourut à la Martinique, où elle fut laissée en gage à un créancier par sa mère obligée de venir chercher du pain en France ; renvoyée à sa mère, à quatorze ans, par ce créancier qui trouvait trop onéreux de la nourrir ; devient à quarante-cinq ans l’amie, la confidente d’un roi galant, parvient à le détacher de ses maîtresses, ne voulant prendre la place d’aucune, et à quarante-huit ans devient la femme de ce roi, plus jeune qu’elle de trois ans. […] Elle est née le 27 novembre 1635, dans la prison de la conciergerie de Mort, où son père était renfermé. […] En se prêtant aux exhortations des personnes qui la pressaient de se convertir, elle disait : « J’admettrai tout, pourvu qu’on ne m’oblige pas de croire que ma tante de Villette sera damnée. » Madame de Neuillan la faisait venir chez elle de temps en temps, et la conduisait dans quelques maisons de sa société, entre autres chez Scarron, où elle fit connaissance avec mademoiselle de Lenclos, qui n’était pas alors galante, et qui, née riche et noble, voyait encore la bonne compagnie. […] Il offre tant de sympathies diverses à satisfaire, il soumet les sympathies physiques à tant de sympathies morales et intellectuelles, il présente tant de points de défense et d’attaque en même temps, il fait naître tant désirs au-delà du désir même, il offre tant à conquérir au-delà de la dernière conquête, il donne tant de jeu aux craintes, aux espérances, il arrête les progrès si près du but et y rappelle si puissamment par l’effort même qui en éloigne, enfin il y a tant de distance entre les voluptés que l’art le plus exercé ou le naturel le plus aimable peuvent donner à l’abandon et le charme de cette retenue mystérieuse qui arrête les mouvements d’un cœur passionné, que rien n’est impossible à une grande passion dans le cœur d’une telle femme.

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