Et c’est d’un autre point de vue que nous jugeons ce problème de la philosophie de l’histoire. […] Le sentiment eût été jugé incompréhensible ou de mauvais goût. […] C’est à ce point de vue qu’il faut juger un programme, en apparence inadmissible dans son principe même. […] L’avenir jugera — si le présent ne l’a point encore fait — s’il fut juste ou injuste que cette dépossession s’effectuât. […] Il faut vraiment se placer à un point de vue moins mesquin que celui des patries pour juger un problème de cette envergure.
Louis Veuillot. — Je ne veux pas, moi, faire de représailles ici ; je veux étudier l’homme en lui-même, tel qu’il est, et essayer de juger l’écrivain. […] Molière jugea que s’il se moquait de ces dévots outrés, Louis XIV, dans la situation où il était, ne l’empêcherait pas d’agir. […] Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. […] Eh bien, quand on passe du droit à l’histoire, aux faits historiques, quand on en vient à quelques personnages illustres, les seuls par lesquels nous puissions juger de l’état général des choses, parce que ce sont les seuls que nous ayons sous les yeux, et sur lesquels nous ayons des documents, que voit-on ? […] ALEXANDRE Viens, Bonaparte ; allons trouver Hannibal ; il n’y a qu’un héros qui puisse juger notre dispute.
La beauté des arts, la grâce de la vie raffinée et sensuelle n’avaient point de prise sur lui ; ce sont les mœurs qu’il jugeait, et il ne les jugeait qu’avec sa conscience. […] Comme les civilisations antiques de la Grèce et de Rome323, comme les civilisations modernes de la Provence et d’Espagne, comme toutes les civilisations du Midi, elle porte en soi un vice irrémédiable, une mauvaise et fausse conception de l’homme ; les Allemands du seizième siècle, comme les Germains du quatrième siècle, en ont bien jugé ; avec leur simple bon sens, avec leur, honnêteté foncière, ils ont mis le doigt sur la plaie secrète. […] Considérez à ce moment, vers 1521, l’intérieur d’un diocèse, celui de Lincoln, par exemple339, et jugez par cet exemple de la manière dont la machine ecclésiastique travaille par toute l’Angleterre, multipliant les martyres, les haines et les conversions. […] Il avait bien jugé ; c’est par cette suprême épreuve qu’une croyance prouve sa force et conquiert ses partisans ; les supplices sont une propagande en même temps qu’un témoignage, et font des convertis en faisant des martyrs. […] Ils jugent que tout autre état d’esprit est impie, que l’insouciance et la joie sont monstrueuses, que chaque distraction ou préoccupation mondaine est un acte de paganisme, et que la véritable marque du chrétien est le tremblement dans l’idée du salut.
Le croup l’étranglait, et, comme on le jugeait perdu, le médecin hasarda ce remède : supplicier par des jets de vapeur l’enfant ligoté, afin que ses hurlements et ses contorsions eussent chance de rompre les membranes. […] Voilà d’ailleurs dix-huit ans qu’il s’accommode de la rue des Chanoines, où il a vu grandir ses neveux, et il ne la quittera que sur l’ordre du médecin, qui jugera pernicieux à ses bronches et à sa gorge les vents coulis de son paisible grenier. […] Cela dérange les théories naïves de la réserve qu’on croit féminine ; mais les femmes ne craignent qu’une chose, d’être mal jugées ; mal jugées par les hommes. […] La punition, c’est qu’ils ne se jugent pas et sont farcis de préjugés, malgré leur incrédulité railleuse. […] une démission à l’heure inopportune, qui me ferait mal juger et blâmer par tout le’ monde, et réjouirait mes ennemis. » Ses ennemis : le recteur, qui déteste, ici comme en France, M.
Mais il me semble vraiment que la plupart des critiques l’ont jugée beaucoup plus énigmatique qu’elle n’est en effet. […] Jugez plutôt. […] Jugez par quels moyens il a pu amasser ces quatre millions. […] S’il en fut ainsi à Paris, jugez ce qu’il en dut être dans les villages. […] Jugez de mon étonnement quand j’ai vu accuser Jacques de sadisme.
Dans le premier, je m’arrête au choix de l’action, à l’amour qu’on trouve trop dominant dans nos tragédies, aux bornes de l’invention, aux grandes regles des unitez qu’il me semble qu’on a jugées jusqu’ici trop fondamentales, et enfin à ce qui constitue le vrai mérite de la versification. […] Ou l’on a voulu seulement me convaincre d’avoir violé la loi des vingt-quatre heures ; ou bien indépendamment de cette regle, on prétend que la multiplicité d’incidens est par elle-même un défaut ; tâchons de nous juger nous-mêmes à ces deux égards, en n’écoutant que la nature et la raison. […] Nos grands maîtres ne laissent pas quelquefois dans le besoin de blesser les convenances, pour placer le moins mal-à-propos qu’ils peuvent, des choses qu’ils jugent nécessaires pour en préparer d’autres. […] Ils ne nous paroîtroient plus que des raisonneurs dont il faudroit juger le discernement, au lieu de personnages qu’il faut admirer ou plaindre : ils ne doivent exprimer que des sentimens ou des pensées personnelles que le poëte doit laisser généraliser aux spectateurs. […] Il est vrai, monsieur, mais pour des pensées si communes, qu’à peine les auroit-il jugées dignes d’être dites, si elles lui avoient moins coûté.
mesurer dans le sens propre, c’est juger d’une quantité inconue par une quantité conue, soit par le secours du compas, de la règle, ou de quelqu’autre instrument qu’on apèle mesure. […] L’hypallage ne se fait que quand on ne suit point dans les mots l’arangement établi dans une langue ; mais il ne faut point juger de l’arangement et de la signification des mots d’une langue par l’usage établi en une autre langue pour exprimer la même pensée. […] Mais il me paroit que c’est juger du latin par le françois, que de trouver une hypallage dans ces paroles d’Horace (…). […] Jugeons donc du latin par le latin même, et nous ne trouverons ici ni contre-sens ni hypallage, nous ne verrons qu’une phrase latine fort ordinaire en prose et en vers. […] On doit juger de la richesse d’une langue par le nombre des pensées qu’elle peut exprimer, et non par le nombre des articulations de la voix.
Nous allons même jusqu’à trouver de la grandeur dans ce que la vengeance fait entreprendre, parce que, d’un côté, le préjugé attachant l’honneur à ne pas souffrir d’outrages, et de l’autre, la raison faisant préférer l’honneur à la vie, nous jugeons qu’il est d’une âme forte d’écouter, au péril de ses jours, un juste ressentiment. […] Pour juger combien ils sont déplacés, on n’a qu’à considérer l’embarras de l’acteur dans ces endroits ; il ne sait à qui s’adresser. […] Les singularités ne s’attirent point de créance au théâtre, et privent le spectateur du plaisir d’une imitation dont il puisse juger. […] Cela dépend du naturel et des mœurs du peuple à qui l’on s’adresse ; et par le degré de sensibilité qu’il apporte à ces spectacles, on jugera du degré de force qu’on peut donner aux tableaux qu’on expose à ses yeux. […] S’il est peint avec force et vérité, il aura toujours, comme certains portraits, le mérite de la peinture, lors même qu’on ne sera plus en état de juger de la ressemblance.
» — « L’un et l’autre, répondit le Kalender, et la plupart ne sont ni l’un ni l’autre ; une des grandes sources d’erreurs, c’est de se conduire avec eux comme s’ils étaient constants et conséquents… Nous sommes mobiles, et nous jugeons des êtres mobiles… ! […] » Pour nous, qui ne pouvons juger M. de Meilhan que par ses écrits, nous avons cru n’être que juste en lui accordant un souvenir, en lui assignant un rang élevé parmi les moralistes pour ses Considérations sur l’esprit et les mœurs (1787), et, parmi les politiques, pour son ouvrage Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution (1795).
Ainsi en jugeait le duc de Rohan quand il écrivait : « Philippe II poussa ses affaires si avant, que le royaume de France n’est échappé de ses mains que par miracle. » De loin, quand les événements ont tourné d’une certaine façon, on ne se représente pas aisément à combien peu il a tenu qu’ils ne tournassent dans un sens tout autre ; on voit des nécessités et des dénoûments tout simples là où il y a eu des bonheurs et de merveilleux secours. […] De joindre une longue délibération avec un fait pressé, cela lui est malaisé, et c’est pourquoi, au contraire, aux effets de la guerre il est admirable, parce que le faire et le délibérer se rencontrent en un même temps, et qu’à l’un et à l’autre il apporte toute la présence de son jugement ; mais aux conseils qui ont trait de temps, à la vérité il a besoin d’être soulagé… Il a cela néanmoins qui doit fort contenter ses conseillers : c’est qu’encore qu’il n’ait nullement pensé ni été disposé à une affaire, si ses serviteurs, après l’avoir bien ruminée et bien digérée, la lui viennent représenter, il est si prompt à toucher au point et à y remarquer ce qu’on peut y avoir ou trop ou trop peu mis, qu’on jugerait qu’il y était déjà tout préparé.
Une autre race de guerriers, que personnifie le nom de Catinat, ou, si l’on veut, de Vauban, est celle des militaires qui joignent aux qualités de leur profession des mérites presque contradictoires de penseurs, de philosophes, de raisonneurs ; ils jugent, ils ont des idées politiques, des vertus civiles ; une capacité de plus les complète, mais parfois aussi les complique ; ils y perdent un peu en relief s’ils y gagnent en profondeur. […] Il faut se reporter à cette époque de camaraderie pour bien juger l’ascendant de cet homme sur l’esprit des officiers qui se trouvaient sous ses ordres.
Tous ceux qui ont parlé d’elle, les Ségur, les Lévis, le prince de Ligne, Mme de Genlis, sont unanimes à lui reconnaître cet empire absolu et sans appel sur tout ce qu’il y avait de distingué dans la jeunesse des deux sexes ; elle contenait les travers, tempérait l’anglomanie, l’excès de familiarité, la rudesse, ne passait rien à personne, ni une mauvaise expression, ni un tutoiement, ni un gros rire ; « la plus petite prétention, la plus légère affectation, un ton, un geste qui n’auraient pas été exactement naturels, étaient sentis et jugés par elle à la dernière rigueur ; la finesse de son esprit, la délicatesse de son goût ne lui laissaient rien échapper » ; attentive à ce qu’il ne passât aucun courant d’air de la mauvaise compagnie dans la bonne, elle retardait, pour tout dire, le règne des clubs et maintenait intacte l’urbanité française, à la veille du jour où tout allait se confondre et s’abîmer. […] Elle se plaisait à tâter les esprits, à les piquer, à vous interpeller au souper, d’un bout de la table à l’autre, par quelque question provocante ; la repartie qu’on y faisait vous jugeait sur l’heure.
Combien j’aime, au contraire, ces esprits aimables et sensés, qui, ayant pratiqué un art par eux-mêmes et en sachant les difficultés et tous les périls, sont modestes et mesurés quand ils entreprennent de juger, dans un art voisin et différent, leurs confrères, leurs supérieurs ou leurs semblables ! […] D’autre part, ceux qui ont cru Horace indifférent au paysage et aux arbres de la route, qui ont dit qu’il dessinait en pensant à autre chose, « comme on tricote les yeux fermés », les mêmes qui ont ajouté qu’il était à peu près inutile, pour le juger comme peintre, d’étudier sa vie, ne conviendront-ils pas qu’ils lui ont fait légèrement tort ?
En égard à son âge de dix-sept ans75, il s’entend très-bien aux choses du monde, et quoique les Espagnols, qui ont coutume d’exagérer leurs faits et de s’émerveiller de tout, exaltent quelques questions qu’il adresse indistinctement à tous ceux qui l’approchent, d’autres, avec plus de fondement peut-être, tirent de l’inopportunité de ces questions un argument peu favorable a son intelligence. » Voilà la triste vérité que notre bon compagnon et compatriote Brantôme vient confirmer et relever de sa manière gaillarde et piquante, ne fut-ce que par ce seul petit trait : « Moi, étant en Espagne, il me fut fait un conte de lui, que son cordonnier lui ayant fait une paire de bottes très mal faites, il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon. » Quand un prince de dix-neuf ans en est là, il me semble qu’il est jugé à jamais et que son avenir est écrit plus clairement que dans les astres. […] Philippe II, il faut le dire, s’il cessa bientôt d’être père dans sa manière de juger son fils, ne cessa pas un instant d’être roi.
Sa course lyrique, qui est bien loin d’être close, offre pourtant assez d’étendue pour qu’on en saisisse d’un seul regard le cycle harmonieux ; mais il n’est encore qu’au seuil de l’arène dramatique ; il y entre dans toute la maturité de son observation, il s’y pousse de toutes les puissances de son génie : l’avenir jugera. […] Vers 1828, à cette époque que nous avons appelée le moment calme et sensé de la Restauration, le public avait fait de grands progrès ; l’exaspération des partis, soit lassitude, soit sagesse, avait cédé à un désir infini de voir, de comprendre et de juger.
Il m’a légué en mourant un dernier cahier pour en faire l’usage que je jugerais à propos. […] Ulric, tout faible et fragile, qu’il était, se prenait aisément à avertir et, qui plus est, à prêcher dans leurs fougueux entraînements ses jeunes amis, Musset et son inséparable Alfred Tattet ; il leur parlait en censeur onctueux et indulgent, mais sans se garder assez du ton dévot, et comme quelqu’un qui sort de s’entretenir avec les Pères du Désert : on peut juger des hauts cris et des rires qu’il provoquait à de certaines heures.
Il écrit par hasard, il lui communique, il lui abandonne son manuscrit, il lui laisse le soin d’en faire ce qu’il jugera à propos ; il se soumet d’avance, et les yeux fermés, à sa décision, à ses censures, et il se trouve un matin avoir acquis, à côté de son frère, une humble gloire tout à fait distincte, qui rejaillit à son tour sur celle même du grand aîné, et qui semble (ô récompense !) […] car il est tard, la toilette s’achève ; elle eu est aux dernières épingles ; il faut qu’on lui tienne un second miroir : « Je tins quelque temps un second miroir derrière elle, pour lui faire mieux juger de sa parure ; et, sa physionomie se répétant d’un miroir à l’autre, je vis alors une perspective de coquettes, dont aucune ne faisait attention à moi.
Pour juger l’érudition, il ne serait pas mal d’être érudit d’abord, puis, par là-dessus, d’être quelque peu bel-esprit et philosophe, pour ne pas négliger tout à fait, en la jugeant, l’agrément et l’idée ; ce que l’érudition se retranche si volontiers. […] Pour me tenir à l’exemple présent de Niebuhr, je suis singulièrement frappé (à ne juger qu’en ignorant et en simple amateur) du résultat final de toute cette guerre sur la première Rome.
Mais ne devançons point les temps ; nous sommes à ces années d’avant la Révolution, lesquelles toutefois il ne faudrait pas juger trop frivoles. […] , et soit qu’il jugeât les affaires du dehors, soit qu’il déroulât les crises révolutionnaires du dedans, il usait d’une équitable mesure.
Elle pressa la nomination d’un tribunal de docteurs pour juger les questions et pour la décharger d’une responsabilité qui lui pesait dans cette affaire. […] À ce titre, madame de Maintenon espérait le faire associer lui-même aux évêques qui jugeaient madame Guyon, et le contraindre à réprouver ainsi comme pontife, ce qu’il avait admiré comme ami.
Il le prie de ne point maltraiter Fabio son fils, ni Virginia, qui se sont mariés sans le consentement paternel ; il la recevra pour sa bru avec la dot que Pandolfo jugera à propos de lui donner. […] À en juger par cette image, le costume de Molière offrait une analogie frappante avec celui des premiers zanni : il a notamment la veste et le pantalon galonnés sur les coutures avec des lamelles d’étoffe, telles qu’on les voit sur l’habit du Scapin des Fedeli ; on croirait distinguer aussi une certaine similitude du geste, de l’attitude et du jeu comique.
Ce siècle ne comprit bien que lui-même et jugea tous les autres d’après-lui-même. […] Et puis, comme on connaissait les auteurs de l’oeuvres nouvelle, qu’on se jugeait leur égal en autorité, que la machine improvisée avait de visibles défauts et que, l’affaire étant désormais transportée dans le champ de la discussion, il n’y avait pas de raison pour la déclarer jamais close, il en est résulté une ère de bouleversements et d’instabilité, durant laquelle des esprits lourds mais honnêtes ont pu regretter le vieil établissement.
Je n’ai pas à discuter et à juger ici cette invasion de la conception réaliste dans le domaine du droit ; sans quoi je devrais faire le départ des effets bons et utiles et des résultats mauvais et funestes qui en furent la conséquence. […] Victor Hugo, tantôt flagelle le riche juré qui condamne un pauvre hère, coupable d’avoir volé un pain pour nourrir sa famille, et il en appelle au Christ pensif et pâle, Levant les bras au ciel dans le fond de la salle, tantôt il traîne dans la boue la robe rouge des hauts magistrats qu’il assimile à la casaque rouge des forçats, parce que ces punisseurs officiels de la trahison se sont faits complices d’un coup d’État qui a réussi Enfin il n’y aurait pas à chercher bien loin, si l’on voulait signaler une dernière révolte des « intellectuels » contre les superstitieux adorateurs de la chose jugée.
Question wagnérienne et question personnelle Est-il convenu que, l’affaire de Lohengrin étant close aujourd’hui, il est permis de juger en toute impartialité les faits qui se sont accomplis ? […] On jugera suffisamment évident que la publication des quelques pages que je viens d’écrire, doit être mortelle aux intérêts de la Revue Wagnérienne comme aux miens.
Nous le retrouverons tout à l’heure à l’œuvre, et à cette œuvre on jugera l’ouvrier. […] Voyez-vous d’ici ces gentlemen se rassemblant, dans leur club, pour juger la moralité du cheval offert à mademoiselle Rosa !
Ôtons-lui ce titre d’évêque qu’il n’eut que bien plus tard, et qui offusque la vue pour le bien juger. […] La bonté de votre âme est pour les autres aussi bien que pour Dieu, car vous êtes commode, point critique, et si peu porté à juger mal, que je crois que votre bonté pourrait même quelquefois duper votre esprit.
Celui qui trouve à placer le mot de minois en présence de pareils spectacles est jugé par cela même. […] Au moment où il avait quitté la France, son ami le cardinal de Bouillon, grand aumônier, était en faveur, et Choisy jugea à propos de lui faire adresser quelques présents par le roi de Siam.
Quelques témoignages particuliers nous mettront à même d’en juger pertinemment et presque comme si nous y avions été admis : Je viens de faire une perte bien sensible en Mme la marquise de Lambert, morte à l’âge de quatre-vingt-six ans, écrivait le marquis d’Argenson (1733). […] Ceux qui sont au-dessus de lui, elle lui recommande de les juger par ce qu’ils sont en réalité, et non par la montre : « Mais ne perdons point de vue un nombre infini de malheureux qui sont au-dessous.
Et embrassant lui-même d’un coup d’œil toute sa vie, il se rappelait avec fierté les deux grandes guerres auxquelles il avait pris part depuis 1688 jusqu’en 1714, celles de Hongrie et de Sicile où il s’était distingué en chef depuis 1716 jusqu’en 1719, la connaissance où il avait été des conseils et des résolutions importantes prises par les plus grands personnages politiques dans tout le temps de cette vie active à l’étranger ; il se représentait ce que pourrait être un tableau ainsi tracé de sa main : Vous jugerez bien, ajoutait-il, que les mémoires d’un homme tel que moi auraient plus de consistance que les romans qu’on m’a faussement attribués. […] Voltaire, qui, lorsqu’il a raison, l’a avec une gaieté et une grâce qui n’est qu’à lui, a jugé Bonneval à fond, en disant : Tout ce qui m’étonne, c’est qu’ayant été exilé dans l’Asie Mineure, il n’alla pas servir le sophi de Perse, Thamas Kouli Khan ; il aurait pu avoir le plaisir d’aller à la Chine, en se brouillant successivement avec tous les ministres : sa tête me paraît avoir eu plus besoin de cervelle que d’un turban.
Payé à vingt-quatre ans de ce service par un bon évêché, de la familiarité du cardinal et du jeu de la reine, Cosnac, par tempérament, par goût et par esprit d’intrigue (je mets toujours le mot comme lui-même, indifféremment), se mêlait alors de beaucoup de choses, et on l’y jugeait propre. […] Il demande et obtient une audience de Louis XIV pour se justifier dans son esprit : Il me donna, dit-il de ce roi, une audience très favorable ; je lui rendis compte de toute ma vie, et je finis par la grâce que je lui demandais, de juger de moi par mes actions seulement, et non par le rapport de mes ennemis.
En le comparant sur ce point avec le grand vocabulaire françois, on pourra juger de ces omissions. […] Tout le monde jugea avec le conseur que l’auteur des Entretiens avoit eu beaucoup plus de soin des paroles que des choses ; & un plaisant dit à cette occasion, qu’il ne manquoit au Pere Bouhours pour écrire parfaitement que de savoir penser.
Comment l’artiste juge-t-il, comment jugeons-nous nous-mêmes de leur convenance avec la chose ? […] Mais transportez la scène de Paris à Rome ; de l’hôtel de ville au milieu du sénat ; à ces foutus sacs rouges, noirs, emperruqués, en bas de soie bien tirés, bien roulés sur les genoux, en rabats, en souliers à talon, substituez-moi de graves personnages à longues barbes, à tête, bras et jambes nus, à poitrines découvertes, et longues, fluentes et larges robes consulaires ; donnez ensuite le même sujet au même peintre tout médiocre qu’il est, et vous jugerez de l’intérêt et du parti qu’il en tirera, à condition pourtant qu’il ferait descendre autrement sa paix.