. — Or, quel rapport peut-on imaginer entre ce déplacement et une sensation ? […] Se représenter un mouvement moléculaire des centres nerveux, c’est avoir présentes les images des sensations tactiles, visuelles et autres qu’il éveillerait en nous, si, du dehors, il agissait sur nos sens, c’est-à-dire imaginer des sensations de blanc, de gris, de consistance mollasse, de forme cellulaire ou fibreuse, de petits points tremblotants ; c’est enfin, si l’on va plus loin, combiner intérieurement les noms de mouvement, vitesse et masse, qui désignent des collections et des extraits de sensations musculaires et tactiles. — En somme, la première représentation équivaut à son objet, la seconde au groupe de sensations qu’éveillerait en nous son objet.
II Le poète des Amoureuses, jeté en arrivant à Paris dans un milieu de bohèmes pittoresques, bientôt aiguisé par la vie parisienne, s’aperçoit un jour que ce qu’on voit (quand on sait regarder) est presque toujours plus intéressant, plus inattendu, même plus amusant et plus fou que ce qu’on imagine. […] C’est lui qui se met à imaginer des causeries, la nuit, entre les deux petits lits — presque deux berceaux — de Mamette et de son homme ; c’est lui qui trouve, en regardant bien, que les deux vieillards se ressemblent, et qui entrevoit dans leurs sourires fanés l’image lointaine et voilée de Maurice ; c’est lui enfin qui écrit étourdiment : « A peine le temps de casser trois assiettes, le déjeuner se trouve servi. » Comment !
Mais ce qui me déplaît surtout, c’est ce mélange d’hommes, de femmes, de dieux, de déesses, de loup, de mouton, de serpens, de licornes. 1. parce qu’en général cela est froid et de peu d’intérêt. 2. parce que cela est toujours obscur et souvent inintelligible. 3. la ressource d’une tête pauvre et stérile ; on fait de l’allégorie tant qu’on veut, rien n’est si facile à imaginer. 4. parce qu’on ne sait que louer ou reprendre dans des êtres, dont il n’y a aucun modèle rigoureux subsistant en nature. […] Regardez bien ce tableau, Monsieur De La Grenée ; et lorsque je vous disais : donnez de la profondeur à votre scène ; réservez-vous sur le devant un grand espace de rivage ; que ce soit sur cet espace que l’on présente à César la tête de Pompée ; qu’on voie d’un côté, un genou fléchi, l’esclave qui porte la tête ; un peu plus sur le fond et vers la droite, Théodote, ses compagnons, sa suite ; autour et par derrière, les vases, les étoffes, et les autres présens ; à droite, le César entouré de ses principaux officiers ; que le fond soit occupé par les deux barques et d’autres bâtimens, les uns arrivant d’égypte, les autres de la suite de César ; que ces barques forment une espèce d’amphithéâtre couvert des spectateurs de la scène ; que les attitudes, les expressions, les actions de ces spectateurs soient variées en tant de manières qu’il vous plaira ; que sur le bord de la barque la plus à gauche il y ait, par exemple, une femme assise, les pieds pendans vers la mer, vue par le dos, la tête tournée, et allaitant son enfant ; car tout cela se peut, puisque j’imagine votre toile devant moi, et que sur cette toile j’y vois la scène peinte comme je vous la décris ; et convenez que lorsque je vous l’ordonnais ainsi, vous aviez tort de m’objecter les limites de votre espace.
Cousin réfute : « Nous connaissons plusieurs axiomes ou propositions nécessaires : par exemple, toute qualité suppose une substance ; et nous ne pouvons imaginer un cas où cet axiome ne soit pas vrai. Mais peut-être cette nécessité vient de la construction de notre esprit, et nous sommes comme des gens nés avec des lunettes vertes, qui, ne pouvant imaginer que des objets verts, en concluraient que nécessairement tous les objets sont verts.
Bénédict, dans Valentine, ne s’imagine pas non plus que son intelligence ou ses bras puissent servir à autre chose. […] Imaginez, pour consacrer son bonheur, le projet que forme l’aimable Fernande. […] Il n’y aurait même pas de paradoxe à établir que Mme Sand observe très finement, et que Balzac, de son côté, imagine avec une sorte d’intrépidité. […] Le romanesque, c’est l’exaltation dans la chimère : il marque l’âge d’une génération et la date d’un livre ; il se reconnaît à la manière d’aimer (surtout à la façon de dire que l’on aime), à la manière de concevoir et d’imaginer les événements, à la manière plus ou moins agitée et surexcitée d’écrire. […] Elle l’a vu agir devant ses yeux, cette fois ; elle l’a vu marcher, ce héros longtemps imaginé, elle l’a vu dominer le petit monde où elle l’a introduit.
Depuis que le tzar Pierre s’était imaginé que la perruque à la Louis XIV était une pièce essentielle de la civilisation européenne, la cour avait adopté l’étiquette et les modes françaises ; elle rougissait des mœurs du peuple, desquelles les siennes au fond se rapprochaient beaucoup.
Mais voilà que Margiste, mauvaise conseillère, imagine de dire à l’oreille de Berte que Pépin est un mari à craindre, et qu’elle sait de bonne part, qu’il pourrait bien la tuer dès cette nuit.
Par la suite des siècles, quand tout ce qui a précédé et préparé les créations du génie a disparu dans l’oubli, les œuvres éminentes, les monuments qui restent seuls debout, apparaissent à une hauteur inexplicable, et telle qu’on s’imagine avec peine qu’ils aient été construits par des hommes.
Aucun Tragique ne l’a égalé dans l’art unique d’imaginer des plans hardis, de les subjuguer, de les varier selon le choix du sujet, de donner à ses personnages une ame, une dignité, une chaleur, un caractere toujours conforme à leur siecle, à leur nation, à leurs mœurs, à leur situation.
Un autre homme peut encore imaginer des moïens qui ne sont point à la portée de notre esprit.
III Enfin pour apprécier l’importance du troisième principe de la civilisation, qu’on imagine un état dans lequel les cadavres humains resteraient sur la terre sans sépulture, pour servir de pâture aux chiens et aux oiseaux de proie.
Il imagine qu’au temps de Shakespeare le public et les gens de lettres avaient deviné, en ce valet d’acteurs, le courtier, le prête-nom. […] L’on serait content d’imaginer que M. […] Je dis la suite : il me paraît, je l’avoue, hardi d’aller plus loin, jusqu’à imaginer que cette suite chronologique soit une dérivation véritable. […] Il a imaginé que l’homme était naturellement bon. […] Madame, quelle corruption il faut avoir dans l’esprit et dans le cœur pour être capable d’imaginer tout cela !
Il se demande aussi comment un arrangeur aurait imaginé la querelle des deux frères. […] Il imagine l’ascension d’un théologien et d’un philosophe de sphère en sphère jusqu’à celle de Saturne. […] Surtout la lecture de ces romans l’habitua à ne jamais demander aux fictions, qu’il imaginait, la moindre vraisemblance. […] On n’en veut pas à Hugo d’avoir fait le beau rêve d’une fraternité universelle ni même d’en avoir imaginé un instant la réalisation. […] « Vous imaginez-vous, disait un soir Édouard Estaunié dans un groupe où l’on discutait Polytechnique, vous imaginez-vous que l’X a été institué pour fabriquer péniblement et durement des officiers d’artillerie et quelques ingénieurs ?
Imaginer un dialogue, c’est donc imaginer deux personnages au moins en action, et le drame naît, le drame qui est action, comme l’étymologie seule l’indique. […] L’esthétique dont ils émanent est une des plus complètes qui se puissent imaginer, allant ainsi de l’un à l’autre des deux pôles entre lesquels oscille la pensée contemporaine. […] N’ayant pas le moyen de la restituer dans sa vérité, il pouvait de bonne foi l’imaginer d’après sa fantaisie. […] Les frères de Goncourt ont imaginé, dans cette intention, un emploi de formules singulières. […] Imaginons que le cosmopolite appartienne à une nation moins fatiguée par un long héritage de pensées que la société aux mœurs de laquelle il s’initie.
Singulière figure de pensée, immobilisée, comme la femme de Loth en statue de sel, dans le geste qui la tourne, ardente et nostalgique, vers une poésie qu’elle réalise juste assez pour nous en faire, à la direction de son regard, imaginer une éternelle ! […] Le monde stellaire, lointain, du hasard nu qu’imagine Stuart Mill est une contradiction, ce cosmos acosmique est un fer en bois. […] Mallarmé, dit Remy de Gourmont, « est capable, et lui seul, d’imaginer une phrase représentative d’une absence d’images89 ». […] Si d’autres nous la rendent sensible par une présence magnifique, le détour habituel à son génie nous la fait imaginer autrement, par un vide, un regret, une absence. […] Cette fuite hors le relatif, Mallarmé l’imaginerait volontiers, presque, hors la langue.
Le bagne ne va pas sans l’argousin, vous n’imagineriez pas l’un sans l’autre. […] Atteint et convaincu d’avoir imaginé cette espièglerie, accusé de mensonge quand j’affirmais mon innocence, je fus sévèrement puni. […] Imaginez ce que mon âme tendre dut ressentir à la première distribution de prix où j’obtins les deux plus estimés, le prix de thème et celui de version ! […] Quoique complètement neuf à la poésie des sites, j’étais donc exigeant à mon insu, comme ceux qui, sans avoir la pratique d’un art, en imaginent tout d’abord l’idéal. […] Imaginez au-delà du pont deux ou trois fermes, un colombier, des tourterelles, une trentaine de masures séparées par des jardins, par des haies de chèvrefeuilles, de jasmins et de clématites ; puis du fumier fleuri devant toutes les portes, des poules et des coqs par les chemins : voilà le village du Pont-du-Ruan, joli village surmonté d’une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades, et comme les peintres en cherchent pour leurs tableaux.
Je l’ai reçu, persuadé qu’il était né de quelque domestique de la maison, et ne pouvant m’imaginer d’abord ce qu’il pouvait être. […] La femme, considérant sa taille, touchée des grâces de sa figure, se prit à pleurer et, embrassant les genoux de son mari, le conjura, par tout ce qu’elle put imaginer propre à l’émouvoir, de ne point obéir. […] Il imagina donc de pratiquer dans un des côtés de la muraille extérieure une issue secrète, et y réussit en disposant une des pierres de cette muraille de manière qu’elle pouvait être facilement retirée en dehors par deux hommes, et même par un seul. […] Pour dissiper le doute où cette vue le jeta, il imagina d’ordonner que le cadavre fût attaché à une muraille ; et, plaçant des gardes alentour, il leur enjoignit de saisir et de lui amener tous ceux qu’ils verraient pleurer ou témoigner quelque pitié à ce spectacle. […] « Un jour, après avoir épié le moment où Darius venait s’asseoir dans le faubourg des Lydiens, ils imaginèrent de la parer des plus beaux habillements qu’ils purent se procurer et de l’envoyer chercher de l’eau, portant sur sa tête une cruche, en même temps qu’elle conduisait un cheval dont la bride était passée dans son bras, et qu’elle filait une quenouille de lin.
Tel est le propre du sublime, que l’esprit ne conçoit rien au-delà dans l’ordre des choses qui sont de l’homme, et c’est pour en exprimer le sentiment qu’il a imaginé le mot de sublime, le plus haut de la langue des choses humaines, et le plus près de la langue des choses divines. […] De là ce qui a été dit de ses nombreuses ébauches, et de quantité de sujets essayés par lui et abandonnés, parce qu’il eût fallu pour les traiter des ressorts extraordinaires, suppléer au manque de matière par l’artifice et imaginer au lieu de créer. […] Ces règles ne sont donc pas de vaines recettes imaginées pour produire des effets de théâtre ; c’est la loi par laquelle la tragédie se confond avec la vie elle-même. […] Il n’a rien eu à imaginer, et le peu qu’il y a mis du sien est si admirablement lié à la donnée de l’Ancien Testament, que le poète semble avoir suppléé quelque omission de l’historien sacré. […] Ceux qui ont vu Talma jouant le rôle de Joad, dans une de ces représentations dont lui-même ordonnait la pompe, ne se souviennent pas d’avoir rien vu ni rien imaginé de plus grand en fait de représentations théâtrales.
Je n’imagine qu’un lieu où il fût à sa place, absorbé sans distraction par la présence divine : c’est cette colonne au haut de laquelle certains fanatiques de l’Orient consument leur inutile vie dans la contemplation et l’extase. […] C’est par l’impossibilité de concilier la sévérité chrétienne avec les nécessités de la politique qu’il arrive à imaginer une civilisation sans luxe et l’espionnage exercé par d’honnêtes gens qui en ont horreur. […] Cette piété sombre et minutieuse, ce trop de temps donné à la prière, ces scrupules, cette curiosité et ce mécontentement de soi, cet excès de raisonnement et cette peur d’agir, ces rêveries et cette poursuite de chimères, c’est tout le chimérique de la perfection impossible imaginée par son précepteur. […] Hubert, janséniste déguisé, qui substituait à la doctrine de la prédestination pure celle de l’impuissance morale, et imaginait le système des deux délectations. […] On ne relèverait pas cette chimère si elle était sans danger, mais l’histoire des langues ne prouve que trop combien leur nuisent ces théories imaginées pour les enrichir.
., sont des monographies d’êtres exceptionnels, qui imaginées par des auteurs de génie, trouvent au bout de cinquante ans, des scoliastes pour faire de ces êtres exceptionnels, des êtres généraux, et j’aurais voulu l’interroger sur sa conviction, que les femmes d’Ibsen, sont vraiment considérées, à l’heure présente, en Norvège, comme des types généraux de Norvégiennes. […] Vendredi 10 mars Cette mort de Gibert, un jeudi de la mi-carême, en lançant des confetti du haut d’un café, on serait tenté de la prendre pour le dénouement imaginé d’un roman, racontant la vie d’un comique, d’un farceur, d’une queue rouge. […] Et l’on ne peut s’imaginer la musique harmonieuse de ses paroles, comme soupirées, et l’élégance de ce vieux corps, se remuant avec les mouvements las d’une coquette malade. […] Alors, on s’était imaginé d’enduire les ceps de vigne du bord de la route de vert-de-gris, et quand la vigne avait été malade, on avait remarqué que ces ceps avaient échappé à la maladie, et le procédé avait été généralisé pour toute la vigne. […] Or il dit, que ce travail ne lui présente pas d’intérêt, parce qu’il y met tout ce qu’il y a d’emmagasiné en lui, et que ça ne lui offre pas la jouissance d’inventer, d’imaginer.
Le contraste est frappant dans bien des cas, par exemple quand des nations en guerre affirment l’une et l’autre avoir pour elles un dieu qui se trouve ainsi être le dieu national du paganisme, alors que le Dieu dont elles s’imaginent parler est un Dieu commun à tous les hommes, dont la seule vision par tous serait l’abolition immédiate de la guerre. […] S’il avait des extases, elles l’unissaient à un Dieu qui dépassait sans doute tout ce qu’il avait imaginé, mais qui répondait encore à la description abstraite que la religion lui avait fournie. […] Or l’ancien était d’une part ce que les philosophes grecs avaient construit, et d’autre part ce que les religions antiques avaient imaginé. […] Certains, sans aucun doute, sont totalement fermés à l’expérience mystique, incapables d’en rien éprouver, d’en rien imaginer. […] Elle y prend sans doute, en raison de la diversité des conditions qui lui sont faites, les formes les plus variées et les plus éloignées de ce que nous imaginons ; mais elle a partout la même essence, qui est d’accumuler graduellement de l’énergie potentielle pour la dépenser brusquement en actions libres.
J’imagine que M. […] — J’imagine (une fois le ton donné et admis) qu’on ne saurait pousser plus loin la nuance du dire. […] Prévost naquit, j’imagine, par quelque aube d’été, sur les bords fleuris du Lignon, d’une bergère à houlette rose et d’un berger zinzolin. […] Zola, j’imagine que nos petits-neveux seront fort gênés un jour pour se faire une idée de la vie contemporaine. […] « J’ai une idée claire et distincte du chiliogone, dit Descartes ; mais je ne puis l’imaginer. » Rapprochez, par contraste, les jolis vers de M.
J’imagine cependant qu’on y trouverait des scènes assez pareilles à celles de Tamerlan par la simplicité grandiose et sauvage. […] Voici la fable qu’ils ont imaginée. […] D’ailleurs elle s’imagine à présent qu’elle adore son mari. […] J’imagine que c’est là un jeu qu’on ne cultive plus guère dans nos chambrées. […] Imaginez… je cherche… imaginez qu’on retranche de la tragédie de Britannicus le personnage de Néron, ou plutôt qu’elle se réduise toute au tableau de la mort de Britannicus.
Le romancier gracieux, qui a si souvent introduit dans ses ouvrages des figures de personnages aristocratiques en y mêlant une fine pointe d’ironie, n’a eu cette fois qu’à imaginer un personnage de plus, celui d’un homme de lettres né dans les rangs du peuple, aussi peu né que possible, mais avec des goûts distingués et une vocation d’homme de qualité, qui eût été abbé dans l’ancien régime, qui eût été toute sa vie le gentil abbé de l’hôtel d’Uzès et à qui il n’a manqué de nos jours, pour remplir cette destinée d’autrefois, que le titre et le petit collet.
Elle imagina les petits soupers, les comédies des petits appartements, et institua autour d’elle, dans les jouissances du monarque, une succession douce et régulière que naturellement, sans secousse, le temps convertirait en habitude et en nécessité.
Faute de connaître l’étendue et l’énergie d’un mot, on s’imagine que l’usage domestique et quotidien qu’on en fait le rend incapable de tout autre emploi, et dès qu’on quitte les pensées vulgaires et terre à terre, on cherche des mots relevés et extraordinaires.
Il voulut imaginer, il s’imposa le gros travail de créer.
Quelle leçon, s’écrie à ce sujet un de ses Panégyristes**, pour nos jeunes Métromanes, qui la plupart prennent pour génie une vaine ardeur de rimer, s’imaginent follement remplir par-là le poste que leur marqua la Nature dans la grande Société !
Imaginez au milieu d’une grande salle, une table quarrée.
C’est ainsi que le spectacle imaginé par les lacedemoniens, pour inspirer l’aversion de l’ivrognerie à leur jeunesse, faisoit son effet.
Ses ouvrages ne sont beaux que par endroits, parce que n’aïant pas imaginé tout son plan, mais l’aïant fait seulement piece à piece, rien n’y est ensemble.
Ainsi le spectateur ne sentoit pas le ridicule qu’on imagine d’abord dans deux personnes dont l’une feroit des gestes sans parler, tandis que l’autre réciteroit sur un ton pathetique les bras croisez.