Zola par la bouche de son romancier typique : « Etudiez l’homme tel qu’il est, non plus le pantin métaphysique, mais l’homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N’est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau… La pensée, la pensée ; eh ! […] Qui dit psychologue dit traître à la vérité… Le mécanisme de l’homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions, — la formule est là… » M. […] Zola a un faible marqué pour les moins relevées ; c’est ce qui le rend partial dans son étude de l’homme et incomplet dans son œuvre. […] En premier lieu, tout ce qui a servi à l’homme intéresse l’homme par cela même. […] Ses cris sincères, quoique trop oratoires par moments, ne pouvaient manquer d’aller au cœur des hommes.
Préface1 Il faudrait peut-être rappeler ici que nous avons mis le nom du xixe siècle à la tête du livre intitulé : « Les Œuvres et les Hommes ». Quoique la littérature française tienne pour nous, Français, la plus large place dans la littérature de notre temps, et que cet ouvrage soit plus particulièrement consacré à la littérature française, cependant, quand, dans les autres littératures contemporaines, marquera, à tort ou à raison, une œuvre ou un homme, nous les regarderons par-dessus leur frontière… À quoi bon, d’ailleurs, parler de frontière ? […] Ces lignes précèdent, dans le IVe vol. des Œuvres et des Hommes (1re série : Les Romanciers, 1865), trois chapitres : Edgar Poe, G.
que les hommes sont petits et misérables ! […] Il a été un homme d’action. […] Mais il aime cet homme simple et bon. […] C’était un homme, cet ami, peu acharné. […] C’est un très bon homme !
L’indépendance devient complète chez l’homme, dont la main peut exécuter n’importe quel travail. […] On a dit que les Fourmis étaient maîtresses du sous-sol de la terre, comme l’homme est maître du sol. […] Elle ne prend tout à fait possession d’elle-même que chez l’homme, et ce triomphe s’affirme par l’insuffisance même des moyens naturels dont l’homme dispose pour se défendre contre ses ennemis, contre le froid et la faim. […] En réalité, l’homme est un être qui vit en société. […] Mais, chez l’homme, l’habitude motrice peut avoir un second résultat, incommensurable avec le premier.
Bien parler a été de tout temps un don assez généralement dispensé aux hommes, et les orateurs, chez aucun peuple ni à aucune époque, n’ont jamais manqué : écrire était chose plus réservée, plus redoutée et jugée vraiment difficile. […] Cela est vrai, depuis le souverain qui, lorsqu’il est fait pour l’être, parle des matières d’État avec élévation, avec dignité et simplicité, jusqu’à l’homme spécial et plein de son sujet qui, pour peu qu’il soit à la fois homme d’esprit, se trouve être son meilleur truchement à lui-même. […] Qui parlera mieux de la navigation qu’un homme de mer, et de l’expédition de Cochinchine que l’officier de vaisseau qui en était ? […] Il y a vingt-cinq ans environ, il mourait dans le canton de Vaud un homme du premier mérite comme intelligence religieuse, philosophique et littéraire, et aussi comme talent et grâce de parole, dans la conversation surtout. […] Voilà ce qu’il prêche, ce qu’il distribue à ses auditeurs, des fragments d’histoire, des biographies de grands hommes.
Un abbé, homme savant et homme d’esprit, l’abbé Gédoyn, le même qui a traduit Quintilien, et qui l’a d’autant mieux traduit qu’il avait été bien avec Ninon (avoir été bien avec Ninon, cela sert toujours), l’abbé Gédoyn, disons-nous, a traité cette question de l’urbanité, et il a terminé son agréable et docte mémoire par y joindre un éloge de Mme de Caylus, en remarquant que, de toutes les personnes qu’il avait connues, il n’en était aucune qui rendît d’une manière si vive ce qu’il concevait par ce mot d’urbanité. […] Puis, avec l’usage et le temps, il en vint à exprimer plus encore, et à ne pas signifier seulement une qualité du langage et de l’esprit, mais aussi une sorte de vertu et de qualité sociale et morale qui rend un homme aimable aux autres, qui embellit et assure le commerce de la vie. […] Quand on voit dans les ouvrages de Cicéron et ailleurs, particulièrement dans Quintilien, a remarqué un grand esprit (Bolingbroke), les soins, les peines, l’application continuelle, qui allaient à former les grands hommes de l’Antiquité, on s’étonne qu’il n’y en ait pas eu plus ; et quand on réfléchit sur l’éducation de la jeunesse de nos jours, on s’étonne qu’il s’élève un seul homme capable d’être utile à la patrie. […] Mais les femmes alors, avec cette facilité de nature qui de tout temps les distingue, réussirent mieux encore que les hommes à offrir de parfaits modèles de ce que nous cherchons, et dont les semences étaient comme répandues dans l’air qu’on respirait. […] L’abbé Fraguier, homme de goût, a fort célébré Rémond dans ses Poésies latines ; on assure qu’il en parlait moins bien en prose.
Elle s’accoutuma naturellement à se considérer comme née d’un tout autre sang que le reste des hommes, même des gentilshommes, et comme n’allant de pair qu’avec les reines et les rois. […] Cependant elle marquait de bonne heure le goût de l’esprit, du bel et fin esprit, de celui qui sert à la conversation ; son père y excellait : elle raconte comment à Tours, chaque soir, elle aimait à entendre Monsieur l’entretenir de toutes ses aventures passées, « et cela fort agréablement, comme l’homme du monde qui avait le plus de grâce et de facilité naturelle à bien parler ». […] Elle s’aperçut donc un jour que ce petit homme, capitaine des gardes, Gascon à la mine fière, au ton spirituel et ironique, avait un je ne sais quoi qu’elle n’avait encore remarqué dans personne. […] L’homme à bonnes fortunes était devenu tout d’un coup un homme à principes ; il faisait le vertueux et le chaste pour se faire épouser. […] Quand Lauzun sortit de prison, ce n’était plus l’honnête homme, le galant homme et l’homme poli qui l’avait tant charmée : le courtisan seul avait survécu, courtisan acharné, et qui n’eut pas de cesse qu’il ne se retrouvât sur pied et dans un replâtrage de faveur auprès du maître ; d’ailleurs dur, intéressé ouvertement, cupide, osant reprocher à Mademoiselle les sacrifices mêmes qu’elle avait faits pour le délivrer.
J’avais plus d’une fois songé à faire entrer Volney dans ces études, où j’aime à passer en revue les hommes distingués qui appartiennent à la fois au siècle dernier et au commencement du nôtre : un travail d’un jeune et judicieux écrivain, Μ. […] On le dit, mais ce n’est pas lui qui nous l’apprend : jamais homme, jamais voyageur ne fut plus sobre et plus discret sur ses propres impressions que Volney. […] Il a fallu que le sabre des tyrans chassât l’homme de la terre habitable pour que le chameau perdît sa liberté. […] Il déplore les misères des gouvernements despotiques qu’il observe, il leur attribue tous les maux dont il est témoin ; au fond de cette juste sévérité toutefois, on sent trop peu de sympathie pour ceux mêmes qu’il plaint, et en général pour les hommes. […] Elle n’ajoutera rien au courage de l’homme qui aime sa patrie et qui veut la servir ; mais elle fera rougir le perfide ou le lâche que le séjour de la Cour ou la pusillanimité auraient déjà pu corrompre.
Il est l’homme de la cité des livres. […] C’est l’homme qui dans la déroute des aristocraties est demeuré fidèle à celle de l’art, obstinément. […] Quand donc, l’homme qui pense aura sacrifié les commodités et les plaisirs qu’il pourrait acheter à la passion de l’ordre et de la patrie, non seulement il aura bien mérité de ses dieux, mais il sera honoré devant les autres hommes, il aura relevé son titre et sa condition. […] voici le véritable homme de lettres de tous les temps et de notre temps. […] Son Itinéraire fantaisiste et surtout Les Volupteux et les Hommes d’Action ne doivent pas rester ignorés.
Elle est muette, en pensant à la dernière heure de cet homme fatal ; et elle ne sait pas quand pareille empreinte d’un pied mortel marquera sa poussière ensanglantée. […] Pour nous, inclinons la tête devant le Très-Haut, qui voulut laisser sur cet homme la plus vaste empreinte de son esprit créateur. […] Des hommes éloquents, des chefs par la parole, sortirent d’un monastère pris d’assaut, d’une cathédrale ruinée, d’un barreau dispersé devant une commission militaire. […] « Qu’elle te suffise, ô France, la gloire dont cet homme a rempli tes contrées ! […] Tu montres Dieu fait homme ; tu élèves l’homme jusqu’à Dieu. »
Qu’il nous permette d’ajouter que la grandeur et l’élévation dont il fait preuve si aisément, et qui lui sont familières, amènent bientôt quelque froideur ; il n’a pas assez d’émotion et de ces cris qui font songer qu’on est un homme ici-bas ; il n’a pas assez de ce dont M. de Musset a trop. […] Ainsi nous ont frappé les Symphonies de M. de Laprade, œuvre de méditation et de candeur, mélange d’inductions métaphysiques, de sentiments austères avec tendresse, et de vives émotions empruntées au spectacle de la nature et rapprochées toujours des grandes vérités inscrites au cœur de l’homme comme sur la voûte des cieux. […] Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme. […] La Charité, plus forte que le Désir, va donner à l’homme la mesure du sacrifice divin.
Pour prouver qu’il se plaît à rendre hommage aux hommes de génie, il dit beaucoup de mal de presque tous les hommes de génie, & prétend que le plus grand honneur qu’ait pu recevoir Corneille, c’est que M. de Voltaire ait daigné le commenter. […] Il porte la démence jusqu’à soutenir que le Fanatisme du Parlement avoit soulevé contre lui tous les honnêtes gens qui avoient applaudi à sa destruction…… Voilà pourtant, Monsieur, les Libellistes auxquels vous prétendez que je dois répondre : voilà pourtant les hommes qui recommandent la tolérance, qui s’indignent contre la Critique, & qu’une certaine portion du Public ne rougit pas d’honorer comme les vengeurs de la raison & les bienfaiteurs de l’humanité. […] Un homme sage qui lira les Libelles enfantés par ses défenseurs, verra toujours la personnalité substituée à la raison directe, l’injure mise à la place de la justification, un faux air de dédain opposé à la honte & au ridicule dont on les couvre, &c. »
La preuve qu’il étoit destiné à corriger les hommes, c’est que ses Comédies sont les seules qui aient eu le pouvoir de réformer les mœurs. […] Ainsi Moliere, en offrant aux hommes, d’une maniere adroite, le miroir fidele de leurs inconséquences, a trouvé le moyen de piquer leur curiosité sans rebuter leur amour-propre, & de se servir ensuite de l’amour-propre, pour les changer & les rendre plus raisonnables. […] Pour être l’Homme universel, il falloit qu’il travaillât pour tous les états. […] Il critiquoit les hommes, & sa femme les aimoit ; l’un tiroit sa gloire de leurs défauts, l’autre tiroit son plaisir de leurs foiblesses.
— Un esclave de la chimie, un homme de lettres aux ordres d’essences et de sucs colorants, qui a, pour toucher les oreilles de l’âme, du bitume et du blanc d’argent, de l’outremer et du vermillon. […] Gavarni : l’homme et l’œuvre. […] Ce sont des journées entières passées ensemble, des soirées où nous nous attardions, oublieux de l’heure et de la dernière gondole de Versailles ; ce sont les lentes et successives retrouvailles d’un passé, revenant à Gavarni au coin de son feu, ou au détour d’une allée de son jardin, — une biographie, pour ainsi dire parlée, — où la parole du causeur, de l’homme qui se raconte, est notée avec la fidélité d’un sténographe. […] Préface de la première édition (1881)54 En ce temps, où les choses, dont le poète latin a signalé la mélancolique vie latente, sont associées si largement par la description littéraire moderne, à l’histoire de l’Humanité, pourquoi n’écrirait-on pas les mémoires des choses, au milieu desquelles s’est écoulée une existence d’homme ?
La nature cessa de se faire entendre par l’organe mensonger des idoles ; on connut ses fins, on sut qu’elle avait été faite premièrement pour Dieu, et ensuite pour l’homme. En effet, elle ne dit jamais que deux choses : Dieu glorifié par ses œuvres, et les besoins de l’homme satisfaits. […] Les vains simulacres attachés aux êtres insensibles s’évanouirent, et les rochers furent bien plus réellement animés, les chênes rendirent des oracles bien plus certains, les vents et les ondes élevèrent des voix bien plus touchantes, quand l’homme eut puisé dans son propre cœur la vie, les oracles et les voix de la nature. […] Mais le soleil s’est levé, et déjà les bêtes sauvages se sont retirées…… L’homme alors sort pour le travail du jour, et accomplit son œuvre jusqu’au soir…… ……………………………………………………………………………………………… Comme elle est vaste, cette mer qui étend au loin ses bras spacieux !
Un œil expérimenté reconnaîtra dans la femme du plus bel embonpoint les traces des muscles du corps de l’homme ; ces parties sont seulement plus coulantes dans la femme, et leurs limites plus fondues. […] Carle Van Loo est un bon homme, et certainement cette platitude ne lui est pas venue. […] Si un homme qui fait bien aujourd’hui et mal demain, est un homme sans caractère ou sans principes, que faut-il dire du goût de celui qui associe dans un même cabinet des choses si disparates ?
S’il met des hommes en action, vous les voyez agir. […] C’est toute l’étendue du ciel sous l’horizon le plus élevé ; c’est la surface d’une mer ; c’est une multitude d’hommes occupés du bonheur de la société ; ce sont des édifices immenses, et qu’il conduit à perte de vue. […] Qui est-ce qui entend la perspective aérienne mieux que cet homme-là ? […] Le Bas et Cochin gravent de concert ses ports de mer ; mais Le Bas est un libertin qui ne cherche que de l’argent ; et Cochin est un homme de bonne compagnie qui fait des plaisanteries, des soupers agréables, et qui néglige son talent.
François Coppée Chez le vrai poète, on trouve, harmonieusement fondues, l’imagination de l’homme, la sensibilité de la femme et la candeur de l’enfant. […] Il correspond à ce que nous avons de meilleur en nous : l’émotion de l’homme devant l’homme.
Pourquoi, par exemple, avec le grand poëte dont il s’agit et en le relisant, suis-je presque toujours dans la situation d’un homme qui se promènerait dans un jardin oriental magnifique où le conduirait un enchanteur ou un Génie, mais où un méchant petit nain difforme lui donnerait à chaque pas de sa baguette à travers les jambes, le Génie ne faisant pas semblant de s’en apercevoir ? […] Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. Hugo en 1830 était surtout un homme littéraire ; il se ralliait à la révolution de Juillet par un principe général de libéralisme plutôt que par un enthousiasme personnel. […] Si les faiseurs d’ordre public essayaient d’une exécution politique, et que quatre hommes de cœur voulussent faire une émeute pour sauver les victimes, je serais le cinquième. […] « 12 juin 1832. » Tout l’avenir d’un homme marquant est contenu à l’avance dans chaque moment de sa vie : il ne s’agirait que de le dégager.
C’est une faculté naturelle à tous les hommes, à laquelle les indifférents n’échappent pas plus que les curieux, d’aspirer en tout sujet à connaître les causes, et de s’y complaire lorsqu’elles sont saisies. […] Seulement chez la plupart des hommes, le penchant pris à part et dégagé des intérêts privés qui l’excitent, se réduit à une curiosité mobile et vaine, sans énergie comme sans résultat. […] C’est aussi de la sorte qu’en jugea Malebranche lorsqu’à la lecture du livre De l’homme, il se sentit tout à coup pénétré de dédain pour l’étude des historiens ecclésiastiques, et que dès ce jour il estima l’histoire indigne de son génie. […] Dès lors il s’est habitué à les saisir d’un coup d’œil rapide, non plus en eux-mêmes, mais par groupes de partis et comme par rangs de générations ; et ces partis, ces générations, il les a personnifiés en idée et s’est mis à observer leur marche comme il aurait suivi la conduite d’un seul homme. […] Lui aussi n’envisage des factions, des nations entières, que comme un seul homme ; il les fait marcher devant lui et chanceler comme une femme ivre.
Quel homme brusque ! […] Quel homme brusque ! […] Quel homme brusque ! […] Cet homme est ennemi de la cérémonie. […] L’homme de génie, représentant d’une époque privilégiée, est le seul, d’un groupe nombreux, qui atteigne au sommet de la montagne ; mais ceux qui le précèdent, qui le soulèvent et le portent dans cette laborieuse ascension, et qui demeurent en route, concourent à son succès et associent leur mémoire à la sienne.
Si nous prenons un homme de constitution moyenne, chez qui le travail de la pensée et l’excitation mentale ne demandent qu’une petite quantité de force, nous trouvons un meilleur état physique, une force et une résistance musculaire plus grandes, une digestion plus vigoureuse, bref une plus grande aptitude à supporter les fatigues physiques. — Au contraire, si le travail mental demande une grande quantité de force, alors il doit se faire, chez cet homme, une dépense disproportionnée d’oxydation dans le cerveau : il en revient d’autant moins aux muscles, à l’estomac, aux poumons, aux organes de sécrétion. […] L’homme actif, énergique, qui aime l’activité pour elle-même et qui agit dans toutes les directions, n’a point la délicatesse et la discrétion d’un autre homme qui n’aime point l’activité pour elle-même et qui est énergique seulement sous l’aiguillon des fins spéciales qu’il poursuit. […] Il y a là une incompatibilité dont on se rend mieux compte en se demandant si les hommes d’une extrême sociabilité sont des penseurs profonds ou originaux, s’ils font de grandes découvertes ; ou bien si leur grandeur ne se borne pas aux sphères où la sensibilité joue un rôle — la poésie, l’éloquence, l’influence sociale. » Voilà bien des questions posées et qu’aujourd’hui nul assurément ne peut tenter de résoudre.
Impuissants à faire revivre en eux l’âme antique, les hommes de la Révolution en ont été réduits à imiter les Romains et les Grecs par les côtés extérieurs. […] Il semble que grâce à la découverte d’un trésor accumulé par l’effort des meilleurs hommes de l’Humanité, la tâche des hommes du moyen âge, en mal d’enfanter eux-mêmes Une civilisation, ait été soudainement allégée. […] La faculté d’inventer des formes originales, ce qui est proprement la génialité, y fut poussée au plus haut point, tant chez quelques grands hommes que parmi la foule anonyme. […] Il n’en reste pas moins qu’ayant découvert la Vénus hellénique, l’homme du xvie siècle fut fasciné par sa splendeur et il est aisé de relever dans notre littérature, dans notre architecture et dans nos arts plastiques les déviations que subit le génie national du fait de cette admiration.
Méditant ce petit traité littéraire et didactique, il était encore dans cette mystérieuse ivresse de la composition, instant bien court, où l’auteur, croyant saisir une idéale perfection qu’il n’atteindra pas, est intimement ravi de son ouvrage à faire ; il était, disons-nous, dans cette heure d’extase intérieure, où le travail est un délice, où la possession secrète de la muse semble bien plus douce que l’éclatante poursuite de la gloire, lorsqu’un de ses amis les plus sages est venu l’arracher brusquement à cette possession, à cette extase, à cette ivresse, en lui assurant que plusieurs hommes de lettres très hauts, très populaires et très puissants, trouvaient la dissertation qu’il préparait tout à fait méchante, insipide et fastidieuse ; que le douloureux apostolat de la critique dont ils se sont chargés dans diverses feuilles publiques, leur imposant le devoir pénible de poursuivre impitoyablement le monstre du romantisme et du mauvais goût, ils s’occupaient, dans le moment même, de rédiger pour certains journaux impartiaux et éclairés une critique consciencieuse, raisonnée et surtout piquante de la susdite dissertation future. […] Il eût pu, à la vérité, emprunter d’autres couleurs sur la même palette, et jeter ici quelques bonnes pages bien philanthropiques, dans lesquelles — en côtoyant toutefois avec prudence un banc dangereux, caché sous les mers de la philosophie, qu’on nomme le banc du tribunal correctionnel — il eût avancé quelques-unes de ces vérités découvertes par nos sages pour la gloire de l’homme et la consolation du mourant ; savoir : que l’homme n’est qu’une brute, que l’âme n’est qu’un peu de gaz plus ou moins dense, et que Dieu n’est rien ; mais il a pensé que ces vérités incontestables étaient déjà bien triviales et bien usées, et qu’il ajouterait à peine une goutte d’eau à ce déluge de morales raisonnables, de religions athées, de maximes, de doctrines, de principes qui nous inondent pour notre bonheur, depuis trente ans, d’une si prodigieuse façon qu’on pourrait — s’il n’y avait irrévérence — leur appliquer les vers de Regnier sur une averse : Des nuages en eau tombait un tel degoust, Que les chiens altérés pouvaient boire debout. Du reste, ces hautes matières ne se rattachaient pas encore très visiblement au sujet de cet ouvrage, et il eût été fort embarrassé de trouver une liaison qui l’y conduisît, quoique l’art des transitions soit singulièrement simplifié depuis que tant de grands hommes ont trouvé le secret de passer sans secousse d’une échoppe dans un palais, et d’échanger sans disparate le bonnet de police contre la couronne civique. […] Il lui reste à remercier les huit où dix personnes qui ont eu la bonté de lire son ouvrage en entier, comme le constate le succès vraiment prodigieux qu’il a obtenu ; il témoigne également toute sa gratitude à celles de ses jolies lectrices qui, lui assure-t-on, ont bien voulu se faire d’après son livre un certain idéal de l’auteur de Han d’Islande ; il est infiniment flatté qu’elles veuillent bien lui accorder des cheveux rouges, une barbe crépue et des yeux hagards ; il est confus qu’elles daignent lui faire l’honneur de croire qu’il ne coupe jamais ses ongles ; mais il les supplie à genoux d’être bien convaincues qu’il ne pousse pas encore la férocité jusqu’à dévorer les petits enfants vivants ; du reste, tous ces faits seront fixés lorsque sa renommée sera montée jusqu’au niveau de celles des auteurs de Lolotte et Fanfan ou de Monsieur Botte, hommes transcendants, jumeaux de génie et de goût, Arcades ambo ; et qu’on placera en tête de ses œuvres son portrait, terribiles visu formæ , et sa biographie, domestica facta .
Quoique placé depuis plusieurs années dans les rangs, sinon les plus illustres, du moins les plus laborieux, de l’opposition ; quoique dévoué et acquis, depuis qu’il avait âge d’homme, à toutes les idées de progrès, d’amélioration, de liberté ; quoique leur ayant donné peut-être quelques gages, et entre autres, précisément une année auparavant, à propos de cette même Marion de Lorme, il se souvint que, jeté à seize ans dans le monde littéraire par des passions politiques, ses premières opinions, c’est-à-dire ses premières illusions, avaient été royalistes et vendéennes ; il se souvint qu’il avait écrit une Ode du Sacre à une époque, il est vrai, où Charles X, roi populaire, disait aux acclamations de tous : Plus de censure ! […] Il fit ce que tout homme de cœur eût fait à sa place. […] C’est quelque chose, c’est beaucoup, c’est tout pour les hommes d’art, dans ce moment de préoccupations politiques, qu’une affaire littéraire soit prise littérairement. […] Les hommes que les cheveux blancs avertissent et devant qui le temps s’abrège ont des œuvres à terminer, sortes de testament de leur esprit. […] L’homme a des devoirs envers sa pensée.
Il fut soldat, peintre, sculpteur, philosophe, orateur, poëte, grammairien, sçavant, homme sur tout à bons mots, à grandes maximes. […] Il avoit connu les passions comme les autres hommes, & les avoit même eues plus vives. […] Accoutumé depuis long-temps à braver toutes les bienséances ; à mettre au théâtre des faits connus, des actions vraies, avec les noms, les habits, les gestes, & même les visages des citoyens par des masques très-ressemblans ; à n’épargner personne ; à ridiculiser les premiers de l’état, les généraux d’armée & les juges de l’aréopage ; il ne crut pas devoir respecter beaucoup un sage qui s’oublioit lui même, & qu’il accusoit de n’avoir que l’apparence de grand homme. […] Cet oracle de Delphes, qui l’avoit nommé l’homme de la Grèce le plus sage ; cette fureur de décrier toutes les sectes, & de n’en avoir aucune ; cette antipathie pour tout ce qui étoit mode, agrémens, magnificence, plaisirs, fêtes ; ses goûts suspects ; ses tracasseries de ménage ; le prétendu démon duquel il se disoit inspiré ; tout, jusqu’à sa naissance & sa profession, fournissoit des armes contre lui. […] Après s’être prodigieusement vanté lui-même, il faisoit la satyre des hommes & celle des dieux.
I Il est des hommes doués de perceptions exceptionnelles qui découvrent des sources : l’eau, si profondément enfouie qu’elle soit, les attire. […] Les hommes de talent mesuré, dont la phrase sort de premier jet du cerveau, calme et équilibrée, ne connaissent point ces tensions fiévreuses, ces bonheurs, ces promenades d’idées ou de forme qui faisaient sortir Jean-Jacques Rousseau de sa mansarde pour courir après le porteur d’un billet de dix lignes dans lesquelles l’auteur des Confessions croyait avoir employé un mot impropre. […] Quand il s’adresse au public, il prend des tons de général Bonaparte à la bataille des Pyramides ; en particulier, l’homme se montrait parfois aussi inquiet sur la durée de son œuvre qu’un grand artiste qui constate que les couleurs qu’il emploie détruiront sa toile et ne laisseront guère plus de traces du tableau que si un liquide corrosif y avait été jeté. […] De là des milliers de corrections, des intercalations de feuillets manuscrits, un dénouement entièrement nouveau, tous les pétards que ce Ruggieri tirait sur ses épreuves, toutes les bombes que l’homme, sans cesse en état de défense, lançait sur les marges pour protéger une œuvre qu’il ne jugeait pas suffisamment défendue. […] Je te ferme ma porte… Mais toi, pauvre grand homme qui as usé tes genoux à poursuivre l’art, prends place au milieu des penseurs et couvre-toi de cette couronne glorieuse.
Cette recitation ne laissoit pas d’être composée, puisqu’elle étoit soûtenuë d’une basse continuë, dont le bruit étoit proportionné, suivant les apparences, au bruit que fait un homme qui déclame. […] Personne n’ignore que Roscius, le contemporain et l’ami de Ciceron, étoit devenu un homme de consideration par ses talens et par sa probité. […] Enfin la plus grande loüange qu’on donnât aux hommes qui excelloient dans leur art, c’étoit de dire qu’ils étoient des Roscius dans leur genre. […] On le loüoit de bien plaider, dans les vers galands qu’on faisoit pour lui, namque… etc. dit Horace en parlant à Venus d’un de ces hommes du bel air. […] Thrasea Poetus cet illustre senateur romain que Neron fit mourir, lorsqu’après avoir fait perir tant d’hommes vertueux, il voulut extirper la vertu même, avoit joüé dans une tragedie representée sur le théatre de la ville de Padouë dont il étoit.
… Assurément, c’est très bien que de fusiller toutes ses sottises, quand on est un homme ; mais il ne faut pas qu’une seule en réchappe… Il faut les laisser toutes bien réellement mortes sur la place. […] L’homme ébauché borne l’artiste. […] … J’ai déjà dit que le moraliste, l’homme plus haut que ce qu’il voit et qui le juge, n’était pas en lui. […] Comme écrivain (uniquement comme écrivain, bien entendu), Vallès est le jeune homme dont Proudhon est l’homme fait. […] Littérature étrangère, XIIe vol. des Œuvres et des Hommes, ce jugement sur Poe modifié par d’ultérieures lectures.
D’un autre côté, la Critique, qui doit tenir compte de tout, n’a pas de pistolet à mettre sur la gorge pour forcer un homme à avoir du génie, et presque tous, quand nous n’avons pas du génie, nous commençons par l’imitation en toutes choses. […] il y a en lui un autre homme que l’imitateur. […] Il y a enfin dans Erckmann-Chatrian tout le contraire de ce qu’il cherche : — un homme de la réalité, de la lumière, du plein jour, un coloriste naïf et parfois vaillant, qui trémousse la couleur sur la palette et la jette sur sa toile avec une brutalité joyeuse et souvent heureuse. Erckmann-Chatrian est même tellement l’homme de la réalité, qu’il touche au réalisme et qu’il pourrait y entrer… par la porte du cabaret qu’il aime… Mais c’est un réaliste que voilà averti maintenant et qui prendra garde ; car il ne nous produit pas l’effet d’avoir le parti pris de ceux-là qui se sont fait un système avec les objections naturelles de leur esprit. […] Si Erckmann-Chatrian avait eu la moindre puissance fantastique, il l’aurait prouvé dans cette histoire si bien commencée, entre cet homme atteint d’une maladie sans nom, qui hurle comme un loup blessé au fond de son château féodal, et dont les crises deviennent de plus en plus épouvantables à mesure que s’avance dans la plaine, à travers les neiges, la vieille sorcière, ou plutôt la vieille inconnue, que la terreur de tout le pays a surnommée la Peste Noire.
Terre promise), chez Vogüé; chez tant d’hommes réfléchis du Collège de France, de la Sorbonne, de l’Institut. […] Je sais que nous y trouverions des faits, des renseignements de tous ordres, des discussions d’hommes et nullement un journal intime. […] Je ne veux pas être une pensée mutilée, fragmentaire, dans l’universelle raison, un être isolé dans la communauté des hommes : j’entends servir la société et non point par goût des louanges, ni par désir d’être aimé, ni par sympathie pour mes contemporains, mais parce que le monde est un et que je veux me conformer à ses lois, qui sont d’ailleurs harmonieuses avec ma raison. […] Aujourd’hui comme jadis, il me paraît très profond le mot de l’homme que j’ai le plus estimé, de ce Franz Wœpke qui disait : « J’ai pris la vie par le côté poétique. » Sous le nom de Paul, dans les Philosophes classiques 2, puis dans le musicien du dernier chapitre de Graindorge, et ailleurs encore, bien souvent, j’ai décrit cette résignation, ce calme, cette politesse, ce labeur désintéressé. […] aujourd’hui, au terme de ma course, je prends la résolution de donner mon suprême témoignage à une religion, parce qu’elle donne satisfaction à ma conception poétique de la vie et parce qu’elle aide à refréner les tendances naturelles des hommes qui sont la brutalité et l’égoïsme.
Cet homme méritait-il vos railleries ? […] Les hommes dorment là-bas ? […] s’écria le grand homme. […] Un homme de tant de flair qui a si bien jugé leur ennemi ! […] s’écrie le grand homme ; mais c’est un suicide.