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648. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Mais il existe dans le monde une force, une grâce, une influence, toujours présente, toujours vivante ; une puissance anonyme et charmante qui résiste à nos variations sociales. […] Les forces ! […] Dès qu’il vit que tout ce qu’il avait tenté pour augmenter ses forces avait produit un effet contraire, la rage s’est emparée de son âme. […] Il nous peint cette unité chrétienne se conservant, dès le principe, par sa seule force, malgré l’absence de textes écrits et la diversité des génies qui concourent à la propager. […] De là aussi, lorsque arrive l’inévitable moment de la résistance, ces éclats, ces ruptures, ces colères de la force irritée d’échouer contre cette faiblesse, et finalement vaincue par elle, parce que cette force est de l’homme et que cette faiblesse est de Dieu.

649. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Nous menons par la bride les grandes forces de la nature ; nous combinons, nous transformons la matière. […] La force de M.  […] N’y-a-t-il pas dans Wilhelm Meister un prince de cette force ? […] Beaucoup de gens considéreraient certainement cela comme au-dessus de leurs forces. […] J’ai eu bien soin de garder mon chapeau à la main, pour faire contraste : la faiblesse inclinée devant la force.

650. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Une nouvelle méthode d’évaluation des forces institue de plus grands changements dans la nature que le jeu même des forces naturelles. […] Sa force, pour se maintenir égale et toujours prête, n’a besoin d’aucun entraînement. […] La question est de densité, de force musculaire et d’adhérence. […] Il les réduit à une seule, l’idée de force. […] Elle a la pureté de l’air des sommets ; elle augmente la force vitale.

651. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Il recommande la modération, si nécessaire à la force. […] Au lieu de consulter mes forces, je me suis fié à mes intentions connues et à une ancienne indulgence. […] Une force éternelle a fait tout ce que tu vois, et le renouvelle sans cesse. […] Or, étant une cause absolue, elle n’a pas besoin d’une force étrangère pour se développer. […] deux grandes forces, centripète et centrifuge, à la fois opposées et liées entre elles.

652. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Mais la vie est dans tous les mouvements et dans toutes les formes ; car chaque mouvement révèle une force qui s’exprime, et chaque forme révèle une force qui s’est exprimée. […] Il discernait jusque chez eux l’âme et le caractère ; il voyait comme Virgile le port majestueux du chêne, et peignait en vers grandiose « son front au Caucase pareil, bravant l’effort de la tempête. » Il lui donnait l’orgueil qui convient à la masse de son tronc, à l’ampleur de son feuillage, au calme et à la force uniforme de sa longue végétation. […] Il atteint la force, la clarté, l’élégance, tout, excepté la vie. […] Aussitôt que la face des jours printaniers s’est découverte et que le souffle fécond du zéphyr délivré est dans sa force, les oiseaux de l’air, les premiers, ô déesse, annoncent ta venue, le coeur frappé par la puissance. […] « Comme des loups nourris de chair crue, qui ont dans le coeur une force invincible, ils ont dépecé dans les montagnes un grand cerf aux longues cornes ; ils le dévorent ; leurs joues sont rougies de sang.

653. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Il est assis comme l’éternité : d’une main, il tient les lois, symbole de la société ; de l’autre il tient sa barbe touffue, symbole de la force ; cette barbe descend en ondes si épaisses, si prodigues et si harmonieusement tressées sur sa poitrine, qu’on croit voir découler dans la multitude des tresses, des ondes, des poils qui les composent, la multitude innombrable des générations du peuple de Dieu. […] Bramante pâlit de terreur ; Raphaël, qui s’était glissé dans la chapelle, confondu dans la suite du pape, oublia tout ce qu’il avait appris jusqu’à ce jour et comprit que la force faisait partie de la beauté, dans l’art comme dans la nature. […] XII Michel-Ange, revenu à Florence dans toute la force de ses années, de sa renommée, de sa faveur chez les Médicis et de son génie, s’y consacra tout entier à ses tombeaux de San Lorenzo. […] On s’étonne que cette force du Titan du marbre et du pinceau puisse se plier, s’attendrir et s’efféminer jusqu’à la rêverie mystique et jusqu’à la dévotion langoureuse de l’amour divin. […] L’homme de génie purement littéraire, qui n’a pour œuvre que de sentir, de penser et de reproduire ses sentiments et ses pensées par la parole, peut concentrer toute sa force intellectuelle dans le siége inconnu de l’intelligence, et n’offrir aux yeux, sur son visage, que le miroir lucide et presque immatériel de sa pensée, la force de son âme est souvent attestée par la délicatesse et par l’immatérialité de son corps, la matière n’est qu’un poids pour lui ; plus son intelligence s’en affranchit, plus elle est intellectuelle.

654. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

L’âme du monde féodal se dissout : les principes qui faisaient sa force, se dessèchent ou se corrompent. […] Elle n’a plus de Rolands ni même de Lancelots : à force d’élever, de raffiner l’idéal chevaleresque, elle l’a résolu en un héroïsme de parade, pompeux et vide. […] La force du roi, c’est d’incarner pour le peuple l’unité de la conscience nationale, de représenter pour les lettrés la doctrine romaine de l’État souverain. […] L’abandon, les défaillances des classes d’où l’on était habitué de recevoir une direction, le spectacle et les exemples de leur dégradation, répandent partout un matérialisme cynique, un scepticisme désolant, le culte de la force, de la ruse plus que de la force, du succès plus que de tout. […] Par-dessus les rondeaux simples ou doubles, par-dessus les virelais et chants royaux, il admire la ballade « équivoque et rétrograde », où la dernière syllabe de chaque vers donne le premier mot du vers suivant : vrai tour de force en effet, et acrobatie poétique.

655. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Il n’y a pas dans Athalie de contrastes de cette force ; mais Esther est bien étonnante. […] Il arrive parfois (et la tragédie n’exprime que des passions exceptionnelles au moins par leur degré) que sous l’homme civilisé surgisse un sauvage poussé par la force aveugle des nerfs et du sang. […] En un sens, rien de plus vrai ni de plus philosophique que la tragédie, qui nous montre les forces élémentaires, les instincts primitifs déchaînés sous la plus fine culture intellectuelle et morale. […] On sait que l’on subit une force mauvaise, que l’on déchoit, que l’on se perd, et l’on ne s’en perd pas moins. […] Et, pour le dire en passant, qu’importe que nous concevions mal la force de cette tradition romaine à laquelle se soumettent Titus et Bérénice ?

656. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Mais quiconque a fait le mal comme cet homme, il a beau cacher ses mains sanglantes, nous lui apparaissons avec force et puissance, incorruptibles témoins des morts, créancières du sang répandu. […] » — C’est le génie de la guerre triomphant de sa force inintelligente et brutale, la tactique qui défait la masse, la fronde de David abattant Goliath. […] Homme par la force et par le génie, femme par l’adresse et par la finesse : Platon n’a pas autrement rêvé son Androgyne idéal que l’instinct primitif ne l’avait conçue. […] Un héros interrompt un instant cette série néfaste ; l’inévitable malédiction le force bientôt à la renouer. […] De force ou de gré, le hardi Prophète convertit à la justice le Dieu foudroyant d’Israël.

657. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Il faut un talent infini, pour transporter ce sentiment, de la vie au théâtre, en lui conservant toute sa force ; mais quand on y est parvenu, l’effet qu’il produit est d’une plus grande vérité que tout autre : ce n’est pas au grand homme, c’est à l’homme que l’on s’intéresse ; l’on n’est point alors ému par des sentiments qui sont quelquefois de convention tragique, mais par une impression tellement rapprochée des impressions de la vie, que l’illusion en est plus grande. […] Plusieurs de ses caractères sont peints avec les seuls traits admirés dans ces siècles où l’on ne vivait que pour les combats, la force physique et le courage militaire. […] La folie, telle qu’elle est peinte dans Shakespeare, est le plus beau tableau du naufrage de la nature morale, quand la tempête de la vie surpasse ses forces. […] Mais ce que Shakespeare a peint avec une vérité, avec une force d’âme admirable, c’est l’isolement.

658. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Or, pour créer ces apparences, le moi ou l’esprit fait un usage constant des deux procédés que l’on a décrits ; il utilise à son service ces deux forces que l’on a montrées modelant la matière objective par les rapports qu’elles soutiennent entre elles. D’un geste analytique il divise et délimite : c’est ainsi qu’il distingue la perception de la sensation ; mais, pour distinguer les formes objectives en lesquelles il imagine les causes de son propre changement, pour préciser les modifications où il prend conscience de lui-même, pour les différencier les unes des autres, il modère cette force de dissociation qu’il a tout d’abord déchaînée et contraint, par un geste contraire, quelques parties de cette substance, qui va se désagrégeant, à s’associer selon des combinaisons variables, d’une durée plus ou moins longue, d’une solidité plus ou moins grande, selon qu’il les comprime avec plus ou moins de force. […] L’utilité qui les a formées les laisse sans force dès qu’elle cesse de les vivifier.

659. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Il sait que la persévérance est une force. Cette force, on peut toujours l’ajouter à sa faiblesse. […] Depuis douze ans, il a écrit ainsi force lettres sur la France, la Belgique, la Suisse, l’Océan et la Méditerranée, et il les a oubliées. […] Quelquefois, à force d’étudier le présent, on rencontre quelque chose qui ressemble à l’avenir.

660. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

La suprême intelligence, qui est ici-bas le grand homme, quelle est la force qui l’évoque, l’incorpore et la réduit à la condition humaine ? […] Il semble qu’il soit le point d’intersection de toutes les forces. […] qui les approvisionne de force, de patience, de fécondation, de volonté, de colère ? […] Mécaniquement infatigable, tu pourrais être à bout de forces dans l’ordre intellectuel et moral !

661. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre IV : Règles relatives à la constitution des types sociaux »

Chez les animaux, en effet, un facteur spécial vient donner aux caractères spécifiques une force de résistance que n’ont pas les autres ; c’est la génération. […] Il y a une force interne qui les fixe en dépit des sollicitations à varier qui peuvent venir du dehors ; c’est la force des habitudes héréditaires. […] Les attributs distinctifs de l’espèce ne reçoivent donc pas de l’hérédité un surcroît de force qui lui permette de résister aux variations individuelles.

662. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Il faudrait également que je caractérisasse à la fois et Delille que nous venons de perdre, et M. de Chateaubriand qui est encore dans la force du talent, doués, l’un d’une immense richesse de détails poétiques, l’autre d’une imagination vaste et féconde, placés tous les deux sur les derniers confins de notre ancien empire littéraire, et venant terminer d’une manière admirable toutes les traditions de notre double langue classique dont le règne va finir : ce qu’il y a de plus remarquable dans l’association que je fais ici de ces deux noms, c’est que leurs ouvrages, honneur éternel de cette époque, sont à la fois des monuments littéraires et des monuments de nos anciennes affections sociales. […] Nous luttons, en ce moment-ci, de toutes nos forces, contre l’invasion de la littérature romantique ; mais les efforts mêmes que nous faisons prouvent toute la puissance de cette littérature. […] Mais, ce qu’il est permis d’affirmer dès à présent, c’est que si l’on peut gagner des avantages dans des combats partiels contre la force des choses, jamais on ne remportera de victoire décisive. […] Que serait-ce donc si j’embrassais tous les ouvrages de Bossuet ; si je descendais avec lui dans l’arène de cette haute polémique où il consuma une partie de ses forces ; si j’interrogeais avec lui les oracles des anciens jours, afin de m’initier moi-même et d’initier mon lecteur aux secrets de cette Politique sacrée que l’on croirait appartenir à un autre âge, tant pour les princes que pour les peuples ; si je m’élevais sur ses ailes à la contemplation des mystères du christianisme ; si je creusais avec son analyse lumineuse et pénétrante les profondeurs d’un mysticisme exalté où s’égarèrent quelques âmes tendres ?

663. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Ils craignent de s’aventurer dans un désert, parce qu’ils ne peuvent pas faire sortir du milieu d’eux un guide, et ils restent ainsi isolés et dépourvus de la force d’ensemble. […] Les générations se succédant les unes aux autres, sans aucune interruption, ils ne voient pas d’instant où une génération puisse sortir, d’elle-même, par ses propres forces, et tout à coup, des liens dont elle est entourée, puisse adopter simultanément d’autres règles que celles qui ont régi les générations précédentes. […] Ici nous nous trouverions de nouveau sur la route du développement d’une doctrine que nous avons déjà regardée comme au-dessus de nos forces, celle de la solidarité. […] Ainsi la société, à présent qu’elle est établie, peut se soutenir d’elle-même, et par la seule force du principe primitif en vertu duquel elle existe.

664. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Tombé dans la fleur de sa force (il avait trente-six ans), ce jeune homme, ce Français, appartenait aux vieilles familles politiquement déchues, mais qui ont encore de ces descendants dans leur déchéance. […] À force d’activité, de fermeté et de volonté maîtrisante, il avait obtenu la concession ; mais ce fut quand il s’agit de l’exploiter qu’il put juger de la mauvaise foi du gouvernement auquel il avait affaire et des dispositions générales du pays contre cet incroyable gouvernement. […] si toutes les qualités et toutes les forces pouvaient créer les circonstances comme elles ont l’art d’en profiter, Raousset serait dans l’opinion un grand homme comme il l’est pour nous… N’est-on pas potentiellement un grand homme quand on a une grande âme, et d’ailleurs qui niera que le vainqueur d’Hermosillo n’ait agi ? […] Si les enfants tombaient quelque jour dans les idées ridiculement irréligieuses que j’ai eues quelquefois moi-même, fais-leur lire cette lettre et dis-leur que l’oncle Gaston qui, plein de vie, de force et de raison, est mort entre les mains d’un prêtre, était cependant un homme intrépide… » Comparez en beauté morale, et même en beauté dramatique, la mort de Raousset à celle de Lara, et vous verrez si la vérité historique n’est pas plus grande que l’invention du grand poète !

665. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Je sais bien que les littérateurs qui ne sont que littérateurs n’en conviendront pas, ni non plus le vulgaire des hommes ; mais c’est là la raison qui le prouve, au contraire, si l’on veut avec force y penser. […] Elle était née sans aucune mémoire, sans aucune imagination, disait-elle, et de plus parfaitement incapable de discourir avec l’entendement ; mais la Prière, la Prière plus forte que toutes les sécheresses, lui donna toutes les facultés qui lui manquaient ; car la Prière a fait Térèse, plus que sa mère elle-même : « Je suis en tout de la plus grande faiblesse, — dit-elle, — mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et, sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères : quatorze d’hommes et seize de filles. […] Dans ses ardeurs vers Dieu, le feu qui la consume, ce feu mystique, est blanc comme la neige, à force d’être concentré, et voilà pourquoi les âmes accoutumées à la grossièreté de la terre et à l’expression violente et morbide de ses passions peuvent trouver sans couleur et sans fulgurance cette flamme divinisée en Dieu, et qui a perdu l’écarlate de la flamme humaine ! […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.

666. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

A force d’agir sur la langue, à ne voir que ses lignes, ses contours, le brisement ou l’assouplissement de son mètre, la plénitude de ses échos, Banville n’est plus qu’un artiste qui joue d’un instrument quelconque. […] Dans l’état actuel de son talent, Théodore de Banville n’a pas cette magistralité, cet ascendant devant lequel la curiosité — littéraire ou non — s’éveille comme devant le mystère étonnant d’une grande force. […] Les dernières pièces du recueil indiquent une croissance, une épuration et une acquisition de force incontestables dans le genre de talent qu’il a, et quoique les défauts de ce talent, que nous allons caractériser tout à l’heure, tiennent bien plus à des indigences qu’à des abus de facultés, qui sait ? […] III Elles meurent justement parce qu’elles sont des écoles, parce que la poésie collective, la poésie analogue, qui se tient et qui se ressemble par une communauté de parti pris ou de doctrines, est une poésie qui s’épuise vite, — les hommes de talent qui se donnent à elle, par cela même qu’ils se donnent, n’étant pas de force à la renouveler.

667. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Certains forçats, rêveurs perpétuels d’évasions, finissent par faire de la force et de l’adresse combinées une véritable science. […] Lui, cette pauvre force tout de suite épuisée, il combat l’inépuisable. […] L’objection reste dans sa force et surtout dans sa séduction par le talent du raisonnement. […] Elle meurt dans ses bras, elle lui lègue Cosette, cette enfant abandonnée par force dans l’auberge des Thénardier. […] Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et, sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément.

668. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Mais il le trouve tout fait ; dès lors sa force productive, dénuée d’objet, s’atrophie comme toute puissance non exercée. […] Ce sera l’histoire d’un être, se développant par sa force intime, se créant et arrivant par des degrés divers à la pleine possession de lui-même. […] Nous n’admirons qu’à la condition de nous reporter au temps auquel appartiennent ces monuments, de nous placer dans le milieu de l’esprit humain, d’envisager tout cela comme l’éternelle végétation de la force cachée. […] Ce n’est pas précisément la fleur qu’il admire, c’est la vie, c’est la force universelle qui s’épanouit en elle sous une de ses formes. […] Car ils ne voient pas la force divine qui végète dans toutes les créations de l’esprit humain.

669. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

La Lecture des Saints Peres avoit enrichi son esprit de cette abondance de preuves qu’il développe avec supériorité, & auxquelles son génie ajoute une nouvelle force, qui les met dans un jour nouveau, & plus frappant que dans leur source même. […] Bourdaloue le firent estimer de Louis XIV, & donnoient une nouvelle force à ses prédications.

670. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5

On a de celui-ci un Poëme de huit cents vers, dédié à Madame la Duchesse d’Aiguillon, où la force de la poésie & l’aisance de la versification annoncent le vrai talent de l’Epopée, dans laquelle il eût réussi mieux que bien d’autres qui ont osé courir cette carriere. […] S’il est de la même force que celui dont nous venons de parler, on ne peut trop répéter que ce Poëte a droit de se plaindre de l’oubli général où ses Ouvrages sont ensevelis.

671. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

On y trouve cette belle Strophe : De la contrainte rigoureuse Où l’esprit semble resserré, Il reçoit cette force heureuse Qui l’éleve au plus haut degré. Telle, dans des canaux pressée, Avec plus de force élancée, L’onde s’éleve dans les airs : Et la regle, qui semble austere, N’est qu’un art plus certain de plaire, Inséparable des beaux Vers.

672. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Cochin » p. 332

Il ne sait pas peindre ; la magie des lumières et des ombres lui est inconnue, rien n’avance, rien ne recule ; et puis comparé à Bouchardon, à d’autres grands dessinateurs, je trouve qu’il emploie trop de crayon, ce qui ôte à son faire de la facilité, sans lui donner plus de force. […] Il faudrait un génie rare, un talent extraordinaire, une force d’expression peu commune, une grande manière de traiter de plats vêtemens, pour conserver aux actions de la dignité.

673. (1926) L’esprit contre la raison

En juillet 1925, dans Les Cahiers idéalistes n°12, le Surréalisme devient la « Rédemption nouvelle », et ses membres ne sont plus aveuglés par les forces obscures mais font appel « à la force tout court », celle de notre inconscient. […] Lautréamont n’a-t-il pas dit : « La poésie peut être faite par tous, non par un. » Commentant cette phrase, Paul Éluard écrit : « La force de la poésie purifiera les hommes, tous les hommes. […] Les projections réelles de leurs œuvres, nul ne saurait en mesurer la force, la lumière, les progrèsbj. […] Mais la suite de la phrase montre que le bon patriote français ne diffère en rien de son épouvantail — « le boche » — dans son culte des apparences clinquantes, des démonstrations de force et du scientisme capitaliste. […] La force absolue de la poésie purifiera les hommes, tous les hommes.

674. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Il en fera toujours sa beauté, sa force et sa gloire. […] Je sais que Dieu peut lui redonner la force et la vie par un miracle. […] Il convient de le dire avec force dans une oraison funèbre telle que celle-ci. […] C’était bien, mais, encore une fois, il aurait fallu la force et quelle force ! […] Jugez de la force destructive d’une telle conspiration.

675. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il n’avait que dédain pour ceux qui rapportaient l’origine d’une si grande secousse à tel objet particulier de leur dépit ou de leur aversion : L’heure des révolutions sonne, messieurs, disait-il (et c’est dans un discours qu’il eut à prononcer comme préfet à l’ouverture du lycée de Clermont sous l’Empire), — l’heure des révolutions sonne quand la succession des temps a changé la valeur des forces qui concourent au maintien de l’ordre social, quand les modifications que ces forces ont subies sont de telle nature qu’elles portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs ; quand les changements, imperceptiblement survenus dans les mœurs des peuples et la direction des esprits, sont arrivés à tel point qu’il y a contradiction inconciliable et manifeste entre le but et les moyens de la société, entre les institutions et les habitudes, entre la loi et l’opinion, entre les intérêts de chacun et les intérêts de tous ; quand enfin tous les éléments sont parvenus à un tel état de discorde qu’il n’y a plus qu’un conflit général qui, en les soumettant à une nouvelle épreuve, puisse assigner à chaque force sa mesure, à chaque puissance sa place, à chaque prétention ses bornes… Cette manière élevée de considérer les choses contemporaines comme si elles étaient déjà de l’histoire, dispense de bien des regrets dans le passé et de bien des récriminations en arrière. […] Jeune encore, ou dans la force de la vie, ayant des élèves et des auxiliaires distingués, retrouvant partout des amis, il se livra avec enthousiasme à l’étude complète de ces nobles et gracieuses beautés pyrénéennes, et de tout ce qu’elles recèlent de trésors pour le géologue, le minéralogiste, le botaniste. […] (c’est-à-dire Louis Ramond), et un autre au nº xxv (25 mars 1792), signé des mêmes initiales, et où les sophismes de Condorcet dans sa Chronique, au sujet des crimes d’Avignon, sont réfutés avec force et netteté.

676. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

comme il manie les masses vocales et instrumentales ; quel bonheur dans le retour du mot Credo qui revient incessamment après chaque période musicale, comme une énergique et solennelle affirmation 1 quelle force ! […] Quinet sur la philosophie de l’histoire et sur la formation de l’unité française en particulier, il est à la hauteur de la question ; et toutes les fois qu’il lui arrive ainsi de relever le gant, dans un sens ou dans un autre, il se montre de force à la réplique. […] Guéroult croit trop à l’influence et à la vertu d’un gouvernement, pas assez aux forces vitales, et par elles-mêmes si efficaces, de la liberté. […] Je ne nie pas que, sur certaines questions d’intérêt et d’utilité commune, où chacun peut être informé et renseigné, la voix de tous, dans nos siècles instruits et adoucis, n’ait sa part de raison et même de sagesse ; par la force même des choses et par le seul cours des saisons, les idées mûrissent. […] Le plus profond de nos moralistes, celui qui nous connaissait le mieux, a dit de l’homme en général ce qui est si vrai du Français en particulier : « Nous avons plus de force que de volonté. » Souhaitons que celle-ci ne nous fasse pas faute trop longtemps en bien des cas ; et, pour qu’elle soit efficace, il n’est rien de tel qu’un homme, une volonté déterminante et souveraine à la tête d’une nation.

677. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

On raconte le même tour de force de l’archevêque M. de Harlay. […] Ces out-law de la veille arrivaient à leur délivrance triomphante avec une force de détente et d’impulsion dont ils n’étaient pas maîtres, et proportionnée à la résistance, à la longue oppression qui avait pesé sur eux. […] Homme obscur, ignoré dans la république des lettres ; jeté, par cette force invisible qui maîtrise nos destinées, dans les agitations d’une vie errante et toujours malheureuse ; appelé, par un concours de circonstances extraordinaires, à des emplois redoutables, où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d’agir ; remplissant encore aujourd’hui des fonctions administratives, bien plus par l’amour de la justice et l’instinct du devoir que par la connaissance approfondie des principes sur lesquels nos grands maîtres ont établi l’art si difficile de l’administration publique ; demeuré, par une captivité longue et douloureuse, presque entièrement étranger aux nouveaux progrès que des savants recommandables ont fait faire à la science, mon premier devoir, Citoyens, est de faire ici l’aveu public de mon insuffisance, et de vous déclarer que tout ce que je puis offrir à cette Société respectable est l’hommage sincère, mais sans doute impuissant, de ma bonne volonté… » Et se voyant amené, par l’ordre des idées qu’il développait dans ce discours, à parler de la Révolution française, explosion et couronnement du xviiie  siècle, de « cette Révolution à jamais étonnante qui, déplaçant tout, renversant tout, après des essais pénibles, souvent infructueux, quelquefois opposés, avait fini par tout remettre à sa véritable place », il s’écriait, cette fois avec le plein sentiment de son sujet et avec une véritable éloquence : « La Révolution ! […] Jean-Bon Saint-André, porté et véritablement bombardé à la Convention par un parti longtemps combattu et qui avait comme enlevé sa nomination de vive force en demandant et en obligeant de faire l’élection à haute voix, y arrivait plein d’idées absolues, de rêves de progrès et d’amélioration immédiate. […] Le convoi était escorté par le contre-amiral Vanstabel31, trop faible pour lutter contre les croisières anglaises : il fut décidé que la flotte française sortirait de Brest commandée par Villaret-Joyeuse, irait au-devant du convoi attendu et combattrait au besoin les forces anglaises pour protéger son entrée.

678. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Il adresse à l’Académie des Sciences des mémoires « sur la mesure de la force motrice », « sur la nature et la propagation de la chaleur ». […] L’histoire humaine est chose naturelle comme le reste ; sa direction lui vient de ses éléments ; il n’y a point de force extérieure qui la mène, mais des forces intérieures qui la font ; elle ne va pas vers un but, elle aboutit à un effet. […] C’est un des ressorts de la nature qui reprend toujours sa force ; c’est lui qui a formé le code des nations, c’est par lui qu’on révère la loi et les ministres de la loi dans le Tunquin et dans l’île Formose comme à Rome. » Ainsi il y a dans l’homme « un principe de raison », c’est-à-dire un « instinct de mécanique » qui lui suggère les idées utiles343, et un instinct de justice qui lui suggère les idées morales. […] Ier. — Au commencement du dix-neuvième siècle, le perfectionnement de l’instrument mathématique est si grand, qu’on croit pouvoir soumettre à l’analyse tous les phénomènes physiques, lumière, électricité, son, cristallisation, chaleur, élasticité, cohésion et autres effets des forces moléculaires. — Sur les progrès des sciences physiques, voir Whewell, History of the inductive sciences, t. 

679. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Des textes et de la sèche érudition, il extrait la vie, vie de Cicéron, ou d’Horace, ou de Virgile, vie de la société romaine aussi en ses divers états, à ses diverses étapes : son style translucide atteint avec une égale aisance les formes sensibles et les invisibles forces, l’être individuel et l’âme collective. […] Dans cette Cité antique qui révèle la force des institutions religieuses parmi les sociétés antiques, je sens passer le même courant d’idées contemporaines que dans les études de Renan sur le christianisme ou de M.  […] Il y a là une étendue d’informations et une sobriété puissante d’exposition, une force d’idées dans l’enchaînement et l’interprétation des faits, cette plénitude concentrée enfin et cette fermeté robuste de style qui font les chefs-d’œuvre. […] Parmi les gens du monde, Mme de Rémusat, avec quelque diffusion et sans grande force de pensée, en a écrit de charmantes, qui sont d’un esprit éclairé, agile, fin connaisseur du monde : mais les plus originales, je crois, sont celles de ce Doudan947 qui vécut précepteur, puis ami, dans la famille de Broglie. […] Büchner : Force et matière. — Hæckel : Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles ; Anthropogénie. — Schopenhauer : le Monde comme Volonté et comme Représentation (trad.

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