Il faut nous arrêter un moment pour expliquer cette lutte. […] Il serait long de l’expliquer : mais j’ai déjà fait remarquer que toutes les doctrines qui ont demandé le plus à la volonté humaine ont posé en principe l’impuissance de la volonté ; elles ont ôté le libre arbitre et livré le monde à la fatalité. […] Seule de toutes les doctrines philosophiques et religieuses, la doctrine de la chute explique le contraste incompréhensible de grandeur et de bassesse, qui est le trait caractéristique de la nature humaine. […] Ce don de profondeur, qui est l’originalité propre de l’esprit de Pascal, apparaît à chaque page dans les Pensées, surtout dans celles qui se rapportent aux deux premières parties du plan précédemment expliqué. […] Toutes les remarques portent, et il n’y en a point qui ne donnent à penser longuement, quand il explique le mécanisme de l’amour-propre, ou qu’il montre l’imagination et les nerfs plus maîtres de nous que notre raison, quand il nous promène à travers le monde cherchant une morale fixe, des lois communes, quand il sonde l’institution sociale, le principe monarchique, pour ne trouver au fond, à l’origine, que la force, et qu’il autorise si superbement le respect traditionnel des lois, de la hiérarchie, de l’hérédité dynastique.
J’ai dit que son premier vice s’appelait Scribe et Dumas le père, et j’ai tâché de l’expliquer. […] En tous cas, ces sentiments mêmes restent à expliquer. […] Et elle explique son désenchantement à un vieil ami dans une confession singulièrement touchante. […] Ce serait trop long à vous expliquer. […] » Elle le somme de s’expliquer.
Alors on m’a expliqué que M. […] Pour vous l’expliquer, je dois vous offrir préalablement quelques détails. […] Volupté est un ouvrage singulièrement nommé pour être signé Sainte-Beuve, mais voici qui vous expliquera le choix de ce titre. […] À cela se réduit, avec le secret des pseudonymes et de ses collaborations déjà expliqué, tout ce que je sais sur son compte. […] Si l’aventure est réelle, voilà une raison qui explique l’emportement que met à s’en défendre M.
En revanche, les Mélanges du prince de Ligne, arrangés et publiés par Mme de Staël, « une vraie crème fouettée », obtiennent un succès fou ; ils ont jusqu’à trois et quatre éditions de suite dans la même année (1809) : « Et toute cette gloire, remarque Sismondi, a un peu consolé le vieux général des malheurs de sa patrie. » C’était l’année de Wagram en effet, et ce succès disproportionné qu’on faisait à un livre léger s’explique très-bien par la générosité française, j’aime à le croire, et aussi par ce goût d’opposition naturel de tout temps à certains salons. […] Dans une lettre à Channing, il analyse admirablement la disposition religieuse propre au XIXe siècle, en explique très-bien les origines, le point de départ, les fluctuations aussi ; « Les sentiments religieux, écrit-il (8 septembre 1831), ont été en progrès en France pendant le XIXe siècle, mais je ne sais si les efforts imprudents de ceux qui voudraient les ranimer ne les font pas, au contraire, reculer de nouveau aujourd’hui. […] Lui-même a eu besoin, pour comprendre et s’expliquer cette colère, de voir de près la lutte engagée dans d’autres pays arriérés qui retardaient sur 89 : « Je n’aurais point compris, je crois, cette disposition des esprits, la haine, le fanatisme antifanatique de l’école encyclopédique, si je n’avais passé une grande partie de ma vie en Italie, si je n’y avais vu régnante cette même hiérarchie que j’avais laissée persécutée en France. […] Sismondi appartient à la classe des historiens moraux ; il est trop porté à expliquer toutes choses, même celles d’un âge très-éloigné et d’une forme sociale toute différente, par les contrastes et les vicissitudes de liberté et de despotisme, de vertu et de corruption, qu’il entend au sens moderne.
Il faut sans doute comprendre et s’expliquer ce qui est venu après, ce qui en partie a défendu le pays en le souillant, en le mutilant ; il faut comprendre cela : mais notre admiration, notre estime, sauf de rares exceptions, est ailleurs. […] Chacun y est touché et marqué en quelques lignes ; ils passent tous l’un après l’autre devant nous dans leurs physionomies différentes, et le digne Sers (depuis sénateur), aimable philosophe, habitué aux jouissances honnêtes, mais lent, timide et par là même incapable en révolution ; et Gensonné si faible à l’égard de Dumouriez dans l’affaire de Bonne-Carrère, qui ne sait pas saisir le moment de perdre un homme quand il le faut ; avec trop de formes dans l’esprit et pas assez de résolution dans le caractère ; et l’estimable Guadet, au contraire trop prompt, trop vite prévenu ou dédaigneux, s’étant trompé d’ailleurs sur la capacité de Duranthon qu’il a poussé aux affaires, et ayant à tout jamais compromis son jugement par cette bévue sans excuse ; et Vergniaud qu’elle n’aime décidément pas ; trop épicurien, on le sent, trop voluptueux et paresseux pour cette âme de Cornélie : elle ne se permettrait pas de le juger, dit-elle, mais les temporisations subites de l’insouciant et sublime orateur ne s’expliquent pas pour elle, aussi naturellement que pour nous, en simples caprices et négligences de génie ; mais elle le trouve par trop vain de sa toilette, et se méfie, on ne sait pourquoi, de son regard voilé, qui pourtant s’éclairait si bien dans la magie de la parole. […] Mme Roland pressentait et ruinait d’avance ces justifications futures, quand elle lui écrivait de sa prison : « Fais maintenant de beaux écrits, explique en philosophe les causes des événements, les passions, les erreurs qui les ont accompagnés ; la postérité dira toujours : Il fortifia le parti qui avilit la représentation nationale, etc. » Quant à Brissot, nous adoptons tout à fait le jugement de Mme Roland sur lui, sur son honnêteté profonde et son désintéressement ; nous le disons, parce qu’il nous a été douloureux et amer de voir les auteurs d’une Histoire de la Révolution qui mérite de s’accréditer, auteurs consciencieux et savants, mais systématiques, reproduire comme incontestables des imputations odieuses contre la probité du chef de la Gironde. […] Roland, une lettre du 8 octobre, que nous livrons, ainsi expliquée, à la sensibilité des lecteurs.
Ce qu’il y a de plus difficile à expliquer, c’est la bonne contenance des dames anglaises aux pièces du grand poète. […] Chez nous, il arrive quelquefois encore qu’un personnage, en se présentant sur la scène, commence par décliner son nom ; plus souvent, il nous explique pourquoi il entre, pourquoi il sort. […] Il est difficile d’expliquer comment, avec un goût si décidé pour la plus fidèle représentation des hommes et de la nature, les spectateurs romantiques accueillent néanmoins tous les rêves de l’imagination, pourvu qu’ils soient extrêmement bizarres et n’aient aucune teinte classique. […] Personne encore ne nous a expliqué ni l’origine ni la valeur du mot romantisme on romanticisme : car il paraît qu’on nous laisse le choix des deux : autrefois on ne disait ni l’un ni l’autre ; de tels mots n’étaient pas français.
L’idée de différence suffit à expliquer la menace de dissociation que comporte, à l’égard de tout groupe, social organisé et anciennement constitué, l’acceptation d’une idée générale façonnée par un autre groupe. […] La science ayant expliqué par une causalité naturelle nombre de phénomènes qui avaient trouvé jusque-là dans la croyance une interprétation fabuleuse, l’autorité de la croyance s’en est trouvée amoindrie. […] Considérant la Grèce et Rome au début de l’époque historique, Fustel de Coulanges a fait voir en effet, et c’est là l’argument même de son livre, que ces cités sont gouvernées par des institutions et par des lois que rien n’explique si l’on n’en recherche l’origine dans une croyance disparue. […] Phidon de Corinthe, au ixe siècle, exigeait que le nombre des familles et des propriétés ne pût être changé, ce qui expliquait jusqu’à la prohibition pour chaque famille de partager sa terre.
Leur vie est à la fois naïve et sublime ; ils célèbrent les dieux avec une bouche d’or, et sont les plus simples des hommes ; ils causent comme des immortels ou comme de petits enfants ; ils expliquent les lois de l’univers, et ne peuvent comprendre les affaires les plus innocentes de la vie ; ils ont des idées merveilleuses de la mort, et meurent sans s’en apercevoir, comme des nouveau-nés. » Ce qu’il faut exclure, c’est la théorie qui, dans l’art, demeure indifférente au fond. […] Dès 1822, dans la préface aux Odes et Ballades, il explique pourquoi l’ode française est restée monotone et impuissante : c’est qu’elle a été jusqu’alors faite de procédés, de « machines poétiques », comme on disait alors, de figures de rhétorique, l’exclamation depuis et l’apostrophe jusqu’à la prosopopée ; au lieu de tout cela, il faut « asseoir la composition sur une idée fondamentale » tirée du cœur du sujet, « placer le mouvement de l’ode dans les idées, plutôt que dans les mots ». […] Rien ne m’explique, et seul j’explique l’univers : On croit me voir dedans, on me voit à travers ; Ce grand miroir brisé, j’éclaterais encore.
c’est là justement ce qu’il importe de dire, nous croyons que le succès de Mme de Longueville, succès qui, du reste, vaut le livre, peut s’expliquer très bien par des raisons qui ne sont nullement les mérites de M. […] Enfin, rien n’expliquerait une si ridicule folie, si ce n’est ceci qui explique tout dans ce Jourdain de la galanterie historique. […] … Dupe des cérémonies d’une précieuse qui n’en faisait pas toujours, il nous donne un portrait de la pure Mme de Hautefort, plus grand que nature, parce que ce portrait (comme celui de Mme de Chevreuse dans un genre différent) est privé du fonds historique qui le supporte et qui l’expliquerait.
Tout ce qui appartient à la sphere & à la théorie des planetes, au calcul des éclipses, y est expliqué mathématiquement.
Le principal objet de l’Auteur est d’expliquer, par des conjectures bizarres, les différentes révolutions de notre Globe.
Il arriva là, on se l’explique aisément, ce qui s’est produit en plus d’un cas analogue que présente l’histoire, et, par exemple, à la mort de l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket. […] Ce double mouvement s’explique.
Car la suppression du christianisme, d’un idéal religieux qui fournit une règle de vie avec une espérance de bonheur ultra-terrestre, mais infini, cette suppression seule explique la fureur de zèle humanitaire avec laquelle les philosophes veulent refaire la société pour mettre dans cette vie toute la justice et tout le bonheur. […] Par légèreté et paresse intellectuelle, on a plus tôt fait d’expliquer que vérifier ; et l’on interprète des prodiges qui n’existent pas : témoin la charmante anecdote de la dent d’or, qu’un enfant en Silésie avait, disait-on, en la bouche.
Seulement, tout métaphysicien qu’il puisse être, l’auteur des Études de médecine générale est encore plus traditionaliste que philosophe, et il laisse à sa vraie place la métaphysique dans la hiérarchie de nos facultés et de nos connaissances, en homme qui sait que, sans l’histoire, les plus grands génies philosophiques n’auraient jamais eu sur les premiers principes que quelques sublimes soupçons… M. le docteur Tessier, qui croit à la science médicale, qui la défend contre les invasions sans cesse croissantes de la physique, de la chimie et d’une physiologie usurpatrice, donne pour chevet à ses idées le récit Moïsiaque, dont tout doit partir pour tout expliquer, et l’enseignement théologique et dogmatique de l’Église. […] L’immutabilité des maladies s’explique par les prédispositions morbides ; les prédispositions morbides, par une hérédité qui, elle-même, confine à un état antérieur dont l’homme n’est sorti qu’en se laissant criminellement tomber.
Edmond de Guerle déclare avoir peu de goût pour les théories avec lesquelles on explique présentement les grands hommes, en les diminuant ; car tout est jaloux dans un temps envieux, même les théories. […] Quand il arrivera à l’examen du Paradis perdu, il ne mettra pas, bon gré mal gré et de force, et en faussant tout autour de soi pour l’expliquer, toute l’Angleterre politique et sociale du temps de Milton dans ce poème, qui n’eut d’autre source que la Bible, entrée dans la tête d’un grand poète.
Il lui faut donc examiner l’œuvre en elle-même, détachée de tout ce qui peut l’expliquer ; il lui faut aussi bon gré mal gré rendre un arrêt provisoire. […] Une image m’aidera à expliquer ma pensée. […] Voyez comment le sage oriental Valmiki vient au secours du critique pour expliquer le cas de M. […] Paul-Louis Courier, sans qu’on prenne la peine de nous expliquer pourquoi, attrape au passage l’épithète de « triste sire ». […] Bourget s’explique en partie par des causes accidentelles.
Il seroit aisé d’expliquer la cause de leur succès, en l’attribuant aux agrémens de la Musique, d’une part, & de l’autre, à la fureur qu’on a depuis quelque temps pour ce genre de spectacle.
Il s’y montre par-tout nourri de la lecture des Livres saints, & les explique à sa maniere avec autant d’élégance que d’onction.
Il s’était expliqué ; il avait dit : Facit indignatio versus Eh bien ! […] Nous avons expliqué comment M. […] Il faut la reconnaître, les détails sont nombreux ; mais y en a-t-il trop pour expliquer cette chute épouvantable, cet abaissement graduel de deux êtres que l’on nous a d’abord fait aimer ? […] Pourtant, le fait pouvait s’expliquer autrement. […] Mais ce qu’on voit suffit pourtant à expliquer le personnage, et c’est déjà beaucoup que les auteurs soient arrivés si loin.
Il y a deux manières habituelles d’expliquer le sentiment du « déjà vu ». […] Comment expliquer une pareille faculté, sinon par l’habitude de démêler tout de suite l’organisation des contours les plus usuels, c’est-à-dire par une tendance motrice à en figurer tout d’un trait le schème ? […] On a dit que l’attention était une faculté d’analyse, et l’on a eu raison ; mais on n’a pas assez expliqué comment une analyse de ce genre est possible, ni par quel processus nous arrivons à découvrir dans une perception ce qui ne s’y manifestait pas d’abord. […] On croit avoir suffisamment expliqué cet état en disant que les souvenirs auditifs des mots sont détruits dans l’écorce, ou qu’une lésion tantôt transcorticale, tantôt sous-corticale, empêche le souvenir auditif d’évoquer l’idée, ou la perception de rejoindre le souvenir. […] Comment expliquer que l’amnésie suive ici une marche méthodique, commençant par les noms propres et finissant par les verbes ?
Son zele ne contribua pas peu à en faire naître le goût parmi ses Contemporains, qui venoient de toute part l’entendre expliquer les Auteurs Grecs & Latins.
C’est là ce qui explique la facilité avec laquelle voyagent et émigrent les Anglais de toute condition. […] L’action de ces influences explique bien la forme et la couleur, et tout ce qui est le corps du génie ; mais elle n’explique pas son essence ; bien plus, elle n’explique pas sa présence. […] Il faudra bien qu’elles s’expliquent par une infraction à quelqu’une des lois constitutives du genre dramatique, puisqu’elles ne peuvent plus s’expliquer ni par le préjugé, ni par l’ignorance, ni par la passion. […] Cependant elle n’est pas sans fondement et vaut la peine d’être expliquée. […] L’accusation de Walpole repose sur un fait malheureusement vrai, mais qu’il est facile d’expliquer.
Point n’est besoin, d’ailleurs, pour expliquer ce dédoublement, de faire intervenir une force mystérieuse. […] De quelque manière qu’on explique l’adaptation de l’organisme à ses conditions d’existence, cette adaptation est nécessairement suffisante du moment que l’espèce subsiste. […] Comme nous le disions à propos de l’adaptation en général, on pourra toujours expliquer par leur intérêt particulier la transformation des espèces. […] L’expliquer consiste toujours à la résoudre, elle imprévisible et neuve, en éléments connus ou anciens, arrangés dans un ordre différent. […] En revanche, il est tout à fait incapable d’expliquer des instincts aussi savants que ceux de la plupart des Insectes.
Priscien long-tems auparavant s’étoit encore expliqué plus positivement, lib. […] Voilà autant de termes qu’il convient d’expliquer ici pour faciliter l’intelligence des grammaires particulieres où ils sont employés. […] L’office de la Syntaxe est d’expliquer tout ce qui concerne le concours des mots réunis, pour exprimer une pensée. […] L’ellipse seule rend ici raison de la construction ; & il n’est utile de recourir à la langue grecque, que pour indiquer l’origine de la locution, quand elle est expliquée. […] Au reste il n’y a pas lieu de craindre que cette façon d’expliquer apprenne à mal parler françois.
La première Sextine du comte de Gramont parut à la célèbre Revue parisienne de Balzac, qui, se faisant critique pour une telle circonstance, se chargea lui-même d’expliquer aux lecteurs ce que c’est qu’une sextine et de les édifier sur le goût impeccable et sur la prodigieuse habileté d’ouvrier qu’elle exige du poète.
Il auroit pu leur être utile, s’il se fût un peu défié de la démangeaison de tout expliquer & de tout admirer.
Duclos a prononcé sur lui-même un mot qui explique le manque absolu de charme par où pèchent ses romans : « Je les aimais toutes, dit-il en parlant des femmes, et je n’en méprisais aucune. » Lorsqu’on pense ainsi des femmes, eût-on le génie poétique d’un Byron dans Don Juan, il est difficile qu’on nous intéresse particulièrement à aucune : qu’est-ce donc lorsqu’on est, comme Duclos, la prose même ? […] On ne s’explique aujourd’hui le succès, même fugitif, de ses romans qu’en se souvenant qu’il y avait fait entrer beaucoup de portraits réels et qu’on les y cherchait, au risque peut-être de mettre au bas de chacun plus d’un nom à la fois. […] Mais il me semble que tout se concilie chez Duclos, et que les inconséquences elles-mêmes s’expliquent moyennant l’humeur et la race.
Si Bernier, dans cette lettre, ne se réconcilie pas nettement avec Descartes qu’il continue de considérer comme un philosophe trop affirmatif en ses solutions, il y rétracte du moins aussi formellement que possible les doctrines de Lucrèce et d’Épicure et toutes les assertions purement matérialistes nées de la théorie des atomes ; il y insiste particulièrement sur l’impossibilité d’expliquer par la matière seule et par le mouvement de corpuscules, si petits qu’on les fasse, des opérations d’un ordre aussi élevé que celles qui constituent l’intelligence, le raisonnement, la perception de certaines idées, la conscience qu’on a d’avoir ces idées, la volonté, le choix dans les déterminations, etc. ; en un mot, il y combat au long et avec détail l’épicuréisme, auquel il sait bien que Chapelle incline et est d’humeur, soit en théorie, soit en pratique, à s’abandonner : Je me promets, lui dit-il, que vous donnerez bien ceci à ma prière, qui est de repasser un moment sur ces pensées si ingénieuses et si agréablement tournées qu’on a su tirer de vos mémoires (apparemment quelques écrits et cahiers de philosophie et de littérature de Chapelle), sur tant d’autres fragments de même force que je sais qui y ont resté, et généralement sur tous ces enthousiasmes et emportements poétiques de votre Homère, Virgile et Horace, qui semblent tenir quelque chose de divin. […] Or, Bernier, homme de sens, qui a beaucoup vu, et qui, en vertu même d’un sage scepticisme, est devenu plus ouvert à des doctrines supérieures, croit devoir avertir son ami et camarade, qui, en passant par le cabaret, est resté plus qu’il ne croit dans l’école ; le voyant prêt à vouloir s’enfoncer dans une philosophie abstruse et prétendre à expliquer physiquement la nature des choses et celle même de l’âme, il lui rappelle que c’est là une présomption et une vanité d’esprit fort ; mais si cette explication directe est impossible, et si connaître en cette manière son propre principe n’est pas accordé à l’homme dans cet état mortel, néanmoins, ajoute-t-il en terminant, nous devons prendre une plus haute idée de nous-mêmes et ne faire pas notre âme de si basse étoffe que ces grands philosophes, trop corporels en ce point ; nous devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus nobles et plus parfaits qu’ils ne veulent, et soutenir hardiment que, si bien nous ne pouvons pas savoir au vrai ce que nous sommes, du moins savons-nous très bien et très assurément ce que nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi entièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. — Adieu. […] Chapelle et son camarade de voyage, âgés l’un et l’autre de trente à trente-deux ans, se mettent en route pour faire un tour dans le Midi, et dans le compte rendu léger de leur voyage qu’ils envoient à leurs amis de Paris, ils trouvent moyen de faire avec un naturel parfait une charmante satire littéraire : de là le grand succès et cette vivacité de faveur qu’on ne s’expliquerait pas autrement aujourd’hui.
J’appuie ma gauche au mont Jura, ma droite aux Alpes, et j’ai le lac de Genève au-devant de mon camp, un beau château sur les limites de la France, l’ermitage des Délices au territoire de Genève, une bonne maison à Lausanne ; rampant ainsi d’une tanière dans l’autre, je me sauve des rois et des armées, soit combinées, soit non combinées… Dans une lettre à Tronchin de Lyon, du 13 décembre 1758, il explique encore plus à nu toute sa stratégie, et comment il cherche son assiette la plus sûre en se mettant à cheval sur trois pays (Genève, Berne, dont Lausanne était la sujette alors, et la France). […] Linguet veut expliquer à ses contemporains comment Voltaire a pu être et paraître si universel, et par quel enchaînement de circonstances, par quelle suite d’événements qui ne furent des épreuves que le moins possible, la destinée le favorisa en lui donnant une jeunesse si aisée, si répandue, si bien servie de tous les secours, et en lui ménageant à Ferney une longue vieillesse si retirée et si garantie du tourbillon : « La jeunesse de presque tous les écrivains célèbres, disait Linguet, se consume ordinairement, ou dans les angoisses du malaise, ou dans les embarras attachés à ce qu’on appelle le choix d’un état. […] Cela honore sa vieillesse ; cela explique, qu’on ait fini par rattacher à son nom une renommée plus sérieuse et plus grandiose que ne semblaient l’autoriser tant d’incartades de conduite et d’inconséquences, et cela aussi fait regretter qu’il ne se soit pas toujours souvenu de ce qu’il écrivit une fois à un libraire de Hollande, Marc-Michel Rey, qui lui attribuait dans son catalogue des ouvrages indignes de lui : Mon nom ne rendra pas ces ouvrages meilleurs, et n’en facilitera pas la vente.
Puis je me suis mis à songer, non sans tristesse, à ce qu’il a fallu d’efforts, de bégayements, pour amener et rendre possible sur notre scène cette reproduction à peu près fidèle ; je repassais dans mon esprit et ces anciens combats et ces discussions si animées, si ferventes, dont rien ne peut rendre l’idée aujourd’hui ; ces-études graduelles qui faisaient l’éducation de la jeunesse lettrée, et par où l’on se flattait de marcher bientôt à une pleine et originale conquête ; je me redisais les noms de ces anciens critiques si méritants, si modestes et presque oubliés, de ces précepteurs du public qui, tandis que les brillants Villemain plaidaient de leur côté dans leur chaire, eux, expliquaient dans leurs articles et serraient de près leur auteur, le commentaient, pied à pied avec détail ; les Desclozeaux, les Magnin nous parlant dans le Globe, dès 1826 ou 1828, de ces pièces admirables dont bientôt nous pûmes juger nous-mêmes sous l’impression du jeu de Kean, de Macready, de miss Smithson, et nous en parlant si bien, dans une note si juste, si précise à la fois et si sentie. […] Continuez-moi, je vous prie, les sentiments dont vous m’honorez, et soyez persuadé de la haute estime et de la reconnaissance avec lesquelles j’ai l’honneur, etc. » On s’explique assez difficilement que, sentant de la sorte ce qui lui manquait sur Shakespeare et ce que la vue de Garrick pouvait lui apprendre, lui rendre immédiatement, il n’ait pas fait cet effort de passer le détroit, et, puisqu’il n’avait pas vu apparemment le grand tragédien dans son ancien voyage à Paris, qu’il ne soit point allé l’admirer une bonne fois sur son théâtre, avant sa retraite, et, comme on dit, prendre langue avec lui. […] Il faudrait, pour me soutenir, de l’extraordinaire dans les situations. » Et continuant sa pensée, il explique à son ami pourquoi, entre autres choses, il ne saurait réussir à ces nuances de sentiment, à cette finesse et à ce délié de la passion où excelle Racine ; il a l’instinct, sans bien s’en rendre compte, d’un genre opposé à celui de Racine et qui procède autrement que par analyse, qui marche et se développe à l’aide de situations visibles, frappantes, extraordinaires : « Il me semble, dit-il ingénument, que je ne manquerais ni de chaleur ni de vérité ; mais il y a, dans cette passion, une certaine délicatesse fine qui m’échappe, peut-être parce qu’il m’a toujours été impossible de tromper une femme, et que toutes ces ruses d’amour ne me sont pas seulement venues dans l’idée.
Je ne m’explique pas très bien qu’à la fin du même article sur Galilée, et pour nous rendre plus sensible la physionomie scientifique du savant personnage, le peintre biographe soit allé chercher je ne sais quelle combinaison imaginaire des génies d’Ampère et d’Arago : j’ai peine à me représenter ce qui en résulte pour la ressemblance. […] Fontenelle se présenta donc très à propos en venant expliquer, rendre agréable pour tous et séduisante même, la nouvelle doctrine qui, sauf quelques points particuliers à la théorie cartésienne des tourbillons, était la seule vraie, et dont le premier mérite était de détrôner les fausses et accablantes hypothèses. […] Pour lui, il n’hésite pas à le proclamer, « l’ordre préside au cosmos des intelligences et au cosmos des corps ; le monde intellectuel et le monde physique forment une unité absolue ; l’ensemble des humanités sidérales forme une série progressive d’êtres pensants, depuis les intelligences d’en bas, à peine sorties des langes de la matière, jusqu’aux divines puissances qui peuvent contempler Dieu dans sa gloire et comprendre ses œuvres les plus sublimes. » C’est ainsi que tout s’explique en s’harmonisant.
Il explique l’influence de la littérature et de l’irréligion sur la Révolution, et la prédominance du sentiment de l’égalité sur la passion de la liberté. […] Il s’agit, en montrant la vie, d’expliquer la vie : loin de chercher l’effet dramatique, loin d’emplir le public de stupeur par l’étrangeté ou l’énormité des choses, l’historien doit réduire tout à la nature, faire la guerre au miracle, découvrir la simplicité du prodige sans en diminuer la grandeur. Ainsi Jeanne d’Arc expliquée sera toujours Jeanne d’Arc, et plus admirable que jamais : « le sublime n’est point hors nature, c’est au contraire le point où la nature est le plus elle-même, en sa hauteur, profondeur naturelles ».