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2259. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

Ce n’est que par effort d’esprit et par des refléxions dont les uns sont incapables par défaut de lumieres, et les autres par paresse, que nous en pouvons connoître la fausseté et en démêler l’erreur. […] Je répons que des préjugez tels que ceux dont il est ici question, ne subsisteroient pas long-temps dans l’esprit de ceux qui en auroient été imbus, s’ils n’étoient pas fondez sur la verité. […] L’esprit philosophique qui n’est autre chose que la raison fortifiée par la refléxion et par l’expérience, et dont le nom seul auroit été nouveau pour les anciens, est excellent pour composer des livres qui enseignent à ne point faire de fautes en écrivant, il est excellent pour mettre en évidence celles qu’aura faites un auteur, mais il apprend mal à juger d’un poëme en general. […] Un médecin, homme d’esprit et grand dialecticien fait un livre pour établir que dans notre païs et sous notre climat, les légumes et les poissons sont un aliment aussi sain que la chair des animaux. […] Les hommes sçavent bien qu’il est plus facile d’éblouir leur esprit que d’en imposer à leur sentiment.

2260. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

» Et voilà, dirons-nous à notre tour, la largeur d’esprit de M. de Gourmont. […] L’illusion est naturelle à un esprit nourri de rhétorique classique. » Je ne crois pas seulement que Pascal joue avec les mots ; je crois qu’il joue aussi (dans le meilleur sens) avec sa pensée ; je crois qu’il la change, qu’il la pousse, qu’il la renforce ; et, comme il lui faut des mots pour exprimer ce qu’il sent, je crois, en effet, que sa pensée dépend souvent des mots, mais je crois aussi que ses mots dépendent également de sa pensée et qu’il trouve d’admirables mots par la seule force de sa pensée. […] Cette « illusion naturelle à un esprit nourri de rhétorique », notre critique avoue, d’ailleurs, « qu’il la partage jusqu’à un certain point ». […] C’était pourtant la meilleure façon de bien montrer que l’antithèse était le procédé instinctif de Pascal, sa méthode d’esprit, sa façon habituelle de penser. « Mais, dit-on, le vrai Pascal émet une telle lumière que l’antithèse y est noyée, invisible. » Oui et non. […] C’était sa tournure d’esprit ; il pensait par antithèses.‌

2261. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Elles n’adorent pas Jupiter… Elles viennent après Voltaire et le xviiie  siècle, qui, plus coupables que les moines châtreurs de l’ancienne Égypte, ont opéré l’esprit humain de la faculté d’adorer n’importe qui et n’importe quoi. […] Il était trop entré dans l’esprit de l’Académie pour ne pas entrer dans un de ses fauteuils. […] Il avait dans l’esprit les grâces d’une bayadère. […] Seulement, les termes de l’équation sont si bien posés, que l’inconnue s’en dégage presque de soi et saute aux yeux de l’esprit avec la brusquerie d’un échappement. […] Et comme il est arrivé, ce phénomène renversant, en pleine corruption romaine, et qu’il fait des martyrs et des saints de ces abominables corrompus, pour nous assourdir à ce coup de tonnerre, pour ne pas voir l’éclat de cette foudre, on a dit — des gens d’esprit comme M. 

2262. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

L’esprit religieux qui était en lui, et qui a absorbé l’esprit politique qui y fut autrefois, fait, à nos yeux, du comte de Gasparin, une individualité intéressante au milieu des insupportables libres penseurs de ce siècle de liberté et de tolérance, — intolérant seulement contre Dieu, à qui il ne permet plus d’exister. Le comte de Gasparin était, malheureusement, protestant, — mais nous arrivons à ce moment épouvantable dans les croyances et dans les mœurs, où ceux qui ont gardé, à travers toutes les méconnaissances, toutes les erreurs et toutes les révoltes, un pauvre atome de foi chrétienne dans leur esprit et dans leur cœur, ont, de cela seul, une supériorité relative qui les met bien au-dessus de la tourbe des écrivains de la libre incrédulité. […] Une fois l’esprit engrené dans cette logique, on devine ce que va devenir le gouvernement d’Innocent III dans les jugements du comte de Gasparin. […] En vain elle est sortie de l’esprit de Celui qui est toute Vérité et toute Vie ; c’est assez pour elle qu’elle en soit sortie !

2263. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Theiner, qui, par la nature de son esprit autant que par les habitudes de sa vie, doit incliner aux méditations profondes, avant d’écrire son Clément XIV aura-t-il pensé à tout cela ? […] L’esprit des révolutions a trouvé son maître en France, et la France, c’est le modèle de l’Europe, mais, pour être vaincu et lié, est-ce que cet esprit-là est détruit ? […] Il y a plus, et, selon nous, l’histoire ne l’a pas assez signalé : s’il y avait des esprits capables de comprendre les causes politiques de la Révolution française, s’il y avait des hommes qui, par l’étendue de leurs lumières, la flexibilité pratique de leur génie et leur sentiment de la réalité politique, ressemblassent peu aux chefs aveugles et sourds d’une société mourant de corruption et de métaphysique, c’étaient assurément les hommes de la société de Jésus. […] Ces hommes inouïs et calomniés par l’esprit de parti ou par l’ignorance, ces hommes attachés immuablement à ce qui doit rester immuable dans les principes et les institutions, et qui ont en mourant dit d’eux-mêmes, par la bouche de leur général, à qui on proposait la vie : Sint ut sunt, aut non sint , avaient pourtant à un suprême degré ce qui distingue si éminemment l’aristocratie anglaise, — la plus politique des aristocraties, — l’entente de l’heure qui sonne, cet instinct du moment qui gagne les batailles et qui sauve aussi les nations.

2264. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Mais la Critique, mais tous ceux qui, depuis quarante ans et plus, conduisent l’opinion littéraire, et qui avaient la prétention de décider des œuvres de l’esprit humain ! Mais (pour nommer les plus acceptés et les plus célèbres) Sainte-Beuve, par exemple, ce sondeur, qui avait gardé pour la littérature son ancienne sonde de carabin ; — mais Gustave Planche, cet esprit difficile et dégoûté ; — mais le bon Janin, qui, dans ses plus jolies gaîtés, avait à l’œil, perlant de son eau bête, la larme éternelle d’un Prudhomme attendri sur les honnêtes gens et la littérature honnête ! […] Les frères Glady, dont j’aime l’audace en librairie, et qui promettent de nous donner, dans des conditions admirables de typographie et de gravure, tous les chefs-d’œuvre de l’esprit humain, ont commencé naturellement par ce chef-d’œuvre de Manon Lescaut, qu’ils croient peut-être le premier ! […] Et comme, depuis 1830, le matérialisme du xviiie  siècle, interrompu par le spiritualisme philosophique de la Restauration, trop vague pour lui résister, a repris la société moderne qu’il s’est définitivement asservie ; comme Sainte-Beuve, sceptique autant que Planche, lui a survécu et est devenu résolument matérialiste au déclin de sa vie, marquant en lui le progrès des esprits vers cette effroyable erreur absolue dans laquelle le monde presque tout entier verse en ce moment, le succès de Manon Lescaut devait grandir et a grandi. […] Il y a un esprit et une volonté qui les conçoivent et qui les écrivent.

2265. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Ces considérations, qui résument d’une manière générale quelques-unes des observations particulières faites au sein de la Commission, ne paraîtront point déplacées ici : elles pourront servir à éclairer la route de l’avenir ; elles prouveront du moins que la Commission n’a point pris le change et n’a fait cette année que s’affermir de plus en plus dans le sens et l’esprit de l’institution qu’elle était appelée à servir et à interpréter. […] MM. les ministres, consultés par vous à ce sujet, monsieur le président, ont bien voulu autoriser la Commission à suivre l’esprit plutôt que la lettre de l’arrêté, et à proposer cette fois d’attribuer cette seconde prime de trois mille francs à un ouvrage qui a plus de quatre actes, qui par conséquent est plus considérable qu’on ne le demande, et qui remplit d’ailleurs si bien les vues de l’institution. […] La Commission a dû s’arrêter là dans les propositions de cette année : elle eût trouvé, sans doute, parmi les productions qui lui étaient présentées, à distinguer d’autres pièces encore pour des qualités d’esprit, de talent littéraire ou de mouvement dramatique, mais elle n’eût pu les faire rentrer, sans complaisance et sans un véritable contresens, dans l’esprit de l’institution dont elle était l’organe.

2266. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

C’est qu’Émile Verhaeren a le don d’incruster sa pensée, il crée dans l’âme un monde d’impressions étranges dont l’esprit se ressouvient avec une netteté jamais atténuée ; elles s’imposent, revivent ainsi que des flammes soudaines ou bien encore font dévier vos sensations originales. […] Désormais ses yeux sondent l’immensité des cieux mornes : Vers tes éternités mes yeux lèvent leurs flammes… Le farouche s’immobilise en des pensées pleureuses d’anciens rêves, et ce Faust dont chaque poème est un prestigieux monologue, incarne l’esprit d’un demi-siècle. […] Par les hasards, un cœur s’épeure, un esprit s’inquiète, une vie souffre, et entend, goutte à goutte, tomber son propre arrêt à l’infini hostile des horizons. […] Elle va plus haut et plus loin ; c’est sa beauté de défier les esprits symétriques qui, pour la comprendre, se souviennent encore d’eux-mêmes.

2267. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

C’est elle qui nous montre combien l’homme est petit par le corps et combien il est grand par l’esprit, puisque cette immensité éclatante où son corps n’est qu’un point obscur, son intelligence peut l’embrasser tout entière et en goûter la silencieuse harmonie. […] C’est que les astres ne nous envoient pas seulement cette lumière visible et grossière qui frappe nos yeux de chair, c’est d’eux aussi que nous vient une lumière bien autrement subtile, qui éclaire nos esprits et dont je vais essayer de vous montrer les effets. […] Si nous n’avions pas connu les astres, quelques esprits hardis auraient peut-être cherché à prévoir les phénomènes physiques ; mais leurs insuccès auraient été fréquents et ils n’auraient excité que la risée du vulgaire ; ne voyons-nous pas que, même de nos jours, les météorologistes se trompent quelquefois, et que certaines personnes sont portées à en rire. […] Aristote, l’esprit le plus scientifique de l’antiquité, accordait encore une part à l’accident, au hasard, et semblait penser que les lois de la Nature, au moins ici-bas, ne déterminent que les grands traits des phénomènes.

2268. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Quintilien, un autre grand maître dans les ouvrages d’esprit, ne veut pas même qu’on agite la question, si c’est le génie, ou si c’est l’étude qui forme l’orateur excellent. […] On y remarque à travers bien des défauts, un esprit qui veut atteindre à de grandes beautez, et qui, pour y parvenir, fait des choses que son maître n’a point été capable de lui enseigner. […] Nez uniquement pour cette profession, leur esprit paroît au-dessous du médiocre, quand ils veulent l’appliquer à d’autres choses. […] Ainsi le peintre éleve, dont l’esprit s’abandonne aux idées qui ont rapport à sa profession, qui se forme plus lentement pour le commerce du monde, que les jeunes gens de son âge, que sa vivacité fait paroître étourdi, et que la distraction, qui vient de son attention continuelle à ses idées, rend gauche dans ses manieres, devient ordinairement un artisan excellent.

2269. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

À cette époque, le mot national n’était pas encore inventé, mais provisoirement il fut classé parmi les plus grands poètes, et non pas seulement par les Prud’hommes du temps, mais par les premiers, les esprits les plus difficiles et les plus forts. […] « Tout ce que l’enfer peut vomir de plus faux — dit-il des Philippiques — y était exprimé dans les plus beaux vers, le style le plus poétique, et tout l’art et l’esprit qu’on peut imaginer. » Quand il arrive aux affreux passages où le Régent est accusé d’empoisonnement : « L’auteur — ajoute-t-il — y redouble d’énergie, de poésie, d’invocations, de beautés effrayantes, de portraits du jeune roi et de son innocence… d’adjurations à la nation de sauver une si chère victime, en un mot, de tout ce que l’art a de plus fort et de plus noir, de plus délicat, de plus touchant, de plus remuant et de plus pompeux… » Ce n’est pas tout. […] De même, il y a des esprits héroïques aussi à leur manière, qui ne craignent pas de dire nettement la vérité qui offense, de lever le fouet sur les lâches, les coquins, les infâmes ou les sots de leur temps, et ces esprits-là ne prendront pas pour eux la leçon à côté que leur donne de Lescure, en leur montrant les malheurs de La Grange-Chancel, qui ne fut pas, d’ailleurs, si malheureux, car pour faire ce service public de la satire qu’ont toujours respecté les hommes, il faut de rigueur du talent et de la conscience, et La Grange-Chancel n’en avait pas.

2270. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Des esprits plus prévenus, plus préoccupés, ne virent bientôt plus seulement une philosophie dans l’œuvre du Dante, mais l’expression voilée de doctrines mystérieuses et séculaires, un parler clus, comme on disait avec un ineffable ridicule, un ridicule qui n’était pas clus, cachant, ce parler clus, comme un complot, le secret de l’avenir, comme il avait caché celui du passé. […] La gloire est plus faite pour tourmenter que pour éclairer nos esprits ; elle les force plus à s’occuper du génie qui l’a méritée qu’à le bien comprendre. […] Il a eu la justesse d’esprit de mourir jeune, ne trompant que par la mort une espérance qu’il aurait trompée autrement, s’il avait vécu. […] Il aborde l’homme et le poète à part, — comme ils le sont dans l’esprit humain et dans la gloire.

2271. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

L’autre est un esprit entièrement… plane. […] voilà la seule idée qui habite dans l’esprit de M.  […] Quand on a lu ce triste et traître morceau, impossible de se méprendre sur l’incurable faiblesse d’esprit d’un homme qui a osé écrire au front de son livre les mots d’histoire et de philosophie religieuse et qui, précisément dans ces deux grands ordres d’idées, ne procède que par sophismes vulgaires et a démontré qu’il n’y avait en lui que la pauvreté de l’erreur. […] Croirait-on qu’il compte deux sortes d’esprits dans le dix-huitième siècle ?

2272. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il est trop ingénieux pour avoir du génie, mais si le génie consistait à se donner une peine du diable avec immensément d’âme et d’esprit, certes ! […] Jules Lefèvre, qui n’avait point encore ajouté à son nom le nom de Deumier, comptait parmi les jeunes esprits qui donnaient le plus d’espérances. […] Imagination spirituelle, et cela dans une époque où le talent, le lyrisme dans le talent, existait à haute dose, mais où l’esprit n’était pas la faculté la plus commune et la plus formidable, Jules Lefèvre frappait aussi par une sensibilité qui n’était ni la molle des uns ni la maladive des autres, et qu’il avait trempée, pour lui donner du ton, dans les sources amères et sombres de la poésie anglaise. […] Aveugles de l’esprit, nos savants incrédules, De tout ce qui fut saint se raillent sans scrupules.

2273. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Avoir du talent, mais se garder de l’invention comme de la peste, n’avoir pas surtout l’insolent privilège de l’originalité qui choque tant les esprits vulgaires et viole trop cette chère loi de l’égalité ; avoir du talent et même s’en permettre beaucoup si on peut, mais sous la condition expresse que ce sera sur un mode connu, accepté, qui ne dérangera rien dans les habitudes intellectuelles et ne sera point, pour ceux qui se comparent, une différence par trop cruelle, telle est la meilleure et la plus prudente combinaison qu’il y ait pour se faire un succès, qui suffit à la vie et même à la fatuité dans la vie et pour se passer très bien de la gloire, — ce morceau de pain toujours inutile, gagné en mourant de faim par ces imbéciles d’inventeurs qui ne le mangent pas ! […] Jeunes et même vigoureux, nous sommes fascinés par l’esprit de nos maîtres et nous gardons longtemps à l’épaule la marque des pavois que nous avons portés. […] L’Esprit des Fleurs est manifestement Le Sylphe de M.  […] Louis Bouilhet peut faire : ce sont ceux que faisait si bien son compatriote Saint-Amand… La gaieté, cette fleur charmante de la vigueur de l’esprit, blanche et rose comme celle des pommiers de notre pays (ne sommes-nous pas Normands, M. 

2274. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Il est justement de cette famille de poètes naturellement les plus antipathiques à l’esprit qui régnait alors, et qui ne concevait la poésie que comme il concevait la peinture et toutes choses, c’est-à-dire sans idéal, sans hauteur d’esthétique, sans spiritualité et sans grandeur. […] Gozlan, qui n’était pas Parnassien, mais qui était surtout un homme d’esprit, a fait ce mot, qui n’est qu’une épigramme : « Alfred de Musset, c’est lord Byronnet. » M.  […] Sceptique comme lord Byron, — et c’est peut-être sa plus profonde ressemblance avec le grand poète qui accable toute comparaison, — sceptique comme Alfred de Musset et comme tous les enfants d’un siècle qui, du moins, avait sauvé du naufrage de son ancien spiritualisme l’honneur d’être sceptique encore, mais qui a fini par étouffer jusqu’au dernier éclair tremblant du scepticisme dans son âme, morte maintenant, morte toute entière sous l’athéisme contemporain, le douloureux inquiet de La Vie inquiète, qui, fût-il heureux, a de ces pressentiments et de ces incertitudes : Peut-être vous cachez sous votre pur sourire Des pleurs que j’essuirai des lèvres quelque jour… mêle à tous les sentiments qu’il exprime ce scepticisme qui ne va à Dieu, dont on doute, que pour retomber à la créature dont on va douter ; car le scepticisme est la plus cruelle des anxiétés de la vie, c’est la plus formidable inquiétude, pour une âme ardente, qui puisse dévorer l’esprit et le cœur ! […] Lisez ces vers à Léon Cladel dans lesquels il les a proclamés, ces privilèges immortels que nous ne déposerons pas, nous, sur l’autel de la Démocratie, et que la Démocratie veut nous enlever, comme elle nous a enlevé les autres, pour en blasonner tous les va-nu-pieds et tous les couche-tout-nus du monde moderne et les élever au-dessus de nous, — au-dessus de tout ce qui est esprit et génie, — sur le pavois de la pitié !

2275. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

», parmi toute cette plèbe d’esprits qui se ressemblent comme les nègres se ressemblent entre eux, comme se ressemblent toutes les races physiologiquement inférieures, qui n’ont guères que la physionomie commune à la race. […] Ce n’est pas un niais, ce n’est pas un badaud ; tout utopiste qu’il soit, c’est l’esprit le plus ferme. […] Cette idée — militaire — d’une conspiration, a fasciné le polémiste, qui allait continuer de faire la guerre à tout ce qu’il hait, en la racontant… C’était si bien cela, et si peu la vocation du romancier qui le décidait, que le livre lui-même — ce Roman d’une conspiration — ne semble qu’un prétexte pour lancer toutes les bordées d’un esprit de parti accumulé, exaspéré depuis des années au fond d’un homme, et d’un homme qui a les sentiments très profonds. […] …), tiendrait actuellement son noble esprit plus haut que ses passions d’homme de parti ?

2276. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Conclusion »

Psychologiquement, il nous a semblé que les sociétés qui s’unifient en même temps qu’elles se compliquent, dont les unités s’assimilent en même temps qu’elles se distinguent, et se concentrent en même temps qu’elles se multiplient devaient ouvrir les esprits à l’égalitarisme. […] L’esprit de tribu fut tour à tour cause et effet de la séquestration à la fois volontaire et imposée d’Israël chez les nations229. […] Elles n’ont pris possession de l’esprit public que parce que l’esprit public était modelé déjà et comme pétri pour elles par l’action incessante des formes sociales.

2277. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

S’agit-il du noble orgueil de l’esprit, dans sa croyance à l’immortalité, quel mécompte devaient lui donner ces vers d’Horace sur un sage illustre : « Ô toi qui mesurais la mer, et la terre, et le sable infini, Archytas, te voilà réduit à un peu de poussière, sur le rivage de Matine ! il ne te sert de rien d’avoir abordé les régions de l’éther, et promené dans le cercle des cieux ton esprit qui devait mourir !  […] Paulin (son débat poétique avec Ausone nous l’atteste) était un esprit élégant, nourri des plus gracieux souvenirs de la poésie profane. […] laisse en ce lieu quelque chose de toi, présent par l’esprit, et en revanche emporte avec toi nos âmes.

2278. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

Puis vient sur lui, comme l’esprit de Dieu, le don de transporter ses sensations dans ses ouvrages. […] Sans doute tu n’as pas songé que les feuilles des tilleuls, que les pins, les platanes étaient plus conformes à la nature, que le fond était plus vaporeux, les eaux plus profondes ; mais l’esprit qui plane sur cet ensemble t’élevait dans une sphère dont l’éclat t’enivrait. » Or c’est précisément cet esprit d’ensemble qui respire dans les paysages de M.

2279. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

M. de Ségur, dont l’esprit toujours jeune semble encore sous le charme, compare cette marche triomphale de la Cléopâtre du Nord à un chapitre des Mille et une Nuits. […] Il attachait dans ses récits par la philosophie de sa raison, par la bonhomie de son caractère, et par la finesse doucement maligne de son esprit. […] Aussi durant la dernière époque de sa mission, M. de Ségur eut-il besoin de tout son esprit pour se maintenir au même degré de faveur qu’auparavant.

2280. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre premier. Préliminaires » pp. 1-8

Pendant sa vie, c’était l’esprit de dénigrement qui appelait l’attention sur les sources où il puisait. […] L’action dramatique ne paraît pas avoir été très naturelle à l’esprit français qui a toujours été fort enclin aux discours. […] Molière n’eut garde de dédaigner les leçons de ces excellents praticiens : il apprit à leur école à traduire pour la perspective de la scène telle disposition de caractère, tel retour de sentiment, telle préoccupation d’esprit dans un personnage.

2281. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304

Le roi avait légitimé les enfants qu’il avait de madame de La Vallière ; madame Scarron était donc fondée à prévoir le même sort pour ceux de madame de Montespan ; et elle s’était mis dans l’esprit que les fils de Louis XIV, confiés à ses soins, ne devaient pas être les tourments de la France comme l’avaient été les bâtards de Henri IV, et qu’elle devait rendre ses élèves dignes de leur haute destinée, par leur moralité et leur esprit. […] Elle devait même monter plus haut que madame de Montausier ; mais c’est une singularité de sa fortune que la première circonstance par où elle fut signalée, fut l’acquisition de la terre de Maintenon qui appartenait à la maison d’Angennes, dont le marquis de Rambouillet était le chef ; et que, quand le roi donna à madame Scarron, comme on le verra en suivant l’ordre des faits, le titre et le nom de marquise de Maintenon, ce titre et ce nom étaient portés par un des fils d’Angennes ; de sorte qu’elle succéda à un domaine, à un titre, à un nom de l’hôtel Rambouillet, en même temps qu’à la réputation d’esprit et de mœurs, et à la considération de la duchesse de Montausier, dernier rejeton de cette maison.

2282. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Il possédoit sur-tout ces ressorts puissans qui attachent le cœur & l’esprit par de grands intérêts. […] On pourroit seulement lui reprocher d’avoir trop dirigé les essors de sa Muse vers l’admiration ; mais s’il subjugue trop despotiquement l’esprit, il a tant de ressort dans l’action, une marche si aisée, si imposante, si ferme, si rapide ; ses intrigues sont si habilement ménagées, conduites avec tant de dextérité, terminées par une explosion (qu’on nous passe ce terme) si lumineuse, si frappante, que la terreur & la pitié qui naissent au gré du Poëte & saisissent le Spectateur, ne sont jamais affoiblies par le sentiment de l’admiration. […] Cette assertion, qui trouvera sans doute des contradicteurs, n’en est pas moins fondée, & ne sauroit être démentie que par des Esprits étroits, plus jaloux des petites convenances, que propres à s’élever à la hauteur des grandes idées, & par cette raison incapable d’apprécier les grands traits.

2283. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Les hommes qui se consacrent au culte des Muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes âmes, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages. […] Ces globes habités par des êtres différents de l’homme, cette profusion d’anges, d’esprits de ténèbres, d’âmes à naître, ou d’âmes qui ont déjà passé sur la terre, jettent l’esprit dans l’immensité.

2284. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Celles des Hébreux et des Chrétiens qui attribuent à la Divinité un esprit libre et infini ; celle des idolâtres qui la partagent entre plusieurs dieux composés d’un corps et d’un esprit libre ; enfin celle des Mahométans, pour lesquels Dieu est un esprit infini et libre dans un corps infini ; ce qui fait qu’ils placent les récompenses de l’autre vie dans les plaisirs des sens.

2285. (1881) Le naturalisme au théatre

Elle répondait à l’esprit social de l’époque. […] Tel est, au fond, l’esprit de toute la campagne que je fais dans ces études. […] Henry Fouquier s’égaye avec la fine fleur de son esprit. […] Ce que j’abandonne volontiers à l’esprit si fin de M.  […] Le procédé est trop facile, il devrait répugner aux esprits simplement honnêtes.

2286. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Qu’a-t-elle dû à la famille et à l’esprit public, à l’école et aux pédagogues ? […] Je viens de goûter avec vous un des plaisirs les plus délicats qu’un esprit puisse recevoir d’un autre esprit. […] Et cet amour d’enfant envahit peu à peu cet esprit blasé, l’ait de lui un homme jeune si ce n’est un jeune homme. […] Il n’a pas voulu raisonner avec son esprit, là où son cœur lui révélait la vérité. […] Sa place est marquée partout où il y a des hommes d’esprit, curieux de penser et de sentir.

2287. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Le premier trait de ce nouvel esprit, c’est le développement de l’Individualisme. […] Ils ont manqué de critique ou d’esprit de discernement ; et, dans leur impatience de produire, ils n’ont pas toujours connu les conditions de l’imitation féconde. […] On notera d’autre part que, tous ensemble, et un à un, ces mêmes traits s’opposent aux traits caractéristiques de l’esprit du Moyen Âge. […] Car c’est encore un point par où l’esprit de la Réforme s’oppose à celui de la Renaissance ; et peut-être même en est-ce le plus important. […] Guillaume du Vair ne l’est pas moins dans sa Philosophie des stoïques, dont le titre seul indique assez l’esprit.

2288. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

L’invention de l’esprit n’est point féconde, l’invention du cœur donne seule la vie. […] C’est la différence entre le poète purement ingénieux et le poète créateur ; l’un fait admirer son esprit, l’autre communique son âme. […] Écoutez par quelle étrange et pittoresque diversion d’esprit le poète, descriptif autant qu’épique, reporte l’attention d’un combat à une chasse. […] Ce dialogue prépare admirablement l’esprit à l’entrevue d’Hector et d’Andromaque, son épouse. […] cessez de calomnier cette verte jeunesse de l’esprit humain dans l’antiquité !

2289. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

La France littéraire, pervertie par l’esprit de parti et distraite par ses orages, avait besoin de vous. […] Votre style, souvent embarrassé de l’abondance de vues et de l’excès d’esprit de l’auteur, ressemblait dans le commencement à un fil d’or mal dévidé, qui se noue dans sa trame et qu’on regrette de ne pas trouver toujours sous la main. […] On ouvre le Constitutionnel du lundi ; l’on sait ce qu’a pensé l’Europe, ce qu’elle pense et ce qu’elle pensera dans ce siècle. — L’esprit de parti ne jette plus ni ombre, ni tache, ni prévention sur la page. L’esprit de parti n’est que le lieu commun des sots qui se font passer un certain temps pour des hommes d’esprit ; l’immortalité ne les connaît pas. […] « J’honore ces esprits, je les estime heureux ; mais je ne les envie pas.

2290. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

C’est là une famille d’esprits, à la fois petits et grands. […] « — Les cygnes comprennent les signes, dit le bourgeois, heureux d’avoir de l’esprit. […] Misères de l’esprit condamné au doute et qui ne peut vivre que de foi ! […] L’esprit moderne, c’est le génie de la Grèce ayant pour véhicule le génie de l’Inde : Alexandre sur l’éléphant. […] Ce n’est ni vous, ni moi, ni Victor Hugo lui-même ; car, il faut être juste, il est presque partout, dans ce livre, spiritualiste comme le génie, cette transcendance de l’esprit.

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