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502. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Il fut le premier à tirer d’un entier oubli le dernier Homme de Granville, cette admirable ébauche d’épopée, s’écriait Nodier, et qui fera la gloire d’un plagiaire heureux. […] Il s’échappe à tout moment par la tangente, il ne vise qu’à des points spéciaux, à des trouvailles imprévues, à des raretés d’exception où il se porte tout entier et où son scepticisme déguisé agite l’hyperbole. […] Dans le plus suivi et le plus philosophique de ses jeux érudits, dans ses Éléments de Linguistique, Nodier a développé un système entier de formation des langues, l’histoire imagée du mot depuis sa première éclosion sur les lèvres de l’homme jusqu’à l’invention de l’écriture et à l’achèvement des idiomes. […] On peut lire dans les Méditations du Cloître, qui font suite au Peintre de Saltzbourg, le paragraphe qui commence ainsi : « Voilà une génération tout entière, etc., etc. » 167. […] Depuis sa mort, on a fait un tout petit volume d’une dernière nouvelle de lui, intitulée Franciscus Columna, où il se retrouve tout entier sous sa double forme ; c’est un coin de roman logé dans un cadre de bibliographie, une fleur toute fraîche conservée entre les feuillets d’un vieux livre.

503. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Il exécuta son chef-d’œuvre dans la copie d’une Bible entière pour son monastère. […] Non seulement ses œuvres, mais sa vie entière, l’attestent. […] J’ai trouvé comme lui dans l’entier sacrifice Cette perle cachée au fond de mon calice, Cette voix qui bénit à tout prix, en tout lieu. […] Nous donnons le passage presque entier, comme la plus complète et la plus pieuse définition de la philosophie de la lutte, de l’abnégation, de la douleur divinisée : Mon fils, dit le Maître, observez bien les mouvements opposés de la nature et de la grâce. […] Un homme intérieur se recueille bien vite, parce qu’il ne se répand jamais tout entier au dehors.

504. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

La poésie, comme nous la concevons, n’est en effet rien de ce qu’ils disent ; elle n’est ni le rythme, ni la rime, ni le chant, ni l’image, ni la couleur, ni la figure ou la métaphore dans le style ; elle n’est même pas le vers ; elle est tout cela dans la forme, bien qu’elle soit aussi tout entière sans forme ; mais elle est autre chose encore que tout cela : elle est la poésie. […] Un livre entier ne suffirait pas à les énumérer et à les définir toutes. […] Mais que serait-ce si nous parcourions la gamme entière de l’âme humaine depuis l’enfance jusqu’à la caducité, depuis l’ignorance jusqu’à la science, depuis l’indifférence jusqu’à la passion, pour y décerner d’un coup d’œil ce qui est du domaine de la poésie de ce qui est du domaine de la prose ? […] L’ordre des matières, qui est le fil dans le labyrinthe, n’en sera toutefois brisé qu’en apparence pour l’ouvrage tout entier ; car nous aurons soin de ne point entrecroiser, dans le même entretien, des sujets appartenant à des temps, à des nations, à des auteurs différents, ce qui jetterait la confusion dans l’ouvrage, mais de consacrer chaque entretien tout entier ou plusieurs entretiens à un seul et même sujet ; nous placerons en tête ou en marge de chacun des entretiens l’époque à laquelle il se rapporte, en sorte qu’à la fin du Cours chacun des lecteurs pourra, en faisant relier ensemble les livraisons, rétablir sans peine l’ordre chronologique, interverti un moment pour la liberté et pour l’agrément de la conversation littéraire. […] Un poème épique résume un monde tout entier.

505. (1739) Vie de Molière

Ce fut alors que Poquelin, sentant son génie, se résolut de s’y livrer tout entier, d’être à la fois comédien et auteur, et de tirer de ses talents de l’utilité et de la gloire. […] Ces premiers essais très-informes tenaient plus du mauvais théâtre italien où il les avait pris, que de son génie, qui n’avait pas eu encore l’occasion de se développer tout entier. […] Elles sont en prose et écrites en entier. […] Mais la nation entière a marqué son bon goût, en méprisant cette affectation dans des auteurs que d’ailleurs elle estimait. […] Il n’avait pas fait scrupule d’y insérer deux scènes entières du Pédant joué, mauvaise pièce de Cyrano de Bergerac.

506. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Vers trois mois et demi, à la campagne, on la mettait au grand air sur un tapis dans le jardin ; là, couchée sur le dos ou sur le ventre, pendant des heures entières elle s’agitait des quatre membres et poussait une quantité de cris et d’exclamations variés, mais rien que des voyelles, pas de consonnes ; cela dura, ainsi plusieurs mois. […] Plusieurs fois par jour et chaque fois pendant une demi-heure ou même une heure, entière, on le voyait toucher la cuiller, l’empoigner par un bout, par un autre, par le milieu, la lever en l’air pour la regarder à plusieurs distances et à plusieurs hauteurs, la frapper sur le plancher, éprouver ses diverses sonorités, ses rebonds, imprimer dans son esprit les diverses apparences qu’elle prenait selon ses diverses positions. […] Pendant des mois entiers, ç’a été pour lui un plaisir extrême et toujours neuf de reconnaître de loin et de nommer vingt fois de suite le bateau. 2º Lune. Comme sa sœur et aussi pendant des mois entiers, il était charmé de voir la lune sous toutes ses formes et à tous les points du ciel, de la reconnaître et de la nommer. […] De même un singe, un chien, un perroquet fait quelques pas dans le premier stade du langage ; il comprend son nom, souvent le nom de son maître, parfois un ou deux autres mots, surtout d’après l’intonation avec laquelle on les prononce ; mais il en reste là ; il ne dépasse pas la période des interjections et imitations ; il est même fort loin de la parcourir tout entière ; à plus forte raison il n’entre point dans le second stade, celui des racines.

507. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

C’est, dans le mariage, l’union parfaite des âmes, union qui ne saurait reposer que sur la liberté et l’absolue sincérité des deux époux et sur l’entière connaissance et intelligence qu’ils ont l’un de l’autre. […] Que si Henri Ibsen n’était déjà pas tout entier, quant aux idées, dans George Sand, c’est donc dans le théâtre de Dumas fils  antérieur, ne l’oubliez pas, à celui de l’écrivain norvégien  que nous achèverions de le retrouver. […] S’il est vrai que la littérature septentrionale de ces derniers temps reproduise à la fois l’idéalisme sentimental et inquiet de nos romantiques et le réalisme minutieux et impassible, d’intention ou d’apparence, qui date de l’année 1855, tout ce qu’on peut dire, c’est donc que ces écrivains du Nord nous offrent intimement mêlé ce qui fut, chez nous, successif et séparé (ou à peu près) et qu’ainsi ils abordent la peinture des hommes et des choses avec une âme et un esprit entiers, non mutilés, non resserrés dans un point de vue ou restreints à une attitude. […] D’autre part, quand ils sont excellents et quand ils m’émeuvent, ils m’émeuvent vraiment tout entier, car alors je suis bien sûr que c’est uniquement par la force de leur pensée, la justesse de leurs peintures et la sincérité de leur émotion qu’ils agissent sur moi. […] Le retour à l’ignorance, à la simplicité d’esprit et à la vie agricole ; pas de lois, pas de juges, pas d’armée, la non-résistance aux méchants devant procurer, paraît-il, la disparition des méchants ; en somme, le renoncement entier, voilà sa morale.

508. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Mais ils gagnent aussi quelquefois à nous être dévoilés tout entiers ; et c’est singulièrement le cas pour Alfred de Vigny, comme vous le verrez par les Lettres que vient de publier la Revue des Deux Mondes. […] L’horreur de l’universel cloaque de lâcheté, de sottise et d’impudicité qui est le monde ne lui laissait de refuges que ces étroits et secrets paradis d’entier renoncement et de pureté parfaite qui sont les couvents ; entendez les couvents intransigeants des carmélites ou des trappistes. […] Il lui est arrivé, l’autre jour, de se faire applaudir par l’assemblée tout entière. […] Le plus ignorant sentit peut-être que l’ancien régime n’est pas tout entier dans la Saint-Barthélemy ou dans les Dragonnades, pas plus que la Révolution n’est tout entière dans la Terreur.

509. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

En société, il est d’une insoutenable bêtise et condamné au mutisme par le tour entier de la conversation qui ne lui permet pas d’y insérer un mot. […] La loi, toute sévère qu’elle est, est l’expression de l’homme tout entier. […] Si la religion devait avoir dans la vie une place distincte, elle devrait absorber la vie tout entière ; le plus rigoureux ascétisme serait seul conséquent. […] La vraie religion philosophique ne réduirait pas à quelques rameaux ce grand arbre qui a ses racines dans l’âme de l’homme, elle ne serait qu’une façon de prendre la vie entière en voyant sous toute chose le sens idéal et divin, et en sanctifiant toute la vie par la pureté de l’âme et l’élévation du cœur. […] Donc l’humanité entière a cru à Dieu.

510. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

» — « L’Hellade alors lui serait soumise tout entière. » — « Ont-ils donc une si grande armée ?  […] l’armée entière des Barbares a péri !  […] Je mettrais dix jours à te raconter la multitude de nos maux, que ces dix jours entiers ne suffiraient pus. […] « En effet, quand un dieu eut donné la victoire aux Grecs, le même jour, tout couverts d’airain, ils sautent de leurs vaisseaux, cernent l’île entière : plus d’issue pour fuir. […] pourquoi ce double désastre sur ta terre, ô Roi, sur ton royaume tout entier ?

511. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

sa rançon n’est pas encore payée tout entière. […] Mademoiselle Olympe donne une fête, dans sa petite maison au treizième arrondissement tout entier. […] De même, à peine Diane de Lys s’est-elle montrée, que vous la devinez tout entière. […] et pourquoi prêter la tournure élégiaque d’une Madeleine à Vénus tout entière à sa proie attachée ? […] La femme la plus décriée peut marcher la tête haute, tant que son bélier conjugal marche patiemment à ses côtés ; mais que le mari se redresse, et la société tout entière vient à son secours, avec ses mépris, ses excommunications, ses rigueurs, ses refus de pain et de sel, de tolérance et de pitié, et elle chasse les deux amants dans le désert de la vie errante, et elle les envoie, suspects et précaires, manger en cachette, d’auberge en auberge, le fruit défendu qu’ils ont maraudé.

512. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Seulement, je veux vous faire remarquer qu’il y a des fables qui sont tout entières des narrations, non plus seulement des descriptions rapides, mais des narrations de la nature, c’est-à-dire une suite de tableaux de la nature se reliant entre eux et formant un récit, formant un poème de la nature. […] Belle journée d’automne où la nature est calme, reposée, silencieuse, pacifique, où les êtres jouissent du calme de l’atmosphère et du calme, tel qu’ils doivent l’imaginer, de l’univers tout entier, où les animaux, bien plus, les végétaux causent ensemble, se querellent amicalement, vont jusqu’à une légère dispute, échangent leurs impressions, montrent leur caractère, le chêne avec son orgueil et sa pitié plus ou moins simulée, plus ou moins factice pour le roseau ; le roseau, avec sa sagesse, sa résignation qui sait se soumettre aux chocs et qui s’incline. […] L’univers tout entier : hommes, bêtes, plantes et même la nature inanimée, à ce point qu’il a mis la montagne même en scène dans ses fables : la Montagne qui accouche. C’est devant la nature tout entière, humanité, animalité, végétalité, qu’il s’est placé, c’est-à-dire qu’il renouvelle les plus belles tentatives de l’antiquité, celle de Lucrèce et celle de Virgile. C’est la nature entière qu’il a voulu peindre.

513. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Il est religieux et dévot, quoique mondain et bon vivant ; il s’agenouille devant une croix qu’il rencontre, et récite des Pater et des Ave pour les morts ; il félicite les chevaliers qu’il célèbre, et tire sujet de louange pour eux que Dieu leur ait accordé pleine connaissance et entière repentance à l’heure de la mort. […] Entre trois morceaux d’une peinture bien expressive qu’on rencontre chez lui dès le début, l’un purement gracieux et romanesque, l’épisode de l’amour du roi Édouard pour la comtesse de Salisbury ; — l’autre, pathétique et dramatique, l’épisode du siège de Calais et des six bourgeois pour qui la reine d’Angleterre obtient grâce ; — un troisième, enfin, tout épique et grandiose, la bataille de Poitiers, j’ai préféré ce dernier comme nous montrant mieux Froissart dans sa plus haute et plus grande manière et dans son entier développement. […] Quant à la bataille du duc d’Orléans qui était venue, on ne sait trop pourquoi, se mettre derrière celle du roi toute saine et entière, il n’en est guère question, et il ne paraît pas qu’elle ait rendu de services en cette journée27. […] Mais la scène du souper surpasse tout et achève d’imprimer à cette journée son entier caractère de noblesse chevaleresque, et au tableau qui nous est retracé toute sa grandeur, j’ai presque dit sa sublimité.

514. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

l’humanité elle-même tout entière aurait pu dire, comme une famille quand elle a perdu celle qui faisait sa joie et son honneur : « La couronne de notre tête est tombée !  […] Messieurs, c’est d’abord de la posséder tout entière, de ne pas la concentrer et resserrer, sur quelques points trop rapprochés, de ne pas l’exagérer ici pour la méconnaître là. […] J’ai souvent remarqué que, quand deux bons esprits portent un jugement tout à fait différent sur le même auteur, il y a fort à parier que c’est qu’ils ne pensent pas en effet, pour le moment, au même objet, aux mêmes ouvrages de l’auteur en question, aux mêmes endroits de ses œuvres ; que c’est qu’ils ne l’ont pas tout entier présent, qu’ils ne le comprennent pas actuellement tout entier.

515. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Du moment en effet qu’il y avait jour pour Béranger de faire entrer sa pensée entière en chanson, que lui fallait-il de mieux ? […] Et jusque-là, jusqu’à ce grand moment, Avant le soir d’héroïque disgrâce, Du drame entier, dès le commencement, Témoin caché dont je poursuis la trace. […] La vie de Béranger, durant quinze ans, se lit tout entière dans ses chansons. […] Sa chanson, en effet, à laquelle un mot de Benjamin Constant avait conféré le diplôme d’Ode, était sans doute accueillie avec complaisance et distinction par la littérature de l’Empire ; mais elle n’était pas avec elle sur le pied d’égalité entière et native.

516. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Notre littérature des trois derniers siècles y est tout entière traitée, plusieurs même des grands noms assez en détail. […] Dans le milieu de son style, il y a de ces phrases, de ces paragraphes entiers qui me font l’effet des compagnies du centre au complet, défilant dans une revue, bonnes troupes, si l’on veut, mais peu distinctes, un peu lourdes, et qui passent assez longtemps devant vous sans qu’il y manque et sans qu’on y remarque un seul homme. […] Nisard, je me hasarderai à donner, en la traduisant, une pièce entière des Sylves, que j’ai choisie comme étant la plus courte et peut-être la plus simple : AU SOMMEIL Par quel crime, si jeune, ô des Dieux le plus doux, Par quel sort, ai-je pu perdre tes dons jaloux ? […] (Voir la pièce tout entière dans mes Poésies complètes.

517. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Quand on a voulu donner une idée de la vie à venir, on a dit que l’esprit de l’homme retournerait dans le sein de son Créateur ; c’était peindre quelque chose de l’émotion qu’on éprouve, lorsque après les longs égarements des passions, on entend tout à coup cette magnifique langue de la vertu, de la fierté, de la pitié, et qu’on trouve encore que son âme entière y est sensible. […] Un tel peuple est alors dans une disposition presque toujours insouciante ; le froid de l’âge semble atteindre la nation tout entière ; on en sait assez pour n’être pas étonné ; on n’a pas acquis assez de connaissances pour démêler avec certitude ce qui mérite l’estime ; beaucoup d’illusions sont détruites sans qu’aucune vérité soit établie ; on est retombé dans l’enfance par la vieillesse, dans l’incertitude par le raisonnement ; l’intérêt mutuel n’existe plus : on est dans cet état que le Dante appelait l’enfer des tièdes. […] Si l’analyse remonte jusqu’au vrai principe des institutions, elle donnera un nouveau degré de force aux vérités qu’elle aura conservées ; mais cette analyse superficielle, qui décompose les premières idées qui se présentent, sans examiner l’objet tout entier, cette analyse affaiblit nécessairement le mobile des opinions fortes. […] Mais l’art d’écrire serait aussi une arme, la parole serait aussi une action, si l’énergie de l’âme s’y peignait tout entière, si les sentiments s’élevaient à la hauteur des idées, et si la tyrannie se voyait ainsi attaquée par tout ce qui la condamne, l’indignation généreuse et la raison inflexible.

518. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

« Je prends de la fortune le premier argument : ils me sont également bons, et ne desseigne jamais de les traiter entiers : car je ne vois le tout de rien… De cent membres et visages qu’a chaque chose, j’en prends un, tantôt à lécher seulement, tantôt à effleurer, et parfois à pincer jusqu’à l’os : j’y donne une pointe, non pas le plus largement, mais le plus profondément que je sais, et aime plus souvent à les saisir par quelque lustre inusité233. » De cette libre allure vient cette fraicheur vive d’impression qui donne tant de grâce primesautière, tant de force pénétrante aussi à son expression. […] Nous le trouvons en effet là tout entier. […] En politique, il achète la paix, l’ordre, de l’entière soumission au pouvoir absolu. […] Très clairement, très nettement, en plus d’un endroit, il nous offre l’homme en sa personne : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition241 ».

519. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

J’en connais qui semble faite de rien, et qui me remplit tout entier. […] Mon ami avait raison de dire que, s’il me plaisait de mal parler de Hugo, je devais prendre son œuvre entière. […] Analyser et décrire sa poétique et sa rhétorique, c’est définir Hugo tout entier  ou presque. […] La figure entière du monde finit par tenir dans le développement du moindre lieu commun.

520. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Il frémit des éclairs, il s’épouvante du souffle tout-puissant qui passe, contemple avec chagrin les arbres terrassés raidissant sur le sol leur stature vaincue, lorsque voici tomber enfin l’eau lustrale dans la fuite des tonnerres lointains et la lumière peu à peu, comme sur l’étendue des bois tout entiers, est redescendu en lui. — Alors il réfléchit et s’en retourne la tête penchée, cherchant la raison de ce qu’il a aperçu, songeant à la vie dure et belle, à la lutte ; mais longuement attristé par sa rêverie, il relève pourtant le front, s’exalte de la joie d’être et dit ce qu’il a vu et compris. […] Pour elle il eût donné d’imaginaires et magiques tournois ; chaque trouée du taillis aurait connu l’or des armures et dans les fabuleux territoires du Songe des villes eussent été conquises, des peuples de géants domptés ; maintes merveilles somptueuses, maintes prouesses d’héroïsme comme en une haute-lisse assemblées en leurs images, seraient devenues un tapis idéal pour les pieds de la Fiancée et cela, combats, trésors, gloires et joies, eût formé le poème de son âme tout entière, — pur, vaste et noble drame, mélancolique comme l’attente, mystérieux comme la forêt, riche autant que les splendeurs songées, mais triste surtout et résigné, parce qu’Elle n’était point là et ne devait jamais venir. […] Aussi, je le répète encore, tandis que M. de Régnier s’abandonne tout entier à une contemplation résignée et presque passive, M.  […] Le titre d’un fragment exquis de ses « poèmes anciens » paraît avoir été choisi par un devin subtil pour signifier à jamais les paroles qu’il devait dire ensuite : motifs de légende et de mélancolie… et voilà l’œuvre entière du poète appelée par ces mots.

521. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Le but ne sera atteint que quand tous les hommes auront accès à cette véritable religion et que l’humanité entière sera cultivée. […] Mais, dominé par les forces d’ensemble et d’ordre de la société, il sera incessamment combattu et vaincu dans ce qu’il a d’absurde et de pervers tout en prenant progressivement sa place et sa part dans cet immense et redoutable développement de l’humanité tout entière qui s’accomplit de nos jours. » Ce qui fait la force du socialisme, c’est qu’il correspond à une tendance parfaitement légitime de l’esprit moderne, et en ce sens il en est bien le développement naturel. […] Le but, c’est la vie entière prise dans son unité. […] Tout sacrifice de l’individu qui n’est pas une injustice, c’est-à-dire la spoliation d’un droit naturel, est permis pour atteindre cette fin ; car dans ce cas le sacrifice n’est pas fait à la jouissance d’un autre, il est fait à la société tout entière.

522. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’extrême réflexion amène ainsi fatalement une sorte d’affadissement et de scepticisme léger, qui serait la mort de l’humanité, si elle y trempait tout entière. […] Le fruit, dès ses premiers jours, porte en lui le principe de sa pourriture ; étouffé d’abord durant la période de croissance par les forces organisatrices, ce principe se démasque à la maturité et prend dès lors le dessus, jusqu’à l’entière décomposition. […] Que de fois, dans ma pauvre chambre, au milieu de mes livres, j’ai goûté la plénitude du bonheur, et j’ai défié le monde entier de procurer à qui que ce soit des joies plus pures que celles que je trouvais dans l’exercice calme et désintéressé de ma pensée ! […] Plût à Dieu que toutes les âmes vives et pures fussent convaincues que la question de l’avenir de l’humanité est tout entière une question de doctrine et de croyance, et que la philosophie seule, c’est-à-dire la recherche rationnelle, est compétente pour la résoudre !

523. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Je viens de m’efforcer pour la première fois de le parcourir tout entier, et ce n’a certes pas été sans dégoût et sans ennui. […] Dans une autre circonstance, comme la municipalité de Blérancourt faisait brûler en grande pompe, sur la place publique, la protestation que quelques membres de la minorité de l’Assemblée constituante s’étaient permise contre le décret favorable aux droits des non-catholiques : « M. de Saint-Just, dit le procès-verbal, a prêté le serment civique, et il a promis de mourir par le même feu qui a dévoré la protestation, plutôt que de refuser sa soumission entière à la Nation, à la Loi et au Roi. » On a prétendu même qu’il étendit la main sur le brasier, comme Scévola. […] « L’injustice a fermé mon cœur, je vais l’ouvrir tout entier à la Convention nationale », écrivait-il le matin du même jour à ses collègues du Comité de salut public, et en rompant avec eux. […] La philosophie politique de Saint-Just était déjà tout entière, en effet, dans ce premier discours.

524. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Même observation encore s’il en avait deux, si c’était un univers superficiel, toile indéfinie sur laquelle se dessineraient indéfiniment des images plates l’occupant chacune tout entière : la rapidité de succession de ces images pourra encore devenir infinie, et d’un univers qui se déroule nous passerons encore à un univers déroulé, pourvu que nous soit accordée une dimension supplémentaire. Nous aurons alors, empilées les unes sur les autres, toutes les toiles sans fin nous donnant toutes les images successives qui composent l’histoire entière de l’univers ; nous les posséderons ensemble ; mais d’un univers plat nous aurons dû passer à un univers volumineux. […] La mesure d’une chose est parfois révélatrice de sa nature, et l’expression mathématique se trouve justement ici avoir une vertu magique : créée par nous ou surgie à notre appel, elle fait plus que nous ne lui demandions ; car nous ne pouvons convertir en espace le temps déjà écoulé sans traiter de même le Temps tout entier : l’acte par lequel nous introduisons le passé et le présent dans l’espace y étale, sans nous consulter, l’avenir. […] Oui, c’est nous qui passons quand nous disons que le temps passe ; c’est le mouvement en avant de notre vision qui actualise, moment par moment, une histoire virtuellement donnée tout entière. » — Telle est la métaphysique immanente à la représentation spatiale du temps.

525. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

En ce danger il s’adressa à Dieu, et, s’étant relevé sain et sauf, il sentit le désir de se donner tout entier à celui à qui il devait le salut. […] Pour se mettre tout entier à une telle œuvre en dérobant son nom, en ne citant que ceux des personnes à qui l’on a obligation de quelque secours et communication bienveillante ; pour se résoudre à aborder sur son chemin tous les auteurs quelconques qui ont écrit, les ennuyeux, les épineux, les scolastiques, les sages, les menteurs, les frivoles, et ceux qui édifient et ceux qui scandalisent ; pour s’engager à rendre de tous un compte honnête, scrupuleux et impartial, en vue de l’exactitude et même de la charité, il fallait avoir un zèle et une candeur primitive qui n’est pas étrangère à l’âme des vrais et purs studieux, mais que la religion ici consacrait et arrosait pour ainsi dire d’une douceur et, je ne crois pas profaner ce mot, d’une bénédiction secrète. […] Qu’aurait dit Voltaire, s’il avait vu les plus circonspects, il est vrai, mais non les moins malins de ses disciples, comme Daunou, désignés pour continuer l’œuvre du premier bénédictin, s’attachant tout entiers à le faire dignement sans en altérer l’intention, et y mettant leur honneur ?

526. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

et je dirai, sur quel autre âge pourrait-on revenir pour y intéresser les autres et pour les en entretenir avec fidélité entière et sincérité ? […] Il y a des chapitres, et souvent les plus essentiels, qu’à une lecture publique il faudrait supprimer tout entiers. […] Un grand portrait de lui, un portrait en pied, serait à faire, et, si on le traitait de la même manière qu’il a traité les autres, Monge par exemple, et pas plus délicatement, il s’y peindrait tant bien que mal tout entier.

527. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Des mois entiers s’usaient à des discussions sans résultat entre les députés des archiducs, le marquis de Spinola, le président Richardot et les autres négociateurs. […] Le roi lui demanda à titre de service de se charger d’écrire l’histoire de son règne, l’assurant « qu’il entendait laisser la vérité en sa franchise, et à l’auteur la liberté entière de l’écrire sans fard ni artifice, et sans lui attribuer, à lui, ce qui était dû à la seule providence de Dieu ou à la vertu d’autrui ». […] Au reste, pour apprécier l’ensemble de la conduite et du caractère du président Jeannin en ces années, on n’a rien de mieux à faire que de s’en rapporter au témoignage décisif du cardinal de Richelieu, un moment son adversaire, qui le vit de près à l’œuvre, qui lisait et relisait ses Négociations manuscrites durant son exil d’Avignon, et à qui il échappe à son sujet des paroles d’une admiration généreuse : On ne saurait assez dire de ses louanges, écrit-il à l’occasion de sa mort ; mais il faut faire comme les cosmographes qui dépeignent dans leurs cartes les régions tout entières par un seul trait de plume.

528. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

C’était l’opinion de Dorat, car Dorat connut le drame de Ramond, et, qui plus est, il l’inséra tout entier dans son Journal des dames (octobre 1777). […] Son récit de voyage dans les parties supérieures du Hasly offre des passages admirables, et plus simples peut-être d’expression qu’il n’en trouvera plus tard lorsque son talent, d’ailleurs, aura acquis sa plus entière originalité. […] Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les notes du voyage de Ramond soient de ce ton, qui deviendrait fatigant à force de sublimité ; il proportionne son langage à ses sujets ; il a ses anecdotes piquantes ; et, quand il traite une question historique ou physique, il y est tout entier.

529. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Il affectionnait singulièrement un amandier sous lequel il se réfugiait aux moindres émotions ; je l’ai vu rester là debout des heures entières. […] Il a fait son René, son Werther, sans y mêler d’égoïsme et en se métamorphosant tout entier dans une personnification qui reste idéale, même dans ce qu’elle a de monstrueux : il n’a pris la coupe du Centaure que pour qu’elle pût le porter plus vite et plus loin. […] La vie de Guérin, qui fut tout entière dans les luttes et les orages du rêve intérieur, n’est marquée par aucun événement, même littéraire ; il ne pensa jamais à rien publier.

530. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Montesquieu écrit peu (autant du moins qu’on en peut juger par ce qu’on a), et il écrit sans prétention : son grand esprit, sa forte et haute imagination, sa faculté élevée de concevoir et son talent de frapper médaille ou de graver, sont tout entiers tournés et employés à ses compositions savantes et rares. […] Voici en entier cette admirable lettre ; tout ce qu’elle a d’impérieux est puisé dans la tendresse même, dans l’amour paternel le mieux entendu, qui n’est pas séparable du sentiment de l’honneur et de la dignité : Au Jardin du roi, le 22 juin 1787. […] Conformez-vous en entier, pour tout le reste, aux avis de M. de Faujas, qui vous fera part de toutes mes intentions et vous remettra vingt-cinq louis de ma part ; et si vous avez besoin des trois mille livres que vous devez recevoir le 4 août, je les donnerai à M. 

531. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

L’intérêt réel est tout entier dans le sujet même, pleinement et sincèrement compris et aimé, et traité franchement et grassement, si je puis dire. […] Si amis des champs que nous soyons, nous sommes lettrés et amis des lettrés ; nous aimons à nous promener dans la campagne, un Virgile à la main : Épris du doux Virgile et plein de ses leçons, J’aime les prés touffus et les grasses moissons ; J’aime toute culture, et tout ce que renferme, Petit monde ignoré, le chalet ou la ferme ; J’aime les bons semeurs, habiles aux labours, Qui portent vaillamment le poids des plus longs jours, Prodiguant sans relâche à la terre altérée Le généreux ferment d’une sueur sacrée ; Et ces pasteurs aussi qui, pour des mois entiers, Des habitations désertant les sentiers, Dirigent d’un pas lent vers la montagne en herbe Et la chèvre au flanc creux et l’aumaille superbe, Pasteurs et laboureurs ! […] S’ils avaient bien observé et avec une entière bonne foi, ils seraient nécessairement, forcément arrivés à bien dire et à peindre, en dépit de toutes les rhétoriques ou plutôt en vertu de la seule et vraie rhétorique : Scribendi recte sapere est et principium et fons.

532. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Les nations, comme les hommes, n’ont que d’illustres moments ; aux jours de gloire et de grandeur morale qui méritent et obtiennent le triomphe, succèdent des journées monotones que le bon sens et une juste politique pratique doivent, sous peine de déchet, occuper tout entières et remplir. […] … » Lui qui, dans le dernier chant de Childe Harold tout entier consacré à la glorification de l’Italie, appellera Rome une « mère sans enfants, la Niobé des nations », il avait fait auparavant, de la Grèce morte, cette admirable et divine comparaison avec une femme dont la beauté se conserve encore, dans une indéfinissable nuance de calme, de douceur et de majesté, pendant les premières heures du moins qui suivent le dernier soupir : « Tel est l’aspect de ce rivage, s’écrie-t-il ; c’est la Grèce encore, mais non plus la Grèce vivante. […] Mme de Gasparin, âme ardente, promeneuse naïve et originale, et qui se porte elle-même tout entière partout, est par trop occupée, en posant le pied à Corinthe, de rendre grâces en style biblique, et, en face du Parthénon, de discuter pour ou contre l’utilité des missionnaires.

533. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

« J’embrasserai comme dans un tableau raccourci l’image entière du peuple romain », disait Florus au début de son Abrégé de l’histoire romaine. […] Bossuet les dédaigne et ne s’y amuse pas ; il attend les deux autres parties pour y mettre ses pensées tout entières. […] L’examen des manuscrits a amené une entière reconstitution du texte : c’est toute une petite révolution sur Florus.

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