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574. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

Émile de Girardin, celui-ci lui dit : « Voyez-vous, on levait autrefois un régiment à ses frais, aujourd’hui on crée un journal.

575. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — I »

Enfin, si nous remontons plus haut encore, si nous la suivons au Palais-Royal, dans le monde, nous la verrons sans cesse briguant avec fureur la célébrité, dans un temps où celle-ci était le prix des talents d’éclat, poursuivant tous ces talents, cultivant tous les arts, jusqu’à y trop exceller, transportant le théâtre dans les salons et l’école dans le théâtre, cumulant dans sa tête dévotion, galanterie, sensibilité, pédantisme, en un mot, toutes les inconséquences dont est capable une femme d’esprit, décidée à se créer en toute hâte une existence supérieure et plus que privée.

576. (1874) Premiers lundis. Tome I « Charles »

Toujours l’auteur se prépare à la composition par la solitude ; il s’y exalte longuement de ses souvenirs, de ses espérances, et de tout ce qui a prise sur son âme ; il se crée un monde selon son cœur, et le peuple d’êtres chéris ; le nombre en est petit ; il leur prête toutes les perfections qu’il admire, tous les défauts qu’il aime ; il les fait charmants pour lui : mais trop souvent, si son imagination insatiable ne s’arrête à temps, s’élevant à force de passion à des calculs subtils, et raisonnant sans nn sur les plus minces sentiments, il n’enfantera aux yeux des autres que des êtres fantastiques dans lesquels on ne reconnaîtra rien de réel que cet état de folle rêverie où il s’est jeté pour les produire.

577. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

L’esprit est ainsi conduit à découvrir des liaisons secrètes ou des contrastes imprévus entre les choses : quelquefois, par sa volonté même de les associer, il crée entre elles le rapport de sympathie ou d’antipathie.

578. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

Art et philosophie : les vers, savants et froids, ne chantent pas ; les pensées, niant, ne créent pas.

579. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Ghil, René (1862-1925) »

René Ghil exposait sa théorie, encore spontanée et un peu incomplète, de l’instrumentation verbale, expression par lui créée et qui devint assez courante.

580. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

À travers leurs figures classiques, j’ai fait entrevoir le jeu des phénomènes atmosphériques ou solaires qui les ont créés à l’horizon lointain de la haute Asie.

581. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Le cœur humain veut plus qu’il ne peut ; il veut surtout admirer : il a en soi-même un élan vers une beauté inconnue, pour laquelle il fut créé dans son origine.

582. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre II. Amour passionné. — Didon. »

Elle atteste aussi les lieux témoins de son bonheur, car c’est une coutume des malheureux, d’associer à leurs sentiments les objets qui les environnent ; abandonnés des hommes, ils cherchent à se créer des appuis, en animant de leurs douleurs les êtres insensibles autour d’eux.

583. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Ce sont les hommes comme Eugène Chapus qui pourraient créer dans notre pays ce genre spécial de littérature, à laquelle Balzac préludait si grandement dès 1830 par son Traité de la vie élégante.

584. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Il ne l’a pas, il ne la crée jamais, même quand il se plaint, quand il blâme ou s’indigne, quand ses sentiments sont le plus remués par ce qu’il voit.

585. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Furetière »

Peintre de mœurs dans un cadre étroit et qu’il n’a pas dépassé, il a créé des types auprès desquels les types de la comédie en qui nous croyons le plus, les Chrysale, les Dandin, les Vadius, les Jourdain, les Chicaneau, ne sont que de véritables maigreurs dramatiques ; car le drame ne permet pas de faire le tour d’un type comme le roman, dans lequel un personnage plus grand que nature ne cesse pas pour cela d’être nature.

586. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Qu’est-ce que cet etc., sinon l’idée d’une infinité de définitions analogues à celles qu’on a créées ? […] C’est Lavoisier qui, en démêlant les principes de la chimie, a créé cette science telle qu’elle existe aujourd’hui. […] La sollicitation fait nature un besoin, le besoin détermine une habitude, et l’habitude crée l’organe. […] On lit dans la Genèse que les herbes et les arbres, les animaux et les oiseaux furent créés de telle sorte que chacun portât semence selon son espèce. […] Mais cela était incompréhensible, soit que l’on supposât que l’esprit crée de la force motrice, soit que l’on admît que ce qui soi-même n’est pas mouvement peut directement déterminer un mouvement.

587. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il n’est point de palais ni d’ordre social qui crée cette divine beauté là où elle n’est pas. […] Seulement, il en est qu’il a dessinés du dehors, et il en est qu’il a créés par le dedans. […] Ils ont réussi à créer un art d’une singulière nouveauté. […] Elle doit vivre par elle-même, d’une vie propre, d’une vie étrangère à la destinée personnelle de celui qui l’a créée. […] Tout artiste puissant est « créé comme un monde ».

588. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Il se crée une succession indéfinie d’espérances, d’efforts renaissants et de jeunesses. […] Le poëte redore les renommées amies qui pâlissent : il ressuscite et crée le héros qu’on ignore. […] Madame de Chateaubriand elle-même y cède, et elle entame une de ces merveilleuses histoires de revenants et de chevaliers, comme celle du sire de Beaumanoir et de Jehan de Tinténiac, dont le poëte nous reproduit la légende dans une langue créée, inouïe. 

589. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Lamartine engendre la sérénité, il la crée même là où il n’y a pas lieu ; René engendre l’orage ! […] « Ce dernier cri est presque un écho fidèlement répété : « Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie… » Mais René a plus d’énergie que Lamartine et que tous les Jocelyns du monde quand il continue en ces immortels accents : « La nuit, lorsque l’aquilon ébranlait ma chaumière, que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu’à travers ma fenêtre je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues, il me semblait que la vie redoublait au fond de mon cœur, que j’aurais eu la puissance de créer des mondes. […] Aussi, voyez comme ce nom remplace tous les autres, même celui de Voltaire, le dictateur de l’intelligence universelle ; à peine s’en souvient-on encore, et il vient seulement de mourir au seuil des temps qu’il a créés.

590. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Les faits, l’action, le dénouement sont créés par le poète ; mais en effet ce sont bien là, quoi qu’on ait voulu dire, les Musulmans et les croisés du temps de saint Louis ; ce sont réellement leurs idées, leurs affections, leurs habitudes, leurs caractères ; et cette tragédie existait en quelque sorte toute entière dans l’atmosphère historique ; voilà pourquoi elle est si pleine d’intérêt et d’instruction : à beaucoup d’égards, on en peut dire autant d’Alzire. […] Qu’Oreste baigné du sang de sa mère tremble à l’aspect des furies vengeresses dont il se croit entouré ; que Macbeth et Richard III poursuivis par leurs remords pensent l’être par leurs victimes, cet égarement de leurs esprits est la punition de leurs crimes ; et la nature même a créé de tels supplices pour les coupables échappés à la justice humaine. […] Schlegel ne s’arrête pas non plus à nous offrir cette instruction, occupé qu’il est de faire le procès à Racine et à Voltaire ; madame de Staël nous enseigne au moins qu’il y a deux littératures, celle du nord et celle du midi ; la première créée par le génie d’Odin, d’Ossian, des Scaldes et des Bardes ; la seconde qui ne saurait offrir d’autres chefs-d’œuvre que ceux d’Homère, de Virgile, des Italiens du seizième siècle, et des Français du dix-septième.

591. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Quel que soit son sujet, et quoi que lui fournisse la nature, l’artiste a toujours à créer une forme, la plus vraie, la plus expressive, la plus belle enfin qu’il se pourra. […] On sait que l’événement lui a donné tort, et que le xviiie  siècle a créé deux formes dramatiques, pour lesquelles le xixe a délaissé la tragédie et réduit la pure comédie à la farce ; l’une, le drame bourgeois, qui emprunte ses personnages à la comédie et son action à la tragédie ; l’autre, la comédie larmoyante, ou mixte, la pièce, comme on dit assez vaguement de nos jours, qui associe et fond dans des proportions diverses les impressions tragiques et comiques, le rire et les larmes. […] C’est ce point, au-delà duquel l’art ne peut rien, où notre intelligence croit prendre le contact immédiat et direct de la nature, et où cette interposition d’un esprit entre l’objet et nous ne nous est plus sensible : tant la forme créée artificiellement par son effort parvient à être adéquate à la réalité, qui semble s’être approchée jusqu’à nous et dont il ne nous paraît plus que rien nous sépare.

592. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Depuis dix ans déjà, son idéal de l’œuvre d’art se formait en lui, se dessinait de plus en plus clairement ; L’échec de Tannhaeuser n’y était pour rien : mais jusqu’à ce jour, il avait pensé pouvoir y arriver directement ; il croyait trouver dans notre théâtre l’instrument voulu pour la réalisation de ce qu’il devait créer, et dans le public un large noyau de ce qu’il appela plus tard « le peuple d’idéalistes ». […] On abuse aujourd’hui du mot de pessimisme, qui, pour beaucoup de personnes, est un terme d’opprobre sans signification précise, que d’autres appliquent indifféremment à une théorie philosophique et à un état moral ; dans ce dernier sens, on peut qualifier Lohengrin d’œuvre pessimiste, par excellence. — Or, la foi, l’affirmation, exigent un effort ; affirmer est toujours créer ; le doute n’exige que l’abstention d’une faculté. […] Ce premier moment passé, la revue s’adressera à un public débarrassé des préjugés antiwagnériens, à ceux qui « doivent devenir des wagnéristes », c’est-à-dire qui souhaitent créer selon les préceptes esthétiques de Wagner.

593. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Or, il faut savoir ce qu’on entend généralement par un « artiste » : c’est un être créé uniquement pour produire et non pour penser ; quand il a le malheur de réfléchir avant d’agir, il lui arrive ce qui est arrivé, d’après M.  […] Obligé de m’avouer que je me trouvais dans une situation pareille, force a été pour moi, à une certaine époque de ma vie (1849-1850), de faire une halte dans une carrière de production plus ou moins spontanée, il m’a fallu de longues réflexions pour sonder les motifs de cette situation énigmatique et m’en rendre compte… » C’est seulement à partir de ce moment que Wagner voulut créer un art, et ce n’est qu’en 1876, quand il l’eut réalisé, qu’il put dire : « Maintenant, nous avons un art !  […] Après les refus français, c’est au théâtre de la Monnaie de Bruxelles que la Walkyrie est créée en langue française sous la direction de Joseph Dupont.

594. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Pour cet être ― c’est ici d’un groupe social qu’il s’agit — pour cet être aux formes duquel l’idée fut adaptée, ce résumé de l’expérience, enfermé dans l’énoncé d’une notion transmissible, est proprement une attitude d’utilité, c’est-à-dire un moyen de créer sa propre réalité par la discipline d’un commandement qui se répète, puis de conserver ou d’augmenter sa santé et sa force. […] D’une façon générale, il apparaît que l’idée qui, dans sa pureté, allait à renier le monde, concluait au renoncement des biens terrestres, proclamait la fraternité humaine, l’égalité de tous et la vanité des différences, tenait en mépris l’effort intellectuel et la recherche scientifique, condamnait l’attachement à la beauté des formes, des mots et des sons, a donné naissance, avec le monde moderne qu’elle a créé, à l’organisation de la propriété, au développement de la richesse, à la constitution des hiérarchies, à un labeur inouï de l’humanité occidentale pour s’emparer des forces de la nature, à un accroissement des besoins, à une culture scientifique, dont le monde antique n’a pas approché, ainsi qu’à des formes d’art nouvelles et d’une égale beauté. […] Il est trop évident qu’ils ont un intérêt majeur à nier ces différences, afin de jouir immédiatement et d’une manière intégrale d’une civilisation qui n’a pourtant été créée, à travers le cours des siècles, que par un long effort commun.

595. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Difficulté des classifications en psychologie La nature des choses est d’ordinaire rebelle aux classifications ; rarement elle nous présente des différences tranchées, des limites fixes que l’esprit n’ait plus qu’à constater avec exactitude et à fixer pour lui-même par une nomenclature ; le plus souvent, l’esprit doit créer la classe avant de la nommer ; la nature lui présente des séries presque continues dans lesquelles il lui faut découper plus ou moins arbitrairement des divisions plus ou moins idéales. […] C’est ainsi qu’Alfred de Musset dit très exactement : Un vers d’André Chénier chanta dans ma mémoire 235 Mais si, avec des mots du dictionnaire usuel, je forge intérieurement une phrase que je n’ai jamais entendue, ce qui arrive sans cesse, les uns pourront dire que j’imagine, car l’ensemble conçu est nouveau, les éléments seuls sont anciens ; les autres pourront soutenir que, les mots étant faits pour être groupés de mille façons, on n’invente pas dans les mots, c’est-à-dire dans la parole, quand on se borne à les ranger dans un ordre nouveau, mais seulement quand on crée de toutes pièces un mot nouveau. […] La mémoire sensible fournit comme le premier fonds de cette construction originale, de cette œuvre homogène et distincte ; mais la parole intérieure, une fois créée, une fois mise en train à titre d’écho de la sensation sonore, semble oublier ses origines ; on la dirait vivante par elle-même ou par un autre principe que celui qui l’a fait naître.

596. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Il s’agit là d’une création spontanée de l’esprit et cela n’a plus rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels, dans lesquels notre esprit ne doit rien créer. » Opinion que Zola repousse énergiquement et avec logique, puisqu’elle serait la négation de sa méthode expérimentable appliquée à la littérature. […] La raison en est peut-être, qu’il s’est trop étroitement attaché à la science en perpétuelle évolution ; la servitude qu’il s’est créée l’a certainement appauvri. […] Je ne sais pourquoi quelques-uns de ses personnages et de ses tableaux m’apparaissent comme un artifice de réalité, et me semblent créés par la volonté violente d’un esprit tout plein d’une formule, au lieu de jaillir naturellement du contact de la nature, du pur et simple sentiment de vie dans l’être du romancier.

597. (1922) Gustave Flaubert

Comme le Garçon, il est créé par une équipe. […] Écrire une autobiographie, c’est se limiter à son unité artificielle ; faire une œuvre d’art, créer les personnages d’un roman, c’est se sentir dans sa multiplicité profonde. […] Elles sont destinées à créer une atmosphère, et aussi à placer Flaubert dans l’atmosphère de son travail. […] Il dégorge ses idées reçues comme une machine, alors qu’Homais est campé comme quelqu’un qui reçoit ses idées et même les crée. […] Écrivant un roman sur Carthage, hanté par cette idée de Carthage, Flaubert ne pouvait créer en Salammbô une femme vivante.

598. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme.

599. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

C’est lui qui crée le silence, la fraîcheur et l’ombre dans les forêts.

600. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIII »

Le rebours serait plutôt vrai, et l’on pourrait ainsi retourner l’axiome : « On n’est pas original, on le devient. » Les écrivains véritablement originaux ont, il me semble, voix au chapitre, et ce sont eux qu’il faut entendre, On sait comment Taine a créé son style.

601. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

»‌ Or, non seulement je ne le proscris pas, ce genre de phrases, mais j’ai déclaré formellement ceci, de peur qu’on ne se méprenne :‌ « Cela ne veut pas dire qu’on doive proscrire ces expressions, Il y a des cas où il les faut, où elles sont très belles et où rien ne peut les remplacer… On peut se permettre ces locations et on les trouve chez les meilleurs écrivains ; mais c’est la continuité qui crée la banalité et le caractère incolore du style. »‌ Pourquoi nos adversaires tronquent-ils toujours notre pensée et ne rapportent-ils que la moitié de nos opinions ?

602. (1902) La poésie nouvelle

Ils se donnent beaucoup de mal pour créer des strophes nouvelles, très difficiles, aussi difficiles que possible, et se consument à ce vain exercice.‌ […] Et, réagissant contre les Parnassiens, comme avaient fait les Romantiques contre les Classiques, les poètes dont je parle disloquèrent l’alexandrin plutôt qu’ils ne créèrent (à leurs débuts) un vers nouveau.‌ […] Allait-il donc, en désorganisant la métrique parnassienne, créer le vers libre ? […] Or, Laforgue, avec Gustave Kahn et peut-être sur l’indication première de celui-ci, se créa donc son vers libre, — très différent, d’ailleurs, de celui de Kahn, mais dérivé du même principe.‌ […] » — la princesse Aricie, timide, aux pleurs sanglants, le vieil Ashvérus, avec son air de légende, apparaissent d’abord, figures très caractéristiques que créèrent et dont s’amusèrent les ancêtres.

603. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

Telle était notre construction précédente à propos de la ligne droite ; elle engendrait la plus simple des lignes et, avec le point en mouvement, créait la première dimension. Telle est notre construction présente ; elle engendre la plus simple des surfaces et, avec la droite en mouvement, crée la seconde dimension. Telle serait une dernière construction analogue, qui engendrerait le plus simple des solides et, avec notre surface en mouvement, créerait la troisième dimension. […] Ce qui crée l’infinité de la série, ce sont les propriétés de ses éléments. […] Nous n’en savons rien ; nous ne pouvons rien préjuger ; là-dessus, toute assertion ou négation serait gratuite ; le champ est libre pour les hypothèses, et il appartient à l’hypothèse qui s’accordera le mieux avec les faits observables. — En somme, entre le réceptacle préconçu et le réceptacle observé, la coïncidence est grande ; il y a même des chances pour qu’elle soit complète : car, si nous avons créé le fantôme interne, nous l’avons créé avec des éléments empruntés à la réalité externe, avec les éléments les plus simples et combinés de la façon la plus simple.

604. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Esprit et cœur, sa République est en tout le paradoxe de Dieu, le contrepied de la nature, le roman de l’homme, depuis l’égalité des biens, aussi impossible à réaliser que le niveau constant des vagues sur la surface incessamment mobile de l’Océan ; depuis la communauté des produits, produits aussi impossibles à répartir qu’à créer, puisque la répartition suppose l’infaillibilité divine dans le gouvernement, et que le produit lui-même suppose l’uniformité du travail dans l’oisif, qui consomme sans rien faire, et dans l’homme laborieux, qui travaille sans salaire ; depuis la destruction de la famille, ce nid générateur et conservateur de l’espèce humaine, pour remplacer le père et la mère par une maternité métaphysique de l’État, qui n’a pas de lait, et par une paternité métaphysique de l’État, qui n’a pas d’entrailles ; depuis la communauté des femmes, qui change l’amour en bestialité, jusqu’à la communauté des enfants, qui détruit la piété filiale en défendant aux enfants de connaître leur père ; depuis le meurtre des nouveau-nés mal conformés, pour épurer la race, jusqu’au meurtre des vieillards, pour écarter des yeux le spectacle de la décadence et la céleste vertu de la compassion. […] Sa musique naïve et semi-italienne le révèle aux théâtres de société ; il tente de s’élever jusqu’à la scène de l’Opéra ; ses comédies, ses poésies, ses romances, lui créent une demi-renommée de salon. […] La guerre intestine qu’il avait déclarée aux philosophes, ses premiers prôneurs, lui avait créé entre le christianisme et l’athéisme une situation exceptionnelle qui lui faisait ce qu’on nomme un tiers-parti dans les assemblées. […] Nous nous résumerons, dans le prochain Entretien, sur la législation de la nature, et nous vous dirons à notre tour : Voilà la véritable société, telle que Dieu l’a instituée quand il a daigné créer l’homme sociable.

605. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Ces dogmes, les voici : Un Dieu unique ; Une triple essence en Dieu, la puissance, la sagesse, la bonté ; Le Dieu créateur de la nature ; Le Verbe, la Pensée, la Parole divine, en grec le Logos, modèle ou type de cette création ; Une hiérarchie de dieux secondaires créés et subordonnés au Dieu unique ; Ces dieux secondaires, ou ces anges, ces démons, ces esprits, chargés de diriger les astres et de présider aux phénomènes de l’univers ; Un fils de Dieu, qui est la lumière ; La pensée de Dieu se reflétant dans l’homme, qui est l’image de son Créateur ; La parenté de l’homme et de Dieu par la raison. […]  » Saint Paul écrit quelques années après aux Hébreux : « Dieu a créé les siècles par son Fils, le Verbe, la parole divine, la lumière, la vie !  […] Les vices choquants qui scandalisent l’intelligence et le cœur de l’homme dans le mécanisme de la nature, dans le bien imparfait, dans le mal universel, dans la souffrance, dans la mort, firent présumer aux Égyptiens, aux Grecs, que ce monde n’était pas l’œuvre directe du Dieu suprême, mais l’œuvre maladroite et imparfaite des divinités inférieures auxquelles il avait accordé la faculté de créer d’après lui. […] Le type suprême et universel de ces idées, l’exemplaire primitif et sans autre exemplaire que lui-même de ces idées, c’est Dieu, idée par excellence, qui a tout imaginé et créé à son image, âme et matière, il porte en lui les essences, c’est-à-dire les qualités essentielles, fondamentales, de tous les êtres animés ou inanimés.

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