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332. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

L’écrivain de telle phrase : « Chacune des femmes étendues avait déjà un compagnon secret dont elle créait le charme à l’image réelle de son désir enfantin » est un écrivain qui, de sa langue, n’a plus rien à apprendre. […] Il a dans le journalisme parisien créé bien des genres.

333. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

La tâche essentielle de la politique est de créer artificiellement des courants d’opinion, à l’aide de groupements : partis, comités, ligues, etc., où l’on pratique le compelle intrare et le compelle remanere et où l’individu indépendant ne peut guère faire entendre sa voix au milieu du bruit tumultueux et confus des voix anonymes. […] Ainsi le peuple se tyrannise lui-même, en s’imposant à lui-même le respect d’opinions créées par des individus dont la banalité intellectuelle s’adapte parfaitement à la moyenne niaiserie sentimentale… On voit en démocratie « le mécanisme singulier d’un navire dont l’équipage n’obéit aux officiers que parce que les officiers ont mis le cap sur le port où les matelots veulent débarquer.

334. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

À quelques lieues de Jésus, à Samarie, un magicien nommé Simon se créait par ses prestiges un rôle presque divin 735. […] Jésus se fût obstinément refusé à faire des prodiges que la foule en eût créé pour lui ; le plus grand miracle eût été qu’il n’en fît pas ; jamais les lois de l’histoire et de la psychologie populaire n’eussent subi une plus forte dérogation.

335. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Mais s’il ne se dirigea pas consciemment vers un tel but ce but fut impliqué dans la forme même de sa vision, qui, à vrai dire, le créa. […] Elles constituent entre elles une hiérarchie et l’existence de cette hiérarchie de tendances suffit à créer un état de Bovarysme, dès que, sous l’influence de la notion imposée par le milieu, les termes en sont intervertis, dès que l’être humain, à l’instigation des images, donne le pas à des tendances plus faibles sur de plus fortes.

336. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Mais que faire, lorsqu’on veut peindre ce que l’on n’a pas vu, lorsqu’on crée, ou qu’on imagine, ou qu’on invente ? […] Qu’on le veuille ou non, on invente, on crée, c’est le fond de la littérature ; et je tiens que l’on se moque, lorsqu’on prétend qu’on ne doit peindre ni faux déraillement, ni faux naufrage.

337. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

En attendant qu’elles soient hommes tout à fait par la tête, elles se font hommes parle nom, croyant sans doute comme Mahomet, ce singulier et terrible nominaliste, que « nommer les choses, c’est les créer !  […] La mahométane Mme Henry Gréville qui s’est créée homme… par le nom, est une nouvelle venue dans la littérature de l’instant.

338. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Dans cette organisation d’artiste qui transmue tout ce qu’elle reçoit, l’histoire, la connaissance de l’histoire a créé à un philosophe une foi catholique, — ce qu’il fallait de foi catholique pour achever une œuvre de foi catholique, et l’achever de manière à satisfaire également l’exigence des artistes et l’âme des saints ! […] Ce qu’on appelle de mots si grands, l’invention humaine, le génie, la faculté de créer, n’aboutissent jamais qu’à ce résultat : idéaliser un peu l’histoire !

339. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

pas diminuer la poésie, s’il y en a réellement dans l’Inde, et si ce n’est pas nous qui la créons, pauvres éblouis que nous sommes par les reflets de ces boules d’or tournant au soleil, avec lesquelles, comme de vrais Indiens, nous nous sommes mis à jongler ! […] » Cependant, tel que le voilà traduit, ce livre bizarre, c’est un événement, et non pas seulement pour l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; car il atteste, ce que l’on commençait bien d’entrevoir, il est vrai, et ce qu’il faudra bien finir par proclamer tout haut, que les païens de toute espèce, battus par les doctrines chrétiennes, qui voulaient faire sortir de l’Inde une poésie et une philosophie pour les opposer à tout ce que le Christianisme a créé dans l’ordre du beau et du vrai parmi nous, n’ont trouvé, en somme, ni l’une ni l’autre.

340. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

Stendhal, en effet, qui a créé l’abbé Julien Sorel du Rouge et Noir, l’abbé Fabrice de La Chartreuse de Parme, et surtout le janséniste abbé Pirard, d’une vérité de génie, Stendhal hait le prêtre de la haine d’un voltairien et d’un athée, et peu importe ! […] Shakespeare a créé, lui, l’impossible et monstrueux Caliban.

341. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Catulle Mendès, le consubstantiel de Victor Hugo, n’a pas plus que son consubstantiel dans l’esprit le lucidus ordo qui crée dans un livre l’harmonie d’une architecture… Taquinerie moqueuse de son destin ! […] Et, cependant, dans ce monde impossible, créé par une si sombre et si farouche fantaisie, il y a quelque chose de possible et qui est… Il y a le talent animé qui fait croire que ce qui est impossible a pu exister.

342. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Quoique marié (son biographe ne nous dit pas à quel autel) quoique marié à une femme qu’il aima, prétend-on, — mais nous savons trop comment aiment les poëtes, — la famille ne créa point autour de lui d’atmosphère préservatrice. […] Edgar Poe excelle à créer ces hallucinations, et il les savoure et les réfléchit, tout en en frémissant ou se pâmant d’effroi.

343. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Ceux qui viennent ensuite, trouvent la route tracée, et n’ont plus qu’à la suivre ; mais ce qui est une facilité pour les gens médiocres, est peut-être un obstacle pour ceux qui ne le sont pas ; car l’homme de génie a bien plus de vigueur et de force pour ce qu’il a créé lui-même, que pour ce qu’il imite. […] Bossuet a créé une langue ; Fléchier a embelli celle qu’on parlait avant lui ; La Rue, dans son style négligé, tantôt familier et tantôt noble, sera plutôt cité comme orateur que comme grand écrivain.

344. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 279-280

On a aussi de lui un Livre sur l'Art de sentir & de juger en matiere de Goût, dont l'objet est de faire connoître en quoi consiste le Goût qui crée, qui juge, qui admire le vrai & le beau dans les Ouvrages d'esprit, dans les Sciences, les Arts, & les Productions de la Nature.

345. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Braisne, Henry de (1855-19..) »

Des strophes célèbrent le vieillard scandinave qui créa la folle Nora, la dure Hedda et la frêle Hedwige ; je m’en voudrais, enfin, d’omettre les vers consacrés à la gloire des fresques de Chavannes, — vers irisés et fluides que Virgile eût aimés.

346. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Si nous nous rendons compte de la vigueur visuelle qui crée le descriptif, nous sommes réduits aux hypothèses quant à l’origine et aux fins du lyrisme. […] La présence de Goethe créait là un petit univers. […] Cette phrase elle-même crée le vers sans effort et par son simple développement. […] L’adolescent se crée, se développe à loisir, ni précoce ni tardif, et ses merveilleuses qualités d’équilibre sortiront, comme il faut, à la maturité. […] On peut dire qu’il se crée lui-même par sa volonté continue, et chaque moment de son existence est une école.

347. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Loin de supprimer le mérite individuel, ce procédé sert à le créer. […] Bien comprise, elle le crée et l’augmente. […] Ici, tout est en relief, tout est créé : pensée, mot, image. […] C’est en songeant au moule qu’on crée la pâte. […] Tout est imprévu, tout est créé, tout est vivant.

348. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gramont, Ferdinand de (1815-1897) »

Théodore de Banville C’est un de nos poètes les plus savants et les plus délicats, M. le comte de Gramont, qui, d’après la Sextine italienne de Pétrarque, crée la Sextine française, en triomphant d’innombrables et de terribles difficultés.

349. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quellien, Narcisse (1848-1902) »

Quellien, poète breton, d’une verve si originale, le seul homme de notre temps chez lequel j’aie trouvé la faculté de créer des mythes.

350. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rictus, Jehan (1867-1933) »

Il a créé un genre et un type ; cela vaut la peine qu’on lui fasse quelques concessions et qu’on se départisse, mais pour lui seul, d’une rigueur sans laquelle la langue française, déjà si bafouée, deviendrait la servante des bateleurs et des turlupins.

351. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Il n’était genre d’autorité, de considération, de vertu, de talent, qui ne lui fût suspect et ne lui parût comme rebelle et factieux, s’il n’avait été créé ou tout au moins consacré par la volonté royale. » Le seul reproche que je ferai à M.  […] Il les acquiert et les crée, soit qu’il se concilie le grand Condé en lui faisant rendre le commandement des armées, soit qu’il s’entende presque en camarade avec Luxembourg, brillant capitaine, homme corrompu : il y a, dès le principe, partie liée entre eux, bien que l’alliance ne doive pas tenir jusqu’au bout. […] Camille Rousset a consacré à l’examen approfondi et détaillé des institutions militaires réformées ou créées par Louvois, gardera du génie du ministre la plus haute et la plus respectable idée.

352. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Il a son nœud et son organe à travers lequel tout ce qui passe se transforme et qui, en renvoyant, combine et crée ; mais le poète ne crée qu’avec ce qu’il reçoit. […] Il ne crée pas des âmes, mais il construit des raisonnements et ressent des émotions.

353. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Elle projette ses lueurs et ses couleurs sur tout le passé ; elle crée, après coup, des enchantements et des merveilles là où il n’y a eu que de l’agrément racheté par bien des futilités. […] J’avouerai encore à Votre Excellence que, si j’étais resté auprès de Mme la dauphine, j’aurais eu peine à soutenir le peu d’égards qu’elle a eu constamment pour les affaires dont j’ai cru pouvoir lui parler. » Tout cela créait une situation peu enviable. […] Mais que la vérité est donc chose délicate à connaître, et comme il nuit ensuite de la trop bien savoir à qui voudrait créer et imaginer !

354. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Cette parcimonie de la nature à créer les grands historiens s’explique d’elle-même, quand on y réfléchit, par le nombre, la diversité et la supériorité des dons naturels et des dons acquis nécessaires pour écrire une histoire digne de ce nom. […] Dire, c’est créer. Que créera-t-il, s’il ne sait dire ?

355. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Jésus n’eut ni dogmes, ni système, mais une résolution personnelle fixe, qui, ayant dépassé en intensité toute autre volonté créée, dirige encore à l’heure qu’il est les destinées de l’humanité. […] Jésus, dès qu’il eut une pensée, entra dans la brûlante atmosphère que créaient en Palestine les idées que nous venons d’exposer. […] Mais la Galilée a créé à l’état d’imagination populaire le plus sublime idéal ; car derrière son idylle s’agite le sort de l’humanité, et la lumière qui éclaire son tableau est le soleil du royaume de Dieu.

356. (1925) Comment on devient écrivain

La critique littéraire crée quelquefois la renommée et le succès. […] C’est la force de la sensation qui crée la force de l’expression. […] Ils ont simplement créé des personnages vivants.‌ […] C’est le contraste et l’éloignement qui créent l’exotisme. […] Voilà le grand modèle qu’il faut étudier pour apprendre à créer de la vie.

357. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Krysinska, Marie (1857-1908) »

Imprécis quant à la forme, solubles et souples comme des lianes, chantants et harmonieux comme des improvisations musicales, ils resteront le seul exemple d’une œuvre d’art parfaite, créée contrairement à toutes formules.

358. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 250-251

Comme il importe à tout le monde de savoir raisonner juste, de connoître la nature & les facultés de son ame, la structure de l'Univers & l'Auteur qui l'a créé & le conserve, rien n'étoit plus nécessaire que de donner de justes idées sur tous ces objets, & ce qui n'est pas moins nécessaire, de les mettre à la portée de tous les Lecteurs.

359. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 421-422

Tel est le sort ordinaire de ces réputations soufflées par l’esprit de parti, ou par une amitié indiscrette ; elles s’évanouissent aussi promptement qu’elles ont été créées.

360. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 105-106

Quand on entreprend de créer des systêmes, au moins devroit-on avoir des erreurs nettes, & les siennes même ne le sont pas.

361. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

« C’est parce qu’il sentait qu’il avait en lui de quoi suffire à cette situation (au moins dans un grand moment) et de quoi y vibrer dans le tonnerre, que Lamartine a tout fait pour amener cette situation et pour la créer. — Le talent qui veut sortir est comme un fleuve qui creuse jusqu’à ce qu’il se soit fait un lit, fut-ce un lit de torrent. » « — Ce qui me frappe dans ces événements si étonnants, c’est, à travers tout, un caractère d’imitation, — et d’imitation littéraire. […] son mérite le désigne : point d’excuse, point de refus, le péril n’en accepte pas ; on lui impose au hasard les fardeaux les plus disproportionnés à ses forces, les plus répugnants à ses goûts… L’esprit de cet homme s’élargit, ses talents s’élèvent, ses facultés se multiplient ; chaque fardeau lui crée une force, chaque emploi un mérite, chaque dévouement une vertu. » Et c’est ainsi qu’en croyant peindre M.

362. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Leur destinée était pour les Grecs un sujet national ; le poète dramatique, en les représentant, n’avait qu’à développer les idées reçues : il n’était point obligé de créer à la fois le caractère et la situation ; le respect et l’intérêt existaient d’avance en faveur des hommes qu’il voulait peindre. […] Enfin, il existe dans la nature morale, comme dans la lumière du soleil, un certain nombre de rayons qui produisent des couleurs tranchantes ou distinctes : vous variez ces couleurs par leur mélange, mais vous n’en pouvez créer une entièrement nouvelle.

363. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

On peut aussi créer soi-même l’unité : en choisissant Paris comme centre et en traduisant le récit direct des efforts de la Province par l’émotion qu’ils apportent aux assiégés ; ou en s’attachant à la pensée de Gambetta et en regardant les événements se refléter vibrants dans cette âme. […] La philosophie des frères Margueritte, guère moins hésitante que les caractères qu’ils essaient de créer, reste aussi banalement moyenne que leur écriture.

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