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397. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

C’était un Allemand, — un musicien chez qui la musique a toujours bourdonné autour de la pensée, — un peintre qui confondait, comme beaucoup d’autres venus après lui et qui ont élargi son erreur, les procédés de la peinture avec les procédés littéraires, — c’était, enfin, une sensibilité d’artiste soumise à toutes les variations du baromètre, bien plus qu’une intelligence d’inventeur… L’à-propos de l’heure fit sa fortune. […] c’est justement le vague qui fait le fond de la pensée du conteur allemand, soit qu’il raconte des faits merveilleux et extra-terrestres, soit qu’il se perde dans des appréciations d’art plus fantastiques que ces Contes eux-mêmes, c’est ce vague que Champfleury nous donne comme une puissance : « Hoffmann est — dit-il — de tous les artistes celui qui a le plus naïvement greffé — (pourquoi naïvement ?)  […] Outre les sept Contes posthumes dont nous avons parlé, il contient la notice biographique par le conseiller Frédéric Rochlitz, qui fut publiée en 1822 par la Gazette de Leipzig, quelques traits sur la caractéristique d’Hoffmann, une correspondance de sa jeunesse, des extraits de son livre de notes, sa correspondance musicale, enfin des portraits et des dessins de ce singulier tohu-bohu vivant d’artiste, qui avait en lui trois aptitudes auxquelles il se suspendait tour à tour, ne sachant s’il devait être poète, musicien ou peintre, — embarras que, par parenthèse, n’éprouve point un homme de génie, dont la vocation est l’immaîtrisable élan de ses facultés !

398. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

À ses yeux (et c’est bien à ses yeux qu’il faut dire) le fond importe peu, c’est la forme qui est tout, pourvu qu’extraordinairement martelée, elle atteigne à l’éclat et à la solidité ductile d’une matérialité compliquée, affinée, brillante, où l’artiste en mots que je ne méprise point, mais que je mets en second, a remplacé l’Ému ou le Rêveur, qui est le premier. […] S’il était possible de devenir poète en passant par l’artiste, elle le serait devenue, comme ses Poésies inédites l’attestent, ces suavités tardives du soir de sa vie qui sont plus belles et plus pures que les poésies de son aurore. […] L’abeille en arrive, artiste infatigable, Et son miel choisi tombe aussi de l’azur !

399. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

C’est un artiste qui voit l’œuvre avant tout, ne pensant qu’après à la gloire, et c’est déjà une fière distinction à une époque où l’on donnerait toutes les beautés du génie pour quelque argent et quelque bruit… C’est déjà assez humouristique, cela, de la part de l’auteur des sonnets qui portent ce nom ! […] Artiste surtout en choses amères, qui sculpte la larme, quand elle est durcie, avec la pointe d’un couteau, et qui aime à tordre, comme il tord son vers, ce qu’il enfonce dans sa poitrine, moraliste railleur qui a parfois des brutalités atroces, comme dans son sonnet le Te Deum : Ô Veuves qui pleurez, ô mères désolées ! […] Le poète qui a écrit L’Influenza, La Note éternelle, Un soir d’été, La Colombe, L’Ancolie, A Éva, Sur la Montagne, Dans les Bois, Dans la Grotte, Dans les Ruines, Stella, La Canne du Vieux, Abîme sur Abîme, Hermès, ou, pour mieux parler, car il faudrait tout citer, les Cent soixante-douze Sonnets du recueil, qui sont, à bien peu d’exceptions près, presque tous, à leur façon, des chefs-d’œuvre, est certainement plus qu’un artiste de langue et de rythme, introduisant, à force d’art et de concentration, je ne sais quelle téméraire plastique dans le langage.

400. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Il est un artiste très-froid, d’une concentration infinie, arrivant toujours à la chaleur par l’extrême froid, ce qui est une loi de la nature intellectuelle tout autant que de la nature physique ; c’est de plus un esprit analytique des plus perçants, qui a introduit l’analyse jusque dans la peinture, sans que la peinture soit morte du coup ! […] Sujet épouvantable, qu’il fallait toucher avec les mains pures, passées au charbon d’Isaïe, d’un artiste consommé. […] J’en connais deux parmi ces quatre, et je vous jure que le pouls y bat trop vite, que le sang les infiltre trop, que la passion y met des tremblements trop convulsifs pour avoir cette domination et cette sûreté des mains pures qu’ont les grands artistes, quand ils touchent à des sujets ardents et fangeux.

401. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Ernest Feydeau38 I Nous avons toujours rendu compte des divers romans d’Ernest Feydeau ; Fanny, Daniel, Catherine d’Overmeire, ont été successivement examinés avec le sérieux qu’ils méritaient encore ; car, si manqués que soient ces livres et quelque singulière diminution de talent qu’on pût signaler dans chacun d’eux, ils accusaient tous, du moins, l’effort concentré de l’artiste. […] Après la représentation exacte de ce qui est, il y a encore la manière de peindre, qui fait l’artiste, et qui n’est déjà plus la même, par exemple, dans Ernest Feydeau l’auteur de Fanny, et Ernest Feydeau l’auteur de M. de Saint-Bertrand, le roman-feuilleton ! […] Le Leone Leoni de madame Sand n’est pas long, et par là l’artiste a épargné à son lecteur, tout en l’émouvant, la sensation du dégoût qui n’eût pas manqué d’arriver si on eût prolongé la scabreuse situation, nécessaire au développement du sentiment qu’on a voulu peindre.

402. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Le critique peut et doit être artiste en un certain sens. […] Un grand artiste a sa façon propre de voir et de reproduire le monde. […] Le critique est en lui doublé d’un artiste, et c’est l’artiste que je voudrais maintenant définir. […] Lemaître que de le reconnaître pour un artiste consommé en son genre. […] Brunetière est peut-être aussi plus savant qu’artiste.

403. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

. — L’artiste initié au secret divin de l’art entend la voix de la nature qui raconte ses mystères infinis par les arbres, par les plantes, par les fleurs, par les eaux et par les montagnes. […] Huet, et en fait des ouvrages tout à fait originaux auprès de tant d’autres paysages maniérés, superficiels et factices ; de lui aussi on peut dire en ce sens ce que nous disions, il y a quelques jours, d’un autre jeune artiste philosophe, de M.

404. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 79-87

On y éclaircit quels furent les noms & les attributs divers de Vénus chez les différens Peuples de la Grece & de l’Italie ; quelles furent l’origine & les raisons de ces attributs ; quel a été le culte de cette Déesse ; quels ont été les Statues, les Temples, les Tableaux célebres de cette Divinité, & les Artistes qui se sont illustrés dans ces Ouvrages. On y cite, corrige, compare, concilie 167 Auteurs anciens ; on y indique 248 noms différens de cette mere des Amours, 104 de ses Statues, 7 de ses Tableaux, 185 de ses Temples, & 24 Artistes célebres qui avoient travaillé pour elle.

405. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Jules Claretie qui, d’abord comme auteur dramatique, et maintenant comme administrateur de la Comédie-Française, n’a cessé d’étudier les artistes dramatiques petits et grands. […] Un homme de ressources, habitué à tous les expédients que la nécessité dicte aux artistes dans leur lutte avec le sort et l’imprévu. […] Nous aimons à découvrir l’artiste dans son œuvre ; nous le préférons à son sujet ; et s’il relève véritablement de lui-même, s’il est original, nous lui pardonnons beaucoup. […] Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que les grandes éducations d’artistes, comme d’écrivains, ne sont pas faites par l’étude des contemporains. […] Ce journal est celui de la vie d’artiste du grand comédien Frédéric Febvre, qui s’intitule, hélas !

406. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Ils se firent les apologistes et les défenseurs de l’artiste qu’ils disaient persécuté. […] Les artistes et le public avaient des yeux pour ne rien voir le préjugé dominant l’art, les peintres alors n’étaient que des subjectifs. […] Diderot parle d’un idéal qui ne s’acquiert pas et que l’écrivain ou l’artiste apporte en naissant. […] Les enthousiastes, les fanatiques, les zolâtres, en un mot, l’appellent artiste incomparable, merveilleux écrivain. […] Donc cette épithète de grand artiste, de merveilleux écrivain, décernée à M. 

407. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

Je vous ai dit que les artistes et les écrivains qui s’y donnent rendez-vous se divisent par groupes. […] Elle avait une cour de jeunes artistes à sa suite et les gens célèbres se rangeaient pour la saluer avec empressement. […] Il ne faut peut-être pas complètement les nommer les plus haut-placés comme talents, mais ils sont les plus élégants ou les plus artistes. […] Jal : Marin avec les artistes ; artiste avec les marins. […] Aussi les appartements de ces artistes voyageurs deviennent-ils de véritables musées.

408. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Zola, qui aime ardemment le travail de l’artiste, trouvait pénible de perdre son temps et ses forces à faire des lignes pour gagner son pain. […] Zola, dans le Midi et à Paris ; l’intrigue, historique aussi, sera fournie par les malheurs, les luttes, les souffrances d’un artiste impuissant ou incompris. […] Zola a le malheur de sortir du ton de congratulation et de ménagements qu’emploient volontiers les artistes, quand ils parlent publiquement les uns des autres. […] Or la décoration se donne assez généralement aux artistes et écrivains de talent. […] Il faut être sérieusement artiste, pour sacrifier au désir d’être vraie, comme elle l’a fait, toute coquetterie.

409. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Mais c’est Anatole qui est l’incarnation elle-même de l’artiste bohème. […] Devant sa conscience même d’artiste, il n’a pas su faire la garde. […] (Cela est absolument exact) … Maintenant si avec ce sens artiste vous travaillez dans une forme artiste, si à l’idée de la forme vous ajoutez la forme de l’idée… oh ! […] Les Goncourt sont des artistes, et ils travaillent pour les artistes. […] Honneur d’artiste, p. 298, 336.

410. (1881) Le naturalisme au théatre

Les livres ne valent jamais rien pour l’éducation de l’artiste. […] Desclée se trouvait dans tout son triomphe de grande artiste. […] Les directeurs disent : « Il n’y a plus d’artiste. » Ce qui est plus vrai et plus triste, c’est qu’il y a bien encore des artistes, mais que ces artistes n’ont pas la flamme du mouvement littéraire actuel. […] Tous les artistes sont donc des naturalistes. […] Que m’importe ce que veulent les artistes et les écrivains ?

411. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VI »

Il faut choisir : être artiste ou orateur… Il faut peindre « l’homme à la façon des artistes et en même temps le reconstruire à la façon des raisonneurs… Si cela est vrai, il faut donc changer de style.

412. (1887) La vérité sur l’école décadente pp. 1-16

Bien que sans autres titres que ma connaissance familière des œuvres de ces jeunes écrivains, je me sens poussé par l’indignation en face des injures ineptes où sont en but de sympathiques et consciencieux artistes à écrire quelques lignes de vérité. […] La presse, dès le début fort mal renseignée et leurrée par les Déliquescences jusqu’à prendre cette parodie au sérieux, brouilla si bien les choses, ouvrit si facilement ses portes aux plus fantaisistes inventions et mit au jour de si bizarres personnalités, que la Réclame, flot bourbeux d’encre, passa par-dessus la tête des vrais et primitifs artistes pour porter à la célébrité tous les ratés de la Banlieue et tout le bas-fond de la bêtise écrivassière — ; Il est temps de le dire !

413. (1923) Paul Valéry

Le Valéry mathématicien et le Valéry métaphysicien sont des Idées de cette famille ; le Valéry artiste est le Valéry sorti. […] Le projet est bien séparé de l’acte, et l’acte du résultat. » L’artiste ne fait jamais ce qu’il voulait faire. […] Il ne se sent et ne se connaît artiste que parmi des problèmes de rendement. […] Si l’artiste met l’accent sur la possession et non sur le rendement, il ne produira pas. […] Mais le regard de l’artiste fait, devant la Vénus, tout autre chose qu’une restauration.

414. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Cet homme était de belle taille, fort avantageux ; il avait plus l’air d’un guerrier que d’un artiste. […] Tant qu’ils furent exposés, ils furent l’école de tous les artistes du monde. […] Les grands artistes se réunissent pour fêter, dans une orgie peu décente, la fin de la maladie. […] Il repart pour Rome ; il y retrouve ses amis les bravi et les artistes. […] Cet artiste fut un des fondateurs de l’École italienne dans le onzième siècle.

415. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Et l’on sait enfin que, chez l’artiste, la passion s’amortit toujours un peu par la conscience qu’il en prend, et parce que ses propres sentiments lui deviennent « matière d’art ». […] Pareillement, « la faculté maîtresse » explique tout dans l’œuvre d’un artiste, excepté la beauté. […] Cet historien est artiste en dialectique. […] Il a commencé par être un parnassien pur, un artiste voluptueux et fier, uniquement dévot aux mystères de la forme. […] Ce dont vous faites un mérite à un trafiquant ou à un homme politique, pourquoi votre pudeur s’en offenserait-elle quand vous le rencontrez chez un artiste ?

416. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Car, loin de nous de penser que le devoir et l’office de la critique consistent uniquement à venir après les grands artistes, à suivre leurs traces lumineuses, à recueillir, à ranger, à inventorier leur héritage, à orner leur monument de tout ce qui peut le faire valoir et l’éclairer ! […] Mais elle doit elle-même se défier d’une tendance excessive à retrouver tout l’homme dans ses productions du début, à le ramener sans cesse, des régions élargies où il plane, dans le cercle ancien où elle l’a connu d’abord, et qu’elle préfère en secret peut-être, comme un domaine plus privé ; elle a à se défendre de ce sentiment d’une naturelle et amoureuse jalousie qui revendique un peu forcément pour les essais de l’artiste, antérieurs et moins appréciés, les honneurs nouveaux dans lesquels des admirateurs nombreux interviennent. […] Victor Hugo a su dès longtemps la contraindre ; jamais toutes les ressources et les couleurs de l’artiste n’avaient été à ce point assorties.

417. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Moins artiste que le génie italien, il a des tendances pratiques et positives, qui l’orienteront vers la recherche de la vérité scientifique ou morale : il trouvera de ce côté un appui dans les races septentrionales, en Angleterre, en Flandre, en Allemagne surtout, où la Renaissance prend la forme de l’érudition philologique et de la réforme religieuse. […] Vers le même temps Hardy, si peu artiste, organisait la plus haute forme d’art qu’ait possédée notre littérature classique : il adaptait la tragédie au public, et la transportait de la rhétorique lyrique à la psychologie dramatique. […] Ce que je dis de la littérature ne serait pas vrai de la peinture et de la sculpture, qui étaient loin d’être réduites à la même stérilité à la fin du xve s., et dans lesquelles l’élégance italienne du xv[e s. donna parfois de funestes leçons à nos artistes, surtout en peinture, où les modèles anciens manquaient pour balancer et corriger cette influence.

418. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Ce fut à la fin de l’été de 1889, six mois après la naissance de la Plume, que Léon Deschamps s’avisa de réunir, chaque samedi soir, les artistes et les poètes, pour, dit amusamment Maillard, « ajouter une note d’art vrai aux bruits cosmopolites de l’Exposition universelle ». […] Des groupes d’étudiants, de poètes, d’artistes, reconnaissables au complet de velours à côtes et au feutre de mousquetaire, descendent en longues théories de Montparnasse, de Montmartre et des Batignolles, et s’engouffrent dans le café. […] On sent derrière cette exhibition d’artistes un but secret de négoce et de lucre.

419. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Pauvre cochon de lait, du reste, qui me fait l’effet d’un symbole, — le symbole du pauvre Monsieur, traîné par sa Cosaque qui se venge, tout le long du livre, devant tous les loups et tous les chacals de l’Europe ; devant tous ces envieux, féroces et bas, qui sont heureux d’avoir, — n’importe d’où il tombe, — un morceau de grand artiste, dans leurs sales gueules, à déchiqueter ! […] IV Il en est d’autres qui valent mieux et qui sont peut-être à sa portée… On dit qu’elle a un grand talent de musicienne, — un vrai talent d’artiste, — et comme écrivain, — écrivain en français, — cette Cosaque n’en manque pas non plus. […] Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très grand artiste, j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire.

420. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Dans son ouvrage, Lerminier s’efforce de nous raconter, autant que possible, la Grèce antique, — car l’histoire des peuples artistes tient toujours un peu du roman. […] Les mille fleurs de l’imagination et de la fable s’enroulent autour des moindres faits, sous des mains divinement artistes, et il faut ôter ces voiles brillants, cette floraison de vigne enivrante d’autour du rameau sec et nu, pour nous le montrer tel qu’il est, travail difficile qui demande une main habile, un esprit ferme. […] Grâce à un sens critique et une sûreté d’érudition dont nous parlerons tout à l’heure, il nous aide merveilleusement à séparer l’art et l’artiste des réalités de l’Histoire.

421. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Blaze de Bury est un psychologue, et il ne fait si grand cas de Plutarque parmi les historiens de l’Antiquité que parce qu’il est un psychologue, ayant bien plus pour visée le vrai humain que le vrai historique… Pour lui, l’histoire, en fin de compte, n’est qu’un art, comme la peinture et la statuaire, — et comme l’art n’existerait pas et qu’il ne serait qu’une abstraction sans l’artiste, voilà qu’une telle définition tue, d’un seul coup, l’histoire, mais au profit de l’historien ! Aussi la conclusion de l’aventureuse théorie est-elle qu’il faut voir et saluer l’historien dans toute histoire, qui, d’ailleurs, ne vaut jamais que par lui, parce qu’où l’artiste ne serait pas dans un degré quelconque, l’histoire ne serait plus. […] Ces élégants ou fastueux traîneurs de robes et de toges, ces dandys à la ceinture lâche, qui comprenaient probablement l’histoire comme Blaze de Bury, étaient trop artistes, trop préoccupés de l’effet esthétique dans leurs œuvres, pour se perdre en ces chicanes minutieuses où s’usent des milliers d’yeux et d’esprits modernes… La Critique historique, telle que l’esprit moderne la conçoit et l’exige, était inconnue au temps de Tacite et de Suétone, qui se tirent de toute chose douteuse avec un mot ou deux : Rumor ou ut referunt, dits de très haut, et passent… Esprits superbes, qui n’insistent pas, qui ne s’attachent pas à un texte.

422. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

La durée de cette émigration paraît avoir été proportionnée par un destin artiste, comme la crue du Nil, aux besoins de la littérature. […] Mais nous sentons en de nombreuses pages que Chateaubriand, est, comme Virgile, un génie vivant, supérieur à sa corvée, un composé délicat d’antiquaire, d’artiste et de créateur. […] On reconnaît, dans des directions très opposées, trois groupes : les idéologues, ou les analystes, — les attiques, ou les artistes, — les chrétiens, ou les « penseurs ». […] Industriels désintéressés du profit, ou savants, ou artistes, ou philosophes, Saint-Simon n’a jamais été fixé exactement au sujet des cadres du nouveau pouvoir spirituel. […] Un seul était artiste, tenait les clefs des écluses, Chateaubriand.

423. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Il semble que le hasard m’avait inspiré d’écrire sur Mozart à la même heure où ce même hasard inspirait, aux artistes transcendants groupés dans ce petit sanctuaire du boulevard, de faire chanter Mozart par leurs voix d’élite devant ce peuple si peu musicien des quartiers tumultueux de Paris. […] Il donne des leçons et des concerts par souscription à Vienne ; il se marie avec Constance Weber, sœur d’Aloïse Weber, artiste célèbre dont il avait demandé la main, mais qu’il n’avait pu convaincre de son génie à cause de son extérieur souffrant et timide. […] Ce poète était un certain Lorenzo d’Aponte, Vénitien de la race enjouée, insouciante, amoureuse et artiste de Venise. […] Et c’est ainsi qu’un vrai critique découvrirait presque toujours dans le poète, dans le musicien, dans le peintre, dans le poète, les véritables sources de l’œuvre de ces grands artistes. […] Au reste, les longues vies ne sont pas nécessaires aux grands artistes, dont le talent n’est que sensation ; elles sont nécessaires aux poètes, aux philosophes, aux historiens, aux orateurs politiques, parce que l’expérience et la pensée, ces fruits de l’âge, sont les produits de la maturité, souvent même de l’extrême vieillesse.

424. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Une scène s’ensuivait avec le préfet, qui faisait jeter l’artiste à la porte de son cabinet. […] La seconde journée commence et menace de finir comme la première, avec, au fond de l’artiste, un commencement de lâcheté et un vague désir de revenir chez son père. […] Un monsieur s’approche, le complimente sur ce qu’il dessine joliment, et malgré les rebuffades de l’artiste, lui demande s’il ne voudrait pas faire quelques vues pour lui. […] Cette femme lui rappelle Rome, l’ambition de ses rêves d’artiste, et elle le décide à abandonner sa Grecque et ses quatre chevaux. […] Un seul grand artiste à l’Exposition, un seul : Carpeaux.

425. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Quand un artiste veut sortir de l’inspiration de son temps, il court grand risque d’être comme l’antique et fabuleux Antée, qui perd terre. […] Je suis loin de prétendre interdire aux artistes l’entrée et la conquête poétique de cet Orient, dans lequel, dit-on, l’état mental de l’humanité est un peu différent du nôtre. […] Voilà la forme juste et vraie dans laquelle pouvait se produire un beau travail d’érudit et d’artiste sur la civilisation carthaginoise. […] « Mais j’ai vu cela de mes yeux, me dira le voyageur ; j’ai même goûté de cette fameuse sauce verte dont il est question dans le festin des Mercenaires. » Laissons le voyageur, je parle à l’artiste.

426. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Par ce côté, le savant et l’artiste s’accordent en Rabelais. […] L’art de Rabelais Rabelais est un grand artiste, et sans lui faire injure, on peut dire que toute sa philosophie vaut au fond par son art. […] Rabelais varie ses procédés d’art à l’infini : non pas seulement selon le modèle que lui fournit la nature, mais selon son intention d’artiste, et l’effet à obtenir. […] Comme artiste, il résume et dépasse de bien loin ces essais que j’ai déjà signalés, ces timides esquisses de la vie morale, des formes et du jeu des âmes.

427. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Le lecteur des poètes n’est pas seulement un romanesque ; c’est un artiste ou un homme qui a des prétentions à être artiste. Il veut lire dans une « langue artiste », dans cette langue, comme a dit Musset, que le monde entend et ne parle, pas et j’ajouterai que le monde n’entend même pas beaucoup. […] Cette vieille fille, noble, dans une nouvelle d’Edmond About, disait : « Ce qui me plaît dans les artistes, c’est qu’ils ne sont pas des bourgeois ».

428. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

» Hérédia, que je remercie de l’envoi de la Nonne Alferez, illustrée par Vierge, me donnait quelques détails sur le grand artiste paralysé. […] Une curieuse innovation de l’artiste, et dont je crois qu’il n’y a pas d’exemple, chez les sculpteurs anciens et modernes. […] Et dans les choses inférieures, méprisées par les natures non artistes, j’aurais dépensé autant d’imagination que dans mes livres. […] À l’heure présente les paysannes ne veulent plus épouser, que des employés de bureau, des gâcheurs de papier ou des maçons d’artistes. […] On le peignait désagréable de rapports, humoreux, despote, mais ayant une véritable conscience d’artiste.

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