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2540. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Ce libertin de chevalier qui est de l’avis de certain docteur (Alibert), « qu’un homme marié est un homme englouti », et qui pense apparemment comme Courbet « qu’en art tout mari est réactionnaire », le chevalier fait tout au monde pour sauver le cher innocent de ce pas dangereux du mariage, de ce marais dormant où sa nef va s’embourber et s’envaser à sa première sortie. […] Cet hommage rendu à Dalilci, rien ne nous sépare plus de Sibylle ; car le Jeune Homme pauvre (qui aurait dû s’intituler plutôt le Gentilhomme pauvre), si nous nous y arrêtions, appellerait plus d’une critique du genre de celles qui nous restent à faire, et Sibylle est certainement cousine de la petite Marguerite. Le drame d’ailleurs du Jeune Homme pauvre, tout en poussant à la vogue du livre, a un peu nui en même temps à l’estime qu’on en faisait ; il a mis en relief les défauts de l’œuvre et a éteint quelques-uns des agréments. […] Pourvue d’un triste mari, et n’ayant pu enlever Raoul à Sibylle, elle a pris pour amant Gandrax, le savant, l’homme de mérite, athée, il est vrai (à propos, je ne croyais pas que ce personnage d’athée proprement dit existât encore sous cette forme, à la Wolmar), — mais, à part cela, le caractère le plus droit, le plus probe, une personnalité marquante et originale, tout à fait distinguée. […] » On n’a jamais vu de femme, dans le cas de Clotilde, adresser de telles paroles à un homme distingué et de cet ordre, à quelque illustre membre de l’Académie des sciences à qui elle aurait tant fait que de se donner.

2541. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Et Homère n’est-il pas l’âme poétique de la Grèce sous le nom d’un homme ? […] »208 C’est le même homme dont « la voix d’airain, semblable au cri d’une trompette », renverse dans la plaine les Troyens et leurs chars, et qui, le pied sur la poitrine d’Hector suppliant, l’insulte et le menace : « Chien, ne me supplie ni par mes genoux ni par mes parents. […] Le plus grand homme du monde s’occupe à manger, à dormir, à causer, à s’ennuyer, à effacer la grandeur et l’originalité de son caractère dans les petits détails communs d’une foule de petites actions communes, et le héros n’est héros que par exception. […] L’ambition est dans chaque homme comme dans Macbeth, et le poëte a pu l’observer dans toutes les âmes ; mais elle y a été mutilée ou étouffée par les circonstances, par l’éducation, par la froideur du tempérament, par la mobilité du caractère. […] Au premier espoir du trône : « Ma pensée, où le meurtre n’est encore qu’imaginaire, ébranle tellement mon pauvre être d’homme, que l’action y est étouffée dans l’attente, et que rien n’est que ce qui n’est pas ! 

2542. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Ce triomphateur, ne se souciant point de rentrer à Londres sans avoir fait, chez nous, le tour complet des hommes et des choses, manifesta le désir de se rencontrer avec Moréas. […] Fier de servir un homme illustre dont le nom emplissait les journaux, il s’était laissé aller à cette inspiration délicate. […] Ainsi le poète, qui tire son essence des autres hommes, en devient le miracle par un simple jeu de cristallisation et acquiert, sur eux, une valeur inestimable. […] Quand Benvenuto Cellini crucifiait un homme vivant pour étudier le jeu des muscles dans l’agonie, un pape eut raison de l’absoudre. […] À l’une des tables, un homme à la stature olympienne, au milieu d’un groupe d’esthètes, trônait, pérorant, flave et rose, sous un nuage de tabac, comme un dieu sous l’encens.

2543. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Il se compare, faisant son livre, à un homme de santé et de loisir qui, déjà à son aise, s’en va au printemps acheter loin de la ville, sur quelque colline favorable, un enclos modeste où il se promène aux heures choisies : Pensez-vous, dit-il, que cet homme se soit informé, à l’avance, du revenu de son jardin ? […] ils ont adopté pour leur usage personnel cette heureuse définition du bonheur dans une cité paisible : un facile travail, une pauvreté contente, une joie ingénue et sérieuse, une patrie honorée, un ciel clément, des hommes et des dieux indulgents. […] Cette page est vraiment juste, elle est simple et belle, et, puisque je suis en train de découpures, je la donnerai : Malheureux prince (est censé lui dire Henri IV), le plus semblable à moi des petits-fils de ma race, tu avais en toi-même tout ce qui fait les grands hommes, et tu t’en es servi pour accomplir les plus grands vices. […] Mais un ami, un homme amoureux des lettres, du fin style, un connaisseur sans faux scrupule, qui sait son Horace et son Apulée, a devant lui, je suppose, la masse de ces feuilletons que nous donne Janin depuis vingt ans comme l’arbre pousse ses feuilles. […] Cet homme, qui se croit sage et qui fait cette réflexion, ne l’est pas.

2544. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

Les hommes ont commencé par améliorer leur situation sur la terre, soit par un instinct plus ou moins semblable à celui des animaux, soit par une sorte de tâtonnement empirique, se développant au jour le jour, en raison des circonstances et des besoins : c’est ainsi que se formèrent les premières industries et les premières sociétés ; puis un premier degré de réflexion survint. La religion, la philosophie, la poésie, contribuèrent à perfectionner les mœurs et les lois, mais toujours d’une manière spontanée, sans que l’on s’aperçût encore que l’homme peut par la science se rendre maître de la nature et de la société elle-même, et donner à ses progrès une direction choisie et voulue. […] Ainsi les hommes commencent à vouloir gouverner la société comme ils gouvernent la nature, mais d’une manière bien plus incertaine, les faits étant infiniment plus nombreux et plus compliqués. […] Mais pourquoi deux hommes de génie n’auraient-ils pas à la fois la même idée, l’un en pratique, l’autre en théorie ? […] Descartes sans doute était un homme de génie plus inventeur que Bacon ; il lui est passablement postérieur ; il a certainement connu les expériences de Galilée et même de Toricelli et d’autres encore ; il en a fait lui-même.

2545. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Rien, en effet, ne rend les hommes plus sociables, n’adoucit plus leurs mœurs, ne perfectionne plus leur raison, que de les rassembler pour leur faire goûter ensemble les plaisirs purs de l’esprit. […] La majesté sombre et terrible du sujet, tout le rôle d’Oroès, le style et le grand intérêt, la leçon terrible donnée aux rois et même à tous les hommes : voilà l’artifice théâtral dont le poète se sert pour triompher de tant d’obstacles. […] Des hommes de différents caractères sont tous les jours exposés à un même événement. […] Si c’est l’homme de bien qu’on nous retrace dans le malheur et la disgrâce, son malheur, à la vérité, nous afflige et nous épouvante, mais comme ce malheur ne change par aucune révolution, il nous attriste, nous décourage, et finit par nous révolter. […] Il faut éviter aussi d’y faire périr l’homme de bien et prospérer le méchant ; mais il faut observer la règle contraire, c’est-à-dire, que le méchant tombe dans l’infortune, et que le juste, le vertueux, pour qui on s’intéresse, passe du malheur à la prospérité.

2546. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Il faut, pour être applaudi au théâtre, que l’auteur possède, indépendamment des qualités littéraires, un peu de ce qui constitue le mérite des actions politiques, la connaissance des hommes, de leurs habitudes et de leurs préjugés. […] C’est aussi par ce moyen de terreur, que les législateurs exerçaient une grande puissance, et que des principes de moralité se maintenaient entre les hommes. […] Les hommes célèbres étaient exposés à la persécution, mais jamais à l’isolement ni à l’oubli. […] Ils faisaient représenter leurs rôles dans les tragédies par des hommes, et ne concevaient pas le charme que les modernes attachent à l’idée d’une femme. […] Leur destinée était pour les Grecs un sujet national ; le poète dramatique, en les représentant, n’avait qu’à développer les idées reçues : il n’était point obligé de créer à la fois le caractère et la situation ; le respect et l’intérêt existaient d’avance en faveur des hommes qu’il voulait peindre.

2547. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

C’est ce que Cicéron compare au soin qu’un homme de bon goût prend pour placer de bons tableaux dans un jour avantageux. » On combinera donc les événements moins selon leur place sensible dans le temps et dans l’espace que selon leur liaison intime. […] L’homme ne peut vivre sans manger ; ce qui n’empêche pas que, s’il n’y a pas une raison spéciale qui vienne du sujet, on ne fait pas dîner devant nous les héros du roman, ni les personnages de l’histoire. Généralement aussi, nous ne les voyons ni dormir, ni s’habiller, ni tousser ; ils entrent, ou sortent, sans qu’on nous dise qu’ils ouvrent les portes, qu’ils montent ou descendent les escaliers ; quand ils vont dans la rue, il ne nous importe guère de quel côté du trottoir, et ce n’est que par le caprice d’une nouvelle école que nous lisons parfois l’émouvante énumération des rues, quais et boulevards par où passe un homme pour aller de Montrouge aux Batignolles. […] Il n’est pas aisé d’y réussir : on voit des hommes de talent, au théâtre, présenter des personnages qui sont à tour de de rôle de plates photographies et des types abstraits, qui tantôt parlent le verbiage insignifiant de leur condition dans le monde, et tantôt proclament la théorie profonde de l’auteur sur leur caractère. […] Cet homme que nous fait entrevoir le grand romancier Tolstoï, lorsqu’il peint le défilé interminable des blessés de Borodino qui passe sous les yeux de son héros ému et navré, cet homme couché sur le ventre au fond d’une charrette, dans la demi-ombre de la bâche, blessé, on ne sait où ni quand, d’on ne sait quelle blessure, sans visage, sans nom, sans passé, sans avenir, forme obscure et vague un moment devinée et disparue pour jamais : c’est là, semble-t-il, un détail insignifiant ; et pourtant que de pensée, que d’émotion ramassée en ce seul trait !

2548. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Il se peut encore qu’on aperçoive ici, rarement, parmi tant de basses attitudes, l’allure noble et simple d’un homme. […] Des imbéciles incapables de saisir directement une pensée originale ; des imbéciles dont l’oreille fermée aux hommes est faite pour recueillir avec joie les échos, les bavardages des perroquets, les bafouillements des phonographes, vous appellent penseur, comme ils appellent astronome M.  […] Il n’y a pas de devoir d’Allemand, de devoir de Français, de devoir de Russe ; il n’y a que des devoirs d’homme. […] vains mots qui n’existiez pas il y a deux mille ans et qui, dans deux mille ans ; ne serez plus que des noms historiques : les vents de folie qui soulèvent ici ou là votre poussière d’une heure ne peuvent faire douter du soleil moral que ceux qui sont esclaves de leur temps et des mouvements de foule ou eux chez qui les persistants instincts de la brute triomphent de l’homme à peine commencé. […] Un homme aurait refusé la préface menteuse et déformatrice ; un officier l’a acceptée avec reconnaissance comme un galon accompagné de mépris.

2549. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

On n’avait pas montré à ses ouvrages ce dédain et cette hostilité qu’on a pour tous les livres forts dans ce monde quand ils touchent à des idées faites ; car l’homme n’aime pas plus à être dérangé dans son esprit que dans son corps. […] Ce n’est pas tout que de vouloir être le fils de quelqu’un, il faut l’être, ou du moins tellement ressembler à ce quelqu’un-là qu’on puisse le faire croire, et ce n’est pas là le cas Fournier a beau grimer son sourire, il a beau se barder de bouquins, comme disait Nodier, qui se moquait bien de cette bouquinerie et qui ne l’aimait peut-être que pour s’en moquer, — car c’est encore une des manières d’aimer de cette aimable créature qui s’appelle l’homme, — il n’a point, lui, Édouard Fournier, cette fleur de raillerie charmante, qui fait tout pardonner, que Nodier fourrait entre les feuillets de ses vieux livres et qui ne s’y dessécha jamais. […] le parfum de cette fleur qui ne lève point en lui Fournier l’a respiré, et c’est en ruminant le parfum que l’idée lui est venue d’imiter l’homme qu’on imite le moins, puisqu’il a été le La Fontaine de l’érudition fabuleuse. […] En effet, avec tout ce qui fausse ou entrave en toute chose le jugement des hommes, avec tout ce qui cache à leurs faibles yeux la pointe de la vérité, avec tous les impedimenta de l’histoire, et les passions, et les partis, et les dauphins, et leurs précepteurs, et les bourgeois qui ont remplacé les dauphins, et les Martin qui ont remplacé les Bossuet, ce n’est pas qu’il y ait dans l’histoire quelques déplacements d’anecdotes, quelques reflets des autres temps, quelques inventions, quelques préjugés, quelques misères, qui doit étonner, mais c’est plutôt qu’il n’y en ait pas beaucoup plus ! […] Il s’agit de l’éducation des hommes par l’histoire, par cette histoire qui nous fait aimer la patrie et qui nous l’enfonce dans le cœur à coups de grands exemples, à coups de grands hommes morts pour elle et dont l’âme vibre en certains mots qui les peignent, — ne les eussent-ils pas dits ! 

2550. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Je savais, d’ailleurs, que Laurent Pichat était un démocrate, une manière d’homme politique… Démocratie et politique ! […] C’est enfin la religion de l’homme-Dieu moderne, qui n’est plus Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais Laurent Pichat et tous les Pichat de la terre ; car, dans ce système, tout homme est égal à Pichat comme X est égale à X. […] être le champ de l’avenir, — c’est cette petite fleur, retrouvée là, qui m’a empêché de jeter sous mes pieds avec mépris ce livre où un regain de poésie vivace, inarrachable du cœur d’un homme, domine encore, domine toujours tous les prosaïsmes glorifiés de ce siècle dégénéré ! […] Le livre de Laurent Pichat est une preuve de plus de cette vérité, qu’il faut être infatigable à mettre en lumière : que rien, dans les dernières erreurs qui se sont abattues et se sont accroupies sur le monde, n’est assez puissant pour venir à bout de la faculté poétique, — la seule peut-être de nos facultés qui soit immortelle, car elle fleurit encore, comme ici, revanche superbe de l’imagination des hommes ! […] dans ce volume que les idées impies d’un siècle qui a confisqué l’âme d’un homme, mais il y a aussi les sentiments personnels de cet homme, qui vaut mieux, sans nul doute, que les idées qui l’ont confisqué.

2551. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Le violent, l’absolu Richepin, s’est laissé tranquillement châtrer ; mais c’est ici un trait caractéristique de l’espèce d’homme qu’il est que je ne veux pas oublier. […] Les unes, c’était pour humilier les hommes devant elles ; les autres, pour se venger de quelque sans-cœur qui les avait abandonnées. […] Cette incroyable, cette idolâtrique conception de madame André, qui va faire miauler de plaisir toutes les femmes dans leurs pâmoisons de vanité chatouillée, cette création d’une femme impossible de supériorité, devant laquelle l’homme s’aplatit et s’anéantit comme un nain chétif devant une géante toute-puissante, les femmes, flattées jusque sous la plante des pieds de leur orgueil, auraient-elles deviné qu’elles pussent la devoir jamais à M. Richepin, à l’humilité devant elles d’un homme qui sait se tenir debout, d’un homme qui a le sexe d’Hercule, et qui fait de sa massue la quenouille de ce roman filé ? […] Plume appuyée, mordante, solidement éclatante, même quand elle appuie sur les choses vulgaires, procédant d’habitude par comparaisons plus pratiques que poétiques, mais qui font entrer l’objet comparé dans l’esprit du lecteur comme un coup de cette bûche emmanchée — le marteau des fendeurs de bois — qui enfonce le coin de fer dans le tronc noueux de l’arbre abattu… Vous voyez qu’ici, dans l’homme aux opinions et aux créations antiviriles de ce roman à petite morale, puisqu’elle est vide de Dieu, se retrouve le mâle que nous connaissions.

2552. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Gilbert Augustin-Thierry »

Gilbert Augustin-Thierry « Cet homme devait subir toutes les suggestions, y étant prédisposé par l’atavisme… « Atavisme … responsabilité solidaire et indéfinie de toute une race devant Dieu  suivant qu’il est écrit au Décalogue : Je suis le Dieu fort et je sais châtier l’iniquité du père jusque sur les   enfants… » … Ô Justice immanente ! […] L’étude de l’homme « doit poursuivre sa recherche beaucoup plus haut que l’homme ». […] Et souvenez-vous, par exemple, de ce pauvre petit prince impérial massacré par les sauvages et venant mourir de si loin, d’une mort sanglante, sous la même latitude où était mort l’Homme de sang, son aïeul.

2553. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

On a de la peine à concevoir comment un homme du génie du Camoëns n’en a pas su tirer un plus grand parti. […] Les hommes qui se consacrent au culte des Muses se laissent plus vite submerger à la douleur que les esprits vulgaires : un génie puissant use bientôt le corps qui le renferme : les grandes âmes, comme les grands fleuves, sont sujettes à dévaster leurs rivages. […] Ces globes habités par des êtres différents de l’homme, cette profusion d’anges, d’esprits de ténèbres, d’âmes à naître, ou d’âmes qui ont déjà passé sur la terre, jettent l’esprit dans l’immensité. […] Boissonade, m’a envoyé la note suivante des hommes ressuscités dans l’antiquité païenne par le secours des dieux ou de l’art d’Esculape : « Esculape, qui ressuscita Hippolyte, avait fait d’autres miracles.

2554. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

Les personnages allegoriques parfaits sont ceux que la poësie créé entierement, ausquels elle donne un corps et une ame, et qu’elle rend capables de toutes les actions et de tous les sentimens des hommes. […] Les évenemens dépeints dans ce poëme, sont arrivez en des tems où le commun des hommes étoit persuadé de leur existence. […] Le brillant qui naît d’une action metaphorique, les pensées délicates qu’elle suggere et les tours fins avec lesquels on applique son allegorie aux folies des hommes ; en un mot toutes les graces qu’un bel esprit peut tirer d’une pareille fiction, ne sont point en leur place sur le théatre. […] Mais on devine aisément les raisons qu’Aristophane avoit de traiter ainsi ses sujets, quand on sçait que ce poëte vouloit jouer dans Athénes, les hommes les plus considerables de la republique, et principalement ceux qui venoient d’avoir la plus grande part à la guerre du péloponese.

2555. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

Attachés à la réalité la plus vulgaire, parce que pour des hommes comme eux, aveuglés de matière, elle est la plus indéniable des réalités, s’ils exilent l’imagination des systèmes d’expression qu’ils préconisent, ce n’est point qu’ils se défient d’elle, mais c’est qu’au fond ils n’en ont pas ! […] Champfleury, comme tous les hommes de son triste système, décrit pour décrire, mais il ne peint pas ; car peindre, c’est nuancer les couleurs, c’est entendre les perspectives, c’est creuser ou faire tourner par les ombres, c’est éclairer par le sentiment presque autant que par la lumière. […] Est-ce là qu’un homme comme Champfleury doit vouloir éternellement aboutir ? […] Il nous a montré une chimère peut-être, qu’il a rêvée, l’homme de tendre imagination qu’il est !

2556. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

La caractéristique cérébrale de l’homme est là. […] Avec l’homme, la conscience brise la chaîne. Chez l’homme, et chez l’homme seulement, elle se libère. […] Partout ailleurs que chez l’homme, la conscience s’est vu acculer à une impasse ; avec l’homme seul elle a poursuivi son chemin. […] La conscience, chez l’homme, est surtout intelligence.

2557. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Ils portaient l’âme d’un homme juste qu’ils menaient au Paradis. […] Alors, trois hommes, d’une beauté céleste et vêtus de blanc, lui apparurent. […] Deux hommes marchaient devant. […] Il reconstruisait l’homme, bien plus, il le construisait, simplement. […] Les choses trompent peut-être autant que les hommes et les animaux.

2558. (1913) Poètes et critiques

Il n’est pas homme, j’en suis sûr, à s’inquiéter trop du mal ou du bien qu’on peut dire de sa besogne. […] Ici, les hommes « ruminent, les bras croisés, les yeux mi-clos ». […] Sous le titre : Pascal, l’homme, l’œuvre et l’influence, M.  […] Plus d’un lecteur pourrait y reconnaître des qualités d’homme mûr. […] mon ami », écrit-il à Lepelletier « quel homme !

2559. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Après les éléments, après les astres et les mondes, vient l’homme, un autre atome devant Dieu, mais un atome sentant ; après le soupir de la nature, le soupir du cœur humain : Et moi, ne sais-tu pas ce que mon cœur désire ? […] Il faut être plus qu’un homme pour ne pas mépriser l’homme. Il y avait de la maladie dans cette disposition ; il y avait du converti violent, de l’homme qui avait passé d’un excès à l’autre sans jamais habiter dans l’entre-deux. […] —  Le quadrige est vaincu : nous tenons un génie Qui fume, haletant d’un utile courroux, Et, dans l’oppression d’une ardente agonie, Attache au vol du temps l’homme pensif et doux. Ce qui veut dire que le studieux et le rêveur lui-même, celui qui autrefois eût été le clerc ou le moine dans sa cellule, et qui hier encore était l’homme de livres et de cabinet, va en chemin de fer et en profite désormais pour visiter le monde, pour prendre sa part de toutes les curiosités, de toutes les beautés d’art ou de nature.

2560. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Si l’homme est esclave et la femme patricienne (ou vice versa), cela, bien entendu, n’en vaut que mieux. […] À une époque de civilisation avancée et de littérature savante, après Virgile, après Horace, après Lucrèce, sous le règne du plus vertueux des empereurs, de celui qui nous a légué cet admirable bréviaire de perfection morale : Ta eis eauton, dans la ville la plus riche et la plus cultivée de la Gaule romaine, des milliers d’hommes, dont un bon nombre, apparemment, étaient d’honorables bourgeois, se réunissaient pour le plaisir de voir torturer longuement et horriblement d’autres hommes. […] Ce qui ailleurs était vanité, transporté au sein d’un petit groupe d’hommes et de femmes incarcérés ensemble, devenait pieuse ivresse et joie sensible. […] Quelle meilleure manière de le réhabiliter et de l’affranchir, que de le montrer capable des mêmes vertus et des mêmes sacrifices que l’homme libre ! […] Si l’on considère en elles-mêmes ces deux espèces d’hommes, rien de plus faux qu’un tel rapprochement, puisque les chrétiens étaient chastes, doux, résignés, qu’ils combattaient en eux la « nature » à laquelle nos « libertaires » font profession de s’abandonner ; qu’ils pratiquaient justement les vertus qu’un bon anarchiste doit avoir le plus en horreur ; et qu’ils ne tuaient pas, mais, au contraire, se laissaient tuer.

2561. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Soit L’Homme libre et Les Millions honteux. […] L’homme parfait que donnerait l’équilibre du sentiment et de l’intelligence, de la raison approuvant l’instinct1 ! […] J’eus là, tout jeune, comme collaborateurs assidus, deux hommes de grand savoir et de tempérament opposé, Édouard Thierry et F.  […] Si un homme politique fait un faux pas, immédiatement c’est un sot ou un malfaiteur. […] « La critique ne connaît pas le respect, elle juge les hommes et les dieux », disait Renan, historien des religions.

2562. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

La fine raillerie de l’homme du monde, tempérée par une bonté divine, ne pouvait s’exprimer en un trait plus exquis. […] … « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui avez pris la clef de la science et ne vous en servez que pour fermer aux hommes le royaume des cieux 981 ! […] Un jour, sa mauvaise humeur contre le temple lui arracha un mot imprudent : « Ce temple bâti de main d’homme, dit-il, je pourrais, si je voulais, le détruire, et en trois jours j’en rebâtirais un autre non construit de main d’homme 993. » On ne sait pas bien quel sens Jésus attachait à ce mot, où ses disciples cherchèrent des allégories forcées. […] Les pharisiens excluent les hommes du royaume de Dieu par leur casuistique méticuleuse, qui en rend l’entrée trop difficile et qui décourage les simples. […] Ce meurtre est le dernier dans la liste des meurtres d’hommes justes, dressée selon l’ordre où ils se présentent dans la Bible.

2563. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Dans sa république & dans ses loix, définissant un homme qui s’occupe à faire des vers, il le peint des couleurs les plus affreuses. […] Mais Santeuil, le plus enthousiaste & le plus foible des hommes, faisant toujours le contraire de ce qu’il projettoit, changea d’idée : il crut avoir blasphêmé contre le ciel que d’avoir mis, dans une de ses pièces, le seul mot de Pomone. […] On voyoit, sous la figure de cette dernière déesse, des visages, qui, malgré toute la flatterie de l’art, n’auroient pas été admis aux moindres emplois à la cour d’Amathonte : des hommes même avoient ce ridicule. […] Quelques courtisans ne purent s’empêcher de lui témoigner leur étonnement de ce qu’elle appliquoit sa bouche sur celle d’un homme aussi laid. La princesse répondit en riant : Je n’ai pas baisé l’homme, mais la bouche qui a dit tant de belles choses.

2564. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

La parole, qui a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée, a dit un impudent menteur, trahit, au contraire, toujours l’homme, et il n’a pas besoin de se raconter pour se dire : il se dit en parlant de tout. […] Mais quand un autre se substitue à elle dans l’expression de souvenirs personnels, et qui n’ont d’autre valeur peut-être que parce qu’ils sont personnels, cet autre — fût-ce une femme, plus flexible qu’un homme pour cette interprétation si délicate et si difficile, — devrait prouver qu’il peut aborder une difficulté si grande en montrant qu’il a profondément compris la personne dont il prend la place, et il doit au moins la peindre ressemblante pour avoir le droit de la remplacer. […] » Elle a tant fait penser aux anges les hommes de sa génération, dont ce n’était pas, comme on sait, la préoccupation habituelle, que c’est depuis elle que ce mot d’ange a été insupportablement appliqué à toutes les femmes et est devenu un lieu commun dans la langue de l’amour. […] Comme femme, elle a régné, de même qu’il a régné comme homme, mais lui, l’Empereur, sa grandeur et sa beauté sont arrêtées, précises, positives comme son génie ; tandis qu’elle, Madame Récamier, c’est tout ce qui est puissant aussi, mais ce qu’il est impossible d’arrêter et de préciser. […] Si encore on voyait le pied, qui était joli, on se consolerait peut-être, mais le pied n’est plus ; la grâce, la beauté, la figure de la femme qui faisait croire qu’elle était spirituelle à tous les hommes qu’elle grisait avec un sourire, ont disparu, et il reste ça pour en donner l’idée.

2565. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Or, pour mon compte, je n’en connais actuellement aucun, ni chez les hommes ni chez les femmes, qui ait cette nuance charmante d’originalité. […] Cette supériorité est si fine, si aristocratique, si féminine surtout, pour un temps si épais, si égalitaire, si gros homme ! […] L’auteur les a laissés très respectueusement dans la Bible, mais il s’est permis de prendre leurs noms pour mieux dire que c’est l’homme et la femme de tous les mariages qui vont lui passer par les mains ! […] Ce n’est plus là une comédie d’homme. […] Un homme, d’un talent de verve et d’originalité, en Angleterre, a eu la même idée que celle de Monsieur Adam et Madame Ève.

2566. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Braz, Anatole (1859-1926) »

voici des vers qui sont d’un poète, d’un poète authentique, de quelqu’un dont l’âme est pieuse, douce, émue, voltigeante et chantante, prompte à la joie et prompte aux larmes, de quelqu’un qui ne ressemble pas aux autres hommes, qui n’est pas raisonnable, pratique, morose, ambitieux, qui va son chemin, loin des sentiers battus, vers des sommets bleus, aperçus en rêve dans une auréole de brumes dorées. […] L’auteur doit être, comme son livre et son éditeur, un brave homme de provincial ; ses manières doivent être simples et ses mœurs pures… Est-il besoin d’ajouter qu’il n’appartient à aucune école, à aucune coterie de gens de lettres ? […] à ceux qui veulent être délivrés de cette obsession par la voix d’un chanteur dont les mélodies ont la vertu d’endormir les soucis et d’apaiser le cœur souffrant des hommes.

2567. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 214-215

Voulez-vous brouiller deux hommes ? […] A l'en croire, un sot est né pour bâiller, un homme d'esprit pour s'ennuyer. […] Pour joindre la fine Littérature à la saine Morale, il apprend au Public que les Auteurs anciens sont obscurs & la nuit même ; qu'Horace n'est qu'un homme de table & de plaisirs, qui ne cherche qu'à rire & à boire.

2568. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Qui sait si on ne lui donnera pas le temps de se préparer au supplice en bon chrétien, de se confesser, de se repentir, de se réconcilier avec les hommes et avec le bon Dieu ? […] Mais lui, plus fort, plus homme, plus courageux, revenu de son premier étonnement, parla le premier. […] Que veut dire cet habit d’homme dont tu es travestie ? […] Quand ils sortirent, les hommes noirs disaient entre eux : — Quel dommage qu’un si jeune homme et un si bel adolescent ait un visage si trompeur et si candide ! […] Quels hasards dangereux rencontrerait Fior d’Aliza sur ces chemins inconnus et dans une ville étrangère, au milieu d’hommes et de femmes acharnés contre l’innocence, si l’on venait à découvrir son déguisement ?

2569. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Eustache Deschamps, qui est pourtant un homme de sens, prend la peine d’écrire en 1392 un « Art de dictier et de faire ballades et chants royaux », qui résume la poétique du siècle. […] N’étant pas un méchant homme, il trouve excessif de passer au fil de l’épée toute une population désarmée, les enfants et les femmes : mais il ne faut pas lui demander plus. […] De la cet incurable optimisme, cette belle humeur interne chez l’historien de tant de hontes, de crimes et de douleurs : jamais homme n’a été plus satisfait de la fête offerte à ses yeux par ce pauvre monde. […] Tout ce qui est vie physique et sensation, apparences et mouvement des choses et des hommes, joie des yeux, caresse des sens, trouve en lui un peintre sans rival. […] Mais voici une femme, Christine de Pisan, que nous retrouverons bientôt, et voici un homme qui est comme la première ébauche de l’humaniste en France, un homme qui a étudié seulement ès arts, qui n’a pas touché à la théologie, qui n’a aucun grade : c’est Jean de Montreuil104, secrétaire de Charles VI et prévôt de Lille.

2570. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Becq de Fouquières, jeune officier, avait conçu cette idée d’homme de goût et d’érudit dans le temps où, « un André Chénier à la main, il trompait les longues oisivetés de la vie militaire » ; devenu libre, il s’est empressé de se mettre à l’œuvre, et, d’abord, de se pourvoir de tous les instruments indispensables à l’exécution, parmi lesquels il faut compter au premier rang une connaissance des plus fines de la langue grecque. […] Fils de parents mêlés au monde, « lié de bonne heure avec tout ce que les arts, les sciences, la politique, avaient de noms éminents, André Chénier fut un homme considéré à son époque, et presque considérable. […] Poëte, il n’était connu et deviné que de quelques-uns : homme de doctrine et de combat, écrivain politique et publiciste courageux, il était apprécié de tout ce que la société avait alors d’énergiquement modéré. « À l’âge d’homme, nous dit son nouveau biographe, nous le peignant sans fausse complaisance, il était de taille moyenne ; ses cheveux châtain foncé frisaient naturellement à partir des oreilles, surtout derrière la tête ; il les portait courts. […] En même temps qu’il a été si soigneux de rattacher à chaque page, à chaque vers, tout ce qui s’y rapporte directement ou indirectement chez les Anciens ou même chez les modernes, le nouvel éditeur ne tire point trop son auteur du côté des textes et des commentaires, et il ne prétend point le ranger au nombre des poëtes purement d’art et d’étude ; il relève avec un soin pareil, il sent avec une vivacité égale et il nous montre le côté tout moderne en lui, et comme quoi il vit et ne cesse d’être présent, de tendre une main cordiale et chaude aux générations de l’avenir : « Chénier, remarque-t-il très justement, ne se fait l’imitateur des Anciens que pour devenir leur rival. » À Homère, à Théocrite, à Virgile, à Horace, il essaye de dérober la langue riche et pleine d’images, la diction poétique, la forme, de la concilier avec la suavité d’un Racine, et quand il en est suffisamment maître, c’est uniquement pour y verser et ses vrais sentiments à lui, et les sentiments et les pensées et les espérances du siècle éclairé qui aspire à un plus grand affranchissement des hommes.

2571. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Le malheur, c’est que le pauvre homme veut expliquer la nature sans être savant, et en se passant de la science. […] Tout l’univers est une machine artistement montée par la Providence pour procurer le bien-être de l’homme : ce ne sont qu’harmonies, concerts, convenances, consonances, prévoyances, sans parler des compensations qui sont encore des convenances, et des contrastes qui sont des harmonies. […] Jamais la haine de l’inégalité sociale, du luxe, de l’aristocratie, l’amour de l’humanité, des humbles, de la simplicité, l’enthousiasme de la vertu n’ont revêtu des formes plus faussement, plus béatement, plus niaisement attendries : dès qu’on regarde la pensée de ce pauvre homme, hélas ! […] C’est lui qui a créé les symboles de la religion philosophique, le culte laïque des grands hommes et des bons hommes, dont un Élysée national rassemblerait les cendres, les bustes, les monuments ; à côté des bienfaiteurs du genre humain, y seraient reçus le laborieux pêcheur et le charbonnier vertueux.

2572. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

C’est, de plus, un de ces hommes sans tache qui se placent sur l’isoloir de leur poésie pour éviter le coudoiement des foules. […] Réduction des molécules de l’homme qui le fait passagèrement divin ! [Les Œuvres et les Hommes : les Poètes (1862).] […] Grand artiste, il fut aussi un gentilhomme et un homme, partout fidèle ! […] Son mal ne l’isole pas de celui des autres hommes, et c’est leur sang qu’il jette avec le sien à la face des dieux, en accusant l’implacable destinée.

2573. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Or, de nos jours l’homme est, si l’on peut s’exprimer ainsi, rentré dans la nature ; on a compris qu’il n’est pas isolé au centre de l’Univers ; qu’il est soumis à des lois qui lui sont communes avec les êtres environnants. […] La paresse est la reine de la terre, pourrait-on dire ; même quand l’homme est sollicité à agir par le désir ou le besoin, il agit de façon à atteindre son but avec le moins de peine possible. […] Voyez les mœurs et la littérature du Directoire au lendemain de la sévérité Spartiate que les hommes de 93 avaient essayé d’imposer. […] Point de changement grave dans les conditions atmosphériques ; le ciel n’est pas devenu plus bleu, les roses plus roses ; les hommes n’ont pas été doués d’un sens nouveau. […] Il sait que ce fut l’âge d’or de la société polie ; qu’en ce temps-là la vie mondaine fut l’idéal de tout ce qui comptait alors parmi les hommes ; que les jardins mêmes étaient des salons ; que les philosophes prouvaient l’existence de la matière par celle de la pensée ; que les poètes, acharnés à peindre l’âme humaine civilisée, laissaient à peine tomber quelques regards distraits sur la nature environnante.

2574. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Chantez de nous ce que vous en aurez vu, que notre mémoire dure éternellement dans notre patrie, et que ce soit la récompense du sang que nous aurons versé pour elle. " ces hommes sacrés étaient également respectés des deux partis. […] C’est un choc de cavalerie très-vif d’action, savamment composé, figures d’hommes et de chevaux bien dessinées et pleines d’expression. […] On n’aperçoit qu’un cavalier sur son cheval ; il vient à vous, et l’homme et l’animal docile sont de la plus grande vérité. […] L’homme est merveilleusement bien en selle. […] Un homme de lettres qui n’est pas sans mérite prétendait que les épithètes générales et communes, telles que grand, magnifique, beau, terrible, intéressant, hideux, captivant moins la pensée de chaque lecteur, à qui cela laisse, pour ainsi dire, carte blanche, étaient celles qu’il fallait toujours préférer.

2575. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

D’un autre côté les gens du métier deviennent plus circonspects lorsqu’ils sentent qu’ils ont affaire avec des hommes éclairez. […] Mais on attache d’abord ses regards sur un soldat, dont le visage et l’attitude font voir un homme plongé dans la réverie la plus sombre à la vûë de ce guerrier tombé dans la derniere misere d’un rang, qui fait l’objet de l’ambition des militaires. […] J’ai même entendu dire à des personnes dignes de foi, que parmi le bas peuple de Rome, il s’étoit trouvé des hommes assez ennemis de la réputation de nos peintres françois pour déchirer les estampes gravées d’après Le Sueur, Le Brun, Mignard, Coypel et quelques autres peintres de notre nation, que les chartreux de cette ville ont placées avec des estampes gravées d’après des peintres italiens dans la gallerie qui regne sur le cloître du monastere. […] Il s’en faut encore beaucoup que nous ne cultivions autant qu’eux la sensibilité pour la peinture, commune à tous les hommes. […] Les femmes hantent nos spectacles aussi librement que les hommes, et l’on parle souvent dans le monde de poësie, et principalement de poësie dramatique.

2576. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Nous voïons par l’exemple de nos ancêtres, et par ce qui se pratique encore aujourd’hui dans le nord de l’Europe et dans une partie de l’Amerique, que les premiers monumens historiques que les nations posent pour conserver la mémoire des évenemens passez, et pour exciter les hommes aux vertus les plus necessaires dans les societez naissantes, sont des poësies. […] Ils chantoient à table de ces cantiques composez à la loüange des hommes illustres. […] La prévention où la plûpart des hommes sont pour leur tems et pour leur nation, est donc une source féconde en mauvaises remarques comme en mauvais jugemens. […] La profession du poete est de bien décrire ceux que les hommes de son temps sçavent faire. […] La maniere dont nous vivons avec nos chevaux, s’il est permis de parler ainsi, nous révolte contre les discours que les poëtes leur font adresser par des hommes.

2577. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

Croirez-vous, dit Ciceron dans un autre endroit, qu’un homme aussi désinteressé que Roscius, veuille s’approprier aux dépens de son honneur un esclave de trente pistolles, lui qui depuis douze ans nous joue la comédie pour rien, et qui par cette generosité a manqué de gagner deux millions. […] On ferme les bibliotheques comme on ferme les tombeaux pour toujours, et l’on ne songe qu’à faire faire des hidrauliques, des lyres énormes, des flutes de toute espece et tous les instrumens qui servent à regler les gestes des acteurs. " je dois avertir le lecteur qu’en évaluant la monnoïe romaine par notre monnoïe de compte, je n’ai pas suivi le calcul de Budé, quoique ce calcul fut juste lorsque ce sçavant homme le fit. […] Or la poitrine se trouve plus à son aise dans un homme qui est debout que dans un homme assis. […] Je ne citerai ici que Neron, cet homme de théatre à qui les dieux trouverent bon de donner le monde à gouverner.

2578. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

Par conséquent, les honnêtes gens de ce système, les raffinés de sociabilité, comme dit Rigault, ne pouvaient pas tomber, pour le charmer, sous le regard de ces deux grands hommes, et modifier leur insolente opinion sur les honnêtes gens. […] Ils ne sont, quand vous cherchez bien, — dans cette société qui marche au communisme par l’anarchie si un homme de génie et de gouvernement n’arrête ce fléau, — ils ne sont que des conservateurs socialistes, comme les socialistes, qui veulent prendre pour conserver, ne sont eux-mêmes que des apprentis conservateurs ! […] Cette critique, qui juge résolument qu’un livre est mauvais et qui donne les raisons de son jugement, « les salons l’ont tuée », nous dit cet éclatant homme du monde, ce comte d’Orsay, Μ.  […] les demi-mots leur sont chers, à ces moitiés d’hommes !)  […] Mais une telle femme manquerait de fierté ou manquerait de laquais, si elle ne faisait pas jeter hors de chez elle les hommes qui foulent aux pieds toutes les convenances de la pensée et de la vie !

2579. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 63-64

On ne peut, en puisant dans de pareilles sources, que former péniblement un tissu de faits décharnés, & propres à fatiguer le Lecteur, qui aime à trouver dans un Historien, l'homme instruit & capable de suppléer, par sa sagacité, aux obscurités que les Faiseurs de Mémoires ont répandues sur certains événemens. […] Il est aussi peu sensé au Lexicographe de dire, en se contrariant, que ce même Ouvrage seroit plus digne des Gens de goût, si quelque homme instruit vouloit le corriger sur l'Histoire du Siecle de Louis XIV de M. de Voltaire. Ne seroit-il pas nécessaire, avant toutes choses, que le Siecle de Louis XIV, qu'on propose pour modele, fût corrigé par un homme instruit, véridique, & surtout moins enclin à débiter de petites anecdotes hasardées, soit pour appuyer le systême de l'Auteur, soit pour réveiller la curiosité des petits esprits qui adoptent bonnement toutes choses, pour peu qu'elles soient marquées au coin de la hardiesse & de la singularité ?

2580. (1761) Salon de 1761 « Gravure —  Casanove  » pp. 163-164

Il faut la voir ; comment rendre le mouvement, la mêlée, le tumulte d’une foule d’hommes jetés confusément les uns à travers les autres ; comment peindre cet homme renversé qui a la tête fracassée et dont le sang s’échappe entre les doigts de la main qu’il porte à sa blessure ; et ce cavalier qui, monté sur un cheval blanc, foule les morts et les mourants. […] Ce Casanove est dès à présent un homme à imagination, un grand coloriste ; une tête chaude et hardie ; un bon poète ; un grand peintre.

2581. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Un tel plaisir ne se peut expliquer que par un éveil de l’antique férocité animale chez « l’élite de la jeunesse française », et par ce fait qu’une réunion d’hommes est plus méchante et plus inepte que chacun des individus qui la composent (meilleure aussi en certains cas, mais c’est infiniment plus rare). […] Dans plus de la moitié des cas, un ancien élève de l’X est un homme qui, ayant aspiré à l’honneur de fabriquer du tabac, est réduit au désagrément de faire manœuvrer des canons ou de bâtir des casernes. […] Mais, si un polytechnicien isolé est presque aussi proche du néant que les autres hommes, tous les polytechniciens ensemble sont infiniment imposants, et l’École elle-même est une chose immense. […] J’ai rencontré tant d’hommes supérieurs et originaux qui n’en sortaient pas !

2582. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Girac, et Costar. » pp. 208-216

Il appelle Costar menteur, étourdi, calomniateur, vrai pied-plat, grand chicaneur, insolent, ignorant, fripon, homme à pendre. […] Un homme aussi sçavant en invectives & en ordures ne devoit pas avoir une autre origine. […] Pour ce qui est de sa capacité, je n’ai point mémoire d’avoir lu d’écrivain si ignorant… Quel avantage dois-je donc attendre de combattre un homme si foible, de tenir tête à une harangère, & d’imiter ce Ctésiphon de Plutarque qui faisoit le coup de pied de mulet ?  […] Bayle trouve fort singulier que Costar ait voulu faire un procès criminel à un homme de lettres, qui s’étoit servi de ses armes propres.

2583. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Julie a été ramenée à la religion par des malheurs ordinaires : elle est restée dans le monde ; et, contrainte de lui cacher sa passion, elle se réfugie en secret auprès de Dieu, sûre qu’elle est de trouver dans ce père indulgent une pitié que lui refuseraient les hommes. […] Si nous trouvons tant de charmes à révéler nos peines à quelque homme supérieur, à quelque conscience tranquille qui nous fortifie et nous fasse participer au calme dont elle jouit, quelles délices n’est-ce pas de parler de passions à l’Être impassible que nos confidences ne peuvent troubler, de faiblesse à l’Être tout-puissant qui peut nous donner un peu de sa force ? On conçoit les transports de ces hommes saints, qui, retirés sur le sommet des montagnes, mettaient toute leur vie aux pieds de Dieu, perçaient à force d’amour les voûtes de l’éternité, et parvenaient à contempler la lumière primitive. […] Toi, l’épouse d’un Dieu, tu brûles pour un homme ?

2584. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

On ne peut guère supposer que des hommes aussi sensibles que les anciens eussent manqué d’yeux pour voir la nature, et de talent pour la peindre, si quelque cause puissante ne les avait aveuglés. […] Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne, pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu ; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein, comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts ; mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature ; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur. Oui, quand l’homme renierait la Divinité, l’être pensant, sans cortège et sans spectateur, serait encore plus auguste au milieu des mondes solitaires, que s’il y paraissait environné des petites déités de la fable ; le désert vide aurait encore quelques convenances avec l’étendue de ses idées, la tristesse de ses passions, et le dégoût même d’une vie sans illusion et sans espérance. Il y a dans l’homme un instinct qui le met en rapport avec les scènes de la nature.

2585. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Pour éclairer l’avenir encore obscur de Constantinople, il remonte dans les profondeurs de son passé et nous peint, dans une fresque au plus éclatant vermillon, l’énorme et houleux panorama d’hommes et de choses qui s’étend, se roule et se perd à l’horizon des siècles, depuis les rives du Bosphore jusqu’au Danube, et du fond de la Perse au Pont-Euxin ! […] Nous ne connaissons pas de meilleure réponse que Méry à cette affirmation des jugeurs qui mettait en furie Chateaubriand, le vieux enfant colère, quand ils lui disaient qu’un poète n’est jamais capable de rien que de poésie ; car, en dehors de ses poésies écrites et de la poésie de sa nature, il n’y eut jamais, du moins dans notre époque, d’homme capable intellectuellement de plus de choses que Méry. […] Poète comme il est homme, le rêveur a été souvent un penseur. […] C’est de l’Histoire faite en artiste, un grand et rapide récit qui va de Byzas, le fondateur de Byzance, jusqu’à Mahmoud, le réformateur de l’Empire turc, enfin une espèce de biographie de Stamboul, majestueusement et colossalement individualisée sous le regard de l’historien, immense statue faite de pierres et d’hommes, comme les statues de Phidias étaient faites d’or et d’ivoire, qui a pour turban ses coupoles, et aux bras victorieux ou blessés de laquelle l’historien append, durant tout le cours de son histoire, les médaillons sanglants de ses maîtres et de ses vainqueurs !

2586. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Chacun de ces hommes, au moins à certaines heures, se sent subordonné, misérable, minime, pauvre fétu jeté dans la fournaise, mais avec un tel frémissement ! […] Amitié de pays : il n’est pas rare, surtout dans les régiments de réserve, que douze, quinze hommes d’une compagnie soient du même village, et cela c’est l’amitié fondamentale. Amitié d’habitude, entre hommes qui se trouvent rapprochés par les épreuves communes, par la vie quotidienne ; en tient-on suffisamment compte ? […] Des entretiens sans cesse interrompus et recommencés, plus mélancoliques chez les hommes d’un certain âge, joyeux jusqu’à la gaminerie dans les jeunes classes et chez les petits officiers, remplissent les jours et les nuits.

2587. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Un homme qui connaît son métier, celui-là ! […] s’écrie notre homme, interloqué. […] Une Voix crie : « Laissez passer la justice des hommes !  […] Il avait son homme sous la main ; et c’était le principal. […] Le pauvre homme était un entrepreneur aussi.

2588. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

L’homme qui se sent étudié se dérobe. […] L’homme positif et froid constate que l’œuvre d’art existe. […] L’homme est dans la nature, après tout. […] L’homme de peu d’imagination se contente des procédés connus. […] On leur a donné la tâche de représenter ces hommes qui par leur puissance ou leur sainteté semblent s’être élevés au-dessus de l’homme.

2589. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Cependant je ne crois pas que les hommes du sud de la Loire soient moins doués pour la poésie que ceux du Nord. […] Il convient de noter ceci, que si l’homme heureux n’a pas de chemise, il n’a pas non plus le goût de faire des vers. […] Ce n’est point l’homme heureux. Mais l’homme qui, sous un ciel moins indulgent, dans une nature moins affectueuse, travaille et lutte contre les hommes et les choses et sent qu’il joue son sort, celui-là éprouve le besoin de chanter son amertume, son impatience, sa détresse. […] Un homme heureux, s’appelât-il Lamartine, ne chante point.

2590. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Voici un passage du texte original : « Odin chanta devant cette tombe l’évocation des morts, regarda le Nord et traça des runes ; il demanda une réponse, Wola se leva enfin, et chanta les paroles de mort : Wola « Quel est parmi les hommes cet homme à moi inconnu qui répand la tristesse dans mon esprit ? […] XV : Mort et funérailles de Wagner ; continuation de son œuvre : ses revirements intéressés ; son attitude envers les compositeurs ; l’homme dans l’intimité, l’artiste en public. […] Jullien distingue en Wagner l’artiste et l’homme : l’artiste est présenté comme un musicien de génie. L’homme est jugé sévèrement : il apparaît que Wagner n’a pas été connu personnellement de M.  […] Dans le monde antique une harmonie existait, inconsciente, entre l’homme et la nature environnante ; l’humanité, de l’avenir devra rétablir, consciemment, cette harmonie.

2591. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Châtiments » (1853-1870) — Préface de 1853 »

« Quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui se croient les maîtres des peuples et qui ne sont que des tyrans de consciences, l’homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d’accomplir son devoir tout entier. […] « Rien ne dompte la conscience de l’homme, car la conscience de l’homme, c’est la pensée de Dieu.

2592. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Henri IV était le seul homme qui eût pu calmer, et il y arrivait par son habileté, par sa justice, par sa force si bien tempérée d’adresse ; il mourut trop tôt, et, après lui, il était bien difficile que les ferments mal apaisés, et qu’excitait derechef l’air du dehors, ne se renflammassent pas. […] Orateur, homme de discussion et de persuasion autant que guerrier, il y a tout un côté bien important de son talent et de son rôle qui pour nous a disparu. […] Un autre point est à toucher, assez délicat et dont il est singulier qu’on ait à se préoccupper, parlant d’un si grand homme de guerre et qui est mort des blessures reçues en combattant. […] Cet armement, si hardiment combiné, auquel l’Angleterre contribua par ses seuls vaisseaux, et la Hollande par ses vaisseaux à la fois et par ses hommes, eut tout le succès et l’effet qu’il prétendait en tirer. […] et, bien qu’ils ne fussent plus qu’ombres d’hommes vivants, essayant d’obtenir par leurs députés un traité général appelé traité de paix et non un simple pardon, et d’y faire comprendre Mme de Rohan.

2593. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Il se vit l’objet d’une exception unique, il fut le seul homme de lettres envers qui l’Académie ne craignit pas de s’engager à l’avance. […] S’il avait moins de goût que les grands hommes de la Grèce et de Rome que nous venons de citer, cela tenait aux inconvénients de son époque, de son éducation, et à un vice aussi de son esprit, atteint d’une sorte de pédantisme : mais s’il péchait dans le détail, il ne se trompait pas dans sa vue publique de la littérature et dans l’institution qu’il en prétendait faire pour le service et l’agrément de tous. […] Déjà Voiture était comme cela : homme du monde et de Cour, délicat à l’excès et dégoûté, un peu dédaigneux des gens de lettres, il craignait apparemment de s’ennuyer parmi eux ou de retomber en bourgeoisie, et il restait dans ses belles et fines sociétés. […] Dans la seconde moitié du xviiie  siècle, la grande innovation consista à substituer à ces sujets somnolents l’éloge d’un grand homme, Sully, Duguay-Trouin, Descartes : ce fut le triomphe de Thomas. […] Elle n’aura pas grand-peine à surpasser en mérite celle de Paris, qui n’est maintenant composée, à deux ou trois hommes près, que de gens du plus vulgaire mérite, et qui ne sont grands que dans leur propre imagination.

2594. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Fromentin se déclare contre, par la raison, dit-il, « que les hommes de génie ont toujours raison, et que les gens de talent ont souvent tort » : « Costumer la Bible, ajoute-t-il, c’est la détruire ; comme habiller un demi-dieu, c’est en faire un homme. […] Fromentin est dans cette alliance intime et cette combinaison même : le peintre, l’homme de goût, l’homme de sentiment alternent ou plutôt s’unissent et ne font qu’un le plus souvent dans ses pages. […] Il faut regarder ce peuple à la distance où il lui convient de se montrer : les hommes de près, les femmes de loin ; la chambre à coucher, la mosquée, jamais. […] Qu’est-ce donc quand c’est le soleil caniculaire qui plane littéralement, qui darde d’aplomb et sans la moindre obliquité, qui consterne les hommes et les choses ? […] Même dans ce pays de désolante ardeur où il n’y a plus lieu de dire avec Bernardin de Saint-Pierre « qu’un paysage est le fond du tableau de la vie humaine », même au sein de cette accablante nature, avec lui, l’homme ne fait jamais défaut ; la pensée et la vie du témoin, sa sympathie, ne sont jamais absentes.

2595. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

La masse des prisonniers, après tout ce qu’on ramassa, montait bien à 10 000 hommes, dont on ne savait que faire. […] Il n’y a point de salaire en ce monde qui puisse obliger les hommes à tant souffrir. […] Il ne faut pas beaucoup tenter l’homme et le défier pour qu’il redevienne cruel et barbare. […] Catinat était un homme de droiture et de vérité. […] L’ennemi perdit 4 000 hommes environ, et nous en eûmes plus de 2 000 hors de combat.

2596. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Il parle assez peu respectueusement de ces princes « qui vont s’échauder bien loin pour le profit de quelque roi » ; c’est le mot d’un homme qui a vu bouillir la marmite. […] Le peuple s’étonna comme il se pouvait faire     Qu’un homme seul eût plus de sens     Qu’une multitude de gens. […] Ce n’est pas un écrivain que nous venons voir, c’est un homme, ou plutôt c’est l’objet lui-même ; le véritable artiste est celui qui fait voir son sujet sans laisser voir sa personne. […] Un homme au collège s’est laissé dire qu’un vers est une ligne de douze syllabes sans élisions, laquelle finit par un son pareil à celui de la ligne voisine ; tout le monde peut fabriquer des lignes semblables, c’est affaire de menuiserie ; d’ailleurs il se souvient qu’il en a fait en latin, presque aussi bien que Claudien, bien plus joliment que Virgile ; maintenant que le voilà inspecteur des douanes, officier en retraite, il rabote et aligne des vers, compose des fables, traduit Horace, exactement comme d’autres, ses confrères, confectionnent des boîtes et des bilboquets avec un tour. […] Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux On croyait l’honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l’indulgence des dieux.

2597. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Ainsi Montesquieu pose ces étranges maximes : qu’un État déchiré par la guerre civile menace la liberté des autres ; et qu’il se forme toujours de grands hommes dans les guerres civiles. […] L’Esprit des Lois est pour Montesquieu ce que les Essais sont pour Montaigne : toute la différence est que l’étude de Montaigne, c’est l’homme moral et les ressorts spirituels, celle de Montesquieu, l’homme social et la mécanique législative. […] Il veut dégoûter les grands et les hommes d’État de se mettre au-dessus de la simple morale : comment les y décider ? […] Dès le début de son livre, avant la naissance des sociétés, il essaie de se représenter l’homme de la nature. […] Il ne soupçonne pas la possibilité d’une démocratie de trente-cinq ou de soixante millions d’hommes.

2598. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Le caractère de l’homme qui confesse redouble l’indécence de la confession. […] Elle a relevé cet homme abattu, en l’initiant à une vie nouvelle. […] Cet homme lui dit que, ce même soir, il sera chez elle à huit heures. […] Jeannine n’aime ni ne hait cet homme. […] Peut-être, un jour, s’y trouverait-il, face à face, avec sa femme au bras, devant l’homme qui l’a possédée.

2599. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

On raconte qu’à ses débuts à Paris, au milieu des vifs applaudissements qu’elle excitait, un seul homme, enfoncé dans un coin de loge, et résistant à l’enthousiasme universel, se bornait de temps en temps et à de rares endroits à dire : « C’est bon, cela !  […] C’était Du Marsais, le philosophe grammairien, homme naïf, peu façonné au monde, franc et d’une inexorable justesse. […] Elle fut la première à conquérir en France, pour les actrices, la position de Ninon, c’est-à-dire d’une femme honnête homme, recevant la meilleure compagnie en hommes et même en femmes, pour peu que celles-ci eussent de la curiosité et un peu de courage. […] Ces amis, honnêtes gens qu’elle préférait à tout, c’étaient Fontenelle, Du Marsais, Voltaire, d’Argental, le comte de Caylus, un abbé d’Anfreville, le comte de Saxe et quelques hommes de l’intimité de celui-ci, tels que le marquis de Rochemore. […] Le goût particulier à Mlle Le Couvreur se fait jour à son insu dans ce portrait, et l’on sent quelles qualités, avant tout, elle prise et elle désire chez les hommes de son intimité.

2600. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Elle ne pouvait s’empêcher de faire des cadeaux à tous, au plus pauvre homme de lettres comme à l’impératrice d’Allemagne, et elle les faisait avec cet art et ce fini de délicatesse qui ne permet pas de refuser sans une sorte de grossièreté. […] Le mépris des hommes perce trop ici jusque dans le bienfaiteur. […] C’est elle qui a dit de l’abbé Trublet, qu’on appelait devant elle un homme d’esprit : « Lui, un homme d’esprit ! […] Ces esprits délicats et rapides sont surtout propres à la connaissance du monde et des hommes ; ils aiment à promener leur vue plutôt qu’à l’arrêter. […] Quelques mots de Montesquieu contre Mme Geoffrin indiquent assez ce qu’on pourrait d’ailleurs deviner, qu’il entre toujours un peu d’intrigue et de manège partout où il y a des hommes à gouverner, même quand ce sont les femmes qui s’en chargent.

2601. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Nul homme distingué ne garda plus que Raynouard le cachet primitif de sa province, de son endroit. […] Raynouard, auteur d’ailleurs fort estimable et d’un grand talent, nous le représente comme un homme froid, impassible ami de la justice, qui n’a aucune raison d’aimer ou de haïr les Templiers, qui tremble devant un inquisiteur et qui ne semble demander que pour la forme aux Templiers un acte de soumission et de respect. Napoléon, qui se connaissait en héros et qui savait l’étoffe dont ils sont faits, insiste sur ce point que le héros d’une tragédie ne doit pas l’être de pied en cap, qu’il doit, pour intéresser, rester un homme ; et ici, sans s’en douter et en croyait n’être que classique, Napoléon se rapproche du point de vue de Shakespeare, chez qui il y a des hommes toujours, et point de héros : L’auteur, dit-il, paraît surtout avoir oublié une maxime classique, établie sur une véritable connaissance du cœur humain : c’est que le héros d’une tragédie, pour intéresser, ne doit être ni tout à fait coupable ni tout à fait innocent. […] Toutes les faiblesses, toutes les contradictions sont malheureusement dans le cœur des hommes et peuvent offrir des couleurs éminemment tragiques… Puis il critique le jeune Marigni, amoureux sans qu’on connaisse l’objet de son amour et qu’on puisse s’y intéresser, voulant toujours mourir, et un hors-d’œuvre tout à fait inutile à l’action. […] Avec cela, homme bon sous son écorce rude, loyal avec sa finesse, ami sincère des études et de ceux qui les cultivent, éloigné de toute brigue, et sachant se préserver des haines et des colères qui empoisonnent et déshonorent trop souvent l’érudition.

2602. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Cette sincérité d’attache distingue Arnault entre les hommes de lettres de son temps. […] J’ai donc insisté pour que le général Gentili ne mit pas mon dévouement à une plus dangereuse épreuve, et me permît de retourner auprès de vous… Permettez-moi de suivre l’exemple de Lycurgue, homme de sens, qui aimait mieux donner des lois que de les faire exécuter. […] Mais Arnault, qui n’était qu’un gouvernant et un diplomate de circonstance, et un homme de lettres au fond, n’avait pas jugé à propos d’interpréter ses instructions dans ce sens étendu. […] Je pourrais raconter là-dessus des anecdotes intéressantes qui prouveraient combien Arnault, cet homme d’esprit un peu caustique, était droit et bon. […] Lemercier était le plus philosophe des hommes et des auteurs dramatiques, les jours de première représentation.

2603. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Diderot nous parle d’un éditeur de Montaigne, si modeste et si vaniteux à la fois, le pauvre homme, qu’il ne pouvait s’empêcher de rougir quand on prononçait devant lui le nom de l’auteur des Essais. […] Les grands poëtes contemporains, ainsi que les grands politiques et les grands capitaines, se laissent malaisément suivre, juger et admirer par les mêmes hommes dans toute l’étendue de leur carrière. […] comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait agenouiller sa petite fille aînée devant le Père des hommes, et lui joint ses petites mains pour prier, et lui pose sur sa lèvre d’enfant le psaume enflammé du prophète : ni la Prière pour Tous si sublime, ni l’Aumône si chrétienne, ne peuvent couvrir l’amère réalité ; le poëte ne croit plus. […] Il est donc à errer dans ce monde, à interroger tous les vents, toutes les étoiles, à se pencher du haut des cimes, à redemander le mot de la création au mugissement des grands fleuves ou des forêts échevelées ; il croit la nature meilleure pour cela que l’homme, et il trouve au monstrueux Océan une harmonie qui lui semble comme une lyre au prix de la voix des générations vivantes. […] Rien ne reste de nous : notre œuvre est un problème ; L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même Son ombre sur le mur.

2604. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Kœnig, ainsi que d’autres mathématiciens, a écrit contre cette assertion étrange ; & il a cité, entr’autres choses, un fragment d’une lettre de Léibnitz, où ce grand homme disoit avoir remarqué que, dans les modifications du mouvement, l’action devient ordinairement un maximum, ou un minimum.M. de Maupertuis crut qu’en produisant ce fragment, on vouloit lui enlever la gloire de sa prétendue découverte, quoique Léibnitz eut dit précisément le contraire de ce qu’il avance. […] Toutes les fois qu’ils se rencontroient dans une maison, Maupertuis y étoit mal à son aise : il jettoit d’abord quelques feux ; mais bientôt éclipsé par un homme supérieur dont la conversation a tant d’agrémens, il tomboit dans la tristesse & l’ennui ; de façon qu’on évitoit de les faire trouver ensemble. […] Le jeune auteur vouloit aller à la célébrité : la plus grande qu’il ait eue lui vient en effet de son acharnement contre la personne & les écrits d’un grand homme*. […] On a prétendu que ce prince, en disgraciant l’homme de génie qu’il avoit le plus desiré d’avoir à sa cour, l’avoir accablé de ces paroles : « Je ne vous chasse point, parce que je vous ai appellé ; je ne vous ôte point votre pension, parce que je vous l’ai donnée : mais je vous défens de reparoître devant moi » : rien n’est plus faux. […] On discuta ses talens* : l’homme trop heureux fit évanouir dans Maupertuis l’écrivain supérieur.

2605. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Dans ce beau drame de la coquetterie aux prises avec l’honneur d’un galant homme, Célimène est seule, sans autre défense que son esprit, sans autre protection que sa beauté. […] Dans ce grand xviie  siècle, où tout était à sa place, les hommes et les choses, comment se fait-il qu’Alceste seul ne soit pas à la sienne ? […] Il avait tant de hâte d’arriver au but, qu’il l’outrepassait, alors notre homme, comprenant sa faute, s’impatiente outre mesure. […] Il prend un air malheureux qui fait peine à voir ; il se trouble, il hésite, il est prêt à vous dire en frappant du pied, comme cet amateur homme d’esprit qui, jouant le rôle d’Alceste, prit la fuite au beau milieu du rôle en s’écriant : — Ce n’est pas ça ! […] Mais si quelques gens de cœur n’avaient pas été, pour ainsi dire, les gardes de mademoiselle Mars, il y a longtemps que le Théâtre-Français l’eût perdue : et comptez donc combien de grands hommes, combien de grands drames qui n’auraient pas vu le jour !

2606. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Mais le traducteur du livre que voici, et qui a déjà eu tant de traducteurs, n’a pas signé la sienne… et, franchement, ce n’est pas aimable pour son grand homme à lui, — pour Emmanuel Rhoïdis, — un nom mélodieux, par parenthèse, très facile à répéter pour la Gloire, si la Gloire était une mijaurée qui zézéyât comme Alcibiade, et n’avait pas cette bouche d’airain capable de tout prononcer ! […] Vous vous le rappelez, il y avait autrefois un homme qui retenait son vent pour dérouter la sagacité de ce diable d’ours, qui le sentait aux narines et le retournait avec sa serre. L’homme d’ici ne retient pas son vent, mais le pousse et l’augmente, au contraire, pour faire croire qu’il est très vivant, comme l’autre homme, en retenant le sien, voulait faire croire qu’il était bien mort. […] Cet homme, qui, selon son traducteur, a fait « se tordre de rire toute la Grèce », avec sa grossière fable de La Papesse Jeanne, n’a pas, pour nous Français qui savons rire, — qui, du moins, le savions autrefois, — une seule page gaie pour en racheter l’inspiration irrévérente et mensongère, et qui nous fasse involontairement rire, — quitte, après, à nous repentir d’avoir ri ! […] C’est la légende de la Papesse, avec sa longue mascarade en moine, ses amours et ses pèlerinages, ses habitations et ses succès de galanterie dans les monastères d’hommes, sa cellule partagée avec un jeune compagnon un peu plus moine qu’elle ; puis la tiare escroquée, la grossesse tardive du fait du camérier, et l’accouchement, en pleine procession, sous les yeux de Rome, qui se tordait peut-être de rire, comme toute la Grèce !

2607. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

cela pouvait être pis. » Heureux homme ! […] Une fois arrivée de la persécution et de l’oppression à la puissance, grâce à trois grands hommes dont les deux premiers ne sont pas sans reproche et dont le troisième est le plus grand : Constantin, Théodose et Charlemagne, l’Église, unifiée avec l’État et mêlée à son gouvernement, imprima aux choses son influence et sa direction suprême. […] Seulement, c’était la proscription, l’exil, la confiscation, que ces grands hommes et ces grands Saints autorisaient ; ce n’était pas la mort : parce qu’il fallait donner au coupable la possibilité de sauver son âme ! […] Le seul homme du siècle qui, peut-être, aurait pu nettoyer la France des Valois et fonder une quatrième dynastie, était François de Guise. […] Assurément, cette conclusion ne peut pas étonner de la part d’un homme que j’ai appelé, au commencement de ce chapitre, plus politique que catholique, et qui, à travers tous les faits de son livre, n’est occupé qu’à chercher la tolérance, imperceptible encore, comme on cherche une aiguille dans une botte de foin… Avec Henri IV, il l’a trouvée, et il s’en régale.

2608. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Ils l’aimaient, hommes et choses, dans toutes ses manifestations. […] MM. de Goncourt ont senti cela comme tous les hommes de leur temps, et cette passion pour le xviiie  siècle a faussé quelquefois et souvent leur histoire, en y mettant par trop de rayons. […] Il n’est pas séduit par les grâces de cet homme qui fut longtemps le Bien-Aimé, et qui l’est encore assez aux regards de certains esprits pour qu’ils soient tentés de l’excuser, quand il est sans excuse et sans atténuation devant l’Histoire. […] L’homme y est complet, cet étrange Fatal de l’adultère, de l’adultère perpétuel qui ne s’interrompit jamais dans sa vie, mais qui y fut coupé, sans y être interrompu, par les plus horribles libertinages ! […] Pour des imaginations comme MM. de Goncourt, dont la nature poétique a toujours résisté au prosaïsme de leur système quand ils ont voulu faire de cette prétendue réalité, qu’ils appellent cruelle et que j’appelle simplement crue, les femmes sont, en effet, ce que je sais de plus dangereux et de plus mortel pour la supériorité d’un homme, — pour son sang-froid, sa justice et son impartialité.

2609. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Car quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise, qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ? […] Alexandre de Humboldt est, de consentement universel, au xixe  siècle, l’un des premiers hommes de ce siècle qui a encore quarante ans à vivre, et que dis-je ? […] Lorsque les savants, qui seuls parlent d’eux avec compétence, auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. […] Il avait la haine des prêtres, qu’il appelle les hommes noirs , comme Béranger, et il bat partout, dans ses livres, de ce tambour vide qu’on nomme civilisation. […] Cela n’était permis qu’à l’Allemagne : car, si c’est une superstition, c’est une superstition touchante pour un pays que d’exagérer ses grands hommes, mais cela n’était, certes !

2610. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Car, quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ! […] Alexandre de Humboldt est, de consentement universel » au dix-neuvième siècle, l’un des premiers hommes de ce siècle qui a encore quarante ans à vivre, et que dis-je ? […] Lorsque les savants qui seuls parlent d’eux avec compétence auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. […] Il avait la haine des prêtres, qu’il appelle les hommes noirs , comme Béranger, et il bat partout, dans ses livres, de ce tambour vide qu’on nomme civilisation. […] Cela n’était permis qu’à l’Allemagne : car, si c’est une superstition, c’est une superstition touchante pour un pays que d’exagérer ses grands hommes, mais cela n’était certes !

2611. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Parmi ces hommes aimables je voudrais citer au moins Baju, Anatole Baju qui fut un brave homme de self-government. […] abîme        Où va l’homme pâle et troublé. […] Si un homme a triomphé de son milieu, c’est bien lui. […] Mais, de s’être battu, Rainouart se sent un autre homme. […] La Révolution a coupé bien des têtes, les guerres ont mangé bien des hommes.

2612. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIV » pp. 337-339

Béranger a, dans la vie privée et dans toute sa conduite, bien du calcul et de l’arrangement ; il tient, par exemple, à amener les autres à lui, en se flattant de n’aller jamais à eux ; il croit peut-être avoir pris Chateaubriand et Lamennais, les avoir convertis et conquis, mais il oublie que de tels hommes ne se hantent pas impunément et qu’on ne saurait les voir beaucoup sans se modifier soi-même. […] Il faut toujours compter, quand on le juge, sa vertu, sa force morale, ce sentiment qui lui a fait jouer un grand rôle dans les crises politiques et dominer parfois les hommes les plus violents au seul nom de la patrie. Ces hommes violents eux-mêmes s’honoraient en reconnaissant à de certaines heures son autorité et son dévouement.

2613. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Pour prendre la place qu’il laissait vide, deux hommes se présentèrent : l’année 1656 vit débuter dans la tragédie Thomas Corneille et Quinault. […] Sans doute ; la dignité trafique est une sottise : un empereur amoureux est un homme amoureux, qui a seulement plus de pouvoir, partant moins de scrupule à se satisfaire. […] Les hommes sont plus faibles : les amoureux aimés sont des galants agréables, et rien de plus. […] Cet homme-là, par un exemple unique, a fait vraiment à son Dieu le sacrifice de son génie ; il s’est retiré quand il n’était ni épuisé ni fatigué, quand il avait seulement montré ce qu’il pouvait faire. […] Ce n’étaient pas pour lui des hommes quelconques, types de l’humanité, tirant toute leur valeur de leur définition.

2614. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Vous figurez-vous bien le tète-à-tête de ces deux hommes ? […] Ginguené a jugé l’Homme des Champs avec un mélange de sévérité et de bienveillance qui fait honneur à son esprit et à la critique de son temps. […] Jamais l’idée ne serait venue à André Chénier d’intituler le premier chant d’un poème de l’Imagination : L’homme sous le rapport intellectuel. […] Il en prit à l’abbé Du Resnel de fort beaux pour l’Homme des Champs46, à Racine fils pour le Paradis perdu. […] Je trouve dans l’extrait de Ginguené que l’homme d’esprit réfuté aux premières lignes de la préface de l’Homme des Champs, M. de M., est Sénac de Meilhan  ; ce qui me paraît plus vraisemblable que M. de Mestre, qu’on lit dans beaucoup d’éditions subséquentes de Delille.

2615. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Au contraire, le poëte est devant ce monde comme le premier homme au premier jour. […] Les idées viennent de naître ; l’homme est heureux et encore enfant. […] Il est marié, il a des fermiers, il est magistrat municipal, il devient homme politique. […] On ne l’a point admiré, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poëte, c’était un homme. […] Il n’y a au monde qu’une œuvre digne d’un homme, l’enfantement d’une vérité à laquelle on se livre et à laquelle on croit.

2616. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Un seul homme, quelque fort qu’il soit, peut-il combattre des milliers d’hommes ?  […] Durant tout ce temps, l’homme de douleur a vécu seul dans sa caverne. […] Il rêvait, quand il emmenait sept ou huit cent mille hommes au fond de la Russie, pour combattre la disette et les frimas. […] Il rêvait, partant avec huit cents hommes de l’île d’Elbe, pour combattre l’Europe entière au rendez-vous de Waterloo ! […] C’est le propre des hommes à imagination disproportionnée.

2617. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Quel avantage a l’homme des travaux qu’il fait sur la terre ? […] Tu fumeras des pipes, tu videras des chopes, et tu seras l’homme le plus heureux du monde. […] Avec cela, Kobus, j’ose te prédire que tu deviendras vieux comme Mathusalem ; ceux qui te suivront diront : « C’était un homme d’esprit, un homme de sens, un joyeux compère !  […] — N’est-ce pas la destination de l’homme et de la femme ? […] Comme les idées d’un homme changent en trois mois !

2618. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Je ne suis qu’un imagier des grands hommes. […] Il n’a aucun mépris pour le métal, et il ne s’en cache pas : « Car c’est le métal, dit-il, par quoi on acquiert l’amour des gentilshommes et des pauvres bacheliers. » À peine à l’école, quand il était avec les petites filles de son âge, il se piquait d’être empressé, attentif auprès d’elles ; il se demandait quand il pourrait tout de bon faire le métier d’homme galant, courtois, amoureux, ce qui, dans le langage du temps, était synonyme d’homme comme il faut. […] Ce sont là des inconvénients inévitables ; mais l’extrême et passionnée curiosité de Froissart était une sorte de remède et de garantie contre la partialité même, s’il y avait été enclin ; car il n’était pas homme à se boucher une oreille, ni à retenir un récit qui lui aurait été conté, ce récit eût-il dû contredire sur quelque point une autre version précédente. […] Dans ce pays qui a conservé sans interruption le culte du gothique fleuri et de la noblesse chevaleresque, Froissart n’a pas cessé d’être apprécié, ou du moins il a de bonne heure retrouvé des lecteurs d’élite et des admirateurs, non pas seulement chez les savants et les érudits comme en France, mais chez les hommes de lettres et les curieux délicats. […] Frappé de son courage, de son urbanité, de ses manières généreuses et chevaleresques, il ne sait comment concilier tant de hautes et d’aimables qualités avec son mépris de la vie des hommes, surtout de ceux d’une classe inférieure, et il ne peut s’empêcher tout bas de le comparer au fanatique Burley.

2619. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Frappé des abus de quelques institutions et des vices de quelques hommes, je suis tombé jadis dans les déclamations et les sophismes. […] Votre souvenir est un de ceux qui m’attendrit davantage, parce que vous êtes selon les choses de mon cœur et selon l’idée que je m’étais faite de l’homme à grandes espérances. […] Comment persécute-t-on un homme tel que vous ! […] Mais enfin ils ont bien renié le Dieu qui a fait le ciel et la terre, pourquoi ne renieraient-ils pas les hommes en qui ils voient reluire, comme en vous, les plus beaux attributs de cet Être puissant ? […] La lettre à M. de Fontanes qu’on vient de lire, écrite dans le feu de la composition du Génie du christianisme, est évidemment celle d’un homme qui croit d’une certaine manière, qui prie, qui pleure, — d’un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour parler le langage de Pascal22.

2620. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Elle souffrit longtemps, nous dit Tallemant des Réaux en parlant de cette fin de vie de la marquise, il (Maucroix) souffrait assurément plus qu’elle : je n’ai jamais vu un homme si affligé, et, à cause de lui, je me suis réjoui de la mort de cette belle, parce qu’il était en un tel état que je ne savais ce qui en serait arrivé. […] J’en ai une joie, je ne m’en sens pas… Toutes mes plaies se sont rouvertes… Il le dit un peu en badinant, et sans se gêner, pour ajouter tout aussitôt à la gauloise : « Vous me faites mourir, vous autres prudes ; vous purifiez trop toutes choses, vous voulez que le bon vin soit sans lie. » Toute part faite à ce qui n’est qu’enjouement de propos et badinage épistolaire, Maucroix n’est donc ni un modèle de constance et de sentiment, ni un exemple de régularité ecclésiastique : n’allez pas en conclure qu’il fut un homme de scandale, ni encore moins un homme irréligieux. […] Il fut pour la ville comme pour le chapitre un homme de bon conseil. […] Maucroix, le paresseux et l’homme de loisir, ne put donc éluder les honneurs ni les charges ; il se vit nommé secrétaire général de l’Assemblée. […] C’est comme la moralité de l’immortelle fable de son ami, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes.

2621. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Sur L’Homme à bonnes fortunes, sur La Coquette, sur Le Jaloux de Baron, Dangeau, en les mentionnant, glisse un jugement favorable ; il nous indique en même temps celui du roi. […] Ces locutions reviennent continuellement chez Dangeau : « Le roi alla voler l’après-dînée. — Le roi revint l’après-dînée de Marly, et vola en chemin. » Cependant (pour en rester aux choses sérieuses) des hommes considérables d’entre les réformés obtiennent de sortir du royaume. […] Ces mouvements ont obligé le roi à demander au Languedoc quatre mille hommes de milice dont on fera des régiments.  […] Vivez pour la consolation de vos sujets, et pour mettre le comble à votre gloire : ou plutôt, puisque vous êtes l’homme de la droite de Dieu, vivez, sire, pour la gloire et pour les intérêts de Dieu… Vivez pour consommer ce grand dessein de la réunion de l’Église de Dieu… Et comment, en entendant de telles paroles proférées par une telle bouche, en ces heures propices et attendries de la convalescence, le cœur de Louis XIV aurait-il douté, et n’aurait-il pas cru marcher dans la voie droite, dans la voie commandée et nécessaire ? […] Ce mélange de sacrifice à la Cour et de faste encore persistant, de chasses, de jeux de toutes sortes, dont on sait le nom et chaque partie soir et matin, tout ce train habituel et détaillé de Versailles, dont le côté frivole disparaît dans la haute tranquillité du monarque, compose une lecture qui n’est pas du tout désagréable, du moment qu’on y entre, et je me suis surpris à en désirer la suite. — C’est en avoir assez dit, je crois, et c’est rendre assez de justice à l’homme qui ressemble le moins à Tacite, mais qui cependant a son prix.

2622. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Elle s’en irrite : « Ce n’est pas un homme, cela. Quel pauvre homme ! s’écrie-t-elle, quel pauvre homme !  […] Il y a une scène touchante et poignante : c’est celle où Bovary, rentré de ses visites, la nuit, devant le berceau de sa fille, se met à rêver (le pauvre homme qui ne soupçonne rien !) […] Bovary, qui suit de près, est touchante et intéresse à ce pauvre excellent homme.

2623. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Il avait un frère également homme d’église, poëte et auteur dramatique. « Les deux Gresban au bien résonnant style », a dit Marot. […] La Miséricorde l’emporte, et il est décrété que le Créateur donnera son propre fils pour le salut des hommes. […] Paris parle en homme qui a peu lu Théocrite. […] Il connaît Pilate de réputation : « Pilate aime les gens hardis et rusés ; je serai son homme », se dit Judas. […] C’était une grande lanterne magique au naturel, l’amusement des hommes de ce temps-là, c’est-à-dire de grands enfants.

2624. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Nous sommes des hommes, nous sommes des curieux, non pas grossiers, je l’espère, mais chercheurs et aimant à faire le tour des choses. […] Je ne prétends pas dénigrer Louis XV, ni ajouter au mal qu’on a dit de lui ; j’ai lu bien des Portraits de ce roi : je n’en connais point de plus juste que celui qu’a tracé un homme qui l’aimait assez et qui le voyait tous les jours, Le Roy, lieutenant des chasses de Versailles ; on peut s’y fier : c’est un philosophe qui parle et qui, pendant de longues années de service, n’a cessé devoir de près son objet. […] Son caractère moral en résulta et se forma en conséquence : l’observateur philosophe qui avait chevauché pendant tant d’années à ses côtés, en a démêlé et nous en fait suivre à merveille tous les tours, les déguisements et les replis : « Cet homme, toujours subjugué, était toujours tourmenté parla crainte de l’être ; cette disposition influa constamment sur la conduite qu’il eut avec ses ministres. […] Comme jusqu’alors ses intentions avaient été droites, il désespéra de pouvoir jamais faire le bien, parce qu’on est toujours plus disposé à regarder comme impossible en soi ce qu’on n’a pas le courage de faire… C’est à ce point qu’était parvenu par degrés un homme qui, s’il fût né particulier, aurait été jugé, par son intelligence et son caractère, au-dessus du commun et ce qu’on appelle proprement un galant homme. […] La reine ne déplaisait pas au jeune roi : plutôt suffisante que charmante, il n’était pas homme encore à faire des comparaisons.

2625. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Il n’en aurait nul besoin, il ne faudrait ni fable, ni fiction, il suffirait d’un style droit, pur et naturel. » Quoiqu’elle n’ait rien dit de trop ici, il faut pourtant remarquer que homme à qui elle écrivait lui avait témoigné l’ambition d’être l’historien du roi. […] Elle appréciait ces hommes illustres, elle les aimait, elle avait quelque chose de leur talent, beaucoup de la sagesse de leur esprit, un goût aussi pur en littérature, seulement plus délicat en tout ce qui touchait à la décence et peut-être à la morale. […] Elle a jugé comme la postérité, tous les hommes de son siècle. […] Cette porte leur est fermée, et la mienne aussi… C’est le sentiment que j’aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu de Benserade, et qui ne connaît pas les charmes des fables de La Fontaine. Il n’y a qu’à prier Dieu pour un tel homme, et à souhaiter de n’avoir point de commerce avec lui. » On peut s’étonner de voir le beau feu de Benserade placé si près des charmes de La Fontaine.

2626. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Plus tard, ayant joué un rôle d’homme dans un drame de La Chaussée, elle quitta l’habit d’Amour, mais parce qu’on lui fit faire un charmant habit d’homme qu’elle ne quitta plus qu’à son départ de la Bourgogne. […] Elle épouse le comte de Genlis, qui fut depuis le Sillery mort avec les Girondins sur l’échafaud, et qui paraît avoir été un homme d’esprit et aimable. […] Mme de Genlis nous assure que le petit homme voulut être entreprenant, mais qu’elle sut le remettre à sa place : ce sont de ces choses qu’il faut toujours croire des femmes, même quand elles ne le disent pas, à plus forte raison quand elles le disent. […] Voilà pourtant jusqu’où la passion entraînait le critique en titre, l’homme de goût de ce temps-là. […] Il fut bien l’homme et le roi que nous annonçaient sa nature d’alors et cette éducation si particulière pour un prince.

2627. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Si jamais l’âme de l’homme a pu être comparée à un courant d’eau changeant et rapide, c’est assurément de nos jours : les grands poètes de notre âge, en particulier, sont de grands fleuves, et M. de Lamartine est le plus large et le plus beau de tous. […] Parlant de Napoléon avec rigueur, et en ceci, je crois, avec une souveraine injustice, il dira : « Il y avait un arrière-souvenir de la Terreur de 1793 dans le gouvernement de cet homme, qui avait vécu, grandi et pratiqué les hommes de ce temps. » M. de Lamartine a dû méditer cette pensée avant de l’écrire, mais il n’a certainement pas relu sa phrase, car le style en est grammaticalement impossible. […] En paraissant marchander, chicaner avec cette obstination la louange et la sympathie au conquérant redevenu l’héroïque soldat de la patrie, il nous oblige à nous souvenir qu’il était de ceux qui avaient âge d’homme alors, qu’il avait près de vingt-quatre ans en 1814, et qu’il ne fut pas de ces soldats improvisés que le sentiment national souleva, et qu’enfanta la terre natale autour de ce drapeau dont il a depuis préservé les couleurs. […] Quand arrive l’heure de la Restauration, M. de Lamartine pourtant ne peut s’empêcher de redevenir l’homme de 1814, et de saluer l’ère véritable de laquelle il date et où il a reçu, lui et nous tous, le baptême de l’esprit : « Le règne des épées finissait, dit-il, celui des idées allait commencer. » Les hommes politiques encore existants qui ont vu de près ces grandes choses de 1814, l’arrivée des Alliés devant Paris, les négociations d’où sortit le rétablissement des Bourbons, et qui ont assisté ou qui ont été immiscés à quelque degré à ces conseils des souverains, en laisseront sans doute des récits dignes de foi et circonstanciés ; ces hommes trouveront immanquablement à redire en bien des points aux vastes exposés de M. de Lamartine. […] Depuis que j’ai vu M. de Lamartine trouver de la beauté à toutes les femmes et du talent à tous les hommes de sa connaissance et en comparer quelques-uns à Horace ou à Phédon, j’ai besoin avec lui de garanties.

2628. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Quand elle sut de quoi il s’agissait, elle sauva ce pauvre homme, qu’elle fit coucher et panser dans son cabinet jusqu’à ce qu’il fût guéri. […] Un jour de fête où elle devait communier, comme elle était au lever de sa mère, celle-ci la prend à serment de lui dire si véritablement le roi, son mari, s’était conduit jusque-là avec elle en mari, en homme, et s’il n’était pas temps encore de rompre cette union. Ici Marguerite fit l’ingénue, assure-t-elle, et n’eut pas l’air de comprendre : Je la suppliai de croire que je ne me connaissais pas en ce qu’elle me demandait : aussi pouvais-je dire lors à la vérité comme cette Romaine, à qui son mari se courrouçant de ce qu’elle ne l’avait averti qu’il avait l’haleine mauvaise, lui répondit qu’elle croyait que tous les hommes l’eussent semblable, ne s’étant jamais approchée d’autre homme que de lui. On voit que Marguerite donne par là à entendre qu’elle n’avait jusqu’alors fait aucune comparaison d’un homme à un autre homme ; elle joue l’innocente, et, par sa citation de la Romaine, elle fait aussi la savante, ce qui rentre tout à fait dans le tour de son esprit. […] Dans ses dernières années, pendant ses dîners et ses soupers, elle avait ordinairement quatre savants hommes près d’elle, auxquels elle proposait, au commencement du repas, quelque thèse plus ou moins sublime ou subtile, et, quand chacun avait parlé pour ou contre et avait épuisé ses raisons, elle intervenait et les remettait aux prises, provoquant et s’attirant à plaisir leur contradiction même.

2629. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

De là cet appel de l’homme épouvanté des injustices terrestres à la justice céleste. […] Un vieillard, autrefois tout-puissant, git au fond de son palais, gémissant de l’éloignement des hommes qui l’ont déshérité d’une partie de sa puissance et demeurent insensibles à sa voix. […] « Essayons, se dit-il, peut-être croira-t-on de nouveau en moi, si l’on voit encore ma face… Peut-être croira-t-on encore à ma vigueur éternelle… » Et il parle aux hommes qui le pensaient enseveli dans un éternel silence. […] Élevons à nos grands hommes le plus splendide des monuments et la force dont ils ont débordé sur leur temps nous inondera encore de son flot lustral. […] », je dirais plutôt : « L’inconcevable légèreté de l’homme est là. » (NdA)‌ 64.

2630. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Les femmes mentent plus naturellement que les hommes. […] L’homme docte vint m’ouvrir tout ensommeillé. […] Le Diable immobilisait les traits de cet homme ! […] Mais ce sont des hommes politiques. […] Ils attendent le sou de bon cœur de l’homme pieux.

2631. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIX. Réflexions morales sur la maladie du journal » pp. 232-240

Ces hommes dirigeaient et écrivaient. […] On pouvait dire que ces hommes collaboraient. […] Des feuilles ultramontaines, dûment stipendiées, publient ces petits filets : « Sans doute Gros-Pierre, le secrétaire d’État, est un homme suspect, sinon taré, puisqu’il est de la fripouille démocratique : néanmoins faut-il reconnaître que sous son administration d’utiles réformes s’opèrent au ministère de la Ficelle-Rouge. » Vienne à tomber le cabinet dont Gros-Pierre est un des ornements, un favori nouveau en édifie un autre, et composant son personnel, il se dit : « Conservons toujours Gros-Pierre, puisque les ennemis du pouvoir sont contraints d’avouer sa valeur. » Gros-Pierre garde son portefeuille ; il a bien placé son argent. […] Chaque jour ils enverront l’éloge de leur produit : ils y joindront pour les gens d’affaires un bulletin des valeurs et des marchandises, pour les hommes de sport les comptes rendus des hippodromes, pour les oisifs la chronique du monde et du théâtre.

2632. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

N’est-il pas permis à ceux autour desquels s’amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d’une liberté de plus, celle de l’art, celle de l’intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisiblement leur œuvre de conscience, en proie d’un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l’autre, trop souvent, à l’ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelquefois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux, et qui dorment dans le tombeau ? […] Il n’est pas de ces poètes privilégiés qui peuvent mourir ou s’interrompre avant d’avoir fini, sans péril pour leur mémoire ; il n’est pas de ceux qui restent grands, même sans avoir complété leur ouvrage, heureux hommes dont on peut dire ce que Virgile disait de Carthage ébauchée : Pendent opera interupta, minæque Murorum ingentes !

2633. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Je ne sais ce que cet homme devient. […] Il est de Jeaurat.Mais je passais le Songe de Joseph ; c’est que ce Songe de Joseph n’est autre chose qu’un homme qui s’est endormi la tête au-dessous des pieds d’un ange. […] Le Carrache a placé sur le fond une Ste Anne qui s’élance vers sa fille, en poussant les cris les plus aigus, avec un visage où les traces de la longue douleur se confondent avec celles du désespoir ; vous avez mis sur le fond du vôtre un homme qui fait à peu près le même effet. […] Cet homme n’a pas senti l’effet du sang qui eût descendu le long du bras de l’exécuteur, et arrosé le cadavre même.

2634. (1767) Salon de 1767 « Peintures — [autres peintres] » pp. 317-320

Pauvre homme. […] Homme excellent dans toutes les parties de la peinture. […] Comptez bien, mon ami ; et vous trouverez encore une vingtaine d’hommes à talens, je ne dis pas à grands talens ; c’est plus qu’il n’y en a dans tout le reste de l’Europe. […] Dans le vrai, il n’y en a aucun qui n’ait quelque talent, et en comparaison de qui un homme du monde qui peint par amusement ou par goût, un peintre du pont notre-dame, même un académicien de st Luc ne soit un barbouilleur.

2635. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Celles qui ont été préparées d’avance, qui se trouvent d’accord avec les instincts d’un peuple, avec les progrès naturels de la civilisation, finissent toujours par s’identifier dans les esprits, par se manifester dans toutes les formes de la société ; cependant celles-là mêmes ne peuvent parvenir à gouverner les hommes qu’après avoir fait éprouver de grandes douleurs. […] Les hommes mêmes qui veulent établir les unes, lorsqu’elles n’ont pas en elles la raison de leur existence, ou qui veulent propager encore les autres lorsqu’elles ont perdu ce principe de vie qui est dans l’assentiment général, témoignent, par l’expression indécise de leurs discours, qu’ils ne les comprennent point. […] S’il fait autre chose que leur montrer ce qui est déjà en eux, il n’aura réussi qu’à être trouvé étrange, qu’à être considéré comme un homme d’imagination : il faut de la sympathie et des points convenus entre tous ; et l’émotion qui s’arrête sur le bord de la tribune, sans aller au-delà, finit par s’y éteindre. […] Dans une telle révolution, qui atteint jusqu’aux éléments mêmes de la société, il a été bien permis, sans doute, et il n’est peut-être encore que trop permis à un grand nombre d’hommes de désespérer de notre existence sociale ; et ce malaise si naturel, qui continue toujours de se faire sentir, pourra bien ne se prolonger que trop longtemps.

2636. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VI »

Et moi, adhérent de la « Patrie Française », si je suis assez magnanime pour reconnaître à mes compatriotes le droit de se grouper dans l’intention d’afficher et de propager des idées qui m’offensent, je trouve tout de même qu’on exigerait beaucoup de mon libéralisme, en me demandant, à cette minute, de m’allier avec la Société des Droits de l’Homme contre une législation d’ailleurs blâmable.‌ Et puis, on l’a blâmé tant de fois, notre régime discrétionnaire, notre arbitraire administratif, nous avons entendu une si riche collection d’hommes de tous les partis venir tour à tour dénoncer le Code pénal de 1810, aggravé par la loi de 1834 et par la jurisprudence, que je ne vois pas qu’il y ait un mot à ajouter. […] Bien que nous soyons parfaitement convaincus que les parlementaires ne nous donneront jamais une liberté en faveur de laquelle ils ont écrit tant de diatribes antigouvernementales, mais qui, naturellement, les gênerait pour gouverner, bien que l’homme pratique en conséquence aime autant faire des ronds dans la Seine que faire des interjections sur cet éternel plat du jour de la conférence Molé, il demeure intéressant de calculer le mal que cette incapacité de s’associer produit dans notre pays. […] ∾ « Commune, Département, Église, École, ce sont-là, dans une nation, à côté de l’État, les principales sociétés qui peuvent grouper des hommes autour d’un intérêt commun et les conduire vers un but marqué : d’après ces quatre exemples, on voit déjà de quelle façon, à la fin du xviiie  siècle et à la fin du xixe , nos politiques et nos législateurs ont compris l’association humaine.

2637. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Méry, Joseph (1797-1866) »

. — Le Fils de l’homme, avec Barthélemy (1829). — Waterloo, avec Barthélemy (1829). — Œuvres poétiques de Barthélemy et Méry, 4 vol. (1831). — Les Douze Journées de la Révolution, avec Barthélémy (1833-1835). — Héva ; la Floride ; la Guerre de Nizam (1843-1847). — Le Chariot de terre cuite, du roi Soudraka, adaptation avec G. de Nerval (1850). — Les Uns et les Autres, souvenirs contemporains (1864). […] Chez tous deux, l’art des vers est un don gratuit et naturel ; pour tous deux, « diversité, c’est la devise » ; ils courtisent, en passant, Melpomène ; ils décorent leurs impressions de voyage des ornements de la métrique et du bel esprit ; ils brassent et rebrassent en mille façons leurs imaginations amoureuses, et, dans leurs livres galants, comme dans les rues d’Abdère affolée, résonnent les litanies voluptueuses de « Cupidon, prince des hommes et des dieux » ; diseurs raffinés, railleurs aisés, complimenteurs faciles, tous deux fuient la solitude, s’égaient à répandre leurs qualités aimables, et s’évertuent à propager, devant les assemblées brillantes, le mérite et la renommée de leurs contemporains et de leurs prédécesseurs. […] La part qu’il avait prise au beau poème de Napoléon en Égypte, et à celui du Fils de l’homme, lui avaient acquis toutes les sympathies des Bonaparte de Florence et de Rome.

2638. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pichat, Laurent = Laurent-Pichat, Léon (1823-1886) »

Il aime l’art et la liberté ; les causes désespérées l’attirent… Le livre est le reflet de l’homme ; on trouve dans ses vers les mêmes qualités d’élévation et de générosité ; la pensée n’y est jamais étroite ou banale ; les strophes s’élancent fièrement vers l’idéal et peignent bien cette vaillante nature de poète polémiste et de penseur. […] [Les Œuvres et les Hommes (1889).] […] [Les Hommes d’aujourd’hui.]

2639. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 115-117

Curieux au dernier point de voir cet homme illustre, les Commis, fort embarrassés, & ne pouvant résoudre la difficulté, lui disent nettement qu’ils n’en savent rien. […] c’est affreux, s’écrie-t-il plus en colere que jamais, il ne sera pas dit que vous me célerez plus long-temps la demeure de ce grand homme. […] C’est un homme connu par-tout l’Univers. » M.

2640. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 301-304

Qu’on imprime des inepties, à la bonne heure ; le Sage en rit, & prend quelquefois la peine de les réfuter : mais qu’on imprime des atrocités contre Dieu & les Hommes ; le Sage en gémit, & regarderoit alors la Tolérance comme une foiblesse & une trahison. […] De mauvaises Pieces de Théatre, quand nous manquons d’Hommes de génie, seuls capables d’en donner de bonnes. […] Ce sont des Ecrits impies, par-là même séditieux & destructeurs de toute Société ; parce que, si on les toléroit, ce seroit une injustice envers le Curieux qui les lit, le Sot qui les adopte, le Libertin qui les préconise, l’Homme de bien qui ne peut en apprendre l’existence qu’avec indignation.

2641. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 392-394

La vie du grand Condé, & celle du Maréchal de Choiseul, publiées pour faire suite aux Vies des Hommes illustres de France, sont écrites de maniere à faire regretter qu’il n’ait pas continué de suivre cette carriere, dans laquelle il est véritablement supérieur. […] En un mot, les actions des plus Grands Hommes acquierent, sous sa plume, un nouveau degré d’intérêt & d’admiration. […] « Forcé par la fortune à être avare de mon temps, je suis souvent réduit à le consacrer à ces hommes qui, nés avec plus de fortune que de talent, aspirent à la gloire littéraire, quoique la Nature leur ait refusé les moyens d’en acquérir.

2642. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Il lui est arrivé en histoire ce qui lui arrive toujours en poésie : c’est qu’en déclamant contre la religion, ses plus belles pages sont des pages chrétiennes, témoin ce portrait de saint Louis : « Louis IX, dit-il, paraissait un prince destiné à réformer l’Europe, si elle avait pu l’être, à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. […] Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est pas donné à l’homme de pousser plus loin la vertu… Attaqué de la peste devant Tunis… il se fit étendre sur la cendre, et expira à l’âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d’un religieux et le courage d’un grand homme. » Dans ce portrait, d’ailleurs si élégamment écrit, Voltaire, en parlant d’anachorète, a-t-il cherché à rabaisser son héros ?

2643. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Sur les exercices, des. Cadets russes. » pp. 549-546

«  Voici les réflexions qu’a faites à ce sujet un homme de bien, justement célèbre, que la reconnaissance a amené de huit cents lieues au 60e degré à l’âge de soixante ans, au pied du trône de sa bienfaitrice » : « Jugez, disait-il, combien cela doit plaire à un homme dont la première éducation a été aussi dissipée, aussi violente et peut-être plus périlleuse, et qui a le front cicatrisé de plusieurs coups de fronde reçus de la main de ses camarades. […] Sans cesse mêlés, conduits, éduqués par des instituteurs de différentes nations, ils apprendront, sans s’en apercevoir, à distinguer les hommes, non par leur croyance, mais par leurs vertus ; et comme dans les courtes instructions que le pope grec et le pasteur luthérien leur donnent, il n’est question ni de diable ni d’enfer, vos enfants n’auront pas le torticolis des nôtres. » FIN DU TOME TROISIÈME.

2644. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Soit un corps ou un esprit, cette pierre ou cet homme ; il y a un caractère qui relie ses divers moments successifs, un caractère commun qui dans tous se retrouve le même. […] Les uns le sont davantage, les autres moins ; chacun d’eux est d’autant plus général qu’il est moins complexe et d’autant moins complexe qu’il est plus général. — En effet, considérons d’abord le groupe de caractères qui persiste dans un être particulier, dans tel homme, à travers les moments successifs de sa vie. […] Mais il y a ceci de particulier dans l’homme, que le son associé chez lui à la perception de tel individu est ensuite évoqué, non pas seulement par la vue d’individus absolument semblables, mais encore par la présence d’individus notablement différents, quoique compris à certains égards dans la même classe. […] Voilà donc une série abstraite composée d’unités abstraites. — Pour l’observer plus commodément, les hommes lui ont substitué une série sensible d’objets très maniables, tantôt de petits cailloux, tantôt les dix doigts des deux mains84. […] Il y a en ce moment un certain nombre d’hommes, d’animaux, de plantes qui vivent sur la terre.

2645. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

On n’appelle « Dieu » l’homme qu’on aime que parce qu’on sait bien qu’il ne l’est pas… Vérifiez. […] Nous avons fait des réflexions sur les fautes et sur les erreurs à quoi sont sujets les hommes. […] C’est une courtisane très impérieuse, très hautaine, et qui n’a que du mépris pour les hommes, pour tous les jeunes gens. […] Elle est durement rudoyée par le galant homme qui veut lui donner une leçon. […] Aujourd’hui je n’ai plus le temps ; Le bien perdu rend l’homme avare ; J’y veux voir moins loin, mais plus clair.

2646. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

D… est un homme du monde qui s’est fait homme de lettres amateur, et se livre particulièrement au pastiche. […] Les hommes succèdent aux femmes et ne le leur cèdent en rien. […] Tu sais que ces soldats sont les plus beaux hommes de l’Angleterre. […] Lumley un de ces succès— qui coulent un homme, — mais pas en bronze. […] Jules Sandeau, un romancier, un homme qui écrit en prose.

2647. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Alors que, depuis le xviie  siècle, le monde était comme le milieu naturel de l’espèce des écrivains, alors que les ouvrages devaient, pour réussir et vivre, lui être et destinés et adaptés, il arrivera rarement désormais que les écrivains les plus illustres, les plus à la mode même, soient des hommes du monde, et y prennent l’esprit, la couleur de leur œuvre. […] Je crois, en effet, qu’un des caractères généraux de la littérature qui s’est développée en ce siècle, orientée tantôt vers la science et tantôt vers l’art, c’est d’être une littérature d’hommes, faite surtout par et pour des hommes. […] Il tire constamment l’âme et l’esprit au dehors ; il ne laisse pas l’homme rentrer en lui-même, élaborer une lente et solide pensée. […] La pire erreur, en un sens, que puisse commettre un homme de lettres, c’est de prendre un métier qui le condamne à l’« écriture ».

2648. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Le projet de ces hommes systêmatiques étoit de rendre notre langue plus belle, plus facile à lire &, surtout, à apprendre. […] Pour être rempli d’une manière satisfaisante, il ne falloit rien moins qu’un homme qui eût toujours vécu dans les meilleures compagnies, qui possédât parfaitement sa langue, qui la parlât sans laisser entrevoir le moindre défaut d’organe, de pays, d’ignorance & de mauvaise éducation. […] Le judicieux Du Marsais, un des hommes qui a le mieux entendu le génie des langues, & qui a porté plus loin l’esprit de discussion & d’analyse dans toutes les parties grammaticales, a fait voir qu’en matière d’orthographe, si l’usage étoit un maître dont il convint en général de respecter les loix, c’étoit le plus souvent aussi un tyran dont il falloit sçavoir à propos secouer le joug. […] Un homme en place fut obligé, pour pouvoir le lire, de le faire copier suivant l’usage accoutumé. […] Il est encore moins permis à un homme du monde de l’ignorer : une belle prononciation annonce une personne bien élevée ; elle prévient en faveur d’une femme, autant & même plus que la figure & les habillemens.

2649. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Pajou » pp. 325-330

Cependant Pajou en sait trop dans son art pour ignorer que la sculpture veut être plus grande, plus piquante, plus originale, et en même temps plus simple dans le choix de ses caractères et de son expression que la peinture, et qu’en sculpture point de milieu, sublime ou plat ; ou comme disait au sallon un homme du peuple : tout ce qui n’est pas de la sculpture est de la sculpterie. […] Où sont ces hommes qui ont pris le parti de se laisser mourir ? […] Il n’y avait pas là un seul homme qui songeât à la perte que fesait la patrie, et qui parût tourner ses yeux, ses bras, ses regrets vers elle ? […] Un homme qui sent ne passe pas là-devant sans être tiré par la manche. […] L’homme qui se repose se soulage d’un malaise, on le voit sur son visage, dans l’affaissement, l’abandon de ses membres, et ces caractères manquent à ce berger.

2650. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Il faut autant d’industrie pour y réussir qu’il en falloit à Lacedemone, pour faire un larcin en galant homme. […] Un homme sans génie n’est point capable de convertir en sa propre substance, comme le fit Raphaël, ce qu’on y remarque de grand et de singulier. […] L’homme de génie devine comment l’ouvrier a fait. […] Le génie est dans les hommes, ce qui vieillit le dernier. […] Faites parler de guerre cet officier décrépit, il s’échauffe comme par inspiration ; on diroit qu’il se soit assis sur le trépied : il s’énonce comme un homme de quarante ans, et il trouve les choses et les expressions avec la facilité que donne, pour penser et pour parler, un sang petillant d’esprits.

2651. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot : cet homme si distingué n’avait point acquis, même avec les années, ce je ne sais quoi de ferme, de puissant dans la parole, de digne et de majestueux dans l’aspect, qui commande et qui impose, qui confirme au dehors l’autorité de la science, et la personnifie aux yeux de tous dans un de ses grands représentants, — ce qui faisait qu’on écoutait avec tant de respect et de silence un Cuvier, un Arago (malgré ses fautes de goût), et qu’on écoute aujourd’hui avec tant d’intérêt un Dumas. […] Mais quand l’homme n’est pas ambitieux d’un côté, il l’est d’un autre. […] Biot était tout à fait contraire et même hostile à ces sortes de publications familières, épistolaires, qui nous révèlent les mœurs, la physionomie et aussi les incertitudes ou les faiblesses des grands hommes. […] Biot s’opposait à ce qu’on pût acquérir une connaissance plus exacte et plus entière de ces grands hommes de la science. […] Sa conversation était très personnelle, mais on accorde cela a la conversation des vieillards et des hommes célèbres.

2652. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Gaullieur, nous montrera comment un étranger, homme d’esprit, jugeait Racine, après en avoir causé sans doute avec quelque courtisan railleur et caustique. […] Pour un homme venu de rien, il a pris aisément les manières de la Cour. […] Germain Vuillart était un homme lettré, des plus lettrés, et un saint homme. […] Quand on a lu cette correspondance et qu’on a vu de quoi s’entretenaient en secret ces hommes respectables ; quand on sait de plus que, peu d’années après, M.  […] Mais la réflexion que vous faites, monsieur, sur cette belle circonstance de l’histoire de ces anciens enfants des Saints, convient tout à fait à la haute idée qu’une religion aussi éclairée que la vôtre donne de l’image de Dieu qui est dans l’homme, et de l’alliance que Jésus-Christ a élevée à ia dignité de sacrement… » Et il prenait de là occasion pour citer, à son tour, plus d’une parole de l’Écriture se rapportant à l’union mystique du Verbe avec la nature humaine et du Sauveur avec son Église, toutes choses divines dont le mariage humain, en tant que sacrement, n’est que l’ombre et la figure.

2653. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Delacroix, qui dans ses études sur le mysticisme a déjà annexé à l’étude de l’homme un domaine jusqu’ici trop abondonné, entamera, comme le prouve son livre d’aujourd’hui, son sujet avec un esprit plus ouvert et plus souple. Il aura d’ailleurs de la peine à définir ce sujet sous forme d’une « histoire » suivie : si la psychologie est la connaissance de l’homme individuel en tant qu’il sent, pense et agit, nous voyons que cette connaissance, extériorisée en livres, résulte de quatre lignées qui, au XIXe siècle, tantôt se coupent et tantôt divergent : les philosophes, les médecins, les moralistes et les romanciers ; et il va falloir sans doute (pensons à Tarde et à un livre comme les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures de M.  […] S’il faut entendre, comme cela paraît raisonnable, par histoire de la psychologie, l’histoire de la suite qui a contribué à notre connaissance de l’homme intérieur, peu de noms y compteront plus éminemment que Stendhal. […] Ces trois registres ont suffi sans doute à en faire un homme après tout pas malheureux. […] L’ignorance de la cristallisation amoureuse amènerait pareillement un homme grossier à trouver ridicule qu’un amoureux se donne tant de peine pour obtenir d’une certaine femme un plaisir que cent femmes entre lesquelles il peut choisir lui procureraient à l’instant.

2654. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 76-79

Corneille avoit élevé le cœur de l’homme, Racine l’avoit attendri, Crébillon y a répandu cette terreur, un des plus grands & peut-être le premier ressort de l’art de Melpomene. […] N’y a-t-il pas de l’injustice à chercher à obscurcir la gloire des Hommes de génie, en relevant avec affectation & avec amertume, de légeres imperfections, presque inévitables dans le genre tragique, celui de tous qui offre le plus à une critique même raisonnable ? Si l’Auteur de Zaïre eût eu, à l’égard de ce Poëte, la même indulgence qu’il est dans le cas de réclamer pour ses Pieces, quelque bonnes qu’elles soient, il se seroit épargné le blâme d’une censure injuste, à l’égard d’un homme qu’il avoit si fort loué de son vivant.

2655. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 459-462

Ce n’est pas pour avoir appris les Mathématiques sans Maître, qu’on doit le regarder comme un homme extraordinaire : le P. […] On tâchoit, dans ces Lettres, de prouver qu’ils avoient un dessein formé de corrompre les hommes, dessein qu’aucune Société n’a jamais eu & ne peut avoir ». […] La Philosophie ne cessera-t-elle jamais de travailler à sa honte, en s’obstinant, par une pitoyable maladresse, à décrier tant d’hommes supérieurs qui ont écrit en faveur de la Religion ?

2656. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 548-551

Nous conviendrons cependant qu’ils ne sont pas sans mérite ; ils annoncent une étude réfléchie de l’Ecriture & des Peres, la connoissance des hommes & des mœurs nationales, sur-tout le talent de s’exprimer avec autant de correction que de noblesse & de facilité ; nous ajouterons qu’ils ne sont pas défigurés par ces raisonnemens subtils ou entortillés, ces idées bizarres ou communes, ces tours pénibles, ces expressions recherchées, qui caractérisent la plupart des Prédicateurs modernes : mais il faut avouer aussi que ce n’est point assez pour soutenir la réputation glorieuse qu’ils lui avoient acquise dans la Chaire. […] Dans ses autres Discours, il parle rarement au cœur ; jamais ou presque jamais de ces expressions vigoureuses, de ces images frappantes, de ces traits hardis qui supposent une ame fortement pénétrée de son sujet, & capable de maîtriser les autres ames Il a paru trop oublier que les hommes déferent moins à la raison qu’à leurs passions ; que ce n’est qu’en agitant leur cœur, qu’on parvient à les dominer ; que l’homme éloquent n’est pas celui qui raisonne avec justesse, mais celui qui rend avec énergie ce qu’il sent avec vivacité ; celui qui nous échauffe par la chaleur du sentiment & de l’imagination, non celui qui nous instruit & nous éclaire par la lumiere & la vérité de ses raisonnemens.

2657. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Aussi, je ne saurais être de l’avis que j’ai vu quelque part exprimé par un savant, homme de grand détail (M.  […] S’il m’était licite, je les vous dépeindrais, comme je les vois décrire aux hommes de bon esprit. […] Si tous les hommes étaient de cette sorte, y aurait-il pas peu de plaisir de vivre avec eux ?  […] Henri Helbig, un curieux et un bibliophile, homme de goût (un vol.  […] Achille Genty, l’un des hommes qui connaissent le mieux cette poésie de l’époque de Ronsard, et qui même en a fait des pastiches fort agréables.

2658. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

« il était voltairien en diable, de même que monsieur son père, l’homme établi, le sergent, rélecteur, le propriétaire ; il avait lu en cachette au collège la Pucelle et la Guerre des Dieux, les Ruines de Volney et autres livres semblables : et c’est pourquoi il était esprit fort comme M. de Jouy et prêtrophobe comme M.  […] lui répond Ferdinand, ils ont travaillé pour leur temps ; s’ils revenaient au monde aujourd’hui, ils feraient probablement l’inverse de ce qu’ils ont fait ; ils sont morts et enterrés comme Malbrouk et bien d’autres qui les valent, et dont il n’est plus question ; qu’ils dorment comme ils nous font dormir ; ce sont des grands hommes, je ne m’y oppose pas. […] Une jeune fille noble, de vingt ans environ, d’un esprit hardi, d’un caractère entreprenant, poussée aussi par le vague instinct d’une nature moins uniquement féminine chez elle qu’elle ne l’est d’ordinaire chez ses semblables, s’est souvent dit que les jeunes filles, les femmes du monde ne connaissaient pas les hommes et ne les voyaient qu’à l’état d’acteurs et de comédiens ; elle a désiré savoir ce qu’ils se disent quand ils sont entre eux et qu’ils ont jeté le masque. […] Il a soif de posséder et de s’assimiler ce qu’il n’est donné à nul homme de ravir et ce qu’il est permis tout au plus de concevoir et de contempler. […] Chez Musset, le mondain et plus que mondain, le débauché homme d’esprit, à la mode de 1832, a servi singulièrement le poète.

2659. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Il a compris l’enseignement manifeste de la Providence, l’aveuglement incorrigible des vieilles races, et il s’est dit qu’à l’ère expirante des dynasties succédait l’ère définitive des peuples et des grands hommes. […] L’incertitude planant sur les premières années d’un grand homme semblera peut-être à certaines gens plus poétique : pour moi, je ne vois pas ce que perdraient Corneille et Molière à ce que leurs commencements fussent mieux connus. […] Un ancien prêtre marié, bon homme, M. de La Rivière, lui avait débrouillé, à lui et à ses frères, les premiers éléments, et la méthode libre du maître s’était laissée aller à l’esprit rapide des élèves. […] Ce digne et naïf littérateur, lorsqu’il entendait plus tard retentir les succès bruyants, parfois contestés, de celui qui était devenu un homme, ne pouvait s’empêcher de dire avec componction : « Quel dommage ! […] qu’il y ait eu des regrets de notre part, hommes de poésie discrète et d’intimité, à voir le plus entouré de nos amis nous échapper dans le bruit et la poussière des théâtres, on le concevra sans peine : notre poésie aime le choix, et toute amitié est jalouse.

2660. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

et si quelque chose de véritablement essentiel ou de piquant, d’original en un mot, est en jeu ; c’est à ce fond qu’il faut venir pour classer les œuvres et surtout les hommes. En érudition, l’œuvre vaut souvent mieux que l’homme. […] C’est une flatterie à l’homme de croire que du moins tous les résultats positifs restent, et que dans la science on n’oublie pas. […] L’incomplet est le propre de l’homme ; il laisse tout monument voisin de la ruine. […] Que ce débris vienne du temps ou de l’homme même, c’est bientôt de loin la seule marque qui reste de lui.

2661. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Les passions ne troublèrent pas sa vie : il était homme de famille, et vécut dans une étroite intimité avec son frère Thomas, de vingt ans plus jeune que lui. […] Étant homme, et poète, il aimait ce qui venait de lui, et préférait ce qu’il voyait mal reçu du public. […] Et c’est pourquoi il a si bien réussi ses personnages de magistrats et d’hommes d’État, ses théoriciens du gouvernement, de la conquête et de la sédition. […] Tous les personnages de Corneille, du moins ceux du premier plan, les héros sont construits sur cette donnée, les femmes comme les hommes, les scélérats comme les généreux. […] De là cette si vraie et originale composition d’Horace et de Camille : le frère et la sœur, natures pareilles, également brutales, féroces et fanatiques, mais appliquant différemment leurs amours identiques d’essence ; l’homme idolâtre de sa patrie, la femme idolâtre d’un homme ; et de cette différence, profondement vraie, va sortir le choc des deux âmes, dont le meurtre de Camille sera la résultante nécessaire.

2662. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Mille expériences désastreuses prouveraient à l’homme qu’en faisant le bien il obéit à une duperie, que l’homme n’en persévérerait pas moins dans cette voie ingrate, improductive, folie selon le bon sens vulgaire, sagesse selon l’esprit supérieur. […] Selon ces beaux récits, qui ont charmé des siècles, l’homme ne trouve sur la terre que l’épreuve ; cela est tout simple, il aura un jour la vie éternelle ; mais l’animal, qui n’a point de place dans l’éternité, est toujours récompensé ici-bas de ce qu’il fait pour le bien ; car enfin il faut que Dieu soit juste. […] Les vertus éclatantes qui donnent la gloire, les épreuves de l’homme de génie, tout ce qui attire les applaudissements de la foule, les grands désespoirs aristocratiques comme les efforts sublimes dont parle l’histoire, ne sont point de votre programme. […] Vous réservez vos prix pour la femme dévouée, pour l’homme du peuple courageux, qui, sans se douter de l’existence de vos fondations, ont suivi l’inspiration spontanée de leur cœur. […] que l’homme est bon.

2663. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Il arrive qu’un sentiment violent, agitant toute l’âme, ébranlant à la fois tous les ressorts de l’intelligence et du cœur, arrache à un homme un cri sublime, qui fait l’admiration des âges et justifie le célèbre dicton. […] Au reste la critique de notre siècle a fait une rude guerre il toutes ces belles paroles ; elle nous a appris qu’il fallait les imputer plus souvent à l’homme d’esprit qui racontait, qu’à homme de cœur qui avait senti. […] La colère étrangle l’homme, et l’enthousiasme le suffoque.

2664. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

On essaye de s’imaginer les préoccupations habituelles, l’état d’esprit, les impressions, les angoisses et les plaisirs de cet homme qui taille cette chair, qui répare ces organes, qui refait de la vie d’une manière plus visible, plus immédiate et plus sûre que le médecin, et qui a l’orgueil de créer presque après le Créateur. On songe qu’il doit éprouver, dans sa besogne libératrice, une sorte d’exaltation austère ; qu’il doit, à sa façon, « aimer le sang »… On se dit que le plus grand bienfait qu’un homme puisse attendre d’un autre homme, c’est le chirurgien qui le dispense. […] * * * Puisque j’ai dû au docteur Eugène Doyen quelques-unes de mes émotions les plus rares — émotions artistiques, car le bon sorcier était beau à voir ; il respirait la force et la joie dans sa fonction salutaire et sanglante, et je sentais le « drame » conduit par une main délicate et forte, et cette main elle-même dirigée par une intelligence audacieuse et inventive ; — puisque, d’autre part, ce poète du scalpel m’apparaît comme un des hommes les plus évidemment prédestinés à diminuer parmi nous la somme du mal physique, pourquoi ne vous le dirais-je pas ?

2665. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1826 »

Un homme ordinaire pourra toujours faire un ouvrage régulier ; il n’y a que les grands esprits qui sachent ordonner une composition. […] Quand vous viendriez à bout de calquer exactement un homme de génie, il vous manquera toujours son originalité, c’est-à-dire son génie. […] De tous les livres qui circulent entre les mains des hommes, deux seuls doivent être étudiés par lui, Homère et la Bible. […] On y retrouve en quelque sorte la création tout entière considérée sous son double aspect, dans Homère par le génie de l’homme, dans la Bible par l’esprit de Dieu.

2666. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort ; et c’est pourtant sur ce fond stérile que Bossuet a bâti un des plus beaux monuments de l’éloquence ; c’est de là qu’il est parti pour montrer la misère de l’homme par son côté périssable, et sa grandeur par son côté immortel. […] » Viennent des réflexions sur l’illusion des amitiés de la terre, qui « s’en vont avec les années et les intérêts », et sur l’obscurité du cœur de l’homme, « qui ne sait jamais ce qu’il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu’il veut, et qui n’est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu’aux autres197. » Mais la trompette sonne, et Gustave paraît : « Il paraît à la Pologne surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. […] Ni les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur198. » Je passe, et mon oreille retentit de la voix d’un prophète. […] » Le poète (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poète continue de se faire entendre ; il ne touche plus la corde inspirée ; mais, baissant sa lyre d’un ton jusqu’à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle, que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde ; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans ; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours ; où les joies de la terre étaient inconnues ; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas ; sous la conduite de la sainte Abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux200. » Cette page, qu’on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet ; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse.

2667. (1911) Nos directions

Issue des hommes, aux hommes va s’offrir leur œuvre. […] M. de Faramond prétendit évoquer des « hommes ». […] Et il peignit non des hommes, mais des « groupes d’hommes », famille, ferme, village, ville. […] Molière entreprend d’améliorer l’homme social. […] Un homme, rien qu’un homme, qui se dépasse chaque jour : élégiaque, architecte d’intrigues et psychologue, créateur d’autres hommes… et qui se lasse de créer… Qu’il est donc près de nous !

2668. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

» ; les chœurs, alternants, d’hommes et de femmes, souhaitent aux deux amants « des délices éternelles à Walhall !  […] Ainsi la première littérature fut le récit : un homme narrait quelque histoire. Bientôt les âmes voulurent n’être plus séparées de l’histoire par ce narrateur : l’histoire fut présentée devant eux, agie par des hommes vivants, sur un théâtre. […] L’honnête bourgeois Criton, homme solennel et discret m’est plus familier que le négociant parisien où j’achète mes plumes. […] Le chœur d’hommes est très beau.

2669. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

de l’élément même qui la fit la première fois, du cœur et du sang de l’homme, des libres mouvements de l’âme qui ont remué ces pierres, et sous ces masses où l’autorité pèse impérieusement sur nous, je montrai quelque chose de plus ancien, de plus vivant, qui nia l’autorité même, je veux dire la liberté… » J'ai suivi la même marche, porté la même préoccupation des causes morales, du libre génie humain dans la littérature, dans le droit, dans toutes les formes de l’activité. Plus je creusais par l’étude, par l’érudition, par les chroniques et les chartes, plus je voyais au fond des choses, pour premier principe organisateur, le sentiment et l’idée, le cœur de l’homme, mon cœur ! […] En Espagne, dans le grand combat livré par Narvaës à Seoane, il y a eu deux hommes tués en tout, et vingt-six blessés.

2670. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Faramond, Maurice de (1862-1923) »

En principe, antérieurement à toute préoccupation artistique, M. de Faramond prétendit évoquer des « hommes ». […] Et il peignit non des hommes, mais des « groupes d’hommes », famille, ferme, village, ville.

2671. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 489-492

Diderot, on le regarderoit comme un Grand Homme, & on ne balanceroit pas de le placer parmi les cinq Auteurs du Siecle dernier, les seuls jugés par lui capables de fournir quelques articles* à l’Encyclopédie. […] Il est vrai qu’il a fait quelques Contes dont les enfans s’amusent, & qu’on peut lire encore dans un âge avancé, pour affoiblir un moment d’ennui ; mais un homme qui fait tomber un aune de boudin par la cheminée, qui occupe le grand Jupiter à attacher ce boudin au nez d’une Héroïne, n’a pas prétendu travailler pour les Gens de goût, encore moins se destiner par-là à figurer parmi les Coopérateurs du grand chef-d’œuvre de l’esprit humain. […] « Si l’on en excepte Perrault, dont le Versificateur Boileau n’étoit pas en état d’apprécier le mérite, & quelques autres, tels que la Motte, Terrasson, Boindin, Fontenelle, sous lesquels la raison & l’esprit philosophique ont fait de si grands progrès, il n’y avoit peut-être pas un homme [dans le Siecle dernier] qui eût écrit une page de l’Encyclopédie qu’on daignât lire aujourd’hui ».

2672. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 58-61

L'Auteur dit dans un endroit, que la principale cause de la chute de l'Empire Romain fut l'extinction du Paganisme ; « ces vastes contrées se trouverent couvertes d'hommes qui n'étoient plus liés entre eux ni à l'Etat par les nœuds sacrés de la Religion & du serment. […] Et, dans un autre endroit, il prétend prouver, par l'exemple des Quakers, que les hommes seroient plus heureux sans Prêtres & sans Maîtres. « La Pensilvanie, ajoute-t-il, dément l'imposture & la flatterie, qui disent impudemment, dans les Cours & dans les Temples, que l'homme a besoin des Dieux & des Rois.

2673. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 66-69

Regnard, [Jean-François] né à Paris en 1647, mort en 1709 ; le meilleur de nos Poëtes Comiques, après Moliere, en ce qu'il a le plus approché du génie de ce Grand Homme. […] S'il avoit eu soin d'unir la morale à la force comique ; de suivre les regles indispensables de la Comédie, destinée par son institution à instruire & à corriger ; de donner aux travers qu'il expose, les couleurs qui en font sentir & détester la difformité ; de punir sur la Scene les Personnages vicieux qu'il y introduit ; en un mot, de travailler à rendre les hommes meilleurs, autant qu'il s'appliquoit à les amuser : il est certain qu'il auroit droit de prétendre à une gloire plus brillante & plus solide que celle dont il est en possession. […] Ce n'est point par des déclamations insipides ; par un étalage de morale empoulée, gigantesque ; par des tableaux d'un coloris aussi forcé que rebutant ; par des sentimens alambiqués ; par une Métaphysique quintessenciée & confuse ; par des maximes parasites, jetées au hasard & avec affectation, que nos prétendus Comiques pourront se flatter d'égaler les Grands Hommes, en prenant une route opposée à celle qui les a conduits au succès.

2674. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 162-165

Il est vrai qu'une Histoire dans le goût des nouvelles Annales de Toulouse n'eût certainement pas obtenu à son Auteur, de la part des Archontes, des Lettres de Citoyen, & le titre d'Homme de génie. […] « Quant à cette Athalie , dit-il, vantée comme le chef-d'œuvre du Théatre ; quel sujet affreux, épouvantable, fait pour révolter les hommes de tous les Siecles, depuis la houlette jusqu'au sceptre ! […] Nous ne prétendons point diminuer, par ces Réflexions, l'estime due au grand nombre d'Hommes de Lettres que la ville de Toulouse compte, aujourd'hui parmi ses Citoyens.

2675. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Une dame, moins timorée que le reste, s’arrêtant devant l’Homme à la houx, formula hautement son impression. […] Songez donc un peu, l’homme du Deux-Décembre occupait le trône ainsi que la chaste Eugénie ! […] du pantin métaphysique, lui dit-il, il faut lui substituer l’homme physiologique, l’homme tel qu’il est, déterminé par ses milieux et agissant sous le jeu des organes. […] Il y a valeur égale entre un acte grossier et un acte héroïque, entre une brute et un homme de génie. […] Ensuite, cet homme ne peut pas perdre, même après six mois de repos, ses longues habitudes d’ordre et d’activité.

2676. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Grand homme, qui pourrait dormir Au bruit dont tu remplis la terre ? […] Lebrun, est certainement ce qu’on a écrit en vers de plus développé et à la fois de plus soutenu sur le grand homme avant que M. […] Si les hommes pouvaient s’entendre ! […] Lebrun s’était adressé à l’illustre écrivain comme au patron naturel de tous les hommes de lettres honorables. […] La princesse, en entrant, aperçoit quelque homme de lettres de sa cour et lui dit : Ah !

2677. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Ces deux enthousiasmes se confondaient dans ces réunions presque académiques, où l’esprit était la première dignité des hommes et des femmes. […] Les hommes les plus opposés à la politique de son journal recherchaient le charme de son salon. […] Les salons mornes, où tout le siècle avait passé sous le charme de son entretien et surtout de sa bonté, les cours, le jardin, l’avenue même des Champs-Élysées, n’étaient pas assez vastes pour contenir l’immense concours d’hommes de cœur et d’hommes de nom qui se rencontraient, sans s’être concertés, au pied de ce cercueil. […] Elle n’avait offensé qu’un seul homme dans sa vie, et c’était pour défendre son mari. […] Son nom se confondait avec le nom d’un homme d’idées éminent, souvent bienveillant pour moi, quelquefois hostile à mes amis.

2678. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Que l’homme volontairement déchu est la proie du mal, et que toutes les sources de son être ont été corrompues, le corps par la sensualité, l’âme par la curiosité indiscrète et l’orgueil. […] Tertullien et Bossuet ont suivi au-delà du cadavre les traces du néant de l’homme. […] … Quand un homme et une poésie en sont descendus jusque-là — quand ils ont dévalé si bas, dans la conscience de l’incurable malheur qui est au fond de toutes les voluptés de l’existence, poésie et homme ne peuvent plus que remonter. […] Nous avons inventé un mode de publication qui s’adresse à tous indistinctement, à l’homme du monde comme à l’artiste, aux jeunes filles comme aux érudits. […] À force d’avoir toujours en vue les jeunes demoiselles, on finit par manquer de respect aux hommes et à soi-même.

2679. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

À Pâques de l’année 1248, Joinville, âgé d’environ vingt-quatre ans, mande à son château ses vassaux et ses hommes. […] Joinville a traduit là, dans son moral de croyant, le « illi robur et aes triplex » du poète : le néant de l’homme à la merci des élémentsm. […] Ce n’est pas moi qui suis roi de France ni qui suis la sainte Église ; je ne suis qu’un seul homme dont la vie passera comme celle d’un autre homme quand il plaira à Dieu. […] Natalis de Wailly eut l’heureuse idée, en 1865, de donner l’Histoire de saint Louis de Joinville dans un texte rapproché du français moderne et mis à la portée de tous : et il fit cette sorte de traduction avec une précision scrupuleuse, en homme qui ne se contente pas d’à-peu-près et qui sait à fond la vieille langue. […] Mais tout aussitôt, dans la personne de son page et de son serviteur, il a su ramener, par contraste avec son insensibilité, les sentiments naturels et nous faire voir qu’il n’est pourtant pas tout à fait étranger aux larmes ; il nous montre l’enfant et l’homme pleurant comme de simples mortels, l’un son père et sa mère, l’autre sa femme et ses enfants.

2680. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Je rappellerai seulement que Georges Maurice de Guérin était un jeune Homme né en 1810, mort en 1839, avant sa trentième année. […] Il savait trop bien que les sentiments et les idées mêmes résultent, dans un être organisé, de tout l’ensemble, de sa structure, et qu’on n’est pas impunément homme et cheval, tête et croupe tout ensemble. […] Un jour que je suivais une vallée, où s’engagent peu les Centaures je découvris un homme qui côtoyait le fleuve sur la rive contraire. […] Écoutez : « Le paysan est le moins romantique, le moins idéaliste des hommes. […] Il y a de l’homme à la bête, à tout ce qui existe, des sympathies et des haines secrètes dont la civilisation, ôte le sentiment.

2681. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Ainsi, du côté paternel et maternel, tout avait contribué à faire d’Horace l’homme du crayon, un peintre involontaire, irrésistible : sa main fine, mince, longue, élégante, naissait avec toutes les aptitudes, toute formée et dressée pour peindre, comme le pied du cheval arabe pour courir. […] Horace Vernet n’était pas un raisonneur ; c’était un homme de sentiment et d’exécution. […] — Quelques illustrations des Fables de La Fontaine, pourtant, ont bien de l’esprit : l’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses ressemble déjà à du Gavarni. […] Il y a de ces sympathies d’homme à nation, de nation à homme. […] Nous avons gardé du moine et du clerc, du lettré du Moyen-Age ou de la Renaissance, dans notre manière de juger et de classer les hommes, même ceux qui ne sont pas de purs esprits, et qui, par vocation, ont le plus affaire aux éléments du dehors.

2682. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Mais il faut plus que jamais penser que toutes les classes d’hommes, quand ils sont honnêtes, sont nos sujets également, et savoir distinguer ceux qui le sont, partout et dans tous les états. […] On a, à partir d’alors, toute une série de lettres d’elle adressées au comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l’empereur, et dont elle avait fait l’homme de son entière confiance66. […] Elle a du cœur, elle a du ressort, et si elle était homme, elle voudrait combattre ; si elle était roi, elle ne se laisserait pas ainsi enlever la couronne morceau par morceau sans mot dire. […] Il a écrit à un de ses amis (M. de La Marck) en qui j’ai beaucoup de confiance et qui est un galant homme, très dévoué, une lettre explicative que l’on m’apporte à l’instant et qui me semble fort peu de nature à rien expliquer ni excuser. Cet homme est un volcan qui mettrait le feu à un empire ; comptez donc sur lui pour éteindre l’incendie qui nous dévore !

2683. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Mais ces Matinées royales ou prétendus Conseils de Frédéric à son neveu et à son héritier sont des moins authentiques, et les hommes les plus versés dans la critique des Œuvres du grand Frédéric les considèrent comme un pamphlet, un pamphlet habilement rédigé, mais d’une fabrique ennemie, et d’un esprit tout à fait indigne du monarque auquel la malice les a attribuées. […] Une disposition d’esprit, pourtant, qui règne dans ces lettres de Louis XV et qui ne laisse pas de nous blesser un peu, c’est de voir que, dans son bon sens, il soit si vite résigné au mal, à la médiocrité des hommes et des temps ; il n’a ni le feu sacré ni le diable au corps ; il est totalement dénué du démon. « Ce siècle-ci n’est pas fécond en grands hommes. » Il le dit et en prend son parti, se consolant de n’avoir ni Condé ni Turenne, puisque les ennemis de leur côté n’ont ni de prince Eugène ni de Marlborough. […] Le maréchal de Noailles le lui insinue aussi respectueusement que possible : « Votre Majesté me paraît frappée, autant que je puis l’être, de la stérilité des grands hommes ; ce n’est cependant pas, Sire, que je ne sois persuadé qu’il n’y ait de l’étoffe pour en faire ; il s’agit d’aider à la nature, d’exciter le zèle et l’émulation et de fournir aux bons sujets les occasions de se développer. […] Son style est de l’homme même : il trahit la paresse et un sans-gêne excessif.

2684. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Cet abbé, qui avait été précepteur de la jeune archiduchesse à Vienne avant son mariage et qui resta ensuite presque constamment auprès de la dauphine et de la reine à Versailles, est un des hommes dont on a dit le plus de mal. […] Si pour lors le temps et l’absence avaient éteint chez M. le dauphin une prévention aussi affligeante que peu méritée, si Mme la dauphine se rappelait le plus ancien et le plus dévoué de ses serviteurs, elle me rendrait le plus heureux des hommes. […] La fatuité insoutenable avec laquelle il s’en vantait dévoilait le caractère d’un homme plus flatté d’être initié dans les secrets intimes, que jaloux d’avoir rempli dignement, les importantes fonctions d’instituteur. Son orgueil avait pris naissance à Vienne, où Marie-Thérèse, autant pour lui donner du crédit sur l’esprit de l’archiduchesse que pour s’emparer du sien, lui avait permis de se rendre tous les soirs au cercle intime de sa famille… » A Versailles on haïssait surtout en l’abbé de Vermond l’homme de Vienne ; il est aisé, de plus, de deviner dans l’animosité que lui a vouée Mme Campan quelque blessure d’amour propre ; la première femme de chambre de la reine, et un bel esprit prétentieux comme elle était, avait dû avoir, un jour ou l’autre, à se plaindre de lui ; elle le lui rend : « Il est très-probable », dit-elle, « par les relations constantes et connues de cet homme avec le comte de Mercy, ambassadeur de l’Empire pendant toute la durée du règne de Louis XVI, qu’il était utile à la Cour de Vienne, et qu’il a souvent déterminé la reine à des démarches dont elle n’appréciait pas les conséquences. Né dans une classe obscure de la bourgeoisie, imbu de tous les principes de la philosophie moderne, et cependant tenant plus qu’aucun ecclésiastique à la hiérarchie du Clergé, vain, bavard, fin et brusque à la fois, fort laid et affectant l’homme singulier, traitant les gens les plus élevés comme ses égaux, quelquefois même comme ses inférieurs, l’abbé de Vermond recevait des ministres et des évêques dans son bain, mais disait en même temps que le cardinal Dubois avait été un sot ; qu’il fallait qu’un homme de sa sorte, parvenu au crédit, fît des cardinaux et refusât de l’être. » Si l’abbé de Vermond disait de ces choses à tous venants et sans discerner son monde, il avait grand tort ; mais il faut convenir que ce qu’on a présentement sous les yeux ne répond pas tout à fait à ce signalement, tracé par une griffe ennemie.

2685. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Un homme instruit et de qui les recherches allaient en sens inverse des doctrines, M. […] les grands hommes ne devraient jamais avoir de postérité : les Césars engendrent communément des Laridons, et les Racine père des Racine le fils… » Je ne m’amuserai pas à réfuter ce que le spirituel auteur a lancé là en passant comme une de ces espiègleries bien irrévérentes qui font sa joie ; je le renverrai seulement à la très-belle page des Soirées de Saint-Pétersbourg (3e Entretien), dans laquelle Joseph De Maistre, qui ne passe pas pour être esclave du lieu commun, rend à Racine fils un hommage aussi touchant que celui que Montesquieu payait à Rollin. […] Or, Théophile, poëte, s’en est trop passé, et il a, dans mainte rencontre, excédé avec énormité la mesure, soit que, s’adressant au duc de Luynes qu’il avait jusqu’alors négligé de célébrer, il s’écrie, comme pour réparer le temps perdu : Ceux que le Ciel d’un juste choix Fait entrer dans l’âme des rois, Ils ne sont plus ce que nous sommes, Et semblent tenir un milieu Entre la qualité de Dieu Et la condition des hommes. […] L’un fait de la poésie d’homme gras, l’autre de la poésie d’homme maigre, voilà la différence !  […] Sans prétendre nier en rien les rapports du physique avec le moral, il me semble que c’est ici abuser même de la physiologie ; la pensée de l’homme a coutume de siéger plus haut que dans l’abdomen, et Gall, non moins qu’Homère, la fait asseoir vers le milieu du front, au-dessus des sourcils, comme sur un trône.

2686. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Si l’on veut se les représenter un peu nettement, on peut imaginer, dans chaque lieue carrée de terrain et pour chaque millier d’habitants, une famille noble et sa maison à girouette, dans chaque village un curé et son église, toutes les six ou sept lieues une communauté d’hommes ou de femmes. […] Non seulement il avait alors le pouvoir public, mais il possédait le sol et les hommes. Propriétaire des hommes, il l’est encore, du moins à plusieurs égards et en plusieurs provinces. « Dans la Champagne propre, dans le Sénonais, la Marche, le Bourbonnais, le Nivernais, la Bourgogne, la Franche-Comté, il n’y a point ou très peu de terres où il ne reste des marques de l’ancienne servitude… On y trouve encore quantité de serfs personnels ou constitués tels par leurs reconnaissances ou par celles de leurs auteurs44. » Là, l’homme est serf tantôt par le fait de sa naissance, tantôt par le fait de la terre. […] Ce chef d’État, propriétaire des hommes et du sol, était jadis un cultivateur résidant sur sa métairie propre au milieu d’autres métairies sujettes, et, à ce titre, il se réservait des avantages d’exploitation dont il a conservé plusieurs. […] Qu’un homme dans son cabinet, parfois un vieillard débile, dispose des biens et des vies de vingt ou trente millions d’hommes dont la plupart ne l’ont jamais vu ; qu’il leur dise de verser le dixième ou le cinquième de leur revenu et qu’ils le versent ; qu’il leur ordonne d’aller tuer ou se faire tuer et qu’ils y aillent ; qu’ils continuent ainsi pendant dix ans, vingt ans, à travers toutes les épreuves, défaites, misères, invasions, comme les Français sous Louis XIV, les Anglais sous M. 

2687. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Caractère de l’homme. […] Hugo est maintenant complet : c’est le moment d’essayer, à l’aide surtout de ces trois grandes œuvres, de caractériser l’homme et d’en définir le génie. […] il faut avouer que ce très grand poète fut un homme médiocrement intelligent. […] Elle exprime les émotions d’un homme, mais des émotions d’ordre universel. […] Dupuy, V.Hugo, l’homme et le poète, in-18, 1887.

2688. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Je voudrais aujourd’hui concilier tout ce que je dois à ces souvenirs et aux sentiments de respect que je lui ai voués, avec l’indépendance du critique, — au moins du critique littéraire ; car ici, en parlant de ces hommes qu’il y aurait lieu d’étudier sous tant d’autres aspects, je ne suis et ne veux être que cela. […] Son père, médecin, était venu se fixer là, après avoir fait une campagne dans la guerre d’Amérique sous Rochambeau ; homme de bien et d’honneur, il a laissé dans le pays des souvenirs que quarante années écoulées depuis ont à peine effacés. […] Des hommes de haut talent, M. de Chateaubriand, M. de Maistre, M. de Lamennais (je ne les prends que par les ressemblances les plus générales), l’un à travers l’encens de la poésie, les autres par l’éclatante hardiesse des interprétations, avaient ressuscité pour les générations du siècle le christianisme, et l’avaient offert sous des aspects qui ne sont point assurément ceux auxquels nous avaient accoutumés les Fleury, les Massillon, les Bourdaloue. […] En parlant de cet homme excellent, médiocre en tout, excepté par le cœur, qui fut un missionnaire zélé et un assez pauvre évêque, l’orateur a trouvé des accents touchants et des mouvements pathétiques. […] Jamais le souvenir de ces premiers temps de son âge ne s’effaça de la pensée du général Drouot ; dans la glorieuse fumée des batailles, aux côtés mêmes de l’homme qui tenait toute l’Europe attentive, il revenait par une vue du cœur et un sentiment d’actions de grâce à l’humble maison qui avait abrité, avec les vertus de son père et de sa mère, la félicité de sa propre enfance.

2689. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Quelques paroles de cette autorité me sont nécessaires ; elles sont comme les colonnes immuables et sacrées que je tiens seulement à montrer du doigt dans le lointain, pour que notre admiration même et notre hommage de regret envers un homme d’un merveilleux talent n’aillent pas se jouer au-delà des bornes permises. […] Les Marneffe, les Bixiou, les Birotteau, les Crevel, etc., sont ainsi nommés chez lui en vertu de je ne sais quelle onomatopée confuse qui fait que l’homme et le nom se ressemblent. […] On dirait qu’en lui l’homme du monde accompli, l’honnête homme, comme on s’exprimait autrefois, a tenu de bonne heure l’artiste en échec. […] Il est mort d’une maladie de cœur, comme meurent aujourd’hui tant d’hommes parmi ceux qui ont trop ardemment labouré la vie. […] Une terrible émulation et comme un concours furieux s’était engagé dans ces dernières années entre les hommes les plus vigoureux de cette littérature active, dévorante, inflammatoire.

2690. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Il n’y a rien que j’aime tant que de faire raisonner les personnes qui font une figure distinguée dans le monde, et qui ont eu occasion, par de longues expériences, de remarquer les fautes de la plupart des hommes, aussi bien que leurs bonnes qualités ; on peut tirer une grande utilité de ces connaissances. Je ne sais que trop votre inclination à la retraite, et plût à Dieu que vous voulussiez vous séquestrer un peu moins du commerce des hommes ! […] La layette et le lit du futur prince des Asturies avaient été recommandés d’abord à un habile homme de la Cour, Langlée, l’arbitre des modes ; mais l’économie oblige de rabattre des premières commandes. […] Elle a toujours cru que les ressources étaient plus grandes qu’on ne disait, si les hommes ne se décourageaient pas ; elle ne conçoit rien à ces généraux (comme Tessé) qui se méfient d’eux-mêmes et qui ont toujours l’air de compter d’avance sur une défaite. […] nous aurons bien des choses à reprocher aux hommes, puisque nous n’y aurons point eu de part.

2691. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Elle continua d’acquérir tant qu’elle vécut ; elle protégea de tout son cœur et de tout son crédit les savants et les hommes de lettres de tout ordre et de tout genre, profitant d’eux et de leur commerce pour son propre usage, femme à tenir tête à Marot dans le jeu des vers comme à répondre à Érasme sur les plus nobles études. […] Marguerite jeune, ouverte à tous les bons et beaux sentiments, à la vertu sous toutes les formes, s’éprit de cette cause ; et, quand son frère fut arrivé au trône, elle se dit que c’était à elle d’en être auprès de lui le bon génie et l’interprète, de se montrer la patronne et la protectrice de tous ces hommes qui excitaient contre eux, par leurs doctes innovations, bien des rancunes pédantesques et des colères. […] La bonne et loyale Marguerite, qui ne connaissait rien aux partis, et qui n’en jugeait que par les honnêtes gens, par les hommes de lettres de sa connaissance, penchait à croire que ces vilains placards étaient du fait, non des protestants, mais de ceux qui cherchaient prétexte à les compromettre et à les persécuter. […] Et pour ce que les ouvriers dirent qu’ils ne sauraient avoir fait le pont de dix ou douze jours, la compagnie, tant d’hommes que de femmes, commença fort à s’ennuyer… Il s’agit donc d’employer ces dix ou douze jours à quelque occupation « plaisante et vertueuse », et l’on s’adresse pour cela à une dame Oisille, la plus ancienne de la compagnie. […] La compagnie étant au nombre de dix, tant hommes que femmes, et chacun faisant par jour son histoire, il s’ensuivra qu’au bout de dix jours on aura achevé la centaine.

2692. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Sa lanterne, qui lui servait à chercher un homme, avait de faux airs de lustre ou de candélabre. […] Mais elle admirera comme nous la puissance dramatique, la sincérité d’exécution, la probité littéraire, la fermeté et la pureté de la forme du grand auteur dramatique et de l’homme de bien qui vient de mourir. […] Que dirais-je d’Émile Augier, si ce n’est que j’admirais le poète et que j’aimais l’homme de tout mon cœur ? […] L’homme si loyal, si cordial, le compagnon d’étreinte franche et robuste, mon ami, mon parrain, mon maître Émile Augier, en ce moment, je ne saurais rien en dire. […] Indulgent pour les hommes.

2693. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Cousin reparut dans sa chaire en 1828, on eut affaire à un autre homme, à un autre professeur et orateur. […] Trois hommes éminents exercèrent alors par leur enseignement public la plus décisive influence sur la marche et la direction des esprits : MM.  […] Il est resté pour moi, et je crois bien pour nombre de ceux qui l’ont le plus connu, un problème et une énigme. — Mais, me direz-vous, quel homme n’est pas une énigme ? […] Elle se plaisait à réunir les hommes d’État les plus distingués qui s’étaient d’abord tous ralliés pour le maintien et l’honneur du nouveau régime ; elle s’affligea quand elle les vit se diviser et se déchirer. […] Si elle avait été homme, la comtesse de Boigne eût certainement marqué parmi les politiques les plus éminents et les plus utiles du régime d’alors : ce régime aurait compté un ministre de plus.

2694. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) C’est toujours un bonheur quand les hommes qui ont le don de la Muse reviennent à la poésie pure, aux vers. […] Dans la peinture des passions qui s’essayent tour à tour à ternir notre âme, le poëte les montre Qui viennent bien souvent trouver l’homme au saint lieu, Et qui le font tinter pour d’autres que pour Dieu. […] Hugo fasse ainsi tinter l’homme. […] Oui, à l’origine, au moment voisin de la fusion du métal, au sortir du baptême de la cloche, l’homme et l’œuvre se ressemblent, la pureté du son répond à celle de l’instrument. […] On contemple cet homme au flanc blessé, comme il s’appelle quelque part, saignant, mais debout dans son armure, et toujours puissant dans sa marche et dans sa parole.

2695. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Dans les tentatives plus fortes qu’il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime abord aux caprices et, en quelque sorte, aux brisures de son talent ; mais, jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la séve, bien des jets d’une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit à Tebaldeo, le jeune peintre : « Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterais-je un homme qui ne se flatte pas lui-même ? […] D’autres ont essayé de peindre tous les maux affaiblissants et le relâchement de la volonté, produits par un abandon tortueux et secret : lui, il s’est attaché à peindre le mal orgueilleux, ambitieux, d’une curiosité insatiable, impie, le mal du Don Juan renouvelé : « Il y a, dit-il, de l’assassinat dans le coin des bornes et dans l’attente de la nuit, au lieu que dans le coureur des orgies bruyantes on croirait presque à un guerrier : c’est quelque chose qui sent le combat, une apparence de lutte superbe : « Tout le monde le fait, et s’en cache ; fais-le, et ne t’en cache pas. » Ainsi parle l’orgueil, et, une fois cette cuirasse endossée, voilà le soleil qui y reluit. » Trois endroits, sans parler de celui auquel cette citation appartient, expriment et ramènent à merveille le sujet, le but du livre, qui disparaît et s’évanouit presque dans une trop grande partie du récit : ce sont, le discours nocturne de Desgenais à son ami, la réponse éloquente d’Octave à quelques mois de là, et, au second volume, certaines pages sur la curiosité furieuse, dépravée, de certains hommes pour ces hideuses vérités qui ressemblent à des noyés livides. […] Plus tard, il y a un moment où tout d’un coup, à propos d’une grande promenade nocturne, nous découvrons que Mme Pierson, pour ces longues courses, prend une blouse bleue et des habits d’homme. […] L’exemple d’Octave me semble donc un cas particulier qui ne fait pas loi, et ce qu’il a de plus général dans la dernière partie ne se rattache pas à ce qu’Octave a été libertin, mais à ce qu’il est homme, impatient, excessif, se lassant vite, triste et ennuyé dans le plaisir, habile à exprimer l’amertume du sein des délices : or, cela était vrai du temps de Lucrèce, du temps d’Hippocrate77, comme du temps d’Adolphe et du nôtre. […] Quand il parlera donc de son mal désormais, que ce soit de loin, sans les crudités qui sentent leur objet ; que ce soit en homme tout à fait guéri.

2696. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Sauf un petit nombre d’exceptions mystérieuses et de véritables monstruosités morales, l’homme est libre, bien que plus ou moins enclin ici ou là ; il peut lutter, bien qu’il lutte trop peu ; il peut s’appuyer sur certains principes qu’il sait bons et utiles, nouer alliance avec ses facultés louables contre ses penchants plus dangereux15, bien que d’ordinaire ce soit pour ceux-ci qu’il se déclare. Mais en fait, d’après la loi de l’infirmité et de la lâcheté humaine, dans le manque d’éducation forte et de croyance régnante, ce sont les instincts naturels qui décident en dernier ressort et qui font l’homme. […] dans la réalité pratique de la vie, ce rôle est en grande partie dévolu à l’homme de bien. Or, l’homme habile, à expédients, le génie à métamorphoses, le Mercure politique, financier ou galant, l’aventurier en un mot, ne dit jamais non aux choses ; il s’y accommode, il les prend de biais, il a l’air parfois de les dominer, et elles le portent parce qu’il s’y livre et qu’il les suit ; elles le mènent où elles peuvent ; pourvu qu’il s’en tire et qu’il en tire parti, que lui importe le but ? […] C’est là qu’on le voit aussi fort lié avec un homme du plus grand mérite, M. l’abbé de Voisenon.

2697. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Simiane n’est autre chose qu’un Rousseau anticipé, un Rousseau qui n’a pas voulu l’être ; né dans les Alpes aussi, venu à Paris jeune et orphelin, avec mille livres de rente, il a tenté la route des lettres ; il a porté à Montesquieu un manuscrit, que le grand homme a jugé très favorablement ; il a fréquenté le café Procope et causé avec les beaux esprits. […] Fortoul ; il ne faut pas trop s’en tenir à ce que dit Montesquieu de lui-même sur ce point : on lit dans les Mémoires de Garat une conversation de l’homme illustre, déjà bien près de finir, laquelle est, au contraire, tout étincelante d’images et de traits. […] « Les hautes montagnes, a-t-on dit, consternent aisément celui qui habite au pied, ou du moins elles le modèrent et le calment ; elles mettent l’homme à la raison. » Simiane reste dans la raison, ainsi que dans le bonheur ; lorsque Rousseau, déjà célèbre, les visite encore, il emporte de leur dernier embrassement une de ces fraîches et à la fois solennelles images, qui, en présence de Thérèse et de tant d’illusions flétries, sauvaient l’idéal dans son cœur. Ce personnage de Simiane à côté de Rousseau est vrai ; celui-ci a eu de tels amis, ses égaux d’esprit et d’âme, et obscurs ; on peut relire l’éloquente page qu’il consacre à la mémoire de l’un d’eux : « Ignacio Emmanuel de Altuna était un de ces hommes rares que l’Espagne seule produit, et dont elle produit trop peu pour sa gloire…31. » Simiane est un de ces Emmanuels de Jean-Jacques, restés inconnus. […] Partout en Allemagne, on l’attend, on l’a cru voir passer dans chaque cavalier inconnu, les peuples prêts à saluer, comme toujours, l’homme du destin, les gouvernements attentifs à saisir le conquérant déchaîné.

2698. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

En ce temps-là même, les hommes qu’anime le véritable esprit scientifique embrassent avec bonheur les objets de leur pensée, lussent-ils bien creux et chimériques : un Dalembert, un Condorcet se satisfont par leur pensée. […] Et voici le prince de Ligne écrivant à une marquise française : d’un haut promontoire de la Crimée, le soir, il regarde la mer immobile, il reporte sa pensée sur tous les hommes, tous les peuples qui sont venus par cette mer, ont passé sur cette côte, ont vécu dans ces villes dont il vient de fouler les ruines. […] Il voit tous les ravages du temps dans les œuvres et dans les cœurs des hommes. […] Ceux qui méprisent l’homme, ceux qui contestent la doctrine, ceux que Rousseau enfièvre, tous sont unanimes à répéter avec Mirabeau : « Voltaire fut au théâtre un génie de premier ordre, dans tous ses vers un grand poète ». […] Il refusa sous le Consulat une place de sénateur, et sous l’empire la Lésion d’honneur, « Je suis catholique, poète, républicain et solitaire, disait-il : voilà les éléments qui me composent et qui ne peuvent s’arranger avec les hommes en société et avec les places. » — OEuvres, Paris, 1827, 6 vol. in-18.

2699. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Mais il y avait aussi à Aix un homme animé de l’esprit nouveau, un travailleur, un savant opiniâtre, méticuleux et méthodique, le philologue Eugène Benoist : il forma Larroumet en Provence, il le forma à Paris, où il le fit venir en 1874 ; pour achever ses études supérieures, Larroumet, de professeur qu’il était devenu dans l’enseignement spécial, se refit « pion » à Charlemagne. […] On n’aime pas cette posture pour l’homme qu’on admire. […] Dès qu’il se sentait en fonction d’instruire, ce n’était plus le même homme ; il ne jouait plus. […] Ainsi, il étudie partout le milieu social et l’homme, le milieu littéraire et l’œuvre, mais sans roideur doctrinaire, réservant toujours ce résidu indécomposable, réfractaire à l’analyse, où est la vie, et qui fait l’individualité. […] Il aura sa place au bas des pages ou dans les notices bibliographiques, non comme écrivain à étudier, mais comme guide, instrument et secours pour les hommes d’étude.

2700. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

. — La Descendance de l’homme contient des fragments de psychologie comparée ; mais il n’a fait que montrer la route à suivre. […] Les deux chapitres283 qu’il a consacrés à étudier ce fait psychologique chez l’homme et chez les autres animaux, à en montrer les conséquences sociales, à rechercher comment la puissance intellectuelle et les aptitudes morales ont dû jouer un grand rôle dans le struggle for life de l’homme contre la nature, contre les autres espèces animales, contre les formes inférieures de sa propre espèce, renferment un grand nombre de faits intéressants, de vues curieuses et neuves ; bref, sont très propres à initier à la nouvelle méthode philosophique les esprits imbus des idées courantes. — Son Expression des Emotions traite un point de la corrélation du physique et du moral. […] Les objets que nous appelons externes (un homme, une maison), sont des agrégats formés par association simultanée. […] D’où vient que deux hommes ayant eu même éducation, mêmes impressions, même milieu, diffèrent quelquefois du tout au tout ? […] La Descendance de l’homme. — L’expression des Emotions.

2701. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Il semble tout d’abord, pour le moi humain, comme pour l’Etre universel que cette utilité s’exprime dans la joie de connaître : tous les efforts de l’homme, pour augmenter la somme de ses sensations heureuses au détriment de ses déplaisirs, se heurtent, ainsi qu’on l’a montré, à cette faculté de mécontentement qui transforme l’assouvissement de ses convoitises en une sensation d’ennui ou en un malaise nouveau : à cette fin, que les individus semblent poursuivre et qu’ils ne réalisent jamais un surcroît de bien-être, il semblerait donc qu’il convienne do substituer cette autre qui se montre sans cesse et par chaque effort accomplie, l’embellissement et l’enrichissement du spectacle phénoménal offert à l’esprit. […] Aussi voit-on que l’homme s’est préoccupé à toutes les époques et dans toutes les contrées, de promulguer une morale propre à réglementer les relations des sexes. […] Cette loi de contrariété bovaryque s’exerce donc encore ici, qui oppose à la volonté consciente des hommes et à leurs desseins prémédités une volonté secrète et plus forte, au profit de laquelle est exploitée une énergie suscitée en vue d’une autre fin. […] L’effort des hommes pour se conformer au précepte, s’il échoua sous sa forme absolue, réussit du moins à contenir la volupté dans les limites de la monogamie, resserrant les mailles de la famille, ce milieu le plus propre, dans une société organisée, à faire éclore, à faire vivre et à développer l’enfant. […] Dès qu’il s’agit de l’homme, d’ailleurs, vivre se confond avec vivre socialement.

2702. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

… Prends-moi devant les hommes, prends-moi devant Dieu ! […] Satire des éternels retours de l’appétit populaire, satire des vices, des désirs de la foule, satire des meneurs d’homme, le Roi Bombance grouille d’une vie innombrable et puissante. […] Roger Le Brun, dans Le Bonheur des Hommes essayait le drame moderne le plus simple et le plus émouvant, parce qu’éternel, la révolte du sang et l’orgueil du sacrifice. […] Mais placez à son centre l’âme consciente avec tous ses pouvoirs, faites rayonner à son foyer incandescent la divine Psyché, déployez ses ailes — et le théâtre sera le miroir de la vie meilleure, l’éducateur du peuple, l’initiateur qui conduit l’homme à travers la forêt de la vie et les mirages du rêve au sommet des plus hautes vérités. […] Le théâtre de l’avenir remoulera l’homme et la société à son image.

2703. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

Cette fonction doit être remplie par un homme d’État, distingué, expérimenté et sage. […] Le premier pas de la sagesse de nos jours a été de rapporter tout à la culture de la terre ; le second pas qui lui reste à faire, c’est de sentir l’importance de l’éducation publique ou de la culture de l’homme. […] Cependant les occupations sont coupées par des relâches  ; les études sont variées, et c’est l’application assidue à une seule chose qui ennuie, fatigue et dégoûte l’homme et l’enfant. […] Les boursiers, commensaux du collége, ne différent des pensionnaires qu’en ce qu’ils sont logés, vêtus, nourris, instruits, défrayés de toutes dépenses par la bienfaisance de quelque homme riche qui a fondé les places qu’ils occupent. […] L’homme marié aura son logement au dehors ; point de femmes dans un collége ; le mélange des deux sexes ne tarde point à y introduire les mauvaises mœurs et la division.

2704. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

De quelque manière qu’on veuille interpréter ces symptômes évidents, qu’on y voie, comme les plus illuminés semblent le croire, l’annonce de je ne sais quelle femme miraculeuse destinée à tout pacifier ; qu’on y voie simplement, comme certains esprits plus positifs, la nécessité de réformer trois ou quatre articles du Code civil, nous pensons qu’il doit y avoir sous ce singulier phénomène littéraire une indication sociale assez grave ; nous aimons surtout à y voir un noble effort de la femme pour entrer en partage intellectuel plus égal avec l’homme, pour manier toutes sortes d’idées et s’exprimer au besoin en sérieux langage. […] S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. […] Ce Trenmor, qui représente la vertu et l’impassibilité finale après l’expiation, n’est pas un être à l’usage des hommes ; il ne console ni ne dirige personne. […] Cette situation de Lélia et de Sténio, qui était exactement l’inverse de celle d’Adolphe et d’Ellénore dans le roman de Benjamin Constant, cette présence de Trenmor, c’est-à-dire d’un homme mûr, ironique, que Lélia estime, qui comprend Lélia, et qui porte ombrage à Sténio ; c’était là un germe heureux que la réflexion eût pu développer dans le sens de la réalité aussi bien que dans celui de la poésie et du symbole. […] On s’accoutume difficilement à l’idée que Trenmor, cet homme et ce nom des régions inconnues, ait été dix ans au bagne à Toulon.

2705. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Auguste Vacquerie Un adolescent imberbe et gracieux, qui aspire à la force et qui n’y arrive pas, tel est Alfred de Musset comme homme — et comme poète. […] On ne l’a point admiré, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poète, c’était un homme. […] Comme un homme, au milieu d’une fête, qui boit dans une coupe ciselée, debout, à la première place, parmi les applaudissements et les fanfares, les yeux riants, la joie au fond du cœur, échauffé et vivifié par le vin généreux qui descend dans sa poitrine et que subitement on voit pâlir ; il y avait du poison au fond de la coupe ; il tombe et râle ; ses pieds convulsifs battent les tapis de soie, et tous les convives effarés regardent. […] Et si l’on constate enfin qu’il a été l’un des hommes les plus impressionnables de ce temps et un des plus spirituels ; qu’il a été le plus sincère des écrivains, et le plus gracieux ; — qu’il nous prend à la fois par le charmé aisé d’un esprit de pure lignée française et par la profondeur et la vérité du sentiment et de la passion… ; il me semble qu’il ne restera plus rien à faire qu’à le relire. […] La passion est dans l’homme une des grandes sources d’art, comme toutes les forces qu’il a en lui.

2706. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Quatrième faculté d’une Université. Faculté de théologie » pp. 511-518

Le second entrerait dans le détail des devoirs communs à tous les hommes, et ses leçons ne seraient scrupuleusement qu’un commentaire raisonné du Décalogue et des commandements de l’Église, de même que celles de son collègue ne seraient scrupuleusement qu’un commentaire raisonné du symbole. […] Il y a une logique propre à l’ecclésiastique, connue sous le nom de Lieux théologiques ; c’est un parallèle des autorités entre elles : de l’autorité de la raison, de l’autorité de l’Écriture, des conciles généraux et particuliers, des Pères considérés séparément et entre eux sur telle matière ou sur telle autre, des docteurs de l’Église, des grands hommes, de la tradition et des monuments ; logique de théologien à théologien, fort différente de celle d’un homme à un homme et d’un théologien à un philosophe. […] C’est à l’archevêque Platon à revoir toute cette partie de l’éducation publique, c’est à lui à en concilier la forme et l’objet avec les usages, les lois, les mœurs et les besoins de l’empire de Russie, et c’est à Sa Majesté Impériale à rectifier ce qu’un zèle de profession, qui domine secrètement les hommes les plus instruits et les mieux intentionnés, pourrait suggérer de dangereux ou d’irrégulier à l’archevêque Platon.

2707. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Je dois encore ajoûter une refléxion ; c’est que le génie de la poësie et celui de la peinture n’habitent point dans un homme d’un temperament froid et d’une humeur indolente. […] L’excès du vin n’est pas même un de ces vices dont l’âge corrige les hommes. […] Un homme trop adonné au vin, est morne quand il n’est pas à table, et il n’a plus d’esprit qu’autant que lui en donnent les digestions d’un estomac, qui s’use enfin avant le temps. […] Cette extrême indigence qui force à travailler pour avoir du pain, n’est propre qu’à égarer un homme de génie, qui sans consulter ses talens, s’attache, pressé par le besoin, aux genres de poësie qui sont plus lucratifs que les autres. […] Tout le monde sera de mon avis, quand j’avancerai que Moliere n’auroit jamais pris la peine necessaire pour se rendre capable de produire les femmes sçavantes, ni celle de composer ensuite cette comédie, après s’être rendu capable de le faire, s’il se fût trouvé un homme de condition, en possession de cent mille livres de rente dès l’âge de vingt ans.

2708. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Alors que la littérature matérialisée se dit naturaliste, quand elle se fait tout bêtement abjecte et n’aspire plus qu’à donner aux hommes les plus ignobles sensations ; alors que le public, plus stupide encore qu’elle n’est abjecte, trouve cette littérature toute-puissante, un livre comme celui de Paul de Saint-Victor, haut d’inspiration, spirituel dans tous les sens du mot, idéal et grandiose, doit nécessairement avoir l’honneur de l’insuccès… Et s’il ne l’a pas, j’ose le dire ! […] En réponse, un jour, Paul de Saint-Victor publia Les Dieux et les Hommes, et, malgré la forme de cet ouvrage, on recria : Ce n’est là que des feuilletons encore ! […] Ce livre, d’une conception magnifiquement nette, avait été déjà tenté, mais dans un plan tout à la fois plus vaste et plus étroit, par un homme de ce temps qui, comme Saint-Victor, unissait l’imagination à une érudition peut-être supérieure encore à la sienne. Cet homme, mort sans la gloire et d’autant plus qu’il était fait pour elle, est Édelestand du Méril, l’auteur d’une Histoire de la comédie chez tous les peuples, livre énorme d’érudition et de sagacité littéraire, et que malheureusement la mort de l’auteur interrompit. […] Ce livre d’Édelestand du Méril, écrit particulièrement par le savant qui étouffait en lui l’homme d’imagination et d’esprit, mais qui ne put jamais le tuer, tant il était vivace !

2709. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sismondi, Bonstetten, Mme de Staël et Mme de Souza »

Ils y resteraient toute l’éternité, si la mort, cette bibliothécaire turbulente, qui range si brusquement les livres et les hommes, ne les en ôtait pas… Seulement, par un caprice de cette spirituelle Nature, qui est plus gaie que Taillandier et qui ne travaille point pour la Revue des Deux-Mondes, cet érudit, ce Génevois, ce Sismondi aimait les femmes (oh ! […] Tel fut Sismondi, littérateur et homme ; tel fut cet honnête chroniqueur, qui n’eut pas même d’esprit, et dont Saint-René Taillandier, ce chercheur de perles dans les huîtres, se vante d’avoir retrouvé l’âme ! […] En dehors de l’Histoire, sans l’intérêt des faits de l’Histoire, le pauvre Sismondi, homme du monde, pédant dépaysé dans des Décamérons impossibles, voulant donner gentiment la patte aux dames et ne pouvant pas, devait être ce qu’il est en ces lettres arrachées aux rats, qui en auraient mieux joui que nous ; car, franchement, elles ne sont rien de plus qu’insignifiantes, quand elles ne confinent pas… j’oserai le mot, puisqu’il est mérité ! […] Un homme qui aimerait autant que moi Madame de Staël n’aurait jamais, par respect pour elle, publié ces bribes vulgaires ; car tout ce qui n’augmente pas la gloire doit la diminuer. […] … Un homme qui a trouvé que Sismondi était une âme, — une violette des bois pour le parfum poétique, — peut bien trouver que les simples paroles de Monsieur Jourdain : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles ! 

2710. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Nul concurrent ne pouvait ou n’aurait osé s’y tromper… Des hommes si profondément littéraires, connaissaient trop l’histoire pour supposer que l’esprit de parti ou de secte la violât dans un travail qu’ils devaient juger et couronner. […] telle est la pensée qui naîtra dans l’esprit de tout homme de sens et de bonne foi en lisant, après l’écrit de E.  […] Il a prouvé, enfin, que cette charité enseignante, née dans le sang du Crucifié, arrosée du sang des martyrs, cette fleur du sang de Dieu et des hommes, n’a grandi, parfumé et guéri les plaies du monde, que parce qu’elle s’est épanouie dans la double Thébaïde du désert et du célibat. Le célibat, les monastères, — les monastères, qui ne furent pas tous bâtis dans cette période d’histoire que des protestants peuvent exalter sans réserve et sans peur, — voilà ce qui donna à la charité chrétienne cette prodigieuse efficacité, qui la fait ressembler aux yeux des hommes à la plus colossale et à la plus magnifique des institutions ! […] En expliquant la charité chrétienne par le célibat et les monastères, Martin Doisy a trouvé dans le célibat religieux, dont il fait avec raison le principe générateur de la perfection de l’homme et de l’assistance sociale, un puissant et nouvel argument contre ce Communisme moderne qui veut remplacer la charité par le droit de tous.

2711. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

A nos yeux, dès qu’un homme édite ses œuvres de jeunesse, c’est qu’apparemment il les croit dignes de sa maturité, et c’est que le temps ne l’a pas rendu plus grand qu’elles. […] D’ailleurs, nous défierions bien Augier d’être autre chose que ce qu’il est, c’est-à-dire, en deux mots, invariablement et irrémissiblement, un poète de carton-pâte modelant en petit des sujets connus, je ne sais quel faux bellâtre sans physionomie sincère et profonde, — qui n’est pas plus la beauté d’un poète que la cire du cabinet de Curtius qui veut jouer la vie n’est un homme ! […] Son accent est donc plus animé et plus chaud, mais, après tout, c’est le clair de lune d’un homme qui a été lui-même un clair de lune, et nous demandons ce que, de clair de lune en clair de lune, doit devenir, dans un temps donné, la vie de la littérature… On a beaucoup parlé de l’originalité de Musset, et ce n’est pas là son plus grand mérite. […] et avec laquelle l’homme qui plaisante, s’il n’est pas Tacite, — un plaisant grave, — a toujours l’air de gaminer ? […] On y cherche en vain l’homme spontané et fruste qu’on y voudrait, « ce génie dans l’obscurité », comme l’avait nommé un peu trop vite Lamartine.

2712. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Cela est vrai tant qu’on n’a pas vu les hommes ; mais si on les a vus une fois de près, on est bien mieux de loin pour les juger, pour en parler sans superstition, et sans se faire l’écho de l’opinion. — Pour les jugements littéraires j’ai pensé dès longtemps qu’on ne les aurait tout à fait libres et indépendants sur les hommes de France, qu’en étant à la frontière, à Genève, à Bruxelles, — à Liége. » C'était aussi l’opinion de Voltaire et, avant lui, comme on va le voir, celle d’un esprit de la même famille, Bayle, l’illustre réfugié protestant du xviie siècle, avec lequel Sainte-Beuve avait tant d’affinité3. […] Les intérêts ont changé, la plupart des hommes sont morts ou ont changé aussi. […] On ne saurait mieux interpréter sa pensée qu’il ne l’a fait lui-même dans ce volume, p. 166 : « Il est, dit-il (décembre 1843), une douzaine d’hommes en France qu’on ne juge plus, mais qu’on loue ou qu’on attaque.

2713. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

« Chateaubriand »  Cette lettre, dans son compliment, renfermait le conseil indirect de m’émanciper un peu de Victor Hugo et faisait allusion à un sonnet où j’avais dit, parlant au puissant poëte : Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d’armes, S’il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes, Il le met dans son casque et le porte en chemin… La Révolution de 1830 interrompit mes relations avec M. de Chateaubriand. […] Figurons-nous un monde charmant, une société d’élite, un vieillard illustre et glorieux qui se sentait heureux d’être compris et goûté par des hommes plus jeunes et qui n’étaient pas tout à fait ses disciples. […] Je vous remercie mille fois, monsieur, pour la mémoire de Fontanes : c’était un homme fait pour vous connaître et vous admirer. […] C’est qu’en effet le cœur de l’homme est ainsi fait que souvent la vérité, par cela seul qu’elle est la vérité, l’indispose et l’offense.

2714. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Ce sont là les termes que l’auteur de la comédie sème à chaque page de cette préface, qui vient bien après une dédicace à Victor Hugo ; car elle est cavalière et de cette école autocratique, avec un certain parfum singulier d’auteur de qualité et d’homme du monde qui veut bien condescendre aux lettres. […] Walewski est dans le cas de nous tous, journalistes et littérateurs par goût, par convenances (qu’il le sache bien, car en bonne compagnie les nécessités mêmes s’appellent des convenances), littérateurs à nos moments perdus (et nous en perdons beaucoup) ; il ne faut pas qu’il s’imagine que nous soyons plus contraints au métier que lui ; nous sommes tous des amateurs, et il est étrangement venu à nous dire : « La presse qui semblait devoir, au moins par générosité, accueillir avec indulgence un homme du monde et lui faire les honneurs de la république des lettres, la presse, c’est-à-dire une partie de la presse, s’est montrée peu courtoise. » La presse ne devait et ne doit rien à M.  […] De la dédicace et de la préface il résulte que l’auteur a reçu force compliments et cartes de visite pour sa pièce : avant la représentation, c’était le suffrage (je copie textuellement) des hommes les plus éminents dans le monde littéraire, dam le monde politique et dans le monde social ; depuis la représentation et pour contrecarrer les impertinences qu’en ont dites des critiques mal placés, « les juges réels de la pièce, ceux qui vivent parmi les choses et qui les voient, viennent tour à tour, auprès de l’auteur, s’inscrire en témoignage et lui apporter leur formelle adhésion. » Le moyen, maintenant, de refuser cette adhésion formelle et de prétendre à passer pour un juge ! […] Une autre chose l’aurait pu frapper aussi, ce me semble, c’est le danger d’illusion et le travers auquel se trouve exposé un galant homme qui, jeté, jeune et riche, au milieu de l’éclat et des politesses du monde, et s’avisant un beau jour de s’y vouloir faire une réputation d’auteur, se met à croire à tous les compliments qui lui arrivent, et aux cartes de visites sur lesquelles on lui crayonne des bravos.

2715. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Une mélancolique intelligence de la nature et de ses correspondances humaines, un art très harmonieux et d’un homme qui sent et pense. […] Mendès : « Je ne crois pas qu’il ait jamais existé un homme plus intimement, plus essentiellement poète que M.  […] [Les Hommes d’aujourd’hui.] […] Cet homme vénérable et charmant a su répandre une égale innocence dans toute sa vie et dans toute son œuvre à la fois.

2716. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Virgile, le plus doux, le plus modeste des hommes, ne put échapper aux traits de l’envie. […] Mais cette simplicité même, qui va si bien avec le génie, & par laquelle les grands hommes adoucissent l’envie, ne faisoit qu’augmenter la vénération où il étoit à Rome. […] Ils publièrent qu’il étoit fils d’un homme au service d’un magicien vagabond, ou celui d’une espèce de maquignon. […] Il n’est qu’un seul homme dont la prose égale au moins ses vers, l’auteur de la Henriade & du Siècle de Louis XIV.

2717. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

La circonstance que le poëte change n’est point assez importante pour la conserver aux dépens du pathetique que la vie d’un homme, sacrifiée pour faire une épreuve, jette dans le recit, et de l’embarras qu’il y auroit à raconter cet incident comme le narrent les historiens. […] Seneque, dans la satire ingenieuse qu’il écrivit sur la mort de l’empereur Claudius, parle de Junia Calvina en homme qui la tenoit réellement coupable du crime d’inceste avec son propre frere, pour lequel elle avoit été exilée sous le regne de ce prince. […] Qu’autrefois ce grand homme commença par son pere à triompher de Rome mais Titus Quintus Flaminius, celui à qui parle Nicomede, et qui avoit contraint Annibal d’avoir recours au poison, n’étoit pas le fils de celui qui perdit la bataille de Trasiméne contre Annibal. […] Corneille de faire cette faute en confondant deux Flaminius, quand les sçavans la reprochoient depuis long-tems à l’auteur de la vie des hommes illustres, qui est sous le nom d’Aurelius Victor.

2718. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

On aperçut un homme debout, tête nue. […] Oui, le poète, chez lui, c’est l’homme même, et l’homme, c’est la bonté, le sourire, une âme attirante et séductrice. […] Elles l’avaient cru « l’homme de ses livres ». […] Le remords, enfin, n’est-il pas de l’homme ? Pourquoi avoir fait de l’homme un automate ?

2719. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

C’est l’œuvre qu’il faut éclaircir et commenter par l’homme, et non l’homme qu’il faut chercher dans l’œuvre. L’homme passe et meurt ; l’ouvrage, s’il est bon, reste et vit. […] Sa poésie est ondoyante et diverse comme l’homme de Montaigne. […] Il a des hommes d’esprit à ses gages. […] À la regarder vaillamment, hardiment, on contracte la force qui fait les hommes, et les hommes ne manquent pas à la comédie de nos jours.

2720. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lebrun, Pierre (1785-1873) »

Lebrun qu’un homme de lettres et un homme de talent s’essayant avec art, avec étude, avec élégance, à des productions estimables et de transition. […] Alexandre Dumas fils Pierre Lebrun fut, en littérature, ce qu’on appelle un homme de transition, la fin d’une phase et le commencement d’une autre.

2721. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Est-ce au suffrage de quelques esprits frivoles, que doit se borner l’homme apostolique ? […] C’est ainsi, ajoute un homme d’esprit qui rapporte cette anecdote, qu’il traitoit en grand homme une fonction dont tant d’autres ne font qu’un métier.

2722. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 368-371

De tels hommes peuvent se flatter d’éclairer vraiment leur Patrie, & de la servir par leurs talens. […] « Gouverner les hommes, ce n’est point les asservir, c’est encore moins les écraser par la violence. Un tel usage du pouvoir est si contraire à l’idée du Gouvernement, que ce fut pour enchaîner ce pouvoir aveugle & féroce, que le Gouvernement fut institué : c’étoit pour que les hommes fussent libres, qu’il étoit nécessaire qu’ils fussent gouvernés : car le caractere de la multitude est de se laisser entraîner par la fougue des passions ; & ce fut pour nous soustraire à la tyrannie de la foule, que les Rois nous furent donnés.

2723. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Rien ne distingue un homme de naissance ; Tout le monde se donne un air de qualité. […] Le Maître de Musique est un homme fêté, Et jusques en carosse on voit rouler la danse. […] Le cœur est faux chez Amarante, Vesta nous montre un faux maintien, Lise est une fausse ignorante, Clindor est faux homme de bien.

2724. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi » pp. 120-123

Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi Non seulement il faut que le caractere des principaux personnages soit interessant, mais il est encore necessaire que les accidens qui leur arrivent, soïent tels qu’ils puissent affliger tragiquement des personnes raisonnables, et jetter dans une crainte terrible un homme courageux. […] Un tel malheur ne sçauroit l’abbattre s’il a un peu de cette fermeté sans laquelle on ne sçauroit être, je ne dis pas un heros, mais même un homme vertueux. […] Ne faites jamais chausser le cothurne à des hommes inferieurs à plusieurs de ceux avec qui nous vivons : autrement vous serez aussi blamable que si vous aviez fait ce que Quintilien appelle : donner le rôle d’Hercule à jouer à un enfant.

2725. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Cet effacement est plus ou moins grand, selon les divers esprits, et c’est ce qu’on exprime en disant que les hommes ont plus ou moins de mémoire. […] Des enfants et même des hommes sont tombés évanouis en présence d’un mannequin ou même d’un drap qu’ils croyaient un fantôme. […] « J’entendis une fois, dit Lieber, un prédicateur, homme de couleur, décrire les tourments de l’enfer. […] Lorsque je voulais continuer le premier portrait, je prenais l’homme dans mon esprit, je le mettais sur la chaise où je l’apercevais aussi distinctement que s’il y eût été en réalité, et, je puis même ajouter, avec des formes et des couleurs plus arrêtées et plus vives. […] Toutes les fois que je jetais les yeux sur la chaise, je voyais l’homme. » Il est clair que, pendant plusieurs minutes de suite, il prenait la figure imaginaire pour une figure réelle.

2726. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Ilarriva ainsi à s’en servir très suffisamment comme homme d’esprit, comme homme de goût et de lettres, non à en user familièrement dans l’entretien et les relations journalières, ni à les posséder non plus en vrai savant, à les rapprocher, à les rejoindre, à les déduire, à les expliquer l’une par l’autre. […] La Révolution de juillet 1830, qui ramena sur la scène tant de vieux masques et de revenants, fut aussi, dans une bonne moitié, la prise de possession du pouvoir par les hommes nouveaux et en définitive par les hommes jeunes, longtemps tenus à l’écart et évincés. […] Il n’avait de l’homme qui parle en public ni le masque, ni la bouche d’airain, ni le front : il n’avait pas le coup d’œil ni la flamme du regard : aucune action, aucun geste. […] Il ressemblait à un homme qui aurait laissé de côté la lecture d’un livre à une certaine page et qui le rouvrirait assez longtemps après, juste à l’endroit où il avait mis le signet : M.  […] La physionomie de l’homme m’y invite, et le cadre également.

2727. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

L’homme ne peut pas vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa conduite. […] Au lieu de chercher à comprendre les faits acquis et réalisés, elle entreprend immédiatement d’en réaliser de nouveaux, plus conformes aux fins poursuivies par les hommes. […] En effet, les choses sociales ne se réalisent que par les hommes ; elles sont un produit de l’activité humaine. […] Cette idée, les uns croient que l’homme la trouve toute faite en lui dès sa naissance ; d’autres, au contraire, qu’elle se forme plus ou moins lentement au cours de l’histoire. […] Dès lors, chaque homme cherche naturellement à se procurer une femme et une seule, parce que, dans cet état d’isolement, il lui est difficile d’en avoir plusieurs.

2728. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pioch, Georges (1874-1953) »

C’est le Génie qui se fait Verbe, et dans son vers l’on sent une force d’airain, l’on sent le glaive qu’accompagne une lyre d’or, son flamboiement qui s’écarlate, qui devient rouge de sang, rouge de Vie, et le poète passe, la tête altière, la gloire dans les yeux, splendide, à la conquête des Paradis futurs où viendront se rafraîchir de pureté et se baigner de beauté les souffrants, les esclaves, ceux qui demain seront les Hommes ! Ce livre est beau, c’est un cri d’amour, c’est un cœur qui vibre d’immensité, c’est une âme éprise de la musique des êtres et des choses, c’est l’œuvre véritable, l’œuvre d’un poète, l’œuvre d’un Homme, et nous remercions M.  […] Une grande et fraternelle pitié l’émeut pour les hommes et pour les choses, dont l’inconscience est presque égale et qui périraient sans jamais dévoiler leurs mystérieuses splendeurs, si les poètes ne savaient pas les paroles révélatrices.

2729. (1887) Discours et conférences « Préface »

L’homme n’appartient ni à sa langue, ni à sa race : il n’appartient qu’à lui-même, car c’est un être libre, c’est un être moral. […] Les grands hommes qui, en ce moment, gouvernent les affaires des peuples (avec quel succès ? […] Depuis que j’ai pu observer les choses humaines, j’ai vu huit ou dix écoles d’hommes d’État qui se sont crues en possession de la sagesse et ont traité ceux qui doutaient d’elles avec la dernière ironie.

2730. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain 10 mai 1870 Messieurs, L’Académie des inscriptions et belles-lettres ne saurait rester muette devant cette tombe, près de se refermer sur l’un des hommes qu’elle est le plus fière d’avoir possédés dans son sein. On vient de vous dire avec éloquence les services de l’homme d’État, les qualités de l’orateur, les rares mérites de l’écrivain. […] Comme de tous les grands hommes, on peut dire de lui que la mort ne l’atteindra pas.

2731. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

Rien autre chose, si ce n’est qu’il fut un homme armé de toutes pieces, mais qui ne combattit jamais que des fantômes qu’il se forgeoit lui-même. […] Dans les matieres philosophiques ou théologiques, c’est un homme qui ressuscite des erreurs pour les combattre ou leur donner de la force, selon ses caprices, & pour exercer sa démangeaison continuelle de raisonner sur tout & contre tout. […] Ce ne sont pas des hommes de cette trempe que la Religion nous présente dans ses Maîtres & dans ses défenseurs.

2732. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 56-59

L’un des hommes les plus éclairés & en même temps les plus modestes, qui eût pu se faire une réputation brillante dans la carriere littéraire, s’il eût appliqué à des genres d’agrément ses talens qu’il n’a consacrés qu’à des objets d’utilité. […] Soit qu’il peigne en lui le Guerrier, le Législateur ou l’Homme social, ses couleurs sont toujours naturelles & son style toujours intéressant, par les charmes que son pinceau répand sur tous les objets. […] Les hommes véritablement supérieurs ne connoissent point la jalousie, & honorent d’autant plus le mérite dans les autres, qu’ils en sentent mieux le prix, & qu’ils en ont davantage eux-mêmes.

2733. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 343-347

& l’on étoit surpris d’entendre raconter les anecdotes littéraires & politiques du temps par un homme que les Grecs, les Romains, les Celtes, les Chinois, les Péruviens, auroient pris pour leur Compatriote & leur Contemporain ». […] On pourroit prononcer son nom, sans rappeler aux hommes sages & religieux celui d’un homme qui a attaqué le plus ouvertement le Christianisme, & fourni le plus d’ armes aux extravagans adversaires qui l’ont attaqué après lui.

2734. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 497-500

C’est elle qui, de l’homme augmentant les besoins, Multip ie avec eux ses travaux & ses soins ; Qui, lui faisant haïr le repos & la joie, Aux avares soucis livre son ame en proie ; Qui lui fait de la Gloire ensanglanter l’Autel, Et courir à la mort, pour se rendre immortel. […] L’Auteur de l’Art Poétique n’auroit-il pas dû retrancher du nombre des mauvais Poëtes, un homme qui pensoit & versifioit ainsi* ? […] « C’étoit, dit M. de la Monnoie, un des hommes de son temps qui tournoit le mieux un vers.

2735. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 285-289

Jamais homme ne se sentit plus d’attrait pour la Littérature. […] Il en auroit obtenu une à l’Académie Françoise, sans sa Requête des Dictionnaires, Production satirique & ingénieuse, qui l’éloigna pour toujours de ce Corps ; ce qui fit dire à un des Membres*, qu’on auroit dû, d’après cette Piece, le condamner à en être, comme on condamne un homme à épouser une fille qu’il a déshonorée. […] Ses Origines de la Langue Françoise & de la Langue Italienne, considérablement augmentées depuis sa mort, sont d’un homme qui avoit un grand fond d’érudition, mais pas toujours le discernement bien sûr, ni la critique bien exacte.

2736. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

Les premieres inspirations de sa Muse furent consacrées à célébrer les Grands Hommes de son Siecle. […] Que je crains bien, écrivoit-il, à Gourreau, son Confrere, que je crains bien d’avoir reçu toute ma récompense, en recherchant trop les applaudissemens des hommes ! […] Le seul bon sens suffisoit pour les empêcher de concourir à une compilation indigne d'un véritable Homme de Lettres, & encore plus, d'un véritable Ecclésiastique.

2737. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre V. Ruines des monuments chrétiens. »

Ils ont passé sur ces plages inconnues, ces hommes qui adoraient la Sagesse qui s’est promenée sous les flots. […] vous ne racontez qu’une histoire paisible, ou tout au plus que les souffrances mystérieuses du Fils de l’Homme ! […] S’il est parmi les anges, comme parmi les hommes, des campagnes habitées et des lieux déserts, de même que vous ensevelîtes vos vertus dans les solitudes de la terre, vous aurez sans doute choisi les solitudes célestes pour y cacher votre bonheur !

2738. (1912) L’art de lire « Avant-propos »

De même un épigrammatiste inconnu, du moins de moi, disait, au commencement, je crois, du XIX « siècle : Le sort des hommes est ceci : Beaucoup d’appelés, peu d’élus ; Le sort des livres, le voici : Beaucoup d’épelés, peu de lus. […] C’est à quoi songeait Sainte-Beuve quand il disait : « Le critique n’est qu’un homme qui sait lire et qui apprend à lire aux autres. » Mais en quoi cet art consiste-t-il ? […] Mais, encore une fois, le critique est un homme qui ne sait lire qu’en critique et qui n’apprend à lire qu’en critique, qui n’enseigne que la lecture critique, dont, du reste, je ne songe à dire aucun mal.

2739. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Il était, de plus, un homme justement aimé et estimé pour son cœur. […] « Le roi, en louant son zèle, parut désapprouver qu’un homme de lettres se mêlât de choses qui ne le regardaient pas. […] Je ne vois aucun homme qui, soit moins suspect de la moindre nouveauté ! […] Avant d’être glorifié, il faut être supplicié : c’est la loi des grands hommes. […] Voilà la différence entre ces deux hommes.

2740. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

On est, insinue Pascal, agréablement surpris lorsque croyant trouver un auteur on rencontre un homme. […] Mais nous n’en avons pourtant à l’homme qu’à propos de l’auteur. […] Le Maître de Sacy, qui disait qu’il faut être déjà un homme de valeur pour écrire un méchant livre. […] Il n’est pas deux hommes qui vivent le même genre de durée ; et l’on peut concevoir une psychologie beaucoup plus avancée qui donnerait pour chaque homme (malgré la contradiction apparente des termes) une formule de sa durée. […] Tout homme de lettres un peu nerveux est sujet à des hallucinations analogues.

2741. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Excellent homme, type honnête, modèle de probité, très-instruit et à côté de cela assez ignorant ; fin, malin, un peu taquin, curieux ; bon observateur et tout à côté un peu naïf, un peu simple et, comme il s’agit de Paris, j’allais dire un autre mot. […] Delécluze un témoin très-attentif, un chroniqueur très-sincère, sinon toujours exact, des idées et des goûts de notre époque, un juge des hommes et des esprits d’autant plus à considérer et à contrôler qu’il ne se donne le plus souvent que pour un narrateur et un rapporteur impartial. J’ai pensé que cette dernière manière était encore la plus respectueuse, même envers un homme de l’âge de M.  […] Ce perpétuel Étienne, qui revient sans cesse comme le nom de César dans les fameux Commentaires, fait un premier effet assez singulier, mais qui n’est pas désagréable, la nature de l’homme étant donnée. […] Dans la vie d’un homme, il y a toujours des circonstances décisives qui l’enlèvent à la génération dont il procède, pour le placer au milieu de celle dont il fait partie.

2742. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Luzel nous définit à son tour son pays de Bretagne, « le pays par nous tous tant aimé, mer tout autour, bois au milieu. » Quoiqu’il soit vrai de remarquer que Brizeux n’a si bien réussi à faire accepter et aimer sa Bretagne que parce qu’il a donné ses idylles ou poëmes en français ; quoique les hommes qui ont fait ou qui font le plus d’honneur au nom breton soient encore des transfuges de cette patrie ou de cette langue primitive, Chateaubriand, Lamennais, Renan, je tiens compte à M.  […] Ame simple et droite, sans un repli, avec les instincts les plus loyaux, mais toujours un peu de chimère, aucun des intérêts, aucune des ambitions qui d’ordinaire saisissent les hommes dans la seconde moitié de la vie n’eurent jamais sur lui action ni prise ; il y resta constamment étranger, innocent de toute compétition, de toute jalousie, ne se comparant pas, ne se plaignant pas, satisfait dans son coin, s’y tenant coi comme dans son nid, le même après comme avant l’orage, d’abord et toujours jusqu’à la fin l’homme de la muse, du rêve, de la rime, de la bagatelle enchantée. […] D’autres y passeront sans y marquer leur place ; La mémoire de l’homme est l’oublieuse glace D’où les ombres s’en vont avec rapidité. […] Un des hommes qui ont droit d’avoir un avis sur la littérature et la poésie provençales et languedociennes, M.  […] L’archéologie y est devenue une vérité, une actualité : si l’on n’était homme du Nord et sceptique, on se croirait tout de bon à une renaissance.

2743. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

On sent que tout l’homme est désormais formé chez Loyson. […] Mais l’élégie de Loyson, même à l’heure de la convalescence, est d’un homme qui garde du frisson en soi, qui doit bientôt retomber et mourir : la méditation de Lamartine, jusque dans son mélodieux gémissement au contraire, est celle d’un poète qui doit vivre et qui recèle encore en lui des torrents de sève et de force. […] Delatouche, l’homme de ces malices-là, était né comme exprès pour être l’ennemi et l’envieux de Loyson, si Loyson avait vécu. […] Il y a dans l’âge de l’homme et de l’enfant un certain moment de transition qu’on appelle l’âge bête. […] Mais, ces points obtenus, l’ensemble fait défaut ; la juste proportion des choses et des hommes n’y gagne pas.

2744. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Le critérium, quoique insuffisant s’il est unique, est très juste : le poète dramatique se révèle vrai créateur d’hommes par plusieurs choses, en particulier par ceci qu’il a autant de styles qu’il a de personnages. […] On sait assez qu’Orgon, — et c’est une des grandes beautés de l’ouvrage — a deux caractères, selon, pour ainsi dire, qu’il est tourné du côté de Tartuffe ou tourné du côté de sa famille, autoritaire dans sa maison, docile au dernier degré devant « le pauvre homme ». […] Le style de Racine est le style de ses héroïnes, et l’on voit très bien que le style des hommes, chez lui, si savant qu’il soit, est plus tendu, plus voulu, j’hésite à dire plus artificiel, et semble lui avoir coûté plus de peine. […] On n’a pas compris ou point voulu comprendre, qu’au premier acte Chrysalde est en effet, l’homme raisonnable, et qui ne parle que raison, et qu’au quatrième, il est un bourgeois raillard qui, pour taquiner Arnolphe et le mettre en ébullition, soutient devant lui le paradoxe le plus propre à l’exaspérer. Et sans doute, il y a là, de la part de Molière, une légère faute au point de vue de la thèse à plaider puisqu’il la compromet ; mais l’erreur est plus grande encore de la part de ceux qui n’ont pas entendu qu’un homme de raison peut devenir à un moment donné un homme d’esprit et qui s’amuse.

2745. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Tout homme et tout animal, à tout moment de sa vie, possède ainsi une certaine provision d’images nettes et aisément renaissantes, qui, dans le passé, ont pour source un confluent d’expériences nombreuses et qui, dans le présent, sont nourries par un afflux d’expériences renouvelées. […] Un homme qui, ayant parcouru une allée de peupliers, veut se représenter un peuplier, ou qui, ayant regardé une grande basse-cour, veut se représenter une poule, éprouve un embarras. […] « Un homme, dit Abercrombie, né en France, avait passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre, et, depuis plusieurs années, avait perdu entièrement l’habitude de parler français. […] Macario a cité l’exemple très significatif d’une jeune femme somnambule à laquelle un homme avait fait violence et qui, éveillée, n’avait plus aucun souvenir, aucune idée de cette tentative. […] « Un homme de soixante ans et bien portant laisse se fermer un ulcère qu’il avait depuis longtemps à la jambe.

2746. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

La première nécessité de l’homme en société, c’est l’ordre conservé ou rétabli ; l’idéal ne vient qu’après. […] « Prospérité sociale, cela veut dire l’homme heureux, le citoyen libre, la nation grande. […] Une ombre étrange, gagnant de proche en proche, s’étendait peu à peu sur les hommes, sur les choses, sur les idées ; ombre qui venait des colères et des systèmes. […] Depuis, la maison resta inhabitée, et tomba lentement en ruine, comme toute demeure à laquelle la présence de l’homme ne communique plus la vie. […] « Dieu, c’est la plénitude du ciel ; l’amour, c’est la plénitude de l’homme !

2747. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Nous ferons comme les autres, et nous dirons notre mot sur l’homme d’esprit, sur l’homme de talent disparu, en tâchant d’être juste, et en adoucissant par endroits cette justice d’un peu de cette indulgence dont chacun de nous a besoin le jour où il tombe. […] M. de Latouche, l’un des hommes de nos jours qui ont le plus écrit depuis quarante ans et de tous les côtés, avait eu l’art d’échapper en partie à cet enregistrement et à ce cadastre littéraire. […] Cet homme a pourtant des accents qui sortent du cœur, bien qu’ils ne durent pas. […] Ces lettres présenteraient donc le contraste singulier de deux hommes, dont l’un a été toujours malheureux, et, parce qu’il a été malheureux, est devenu pape, l’autre, toujours heureux, est resté Arlequin. […] Dans les journées de juillet 1830, M. de Latouche se montra homme d’énergie et de cœur.

2748. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Il fallut toujours tromper un peu les hommes pour s’en faire écouter. […] Cet ouvrage semble n’avoir été fait que pour les Princes, & l’art de l’auteur a su le rendre utile à tous les hommes. […] L’écrivain qui charme d’abord la multitude est rarement un homme supérieur. […] Huet, Evêque d’Avranches, l’homme le plus érudit de son siecle, & homme de goût malgré cette érudition ; cet Evêque, dis-je, n’a point dédaigné d’écrire sur les Romans. […] On sait maintenant qu’il se trouve des hommes dans tous les états, & que nul état ne donne exclusion à la vertu.

2749. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Véron.] » pp. 530-531

J’accorderai, certes, à Véron en bien des points tout ce qu’il voudra : d’être un homme d’esprit (c’est bien juste), même d’être un homme de goût, d’être un amphytrion modèle, d’être un impresario habile, un directeur de théâtre ou de journal comme il n’y en a pas ; d’être… quoi encore ? […] Mais Turenne fit toujours la sourde oreille et refusa de délivrer un titre pour autoriser une chose si contraire à la vérité : « C’est ainsi, disais-je, qu’il m’a toujours paru, si parva licet componere magnis, qu’un vrai critique ne devait pas accorder à Véron la seule qualité précisément à laquelle il n’avait aucun droit. » Règle générale et qui, du petit au grand, ne souffre pas d’exception : il n’est jamais permis à un homme réputé expert dans un métier de mentir et d’aider à tromper le public sur une chose essentielle au métier.

2750. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Elskamp, Max (1862-1931) »

— Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre (1896). — La Louange de la Vie (1898). — Enluminures (1898). […] Albert Arnay Le titre seul, Six chansons de pauvre homme pour célébrer la semaine de Flandre, dit bien ce que le poète s’est proposé. […] Il se veut un enfant ; il est l’oiseau des légendes qu’un moine écouta pendant plus de cinq cents ans ; et, de même qu’en la légende, lorsqu’on l’a écouté et qu’on revient à la vie, il y a du nouveau dans les gestes des hommes et dans les yeux des femmes.

2751. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

En effet, celui-là connaîtra mieux les hommes, qui aura longtemps médité les desseins de la Providence ; celui-là pourra démasquer la sagesse humaine, qui aura pénétré les ruses de la sagesse divine. […] Qu’on vante tant qu’on voudra celui qui, démêlant les secrets de nos cœurs, fait sortir les plus grands événements des sources les plus misérables : Dieu attentif aux royaumes des hommes ; l’impiété, c’est-à-dire l’absence des vertus morales, devenant la raison immédiate des malheurs des peuples : voilà, ce nous semble, une base historique bien plus noble, et aussi bien plus certaine que la première. Et pour en montrer un exemple dans notre révolution, qu’on nous dise si ce furent des causes ordinaires qui, dans le cours de quelques années, dénaturèrent nos affections, et affectèrent parmi nous la simplicité et la grandeur particulières au cœur de l’homme.

2752. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XV. Le fils du sérigne »

Le gourgui demande à cet homme : « Comment t’appelles-tu ?  […] » « — Cela veut dire, répond le sérigne, qu’à la fin du monde seuls les hommes riches seront en bons rapports entre eux. […] Ouarhambâné, célibataire, homme dans la force de l’âge.

2753. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »

Avant qu’il revint, l’homme avait lié ensemble trois pilons à mil et les avait placés sous la couverture de façon à faire croire que c’était un homme qu’elle recouvrait. […] Le lendemain l’homme appela sa vieille mère et lui raconta ce qui s’était passé.

2754. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Ce sont d’autres souvenirs du pays et de la famille, des noces singulières, des retours de vacances, des adieux et de tendres envois d’un fils à sa mère, de calmes et riants intérieurs de félicité domestique ; ce sont par endroits des confidences obscures et enflammées d’un autre amour que celui de Marie, d’un amour moins innocent, moins indéterminé et qui peut se montrer sans rivalité dans les intervalles du premier rêve, car il n’était pas du tout de même nature ; ce sont enfin les goûts de l’artiste, les choses et les hommes de sa prédilection, le statuaire grec et M. Ingres sectateur de l’antique beauté, des vers à la mémoire de ce Georges Farcy que sa mort a révélé à la France, et qui eût aimé ce livre s’il avait vécu, et qui, en le lisant, eût envié de le faire ; partout une nature élégante et gracieuse à laquelle le cœur se confie ; partout de bienveillantes images et un pur désir du beau : le doux Virgile en robe traînante et les cheveux négligés, s’appuyant sur le bras de Mécène au seuil du palais d’Octave ; un doute tolérant et chaste, la liberté clémente ; Jésus homme ou Dieu, dit le poëte, mais qui possède à jamais l’univers moral, et qui, s’il doit mourir, ne mourra que comme le père de famille, après que toute sa race, la race des fils d’Adam, sera pourvue ; — ce sont des vers comme ceux-ci, inspirés par le joli pays de Livry, que Mme de Sévigné chérissait déjà : ………. […] Quand les hommes n’ont plus que des songes moroses, Heureux qui sait se prendre au pur amour des choses, Parvient à s’émouvoir et trouve hors de lui, Hors de toute pensée, un baume à son ennui ! […] Tout homme de notre âge, dont la vie n’a pas été celle d’une jeune fille de province, tout homme que ses passions ou les circonstances ont mêlé aux diverses classes de notre civilisation si vantée, et qui ne les a pas envisagées, comme trop souvent, avec des yeux cupides et un cœur endurci, celui-là sait fort bien ce qu’il y a de trop misérablement vrai au fond de cette lie où M.

2755. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Il a recherché les habitudes vertueuses qui doivent régler ce commerce et s’étendre à tous les entretiens que les hommes ont les uns avec les autres. […] «  Sans douceur, les assemblées des hommes ne seraient que des troupes d’ennemis, ou des cercles d’admirateurs réciproques. […] Je crois cet éloge bien mérité : et il est difficile de le croire une plate louange, quand on considère l’homme qui la donne, le fonds de l’ouvrage où il l’a placé, le sentiment qui l’anime en l’écrivant, celui qu’il suppose à la personne pour qui il l’écrit ; et enfin cet éloge vient si naturellement à la place où il se trouve, qu’on ne peut y méconnaître une sorte d’à-propos qui ne serait pas venu à l’auteur pour une femme vulgaire. L’auteur cite plusieurs exemples de l’urbanité des plus illustres Romains du temps de la république, « même de ce fâcheux et insupportable homme de bien, Caton le censeur. […] L’auteur y oppose l’amour de la gloire qui, chez les peuples anciens, à Rome surtout, payait les plus grands services ; il s’exalte de nouveau et avec une éloquente chaleur au souvenir de ces grands hommes de la république romaine, dont il sent si bien la dignité.

2756. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Un coup qu’un autre nous donne, un objet qu’il nous enlève, nous fait faire tout de suite connaissance avec un ordre de phénomènes qui dépend si peu de nos désirs qu’il les contrarie : c’est le non-moi ; et ce non-moi ne reste pas à l’état d’entité métaphysique, abstraite, car il a la forme, par exemple, d’un homme qui nous frappe ou qui nous prend notre morceau de pain, d’un animal qui nous mord, etc. […] Nous y voyons notre image comme en un miroir, mais une image qui se retourne contre nous, nous bat, nous fait mal, nous résiste : le non-moi devient autrui, il devient vous ou lui, un autre homme, un autre être vivant en chair et en os. […] Encore moins avons-nous besoin, avec Fichte, d’invoquer le devoir pour attribuer une réalité à la bête qui nous mord ou à l’homme qui nous fait violence. […] Nous avons rappelé tout à l’heure que Fichte n’invoquait rien moins que le devoir pour être certain de l’existence d’autres hommes, parce qu’il partait d’un moi supposé seul et ayant le privilège de se concevoir dans son indépendance. […] Loin de naître isolé dans sa monade, l’être vivant, surtout l’homme, naît en relation avec d’autres êtres semblables à lui.

2757. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. […] C’est elle qui a donné à l’homme la raison qui lui conseille de tuer les loups. […] Un homme n’ayant plus, etc… Cette fable n’est que le récit d’une aventure dont il ne résulte pas une grande moralité. […] Si ce sont de petits princes, alors ils servent dans un grade militaire considérable, ont de grosses pensions, de grandes places, etc… Enfin, cette fable me paraît s’appliquer beaucoup mieux à cette espèce très-nombreuse d’hommes timides et prudens, ou quelquefois de fripons déliés qui se servent d’un homme moins habile, dans des affaires épineuses dont ils lui laissent tout le péril, et dont eux-mêmes doivent seuls recueillir tout le fruit.

2758. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Non qu’en beaucoup de points il ne mérite de l’être… Je me hâte de le dire d’abord, pour éviter le cri et le cabre ment de ces esprits qui avalent un homme en bloc et qui prennent toute gloire pour une hostie, dans chaque partie de laquelle il y a un Dieu tout entier. […] Faire, de système et de réflexion, acte négatif de raison en histoire au lieu de faire acte positif de compréhension historique, chicaner le fait mystérieux qui est à l’origine de tout, en histoire aussi bien qu’en nature humaine et quand la chicane qu’on en fait est impuissante, le supprimer d’autorité et passer outre, — comme Thucydide a passé outre sur les temps barbares de la Grèce, — est-ce là réellement le dernier mot du génie humain dans une race, et du génie d’un homme qui, dans cette race, à un moment donné, écrit l’histoire ? […] Et, de fait, il doit avoir raison encore, notre très logique commentateur : si le génie grec est le plus beau génie qu’il puisse y avoir parmi les hommes, sa poétique doit participer de la beauté incomparable de ce génie. […] Jules Girard, qui finit par se dépraver dans ces accointances grecques, conclut au nom de cette raison, dont l’art, pour lui, relève, que l’émotion, la plus noble émotion de l’homme, n’est rien dans la recherche du vrai et dans l’histoire de l’humanité ! […] Comment est-il possible de juger un homme, si on ne se sépare pas de lui dans une atmosphère quelconque, — si on ne se place pas plus haut que lui pour l’embrasser mieux et le voir tout entier ?

2759. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

En polémique, c’est un sanglier qui va droit devant lui, tête baissée, et qui, brusquement, vous découd son homme. […] Ce n’est, en effet, que quand elles sont par terre, qu’on peut juger de la grandeur des sociétés, comme de celle des hommes : « Je ne le croyais pas si grand !  […] Il est entré dans l’histoire et il a parlé comme on entre et on parle au café de Madrid ; et cette façon sans cérémonie d’être historien, ce lâché, ce débraillé, ce cure-dents aux lèvres, devront paraître très piquants dans une société qui ne se gêne plus et où les hommes, dégingandés dans leurs ganaches, mettent leurs pieds sur la cheminée de leurs maîtresses. […] puis à de Champagny, dans ses Douze Césars, lorsque, pour être juste, il fallait peut-être remonter au prince de Ligne, qui, dans son adorable dictionnaire de ses grands hommes, se servit des formes de la langue moderne pour exprimer des choses antiques, avec le laisser-aller, le caprice et les familiarités d’un prince. […] Voilà pourtant toutes les raisons de l’espèce d’amende honorable que fait, sans torche, sans-corde au cou et sans escalier de Palais de Justice, l’auteur d’un livre qui n’avait qu’à le signer pour en tirer l’honneur qu’il mérite, et qui ne craint pas d’avilir son livre, en le condamnant… L’auteur d’À travers l’Antiquité ressemble, dans son épilogue, à l’homme qui a peur d’un pétard qu’il vient d’allumer.

2760. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures ; figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux ; et ceux-là les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme, et vous avez la poésie de M.  […] L’esprit des hommes, qu’il bouleverserait en atomes, n’est pas capable de l’absorber dans de telles proportions, sans le revomir, et une telle contraction donnée à l’esprit de ce temps, affadi et débilité, peut le sauver, en l’arrachant par l’horreur à sa lâche faiblesse. […] … Quand un homme et une poésie en sont descendus jusque-là, — quand ils ont dévalé si bas, dans la conscience de l’incurable malheur qui est au fond de toutes les voluptés de l’existence, poésie et homme ne peuvent plus que remonter. […] Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une épongé pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, — car il a des mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage.

2761. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Quand il publia ses dernières poésies, — Émaux et Camées, — je consacrai, dans ce livre des Hommes et des Œuvres 31, une longue étude à ce talent savant et laborieux. […] Mais c’est un si bon homme ! et qu’il est plus que temps, pour l’honneur de tous, d’en finir avec ce capitonnage dérisoire du même mot qu’on répète contre la Critique, surtout quand il s’agit d’un homme qui ne demande pas quartier, lui, et qui a bien assez de talent pour entendre une fois la vérité, — ce qui le changera ! […] L’amour-propre de l’homme a voulu tenir un engagement de jeunesse, et de toutes les conditions qui puissent être faites à l’inspiration, je n’en connais pas de plus triste. […] Gautier n’est pas un de ces hommes qui procèdent par inspiration et qui ont l’ardente maternité de leurs œuvres.

2762. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Je pensais au livre terrible de Swift sur les domestiques, et je me demandais si nous allions avoir affaire à un esprit de cette cruauté tigre, ou à un de ces esprits androgynes qui ont de la femme autant que de l’homme dans leur organisation intellectuelle. […] L’homme assez souple pour écrire les lettres rouges de désir et sans orthographe de cette petite pensionnaire de seize ans qui s’appelle Cécile de Volanges pouvait peut-être écrire les Mémoires d’une femme de chambre et faire croire à leur réalité ! Mais l’auteur des Mémoires d’aujourd’hui n’était ni la femme de son titre, en supposant que ce ne fût pas une femme, ni même l’homme qu’il aurait fallu pour la remplacer. Elle ou lui n’était pas même capable d’une faute d’orthographe, la pauvre femme ou le pauvre homme ! […] Elle n’a donc servi, disons le mot, que chez des coquines, et cette particularité seule ôte au livre toute nouveauté, toute profondeur et toute portée, rien n’étant plus connu et plus rabâché sur les théâtres, dans les livres et dans les journaux de ce temps, que l’existence de ces dames, qui n’a rien, du reste, de bien compliqué, puisque c’est toujours le même luxe extravagant et gâcheur, la même manière de tromper et de voler leurs hommes, la même abjection d’âme et de langage, le même mutisme de sens moral et d’autres sens, et enfin la même stupidité souveraine, que je ne reprocherais pas cependant à un observateur tout-puissant de peindre encore, s’il en tirait des effets nouveaux et des choses nouvelles !

2763. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

… et penser à tant de belles choses modernes qui mourront, mon cher, sans un homme, sans une main qui les sauve ! […] L’habit noir ou la jaquette des hommes, les chiffons des femmes, l’asphalte du boulevard, le petit journalisme, le bec de gaz et demain la lumière électrique, et une infinité d’autres choses en font partie. […] Charles Demailly, homme de lettres, épouse par amour une jolie actrice, Marthe, petite personne jolie, sotte et sèche, qui le prend en haine, le calomnie, le torture dans son cœur et dans son honneur et le précipite enfin dans la folie incurable. […] Ainsi un homme qui marche à l’intérieur d’une maison, si nous regardons du dehors, apparaît successivement à chaque fenêtre, et dans les intervalles nous échappe. […] Encore y a-t-il plusieurs de ces fenêtres où l’homme que nous attendions ne passe point.

2764. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Plus jeune d’âge que la plupart des hommes de ce premier mouvement, le précoce Leopardi se trouve débuter en même temps qu’eux ; il va en ligne avec les Manzoni, les Berchet, les Grossi, et ne vient à la suite de personne : il se lève de son côté, tandis qu’eux marchaient du leur. Le rapprocher de ces hommes éminents, de ces écrivains généreux, marquer les rapports exacts et les différences, conviendrait à des juges mieux informés et plus compétents que nous. […] Mais Leopardi garde en lui, nous le répétons, ce trait distinctif qu’il était né pour être positivement un Ancien, un homme de la Grèce héroïque ou de Rome libre, et cela sans déclamation aucune et par la force même de sa nature. Il croyait que là seulement l’homme avait eu une vue simple des choses, un déploiement heureux et naturel de ses facultés. […] Nos idées et nos lumières ont pu améliorer l’ordre social, mais je ne sais si les hommes des temps modernes sont meilleurs pour être plus faibles, et les progrès ne sont pas des vertus. » Cette page est un beau commentaire de la manière de sentir de Leopardi.

2765. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Il avait le Temple pour son Palais-Royal et son Louvre, l’Ile-Adam pour son Chantilly, le Parlement pour théâtre d’influence et foyer de demi-opposition ; chez lui, au Temple ou à l’hôtel de Conti, homme d’esprit et de plaisir, il avait l’abbé Prévost pour aumônier (in partibus), Le Brun-Pindare pour poète, Mme de Boufflers pour amie, et toutes les femmes pour maîtresses. […] J’ai entendu parler d’un homme de grand jugement, nullement lié avec vous, qui soutenait en public dans une compagnie que, si le bruit était fondé, rien ne pourrait donner une plus haute idée des louables et nobles principes de votre ami] (le prince). […] Il faut voir quelles précautions il prend pour sonder une plaie si ouverte et si saignante, et pour en ôter tout ce qui peut l’irriter et l’envenimer : « Les princes, plus que les autres hommes, remarque-t-il, sont nés esclaves des préjugés, et ce tribut leur est imposé comme une sorte de représailles par le public. […] On doit s’attendre que des hommes dans sa condition ne seront pas poussés à agir par des mobiles privés… Il pourrait faire sans doute un pas extraordinaire en considération d’un mérite extraordinaire… Mais, s’il ne le fait point, aurait-on bonne grâce à s’en plaindre et à en concevoir le moindre ressentiment ?  […] Des hommes de sens, de goût et de littérature, s’accoutumeront d’eux-mêmes à fréquenter votre maison.

2766. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Dominique, homme de plus de quarante ans alors et tout adonné aux occupations rurales. […] Pendant ce temps, dans la cour de la ferme, des servantes passaient, une chandelle à la main, allant et venant de la cuisine au réfectoire, et quand l’instrument s’arrêtait pour reprendre haleine, on distinguait les craquements du treuil où les hommes de corvée pressaient la vendange. […] Il avait gardé sa tenue de chasse, et rien ne l’eût distingué des hommes de peine, si chacun d’eux ne l’eût appelé Monsieur notre maître. […] Olivier d’Orsel son ami est, au contraire, un amoureux pur, un homme qui, quand il suit une piste féminine, s’y attache uniquement, et qui ne se consolerait pas de la manquer. […] L’homme bien né, ainsi qu’on l’entendait autrefois, était au milieu des belles choses comme dans son élément ; il y était chez lui, non pas insensible sans doute à la finesse et à la noble élégance des objets qui l’entouraient, mais il ne s’y montrait pas non plus perpétuellement attentif et tout occupé de les faire remarquer aux autres ; il vivait au milieu, il en usait, et il vaquait à ses affaires, à ses plaisirs, à ses sentiments.

2767. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

M. de Talleyrand péchait par là : « Il n’était pas homme, nous dit sir Henry Bulwer, à créer, à stimuler, à commander. […] Sachons voir les hommes sans parti pris et par tous leurs aspects ; écoutons-les parler sur leur vrai ton. […] Royer-Collard était depuis longtemps un homme, un nom dont on aimait à se couvrir quand on avait un côté faible. […] Royer-Collard et à le rechercher comme l’homme de bien le plus considéré dans la politique. […] Royer-Collard en entrant dans le salon fut : « Monsieur, vous avez des abords bien sévères… » On ne dit pas la suite ; mais interpellé de la sorte, l’homme à l’esprit de riposte ne dut pas être en reste.

2768. (1933) De mon temps…

Homme de cour, homme de société, le comte Primoli avait en lui de l’homme de Lettres. […] Si France était plutôt « l’homme d’un salon » qu’un « homme de salons », il en fréquentait volontiers quelques-uns, autres que celui dont il était le principal et glorieux ornement. […] Frédéric Masson était un terrible homme et pourvu d’un « fichu caractère ». […] Elle fait aussi la part dans l’homme aux sentiments les plus subtils et les plus délicats. […] Maurice Maindron n’était qu’en apparence un « homme terrible ».

2769. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Ingénieux et flexible, chatouilleux et inquiet, Villemain est l’homme qui gagne le plus à être averti : avec quelle rapidité il répare ! […] Trois hommes éminents ont exercé la plus grande influence sur la direction des esprits et des études en France depuis vingt-cinq ans, et on peut dire qu’ils ont été véritablement les régents de cet âge : Guizot, Cousin et Villemain. […] Il s’est jeté dans les voies de la Congrégation et s’y est poussé en s’accrochant au pan de l’habit du duc de Montmorency, très-saint et un peu dupe ; il s’est posé en traducteur de la Bible sans savoir l’hébreu ; puis, plus tard, il est devenu l’homme de M. de Villèle, son organe, son conseiller, son flatteur. […] Or, c’est cet homme qui, depuis la révolution de Juillet, s’avise de prêcher le suffrage universel et de faire alliance avec l’extrême gauche républicaine qui ne le repousse pas.

2770. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

On dit aussi qu’elle aimait comme un homme, sans plus de scrupules et de la même façon. […] Elle est restée jusqu’au bout la petite fille qui, dans les traînes du Berry, inventait de belles histoires pour amuser les petits pâtres… Je suis sûr que les aventures singulières et mystérieuses de l’Homme de neige, de Consuelo et de Flamarande me raviraient encore. […] Elle a reflété dans ses livres toutes les chimères de son temps ; et, comme elle était femme, elle a ajouté à son rêve celui de tous les hommes qu’elle a aimés. […] Elle a été un sein nourricier pour verser aux hommes la poésie et les beaux contes.

2771. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Non-seulement il s’étudiait à inspirer à ses amis un respect profond pour les œuvres des grands hommes, mais il voulait toujours qu’au lieu de se rebuter des défauts d’une production médiocre, on cherchât dans un livre, dans une gravure, dans le plus faible et le plus pâle essai, une étincelle de vie…. […] En effet, tout homme qui écrit un livre est mû par trois raisons : premièrement, l’amour-propre, autrement dit, le désir de la gloire ; secondement, le besoin de s’occuper, et, en troisième lieu, l’intérêt pécuniaire. […] « On m’a reproché, par exemple, d’imiter et de m’inspirer de certains hommes et de certaines œuvres. […] Il y avait alors, parmi les jeunes artistes, d’immenses et respectables familles, et des milliers de mains travaillaient sans relâche à suivre les mouvements de la main d’un seul homme.

2772. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

… Des esprits attardés, les traînards des questions résolues, peuvent parler encore du livre, comme Jocrisse, dans la pièce, se met à battre les brigands quand il sait qu’ils sont des hommes de paille ; mais, pour tout ce qui n’a pas à l’esprit les pieds et sur l’esprit l’écaille de la tortue, la Vie de Jésus, qui a été les Misérables de 1863, aura le sort des Misérables, dont les flatteurs d’Hugo eux-mêmes n’osent plus parler ! […] Victor Hugo est resté après les Misérables le Victor Hugo qu’il était avant, c’est-à-dire un homme très capable de nous donner un grand livre après un mauvais, comme il nous a donné la Légende des siècles après les Contemplations, tandis qu’Ernest Renan, qui n’est pas de cette taille de génie, a été tué net sur le livre qu’il a fait et qu’il lui est impossible de surpasser… Pour faire plus de bruit, Renan a crevé son tambour. […] Le fossoyeur littéraire peut donc donner son coup de pioche également dans le livre et dans l’homme, — deux débris ! […] je trouve aussi dans ce livre tous les vices de la pensée d’un homme qui se déprave de plus en plus, et qui, à chaque nouveau volume, augmente l’embarras de la Critique la plus résolue, par un système historique que l’on ne peut résumer que par le mot dont il devrait bien faire son titre : « De la Porcherie dans l’Histoire ! 

2773. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Introduction L’histoire de l’évolution de la vie, si incomplète qu’elle soit encore, nous laisse déjà entrevoir comment l’intelligence s’est constituée par un progrès ininterrompu, le long d’une ligne qui monte, à travers la série des Vertébrés, jusqu’à l’homme. […] D’un esprit né pour spéculer ou pour rêver je pourrais admettre qu’il reste extérieur à la réalité, qu’il la déforme et qu’il la transforme, peut-être même qu’il la crée, comme nous créons les figures d’hommes et d’animaux que notre imagination découpe dans le nuage qui passe. […] Mais la ligne d’évolution qui aboutit à l’homme n’est pas la seule. […] A la différence des systèmes proprement dits, dont chacun fut l’œuvre d’un homme de génie et se présenta comme un bloc, à prendre ou à laisser, elle ne pourra se constituer que par l’effort collectif et progressif de bien des penseurs, de bien des observateurs aussi, se complétant, se corrigeant, se redressant les uns les autres.

2774. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIII » pp. 53-57

— Un homme d’esprit classique, mais qui l’est véritablement, et comme on l’était dans l’ancienne littérature, ayant lu la tragédie de Lucrèce, m’en faisait hier de grandes critiques ; il s’étonnait qu’on eût fait à cette pièce la réputation d’être classique comme on l’entendait de son temps ; il m’en citait des vers étranges selon lui, et d’autres qui sentent leur latinisme comme si l’auteur fût resté à moitié chemin en traduisant. […] Mais au fond je trouvais que mon homme d’esprit académicien faisait preuve de goût et de franchise en me parlant ainsi ; et que nos autres académiciens non romantiques qui se sont pris subitement à vouloir revendiquer cette œuvre comme de leur école sont dupes et vraiment niais. […] Je viens d’acheter sous les galeries de l’Odéon une petite brochure intitulée Anti-Lucrèce 17, avec cette épigraphe, Servum pecus, et débutant ainsi : « Un avocat nous a été amené de Vienne en Dauphiné pour être un grand homme. » On l’avait fait venir d’Amiens pour être suisse.

2775. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 37, que les mots de notre langue naturelle font plus d’impression sur nous que les mots d’une langue étrangere » pp. 347-350

Voilà pourquoi le même discours ébranle en des tems inégaux, un homme d’un temperament vif, et un autre homme d’un temperament lent, quoiqu’ils en viennent enfin à prendre le même interêt à la chose dont il s’agit. […] L’étranger qui fait plûtôt fortune dans une cour, qu’un homme du païs, est réputé avoir plus de merite que celui qu’il a laissé derriere lui.

2776. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Ce doit être un digne homme ; car il succède à un homme sensible, adoré de ses paroissiens. […] Pauvre Milly, disais-je à mes filles tout bas, quel dommage que la France n’ait pas pu te racheter, pour que cet homme ait au moins pleuré où il a souri ! […] Vous n’y serez plus seule, des hommes et des femmes y seront avec vous et vous tiendront compagnie tout le jour ; vous aurez du pain, et surtout vous n’aurez plus peur les nuits d’hiver des loups qui viennent gratter à votre porte. […] Edmond Texier ; il a beaucoup de talent pour attendrir les hommes charitables. […] À notre retour au château nous trouvâmes le curé, homme de Dieu, et les deux religieuses qui nous prièrent d’accepter l’hospitalité dans le couvent et qui nous avaient préparé un frugal souper.

2777. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Lorsque s’approche et monte, inimplorée, la séculaire ondée d’un déluge, les hommes de haute taille pour n’être pas emportés se redressent, et se réfugient aux sommets lointains. […] Nous avions en effet fait enfin connaissance avec ce diable d’homme. […] Notre presse — musicale ou non — se hâta d’écrire des articles très fins sur Wagner : un homme qui disait savoir plus en musique que nos meilleurs professeurs ; un homme qui avait annoncé son intention de détruire l’opéra et de le reconstruire à neuf d’après un système nouveau. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse avec un homme comme ça ? […] Deux ou trois hommes qui savaient ce que Wagner était vraiment, apparurent parmi nous et commencèrent, d’une manière bien modeste encore, à nous enseigner.

2778. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Vous diriez des personnages gothiques bernant un pauvre homme dans la tapisserie dont ils sont descendus. […] Entre lui et le reste des hommes, rien de commun que l’air du ciel. […] Cet homme heureux a une fille, une fille à marier, qui se présente à ses prétendants avec un demi-million dans chaque main. […] Montrigaud, survenu, est invité à ce pique-nique de famille, — ni hommes, ni femmes, tous bohèmes. […] Nous avons été sévère, car vis-à-vis d’un homme du talent de M. 

2779. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Mais il y revint bien autre qu’il n’y était d’abord : « Un savant homme, a-t-il dit quelque part, qui essuie la censure d’un ennemi redoutable, ne tire jamais si bien son épingle du jeu qu’il n’y laisse quelque chose. » Bayle laissa dans cette première école qu’il fit tout son feu de croyance, tout son aiguillon de prosélytisme ; à partir de ce moment, il ne lui en resta plus. […] Amyrault ; il ajoute, il est vrai, par correctif : s’il n’y a pas plus sujet de pleurer que de se divertir, en voyant les faiblesses de l’homme. […] Or, comme on sait, Rarement à courir le monde On devient plus homme de bien ; rarement du moins, on devient plus croyant, plus occupé du but invisible. […] Aussi on m’avouera qu’un homme qui a presque toujours la plume et les livres à la main ne sauroit trouver assez de temps pour toutes ces choses. […] Un homme d’esprit a comparé drôlement le Dictionnaire de Bayle, où end of footnote from the previous page : le texte disparaît sous les notes, à ces petites boutiques ambulantes lentement traînées par un petit âne qui disparaît sous la multitude de jouets et de marchandises de toutes sortes étalées sur chaque point aux regards des passants : ce petit âne, c’est le texte.

2780. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

C’est d’ailleurs un événement à peu près unique dans la vie, et qui sert plus qu’aucun autre à la connaissance parfaite de cette classe d’hommes qu’on appelle courtisans. […] Il est de cette lâche espèce d’hommes qui n’ont pas même le courage d’être bas et vils pour leurs intérêts, et dont la platitude est toujours au service de celui qui a l’apparence de la faveur. […] Quoique L…… soit un homme vil et sans honneur, il ne faut pas confondre sa bassesse avec celle de M. d’A….. ; elle est d’un caractère un peu plus noble, au moins plus hardi. C’est une espèce de fou qui ne manque pas d’esprit, à qui les caresses de Mme Dubarry et la confiance du roi dans cet horrible rapport avaient tourné la tête, qui se croyait un personnage, un homme à crédit, que cette idée disposait à tout faire pour l’avantage de cet indigne fripon, mais qui au moins était capable de mettre plus de force et plus d’intrépidité dans ses infamies ; homme d’ailleurs d’une crapule indécente, d’une déraison choquante et d’une insolence brutale. […] Son affaissement, le peu d’inquiétude qu’il témoignait, lui qui était l’homme du monde le plus douillet et le plus penaud, me paraissaient la preuve la plus décisive du danger de son état à ajouter au danger seul de la nature de sa maladie.

2781. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

« Est-ce curieux, notent les de Goncourt à propos de Belot, est-ce curieux : cet homme qui, dans la souffrance, a des sensations distinguées, assaisonnées de remarques et de réflexions presque littéraires, lorsqu’il écrit est absolument dénué de littérature et ne se doute pas du tout de ce qui fait la beauté d’un livre. »41 Si l’être qui souffre n’est plus un médiocre, le résultat s’élève d’autant. […] C’est un cerveau très affiné, un cerveau supérieur depuis qu’il est malade. » Et Xaxier Aubryet, en temps ordinaire strictement homme d’esprit42, atteignait au plus terrible pittoresque dès qu’il peignait ses douleurs : « Je deviens aveugle, disait-il, de jour en jour, je descends dans l’ombre ; j’ai vu, tour à tour, disparaître les barreaux de ma fenêtre puis la vitre elle-même ; et maintenant je n’aperçois plus qu’une tache de lumière lorsqu’elle m’arrive à bout portant ! […] Il se crut perdu, puis dans l’accablement qui l’écrasa, une énergie d’homme acculé le mit sur son séant, lui donna la force d’écrire à son médecin. » Traitement par les lavements nutritifs à la peptone d’abord, puis préparés suivant la formule : Huile de foie de morue 20 grammes Thé de bœuf 200 grammes Vin de Boulogne 200 grammes Jaune d’œuf N°1   « Puis l’estomac se décida à fonctionner », les nausées et les vomissements sont domptés par la bière de gingembre et la potion antiémétique de Rivière et on parvient à lui faire avaler, par les voies ordinaires, un sirop de punch à la poudre de viande. […] Pour l’opium, Baudelaire avait un guide plutôt que de personnels souvenirs : Thomas de Quincey, helléniste distingué, écrivain supérieur, homme d’une respectabilité complète56, qui osa jeter à la face pudibonde de l’Angleterre l’aveu de sa passion pour la « Noire idole », « décrire cette passion, en représenter les phases, les intermittences, les rechutes, les combats, les enthousiasmes, les abattements, les extases et les fantasmagories suivies d’inexprimables angoisses. » 57 ⁂ De telles expériences ne valent que par les résultats artistiques qui peuvent en découler. Et parmi les genres variés que l’homme inventa de se désagréger, tous ne sont pas susceptibles d’être l’objet d’esthétiques recherches.

2782. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Ailleurs nous rencontrons des amants qui « égrènent le rosaire d’or que l’amour mit pour l’homme au cou de la femme ». […] Cathos eût eu plaisir à entendre appeler un grain de poussière : « l’atome ailé qu’aucun pouvoir ne tue. » Elle eût approuvé cette périphrase qui signifie que l’homme, à l’automme, devient sérieux : Comme elle (la terre), son fils l’homme a pris un maintien grave ; De ses jours de folie il fait payer le tort Au devoir qui l’étreint dans son rude ressort ; et, dans la description d’une gypsie : Un amulette où l’art imite Quelque Diane au front cornu, Des deux seins fixant la limite, Veillait aux mystères du nu. […] Un homme, longeant un bois, la nuit, éprouve le vague effroi de tout ce qui grouille, bruit, glisse ou chuchote dans les derni-ténèbres : La nuit tend sur le ciel brouillé Ses ailes d’argent ponctuées ; La lune, comme un soc rouillé, Laboure le champ des nuées. […] Des formes vagues d’oiseaux lourds Dans l’air entre-croisent leur voie… L’homme se croit poursuivi par un être mystérieux qui le talonne. […] Vous connaissez cet autre thème éternel et grandiose : l’impassibilité de la nature opposée à la douleur et à la fugacité de l’homme.

2783. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Un homme extraordinaire, dont le rôle, faute de documents, reste pour nous en partie énigmatique, apparut vers ce temps et eut certainement des relations avec Jésus. […] Quiconque aspirait à une grande action sur le peuple devait imiter Élie, et comme la vie solitaire avait été le trait essentiel de ce prophète, on s’habitua à envisager « l’homme de Dieu » comme un ermite. […] En quelques mois, il devint ainsi un des hommes les plus influents de la Judée, et tout le monde dut compter avec lui. […] Les grandes réunions d’hommes formées par l’enthousiasme religieux et patriotique autour du baptiste avaient quelque chose de suspect 320. […] Cet homme faible étant devenu éperdument amoureux d’elle, lui promit de l’épouser et de répudier sa première femme, fille de Hâreth, roi de Petra et émir des tribus voisines de la Pérée.

2784. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Loin de moi, l’idée de lui faire un reproche de cette heureuse faculté, dont elle tire une grande part de son charme aux yeux des hommes. […] Ne les trouvez-vous pas savoureuses, ces naïves paroles, dans la bouche d’un homme chargé de diriger l’instruction de plusieurs centaines d’enfants ? […] Et il arrive finalement ceci, que la parcelle de vérité qui avait germé dans l’esprit de l’homme d’élite disparaît bientôt sous l’instinctive poussée de nationalisme et d’optimisme légendaire, inséparables du nom de Français. […] On remarquera que les trois hommes dont je vais citer l’opinion représentent des nuances différentes du plus pur sentiment français.‌ […] Il faut que la réalité soit bien écrasante pour qu’elle ait pu un instant dominer l’intense sentiment nationaliste épanoui au cœur de ces trois hommes.

2785. (1925) Portraits et souvenirs

C’est le portrait d’un homme de cinquante ans, et qui a vécu. […] La Révolution avait fait du romancier un homme politique et un général d’artillerie. […] Cependant l’Associée est l’histoire d’un homme heureux et dont le bonheur est fait, comme celui de la plupart des hommes, d’égoïsme et d’ingratitude ! Oui, c’est un homme heureux que le docteur Albert Tellier. […] N’est-elle point Mme Tellier, femme du docteur Tellier, sénateur, académicien et bel homme ?

2786. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

Par cette correspondance entre l’oeuvre, le pays et le siècle, un grand artiste est un homme public. […] C’est par elle qu’il plaît à plus ou moins d’hommes et que son oeuvre reste vivante pendant un temps plus ou moins long. […] En cela, les poëtes sont plus heureux que les autres grands hommes.

2787. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Qu’il sommeille donc le poète dont la mémoire nous défend des félonies envers l’art et envers les hommes, et que nul ne révèle l’intime trésor de cette âme fière et douce, douloureuse de se sentir recluse en soi-même par un trop noble amour des êtres vivants, des lueurs et des frissons qui troublent d’inquiétudes passagères la terre et le ciel, et des immuables étoiles qu’il avait entrevues ! […] Mais elle ne cessera point, dans les âges futurs, de retenir les hommes, charmés au crépuscule par son émouvante beauté, et qui pleureront avec elle que son chant, chaque soir, s’achève en un sanglot de deuil. […] Un souffle de mort avait fauché à son tour le musicien, et ce souvenir funèbre ajouta, semble-t-il, à l’émotion poignante du drame… Poète né au pays du soleil, Éphraïm Mikhaël a la mélancolie des hommes du Nord ; sa prescience de la mort obsède parfois.

2788. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 145-150

Pouvoit-il ignorer qu’il existe toujours de petits nuages dans la vie des plus grands hommes ? C’est par ces éclipses sagement présentées, qu’on instruit les autres hommes, sans nuire à la gloire des Héros qui les ont éprouvées. […] On devoit pardonner volontiers des plagiats à un homme qui en convenoit d’aussi bonne grace ; mais on est doublement en droit de les reprocher à ceux qui, les multipliant sans mesure, trouvent mauvais qu’on les mette en évidence.

2789. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Malheureusement il est par-tout le même homme. […] En butte aux maux du corps, en butte aux noirs chagrins, L’homme jouit-il donc de trop de jours sereins ? […] c’est trop sur la tombe où l’homme en paix s’endort, Cultiver de tes mains les cyprès de la mort ; C’est trop nous appeler sous ces ombres funebres, Pose la bêche, Young, & sors de ces ténebres.

2790. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Tandis que ce penseur s’est appliqué à rechercher les causes formatrices des grands hommes dans l’hérédité, l’influence de la race, du milieu, de l’habitat, nous laissons comme insoluble actuellement ce problème d’origine et c’est de l’ascendant des conducteurs spirituels de peuples que nous nous préoccupons, de la carrière de leurs idées et de leurs paroles, du fait et du sort de leur prestige. Le grand homme en tout ordre est celui qui, en vertu de lui-même et par suite de son accord avec l’âme des générations contemporaines ou postérieures, sans limites de temps, parvient à gagner à sa personne ou aux manifestations sensibles qui l’expriment, un nombre, proportionnel à sa gloire, de partisans, de croyants, d’admirateurs, qui, reconnaissant en lui leur type exemplaire, amplifient pour ainsi dire et répandent son être en consentant à faire ses volontés, à éprouver ses émotions, à concevoir ses pensées, à ressentir ses croyances. […] Ces mouvements d’agrégation des masses autour de l’homme qui sait se révéler leur maître ont lieu sans acception de frontière, brisent le moral des nations et suscitent souvent au héros d’une race des sectateurs d’une autre.

2791. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

L’école chrétienne a cherché un autre maître ; elle le reconnaît dans cet Artiste qui, pétrissant un peu de limon entre ses mains puissantes, prononça ces paroles : Faisons l’homme à notre image. […] Théodose, par une loi spéciale de excusatione artificium, déchargea les peintres et leurs familles de tout tribut et du logement d’hommes de guerre. […] Caché dans le souterrain de l’église de Saint-Jean-Baptiste, le Religieux peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant128, digne sans doute de devenir le patron des peintres et d’être reconnu de cette famille sublime que le souffle de l’esprit ravit au-dessus des hommes.

2792. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

C’est ainsi qu’en ont usé le Poussin, Rubens et d’autres grands maîtres qui ne se sont pas contentez de mettre dans leurs païsages un homme qui passe son chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché. Ils y placent ordinairement des figures qui pensent, afin de nous donner lieu de penser ; ils y mettent des hommes agitez de passions, afin de reveiller les nôtres et de nous attacher par cette agitation. […] Hommes toujours occupez de leurs plaisirs, et qui ne connoissoient d’autres inquietudes, ni d’autres malheurs que ceux qu’essuient dans les romans ces bergers chimeriques dont on veut nous faire envier la condition.

2793. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Quelle fraîcheur de ne plus trouver des débuts de chapitre de cette grâce : « Après une douleur intense, physique ou morale, l’homme éprouve une stupeur très douce où il semble qu’il abdique sa volonté et qu’il s’abandonne à sa chance. […] Les hommes sont sans scrupule mais sans une malhonnêteté outrée, sauf le nécessaire baron juif. […] Capus d’incisives fantaisies sur les hommes et les choses du temps. […] L’homme perd sa place, — et commencent les épisodes. […] Aussi bien l’homme (l’écornifleur) vivant en société, généralement à l’ironie de l’un correspond la naïveté, la peine ou l’ahurissement des autres.

2794. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Jourdain, de se connaître aux belles choses , demandait à un homme de lettres le moyen de se connaître en vers : Monsieur, lui dit celui qu’il consultait, vous n’avez qu’à dire toujours qu’ils sont mauvais ; il y a cent contre un à parier que vous ne vous tromperez pas. […] les premiers philosophes ont été poètes ; Horace est le bréviaire des philosophes ; Molière, par sa connaissance des hommes et du cœur humain, Corneille, par la force du raisonnement, étaient ou grands philosophes, ou faits pour l’être. Celui qui nous a donné la meilleure poétique est un des plus grands philosophes de l’antiquité ; les vers du Virgile de nos jours sont remplis d’une philosophie aussi solide qu’agréable ; enfin j’ai vu un roi, qui pour avoir gagné douze batailles n’en était pas moins philosophe et homme de lettres, avoir auprès de lui, sur la même table, Athalie et les Commentaires de César, et douter lequel des deux ouvrages il aimerait mieux avoir fait. […] C’est l’ouvrage d’un homme distingué par son rang, qui, après avoir utilement servi sa patrie3, n’a pas cru s’avilir en cultivant les lettres. […] Alexandre, César, ce roi philosophe dont je viens de vous parler, tous d’aussi bonne maison que ces messieurs, et à ce que je crois, un peu plus grands hommes, seraient d’un autre avis, plus juste et plus flatteur pour celui dont je parle ; et le public, plus fort que tous les gens à la mode, le dédommagera, par son suffrage, de ceux qu’il n’aurait pas le bonheur d’obtenir : ce public, un peu dur quelquefois, mais toujours respectable, prendrait la liberté de dire à ses frivoles censeurs : Rien n’est si ridicule que de vouloir attacher du ridicule aux talents, et de paraître dédaigner ce qu’on n’est pas en état de faire.

2795. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

ce n’est pas tout profit que d’être un grand homme. […] Comme poète et comme homme, le Lord Byron du bruit que fait son nom n’est pas le Lord Byron de la réalité, le Lord Byron de ceux qui l’aiment et qui, à force de le regarder et de cohabiter avec son génie dans ses œuvres, et dans ses Mémoires avec sa personne, ont vu le vrai Byron sous les attitudes, les affectations et le masque. Lord Byron, naïf et menteur comme les poètes, ces femmes redoublées, et se vantant de vices qu’il n’avait pas, n’est pas plus compris comme homme que comme poète, et ce qu’il a de plus exquis et de plus rare est resté sous le boisseau de l’admiration à boisseau. […] — voilà pour l’homme !  […] Si Voltaire, comme il s’en vantait au Roi de Prusse, ce diable d’homme !

2796. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Fontenelle a beau définir la maturité actuelle du monde une virilité sans vieillesse, et dans laquelle l’homme sera toujours également capable des choses auxquelles sa jeunesse était propre, il est bien clair que cette capacité s’applique peu aux sentiments, et que rien de tout ce qu’il y a de solide ou de raffiné dans l’homme moderne ne saurait lui rendre une certaine fleur. […] Ce remède-là, doux et léger, est au pouvoir des hommes : ne le trouve pourtant pas qui veut. […] Sachons bien toutefois qu’en matière de poésie, le goût français, s’il n’y prend garde, est toujours enclin à tenir de ces deux hommes-là plus qu’il ne se l’avoue. […] Couronne la coupe de la fleur empourprée de la brebis (c’est-à-dire d’une bandelette de laine rouge), afin que j’immole par magie l’homme aimé qui m’est si accablant. […] Le Delphis de Théocrite va nous offrir à sa manière et d’un air dégagé, comme un homme qu’il est, quelque chose du contraste qui brille sur le front animé et sur le visage presque souriant de Stratonice.

2797. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Lacenaire a chanté le « plaisir divin de voir expirer l’homme qu’on hait ». […] Un pauvre homme, d’ordinaire, Pour mourir a bien du mal. […] Aussi, ce qui exaspère surtout l’homme de goût dans le spectacle du vice, c’est sa difformité ou disproportion. […] Traduit de l’italien (Lombroso : l’Homme criminel). […] Extrait de l’Homme criminel, par Lombroso.

2798. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Un duel de quatre contre quatre auquel, dit-on, il assista et où il y eut mort d’homme, le força de quitter la France et de se réfugier en Savoie. […] Voltaire, dans son invention vive et rapide, se montre fidèle à son objet même : il est prompt, il ne s’appesantit pas, il est l’homme de l’impatience et de la délicatesse françaises ; il égaie chaque chose et peint chaque auteur en quelques traits ; il fait vivre son allégorie autant qu’une allégorie peut vivre. […] Disons qu’un homme qui en 1688, vivant à côté de La Bruyère, invente de telles choses et les publie, n’est pas un auteur du grand siècle ; sa littérature, ingénieuse d’ailleurs, est une littérature d’avant et d’après. […] À son point de vue de province, il considérait un peu trop du Cerceau, cet homme agréable de collège, comme tenant le sceptre du goût. […] Chose singulière, ou plutôt chose ordinaire et assez commune aux vieillards, il prétendait n’y rien reconnaître de ce qu’il avait vu, à tel point que les mémoires de Retz (1717), en raison de deux ou trois erreurs de fait qu’il y relevait, lui semblaient un roman fabriqué par quelque homme de lettres de Hollande.

2799. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun qu’un homme de lettres et un homme de talent s’essayant avec art, avec étude, avec élégance, à des productions estimables et de transition. […] Évidemment l’homme heureux, le sage, l’homme du monde aussi et de société ont un peu nui chez M.  […] L’homme en place, ministre depuis hier, ne considérait point en ce temps-là un encouragement, un bienfait accordé à un poète comme un abus. […] Après 1830, il entre dans les affaires, dans la haute administration où l’honnête homme et l’homme de bien a laissé des traces. Il ne reverra plus son cher Tancarville qu’après trente années presque révolues d’absence (septembre 1845) ; en le revoyant, sa verve se ranime avec toutes les émotions de son cœur, et il le salue, il le célèbre encore une fois par une Épître où l’homme sensible et le sage jettent un dernier regard mélancolique, mais non morose, sur ce passé : Parmi tous ces débris où j’ai souvent erré, Où j’ai joui, souffert, aimé, rêvé, pleuré, Mon heureuse jeunesse en vingt lieux dispersée Soudain de toutes parts remonte à ma pensée.

2800. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Il a la démarche agile, et pourtant égale, sans hâte ni saccade, en homme dont l’âme saine et gaie se tient d’elle-même en action et en équilibre sans enivrement, ni abattements, ni efforts. […] Jouffroy un homme intérieur, et M. de Biran un abstracteur de quintessence, c’est annoncer que Napoléon fut ambitieux ; il est inutile de faire ces découvertes. […] Vous êtes prompt en besogne ; au besoin, vous pourriez répondre à ces bonnes gens qui arrêtent un homme sur le trottoir, le priant de leur expliquer, au pied levé, ce qu’il pense de Dieu, du monde, de l’âme et du reste. […] Vous trouveriez de même que les forces vives d’une société ne sont que le degré de vigueur musculaire de chaque citoyen, son aptitude à trouver des idées utiles, et sa capacité d’obéir à des idées abstraites ; que les penchants fondamentaux d’un homme ou d’une race se réduisent aux classes d’idées les plus agréables à cet homme ou à cette race ; et cent autres choses semblables. […] En s’observant, en étudiant les hommes, en écrivant, en agissant, il a fini par découvrir les divers genres de sentiments qui produisent les divers genres de phrases, de formes, d’attitudes et d’actions.

2801. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

On vit dans le monde à côté d’eux ; on goûte leur esprit ; on joue avec le sien en leur présence ; on est à cent lieues de penser à l’homme de lettres, à la femme de lettres, à l’auteur, et en effet rien n’y ressemble moins. […] Ces divinités résolurent d’écrire l’histoire de leur voyage et le nom des hommes qui leur donneraient l’hospitalité. […] Mme du Deffand et Mme du Châtelet se plaignent déjà des manières des hommes, et Mme de Lambert déclare qu’ils ont perdu le vrai ton. […] Oserai-je vous parler de ces faibles vertus dont les hommes insensés me louaient, parce qu’ils ignoraient qu’elles n’étaient point accompagnées de sacrifices ? […] Les éloges dont je l’avais accompagné, et qu’on vient de lire, ce grand nom même d’Homère que j’y avais mêlé à dessein et par précaution, n’avaient pu conjurer un accès de mauvaise humeur et de vive contrariété dans l’homme de parti et de coterie dont se compliquait en lui l’homme supérieur.

2802. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Ce n’était pas un homme de cabinet que Gérard. […] L’homme ne varie pas tant qu’il s’en flatte ! […] L’homme mûr ne fait qu’exécuter les rêves du jeune homme. […] Bocage est un bel homme, distingué, dont les manières et les mouvements sont nobles. […] Quel terrible homme !

2803. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Celui-ci, très apprécié des romantiques, ouvrait la marche dans la série des Grotesques de Théophile Gautier, qui en traçait un portrait de verve où l’homme est deviné sous le poète et où Villon apparaît dans son relief comme le roi de la vie de Bohème. […] Pour moi, je dirai toute ma pensée : je ne voudrais rien retirer au vieux poète, mais il me semble qu’il est en train de subir cette transformation légère qui, en ne faisant peut-être que rendre à certains hommes, sous un autre aspect, la valeur et le prestige qu’ils avaient de leur vivant, leur accorde certainement plus qu’ils n’ont mis et qu’ils n’ont laissé dans leurs œuvres. […] Qu’on s’imagine sur la tête d’un homme l’effet de cinq années d’un exil aggravé par la misère et suivi d’une longue et dure prison. […] Un homme de mérite qui s’est occupé des anciens poètes chrétiens, au point de vue de la musique et de la littérature, M.  […] Il n’est pas homme à s’écrier avec un poète moderne7, maudissant les passions que l’on continue à subir sans qu’elles nous plaisent : Je bois avec horreur le vin dont je m’enivre.

2804. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Charles de Nîmes, qui a été longtemps professeur à Montpellier, homme très-instruit, original et sincère, est allé étudier, pendant plusieurs années, l’allemand en Allemagne, là où il faut le prendre, c’est-à-dire à sa source, à sa souche et dans sa racine. […] Eckermann n’avait en lui rien de supérieur ; c’était ce que j’ai appelé ailleurs une de ces natures secondes, un de ces esprits nés disciples et acolytes, et tout préparés, par un fonds d’intelligence et de dévouement, par une première piété admirative, à être les secrétaires des hommes supérieurs. […] Quand on a vécu dix ans auprès d’un vrai grand homme, on doit trouver le reste un peu terne et décoloré. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », a-t-on dit. […] Moi-même il m’est arrivé de l’appeler en un endroit « le Talleyrand de l’art », voulant indiquer par là qu’il tirait à temps son épingle du jeu et qu’il était homme à tricher quelquefois avec les passions mêmes qu’il exprimait.

2805. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Ç’a toujours été un rôle embarrassant que d’arriver le cadet d’un grand écrivain et de tout homme célèbre ou simplement à la mode, qui vous prime, qu’on soit un vicomte de Mirabeau, un Ségur sans cérémonies 25, ou Quintus Cicéron, ou le second des Corneille. […] Heureux homme, et à envier, dont l’arbuste attique a fleuri, sans avoir besoin en aucun temps de l’engrais des boues de Lutèce ! […] voilà des hommes avec des pieds de chèvre. […] Son ami, le comte de Marcellus, doit être mis en possession des manuscrits qui permettront de faire un travail définitif sur cet homme sensible et ce talent aimable. […] Cette femme d’un esprit si rare augurait mal, il faut le dire, de la publication : elle trouvait, par exemple, que Prascovie arrivée à Pétersbourg perdait du temps, qu’elle n’entendait rien aux affaires ; elle avait horreur de cet homme (Ivan) qui tue une femme, etc., etc. ; son opinion était partagée par plusieurs personnes de sa société.

2806. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

De plus la nature ne nous a pas situés ainsi ; & comme elle nous a donné du mouvement, elle ne nous a pas ajustés dans nos actions & nos manieres comme des pagodes ; & si les hommes gênés & ainsi contraints sont insupportables, que sera-ce des productions de l’art ? […] Polixene & Apicius portoient à la table bien des sensations inconnues à nous autres mangeurs vulgaires ; & ceux qui jugent avec goût des ouvrages d’esprit, ont & se sont fait une infinité de sensations que les autres hommes n’ont pas. […] La loi des deux sexes a établi parmi les nations policées & sauvages, que les hommes demanderoient, & que les femmes ne feroient qu’accorder : de-là il arrive que les graces sont plus particulierement attachées aux femmes. […] Tous les contrastes nous frappent, parce que les choses en opposition se relevent toutes les deux : ainsi lorsqu’un petit homme est auprès d’un grand, le petit fait paroître l’autre plus grand, & le grand fait paroître l’autre plus petit. […] Comme il s’agit de montrer des choses fines, l’ame aime mieux voir comparer une maniere à une maniere, une action à une action, qu’une chose à une chose, comme un heros à un lion, une femme à un astre, & un homme leger à un cerf.

2807. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Pour Villiers, l’homme se choisit lui-même son illusion, et le monde n’est que la forme extérieure et visible de ses idées. […] Par rapport à l’homme, sujet pensant, le monde, tout ce qui est extérieur au moi, n’existe que selon l’idée qu’il s’en fait. […] Samain, tous ceux enfin qui ont cherché dans le spectacle du monde les symboles d’eux-mêmes et de tout l’homme qui est en chacun d’eux. […] Le Mythe et la Légende n’offrent-ils pas des images transfigurées et grandies de l’Homme et de la Vie ? […] Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments.

2808. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Rien n’arrêta ces hommes d’esprit et de mérite, dont beaucoup, Dieu merci, sont morts de leur laide mort et ont rendu au grand Démiourgos leur vilaine âme. […] La lettre était datée : « Paris, le 7 mai 1841 » et on y voyait entre autres choses : « Le monde doit posséder un portrait de ce grand homme, clair et noble comme lui. […] Et il y avait là un homme qui se sentait en lui la forcé de créer quelque chose d’aussi élevé, d’aussi sublime. […] Ainsi, ce n’est pas mon amitié pour Wagner que vous blâmez mais ce que vous appelez l’excès de cette amitié et mon penchant naturel à revêtir des hommes faits de boue de qualités divines. […] Quant à l’avis de Mme Cosima Wagner, il est tout à fait partial, la fille de Liszt ayant façonné avec habileté et opiniâtreté la figure posthume du grand homme.

2809. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

Les hommes ne peuvent ouvrir ce fruit divin et y chercher l’amande… » M.  […] C’est à quoi il est fait allusion dans une lettre de M. de Vigny, du 7 mai 1829 : « Vous êtes le plus aimable des hommes. […] J’ai besoin de le répéter, parce que je viens de le relire : vous avez vraiment créé une critique haute qui vous appartient en propre, et votre manière de passer de l’homme à l’œuvre et de chercher dans ses entrailles le germe de ses productions est une source intarissable d’aperçus nouveaux et de vues profondes. » On peut rabattre tout ce qu’on voudra de l’éloge, mais M. de Vigny admettait évidemment cette méthode critique en 1829. […] Cette légère réserve faite, je ne sais rien de mieux raconté. » M. le comte de Circourt enfin, cet homme de haute conscience et de forte littérature, dans une lettre qu’il m’écrivait le 24 avril 1864, reconnaissait la vérité du Portrait et s’exprimait en ces termes par lesquels je terminerai et qui me couvrent suffisamment : « Les grands côtés du talent de M. de Vigny sont mis par vous en relief d’une manière tout à la fois large et fine ; et malgré la sévérité de quelques-unes de vos appréciations, je n’ai rien à souhaiter de mieux pour la mémoire de M. de Vigny, si ce n’est que la postérité s’en tienne sur lui à votre jugement, ce que j’espère ; j’apprends que ses vrais (et par conséquent rares) amis sont tout à fait de ce sentiment. » 79.

2810. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Mais il faudrait pousser la réflexion à un degré où elle va rarement, et peu d’hommes ont souffert de cette double vie morale, où l’on s’empêche d’agir à force de se regarder faire. […] Autrefois tout y préparait l’homme : c’était la plupart du temps hors du collège qu’il acquérait le meilleur de sa science, et le plus cultivé n’était pas toujours celui qui avait le plus étudié. […] Aussi, hors de l’école, hommes ou femmes, on ne lit guère en France. S’il n’y a pas un homme sur mille qui relise de sa vie, après le baccalauréat, une page de grec ou de latin, combien y en a-t-il même qui, bacheliers ou brevetés, ouvriront un volume de Bossuet, de Corneille on même de Molière pour se divertir ?

2811. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Leuret et Gratiolet, intitulé : Anatomie comparée du système nerveux chez les animaux et chez l’homme dans ses rapports avec le développement de l’intelligence. […] Leuret ; le second volume, consacré à l’homme, est de Gratiolet : l’un et l’autre esprits éminents, versés dans la connaissance des faits, et sans préjugés systématiques. […] Outre ses deux belles leçons aux conférences de la Sorbonne, l’une sur le rôle de l’homme dans la création, l’autre sur la physionomie, il faut lire l’intéressante discussion qui a eu lieu en 1862 à la Société d’anthropologie entre lui et M.  […] Vogt, professeur à Genève, a publié des Leçons sur l’homme, sa place dans la créatio.

2812. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

in-8°. est le recueil des rêveries d’un grand homme, dont on admire la vaste génie, même lorsque ce génie lui fait faire des écarts. […] Ce grand homme nous a laissé un arbre encyclopédique, où se trouve la division générale de la science humaine en histoire, Poésie & Philosophie, selon les trois facultés de l’entendement, mémoire, imagination & raison. […] Mais en général, peut-on conseiller la lecture de ce Dictionnaire à tout homme qui aime la Religion ? […] Cette science devient immense & le seul recueil des Mémoires des Académies de l’Europe, épuiseroit la fortune d’un homme aisé.

2813. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Nous reconnoissons toujours les hommes dans les heros des tragedies, soit que leur scene soit à Rome ou à Lacedemone, parce que la tragedie nous dépeint les grands vices et les grandes vertus. Or les hommes de tous les païs et de tous les siecles sont plus semblables les uns aux autres dans les grands vices et dans les grandes vertus, qu’ils ne le sont dans les coûtumes, dans les usages ordinaires, en un mot dans les vices et les vertus que la comedie veut copier. […] C’est ainsi que Monsieur Wycherley en usa lorsqu’il fit du misantrope de Moliere son homme au franc procedé qu’il suppose être un anglois et homme de mer.

2814. (1912) L’art de lire « Chapitre X. Relire »

Géruzez disait : « Je crains l’homme d’un seul livre, surtout lorsque ce livre est de lui. » Craignez un peu d’être l’homme d’un seul livre, le livre fût-il même d’un autre ; ce n’est qu’une circonstance atténuante. […] Rencontrant une dame qu’il n’avait pas vue depuis très longtemps un homme d’âge hésitait : « Comment ! […] J’aimais les romans à vingt ans, Aujourd’hui je n’ai plus le temps ; Le bien perdu rend l’homme avare ; J’y veux voir moins loin mais plus clair : Je me console de Werther, Avec la reine de Navarre.

2815. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Ainsi la parole ne quittera point la religion de Jésus-Christ, parce que là elle ne s’est point séparée de la pensée, et que la pensée, de sa nature, est immortelle, même la pensée de l’homme. […] Ne défendons plus la religion sous le rapport de l’utilité dont elle est, soit à l’homme, soit à la société ; c’est un vrai blasphème qui a été trop souvent reproduit. […] Il faut bien savoir admirer tout ce qui peut développer dans l’homme des sentiments élevés, tout ce qui peut lui fournir l’occasion de beaux sacrifices ; mais il faut être juste aussi : et il n’est pas moins vrai que cette gloire, acquise en dernier lieu, au prix de tant de sang, n’a servi qu’aux vastes triomphes d’un aventurier. […] Serait-ce, par hasard, que le captif de Savone et de Fontainebleau, l’héritier du pauvre pêcheur, avec ces paroles qui contenaient les menaces du ciel, aurait frappé de vertige l’homme contre lequel l’Europe a dû finir par se croiser ?

2816. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

Autrefois, quand chacun vivait sédentaire dans la case plus ou moins coloriée de son damier et ne regardait pas beaucoup plus loin que l’horizon de sa colline, de sa montagne ou de sa mer, un homme qui avait voyagé rapportait des pays qu’il avait visités une valeur qui s’ajoutait à la sienne ou qui lui en créait une, quand il n’en avait pas. […] En voir plus long que les surfaces, pour avoir le droit d’en parler, est donc une nécessité rigoureuse pour ces messieurs qui viennent de loin et qui ne craignent pas d’attacher à leurs relations le je détesté de Pascal, — cet homme de génie qui ne comprenait pas que l’on pût sortir de sa chambre. […] Et About, qui est un homme d’esprit, semble l’avoir compris ; car c’est à la personnalité qu’il a visé dans son ouvrage. […] Car si des hommes d’esprit qui, en courant le monde, ont rapporté quelques commérages, nous donnent des livres comme La Grèce contemporaine, que devons-nous attendre de messieurs les sots ?

2817. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

. — Quant à ce malheureux chiffre, j’hésite toujours : « Mettez 800, mettez 1000 ; qu’est-ce-que cela fait, une centaine de plus ou de moins, en présence d’une masse de tant de millions d’hommes ?  […] Ce petit fait tout littéraire peut donner la mesure de la décision et de la hauteur de vue de nos hommes d’État dans les questions de conflit qui vont se présenter. — L'Académie française, par l’organe de M. […] Aimable pays après tout que celui de France, où un simple homme de lettres qui ne peut rien, qui n’est rien, tient tant de place, et où se déclare si spontanément l’hommage de tous pour l’esprit, pour le talent et la grâce !

2818. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

L'entrée de ces hommes nouveaux semble donner le signal d’une révolution au sein de la docte compagnie : le vieux parti, dit académique, des rédacteurs du Constitutionnel et de ceux qui se croyaient voltairiens, a décidément le dessous. […] Il prêche depuis toute cette semaine trois fois le jour à Notre-Dame, à six heures du matin pour les ouvriers de la Cité, à une heure pour les femmes du monde, à huit heures du soir pour les hommes. […] On vient de voir un homme du monde, M. de Saint-Priest, y chercher et y trouver une occasion de nouveauté, un prétexte piquant à des portraits politiques et diplomatiques.

2819. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Michelet, selon moi, n’apprécie qu’à demi l’aimable précepteur et ne sent pas très bien tout Fénelon : il est plus choqué du théologien (et je le suis aussi) qu’il n’est attiré par l’homme de goût attique. C’est qu’il n’est pas, lui, un homme d’antiquité ; il nous l’a raconté quelque part en des pages touchantes et poignantes : enfant, il s’est formé rudement, presque tout seul, sans loisir et sans maître ; il a peiné de bonne heure. Comme un homme du Moyen-Age ou un moderne dans toute la force du terme, il a dû creuser longtemps pour trouver l’eau de son puits, il a dû conquérir sa propre originalité.

2820. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) »

Jules Barbey d’Aurevilly Certes, c’est un homme d’esprit, et même c’est ce que j’en puis dire de mieux. […] [Les Œuvres et les Hommes : les Poètes (1862).] […] Tacite, Saint-Simon ; école longtemps négligée et redoutée en France… De Mme Roland à la princesse des Ursins, de Ronsard au pauvre Conrard, de Catinat à M. de Broglie, de Chapelain à Shakespeare, notre homme, avec une facilité prodigieuse, fait glisser le courant de sa lumière électrique.

2821. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 317-322

L’Astronome comme le Moraliste, le Médecin comme le Géometre, le Chimiste comme le Mécanicien, le Philosophe comme l’Homme d’Etat, y reconnoissent l’Homme supérieur dans chacune de leurs parties, comme s’il ne se fût attaché toute sa vie qu’à elle seule. […] Ce n’est pas ainsi qu’on fait valoir les Grands Hommes ; ce n’est pas non plus d’après de tels Panégyristes qu’on doit les juger.

2822. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

Pour démontrer l’influence d’une institution morale ou religieuse sur le cœur de l’homme, il n’est pas nécessaire que l’exemple rapporté soit pris à la racine même de cette institution ; il suffit qu’il en décèle le génie : c’est ainsi que l’Élysée, dans le Télémaque, est visiblement un paradis chrétien. […] Il n’y a que le Dieu de l’Évangile qui ait osé nommer sans rougir les petits enfants 20 (parvuli), et qui les ait offerts en exemple aux hommes : « Et accipiens puerum, statuit eum in medio eorum : quem cùm complexus esset, ait illis : « Quisquis unum ex hujusmodi pueris receperit in nomine meo, me recipit. »   Et ayant pris un petit enfant, il l’assit au milieu d’eux, et l’ayant embrassé, il leur dit : Quiconque reçoit en mon nom un petit enfant me reçoit21. […] Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie : mais on sent qu’il ne cède que par un principe de vertu ; qu’il ne s’abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes ; il conserve sa dignité dans les fers : fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu’il ne doit porter qu’un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer ; il n’estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parce que la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l’esclave, sont peu différents à ses yeux.

2823. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Par toi, du moins, avec le roi du ciel je partagerai l’empire ; peut-être même régnerai-je sur plus d’une moitié de l’univers, comme l’homme et ce monde nouveau l’apprendront en peu de temps78. » Quelle que soit notre admiration pour Homère, nous sommes obligé de convenir qu’il n’a rien de comparable à ce passage de Milton. […] Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l’histoire, pourra reconnaître que Milton a fait entrer dans le caractère de son Satan les perversités de ces hommes qui, vers le commencement du dix-septième siècle, couvrirent l’Angleterre de deuil : on y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rébellion et d’indépendance ; on retrouve dans le monarque infernal ces fameux niveleurs qui, se séparant de la religion de leur pays, avaient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s’étaient révoltés à la fois contre Dieu et contre les hommes.

2824. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre IV. Pourquoi les Français n’ont que des mémoires. »

Dans la narration, nous devenons secs et minutieux, parce que nous causons mieux que nous ne racontons ; dans les réflexions générales, nous sommes chétifs ou vulgaires, parce que nous ne connaissons bien que l’homme de notre société170. […] Le repos de l’âme est nécessaire à quiconque veut écrire sagement sur les hommes ; or, nos gens de lettres, vivant la plupart sans famille, ou hors de leur famille, portant dans le monde des passions inquiètes et des jours misérablement consacrés à des succès d’amour-propre, sont, par leurs habitudes, en contradiction directe avec le sérieux de l’histoire. […] Les théories générales ne sont pas de la nature de l’homme, le vrai le plus pur a toujours en soi un mélange de faux.

2825. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

Les hommes ont plus de passion pour enseigner, que de talent pour exécuter. […] L’auteur étoit un homme éclairé & philosophe. […] l’Abbé Seran de la Tour, en deux volumes in-12. 1762. est d’un homme d’esprit, qui n’a pas des idées communes.

2826. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130

Quand un artiste introduit dans une composition un saint embrasé de l’amour de Dieu et prêchant sa loi à des peuples et qu’il lui met un bonnet carré à la main, comme à un homme qui entre dans une compagnie et qui la salue poliment, je lui dirais volontiers, Vous vous mêlez d’un métier de génie et vous n’êtes qu’un butor. […] Des petites femmes, des jeunes garçons, des sœurs du pot, des enfants, pas un homme de poids. […] Mais abandonnons ce pauvre Mr Halle à son sort et passons à un homme qui en vaut bien un autre.

2827. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 26, que les sujets ne sont pas épuisez pour les peintres. Exemples tirez des tableaux du crucifiment » pp. 221-226

Un homme né avec du genie voit la nature, que son art imite avec d’autres yeux que les personnes qui n’ont pas de genie. Il découvre une difference infinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes paroissent les mêmes, et il fait si bien sentir cette difference dans son imitation, que le sujet le plus rebatu devient un sujet neuf sous sa plume ou sous son pinceau. […] Dans l’un des côtez du tableau l’on voit des hommes saisis d’une peur mêlée d’étonnement à l’aspect du desordre nouveau, où paroît le ciel, sur lequel leurs regards sont attachez.

2828. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

et vous verrez où il ira, ce voluptueux de la description, et si l’homme, l’âme de l’homme ne finira pas par s’emparer de son pinceau, et n’y coulera pas une vie supérieure. […] mais des originalités d’un homme ayant son indépendance et sa manière de voir, — très lisible, au fond, à travers son ironie rieuse, — ce qu’il est présentement et ce qui ne changera pas, c’est un esprit qui a horreur de la vulgarité, du bourgeois, du mesquin, de toutes les choses qui règnent en ce monde.

2829. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VI. Observations philologiques, qui serviront à la découverte de véritable Homère » pp. 274-277

Ces chanteurs n’étaient sans doute autres que les rapsodes, ces hommes du peuple qui savaient chacun par cœur quelque morceau d’Homère, et conservaient ainsi dans leur mémoire ses poèmes, qui n’étaient point encore écrits. […] Mais comment savoir ces particularités de l’histoire d’un homme, lorsqu’on en ignore les deux circonstances les plus importantes, le temps et le lieu ? […] Ces poètes dont le nom vient de κύκλος, cercle, ne purent être que des hommes du peuple qui, les jours de fêtes, chantaient les fables à la multitude rassemblée en cercle autour d’eux.

2830. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

. — Nous voyons d’abord au septentrion le czar de Moscovie qui est à la vérité chrétien, mais qui commande à des hommes d’un esprit lent et paresseux. — Le kan de Tartarie, qui a réuni à son vaste empire celui de la Chine, gouverne un peuple efféminé, tels que le furent les seres des anciens. — Le négus d’Éthiopie, et les rois de Fez et de Maroc règnent sur des peuples faibles et peu nombreux. Mais sous la zone tempérée, où la nature a mis dans les facultés de l’homme un plus heureux équilibre, nous trouvons, en partant des extrémités de l’Orient, l’empire du Japon, dont les mœurs ont quelque analogie avec celles des Romains pendant les guerres puniques ; c’est le même esprit belliqueux, et si l’on en croit quelques savants voyageurs la langue japonaise présente à l’oreille une certaine analogie avec le latin. […] Les missionnaires assurent que le plus grand obstacle qu’ils aient trouvé dans ce pays à la foi chrétienne, c’est qu’on ne peut persuader aux nobles que les gens du peuple sont hommes comme eux. — L’empire de la Chine avec sa religion douce et sa culture des lettres, est très policé. — Il en est de même de l’Inde, vouée en général aux arts de la paix. — La Perse et la Turquie ont mêlé à la mollesse de l’Asie les croyances grossières de leur religion.

2831. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

C’est pourquoi Béranger ne fut qu’un homme d’esprit. […] Si la poésie est plus que rationnelle, c’est donc que la raison n’est pas la seule lumière de l’homme. […] Quand il nous eut rejoints, le digne homme, étalant son petit papier, zébré d’accolades, répétait triomphant : « elle est toute là » ! […] On l’a cru, il l’a cru peut-être, car tout homme est pervers. […] Ainsi en est-il de l’homme.

2832. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

Si du poète nous passons à l’homme, nous voyons que M. de Lamartine a passé en Italie, et par choix, les premières années de sa jeunesse ; qu’il y est revenu sans cesse à différentes époques ; qu’il y revient encore aujourd’hui. […] Qui ne sent l’absurdité d’une pareille supposition, et quel homme de bonne foi, en comparant les paroles du poète et ses actions, en opposant tous les vers où il exprime sous son propre nom ses propres impressions à ceux où il exprime les sentiments présumés de son personnage, quel homme de bonne foi, disons-nous, pourra suspendre son jugement ? […] Quelle que soit l’estime que l’on porte à un homme ou à un peuple, le moment de le louer n’est pas celui où l’on est injustement accusé par lui ; la justice même en pareil cas ressemblerait à de la crainte. […] ces trois mots de l’homme : Hier, aujourd’hui, demain ! […] Ces deux braves hommes ne savaient pas quand nous y étions venus pour la première fois.

2833. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Singulier temps que celui où l’on voit un homme d’Église dire du mal de Rome, et s’excuser des négligences de ses poésies par la violence de ses tourments amoureux ! […] Un sot en peut et un sage homme avoir ; Un ignorant et un de bon savoir, Ainsi qu’il plaist au sort les départir Et je voudrois pour heureux me sentir Qu’il plust à Dieu, d’où les vrais biens procedent, M’en octroyer de ceux que ne possedent Nuls vicieux, ny ne sont dispensés A cœurs malins, ni cerveaux insensés, Et sans lesquels d’hommes n’avons que l’ombre. […] Son siècle lui fit, comme à tous les grands hommes, des fastes héroïques ; il lui donna des rois pour ancêtres ou pour alliés ; il le fit parent, au dix-septième degré d’Elisabeth d’Angleterre : par malheur, à ce degré on n’hérité plus. […] C’est ce grand Ronsard qui a le premier chassé la surdité spirituelle des hommes de sa nation. » Du Bellay, qui, dans sa vieillesse, était devenu sourd, s’en félicitait comme d’un trait de ressemblance avec Ronsard L’enthousiasme qu’inspira ce poëte lui survécut au moins jusqu’à l’arrivée de Malherbe. […] Nouvelle preuve que, dans l’impuissance où nous sommes d’échapper à l’illusion sur les choses et les hommes de notre temps, les envieux en savent plus sur le mérite réel des auteurs contemporains que leurs admirateurs les plus sincères.

2834. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

« S’il réussissait, au contraire, l’auteur, dès ce moment homme à la mode, prenait un rang dans la société ; un seul genre de place pouvait lui convenir : il devenait le commensal plutôt que le secrétaire d’un grand seigneur. […] Duval n’y a pas mis de malice, et il suffirait, pour justifier pleinement son intention, de rappeler un autre passage, où, parlant de cette fumée légère qu’on appelle renommée, il la trouve en effet désirable, dès qu’elle peut conduire vers la seule récompense que doit envier l’homme de lettres, l’Académie. […] Selon eux, une société vieillie comme la nôtre, et tout entière adonnée aux discussions politiques, peut et doit se passer d’un grand et sérieux théâtre ; les bluettes du Gymnase suffisent chaque soir à dissiper la migraine de nos hommes d’État ; et quant au peuple, moins friand et plus avide en fait d’émotions, n’a-t-il pas les Deux Forçats et le Joueur ? […] C’est précisément parce qu’on n’écrit plus de pièces pour madame de Pompadour ou pour les jeunes filles de Saint-Cyr, mais pour des hommes d’État, des philosophes, des jeunes gens et un nombreux public, que nous réclamons la réforme et qu’elle ne peut manquer de s’accomplir. […] Cette œuvre du loisir et du recueillement, où viendront sans doute contraster et se confondre en mille effets charmants ou sublimes la vérité et l’idéal, la raison et la fantaisie, l’observation des hommes et le rêve du poète, arrivée dans le monde réel, exposée aux regards de tous, enchantera les âmes et ravira les suffrages ; les esprits les plus graves, philosophes, érudits, historiens, se délasseront à la contempler, car l’impression d’une belle œuvre n’est jamais une fatigue ; les politiques surtout, en n’y cherchant que du plaisir, y puiseront plus d’une émotion intime, plus d’une révélation lumineuse, qui, transportée ailleurs et transformée à leur insu, ne restera stérile ni pour l’intelligence de l’histoire, ni pour les mouvements de l’éloquence ; la tribune et la scène, en un mot, rivales et non pas ennemies, pourront retentir ensemble et quelquefois se répondre.

2835. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

C’est le nom d’un chef cosaque zaporogue, et, dans ce caractère sauvage, féroce, grandiose et par instants sublime, le romancier a voulu nous offrir un portrait de ce qu’étaient encore quelques-uns de ces chefs indépendants des bords du Dnieper durant la première moitié du xviie  siècle, date approximative à laquelle se rapportent les circonstances du récit : « C’était, dit-il, un de ces caractères qui ne pouvaient se développer qu’au xvie  siècle, dans un coin sauvage de l’Europe, quand toute la Russie méridionale, abandonnée de ses princes, fut ravagée par les incursions irrésistibles des Mongols ; quand, après avoir perdu son toit et tout abri, l’homme se réfugia dans le courage du désespoir ; quand sur les ruines fumantes de sa demeure, en présence d’ennemis voisins et implacables, il osa se rebâtir une maison, connaissant le danger, mais s’habituant à le regarder en face ; quand enfin le génie pacifique des Slaves s’enflamma d’une ardeur guerrière, et donna naissance à cet élan désordonné de la nature russe qui fut la société cosaque (kasatchestvo). […] Il n’aurait pas voulu entendre les sanglots et la désolation d’une faible mère, ou les cris insensés d’une épouse, s’arrachant les cheveux et meurtrissant sa blanche poitrine ; mais il aurait voulu voir un homme ferme, qui le rafraîchit par une parole sensée et le consolât à sa dernière heure. […] La petite histoire intitulée un Ménage d’autrefois, et qui peint la vie monotone et heureuse de deux époux dans la Petite-Russie, est pourtant d’un contraste heureux avec les scènes dures et sauvages de Boulba : rien de plus calme, de plus reposé, de plus uni ; on ne se figure pas d’ordinaire que la Russie renferme de telles idylles à la Philémon et Baucis, de ces existences qui semblent réaliser l’idéal du home anglais et où le feeling respire dans toute sa douceur continue : Charles Lamb aurait pu écrire ce charmant et minutieux récit ; mais vers la fin, lorsque le vieillard a perdu son inséparable compagne, lorsque le voyageur, qui l’a quitté cinq années auparavant, le revoit veuf, infirme, paralytique et presque tombé en enfance, lorsqu’à un certain moment du repas un mets favori de friandise rappelle au pauvre homme la défunte et le fait éclater en sanglots, l’auteur retrouve cette profondeur d’accent dont il a déjà fait preuve dans Boulba, et il y a là des pages que j’aimerais à citer encore, s’il ne fallait se borner dans une analyse, et laisser au lecteur quelque chose à désirer. — En homme, le nom de M.  […] Viardot d’être connu en France comme celui d’un homme d’un vrai talent, observateur sagace et inexorable de la nature humaine6.

2836. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

Il y en a qui sont générales et communes, et qui existent dans tous les esprits, au moins dans tous les esprits des hommes qui parlent la même langue. […] Lui seul entendra, chaque fois que le mot sera prononcé, certain sifflement de balle, certain amortissement de ce bruit dans la chair vivante, lui seul verra certaine grimace, certaine contorsion de l’homme qui meurt, certain geste indifférent du vieux soldat, certaine colère du vaincu, lui seul évoquera certain regard d’un ennemi rencontré dans une charge, certaine parole, certaine lumière, certain paysage : un monde d’impressions ressenties une seule fois par un seul homme surgira au son de deux syllabes banales. […] Une ondulation immobile remplit L’horizon aux vapeurs de cuivre où l’homme habite. […] Cependant l’épithète est juste et bien appliquée : mais elle évoque des images d’animaux en bois, en plomb, en fer-blanc revêtus de tons splendidement criards, comme en ont manié tous les enfants, des formes d’hommes et de bêtes, qu’on voit dans les rues de village, pendues à des tringles, se balancer au vent et faire éclater au soleil leur luisante peinture : jamais le naturel, le vivant n’est vernissé.

2837. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Chez le ver de terre, la tête n’a pas beaucoup plus de génie que les autres segments de l’animal ; chez l’homme, la tête est un Bonaparte qui plie tout le reste sous son joug. […] Pourtant la vie propre des parties se manifeste encore, même chez les animaux supérieurs : le cœur enlevé à un éléphant peut continuer assez longtemps de battre ; l’homme décapité dont on blesse la poitrine peut, dans certaines conditions, faire avec le bras un mouvement de défense et porter la main à l’endroit menacé, — mouvement accompagné sans doute de vagues sensations douloureuses dans la moelle épinière. […] Lorsqu’un bras séparé du corps est disséqué par l’anatomiste, si on voyait les doigts saisir le scalpel, le repousser, ou le pouce essuyer l’acide irritant, pourquoi demande Lewes, refuserait-on d’admettre que les centres du bras sentent, quoique ie cerveau et l’homme ne sentent pas ? […] Si une jambe est pincée, piquée, l’homme ne sent pas, mais les centres de la jambe sentent et la font s’agiter. […] Au reste, si les centres de la moelle sont presque réduits chez l’homme à l’automatisme des actions réflexes, il n’en est plus de même à mesure qu’on descend l’échelle animale ; nous avons vu qu’alors les centres de la moelle manifestent non seulement une sensibilité rudimentaire, mais de la conscience et de la volonté, parfois même de l’intelligence.

2838. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

D’un côté, le besoin de trouver un point fixe dans la fluctuation universelle des croyances et des consciences rattache les esprits droits à une doctrine déterminée et fixe : d’un autre côté, le besoin de voir de plus en plus clair dans ses pensées, la passion du progrès, à laquelle personne de notre temps ne peut échapper absolument, entraîne plus ou moins les hommes sincères hors des voies réglementaires et consacrées. […] Je ne suis certainement pas juge de l’importance que peut avoir en théologie dogmatique la croyance à l’Immaculée conception ; cependant il faut avouer que les hommes de nos jours étaient peu troublés par cette question, et qu’ils eussent volontiers attendu l’autre monde pour savoir à quoi s’en tenir à ce sujet ; mais leur conscience d’hommes et de citoyens est tous les jours déchirée par le conflit des anciennes doctrines et des nouvelles, et c’est là-dessus qu’on les laisserait libres, à ce que l’on dit. […] « Nous sommes tous prêtres », disait Luther : c’était dire qu’il n’y a pas d’intermédiaires entre l’homme et Dieu pour l’administration des sacrements ; de même aussi dans le vrai protestantisme tout fidèle est pape, en d’autres termes il n’y a point d’intermédiaires entre l’homme et Dieu pour l’interprétation de la doctrine.

2839. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

Le professeur sourit — et se retournant de mon côté : — Ce monsieur, dit-il à voix basse, vient d’émettre une balourdise qui me fait songer, malgré moi : ne croyez-vous pas qu’il existe certains mots — comme certains hommes — fatalement prédestinés à n’être jamais compris, quelque claire que soit leur signification ? […] Et l’on ne voyait partout, la besogne terminée, que fautes d’impression s’épatant lourdement au beau milieu des phrases ou se suspendant ironiquement au bout de chaque ligne : le brave homme que le père Darnet ! […] oui, je l’ai bien aimé, cet homme. […] L’illustre savant combinait les trois liquides, à l’ébahissement des habitués, savourait le mélange à petites gorgées, — et puis s’essuyait les lèvres avec le sourire de l’homme satisfait, — et la manche de son habit, un habit dont M.  […] Le prévenu. — Et puis, j’ai si souvent entendu répéter qu’il fallait dépouiller le vieil homme !

2840. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Il est des sujets sur lesquels la valeur d’un homme, par cela seul qu’il les traite et à condition pourtant qu’il ne les gâtera pas, devient tout à coup vingt-cinq fois plus grande qu’elle n’est réellement, et la Chine est un de ces sujets sterling. […] Les abbés Trublet sont des capacités honnêtes, quoique Voltaire, qui ne l’était pas, s’en soit moqué dans des vers charmants comme ce serpent d’homme savait en siffler ; mais, pour que la compilation mérite le petit salut de la critique en passant, il ne faut pas qu’elle ressemble au pêle-mêle des numéros d’un sac de loto qu’un enfant viderait sur une table. […] Les autres, moins persuadés que le Céleste Empire soit céleste, ont fait du peuple-phénomène qui l’habite une nation de la date de beaucoup d’autres dans la chronologie asiatique, malgré ses prétentions exorbitantes à l’antiquité ; ni plus grand, ni plus fier, ni plus sage que tous les idolâtres de la terre, que toutes les races tombées et dispersées aux quatre vents de la colère de Dieu, abominablement corrompu, — ce qui lui donne ce petit air vieux qui nous fait croire à sa vieillesse, car la corruption vieillit le multiple visage des peuples comme la chétive figure de l’homme, — laid jusqu’à la plus bouffonne laideur, et, si l’on s’en rapporte aux œuvres qui sortent des mains patientes et industrieuses de ce peuple stationnaire, encagé dans son immuable empire du Milieu, ces œuvres de prisonnier qui s’ennuie et qui apparaissent comme des prodiges à notre fougue occidentale, ayant l’intérieur de la tête aussi étrangement dessiné que le dehors, le cerveau conformé comme l’angle facial ! […] S’il y a des chauvins dans ce pays, — comme nous disons dans celui-ci, — de ces hommes qui se sentent plus fiers quand ils regardent… la grande muraille, ce sont très certainement des hommes comme eux.

2841. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Cette revue n’aurait pas supporté un homme qui, comme dans son livre des Femmes au temps d’Auguste 28, se permet la fantaisie dans les choses graves et le dandysme dans le ton, cette grâce un peu hautaine qui fait affoler les lourdauds. […] Quoiqu’il ait écrit des Poésies, ce n’est pas un poète cependant, dans le sens absolu de ce grand nom qui suffit à la gloire d’un homme quand il le mérite ; il n’est point un poète dans sa plus haute signifiance, mais il a de l’imagination poétique, et le livre que voici en est la preuve la plus incontestable. […] Il a l’indifférence de l’homme qui n’aime que ses rêves, et qui ne s’intéresse qu’à mademoiselle sa fantaisie. […] On les reconnaît encore, ces deux figures, à travers les interprétations psychologiques de leur historien ; mais il n’en est pas de même de l’inquiétante figure de Tibère, qui est ici presque un grand homme de grandeur pure, un justicier, — le croira-t-on ?  […] Le savant, chez Blaze de Bury, est caché par l’homme d’agrément.

2842. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

mais, à coup sûr, ce ne sera pas ce qu’un homme de talent consciencieux, profond et sévère, deviendrait jamais. […] About est en effet, et a toujours été un homme heureux. […] encore une fois, en raison de ce bruit, il est curieux de voir ce que sont les livres d’un homme qui, par ses livres et en trois temps, arrive dans un siècle sans cœur, indifférent aux courageux qui luttent, à cette petite importance-là ! […] L’homme du lâché ressemble à l’homme de la sécheresse et de la lime.

2843. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Au lieu d’aborder hardiment cette œuvre immense du roman qui comprend l’étude de l’homme et de la société, invariablement unis l’un à l’autre, M.  […] Shakespeare, l’indifférent sublime, eut l’impartialité, cette impartialité dont l’homme ne peut dire si elle est infernale ou divine. […] Pour un homme de l’organisation supérieure de M. Féval, à la double nature, aristocratique et artiste, pour cet homme d’esprit qui échappe à tout par le don précieux de l’ironie et n’est dupe de rien, pas même peut-être de ses propres inventions, ne voilà-t-il pas une belle position et une belle gloire que d’être le Dennery du roman et de trôner comme roi d’un genre dans lequel M.  […] Exemple, la scène incroyablement nouvelle et d’une bouffonnerie si déchirante, dans laquelle une pauvre femme, contrefaite et méprisée, s’attelle elle-même à une petite voiture de pâtissier, pour charrier à un bal, où elle n’entrera pas, l’homme qu’elle aime sans espoir et qui n’a pas de quoi payer une voiture, par un abominable temps de pluie.

2844. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Une histoire littéraire, telle que je la rêve, dirait toutes les nuances de cette foi nouvelle, d’où la nature et l’amour, les hommes et les dieux sortirent rajeunis. […] Faut-il protester une fois de plus contre la vieille phrase qui dit : « Corneille montra les hommes comme ils devraient être, et Racine… etc. ?  […] — À remarquer toutefois l’attitude de Boileau, non comme homme, mais comme critique officiel. […] Il y a entre ces deux hommes une différence profonde : Voltaire, c’est le bon sens ; Rousseau, c’est la poésie. […] On marche ainsi à une histoire naturelle de l’homme et de l’esprit, au positivisme ; on aboutira nécessairement, en littérature, au naturalisme.

2845. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Il tâchait de le faire accroire aux Siennois assiégés pour leur donner patience : mais, lui, il n’en croyait rien ; il savait que le roi avait assez à faire ailleurs en cent endroits plus proches, aux frontières de son royaume, et qu’il n’enverrait si loin ni hommes ni argent. […] Montluc ne se donne pas pour un historien, c’est un écrivain spécial de guerre ; il semble qu’il tienne à justifier ce mot de Henri IV lisant ses Commentaires, que c’est la Bible du soldat : « Je m’écris à moi-même, et veux instruire ceux qui viendront après moi : car n’être né que pour soi, c’est à dire en bon français être né une bête. » Il commence par établir une bonne police dans la ville ; il la divise en huit parties, dont chacune est sous la surveillance et les ordres d’un des huit magistrats nommés les « huit de la guerre » : dans chacune de ces sections, il fait faire un recensement exact des hommes jusqu’à soixante ans, des femmes jusqu’à cinquante, et des enfants depuis douze, afin qu’on voie quels sont ceux qui peuvent travailler aux choses de siège et à quoi ils sont propres ; dans le travail commun, les moindres ont leurs fonctions ; chaque art et métier, dans chaque quartier, nomme son capitaine, à qui tous ceux du même métier obéissent au premier ordre. […] Montluc n’était pas l’homme de ces justes milieux. […] Et, pour énumérer quelques-unes de ses qualités spéciales et naturelles qui venaient en aide à sa bravoure et la distinguaient d’une aveugle témérité, il avait « le coup d’œil topographique », et là où d’autres ne voyaient rien qu’escarpement et difficulté absolue, il discernait l’assiette possible d’une batterie, le côté faible et vulnérable d’une place : aussi excellait-il aux reconnaissances. — Il avait cet autre coup d’œil qui sait nombrer de loin une troupe dans une plaine, et, à un demi-mille de distance, il savait son chiffre, si considérable qu’il fut à cinquante hommes près. — Il s’entendait à merveille, dans une escarmouche, à « tâter » l’ennemi, c’est-à-dire à connaître à sa marche et à son attitude s’il avait peur ou s’il était en force et solide […] Par son cri d’alarme, il fait bien sentir le danger où fut à une certaine heure la France de se réveiller toute calviniste, au moins par la tête, c’est-à-dire à la Cour, dans les classes élevées et même dans la haute bourgeoisie ; car il y eut un moment de mode presque universelle pour la nouvelle religion ; la jeunesse parlementaire en était plus ou moins atteinte : « Il n’était fils de bonne mère, dit Montluc, qui n’en voulût goûter. » Montluc ne fait point la part de la conviction et de la conscience chez bon nombre de ses adversaires ; mais chez les chefs et les grands il fait très bien la part des motifs ambitieux et intéressés : « Si la reine (Catherine de Médicis) et M. l’amiral (de Coligny) étaient en un cabinet, et que feu M. le prince de Condé et M. de Guise y fussent aussi, je leur ferais confesser qu’autre chose que la religion les a mus à faire entretuer trois cent mille hommes, et je ne sais si nous sommes au bout… » Homme d’autorité et royaliste de vieille roche, il met bien à nu et dénonce l’esprit républicain primitif des Églises réformées et leur dessein exprès de former un État dans l’État.

2846. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Feuillet ; mais, en homme d’esprit, il ne songea à l’imiter qu’en le contredisant. […] Oui, cela est singulier, et je livre le fait à l’explication des moralistes physiologistes : de même qu’aux environs de quarante ans, l’idée et la manie du mariage prend volontiers aux hommes, même volages et libertins, l’idée et l’envie d’un amant vient souvent aux femmes sages après la trentaine. […] Point du tout, vous y êtes attrapé : c’est du premier cheveu blanc d’un homme, d’un mari, qu’il est question. […] Dans des œuvres plus considérables et plus développées, dont Dalila est la plus forte, le Roman d’un Jeune Homme pauvre la plus triomphante, et Sibylle la plus ambitieuse, il a déployé des facultés de drame, une habileté de construction et d’émotion qui ont laissé subsister les autres qualités nuancées : il a étendu et varié sa sphère. […] Toutes ces descriptions sont naturelles et animées ; tout marche à ravir, jusqu’au moment où, après la rencontre d’une chasse, partie d’un château voisin, après l’avoir voulu fuir et en être même venu à bout, notre homme est relancé jusque dans son moulin et sa ruine, et où il devient l’hôte du château.

2847. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Qu’on se rappelle dans l’Odyssée l’épisode charmant de Nausicaa au sortir de la plus affreuse détresse d’Ulysse ; dans Virgile, la seconde vie des hommes vertueux sous les ombrages de l’Elysée ; dans le Tasse, la fuite d’Herminie chez les bergers du Jourdain ; dans Camoëns, l’arrivée de Gama à l’île des Néréides ; dans Milton, les amours de l’Éden. […] La protection du marquis de Chauvelin, homme de beaucoup d’esprit et poëte agréable lui-même, valut à Léonard un emploi diplomatique qui le retint pendant dix années environ (1773-1783), tantôt comme secrétaire de légation, tantôt même comme chargé d’affaires auprès du Prince-Évêque de Liége. […] Aussi léger que lui, l’homme est toujours, hélas ! […] Comme Florian, comme Legouvé, comme Millevoye, comme bien des talents de cet ordre et de cette famille, Léonard ne put franchir cet âge critique pour l’homme sensible, pour le poëte aimable, et qui a besoin de la jeunesse. […] Au sortir de la Révolution, un homme de goût, un poëte gracieux, M. 

2848. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Aujourd’hui, un homme d’esprit bien connu de nos lecteurs252, M.  […] M. de Silly pourtant est bien l’homme qu’elle a le plus véritablement aimé. […] Je sentois cependant que chaque instant l’éloignoit de moi, et ma peine prenoit le même accroissement que la distance qui nous séparait. » Nous surprenons ici le défaut ; cette peine qui croît en raison directe de la distance, c’est plus que du philosophe, c’est bien du géomètre ; et nous concevons que M. de Silly ait pu dire à sa jeune amie dans une lettre qu’elle nous transcrit : « Servez-vous, je vous « prie, des expressions les plus simples, et surtout ne faites « aucun usage de celles qui sont propres aux sciences. » En homme du monde, et plein de tact, il avait mis d’abord le doigt sur le léger travers. […] Combien d’hommes politiques qui se croient de grands hommes, et qui s’agitent toute leur vie, n’en obtiendront pas tant ! […] Cela est écrit avec une élégance agréable, mais cela ne valoit guère la peine d’être écrit. » Trublet lui répondait que toutes les femmes étaient de cet avis, mais que tous les hommes n’en étaient pas.

2849. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

— Faire de l’homme une machine. — Quel moyen faut-il employer pour cela ? — Il faut apprendre à l’homme à s’ennuyer. — Comment y arrive-t-on ? […] — Le philologue : il apprend à bûcher. — Quel est l’homme parfait ? […] R. de Gourmont, qui a une forme générale et commune en a une particulière en chaque homme. […] Si habilement qu’on s’y prenne, on se heurtera à l’antinomie que nous avons signalée et qui tient à la double nature de l’homme, à la fois être individuel et être social.

2850. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

. — Comme toutes les impressions qu’un homme peut recevoir du dehors passent nécessairement par ses sens, pi est bon de se demander tout d’abord à quels sens une œuvre parle, quel genre de sensations elle traduit. […] Quand Théophile Gautier disait : « Je suis un homme pour qui le monde visible existe », — il voulait dire qu’il savait voir et décrire un intérieur, un paysage, un monument. […] aux autres hommes ? […] Tel autre, comme Zola, met d’ordinaire en action les appétits grossiers et puissants par lesquels l’homme plonge dans l’animalité. […] On y aperçoit bien vite un pessimisme violent qui n’est autre chose qu’une tendance à rabaisser l’homme et à dégoûter de la vie.

2851. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Or, si l’esprit régnant dans une époque cesse d’être prédominant dans l’époque suivante, la cause en est la nécessité de changement qui est imposée aux sociétés comme aux individus par la constitution même de l’homme et de l’univers. […] Ce que l’homme ici-bas appelle le génie, C’est le besoin d’aimer… Les Parnassiens, qui leur succèdent dans la faveur publique, se piquent d’être impassibles et impersonnels. […] Leurs sympathies vont à des hommes qui étaient dans la génération antérieure des isolés, des persécutés peut-être, des dédaignés en tout cas. […] Prédominance de la prose sur la poésie ; substitution de l’observation précise et directe aux envolées de l’imagination ; effort des romanciers pour écrire, comme des greffiers impassibles, sous la dictée des choses ; propension à peindre, au lieu d’hommes et de faits grandis et embellis, les mesquineries de la vie journalière ou la brutalité des instincts grossiers ; certes, la réaction est nettement caractérisée. […] Théophile Gautier et d’autres, restés au second plan dans l’époque précédente, jouent ce rôle d’hommes de transition.

2852. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Maurice Barrès donna Sous l’œil des Barbares, les causeurs et les critiques trop nombreux qui parlent des livres après les avoir à peine feuilletés, s’imaginèrent que l’auteur entendait par ces Barbares, à la mode romantique, les imbéciles, les bourgeois, les Philistins, tandis qu’au contraire il comprenait dans ce terme tous les hommes, fussent-ils de la plus haute, de la plus délicate culture, qui attentent à l’intégrité de notre moi, ou empêchent que nous en prenions pleine conscience. […] Lourdement forgé et rudement limé par noble homme Fraire Antoine du Saix, commandeur de Saint-Antoine de Bourg-en-Bresse (1532). […] Voici enfin l’Homme blanc des rochers ou Loganie et Délia, par un nommé Toulotte. […] Et l’on acquiert une exacte notion de la vanité des hommes à voir un nommé Morin publier en 1662 les Pensées de Morin, tout comme ces Messieurs de Port-Royal allaient, après la mort de leur grand ami, survenue cette même année, imprimer les Pensées de Pascal. […] Qu’un pieux exécuteur testamentaire collige les conversations que lui a tenues un homme célèbre — genre toujours pratiqué depuis Platon pour Socrate et Eckermann pour Goethe6, jusqu’à M. 

2853. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Elle hantait l’imagination des Barbares, par la haine d’abord et par la cupidité, puis, dès qu’ils y touchaient, par la beauté, par le passé et par ce charme indicible qui fait « un homme nouveau », selon Gœthe, de quiconque pénètre dans ses murs. […] Pétrarque n’est pas un homme d’action comme Dante ; il n’est pas épique et ne touche pas à la profondeur des vérités éternelles ; il n’est pas une synthèse, il est une foi nouvelle ; il est divinateur, essentiellement lyrique. — L’œuvre latine de l’humaniste Pétrarque est trop peu connue du public cultivé ; son importance historique dépasse pourtant celle du Canzoniere ; d’autre part aussi les poètes pétrarquistes ont fait du tort à leur modèle ; or, il importe de noter ce fait : chez Pétrarque, l’humaniste et le poète ne sont qu’un seul et même homme. […] Cent ans plus tard, en France, Balzac écrit Le Prince, sous Richelieu, préparant Louis XIV ; tandis qu’en Italie le grand patriote Machiavel ne peut s’inspirer que d’hommes tels que Cesare Borgia, Giuliano di Medici ou Lorenzo di Piero di Medici ; aventuriers, tyranneaux de province… En 1494 déjà, une invasion française interrompait l’épopée de Boiardo ; au xvie  siècle Arioste se réfugie dans les domaines intangibles de la fantaisie, il écrit une œuvre de beauté durable, universelle, mais inefficace pour la patrie ; ses prophéties sur l’avenir de la maison d’Este sont pleines de rhétorique et… d’ironie involontaire aussi ; après lui, Torquato Tasso subit à la fois la réaction catholique et le joug des traditions académiques. — En France, le triomphe du catholicisme est aussi celui de l’unité nationale ; « Paris vaut bien une messe » n’est pas une boutade, c’est un mot qui résume une grande nécessité ; ce catholicisme-là n’asservit pas la pensée ; pour plusieurs écrivains, qui nous l’ont dit expressément, il est la liberté ; il ne soumet pas la France à la Papauté, il mène au gallicanisme de Bossuet ; de même, la tradition académique, malgré tous ses défauts, contribue à la discipline nationale. […] Vincenzo Monti, comme patriote, comme artiste et comme homme, caractérise précisément cette période de transition et de contradictions intimes. […] Tous les hommes passent, qu’ils portent la tiare ou la couronne ; l’idée est éternelle, dans un enfantement toujours renouvelé de plus grande liberté.

2854. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

On le conçoit même : sous la dépravation d’un culte qui plaçait dans les cieux les forfaits et les vices, la foule pouvait être tentée de voir un dieu dans un si méchant homme. Mais ce qui doit étonner la raison, c’est que des hommes nourris aux grandes traditions de la Grèce, de pénétrants et gracieux génies aient été les chantres de cette apothéose, aient consacré par leurs louanges ce que flétrissaient leurs maximes. […] Il semble presque se jouer de tout ce qu’il invoque : « Quel homme, ou quel héros, ou quel dieu choisis-tu de célébrer, ô Clio, sur la lyre ou sur la flûte guerrière ? […] Le prestige éternel d’Horace, c’est la peinture attachante de l’homme, et l’instinct poétique dans la vie privée. […] Il a touché le fond du cœur de l’homme, non par les plus grands côtés, il est vrai, mais par des points sensibles qui ne peuvent s’effacer.

2855. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Je crois reconnaître, même dans le sérieux, l’homme d’esprit qui a fait l’espièglerie de Louise Labé. […] Le ministre effectivement dirigeant était lord Bute. — Tant est vrai le mot que m’écrivait l’autre jour dans sa modestie un homme d’un beau nom et d’un vrai mérite, qui vient de donner une bonne édition de l’un des classiques épistolaires du xviie  siècle : « Je sens mieux de jour en jour combien il faut savoir de choses pour parler de n’importe quoi sans dire une bêtise !  […] Tout homme vraiment instruit, s’il est sincère, signerait cela.

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