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62. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

Soit qu’on ne sache pas faire usage des mots qu’on connaît, soit qu’on n’ait pas les mots eux-mêmes à sa disposition, on se laisse aller à croire que la langue ne peut pas rendre ce qu’on ne sait pas lui faire dire, et l’on crée des tours de phrases et des termes pour le besoin de sa pensée. […] En même temps, par un effet contraire, beaucoup de mots s’allongeaient, comme si l’ancien mot, par l’usure et le frottement des siècles, n’avait plus assez de corps, et avait besoin d’être renforcé, ou remplacé par d’autres plus étoffés, plus tangibles. […] Et il faut diriger les études de telle sorte que le vocabulaire dont on disposera le jour où l’on aura besoin d’exprimer sa pensée soit aussi ample, aussi riche que possible : l’intelligence même y trouvera son compte. […] Pour s’habituer à trouver vite et facilement les mots dont on a besoin, pour acquérir la facilité de parler avec propriété, il sera excellent de traduire, par écrit quelquefois, souvent de vive voix, des morceaux d’auteurs anglais ou allemands.

63. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Pour encourager les riches. » pp. 168-175

Et c’est pourquoi, outre un naturel sentiment de compassion pour les pauvres, cette dame éprouva sans doute le besoin de racheter ce qu’il pouvait y avoir, non certes de souillé et d’injuste, mais, forcément, de gênant pour une âme haute, et de pas du tout vénérable et de pas du tout évangélique, dans l’origine, quelle qu’elle ait été, d’une opulence aussi démesurée. […] Cela ne va pas tout seul, et il faut le bien vouloir, même quand l’argent que nous gagnons dépasse notablement nos besoins et nous permet une vie déjà large et aisée. […] Je crois que, finalement, l’argent se fait encore plus aimer par sa masse que par le besoin qu’on en a. L’homme a moins de mal à lâcher quelques sous qui représentent quelques secondes ou quelques minutes de son labeur et dont il pourrait profiter effectivement, qu’à abandonner une grosse somme dont il n’a nul besoin et qui représente surtout le travail des autres.

64. (1915) La philosophie française « II »

Quand ils ont eu besoin de moyens d’expression nouveaux, ils ne les ont pas cherchés, comme on l’a fait ailleurs, dans la création d’un vocabulaire spécial (opération qui aboutit souvent à enfermer, dans des termes artificiellement composés, des idées incomplètement digérées), mais plutôt dans un assemblage ingénieux des mots usuels, qui donne à ces mots de nouvelles nuances de sens et leur permet de traduire des idées plus subtiles ou plus profondes. […] Le besoin de résoudre les idées et même les sentiments en éléments clairs et distincts, qui trouvent leurs moyens d’expression dans la langue commune, est caractéristique de la philosophie française depuis ses origines. […] Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection profonde, Maine de Biran. […] Le besoin de philosopher est universel : il tend à porter toute discussion, même d’affaires, sur le terrain des idées et des principes.

65. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

La vertu, j’en conviens, sait jouir d’elle-même ; moi, j’ai besoin de vous pour obtenir le prix qui m’est nécessaire, pour que la gloire de mon nom soit unie au mérite de mes actions. » Quelle franchise, quelle simplicité dans ce contrat ! […] Les soldats jugent leur général, la nation ses administrateurs : quiconque a besoin du suffrage des autres, a mis, tout à la fois, sa vie sous la puissance du calcul et du hasard, de manière que le travail du calcul, ne peut lui répondre des chances du hasard, et que les chances du hasard, ne peuvent le dispenser du travail du calcul. […] Cette passion conquérante n’estime que ce qui lui résiste ; elle a besoin de l’admiration qu’on lui refuse, comme de la seule qui soit au-dessus de celle qu’on lui accorde ; toute la puissance de l’imagination se développe en elle, parce qu’aucun sentiment du cœur ne la ramène par intervalle à la vérité ; quand elle a atteint un but, ses tourments s’accroissent, son plus grand charme étant l’activité qu’elle assure à chaque moment du jour, l’un de ses prestiges est détruit quand cette activité n’a plus d’aliment. […] En m’attachant avec une sorte d’austérité, à l’examen de tout ce qui doit détourner de l’amour de la gloire, j’ai eu besoin d’un grand effort de réflexion, l’enthousiasme me distrayait, tant de noms célèbres s’offraient à ma pensée ; tant d’ombres glorieuses, qui semblaient s’offenser de voir braver leur éclat, pour pénétrer jusques à la source de leur bonheur. […] Mais, poursuivant le projet que j’ai embrassé, je ne cherche point à détourner l’homme de génie de répandre ses bienfaits sur le genre humain ; mais je voudrais retrancher des motifs qui l’animent, le besoin des récompenses de l’opinion ; je voudrais retrancher ce qui est l’essence des passions, l’asservissement à la puissance des autres.

66. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

L’animal qui sent la dent de son ennemi n’a besoin d’aucune subtilité métaphysique pour imaginer un autre animal mordant. […] L’animal, nous l’avons vu, objective en dépit de la métaphysique idéaliste et sans avoir besoin de tant de raisonnements. […] Point n’est besoin d’une faculté extraordinaire et mystique pour concevoir une négation, ni pour mettre le signe — à la place du signe +. […] Nous n’avons pas besoin de monter en quelque sorte sur notre propre tête pour contempler un horizon de « vérité infinie, de réalité absolue ». Encore moins avons-nous besoin, avec Fichte, d’invoquer le devoir pour attribuer une réalité à la bête qui nous mord ou à l’homme qui nous fait violence.

67. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Il avait besoin d’être dominé, et flotta sans cesse entre le désir de secouer le joug et la nécessité de le reprendre ; mais le plus grand contraste de son règne, c’est que jamais peut-être il n’y eut moins d’activité dans le souverain et jamais le gouvernement ne déploya sa force avec plus de fermeté au-dehors, et une sévérité si imposante et quelquefois si terrible au-dedans. […] Ce traité fut l’époque qui apprit aux Hollandais qu’ils avaient besoin de barrière contre la France ; et Richelieu, qui voulait les unir à lui contre l’Espagne, en montrant son ambition, glaça leur zèle. […] Ils avouent que l’abaissement des grands était nécessaire ; mais ceux qui ont réfléchi sur l’économie politique des États, demandent si appeler tous les grands propriétaires à la cour, ce n’était pas, en se rendant très utile pour le moment, nuire par la suite à la nation et aux vrais intérêts du prince ; si ce n’était pas préparer de loin le relâchement des mœurs, les besoins du luxe, la détérioration des terres, la diminution des richesses du sol, le mépris des provinces, l’accroissement des capitales ; si ce n’était pas forcer la noblesse à dépendre de la faveur, au lieu de dépendre du devoir ; s’il n’y aurait pas eu plus de grandeur comme de vraie politique à laisser les nobles dans leurs terres, et à les contenir, à déployer sur eux une autorité qui les accoutumât à être sujets, sans les forcer à être courtisans. […] Quelque jugement qu’on porte sur le caractère moral de ce ministre, le premier de son siècle, et fort supérieur aux Bukingham et aux Olivarès qu’il eut à combattre, son nom, dans tous les temps, sera mis bien loin hors de la foule des noms ordinaires, parce qu’il donna une grande impulsion au-dehors ; qu’il changea la direction des choses au-dedans ; qu’il abattit ce qui paraissait ne pouvoir l’être ; qu’il prépara, par son influence et son génie, un siècle célèbre ; enfin, parce qu’un grand caractère en impose même à la postérité, et que la plupart des hommes ayant une imagination vive et une âme faible, ont besoin d’être étonnés, et veulent, dans la société comme dans une tragédie, du mouvement et des secousses. […] Son grand mérite fut l’art de négocier ; il y porta toute la finesse italienne avec la sagacité d’un homme qui, pour s’élever, a eu besoin de connaître les hommes, et a appris à les manier, en les faisant servir d’instruments à sa fortune.

68. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Nous devons renoncer le besoin sexuel, ne point commettre l’adultère, moins pour ne pas faire tort au prochain que pour nous éviter à nous-mêmes les soucis qui naissent de ces besoins. […] Autour de lui germera l’immense nature, fournissant aux fatals besoins physiques le trésor des aliments végétaux. […] Il ignorera les inventions funestes, qui créent des besoins inassouvis. […] Nous devons chasser les besoins naturels et non nécessaires, et les besoins nécessaires, et vider nos âmes. Est-ce donc à la fin de les remplir par des besoins nouveaux ?

69. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Le même principe, fécond en conséquences, s’applique à ces affections comme à tous les attachements du cœur ; si l’on y livre son âme assez vivement pour éprouver le besoin impérieux de la réciprocité, le repos cesse et le malheur commence. […] Dans la seconde supposition, peut-être la plus naturelle, le sentiment maternel, accoutumé par les soins qu’il donne à la première enfance, à se passer de toute espèce de retour, fait éprouver des jouissances très vives et très pures, qui portent souvent tous les caractères de la passion, sans exposer à d’autres orages que ceux du sort, et non des mouvements intérieurs de l’âme ; mais il est si tristement prouvé que, dès que le besoin de la réciprocité commence, le bonheur des sentiments s’altère, que l’enfance est l’époque de la vie, qui inspire à la plupart des parents l’attachement le plus vif, soit que l’empire absolu qu’on exerce alors sur les enfants, les identifie avec vous-mêmes, soit que leur dépendance inspire une sorte d’intérêt, qui attache plus que les succès mêmes qu’ils ne doivent qu’à eux, soit que tout ce qu’on attend des enfants alors, étant en espérance, on possède à la fois ce qu’il y a de plus doux dans la vérité et l’illusion, le sentiment qu’on éprouve, et celui qu’on se flatte d’obtenir. […] La base principale d’un tel lien, l’ascendant du devoir et de la nature, ne peut être anéanti ; mais dès qu’on aime ses enfants avec passion, on a besoin de toute autre chose que de ce qu’ils vous doivent, et l’on courre, dans son sentiment pour eux, les mêmes chances qu’amènent toutes les affections de l’âme : enfin, ce besoin de réciprocité, cette exigence, germe destructeur du seul don céleste fait à l’homme, la faculté d’aimer, cette exigence est plus funeste dans la relation des parents avec les enfants, parce qu’une idée d’autorité s’y mêle, elle est donc par la même raison plus funeste et plus naturelle ; toute l’égalité qui existe dans le sentiment de l’amour suffit à peine pour éloigner de son exigence l’idée d’un droit quelconque ; il semble que celui qui aime le plus, par ce titre seul, porte atteinte à l’indépendance de l’autre ; et combien plus cet inconvénient n’existe-t-il pas dans les rapports des parents avec les enfants ?

70. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

L’activité de l’âme survit aux moyens de l’exercer ; les désirs, à la perte des biens dont ils inspirent le besoin. […] Comme elle naît toujours de la profondeur de la réflexion, et qu’elle est souvent inspirée par le besoin de résister à ses passions, elle suppose des qualités supérieures, et donne une jouissance de ses propres facultés tout à fait inconnue à l’homme insensible ; le monde lui convient mieux qu’au philosophe ; il ne craint pas que l’agitation de la société trouble la paix dont il goûte la douceur. […] La satisfaction que donne la possession de soi, acquise par la méditation, ne ressemble point aux plaisirs de l’homme personnel ; il a besoin des autres, il exige d’eux, il souffre impatiemment tout ce qui le blesse, il est dominé par son égoïsme ; et si ce sentiment pouvait avoir de l’énergie, il aurait tous les caractères d’une grande passion ; mais le bonheur que trouve un philosophe dans la possession de soi, est de tous les sentiments, au contraire, celui qui rend le plus indépendant. […] Ce repos auquel la nature nous appelle, qui semble la destination immédiate de l’homme ; ce repos dont la jouissance paraît devoir précéder le besoin même de la société, et devenir plus nécessaire encore après qu’on a longtemps vécu au milieu d’elle ; ce repos est un tourment pour l’homme dominé par une grande passion.

71. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

Faguet, ce sont précisément les grands écrivains qui, je ne dis pas toujours, mais assez souvent, n’ont pas besoin de se corriger et perdent à se corriger. » J’ai beau chercher, je l’avoue, je ne vois pas quels sont ces grands écrivains. […] Je ne sais si tous ces auteurs n’avaient pas besoin de se corriger. Du moins ont-ils cru en avoir besoin, puisqu’ils ont, en effet, énormément corrigé et que la valeur de leurs œuvres démontre qu’ils n’ont pas perdu à se corriger.‌ […] Il n’aurait plus besoin d’y revenir, car les choses s’étaient passées pour le mieux.

72. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

. — De nos prétentions et de nos besoins en matière d’histoire. — § III. […] Ce qu’il faut penser des critiques qu’on a faites du plan du Siècle. — De nos prétentions et de nos besoins en matière d’histoire. […] Nul n’a mieux connu que lui ni mieux contenté nos vrais besoins. […] C’est un certain ordre où les gens comme lui ont toutes leurs aises, y compris, j’en conviens, un besoin de justice générale satisfait. […] En tout cas, on n’a pas besoin de chercher des témoins pour lui faire son procès ; on a les aveux du coupable.

73. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Chacun fabrique pour lui-même ce dont il a besoin, chacun a ses dieux propres, qui sont ses ancêtres. […] Lorsqu’en effet les associations partielles sont assez différenciées pour ne prendre les hommes que par un côté et ne satisfaire qu’à un de leurs besoins, il est naturel que ces mêmes hommes, ayant plus d’un besoin à satisfaire, tiennent à plusieurs associations. […] Un règlement qui résiste ouvertement à la pression des besoins sociaux est tourné, ou fléchit. […] Et ainsi, au lieu qu’il soit enfermé dans une seule association exclusive et jalouse qui, en satisfaisant tous ses besoins, accaparerait toute son activité, une multitude de sociétés s’ouvrent à l’homme : à chacune d’elles il ne prête son activité que dans la mesure de ses besoins. […] Si surtout les groupements dont l’individu a fait partie ont changé, et que nous ayons le sentiment qu’ils peuvent changer encore, alors nous éprouvons de plus en plus le besoin de l’estimer en lui-même et pour lui-même.

74. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Tout peuple qui s’aime lui-même sent, d’instinct, qu’il a à choisir entre le besoin malsain d’égalité et le besoin légitime et salutaire de persévérer dans l’être, et que ceci ne peut être si cela est. […] L’État, par besoin d’argent, avait vendu le droit de juger. […] Les chefs sont nés parmi les nations de ce besoin-là, ou du moins ce besoin a très puissamment aidé les chefs à naître et à faire accepter leur domination, parfaitement illégitime. […] Cela dépend du besoin qu’on en aura quand je l’aurai fini. […] Je n’ai pas besoin de dire que pour Proudhon il est trop faible.

75. (1881) Le roman expérimental

Est-il besoin de le montrer partout ? […] de quelle évolution avez-vous besoin ? […] J’aurais besoin de loisirs dont je ne puis disposer. […] Le besoin le poussera bientôt vers le journalisme. […] En quoi la France a-t-elle besoin d’écrivains médiocres ?

76. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

L’homme a besoin de tout apprendre ; et ses sens ne serviraient qu’à le tromper s’il n’était pas instruit à en rectifier les erreurs. […] Le lecteur n’a pas besoin que je lui trace les justes bornes de cette analogie. […] Les langues auraient donc été faites tout d’une pièce par des hommes en qui la force de l’intelligence aurait fait prévoir les besoins futurs de la pensée ; il est présumable en effet qu’en remontant à l’origine de ces sociétés, grossière et misérable comme il faut la supposer dans une telle hypothèse, ce ne seraient pas ces sortes de besoins qui auraient commandé les premiers l’emploi de la parole. […] Pour définir, il faudrait employer des mots qui auraient besoin eux-mêmes d’être définis. Ce qu’il y a de merveilleux dans tout ceci, c’est qu’en effet on n’a pas besoin de définitions pour s’entendre.

77. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Là, au contraire, où La Bruyère a besoin de piquer ou de soutenir notre attention, il n’est caresses ni avances qu’il ne lui fasse. C’est tout un art imaginé pour faire passer les pensées communes qu’il n’a pas su éviter, ou dont il a cru avoir besoin comme de degrés pour nous mener à des pensées plus relevées. […] Le génie fécond ne se fatigue pas en arrangements ; il va droit à ces choses éternelles qui n’ont pas besoin d’être ornées, et par le même effort d’esprit il les découvre et les exprime. […] L’art de l’écrivain supérieur est de les aller chercher au fond de nous-mêmes, où elles sont comme étouffées et assoupies par nos besoins et nos passions, et de les exprimer dans le caractère et la sévère beauté de la langue de son pays. […] Là surtout le besoin de plaire au public a fait sortir La Bruyère des limites de son art.

78. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

La statue grandiose, pour que chaque trait n’en paraisse pas trop gros et exagéré, a besoin d’être placée à sa perspective. […] Non qu’il ne faille des Comités, mais à diriger, et non à consulter ; mais à répandre, propager, disperser, et non à transformer en Conseil privé ; comme si l’indécision n’était pas toujours le résultat de la délibération de plusieurs, lorsque ce résultat n’était pas la précipitation, et que la décision ne fût pas notre premier besoin et notre unique moyen de salut. […] Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion ; mon impulsion a besoin de vos grandes qualités ; et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez, en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! […] Ce qui les perdra irrémédiablement, c’est d’avoir peur des hommes, et de transporter toujours les petites répugnances et les frêles attraits d’un autre ordre de choses dans celui où ce qu’il y a de plus fort ne l’est pas encore assez ; où ils seraient très forts eux-mêmes, qu’ils auraient encore besoin, pour l’opinion, de s’entourer de gens forts. […] Mettez à ces deux paquets quelque indication prudente, mais précise. » Le comte de La Marck comprit toute la gravité de cette mission, et s’il en différa l’accomplissement jusqu’après sa mort, on ne peut s’en étonner ; car il a fallu peut-être les dernières circonstances européennes, et le besoin où l’on est de tout entendre en fait de vérité politique salutaire, pour que l’esprit public fut prêt à accueillir ces pièces, comme il le fera sans nul doute.

79. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Ainsi nous entassâmes d’abord dans la nôtre, sans règle et sans choix, toutes les richesses qui s’offrirent à nous ; à peu près comme l’indigence avide se précipite sur des trésors qu’elle rencontre, et dans le premier moment ne peut distinguer ce qui convient à son caractère ou à ses besoins. […] Il faut avoir longtemps mesuré ses forces ; il faut avoir appris à les gouverner avec souplesse, pour savoir les arrêter au besoin. […] L’éloquence même, qui, dans sa marche soutenue, a le plus besoin de liaison, à celle des mots qui nous manquent, substitua celle des idées. […] L’éloquence n’est pas de ces fruits qui naissent dans tous les sols et sous tous les climats ; elle a besoin d’être échauffée et nourrie par la liberté. […] Elle forma dans les premiers rangs des hommes d’état ; dans ces hommes à qui la puissance est interdite, et qui cependant, fatigués de leur obscurité, sentaient le besoin d’en sortir et d’occuper leur siècle d’eux-mêmes, elle développa et créa les talents des arts.

80. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Les femmes ont découvert dans les caractères une foule de nuances que le besoin de dominer ou la crainte d’être asservies leur a fait apercevoir : elles ont fourni au talent dramatique de nouveaux secrets pour émouvoir. […] Les anciens savaient animer les arguments nécessaires à chaque circonstance ; mais de nos jours les esprits sont tellement blasés, par la succession des siècles, sur les intérêts individuels des hommes, et peut-être même sur les intérêts instantanés des nations, que l’écrivain éloquent a besoin de remonter toujours plus haut, pour atteindre à la source des affections communes à tous les mortels. […] Un sentiment plus doux donne aux modernes le besoin du secours, de l’appui, de l’intérêt qu’ils peuvent inspirer ; ils ont fait une vertu de tout ce qui peut servir au bonheur mutuel, aux rapports consolateurs des individus entre eux. […] Un certain degré d’émotion peut animer le talent ; mais la peine longue et pesante étouffe le génie de l’expression ; et quand la souffrance est devenue l’état habituel de l’âme, l’imagination perd jusqu’au besoin de peindre ce qu’elle éprouve.

81. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Dans les monarchies limitées, comme en Angleterre et en Suède, l’amour de la liberté, l’exercice des droits politiques, des troubles civils presque continuels, apprenaient aux rois qu’ils avaient besoin de rencontrer dans leurs favoris de certaines qualités défensives, apprenaient aux courtisans que même pour être préférés par les rois, il fallait pouvoir appuyer leur autorité sur des moyens indépendants et personnels. […] Les despotes de l’Orient et du Nord avaient trop besoin d’inspirer la crainte pour exciter d’aucune manière l’esprit de leurs sujets ; et le désir de plaire à ses maîtres, est une sorte de familiarité avec eux qui effaroucherait leur tyrannie. […] L’arbitraire dans le pouvoir n’excluant point alors la liberté dans les opinions, l’on sentait le besoin de se plaire les uns aux autres, et l’on multipliait les moyens d’y réussir. […] Il n’y avait pas sans doute beaucoup de philosophie dans la conduite de la plupart des hommes éclairés ; ils avaient souvent eux-mêmes les faiblesses qu’ils condamnaient dans leurs ouvrages : néanmoins ce qui relevait les écrits et les conversations, c’était une sorte d’hommage à la philosophie, qui avait pour but de montrer que l’on connaissait de la raison tout ce que l’esprit eu peut savoir, et qu’au besoin on pourrait se moquer de son ambition, de son orgueil, de son rang même, quoique l’on fût bien résolu à n’y point renoncer.

82. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Les besoins physiques ne peuvent être satisfaits que par un travail physique. […] Puis donc que j’ai besoin de manger comme une bête, je dois fournir le labeur de bête de somme qui, seul, peut nourrir mon corps et permettre au dieu qui pleure en moi de vivre, de penser, d’aimer. […] Ô mes frères en prostitution, saluons nos trois héros : Saint Paul qui adresse aux Romains et aux Corinthiens de sublimes épîtres, mais qui se refuse aux simonies, qui ne vit ni de l’autel ni de la parole, qui, pour avoir à manger, tisse des tentes ; — saint Spinoza qui compose la plus logique ou creuse la plus profonde des philosophies, mais qui, ayant besoin chaque jour de quelques grains de gruau pour soutenir son corps ascétique, ne veut pas les obtenir comme professeur, méprise les chaires offertes et polit des verres de lunette ; — saint Tolstoï, le plus noble génie de notre temps, qui donne ses livres libérateurs et ne se reconnaît le droit de dîner que lorsqu’il a raccommodé une paire de souliers. […] Alors, j’ai tâché d’avoir très peu de besoins et je me donne pour ma propre joie à ceux qui m’achètent.

83. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

La vérité n’a pas besoin de la violence des paroles. […] « À en juger donc par sa conduite ordinaire et constante, l’homme a besoin d’une croyance religieuse. […] Elle avait disparu un moment dans une grande tempête de l’esprit humain ; mais, la tempête passée, le besoin de croire revenu, elle s’était retrouvée au fond des âmes, comme la croyance naturelle et indispensable de la France et de l’Europe. […] « Est-il besoin, avec des motifs tels que ceux qui le dirigeaient, de chercher s’il agissait par une inspiration de la foi religieuse, ou bien par politique ou par ambition ? […] » Or, les vrais besoins du peuple qui venait d’accomplir la plus grande transformation des temps modernes, pour établir la liberté des consciences et l’égalité des croyances personnelles devant les lois et devant Dieu ; ces vrais besoins des peuples étaient-ils de reconstituer aussitôt après, au lieu de la religion volontaire et d’autant plus efficace qu’elle est plus volontaire, une religion d’État garantie à un souverain de la foi par un souverain des armes, investie de privilèges dont chacun était une limite à la liberté des autres cultes ?

84. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Mêler dans cette œuvre, pour satisfaire ce besoin de l’esprit qui veut toujours sentir le passé dans le présent et le présent dans le passé, à l’élément éternel l’élément humain, à l’élément social, un élément historique. […] Aujourd’hui, en présence d’un succès dû évidement à cette pensée et qui a dépassé toutes ses espérances, il sent le besoin d’expliquer son idée entière à cette foule sympathique et éclairée qui s’amoncelle chaque soir devant son ivre avec une curiosité pleine de responsabilité pour lui. On ne saurait trop le réduire, pour quiconque a médité sur les besoins de la société, auxquels doivent toujours correspondre les tentatives de l’art, aujourd’hui plus que jamais le théâtre est un lieu d’enseignement.

85. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Cependant, le corps social a besoin d’une magistrature et il est nécessaire qu’on rende la justice, tant bien que mal. […] Ce ne sont pas les jeunes qui ont besoin de secours, mais les vieux qui tombent sur la route, par la malchance du sort. […] Il n’y a pas besoin de vingt-quatre heures par jour pour pratiquer le vers ou la prose. […] Il me semble que les littérateurs ont actuellement plus besoin de découragement que d’encouragement. […] Maintenant si la couronne (et sa liste civile) est une aumône… il n’y a plus besoin de nous parler du mérite.

86. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Et cependant nous avons besoin de voir Dieu dans la poésie comme dans la nature. […] Ce grand coeur malheureux de l’homme moderne, tourmenté par le besoin et l’impuissance d’adorer, ne trouve la beauté parfaite et consolante que dans la nature infinie. […] Il parle d’eux sans cesse et souvent sans besoin, comme Homère. […] Il n’a pas besoin de les chercher ; on voit que sa pensée habite dans ce monde. […] Au fond ils s’y produisent comme dans la nature, sans formules préconçues et au moyen de détails isolés, mais selon des directions générales et en vertu d’un besoin inné.

87. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Il honore les génies, et au besoin, méconnus, il les salue, ignorés, il les constate, persécutés, il les venge, insultés, il les couronne, détrônés, il les replace sur leur piédestal, il les vénère, mais il ne vient pas d’eux. […] Qu’au besoin dans Montesquieu il y avait John Brown. […] Tels sont les besoins actuels du progrès. […] L’enfant a pourtant besoin de savoir qu’il est homme, et le père qu’il est citoyen. […] Aucun génie actuel ou possible ne vous dépassera, vieux génies, vous égaler est toute l’ambition permise ; mais, pour vous égaler, il faut pourvoir aux besoins de son temps comme vous avez pourvu aux nécessités du vôtre.

88. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Les autres… les autres iront naturellement tomber dans le grand sac à marionnettes où sont tombés, successivement engloutis, tous les dieux du dix-neuvième siècle et leurs divers clergés, Le Mapah, Jean Journet, Thoureil, les phalanstériens avec leur queue, les saints-simoniens et leur tunique, et ils n’ont besoin de personne pour les pousser dans ce sac-là. […] … Nulle réponse que le besoin qu’on a de faire admettre le principe de l’invariabilité des lois naturelles (page 81). […] Comte a donné au matérialisme un habit neuf, dont il avait grand besoin, le pauvre diable (et diable est le mot) ! […] Pour caler la négation qu’il se permet, et qui a besoin de solidité, en raison même de sa masse, M.  […] … Est-ce même sa définition du progrès, qui a besoin d’une autre définition pour qu’on l’entende, et qu’il appelle l’ordre continu ?

89. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Lorsqu’on regarde les gens de près, il semble que leurs diverses pièces sont indépendantes, du moins qu’elles ont besoin de temps pour se transmettre les chocs. […] Le piquant, l’agréable ne sont point un besoin pour lui. […] Nous avons beau nous dire indépendants ; dès que nous marchons en corps, nous avons besoin d’un chef de file ; nous jetons les yeux à droite et à gauche, attendant qu’il se montre. […] Je n’ai pas besoin de dire qu’ici la pente des esprits est toute contraire, et l’on voit assez pourquoi, parmi ces politiques militants, ces industriels laborieux, ces hommes d’action énergiques, l’art ne peut fournir que des fruits exotiques ou déformés. […] C’est sur d’autres objets que se rejetteront la grande curiosité, les instincts sublimes de l’esprit, le besoin de l’universel et de l’infini, le désir des choses idéales et parfaites.

90. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Très peu de jeunes gens, et cela est heureux, peuvent se passer d’un état, d’une profession ; ceux même qui le pourraient sentent de bonne heure (ou les familles le sentent pour eux) qu’ils doivent faire comme s’ils en avaient besoin. […] Mais, d’une autre part, ce besoin d’un état n’était pas distinct, chez un grand nombre, de la poursuite d’un emploi, d’une place ; et de ce côté, la presse et l’encombrement aussi se produisant, on avait dû établir des conditions, des difficultés, une sorte de barrière : des certificats d’études, des diplômes littéraires étaient exigés pour l’entrée et pour les moindres emplois dans les administrations ; et ces diplômes, souvent en disproportion avec le but nouveau de la carrière, devenaient, dans bien des cas, un obstacle. […] Il doit leur fournir les explications dont ils ont besoin, mais les abandonner pourtant à leur curiosité propre, et les accoutumer à recueillir directement des ouvriers les informations dont ils ont besoin. […] En remerciant donc les lecteurs qui m’ont suivi jusqu’ici avec tant de bienveillance dans mes excursions toutes modernes, j’ai besoin de leur demander de me laisser pour quelque temps interrompre ces communications habituelles : le jour où je me sentirais en mesure de les reprendre, serait, on peut le croire, un jour heureux pour moi. […] Lorsque presque tous les livres en Europe étaient écrits en cette langue, l’étude en était essentielle dans tout système d’éducation ; mais maintenant on en a rarement besoin si ce n’est comme luxe et agrément, puisqu’il a partout cédé la place, comme véhicule de pensée et de connaissances, à quelqu’une des langues modernes. » — Franklin est un homme qui a tant de perspicacité et qui est tellement doué de l’instinct et du sentiment des temps modernes, que j’ai cru que son opinion, même paradoxale, méritait d’être rappelée avec toutes ses variantes et dans toute son étendue.

91. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Il y a nombre de gens qui savent le goûter et l’admirer de la bonne manière et qui souffraient de la fausse ; ils étouffaient d’impatience, ils avaient besoin d’être vengés. […] Je tiens à conserver ma foi dans l’humanité. » Puis, à d’autres jours, la sociabilité dont il avait une si forte dose l’emportait sur son rassasiement des hommes ; il sentait le besoin du monde, des vieux amis ou même des jeunes visages nouveaux, et il se rapprochait, il revenait au gîte, à ce maudit Paris qu’on aime tant. […] Vous êtes plus heureux ; et, quoi que vous ayez la bonté de me dire, vous n’avez plus besoin des avis de mon expérience : votre cœur est là, et vous savez il y a longtemps quels sont les devoirs de l’honnête homme. […] Une fois, sous la Restauration, il eut besoin d’une souscription pour payer l’amende de 11,000 fr. à laquelle il avait été condamne (1829) : « Au fait, disait-il, l’affaire a été beaucoup mieux que je ne croyais : mais Dieu nous préserve à tout jamais d’avoir besoin de nos chers concitoyens pour semblable chose ! […] Le style, qui n’est que la forme appropriée au sujet par la réflexion et l’art, est le passe-port dont toute pensée a besoin pour courir, s’étendre et prendre gîte dans tous les cerveaux.

92. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Quel besoin des autres, et quel mépris pour eux cependant ! […] Elle avait, au besoin, assez de force en elle-même pour savoir se contenter pleinement de la lecture au lieu de société. […] Sismondi fut considéré, ou peu s’en faut, comme un transfuge, et il eut besoin d’apologie. […] Il avait, on le sait, besoin d’aimer ; ce nouvel attachement, où il rencontrait un accord intellectuel parfait, remplit bientôt son existence, et lui permit de supporter la perte de sa mère qui mourut peu après. […] C’est ainsi qu’en France, au sortir de la Révolution, un nouvel ordre de sentiments inverses et tout opposés remplaça ceux de la veille : « Quand cette Église, dit-il dans cette même lettre à Channing, eut été renversée en France par le double effort des encyclopédistes et des révolutionnaires, quand surtout un peu de calme eut succédé à la tempête, le besoin des affections tendres des cœurs, le besoin de confiance et d’espérance, l’admiration pour la création, le sentiment de la spiritualité de notre être, la soif de l’immortalité se firent sentir dans les âmes.

93. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Du mot qui sert à caractériser le besoin de l’esprit français au commencement du dix-septième siècle, et de l’écrivain qui le premier a contenté ce besoin. — § II. […] Du mot qui sert à caractériser le besoin de l’esprit français au commencement du dix-septième siècle, et de l’écrivain qui le premier a contenté ce besoin. […] Or, le talent de la composition naît du besoin de persuader. […] N’en ayant pas besoin dans les pensées, on ne la regrettait pas, on ne la désirait pas dans le langage. […] Ce sujet, c’était en effet le prince, mais le prince considéré au point de vue de l’unité monarchique, dans la réalité des besoins de la France à cette époque.

94. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Mais la liberté est besoin de petit nombre ; l’égalité et le plaisir de se croire souverain est besoin de tous. […] Les hommes ont toujours cru qu’il ne suffisait pas de tuer par besoin ou par passion. […] Qu’ai-je besoin maintenant de constitution et de droit du peuple ? […] Elle répondrait sans doute : c’est que j’ai besoin de bonheur. […] Mais, avec cela, son cœur était romanesque ; elle était sensible, c’est-à-dire qu’elle avait le besoin d’aimer et le besoin de souffrir.

95. (1912) L’art de lire « Chapitre XI. Épilogue »

Heureux peut-être ceux qui n’ont pas besoin de livre pour penser, et tout à fait malheureux évidemment ceux qui en lisant ne pensent exactement que ce que pense l’auteur ; je ne sais même pas quel plaisir ceux-ci peuvent avoir et je ne puis me le définir. […] Il faut s’armer de sagesse même contre les passions les plus innocentes, parce qu’il n’y a pas de passions innocentes, et même en parlant de la lecture il faut dire : Le sage qui la suit, prompt à se modérer, Sait boire dans sa coupe et ne pas s’enivrer Aussi bien chacun sent qu’il y a un art de lire et, si la lecture n’offrait aucun danger, il n’y aurait pas besoin d’art pour s’y livrer. […] Il me répondit qu’il avait sa méthode, et que, dès qu’un de ceux pour qui la salle de lecture est une salle de conversation venait s’accouder à son fauteuil, il s’endormait immédiatement, ce qui, dans une salle de lecture, comme à un cours public, est dans les moeurs, ne peut froisser personne et n’a pas besoin qu’on s’en excuse.

96. (1908) Après le naturalisme

L’essence des choses premières de la nature n’a pas besoin de justification, surtout par nous. […] Il se déroule ainsi sans besoin de perfection. […] Sa mission, on la lui fit après sa mort pour les besoins de la cause. […] La politique obéit à ses besoins, aux besoins des politiciens, et de la vérité, comme du bonheur des hommes, elle s’en moque. […] La poésie n’a nullement besoin du merveilleux pour être.

97. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Eux-mêmes semblent en avoir eu besoin pour leurs œuvres et non pour leurs cœurs. […] On n’a pas besoin de me prier pour me faire dire qu’elle l’est beaucoup trop. […] Il est besoin d’un contrat pour un mariage ; il n’en est pas besoin pour un divorce. […] Un tel homme se soustrait en quelque sorte à l’État par le peu de besoin ou par le nul besoin qu’il a de l’État. […] — Ceux que nous estimerons en avoir le plus besoin.

98. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Si la morale a besoin de Dieu, il ne faut pas en imaginer un qui la trouble, et Dieu a besoin d’être moral précisément dans la mesure où la morale a besoin de lui. […] — Il naît certainement d’un besoin. — Sans doute ; mais il naît d’un besoin qui n’était pas une souffrance, et par ce côté-là encore la théorie fléchit et il n’est vrai de dire ni que tous les plaisirs naissent de besoins, ni non plus que besoins et souffrances soient précisément la même chose. […] Il y a des plaisirs qui naissent de besoins qui sont des souffrances. […] Je dis : l’une confirmant l’autre ; car le besoin d’union entre les contraires est complémentaire, pour ainsi parler, du besoin d’immortalité.

99. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Point n’est besoin, d’ailleurs, pour expliquer ce dédoublement, de faire intervenir une force mystérieuse. […] Tissu musculaire et tissu nerveux sont donc bien privilégiée, l’un en ce qu’il est approvisionné d’une réserve considérable d’énergie, l’autre en ce qu’il est toujours servi à l’instant où il en a besoin, et dans l’exacte mesure où il en a besoin. […] Inférieur à l’instrument naturel pour la satisfaction des besoins immédiats, il a d’autant plus d’avantage sur celui-ci que le besoin est moins pressant. […] Et elle ne peut se satisfaire entièrement, parce que toute satisfaction nouvelle crée de nouveaux besoins. […] Or, pour répondre à cette question, point n’est besoin d’opter pour un système de philosophie.

100. (1813) Réflexions sur le suicide

J’ai écrit ces réflexions sur le Suicide, dans un moment où le malheur me faisait éprouver le besoin de me fortifier par le secours de la méditation. […] Les Platoniciens disaient, que l’âme avait besoin d’un certain temps de séjour sur cette terre, pour s’épurer des passions coupables. […] Il y a un avenir dans toute occupation et c’est d’un avenir dont l’homme a sans cesse besoin. […] Et d’ailleurs l’éducation, que nous devons recevoir de la douleur, porte nécessairement sur la portion de notre caractère, qui a le plus besoin d’être réprimée. […] Le ciel du nord est bien moins agréable que celui de l’Angleterre, et cependant on y est moins sujet au dégoût de la vie, parce que l’esprit y a moins besoin de mouvement et de diversité.

101. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Elles n’ont pas eu besoin de se tourmenter pour les acquérir. […] Nous les changeons par d’autres, nous les remplaçons selon notre état intérieur, et pour les besoins du moment. […] Il fallait, si l’épervier avait besoin de nourriture, qu’il cherchât de plus gros oiseaux. […] Il n’a pas besoin d’être érudit ; du moins son savoir est d’une autre espèce que la science. […] Et puis, pour le besoin, N’en dois-je pas garder ?

102. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Oui, c’est dans ce siècle, c’est lorsque l’espoir ou le besoin du bonheur a soulevé la race humaine ; c’est dans ce siècle surtout qu’on est conduit à réfléchir profondément sur la nature du bonheur individuel et politique, sur sa route, sur ses bornes, sur les écueils qui séparent d’un tel but. […] Leur entraînement naturel les exposant aux plus cruels malheurs, ils ont plus besoin du système qui a pour but unique d’éviter la douleur. […] Dans la seconde partie, je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l’influence qu’ils ont laissée, aux passions naturelles aux hommes réunis en corps politique, et trouver la cause de la naissance, de la durée, et de la destruction des gouvernements, dans la part plus ou moins grande qu’ils ont faite au besoin d’action qui existe dans toute société. […] Il semble qu’on ne s’est jamais assez mis à la disposition de ceux qu’on aime, qu’on ne leur a jamais assez prouvé qu’on ne pouvait exister sans eux ; que l’occupation, les services de tous les jours ne satisfont pas assez au gré de la chaleur de l’âme, le besoin qu’on a de se dévouer, de se livrer en entier aux autres ; on se fait un avenir tout composé des liens qu’on a formés. […] En effet, si l’on n’était pas né passionné qu’aurait-on à craindre, de quel effort aurait-on besoin, que se passerait-il en soi qui put occuper le moraliste, et l’inquiéter sur la destinée de l’homme ?

103. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le nombre de ses besoins s’accroît dans la mesure du nombre de ses richesses. Vient-il d’ailleurs à perdre la faculté de ressentir le besoin, qu’il tombe dans l’ennui. […] Mais c’est là, semble-t-il, le dernier effort d’une élite, après qu’elle s’est soustraite au besoin, pour échapper à l’ennui. […] Si la plus grande part de l’humanité a satisfait jusqu’ici le besoin d’immortalité qui la possède par le moyen des religions dont les plus grossières furent, semble-t-il, les plus efficaces, le même besoin a induit une élite à une contention beaucoup plus forte de l’esprit, d’où la philosophie est sortie, avec toutes les sciences qu’elle a attachées à son service. […] Cet intérêt de la foule, en déterminant des concours pécuniaires, on contraignant l’État à s’ingérer, mettent la science en possession de l’outillage dont elle a besoin.

104. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

C’est donc un fait tout récent, et qui n’est pas assez couvert par l’antiquité pour n’avoir pas besoin de se justifier. […] Il est si habitué à gagner son pain à la sueur de son front, que son bon sens comprendra sans peine, malgré le cri de ses passions, que chacun doit se suffire, et que la fortune publique n’est faite que pour le bien public, et non pour les besoins et les appétits des particuliers. […] Il en a besoin pour réussir, et la société en a besoin pour se défendre contre lui. […] La liberté de penser a grandi avec la société moderne et avec l’esprit d’égalité ; elle est aujourd’hui un de nos besoins les plus impérieux. […] Lorsque cela arrive, on crie de part et d’autre à l’apostasie, à la défection ; mais la plupart du temps, ces sortes de conversions naissent des vrais besoins de l’âme, partagée entre le doute et la foi.

105. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Il faut que les premiers et indispensables besoins d’une société soient abondamment satisfaits pour qu’elle produise ce double luxe de l’esprit, des écrivains et des lecteurs. […] Non : l’écrivain qui, abdiquant sa noble mission, ne verra dans ses œuvres qu’une marchandise à vendre consultera les goûts, non les besoins de l’acheteur. […] Son souffle anime la matière ; il en fait non seulement l’esclave de ses besoins, mais encore l’interprète de ses idées. […] Je n’ai pas besoin de montrer comment l’homme de lettres s’enrichira, parce que je ne vois nulle nécessité à l’enrichir. […] Plus il en obtiendra de pareils, moins il aura besoin d’en attendre, plus il approchera de la position indépendante que nous lui avons souhaitée.

106. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Tout le drame se passe et est ramené au sein de la substance intérieure « dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lien et ne dépend d’aucune chose matérielle. » C’est ce que dit Descartes ; c’est à peu près ce que pratique Corneille. […] A l’Opéra, après les grands morceaux de musique on a besoin de repos, et il y a des scènes qu’on n’écoute pas. […] Elle se lamente et se demande dans sa candeur si elle obéira, à l’égard de Rodrigue, au sentiment de sa dignité ou à l’attrait de son amour ; puis, sa gouvernante qui survient la conseillant dans le sens le plus fier, elle lui déclare qu’elle veut aller derechef donner Rodrigue à Chimène, comme si celle-ci avait besoin de permission pour le prendre. […] Quoi qu’il arrive, et malgré tout ce qui a été promis, elle se flatte de ne jamais être à Rodrigue et de lui susciter au besoin mille autres ennemis. […] Corneille, pour amener plus vite Chimène à ses fins, a cru avoir besoin de l’engager ainsi et de la compromettre par un éclat involontaire.

107. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Je ne vous ennuierai pas à vous dire mes causes de chagrin ; mais je vous verrai, ce sera beaucoup : on a besoin d’amitié quand on souffre. […] Mon ami, je vous envoie les feuilles que je vous ai promises, et je désire que vous les lisiez avec attention ; car j’ai besoin de votre jugement et de vos conseils. […] ce sont de vains besoins du cœur qu’il faut étouffer, car à cette heure-là nos amis sont occupés ailleurs : l’un songe à la gloire, l’autre à ses amours, un autre boude on ne sait pourquoi, et l’on reste seul. […] Si votre bonheur trouve sa fin, et que vous ayez besoin de me retrouver dans un jour de tristesse ou d’ennui, comptez sur moi toujours.  […] J’en avais d’abord fait une nouvelle ; le besoin d’argent et je ne sais quelles dispositions facétieuses de mon esprit m’ont fait barbouiller beaucoup plus de papier qu’il n’aurait fallu.

108. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Elle profita de l’éducation de ce monde excellent où elle vivait, comme si elle n’en avait pas eu besoin. […] Ainsi, jusqu’à la fin, on la verra partagée dans son délire entre le besoin, le désir de mourir pour M. de Mora, et l’autre désir de vivre pour M. de Guibert : « Concevez-vous, mon ami, l’espèce de tourment auquel je suis livrée ? […] Que lui importe la destinée des autres femmes, ces femmes du monde qui « la plupart n’ont pas besoin d’être aimées, car elles veulent seulement être préférées ?  […] je vous hais de me faire connaître l’espérance, la crainte, la peine, le plaisir : je n’avais pas besoin de tous ces mouvements ; que ne me laissiez-vous en repos ? […] « Je ne me sens le besoin d’être aimée qu’aujourd’hui ; rayons de notre dictionnaire les mots jamais, toujours. » Le second volume n’est plus qu’un cri aigu avec de rares intermittences.

109. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Théodore Leclercq n’avait qu’un parti à prendre, et il le prit sans avoir besoin d’y songer : c’était, tout en en ressentant l’influence et peut-être l’ascendant, de rester lui-même, et de ne pas lui ressembler. […] — Cela lui donnerait de la considération. — Il a déjà celle d’un homme qui n’a besoin de rien : cela ne vaut-il pas mieux ?  […] Qu’on me permette une image classique et consacrée : la comédie au théâtre a besoin de chausser le brodequin pour se tenir ; la comédie de M.  […] Est-il jamais venu à l’idée de personne de leur reprocher les emplâtres dont ils se couvrent, ou les jambes de bois dont ils feignent d’avoir besoin ? […] Esprit délicat, il avait besoin, même pour railler, de sentir autour de lui l’air tiède de la faveur et de l’indulgence : elle ne lui a jamais manqué.

110. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Au commencement de la Révolution, il était devenu imprimeur ; il imprimait la Chronique de Paris, rédigée par Condorcet et autres de ce bord, et il y glissait au besoin quelques petits articles. […] Philippe (c’est le nom du valet de chambre, qui, indépendamment de toutes ses qualités, est studieux, instruit, amateur de lecture), Philippe, retiré du service et vivant auprès de son fils, a pris l’habitude de jeter ses pensées sur le papier ; et comme on lui proposait un jour de se faire imprimer : « Non, vraiment, répondit-ilh, je craindrais de trahir les secrets de l’humanité ; on sent le besoin de les cacher quand on connaît les hommes. » Vers le temps où, retiré en Champagne, à l’abri de la proscription, il écrivait sa Dot de Suzette, M.  […] Le scandale qui eut lieu à Saint-Roch lors du refus de sépulture de la danseuse, Mlle Chameroy, lui fournit l’occasion de remarques politiques relativement à la religion : « Elle aura longtemps encore, dit-il, plus besoin d’être soutenue que contenue. » Il établit très bien la différence qu’il y a entre ces deux supports de l’Ancien Régime, la noblesse qui est véritablement finie, et l’établissement religieux qui doit se transformer et subsister. […] Pour s’exalter, les hommes n’ont besoin que d’un point de réunion : quand ils l’ont, ils bravent, ils dominent l’opinion publique… Les héros de ces rassemblements finissent trop souvent par être plus amis du genre humain que de leur patrie, plus amis de leurs systèmes que du genre humain. […] Il avait besoin tous les matins d’avoir son avis, son mot sur les choses, et de le dire : c’est comme le thermomètre qui ne peut s’empêcher de marquer la température.

111. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Il est encore de leur bord, lorsqu’il témoigne jusqu’à la fin le besoin de la nouveauté jusque dans le vrai. […] En lisant attentivement la suite des lettres comme je viens de le faire, il y a place pour toutes les suppositions, pour celle qui attribue son désespoir final à une grande passion vainement combattue, comme pour celle qui y voit avant tout, et nonobstant les divers prétextes, une maladie d’artiste arrivé au terme, inquiet de sa propre renommée, jaloux de la soutenir, tourmenté du besoin de l’approbation d’autrui, et se croyant désormais impuissant à produire. […] Cette consolation fut refusée à Léopold Robert, le jour où il en aurait eu le plus besoin, et il s’abandonna à la plus sinistre pensée. […] Léopold Robert, vers la fin, avait, en effet, besoin d’être deux. […] Léopold Robert avait des besoins de cœur de plus en plus timides et de plus en plus profonds avec l’âge : « Je ne peux m’expliquer, pensait-il, comment on peut trouver dans ce monde des êtres qui paraissent n’éprouver aucun besoin de nourrir le cœur. » Il craignait avec les années le refroidissement graduel de ce qui fait la vie morale : « En vieillissant, on devient d’un froid de cœur !

112. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

La jeunesse a besoin de mouvement avant tout, et elle n’est pas difficile sur les idées : pourquoi ne s’être pas donné pour tâche d’y veiller ? […] Oui, un Fontanes libéral et rajeuni, au courant de tous les progrès, un Royer-Collard jeune, en permanence, et condescendant aux besoins nouveaux, voilà comment je me le définis. […] Ministre de l’intérieur dès les premiers jours d’août 1830, il avait eu à choisir entre les deux politiques rivales, et il avait pris parti aussitôt : « Par instinct comme par réflexion, dit-il, le désordre m’est antipathique ; la lutte m’attire plus qu’elle ne m’inquiète, et mon esprit ne se résigne pas à l’inconséquence. » Il avait donc planté intrépidement son drapeau sur la brèche qu’on réparait ; il avait professé rigoureusement sa doctrine, plus rigoureusement même qu’il n’était besoin en saine politique ; car, après tout, il s’agissait du salut social dans le sens de la bourgeoisie, et l’essentiel était d’y atteindre, encore plus que de le proclamer. […] Il eut besoin de quelque apprentissage pour devenir grand orateur ; il n’en eut pas besoin pour être le théoricien politique qui présenta aussitôt la Révolution accomplie de la façon la plus monarchique et la plus digne. […] Guizot (est-il besoin de le dire ?)

113. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

L’absence d’instinct dans l’homme fait qu’il a besoin de tout apprendre. […] J’ai besoin de dire que cette remarque est très ancienne ; j’ai besoin même de dire que les physiologistes pourraient lui prêter l’appui de leur autorité ; mais je préfère la justifier par la plus haute de toutes les considérations. […] Rousseau, que l’on trouve sur le chemin de toutes les vérités, lorsqu’il n’est pas contraint d’en sortir par l’esprit de système, Rousseau avait bien compris l’obstacle de l’union des sexes dans l’état absolu d’ignorance ; et c’est même une des objections qu’il se propose dans son Discours sur l’Inégalité des conditions : cependant cela ne l’empêche point, dans son Contrat social, de se hâter de dissoudre les liens de famille sitôt que, selon lui, le besoin cesse de s’en faire sentir pour l’enfant. […] Ai-je besoin d’avertir que je n’entends point toucher à l’exaltation du sentiment religieux qui pousse certains hommes dans la solitude des cloîtres ? […] Seulement il est certain, dès à présent, que si nous ne sommes plus sous la tutelle immédiate des traditions, nous sommes encore sous l’empire et l’influence de ce qui a été primitivement fondé par elles, tant est grande l’énergie de cette volonté toute-puissante qui n’a eu besoin que de s’exercer une fois pour que les choses existassent toujours.

114. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

La morale elle-même a besoin d’emprunter un autre langage pour être entendue. […] Voyez, en effet, comme nous avons besoin déjà de nous transporter au temps où notre littérature classique et nationale a paru tout à coup avec tant d’éclat, si nous voulons l’apprécier et la sentir, du moins en partie. […] Est-il besoin de l’apprendre encore aux hommes ? […] Mais je demande si déjà nous n’avons pas besoin de nous rappeler la personne même de Bossuet, et l’assemblée imposante devant laquelle il parlait, et l’autorité de sa parole, fortifiée par le caractère auguste dont il était revêtu, et l’empire irrésistible de doctrines non contestées, et toutes les gloires et toutes les renommées de cette époque si brillante, et tous les souvenirs de la vieille monarchie, pour sentir les éminentes beautés de l’Oraison funèbre du grand Condé. […] Comment se fait-il donc que nous ayons déjà besoin d’un tel effort de l’imagination pour contempler Bossuet, bien que nous n’ayons pas cessé de le pratiquer, bien que la première admiration ait un retentissement qui a toujours duré ?

115. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

La création a eu besoin de son Créateur, pour être. […] Car nous n’aurions pas besoin d’un portrait. Et nous n’aurions pas besoin d’une histoire. […] Il a eu besoin des Évangiles et qu’il y eût les Évangiles comme Polyeucte a eu besoin de Corneille, comme saint Louis a eu besoin de Joinville, comme Jeanne d’Arc a eu besoin de ce malheureux pauvre clerc qui écrivait les demandes et les réponses. […] Et il n’aurait pas eu besoin des Évangiles.

116. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Dans ce grand travail de recherche et d’analyse, le besoin de règle et de plan se faisait à chaque instant sentir. […] Et d’ailleurs les circonstances politiques devenant de jour en jour plus pressantes, le principe, qui n’aurait dû servir que d’instrument à prendre ou à laisser, devenait lui-même une arme de plus en plus chère, un glaive de plus en plus indispensable et infaillible ; le but lointain d’association et d’unité s’obscurcissait derrière le nuage de poussière que soulevaient les luttes quotidiennes ; car le Globe s’y lança sans hésiter dès que les besoins du pays lui parurent réclamer une pratique plus active ; mais ses tentatives de science générale y perdirent d’autant ; ce sentiment inspirateur, cette tendance générale et ce but d’avenir que nous signalons plus particulièrement ici s’éclipsèrent devant une application directe à la situation politique du moment, et, dans la préoccupation naturelle des rédacteurs comme du public, notre journal parut se réduira au travail du principe de liberté jouant et frappant dans toutes les directions. […] Mais c’était un tour de force, un équilibre de jour en jour plus instable ; l’association qu’un principe purement négatif unissait se relâchait à chaque instant davantage ; le chef lui-même se lassait à la peine : aussi dès que le triomphe du principe arriva, dès que le drapeau de liberté, reprenant ses vraies couleurs, flotta par toute la France, le chef actif sentit le besoin du repos, et l’association politique se rompit. […] Ce n’était plus dans une fermentation lente et obscure qu’on pouvait couver au fond de sa pensée un rêve d’organisation à venir ; on en était déjà à sentir le besoin de préciser les doctrines, et à prévoir le moment de les appliquer.

117. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Or, pour la transition, un seul rapport suffit ; mais pour l’agrégation, il en faut mille ; car il faut une convenance naturelle, profonde et complète. » Ainsi défendu, quoiqu’il n’eut pas besoin de défense, La Bruyère, accepté et magnifié à tous les titres de moraliste, de philosophe, d’observateur et d’écrivain, manquait de cette page de critique qui épure la gloire d’un homme en la passant au feu d’un ferme regard, car dans la gloire, dans ce lacryma-christi de la gloire, telle que les hommes la font et la versent, il y a encore des choses qu’il faut rejeter du verre, — pour que l’ivresse en soit divine ! […] Nous n’avons besoin d’aucun commentateur, d’aucun savant, d’aucun scoliaste, pour savoir ce qu’il y a d’humain et d’universel dans les Caractères de La Bruyère. […] Mais nous avons besoin, nous qui voulons connaître et les procédés de composition des hommes de génie, et l’action de leur esprit sur leur société, et la réaction de leur société sur leur esprit, nous avons besoin qu’on nous dévoile le secret de leurs inspirations et la variété de leurs sources.

118. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Cette erreur est venue de l’infirmité de l’intelligence humaine : plongée et comme ensevelie dans le corps, elle est portée naturellement à percevoir les choses corporelles, et a besoin d’un grand travail, d’un grand effort pour se comprendre elle-même ; ainsi l’œil voit tous les objets extérieurs, et ne peut se voir lui-même que dans un miroir. […] Bayle a sans doute été trompé par leurs rapports, lorsqu’il affirme, dans le Traité de la Comète, que les peuples peuvent vivre dans la justice sans avoir besoin de la lumière de Dieu . Avant lui, Polybe avait dit : si les hommes étaient philosophes, il n’y aurait plus besoin de religion .

119. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

C’est la preuve qu’il répondait à un besoin. […] Un moyen de satisfaire ce besoin est d’imaginer des histoires qui le rendent intéressant. […] Aux degrés moindres de l’hystérie, ce besoin d’attirer l’attention revêt des formes plus innocentes. […] Il ne peut simplement passer devant une pacotille, sans ressentir le besoin de l’acquérir. […] Cette personne éprouvait à l’état de veille le besoin de tuerie médecin.

120. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface et note de « Notre-Dame de Paris » (1831-1832) — Note ajoutée à l’édition définitive (1832) »

Mais il sent le besoin de dire ici qu’il désire vivement que l’avenir lui donne tord un jour. […] Nous ne pouvons résister au besoin de signaler, pour terminer cette note, quelques-uns de ces actes de vandalisme qui tous les jours sont projetés, débattus, commencés, continués et menés paisiblement à bien sous nos yeux, sous les yeux du public artiste de Paris, face à face avec la critique que tant d’audace déconcerte. […] On parle de raser l’admirable chapelle de Vincennes, pour faire avec les pierres je ne sais quelle fortification, dont Daumesnil n’avait pourtant pas eu besoin.

121. (1887) Essais sur l’école romantique

qu’est-ce que la poésie qui a besoin qu’on la prouve ? […] Quelle nécessité, quel besoin de convaincre ou de protester, ont donné lieu à ces quatre mille vers ? […] Jadis, c’était le siècle qui le donnait au poète, sans même que le poète eût besoin de le lui demander. […] Dans toute époque, quelque vague et éparpillée qu’on la suppose, il y a toujours deux sortes de besoins : les besoins éternels de vérité, de raison, de moralité, de progrès ; et les besoins du jour, de l’heure, qui sont les caprices d’esprit, le goût des livres secrets, de l’imprévu, de la charge, de la licence. […] Les petits enfants de l’Angleterre pourraient le dire, au besoin.

122. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Ai-je besoin d’ajouter qu’à plus forte raison les sciences naturelles ne décideront pas la question de savoir où nous allons ? […] » Mais si « la révélation » était entière, et qu’elle n’eût pas besoin d’être perpétuellement éclairée comme d’en haut, alors nous serions Dieu lui-même. […] C’est un premier point dont nous pouvons convenir avec l’enseignement de l’Église ; — et je n’ai pas besoin d’en montrer l’importance. […] Lorsque l’on tombe d’accord de trois ou quatre points de cette importance, il n’y a pas même besoin de discuter les conditions, ou les termes, d’une entente ; — et elle est faite. […] Ai-je besoin maintenant de justifier Bossuet sur l’article du « respect de la vie humaine » ou celui de l’« esclavage » ?

123. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Fiévée commence par nous parler de lui, de ses articles au Temps, et pourquoi il a cessé d’en faire, et pourquoi il pourra bien reprendre, toutes particularités fort curieuses et fort agréablement assaisonnées sans doute, mais qui tiennent d’assez loin en apparence aux questions politiques tranchées ou soulevées par les événements de juillet, il y a des gens d’esprit qui ont une manière de causer à eux ; ils débutent à leur façon, ils parlent d’eux-mêmes, ils ont peine à se dégager de leur personnalité ; avant de vous exposer les résultats de leurs réflexions, ils ont besoin d’établir où et comment ces réflexions leur sont venues. […] Si cette minorité était arrivée d’une manière naturelle, peut-être aurait-elle été favorable au développement de nos libertés ; mais à travers deux abdications, toujours et nécessairement conditionnelles, avec le besoin cruel de séparer un enfant de ses parents-exilés, de ne pouvoir former sa raison sans lui apprendre à les juger au moins aussi sévèrement que l’histoire le fera, avec le danger de les voir un jour se rapprocher de lui, il n’aurait été qu’une cause de soupçons, d’agitation, que l’étendard d’un parti qui n’a que trop prouvé ses fureurs et son incapacité. […] «  La grande journée de juillet a prouvé le besoin de changer notre langue politique, et de renoncer enfin à d’antiques expressions qui depuis longtemps n’ont plus de rapports avec notre ordre social. […] Trois jours de combat, et les ateliers se rouvrirent avec la certitude d’une longue sécurité ; c’est ce que voulait un peuple qui craint le joug du besoin, mais qui a accepté la nécessité du travail depuis qu’il jouit d’un peu d’aisance et d’un peu d’instruction qui doivent tendre à s’accroître, dès que des habitudes nouvelles lui ont fait comprendre qu’il n’y a rien de plus moral que le travail pour ceux qui ont leur fortune à commencer, et que la vie publique pour ceux dont la fortune est faite. » Après ce qui s’est passé dans les rues, l’auteur de la brochure comprend et indique très-bien ce qui doit se passer dans le gouvernement par rapport à la société.

124. (1890) L’avenir de la science « I »

Le premier pas de celui qui veut se donner à la sagesse, comme disait la respectable antiquité, est de faire deux parts dans la vie : l’une vulgaire et n’ayant rien de sacré, se résumant en des besoins et des jouissances d’un ordre inférieur (vie matérielle, plaisir, fortune, etc.) ; l’autre que l’on peut appeler idéale, céleste, divine, désintéressée, ayant pour objet les formes pures de la vérité, de la beauté, de la bonté morale, c’est-à-dire, pour prendre l’expression la plus compréhensive et la plus consacrée par les respects du passé, Dieu lui-même, touché, perçu, senti sous ses mille formes par l’intelligence de tout ce qui est vrai, et l’amour de tout ce qui est beau. […] Privée de son idéalisation, la vie est devenue quelque chose de profane, de vulgaire, de prosaïque, à tel point que, pour certains actes, où le besoin d’une signification religieuse était plus sensible, comme la naissance, le mariage, la mort, on a conservé les anciennes cérémonies, lors même qu’on ne croit plus à leur efficacité. […] D’illustres exemples prouveraient au besoin que cette haute harmonie des puissances de la nature humaine n’est pas une chimère. […] L’homme né avec une faculté éminente qui absorbe toutes les autres est bien plus heureux que celui qui trouve en lui des besoins toujours nouveaux, qu’il ne peut satisfaire.

125. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Et d’abord, pour donner quelque dignité à cette discussion impartiale, dans laquelle il cherche la lumière bien plus qu’il ne l’apporte, il répudie tous ces termes de convention que les partis se rejettent réciproquement comme des ballons vides, signes sans signification, expressions sans expression, mots vagues que chacun définit au besoin de ses haines ou de ses préjugés, et qui ne servent de raisons qu’à ceux qui n’en ont pas. […] Il faut le dire et le redire, ce n’est pas un besoin de nouveauté qui tourmente les esprits, c’est un besoin de vérité ; et il est immense. Ce besoin de vérité, la plupart des écrivains supérieurs de l’époque tendent à le satisfaire.

126. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Cette extrême indigence qui force à travailler pour avoir du pain, n’est propre qu’à égarer un homme de génie, qui sans consulter ses talens, s’attache, pressé par le besoin, aux genres de poësie qui sont plus lucratifs que les autres. […] L’extrême besoin dégrade l’esprit, et le génie, réduit par la misere à composer, perd la moitié de sa vigueur. D’un autre côté, les plaisirs détournent les poëtes du travail, aussi-bien que le besoin. […] L’envie d’augmenter sa fortune excite un poëte qui se trouve dans cette situation, sans que le besoin lui rabaisse l’esprit, ni l’oblige à courir après un vil salaire, comme ont fait les ouvriers mercenaires de tant de poëmes dramatiques, qui ne se soucioient gueres de la destinée de leurs pieces, attentifs uniquement à toucher l’argent qui devoit leur en revenir.

127. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts » pp. 128-144

Mais la supériorité de certains siecles sur les autres siecles est trop connuë pour qu’il soit besoin que nous nous arrêtions à la prouver. […] Les compatriotes des grands artisans, peuvent-ils donner aux beaux arts cette attention qui les encourage avec tant de succès, s’ils ne vivent pas dans un temps où il soit permis aux hommes d’être plus attentifs à leurs plaisirs qu’à leurs besoins. […] Mais ils veulent soûtenir le poëme dont la foiblesse a besoin d’appui, en montrant une prédilection affectée pour lui, quand ils abandonnent à leur destinée ceux de leurs ouvrages, qui peuvent se soûtenir avec leurs propres aîles. […] La societé étoit alors partagée en maîtres et en esclaves, qui la servoient bien mieux qu’elle ne peut être servie par un menu peuple mal élevé, qui ne travaille que par necessité, et qui se trouve encore dépourvû des choses dont il auroit besoin pour travailler avec utilité, lorsqu’il est réduit à travailler.

128. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

De même la parole fut douée, au commencement, d’une puissance et d’une fécondité dont elle ne jouit plus, il est vrai, mais dont les effets se perpétuent encore, Dieu n’a pas besoin de renouveler à chaque instant les miracles de la première création. […] Mais, quoi qu’il en soit, j’ai besoin de le redire, et je voudrais faire passer dans mes lecteurs la conviction intime où je suis que Dieu ayant fait l’homme pour vivre en société, la providence de Dieu ne cessera point de veiller sur les sociétés humaines ; quoi qu’il en soit, répéterons-nous, s’il est vrai que jusqu’à présent Dieu se soit servi de la parole pour diriger les destinées du genre humain, si la parole enfin a été jusqu’à présent une révélation toujours subsistante au sein de la société, et que ce moyen ait cessé de lui paraître utile ou nécessaire, il saura bien en faire sortir un autre de la force même des choses, en supposant que celui-là manquât d’une manière absolue, ce que je suis loin d’admettre, ainsi qu’on a pu le voir, ou en supposant qu’il soit devenu insuffisant, ce qu’on sera beaucoup plus porté à croire. […] L’homme ne sait rien de lui-même, l’homme a besoin d’être instruit sur toutes choses, ainsi que l’affirmait Pascal. Si nous n’avions pas blâmé toute comparaison entre l’homme et les animaux, nous pourrions dire que l’homme en naissant ne sait rien de ce qu’il doit savoir, même pour se conserver ; que les animaux, au contraire, savent tout, qu’ils n’ont besoin de rien apprendre.

129. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Pour Francis Lacombe, pour nous autres catholiques, les sociétés ayant leurs lois fixes d’après lesquelles elles agissent toujours, malgré les différences d’époque et ce qu’on appelle à cette heure, avec une arrogance si impérieuse, des besoins nouveaux, il a cru pouvoir montrer toute faite, et fonctionnant, en vertu de sa convenance profonde, une organisation du travail. […] Elle est générale, en effet, le but de l’auteur étant plutôt d’indiquer des principes et une tendance que d’édifier une systématisation complète : « Que tous les chefs d’industrie ou d’ateliers, que tous les ouvriers de chaque profession — dit-il — se réunissent et rédigent ce qu’on appelait autrefois des cahiers, où ils inscriront librement, également et fraternellement, en réunions particulières, les besoins généraux de leur industrie… Ces cahiers des ouvriers, ainsi que ceux des fabricants, devront servir de base à l’organisation du travail que l’Assemblée nationale va être appelée à édifier sur les ruines du monopole et de l’individualisme. Dans cette vaste constitution, il sera juste de voir figurer un syndicat chargé de représenter chaque profession au sein de la société générale ; de surveiller officiellement l’éducation des apprentis dans le ressort de chaque groupe industriel ; de juger tous les différends des fabricants entre eux ou les différends des chefs d’ateliers avec les ouvriers, afin que le moindre oubli des lois de l’humanité de la part du premier envers le dernier soit frappé d’une réprobation générale et flétri par le stigmate du déshonneur ; de veiller à l’exécution de la loi constitutive librement consentie et à la distribution des secours accordés aux travailleurs pauvres et nécessiteux sur la caisse de la communauté, qu’alimenteront les versements pécuniaires et fixes de tous les associés ; de blâmer, de condamner à une amende quelconque, et même au besoin d’exclure de l’association, tel fabricant ou chef d’atelier qui, par une production mauvaise ou quelque autre délit commis, soit envers les ouvriers soit envers les acheteurs, compromettrait les intérêts moraux ou matériels de toute une industrie. » Certes ! […] Et, à ce propos, nous finirons par une vue que nous n’aurons pas besoin de recommander aux hommes de gouvernement.

130. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

Lui qui avait besoin, pour déployer ses ailes, qu’il fit beau dans la société autour de lui, il trouvait à sa portée d’heureux espaces ; et j’aime à le considérer comme le type le plus élevé de ces connaisseurs encore répandus alors dans un monde qu’ils charmaient, comme le plus original de ces gens de goût finissants, et parmi ces conseillers et ces juges comme le plus inspirateur. […] Joubert ; il l’embrassait dans toute sa profondeur, et, je dirai, dans sa plus séduisante beauté : sans avoir besoin de le poursuivre sur les nuages de l’Allemagne, son imagination antique le concevait naturellement revêtu de tout ce premier brillant que lui donna la Grèce : « Je n’aime la philosophie et surtout la métaphysique, ni quadrupède, ni bipède : je la veux ailée et chantante. » En littérature, les enthousiasmes, les passions, les jugements de M.  […] Les consolations sont un secours qu’on se prête et dont tôt ou tard chaque homme a besoin à son tour. » Il revient de là à sa difficulté d’écrire, à ses ennuis, à sa santé, à se peindre lui-même selon ce faible aimable et qu’on lui pardonne ; car, si occupé qu’il soit de lui, il a toujours un coin à loger les autres  : c’est l’esprit et le cœur le plus hospitaliers. […] Il continua de lire, de rêver, de causer, de marcher, bâton en main, aimant mieux dans tous les temps faire dix lieues qu’écrire dix lignes ; de promener et d’ajourner l’œuvre, étant de ceux qui sèment, et qui ne bâtissent ni ne fondent : « Quand je luis, je me consomme. »  — « J’avais besoin de l’âge pour apprendre ce que je voulais savoir, et j’aurais besoin de la jeunesse pour bien dire ce que je sais. » Au milieu de ces plaintes, sa jeunesse d’imagination rayonnait toujours sur de longues perspectives : De la paix et de l’espérance Il a toujours les yeux sereins, disait de lui Fontanes en chantant sa bienvenue à Courbevoie. […] « Quelque aménité doit se trouver même dans la critique ; si elle en manque absolument, elle n’est plus littéraire… Où il n’y a aucune délicatesse, il n’y a point de littérature. » A aucune en particulier, mais à toutes en général, ce qui ne peut, certes, blesser personne, dans ce sexe plus ou moins émancipé : « Il est un besoin d’admirer, ordinaire à certaines femmes dans les siècles lettrés, et qui est une altération du besoin d’aimer. » Et ces pensées qui semblent dater de ce matin, étaient écrites il y a quinze ans au moins, avant 1824, époque où mourait M. 

131. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Eynard et les pièces qu’il produit, de ce besoin et aussi de ce talent inné de Mme de Krüdner, et combien elle s’entend de bonne heure à la mise en scène du sentiment : j’en suis presque effrayé à certains endroits, quand je songe à combien de choses cet art secret a pu se mêler insensiblement depuis, sans qu’elle-même s’en rendît peut-être bien compte. […] Eynard traite bien durement le spirituel comte Alexandre de Tilly, « un homme que ses ridicules Mémoires, dit-il, ont livré au mépris des uns et à la pitié des autres. » On a assez le droit d’être sévère pour le comte de Tilly, sans qu’il soit besoin d’en venir à ces extrémités de dédain qui passent la justice ; d’autres diraient, qui blessent la charité. […] Eynard, qui est peut-être choqué de ces deux duretés autant que nous, n’a pas besoin à son tour, pour nous toucher, de recourir aux couleurs outrées ni aux contrastes. […] Dans ces vers que je n’ai pas besoin de vous recommander, et qui doivent être du meilleur goût, il n’y aura que cet envoi : A Sidonie. […] Elle avait un immense besoin que le monde s’occupât d’elle : sous une forme inattendue, ce besoin allait être satisfait.

132. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Si mal que j’aie su distinguer la poésie et le romanesque, on a pu voir que le romanesque doit être principalement la poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n’éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l’art ne consiste pas avant tout dans l’expression : c’est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes femmes. […] Octave Feuillet avance dans son œuvre, on dirait que, subissant indirectement, malgré lui et comme par contre-coup, l’influence de l’école naturaliste, il a été pris d’un besoin croissant d’être vrai (ce qui est bien), de frapper fort (ce qui est moins heureux), et aussi, par un mouvement contraire et en manière de protestation, d’un besoin d’être moral (ce qui lui a moins réussi). Le premier besoin nous a valu les meilleures, on pourrait presque dire les seules analyses de sentiments que M.  […] En même temps que le besoin de nous étonner à la fois par ses hardiesses et par sa distinction, des préoccupations de moraliste chrétien se trahissent de plus en plus dans l’œuvre de M.  […] Et il ne m’est même pas prouvé que toutes les consciences aient besoin de ces appuis.

133. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

En face d’eux et dans le camp opposé, les Jésuites, si attentifs toujours aux besoins et aux goûts de la société présente, avaient également modifié l’enseignement, lui avaient donné un caractère de culture riante et fleurie, et l’avaient rendu plus accessible, au risque parfois de l’affaiblir. […] On a besoin à chaque instant, quand on étudie aujourd’hui Rollin, de se reporter à cette situation d’alentour, et aussi de faire la part des faiblesses, des tâtonnements et des limites d’un esprit qui n’avait de supérieur que l’inspiration morale. […] On a besoin, pour bien sentir ces mérites un peu usés de Rollin, de se reporter aux critiques qui lui furent adressées dans le temps par quelques-uns de ses collègues de l’Université. […] Rollin (est-il besoin d’en faire la remarque ?) […] Il faut, en un mot, des vues et un langage que je ne me charge pas de trouver, que quelques-uns sont en voie de découvrir peut-être, mais qui auraient pour effet ce qu’il y a de plus difficile au monde : créer de nouveau un besoin élevé, réveiller un désir !

134. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Tout en se livrant à son travail, ils’attend, dit-il, à de nouvelles calomnies, à de nouvelles persécutions ; il en a besoin ; il a, si je puis dire, la sensation intellectuelle ardente. […] Il y a plus, il a besoin lui-même d’être déserté, d’être détesté ; c’est pour lui un bon signe. […] C’est, je l’ai dit ailleurs, une âme de colère que Lamennais ; il amasse par tempérament de la bile et des flots d’amertume qu’il a besoin de déverser. […] J’ai besoin d’air, de mouvement, defoi, d’amour, de tout ce qu’on cherche vainement au milieude ces vieilles ruines… Le Pape est pieux et voudrait lebien ; mais, étranger au monde, il ignore complètement etl’état de l’Église et l’état de la société. » Ses lettres de cette date sont tout entières à lire dans le volume ; elles exhalent des cris d’aigle et de prophète. […] C’est moi-même qui me suis trouvé chargé par Lamennais du manuscrit des Paroles d’un Croyant pour en procurer la publication, comme on disait autrefois, pour en surveiller l’impression ; je n’ai jamais raconté ces détails qui peuvent avoir leur intérêt, et dont plusieurs personnes existantes sont là encore pour attester, au besoin, l’exactitude.

135. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il n’avait donc pas encore besoin de contre-poids. […] C’est ainsi que doit se concilier le débat entre ces deux siècles, qui répondent à deux besoins éternels du cœur humain : le besoin du mouvement et du progrès, le besoin de la stabilité et de la conservation. […] Et même, à mesure que l’on s’éloigne de ces grands noms qui ont troublé et passionné nos pères, ils semblent eux-mêmes devenir à leur tour comme des classiques qui ont quelque besoin d’être protégés par la tradition contre les attaques irrespectueuses des nouvelles générations. […] Racine n’avait pas besoin de Boileau.

136. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Au besoin, ils lui chercheront un point d’appui matériel et artificiel. […] Ils n’ont pas besoin d’exhorter ; ils n’ont qu’à exister ; leur existence est un appel. […] Mais point n’est besoin d’aller jusqu’à la passion. […] Mais cette seconde force, pas plus que la première, n’a besoin d’explication. […] L’autre la complétera au besoin ; elle pourra même la remplacer.

137. (1891) Esquisses contemporaines

Notion féconde en tristesse, car elle contredit à nos besoins les plus impérieux. […] Et qu’avons-nous besoin de la théopneustie pour cela ? […] Or, te besoin fondamental de la raison, c’est l’unité dialectique. […] Elle résulte constamment d’un besoin du cœur mêlé au travail de l’entendement. […] Un noble et pressant besoin d’unité synthétique le travailla sans relâche.

138. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Ceux qui n’écrivent pas pour être auteurs n’ont pas à se préoccuper d’inventer des sujets : le maître les impose dans l’enfance ; plus tard le besoin ou l’occasion les proposent. […] Mais un exemple en ces matières est toujours délicat à imaginer : on a beau faire, on sent que tout est convenu, factice, arrangé pour le besoin de la démonstration. […] Mais les idées ne se présentent pas toutes seules au besoin ; les images n’accourent pas complaisamment au premier signe.

139. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

La spécialisation des sensations s’explique, comme la spécialisation et le développement des autres organes, par le rapport aux besoins de la vie. […] Les platoniciens raisonnent toujours comme si les sensations étaient des objets séparés par des vides, qui auraient besoin d’être rapprochés ensuite par l’esprit pur. […] De plus, la tendance au bien-être, la « volonté de vivre », qui luttait contre la douleur, sera alors satisfaite ; le besoin sera rempli, l’énergie motrice aboutira à un succès. […] La forme positive par excellence de cette fusion d’images, c’est la satisfaction du besoin, — ce modèle de coïncidence entre la représentation et la sensation, dont les superpositions des figures géométriques ne sont qu’une pâle esquisse. […] Il n’est pas besoin d’y faire descendre d’en haut la vérité comme une lumière divine ; son être et sa vérité immanente, c’est d’être perçu : esse est percipi disait Berkeley.

140. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Ceux qui ont besoin de vous, sont si ingénieusement aimables, leur dévouement est si varié, leurs louanges prennent si facilement un caractère d’indépendance, leur émotion est si vive, qu’en assurant qu’ils aiment, c’est eux-mêmes qu’ils trompent autant que vous. L’action de l’espérance embellit tellement tous les caractères, qu’il faut avoir bien de la finesse dans l’esprit, et de la fierté dans le cœur, pour démêler et repousser les sentiments que votre propre pouvoir inspire : si vous voulez donc aimer les hommes, jugez-les pendant qu’ils ont besoin de vous ; mais cette illusion d’un instant est payée de toute la vie. […] Ils ont pour ennemis le besoin qu’a le public de juger et de créer de nouveau, d’écarter un nom trop répété, d’éprouver l’émotion d’un nouvel événement : enfin, la multitude, composée d’hommes obscurs, veut que d’éclatantes chûtes relèvent de temps en temps le prix des conditions privées, et prêtent une force agissante aux raisonnements abstraits qui vantent les paisibles avantages des destinées communes. […] L’ambition est la passion qui, dans ses malheurs, éprouve le plus le besoin de la vengeance, preuve assurée que c’est celle qui laisse après elle le moins de consolation. […] La passion de la gloire ne peut être trompée sur son objet ; elle veut, ou le posséder en entier, ou rejeter tout ce qui serait un diminutif de lui-même ; mais l’ambition a besoin de la première, de la seconde, de la dernière place dans l’ordre du crédit et du pouvoir, et se rattache à chaque degré, cédant à l’horreur que lui inspire la privation absolue de tout ce qui peut combler ou satisfaire, ou même faire illusion à ses désirs.

141. (1890) L’avenir de la science « XXI »

S’il est un lieu commun démenti par les faits, c’est que le temps des révolutions est peu favorable au travail de l’esprit, que la littérature, pour produire des chefs-d’œuvre, a besoin de calme et de loisir et que les arts méritent en effet l’épithète classique d’amis de la paix. […] Ce fatal besoin de repos nous est venu de la longue paix que nous avons traversée et qui a si puissamment influé sur le tour de nos idées. […] Une institution n’a sa force que quand elle correspond au besoin vrai et actuellement senti qui l’a fait établir. […] La séance primitive, l’agape, n’avait pas besoin d’être réglée, car elle était spontanée. […] Quand l’humanité sera arrivée à son état rationnel, mais alors seulement, les révolutions paraîtront détestables, et on devra plaindre le siècle qui en aura eu besoin.

142. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

J’irai même plus loin et je dirai que, quoi qu’on fasse, la netteté est et sera toujours de première nécessité chez une nation prompte et pressée comme la nôtre, qui a besoin d’entendre vite et qui n’a pas la patience d’écouter longtemps. […] Ajouterai-je que, jusque dans le portrait de sa sœur, cette plume malicieuse ne s’épargne pas une insinuation sur des beautés cachées, qui prouve qu’au besoin son indiscrétion ne respecte rien ? […] Il y aura de plus en plus de quoi souffrir pour ces esprits-là, surtout s’ils venaient à être dépaysés et déportés dans un état de soi-disant civilisation où le cri l’emporte sur le sourire, où il faille, appuyer de toute sa force sur chaque chose, et où la plaisanterie ait souvent besoin d’un porte-voix. […] Je lis dans les Anecdotes littéraires de l’abbé de Voisenon, un mot sur Hamilton, qui aurait besoin d’éclaircissement : « Le comte de Caylus, qui le voyait souvent chez sa mère, dit cet abbé, m’a certifié plus d’une fois qu’il n’était point aimable. » Se peut-il qu’Hamilton n’ait point été aimable en société, et, malgré toutes les attestations du monde, le voudra-t-on croire ? […] Avec sa causticité malicieuse et cette lèvre fine qu’on lui connaît, il avait besoin qu’on fît silence autour de lui, et quand Caylus le vit chez sa mère, il y avait sans doute un peu trop de bruit et de jeunesse ce jour-là.

143. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Je sais que ces sortes d’actions sont extraordinaires et doivent le paraître ; mais la nature passionnée a son prix, comme la nature réfléchie ; et les hommes peut-être les plus estimables ne sont pas ceux qui règlent froidement et sensément tous les mouvements de leur âme, qui avant de sentir ont le loisir de regarder autour d’eux, et se souviennent toujours à temps qu’ils ont besoin d’être modestes. […] On dira peut-être que ce sont là plutôt des vertus d’un cénobite que d’un prince ; on se trompe ; on ne pense point assez combien, dans celui qui gouverne, cette vie austère retranche de passions, de besoins, combien elle ajoute au temps, combien elle laisse au peuple, combien elle diminue les moyens de corruption et de faiblesse, combien, par l’habitude de se vaincre, elle élève l’âme. […] Ainsi, il s’occupa du soulagement des peuples ; mais d’autres empereurs qui eurent les mêmes vues, n’étant pas contredits sur le trône, purent être humains impunément : Julien, longtemps César, assujetti dans son pouvoir même à un tyran jaloux, qui l’avait créé par besoin et le haïssait par faiblesse, qui lui eût permis de faire le mal pour se déshonorer, et craignait qu’il ne fît le bien, qui, tout à la fois barbare et lâche, désirait que les peuples fussent malheureux, pour que le nouveau César fût moins redoutable ; Julien, environné dans les Gaules, des ministres de cette cour, qui étaient moins ses officiers que ses ennemis, et déployaient contre lui cette audace qui donne à des tyrans subalternes le secret de la cour, et l’orgueil d’être instruments et complices de la volonté du maître ; Julien enfin, traversé en tout par ces hommes qui s’enrichissent de la pauvreté publique, eut bien plus de mérite à arrêter les abus et à soulager les provinces. […] Elle était devenue un sentiment, une passion, mais une passion d’autant plus forte qu’elle était calme, et n’avait pas besoin des secousses de l’enthousiasme. La philosophie de l’autre semblait moins un sentiment qu’un système ; elle était plus ardente que soutenue ; elle tenait à ses lectures, et avait besoin d’être remontée.

144. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

j’ai besoin de décharger mon cœur, et tous les cœurs honnêtes, du poids d’une si accablante douleur. […] C’est de mes amis et non de Paris que j’ai besoin. […] Pour moi, j’ai bien besoin d’espérer de vous revoir bientôt pour me consoler un peu de votre absence. […] — Certes je n’ai pas besoin de vous dire que cela ne vous regarde pas. […] Il est à remarquer cependant combien il est lent et paresseux à écrire, et comme il a souvent besoin d’être provoqué.

145. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Je ne dis pas que l’entreprise ait absolument besoin de ce don, mais il est clair qu’il établirait des liens solides et durables entre la ville de Bayreuth et l’entreprise. […] Nous avons le besoin, pour concevoir réelle la vie de l’art, de ce qu’entre elle et nous rien ne se place appartenant à une réalité différente. […] Les simples âmes des premiers peuples étaient satisfaites, dans leur besoin d’une vie artistique, par ces récits très vagues, On leur disait un alignement de faits généraux, les combats, les traversées. […] Ils choisirent à dessein, dans le besoin obstiné de traiter des sujets rationnels, les sujets les plus vagues et les plus indifférents. […] Il vit, naturellement, par le seul besoin de sa hautaine différence, une vie supérieure, puissamment créée au dessus de notre réalité vulgaire qu’il ne perçoit plus.

146. (1900) La culture des idées

C’est donc l’homme qui pourvoira à ces besoins de vanité ; et le contrat intervient. […] L’homme le plus humble a besoin de gloire : il a besoin de la gloire adéquate à sa médiocrité. L’homme de génie a besoin de gloire ; il a besoin de la gloire adéquate à son génie91. […] Le Stylite vit tout seul sur sa colonne, mais il a besoin de la foule des pèlerins qui se presse au pied de sa colonne ; il a besoin de la salutation de Théodose ; il a besoin de la vaine flèche de Théodoric. […] Et que savez-vous si ce pauvre n’a pas besoin d’une fleur ou d’une femme ?

147. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

La jalousie naturelle à tous les hommes ne s’apaise que si vous pouvez vous excuser, pour ainsi dire, d’un succès par un devoir ; mais si vous ne couvrez pas la gloire même du prétexte de votre situation et de votre intérêt, si l’on vous croit pour unique motif le besoin de vous distinguer, vous importunerez ceux que l’ambition amène sur la même route que vous. […] Dans toutes les situations de la vie, l’on peut remarquer que dès qu’un homme s’aperçoit que vous avez éminemment besoin de lui, presque toujours il se refroidit pour vous. […] Une seule chance véritablement malheureuse pourrait résulter de l’éducation cultivée qu’on doit leur donner : ce serait si quelques-unes d’entre elles acquéraient des facultés assez distinguées pour éprouver le besoin de la gloire ; mais ce hasard même ne porterait aucun préjudice à la société, et ne serait funeste qu’au très petit nombre de femmes que la nature dévouerait au tourment d’une importune supériorité. […] L’amour-propre aussi de nos jours veut attribuer ses revers à des causes secrètes, et non à lui-même ; et ce serait l’empire supposé des femmes célèbres qui pourrait, au besoin, tenir lieu de fatalité.

148. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Ils ont leurs principes, leurs opinions, leurs passions, leurs traditions, voire leurs vices, et vous croyez donc qu’ils vont oublier tout cela parce que, très honnête, mais un peu candide, vous invoquez contre eux le besoin de refaire, tant bien que mal, une monarchie et un patriotisme qui ne voit pas les choses comme votre patriotisme, à vous ! […] Thureau-Dangin nous a tracé l’histoire du parti royaliste, selon lui si couvert de péchés ; mais que dirait-il si on lui ripostait par l’histoire du gouvernement parlementaire, — de ce gouvernement impeccable, mais qui n’a pas besoin de faire des fautes pour être impuissant ? […] Mais il aura eu cela de bon, du reste, que, quel que soit l’avenir que Dieu nous garde, les pouvoirs qui viendront n’auront pas, comme ce pauvre Napoléon-Louis-le-Débonnaire, besoin de le reprendre, et qu’ils pourront le laisser expirer, délaissé, sur toutes les poussières qu’il aura faites. […] Ce gouvernement monarchique des Assemblées aura creusé plus profondément ce sentiment du besoin D’UN homme qui, dans ce néant d’hommes, se précise un peu davantage tous les jours !

149. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Inévitable conséquence de l’esprit moderne et de notre état de société, admis par l’opinion en principe et en fait, les concours ont cependant besoin, pour mériter ce nom d’institution, qui implique l’ordre et la durée traditionnelle, d’un peu plus que d’un principe, même généralement consenti, et d’un fait irrégulier ou mal assis. Ils ont besoin d’être organisés. […] Nous avons l’œuvre spéculative de Daly, cette œuvre d’une haleine immense, qui respire dans les vingt volumes in-4º de la Revue de l’Architecture, et qui continuera d’y respirer pendant peut-être vingt autres encore, nous l’espérons, pour le bonheur de la science du xixe  siècle, qui peut s’y voir, et le profit du xxe qui devra l’y retrouver les jours qu’il aura besoin d’elle ! […] Cette question et cette vue très individuelles, qui rayonnent à tant de places dans la revue de Daly, sont plus particulièrement la visée (ai-je besoin de le dire ?)

150. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Mais le succès n’est pas pour nous un besoin. […] Cette théorie aurait besoin d’être longuement développée pour cesser d’être obscure. […] Ils aiment le pouvoir et la gloire, non par besoin d’orgueil, mais par amour de la beauté. […] Il a besoin de se charger de plus de détails, il analyse davantage. […] Le besoin, l’expérience, l’industrie laborieuse, en sont les occasions, mais non pas l’origine.

151. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Si vous lui enlevez ce qui fait son prix, vous ne lui laissez qu’un résidu insipide, bon tout au plus à jeter à ceux qui ont besoin d’un os à ronger. […] Je le trouve bien étroit, bon tout au plus pour ceux qui au besoin de croire ajoutent celui de disputer. […] Nous n’avons nul besoin de recommencer ce que nos pères ont fait. […] Le besoin de remplir une vie calme et retirée par d’utiles travaux, des goûts studieux, l’instinct de la compilation et des collections peuvent rendre à l’érudition d’immenses services, mais ne constituent pas l’amour pur de la science. […] Le chrétien fait partie d’une société bien plus étendue et plus sainte, qu’il doit au besoin préférer à son pays

152. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Est-il besoin d’une forme à priori d’intensité pour avoir conscience de la quantité intensive ? Pourquoi en aurions-nous besoin pour la quantité extensive ? […] Mais, ceci étant admis (et il faut l’admettre par force), nous n’avons plus besoin du cadre à priori. […] Après une certaine éducation, il arrive à connaître et à apprécier la distance, l’éloignement, la profondeur, sans avoir besoin des formes a priori de Kant. — De même pour la vue. […] L’animal naît avec le besoin héréditaire de cette position, et il est averti des changements de position par des sensations spécifiques de poids, sensations dont les relations mutuelles se trouvent alors altérées.

153. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Le professeur a besoin d’une vie domestique établie. […] Plus on vit sous ce ciel d’Athènes, plus on a besoin d’y vivre. […] que j’avais besoin de venir à Islington pour comprendre la scène du cimetière ! […] J’aurais bien voulu voir le cabinet d’un Rollin ou même d’un Andrieux la veille d’une leçon : je vous demande s’il y était besoin de tant d’instruments et de livres auxiliaires. […] Sa parole était nette, brève, précise, un peu sautillante ; il n’était pas éloquent ; dans les sujets qu’il traitait, il n’avait pas besoin de l’être.

154. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

A ce besoin de luxe correspond une attention de luxe. […] Elle est née de la nécessité, sous la pression du besoin et avec le progrès de l’intelligence. […] Il y a une agitation constante, un besoin continuel de parler, de crier, d’agir violemment. […] Ces besoins irrésistibles se produisent sous des formes très dissemblables. […] Mais ici, un besoin anormal, absurde, s’est constitué.

155. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Les historiens et les philosophes de la génération nouvelle sont entourés de trop d’estime et de célébrité pour qu’il soit besoin de les louer et même de les nommer. […] Mais avec quelle habileté ces trois jeunes poètes ont approprié ces trois genres aux besoins et aux exigences du siècle ! […] Les besoins philosophiques et historiques du siècle sont admirablement bien servis par les cours de MM.  […] S’il avait encore besoin d’apologie auprès de quelques esprits timorés, qu’ils lisent les belles et éloquentes leçons de M.  […] Nous venons à une époque où le besoin de vérité en tout, est universellement senti, et en cela les poètes actuels sont plus heureux que leurs prédécesseurs.

156. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Ces multitudes d’hommes dévoués, qui ont fait d’avance à leur pays le sacrifice de leur sang et de leur vie, ne lui demandent que leurs besoins physiques, mais ils les demandent impérieusement. […] Les besoins de mon théâtre (Picard était alors directeur du théâtre Louvois) ne me permettent pas encore de faire mes essais en vers. […] C’est l’inconvénient qui dérive de l’insuffisance réelle des fortunes, ou des besoins que nous nous sommes faits, ou de notre ambition. Tout cela prouve une seule chose, que le besoin de faire admirer nos talents n’est pas le seul besoin de notre amour-propre, qu’il nous faut encore, outre les applaudissements, de la considération ou de l’autorité, ou de l’éclat, etc. […] On y verrait surtout le besoin de se mettre en avant à tort et à travers, de parler de soi et de dire moi.

157. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

On n’a ordinairement qu’un ange gardien, il en eut deux alors : l’un tout à fait gardien, Fontanes, le contenant en particulier, le défendant au besoin devant tous, le couvrant du bouclier dans la mêlée ; l’autre, plutôt excitant et inspirateur, M.  […] Si on pouvait n’en avoir aucun besoin, je m’y résignerais facilement, et je me passerais fort bien de corps si on me laissait toute mon âme. […] Je m’arrête jusqu’à ce que la goutte de lumière dont j’ai besoin soit formée et tombe de ma plume. » Ce ne sont donc que gouttes de lumière que cette suite de pensées ; l’œil de l’esprit finit par s’y éblouir. […] s’écriait-il, cela est long, cela est rare, cela cause un plaisir extrême ; car les pensées achevées entrent aisément dans les esprits ; elles n’ont pas même besoin d’être belles pour plaire, il leur suffit d’être finies. […] Est-il besoin de dire que M. 

158. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Je vois chez nous, dans un salon de gens d’esprit ou dans un atelier d’artistes, vingt personnes vives : elles ont besoin de s’amuser, c’est là leur fond. […] Ils sont ordinairement si riches et si économes, qu’il n’y a presque point besoin d’argent pour les aider1351. […] Si l’on aime, ce n’est point que la personne soit aimable, c’est qu’on a besoin d’aimer. « Croyez-vous que vous boiriez si vous n’aviez pas soif, ou que vous mangeriez si vous n’aviez pas faim ?  […] Il a besoin d’être traité avec cette bienveillance humiliante dont les grands assomment leurs inférieurs. […] Elle a besoin d’élégance comme on a besoin d’air.

159. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Sa pratique n’est que le reflet et l’effet de sa théorie, où l’ont amené, aux environs de l’an 1600, sa réflexion, le besoin profond de son esprit, et sans doute aussi le contact d’une intelligence telle qu’était celle du président du Vair. […] Le sens profond de ses boutades et de ses maussades jugements, c’est que l’intention a besoin du métier pour s’exprimer ; c’est aussi que la perfection consiste à condenser : le moyen d’être fort, c’est d’être sobre. […] Il exprimait le besoin de paix, d’ordre, de discipline, qui était celui de toute la France. Il exprimait aussi ce besoin non moins universel de comprendre, cette disposition rationaliste, qui n’a pas été créée par le cartésianisme, mais qui l’a créé au contraire : il était avide de clarté, de netteté, prenant pour guide et souverain maître « le sens commun, contre lequel, disait-il, la religion à part, vous savez qu’il n’y a orateur au monde qui me pût rien persuader ».

160. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Le plus souvent on a besoin, pour en expliquer les catastrophes et les infortunes, de recourir aux idées des hommes désorientés par le malheur suprême, à ces idées qui sont comme les planches de salut qu’ils saisissent quand ils ne comprennent plus rien aux faits de la vie dans le naufrage de leur raison : logique des événements, justice de Dieu, Providence ou hasard, lois mystérieuses qui régissent le monde ! Mais pour Louis XVI et avec Louis XVI, on n’a besoin que de son action même. […] Lorsque, à la dernière page de son volume, qui se ferme quand les États-généraux s’ouvrent et quand ils deviennent les vrais rois devant le roi, déjà, de ce moment, décapité, l’auteur examine, avant de terminer, cette question, qui reviendra d’ici longtemps sous toute plume tourmentée du besoin de l’action politique : la Révolution était-elle inévitable ? […] C’était de l’habitude sans doute ; mais, quand on réfléchit aux mille délicatesses dont se compose la moralité humaine, que penser de l’homme qui s’est fait un besoin d’abattre tous les jours un troupeau qu’on pousse à ses pieds, de ce roi qui n’a jamais porté l’épée militaire et qui s’en va, les mains noircies par sa forge, faire de tels carnages dans ses forêts ? 

161. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Il a pensé et il a dit — en d’autres termes peut-être, mais il a positivement dit, — que l’André Chénier qu’on trouverait dans son livre serait moins le Chénier poète, dont la gloire est faite et n’a plus besoin qu’on y touche, que le Chénier politique, — l’homme d’action et de courage qui a presque disparu dans l’absorbante gloire du poète, et qui était pourtant dans le poète, dans cet être charmant d’une imagination si divine ! […] — ce lys pur de Chénier des premières gouttes de son poison… Je sais bien qu’il les a essuyées, et que le lys trempé dans le sang n’en paraît que plus beau dans l’Histoire, mais il eut besoin de les essuyer… Certes ! […] Son génie a besoin du vers. […] Mais ce style, qui roule comme un fleuve, semble n’en avoir pas besoin.

162. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Je ne crois point, pour ma part, — moi, l’adversaire de toute académie quand il s’agit d’art ou de littérature, et qui me moque de ces sociétés, affectations organisées, coteries bonnes pour tous les Vadius et les Trissotins de la terre, — je ne crois point que Jules de Gères eût besoin d’un si pauvre stimulant pour revenir à la poésie, pour réveiller la Muse qui dormait au fond de son âme comme la Nuit de Michel-Ange… Quand toutes les sociétés de sonnettistes (s’il y en a plusieurs) auraient manqué à la France, qui ne s’en doute pas, il fût retourné à la poésie, qui est son destin, de par cette imagination que la vie peut blesser, comme les dieux sont blessés dans les batailles d’Homère, mais ne meurent pas de la perte de leur sang immortel… Jules de Gères est, de nature, très au-dessus des petites sociétés littéraires dont il peut avoir la condescendance, mais il n’a aucunement besoin d’elles pour se retrouver un poète, — c’est-à-dire un solitaire, un isolé, une tour seule (il me comprendra, le poète de la Tour seule !). […] C’est, comme peinture, de la grasse abondance de Lamartine, mais avec une langue scientifique, une langue technique que Lamartine, cet ignorant divin, ne connaissait pas, et dont son génie n’avait pas besoin… Il n’y aurait eu, en français, qu’un dictionnaire de quatre mots, il n’y aurait eu dans la langue, comme disent les grammairiens, qu’un nominatif, un verbe et un régime, que Lamartine aurait été tout Lamartine avec cela. […] Lui, il a besoin des mots… Mais il s’en sert bien.

163. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Il a besoin qu’on le gouverne et l’asservisse. […] Il ne les laisse pas s’endormir dans un lâche repos ; alors, ceux qui sont chargés de défendre, auraient eux-mêmes besoin de défenseurs. […] « Le protecteur des lois est législateur, s’il a besoin de l’être. […] Que si les besoins de la patrie exigent qu’il fasse des lois pour la punition des crimes, il ne souffrira point que les peines aient un caractère atroce, ni rien d’humiliant pour la dignité de l’homme.

164. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

On eut bientôt besoin de plumes et de défenseurs ; on en prit jusque parmi les enfants. […] Veuillot, pour un tel acte accompli dans le secret de la conscience, n’a besoin d’aucun garant, et il a donné, ce me semble, assez de gages publics et fait assez de sacrifices à sa cause pour que personne ne mette en doute sa sincérité quand il dit : Je crois. […] Âme robuste, entière, non usée de père en fils par l’élégance et la politesse des salons, intelligence brusque et absolue, non assouplie par la critique, non rompue aux systèmes, d’une sensibilité profonde et d’un grand besoin de tendresse au milieu de certaines grossièretés de nature, il fut atteint et renversé en même temps, retourné tout d’une pièce ; le fier Sicambre s’agenouilla : il se fit du même coup chrétien, catholique, ultramontain. […] C’est ici que ma querelle sérieuse avec lui commence, et qu’avant de louer l’écrivain, l’excellent prosateur, et d’admirer le peintre vigoureux de la réalité, j’ai besoin absolument de m’expliquer sur le fond des choses, de marquer mes réserves ; car tout ce qui n’est pas croyant et convaincu à sa manière, gallicans, protestants, à plus forte raison déistes, naturistes ou panthéistes, comme on dit, tout y passe ; il les raille, il les crible d’épigrammes flétrissantes (car il a la touche flétrissante) ; il les traite même, en ses heures d’indignation, comme des espèces de malfaiteurs publics. […] Ce n’est pas lui qui flatte et embellit l’humanité : doué et armé comme il l’est d’un esprit de malice et de goguenarderie, il la voit tellement bête, tellement basse, cette pauvre humanité, qu’il a bien besoin, à la fin, de la rédemption et du crucifix pour ne pas la conspuer tout à fait.

165. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Pour ceux qui, distraits des pures Lettres ou occupés ailleurs (comme il est permis), auraient besoin qu’on les remît sur la voie, je rappellerai qu’Eugénie de Guérin, sœur de Maurice de Guérin, de l’admirable auteur du Centaure, était son égale en dons naturels, en génie, sa supérieure en vertu, en force d’âme, son aînée vigilante et tendre, et qu’elle fut pendant neuf années sa survivante douloureuse, son Antigone ou son Électre, toute consacrée à sa mémoire et comme desservante d’un tombeau. […] Nous autres gens du moins beau monde, nous avons besoin qu’on nous parle clair et de savoir vite et avec netteté de qui il s’agit. […] Oui, ma chère, j’ai prié pour vous, d’abord en m’éveillant, et puis à la messe, au memento des vivants, à cet endroit où Dieu permet à notre pensée et à notre cœur de redescendre un instant sur la terre pour s’y charger des besoins de ceux qu’on aime. […] Venez, charmantes messagères, c’est à présent que j’ai besoin de vous. — Vous le voyez, ma chère, je parle au papier, je veux tout supplier, plume, encrier, et ces petits doigts qui font les morts à présent : n’aurez-vous pas pitié de moi ?  […] Écrivant à la baronne de Maistre, son amie de Paris, qui sera sa confidente passionnée comme Louise est sa correspondante virginale et innocente, elle lui dira après toutes ses douleurs épuisées et quand le calice est bu : « Je ne sais rien qui me fasse plaisir ; le cœur est mort, mais de votre côté il y a des cordes vives et je dirais vibrantes, si j’étais Sophie l’aimable, la trop bien disante. » Ainsi elle croit avoir besoin, pour risquer une expression qui nous paraît si simple, de se couvrir de l’autorité d’une amie.

166. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Les peines de la nature peuvent laisser encore quelques ressources : il faut que la société jette ses poisons dans la blessure, pour que la raison soit tout à fait altérée, et que la mort devienne un besoin. […] Il faut de la bizarrerie, et surtout du mystère, pour exciter dans les hommes ce qui est le mobile de l’esprit de secte, le besoin de se distinguer. Ce besoin devient réellement utile aux progrès des lumières, lorsqu’il excite l’émulation entre tous les talents, mais non lorsqu’il jette plusieurs esprits dans la dépendance d’un seul. On a besoin, pour conquérir les empires, que les armées disciplinées reconnaissent le pouvoir d’un chef ; mais pour faire des progrès dans la carrière de la vérité, il faut que chaque homme y marche de lui-même, guidé par les lumières de son siècle, et non par les documents de tel parti60. […] J’ai besoin de rappeler ici quel est le but de cet ouvrage.

167. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

La grandeur a besoin d’être quittée pour être sentie. […] C’est à ce besoin de changement que répondent mille choses dans la vie de tous les jours : l’institution des récréations et des vacances dans les écoles ; l’habitude d’entremêler dans l’enseignement divers sujets d’études, histoire, langues, mathématiques ; les brusques volte-face de la mode ; le goût des voyages et des jeux ; les règles de rhétorique qui recommandent à l’écrivain de réveiller l’attention par la diversité des tournures, etc. […] Les flots de l’Océan ont leur flux et leur reflux qui se calculent ; le sang dans nos artères et dans nos veines a un va-et-vient qui se mesure par les battements du pouls ; la fièvre comme le besoin de manger ou de dormir, revient à intervalles périodiques ; la danse, la versification, la musique nous plaisent par le retour régulier de certains sons et de certaines cadences ; les éclats de la douleur, comme ceux de la tempête, ont leurs intermittences de paroxysme et de répit ; le fleuve, qui coule intarissable, forme des courbes, qui, à moins d’obstacles entravant son cours, sont infléchies symétriquement tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre ; la lumière et le son se propagent par ondulations qui se creusent et se renflent comme les vagues de la mer. […] Il est naturel, en vertu de ce besoin de changement dont nous avons signalé la puissance, qu’on aspire à d’autres conceptions, qu’on souhaite du nouveau. […] Ce que l’homme ici-bas appelle le génie, C’est le besoin d’aimer… Les Parnassiens, qui leur succèdent dans la faveur publique, se piquent d’être impassibles et impersonnels.

168. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Elle avait un grand besoin d’amitié et d’intimité, et elle chercha aussitôt quelque personne avec qui elle pût se lier comme il n’est point d’usage à la Cour. […] Or, maintenant, dans l’état actuel des renseignements historiques sur Marie-Antoinette, en se rendant compte des vrais témoignages, et en se souvenant aussi de ce qu’on a ouï raconter à des contemporains assez bien informés, il est très permis de penser qu’en effet cette personne affectueuse et vive, tout entière à ses impressions, amie des manières élégantes et des formes chevaleresques, ayant besoin tout simplement aussi d’épanchement et de protection, a pu avoir durant ces quinze années de sa jeunesse quelque préférence de cœur : ce serait plutôt le contraire qui serait bien étrange. […] Enfin, quoi qu’il arrive, conservez-moi votre amitié et votre attachement, j’en ai bien besoin, et croyez que, quel que soit le malheur qui me poursuit, je peux céder aux circonstances, mais jamais je ne consentirai à rien d’indigne de moi ; c’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est. […] Telle qu’elle est, victime de la plus odieuse et de la plus brutale des immolations, exemple de la plus épouvantable des vicissitudes, elle n’a point besoin que le culte des vieilles races subsiste pour soulever un sentiment de sympathie et de pitié délicate chez tous ceux qui liront le récit et de ses brillantes années et de ses dernières tortures. […] Edmond et Jules de Goncourt, dans leur Histoire de Marie-Antoinette (1858), où ils ont donné tant de curieux documents inédits en y mêlant du brillant et du généreux, se prononcent avec énergie contre toute espèce de supposition et de concession à cet égard : « Non, s’écrient-ils, Marie-Antoinette n’a pas besoin d’excuse ; non, la calomnie n’a pas été médisance : Marie-Antoinette est demeurée pure. » Sans être chevalier à ce point, sans avoir de parti pris, sans répondre de rien, on peut, je le répète, et l’on doit, si l’on est simplement honnête homme et sensible, conserver tout le respect et un intérêt tendre pour la reine et pour la femme en Marie-Antoinette.

169. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

De plus, ces vérités qui ont besoin d’explication, de restriction, ne doivent-elles pas être réservées pour un âge plus avancé que celui du duc de Bourgogne ? […] Nul rapport, nul besoin réel entre les êtres qu’elle rassemble ; et l’esprit la rejette comme absurde. […] Quel besoin a-t-il de faire fortune, lui et ces deux animaux ? […] La raison que donne l’aigle du besoin qu’elle a d’être désennuyée, est très-plaisante ; et l’exemple de Jupiter est choisi merveilleusement. […] La vanité de l’éléphant, le besoin qu’il a de parler voyant que Gille ne lui dit mot, l’air de satisfaction et d’importance qui déguise mal son amour-propre, le ton qu’il prend en parlant du combat qu’il va livrer et de sa capitale : tout cela est parfait.

170. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

C’est ainsi qu’on s’explique que Mme Navier, portée à la charité, ait pris de plus en plus le goût, l’habitude, le besoin des bonnes œuvres. […] Lorsqu’il était malade, il lui demandait de venir le soigner : parfois, elle lui donnait des consolations (qui donc n’en a pas eu besoin ?) […] L’établissement de Blamont, cédé et abandonné par lui aux religieuses appelées filles de la Retraite chrétienne, aux conditions, est-il besoin de le dire ? […] Ces besoins, ces demandes de la société créent ou développent des genres autrefois fort resserrés et qui rendaient peu. […] Vous voudrez bien m’excuser si, à l’occasion d’une semblable loi, j’ai paru motiver plus qu’il n’était besoin un vote qui, d’ailleurs, ne fait pas question, et que votre Commission, à l’unanimité, vous propose.

171. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Pour comprendre et appliquer ces vérités, il n’est pas besoin d’étude préalable ou de réflexion profonde : il suffit du bon sens et même du sens commun. […] Ces maîtres de l’homme sont le tempérament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le préjugé héréditaire, l’imagination, en général la passion dominante, plus particulièrement l’intérêt personnel ou l’intérêt de famille, de caste, de parti. […] De là en lui un fonds persistant de brutalité, de férocité, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Français, la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ; on le verra à l’œuvre. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. […] Contre leurs débordements et leurs dévastations, il a fallu installer une force égale à leur force, graduée selon leur degré, d’autant plus rigide qu’elles sont plus menaçantes, despotique au besoin contre leur despotisme, en tout cas contraignante et répressive, à l’origine un chef de bande, plus tard un chef d’armée, de toutes façons un gendarme élu ou héréditaire, aux yeux vigilants, aux mains rudes, qui, par des voies de fait, inspire la crainte et, par la crainte, maintienne la paix. […] Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir »  Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller la sincérité. « Si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les lois. » — Je le disais bien, nous sommes au couvent.

172. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

En un mot, la société doit à l’homme la possibilité de la vie, de cette vie que l’homme à son tour doit, s’il en est besoin, sacrifier à la société. […] L’homme de parti a besoin de croire qu’il a absolument raison, qu’il combat pour la sainte cause, que ceux qu’il a en face de lui sont des scélérats et des pervers. […] J’ai la certitude que l’humanité arrivera avant un siècle à réaliser ce à quoi elle tend actuellement, sauf, bien entendu, à obéir alors à de nouveaux besoins. […] La possibilité et les besoins de la société, les intérêts de la civilisation priment tout le reste. […] Un mois après que la constitution a commencé à fonctionner, elle a besoin d’être interprétée. « Elle est violée, disent les uns  Non, disent les autres. » Qui décidera ?

173. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 427-429

Il paroît que le génie de cet Ecrivain avoit besoin d'être ému par des événemens extraordinaires ; c'est pourquoi il n'est vraiment supérieur, que lorsqu'il traite les changemens subits arrivés dans les Gouvernemens. […] On lui avoit promis des Mémoires sur un Siége qu'il avoit à décrire ; on tarda à les lui envoyer : Je n'en ai plus besoin , dit-il quand on les lui apporta, mon Siége est fait.

174. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

J’ai dit que je voulais le laisser dans votre bourse jusqu’à mon premier besoin, et qu’il ne viendrait jamais assez tôt pour le plaisir que j’aurais à recevoir de vous de quoi y pourvoir. […] Vous restreignez vos besoins, mon cher voisin, à un point qui afflige mon âme, et cela pour ne pas faire usage des offres de vos amis. […] Je fus touché de ce voyage, surtout dans la circonstance où je me trouvais et où j’avais grand besoin, pour soutenir mon courage, des consolations de l’amitié. […] L’esprit, le cœur, voilà ce qui survit à tout, ou ce qui devrait survivre ; le retrouver, le montrer est une vraie joie : y ajouter même au besoin un peu du sien n’est pas défendu ; on supplée ainsi à ce qui nous échappe. […] j’avais besoin de vous dire cela ; je t’aime fort, mais je voudrais ou être seule, ou avoir quelqu’un qui liât et amalgamât ses manies avec les miennes, car j’en ai bien aussi.

175. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

C’est à ce besoin instinctif et si réel qu’Aristote a obéi ; il a satisfait l’esprit humain dans la mesure de son génie et de son temps. […] Les besoins de l’humanité sont des prophéties, peut-être cet homme est-il né. […] Si les besoins rapprochent les hommes, les intérêts les séparent, quand ils ne les arment pas les uns contre les autres ; et la société qui ne s’appuierait que sur des besoins et des intérêts, serait bientôt détruite. […] Sans l’estime mutuelle que deux cœurs se portent, parce qu’ils obéissent avec une égale vertu à une loi pareille, l’amitié n’est pas ; et elle a besoin, pour être sérieuse et durable, de la loi morale, tout autant qu’en a besoin la société. […] La cause en est assez manifeste, et l’homme n’a pas besoin de s’étudier bien longtemps pour la découvrir.

176. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Ce besoin d’entendre sa musique devenait aigu. […] Est-il besoin de mentionner que, dès qu’or, sut que le maître avait en mains une œuvre nouvelle et « facile », il eut l’encouragement de voir accourir chez lui les directeurs de théâtre (Glasenapp, Biogr. […] Toujours est-il que nous n’avions besoin d’aucun système de philosophie. […] Le maître ne s’astreignait plus aux anciennes règles du moyen âge ; il créait une allitération adaptée aux besoins de son poème. […] La découverte d’un nouveau langage », dit Wagner. « était une nécessité métaphysique de notre époque… le développement moderne de la musique a répondu à an besoin profondément senti de l’humanité… (VII, 149).

177. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Il faut donc savoir deviner, non pas seulement pour le plaisir de connaître, mais pour le besoin impérieux de vivre et d’agir. […] Mais comme ce fond, ainsi conçu, échappe par définition même à notre intelligence, nous n’avons pas besoin de nous en occuper au point de vue intellectuel. […] Est-il besoin pour cela d’invoquer, avec M.  […] Ce n’est pas l’identité qui a pour nous besoin d’explication, c’est la différence. […] Quand nous désirons, quand nous éprouvons un besoin, il y a en nous un vide qui aspire à se remplir, et la conscience, encore plus que la nature, a horreur du vide.

178. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

La plupart des déséquilibrés éprouvent un véritable besoin d’excitants, comme tous les « neurasthéniques ». […] Le système nerveux des races s’use comme celui des individus ; le fond de sensations et de sentiments communs à un peuple a toujours besoin d’être renouvelé et rafraîchi par l’assimilation d’idées nouvelles. […] Un travail sans but exaspère : de là le spleen de ceux qui n’ont pas besoin de travailler pour vivre, de là aussi l’ennui qu’éprouvent et qu’inspirent les formistes purs en littérature. […] Enfin l’art, ayant besoin de produire une certaine intensité d’émotions, — surtout l’art réaliste, — tend à faire appel aux passions qui, dans la masse sociale, sont les plus généralement capables de cette intensité. […] Quant aux « législateurs », ils n’ont point besoin de romans pour étudier les vices sociaux de cet ordre et leurs remèdes : c’est aux savants de profession qu’ils doivent s’adresser.

179. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Comme Bazarof, il est né désenchanté de tout, avec un impérieux besoin de détruire, et un impérieux besoin de rire et de pleurer tout ensemble sur ce qu’il a détruit. […] Mais ce n’est pas de ses cadeaux ni de ses soins que les malades avaient le plus besoin ; ils avaient besoin de sa présence au bord de leur lit, de son franc sourire qui les égayait, les encourageait à mourir. […] Mais il avait peu de besoins, et s’amusait de tout. […] Il avait besoin de beaucoup de temps pour voir, et aussi pour comprendre. […] L’admiration ne lui suffisait pas : il avait besoin d’une affection plus proche et plus tendre.

180. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Il avait besoin de s’éloigner de Paris, de changer d’air. […] Cela même que nous avons dit plus haut : le besoin de s’entendre, qui n’est autre chose que le besoin de vivre en société. […] Quels besoins doit-il satisfaire ? […] Belle et grave question, devant laquelle on sent le besoin de se recueillir. […] À un besoin réel il faut une satisfaction réelle.

181. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

L’art de Wagner marche vers ce désir, encore en maint lieu inconscient mais partout existant, de l’harmonie ; car il se manifeste aujourd’hui, depuis la grande victoire de Parsifal et à la face du monde entier, comme l’art de l’avenir ; et il est l’art dont a besoin le présent pour se faire l’avenir, au sens d’une humanité idéale. […] L’art n’atteint son but que lorsqu’il est donné au public ; l’artiste a besoin de se communiquer, et de ce même désir na la création de l’œuvre d’art, Ce besoin de se communiquer distingue le vrai artiste de celui qui ne pratique l’art que par des raisons inférieures. […] Nous nommons société un nombre d’individus entre eux coalisés pour différents buts. « Le peuple, dit Wagner, consiste en tous ceux qui sentent une misère commune. » La lutte pour l’existence et les besoins métaphysiques sont reliés par l’art qui ainsi a une signification pratique. […] Mais on ne pouvait le saisir que littérairement, on ne savait pas inspirer au drame cette vraie vie qui se révèle à leur représentation théâtrale ; les meilleurs drames allemands souffrent de cette lutte entre la littérature et le théâtre, et ont besoin d’être arrangés pour la scène ; ils sont faits pour être lus. […] La marche de cette musique depuis Bach jusqu’à Wagner a été plusieurs fois exposée par Wagner lui-même ; Gluck et Mozart sont les véritables créateurs de l’opéra ; Beethoven, le représentant de l’élément universel et Weber celui de l’élément national, réalisent pleinement leur besoin d’artistes de se communiquer.

182. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

La réalité communique une bien autre puissance que le rêve à cet esprit qui a besoin d’être contenu comme un sein très volumineux et trop tombant, et qui, si la réalité ne le retient pas dans ses strictes limites et son juste cadre, se distend, s’éblouit et s’effare. […] Il y a, dans cet incroyable recueil de quatre mille vers, de la même mesure à l’exception d’un très petit nombre de morceaux, beaucoup de pièces où le virtuose n’a eu besoin que de poser légèrement son archet sur les cordes de son violon pour que les cordes, impalpablement touchées, aient chanté. […] Ce qui le poussa à écrire Cromwell fut le besoin d’esprit du même ordre qui le poussa, depuis, à nous donner une bucolique de parti pris de quatre mille vers presque tous dans le même rythme, énorme caprice, mais qui n’a pas voltigé ! […] Je n’insisterai point, mais ai-je besoin d’insister pour qu’on sente que l’énormité est la vie même de Hugo, de Hugo, la plus grande gloire contemporaine, — non la plus pure, non la plus justifiée, mais la plus… énorme ! […] Il n’est pas besoin d’être un observateur, ou un penseur, ou un esprit politique de premier ordre, pour savoir qu’en Franco il y a une sentimentalité niaise dans laquelle flotte la majorité des esprits comme dans leur atmosphère naturelle.

183. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Car que faudrait-il faire pour se procurer ce premier besoin ? […] Un pareil homme aimera mieux mourir de faim que de se procurer à un tel prix les besoins de la vie. […] « Lorsque l’homme sauvage, errant au milieu des déserts, eut satisfait aux premiers besoins de la vie, il sentit je ne sais quel autre besoin dans son cœur. […] Toute cette époque où Chateaubriand est mêlé aux plaisirs, aux fêtes, aux intrigues de la famille Bonaparte, aurait besoin d’être publiée. […] « Il sentait le besoin d’un effet, me dit Artau, ne pouvant pas le sentir, il l’affecta. » Il s’assit sur le rebord en pierre du jet d’eau en face du portail, entre les obélisques égyptiens, et, plaçant sa main sur sa poitrine, il dit à Artau : « J’ai soif ! 

184. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Nisard a finement fait remarquer que les deux autres unités naissent naturellement de celle-là, et qu’une action, pour être concentrée, a besoin d’aller vite et d’avoir lieu dans un étroit espace. […] J’accorde qu’il lui a fourni l’occasion de faire des chefs-d’œuvre ; mais le génie a-t-il besoin d’occasions ? […] Pascal n’a pas eu besoin de Louis XIV pour trouver l’occasion d’écrire les Provinciales ou les Pensées. […] Or, la poésie a-t-elle besoin de code ? […] N’avait-il pas, lui aussi, le besoin de régner, le goût du pouvoir absolu, une involontaire répulsion contre tous ceux qui s’affranchissaient de son empire ?

185. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Ils se figurent bien, il est vrai, que cet abîme qui sépare la pensée et le désir spirituel d’avec l’acte matériel est traversé, cette vie durant, par une espèce de pont-levis moyennant lequel le moi peut sortir au dehors ; mais c’est là, selon eux, une puissance viagère et fortuite à laquelle il ne faut pas trop s’habituer, et dont il convient d’user avec discrétion et seulement pour les besoins indispensables. […] La matière, pour être relevée, en fait, de l’interdit sous lequel l’avait placée le christianisme, pour être travaillée et fécondée sans scrupule dans la nature par toute la portion industrielle de la société, pour être ménagée et soignée par chacun de nous dans nos besoins personnels, la matière n’est pas encore absoute pleinement dans l’opinion des moralistes, et ils lui assignent toujours, à elle et à ceux qui la cultivent, un rang inférieur par opposition à l’esprit. […] Ce n’est certes pas à dire qu’il s’agisse de ramener les appétits grossiers et rétrogrades, d’exagérer la vie nutritive au détriment de la vie méditative ; mais nos besoins physiques, selon la mesure de l’harmonie, sont réintégrés dans la plénitude de leur satisfaction légitime ; le conseil de diminuer ces besoins est remplacé par celui d’augmenter nos moyens ; le précepte d’amortir nos désirs en nous se tait devant le devoir d’étendre notre puissance au dehors.

186. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

Ce conteur de gaudrioles, au besoin, parlait comme les plus nobles. […] Ils s’y développent, ils y agissent par leurs propres forces et d’eux-mêmes ; ils n’y sont point contraints par les passions ou les facultés qu’ils y rencontrent : ce sont des hôtes libres ; tout le soin du poëte est de ne point les gêner ; ils se remuent et il les regarde, ils parlent et il les écoute ; il est comme un étranger attentif et curieux devant le monde vivant qui s’est établi chez lui ; il n’y intervient qu’en lui fournissant les matériaux dont il a besoin pour s’achever et en écartant les obstacles qui l’empêcheraient de se former. […] On n’a pas besoin d’aller à Vaux regarder la peinture de la Nuit ; la voici, et digne du Corrège Par de calmes vapeurs mollement soutenue, La tête sur son bras et son bras sur la nue, Laissant tomber des fleurs et ne les semant pas. […] C’est d’eux que naquit la race des cigales, et elles ont reçu ce don des Muses, de n’avoir plus besoin de nourriture sitôt qu’elles sont nées, mais de chanter dès ce moment, sans manger ni boire, jusqu’à ce qu’elles meurent.

187. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Paulus et Bruant régnaient sur les foules et suffisaient à leur besoin d’esthétique. […] Les esprits saturés de naturalisme sentaient naître un besoin d’idéal. […] On sentait, en un mot, le besoin d’autre chose, sans savoir encore de quoi cet autre chose serait fait. […] On voit alors grandir la longue silhouette d’un Pierrot famélique qui se livre à des jeux de paroles avec une verve si enfiévrée qu’on y devine comme un besoin de s’étourdir.

188. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Il paraît résulter de ces lettres, que les enfants habitaient encore la maison de Paris ; que, cependant, l’aîné, âgé de quatre ans, qui amusait déjà ses parents, était fréquemment amené à Saint-Germain ou à Versailles, par madame Scarron ; qu’ainsi le roi avait habituellement occasion de la voir, et n’avait plus besoin, pour s’en donner le plaisir, d’aller en cachette à Paris, Madame Scarron avait donc une raison de moins de tenir sa maison de Paris fermée ; ce qui faisait qu’on la voyait un peu. […] Ai-je besoin de faire remarquer cette promesse d’acquérir une profonde indifférence pour ces lieux de danger, et de se détacher de tout ce qui trouble son repos ; promesse que suit la déclaration de son peu d’aptitude à une vie contemplative ? […] et enfin, ai-je besoin d’observer qu’à la suite de cette autre phrase, je quitterai sa cour quand vous me le conseillerez, accourt aussitôt celle-ci, j’ai bien fait votre cour sur les soins que vous donnez à nos enfants, ce qui veut dire : Je quitterai la cour quand vous me le conseillerez, mais je vous y établis si bien que vous ne me le conseillerez pas ? […] Il y en a encore un sur Toscan dont j’ai besoin, car j’en veux dresser un contrat de onze mille écus en bonne forme. » 104.

189. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

. — Menjaud « Est-il besoin de vous rappeler que nous touchons aux dernières représentations de mademoiselle Mars ? […] Ni les uns ni les autres ne songent même à posséder cette belle : ce qu’ils veulent avant tout, c’est une bonne parole et devant témoins ; c’est un tendre regard, en public ; ce sont des lettres qu’ils puissent montrer à tout venant ; et quant au reste, le reste viendra, si veut Célimène. — Et justement voilà pourquoi Célimène, fidèle au rôle qu’elle s’est imposée, est si prodigue envers les uns et les autres de bonnes paroles, de tendres regards, de billets doux ; là est sa force, et elle a besoin d’être forte pour se défendre. […] « Quant à mademoiselle Mars, est-il besoin de vous dire… oui, certes, il est besoin de répéter que, d’un bout à l’autre de son rôle, mademoiselle Mars était charmante, alerte, animée, agaçante, éloquente ; c’était merveille de l’entendre, et merveille de la voir attentive à toutes choses, vive à la repartie, hardie à l’attaque, railleuse toujours, passionnée quelquefois, forte contre tous, faible seulement contre Alceste : jamais la comédie n’a été jouée avec cette inimitable et incroyable perfection.

190. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Les besoins de sa santé avaient encore une fois absorbé les ressources de ses ouvrages. […] Mais Chamfort qui s’indignait à la seule pensée de dépendance, n’éprouva plus que le besoin de briser les liens dont il se croyait garrotté : d’abord il remit son brevet d’appointements ; et bientôt, se trouvant mal à l’aise dans un palais où tout lui parlait de grandeurs, il voulut aller respirer ailleurs l’air de la liberté. […] Entre ces deux hommes, si différents en apparence, il s’établit promptement une véritable intimité, qui eut sa source dans le besoin que Mirabeau, dévoré de la soif de la gloire littéraire, avait du talent de Chamfort ; et dans l’amour-propre de Chamfort, que savait si bien caresser l’homme le plus habile qui fut jamais à se faire des amis de ceux qui pouvaient lui être utiles. […] Les tendres soins qu’il avait reçus de l’amitié semblaient avoir adouci l’idée du besoin qu’il en avait eu.

191. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Je ne crois pas avoir besoin de l’appareil de beaucoup de preuves pour appuyer une telle assertion ; il suffît de voir ce qui est : or, je le demande, s’aperçoit-on qu’il germe de nouvelles doctrines religieuses à côté des doctrines politiques dont l’invasion tourmente en ce moment la société ? […] Les sociétés anciennes n’auraient pu subsister, sans l’esclavage, parce que les idées morales, qui n’existent que depuis le christianisme, peuvent seules contenir une multitude chez qui est la force par le nombre, et en qui le besoin de l’égalité tend toujours à développer tous les instincts antisociaux. […] Je suis loin de penser qu’il ne faille pas faire pénétrer le plus possible l’instruction dans toutes les classes de la société ; je sais tout ce qu’il y a d’inévitable et de fatal dans la force des choses, et j’ai déjà expliqué ma pensée à cet égard ; mais enfin cette diffusion des lumières trouvera toujours, et inévitablement aussi, une limite dans le besoin du travail, pour le plus grand nombre. […] Disons qu’elle est nécessaire à toutes les classes de la société, parce-que toutes les classes de la société ont besoin de frein contre les passions, de consolation dans le malheur, d’avenir au-delà du tombeau.

192. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Maintenant il faut que ma pensée se suffise à elle-même, pour se développer, ou pour se modifier au besoin, à mesure que j’avancerai. […] Il est un autre reproche sur lequel j’ai besoin de m’expliquer ; c’est celui de n’avoir pas osé m’élever dans la sphère vaste et religieuse par excellence de l’infini, au lieu de rester fixé dans la sphère étroite et funeste du fini. […] Par une transformation opérée en vertu des lois merveilleuses de l’analogie, l’on s’est servi de ces mêmes sons vocaux pour représenter soit nos perceptions intellectuelles, soit les rapports intellectuels, les volontés, les actes de l’esprit, que faisaient naître nos sensations et nos besoins. […] J’avoue que j’ai besoin de connaître ces deux mémoires pour saisir la question proposée, qui sans doute a reçu son sens de celui que lui ont donné les deux concurrents couronnés.

193. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

M. de Mouy a une telle peur de trouver sa Madame Geoffrin trop sensible, cette femme qu’il a besoin, comme son éditeur, d’estimer, qu’il voit de l’ampoulé littéraire partout où il y a de l’intensité de nature humaine ; et c’est ainsi que, rougissant pour elle, il fait, sinon à sa vertu, du moins à sa sagesse, de la grammaire un éventail ! […] car elle témoigne de l’immortalité du cœur et de la force de la vie, et il n’est pas besoin, comme si c’était une honte, de s’en cacher. […] Madame Geoffrin fut de celles-là… Le don de séduction qui était en Poniatowski, ce séducteur d’impératrice, ne rencontra pas d’obstacle à sa toute-puissance dans la raison de cette femme dont le mâle esprit, inaccessible aux engouements de son époque, toisait, toute petite bourgeoise qu’elle fût, et le grand Frédéric, et Catherine-le-Grand, et Voltaire, avec une toise d’une telle précision que les plus forts de ce temps-ci (Joseph de Maistre, par exemple, sur le grand Prussien Frédéric de Prusse), n’ont eu besoin ni de la raccourcirai de l’allonger… Stanislas Poniatowski n’était pas, en effet, un séducteur des temps corrompus où il vivait et dont Madame Geoffrin aurait pu dire, comme de la politique de ces temps : « Ce sont les profondeurs de Satan !  […] Mais il n’a pas besoin de la défendre.

194. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Seulement, comme tous les livres d’un talent très élevé ou très profond, il a besoin du temps pour son succès. […] Quand on n’a pas ce bienheureux côté de médiocrité dans le talent qui nous vaut la sympathie vulgaire, on a besoin du temps pour la renommée de son nom ou la vérité qu’on annonce. […] Cela ne serait pas vrai et nous n’avons pas besoin d’exagérer la vérité dans l’intérêt de la vérité même. […] … Nous prions ceux qui séparent la question de l’éducation des besoins et des périls du dix-neuvième siècle, pour ne la considérer que dans la tradition de temps moins menacés et moins à plaindre, de vouloir bien songer à cela.

195. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Parmi ces titres peu nombreux et encore plus nombreux qu’aperçus, il a glissé ce livre sur Marie-Madeleine, et s’il ne l’a pas publié pour les besoins de son élection, puisqu’il était nommé quand le livre a paru, on peut cependant très bien croire qu’il l’a publié pour la justifier ou pour en témoigner à qui de droit sa reconnaissance. […] Jésus-Christ pour elle… Ici, avant d’aller plus loin, la Critique a besoin de s’excuser sur le langage que le livre du R.  […] Elle vient, enfin, de ce que j’oserai appeler dans l’écrivain le besoin des amphigouris ! […] « Il y a des choses qui peuvent se répéter par les âmes qui les ont conçues, mais qui ne peuvent pas s’imiter. » Si ceci veut dire quelque chose, ce ne peut être qu’une fausseté ; mais c’est là suprêmement ce que j’appelais plus haut « le besoin des amphigouris », incorrection particulière au livre du P. 

196. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Le Mystère grandit jusqu’à Homère, qui n’a pourtant pas besoin d’être grandi, tant il est immense ! […] Nous savions de lui tout ce qu’il importait d’en connaître dans l’intérêt de sa physionomie, il n’était nullement besoin d’éclairer davantage le coin de musée dans lequel l’imagination contemple son buste. […] Eh bien, nous voudrions faire sortir l’autre et le faire entrer dans sa seconde gloire, qui devrait être la première : — sa gloire de poète lyrique, du plus puissant poète lyrique que certainement ait eu la France avant Lamartine et Hugo (le Hugo des Châtiments) et qui n’eut besoin que de trois ou quatre ïambes, mais de quel emportement ! […] On n’a pas besoin des douze travaux d’Hercule pour prouver que l’on est Hercule.

197. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Comme toutes les âmes faibles et tristes, il avait le continuel besoin d’un confident. […] Le roi se prêta à tout ; mais, ne se fiant pas entièrement à cette haute amitié, si souvent impuissante, Cinq-Mars, pour perdre le ministre, se laissa persuader par le duc de Bouillon de traiter avec l’Espagne, qui lui fournirait au besoin une armée. […] La plupart des époques ne présentent pas la vie réelle aussi artistement arrangée que dans cette cour romanesque et intrigante ; elles ont toujours quelque chose de vulgaire et de trivial à quoi l’on est forcé de suppléer ; et, pour les traduire en roman, il est besoin d’un fonds de fiction qui les anime et les soutienne.

198. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Mais lorsque l’opinion publique et la réputation populaire ont la première influence, l’ambition délaisse ce dont l’ambition n’a pas besoin, et l’esprit ne s’exerce point à saisir ce qui est fugitif quand il n’a point d’intérêt à le deviner. […] Les sensations viennent du dehors, et tous les talents qui dépendent immédiatement des sensations, ont besoin de l’impulsion donnée par les autres. […] Ce qui est vraiment utile est très facile à comprendre, et l’on n’a pas besoin d’un regard perçant pour l’apercevoir.

199. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Ce qu’il faut imiter de ce grand homme, c’est la manière d’étudier le monde au milieu duquel nous vivons, et l’art de donner à nos contemporains précisément le genre de tragédie dont ils ont besoin, mais qu’ils n’ont pas l’audace de réclamer, terrifiés qu’ils sont par la réputation du grand Racine. […] À chaque instant Shakspeare fait de la rhétorique, c’est qu’il avait besoin de faire comprendre telle situation de son drame, à un public grossier et qui avait plus de courage que de finesse. […] Picard, qui n’aurait besoin que d’être écrite par Beaumarchais ou par Sheridan, pour être délicieuse, a donné au public la bonne habitude de s’apercevoir qu’il est des sujets charmants pour lesquels les changements de décorations sont absolument nécessaires.

200. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Un peuple consulté peut à la rigueur dire la forme de gouvernement qui lui plaît, mais non celle dont il a besoin ; il ne le saura qu’à l’usage : il lui faut du temps pour vérifier si sa maison politique est commode, solide, capable de résister aux intempéries, appropriée à ses mœurs, à ses occupations, à son caractère, à ses singularités, à ses brusqueries. […] Si d’autres peuples ont été plus heureux, si, à l’étranger, plusieurs habitations politiques sont solides et subsistent indéfiniment, c’est qu’elles ont été construites d’une façon particulière, autour d’un noyau primitif et massif, en s’appuyant sur quelque vieil édifice central plusieurs fois raccommodé, mais toujours conservé, élargi par degrés, approprié par tâtonnements et rallonges aux besoins des habitants. […] D’ailleurs, l’événement par lui-même est si intéressant, qu’il vaut la peine d’être observé pour lui seul, et l’on n’a pas besoin d’effort pour exclure les arrière-pensées.

201. (1890) L’avenir de la science « VII »

Il est des œuvres de patience auxquelles s’astreindraient difficilement des hommes travaillés de besoins philosophiques trop exigeants. […] Soyons donc vrais, au nom de Dieu, vrais comme Thalès quand, de sa propre initiative et par besoin intime, il se mit à spéculer sur la nature ; vrais comme Socrate, vrais comme Jésus, vrais comme saint Paul, vrais comme tous ces grands hommes que l’idéal a possédés et entraînés après lui ! […] Celui qui, avec nos besoins intellectuels plus excités, ferait maintenant un tel acte d’abnégation, serait un héros.

202. (1890) L’avenir de la science « XX »

La science se dégrade, du moment où elle s’abaisse à plaire, à amuser, à intéresser, du moment où elle cesse de correspondre directement, comme la poésie, la musique, la religion, à un besoin désintéressé de la nature humaine. […] La Grèce tirait des poèmes, des temples, des statues de son intime spontanéité, pour épuiser sa propre fécondité et satisfaire à un besoin de la nature humaine. Chez nous, on accorde à l’art quelques subventions péniblement marchandées, non par le besoin qu’on éprouve de voir la pensée nationale traduite en grandes œuvres, non par l’impulsion intime qui porte l’homme à réaliser la beauté, mais par une vue réfléchie et critique, parce qu’on reconnaît, on ne sait trop pourquoi, que l’art doit avoir sa place et qu’on ne veut pas rester en arrière du passé.

203. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

La démocratie, par exemple, est certainement un des besoins, et des besoins légitimes de notre temps. […] On aura besoin de nous.

204. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

En effet, tout homme qui écrit un livre est mû par trois raisons : premièrement, l’amour-propre, autrement dit, le désir de la gloire ; secondement, le besoin de s’occuper, et, en troisième lieu, l’intérêt pécuniaire. […] « Si le besoin d’argent fait travailler pour vivre, il me semble que le triste spectacle du talent aux prises avec la faim doit tirer des larmes des yeux les plus secs. « Si enfin un artiste obéit au mobile qu’on peut appeler le besoin naturel du travail, peut-être mérite-t-il plus que jamais l’indulgence : il n’obéit alors ni à l’ambition ni à la misère, mais il obéit à son cœur ; on pourrait croire qu’il obéit à Dieu… « Bien que j’aie médit de la critique, je suis loin de lui contester ses droits, qu’elle a raison de maintenir, et qu’elle a même solidement établis.

205. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

La raison en est simple : dans ces premiers temps, l’homme, plus indépendant et plus fier, était plus près de l’égalité ; la faiblesse et le besoin ne s’étaient point encore vendus à l’orgueil, et le maître, en enchaînant l’esclave, ne lui avait point encore dit : « Loue-moi, car je suis grand, et je daignerai te protéger, si tu me flattes. » On sent qu’alors pour être loué, il fallait des droits réels, et ces droits ne purent être que des services rendus aux hommes. […] Les législateurs vinrent ensuite, et ils reçurent aussi des hommages ; car les lois étaient un besoin pour le faible. […] Ainsi partout l’intérêt public a dicté les éloges ; chaque nation a loué ce qui était utile à ses besoins ou à ses plaisirs ; on a loué la piraterie chez les Scandinaves, le brigandage chez les Huns, le fanatisme chez les Arabes, les vertus douces et les talents chez les peuples civilisés, la chasse ou la pêche chez les sauvages, la navigation chez les habitants des îles ; mais il y a une qualité qui partout a toujours été également louée, c’est celle qui a créé toutes les révolutions, qui bouleverse tout, qui assujettit tout, qui soutient les lois et qui les combat, qui fonde les empires et qui les détruit, à qui tout est soumis dans la nature, et devant qui l’univers et les panégyristes seront éternellement prosternés : la force.

206. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Mais les esprits essentiellement critiques et moralistes n’ont le plus souvent besoin ni de grands mécomptes ni de désabusements directs pour arriver à leur plein exercice et à leur entier développement ; ils sont moralistes en un clin d’œil, par instinct, par faculté décidée, non par lassitude ni par retour. Boileau n’eut pas besoin de traverser de vives passions et des torrents bien amers pour tremper et appliquer ensuite autour de lui son vers judicieux et incisif. Malgré le peu qu’on sait de la vie de La Bruyère, je ne crois pas qu’il ait eu besoin davantage de grandes épreuves personnelles pour lire, comme il l’a fait, dans les cœurs. […] C’est à cette occasion que Mme de Staël, toujours empressée et en frais de bon cœur pour le mérite naissant, écrivait à cet académicien : « J’ai lu avec un plaisir infini plusieurs morceaux de vos Mélanges, et je n’ai pas besoin de vous dire à quelle distance je trouvais ceux signés P. de tous les autres. […] « Les amours de la jeunesse ont besoin d’un peu de surprise, comme celles qui viennent ensuite ont besoin d’un peu d’habitude. » (15 thermidor an XIII, à propos d’un roman, Julie de Saint-Olmont.

207. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Et même dans une société, chaque organe social, chaque groupe, chaque individu selon la fonction qu’il remplit, ses aptitudes et ses besoins a son idéal à lui, son sens collectif spécial, ses devoirs propres. […] On verra peut-être ainsi jusqu’à quel point une morale, théorique ou réalisée, correspond aux besoins réels d’un peuple, jusqu’à quel point elle repose sur une fausse conception de l’état social. […] Le même homme possède en général — implicitement ou non — autant de morales qu’il a de besoins à satisfaire. […] On s’entend pour leur accorder une valeur éminente, mais d’ailleurs chacun les comprend à sa guise et selon le désir ou le besoin qu’il en a. […] Tout d’abord, elle est à peu près forcément en retard sur les besoins du moment.

208. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Krantz cite lui-même (p. 101), et, s’il est besoin, chemin faisant, j’en ajouterai quelques autres. […] Il doit avoir une très forte personnalité : la chose n’a même pas besoin d’être prouvée. […] Il est possible, et je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il est souhaitable. […] Ils n’avaient aucun besoin de continuer. […] Ribot nous dit cela ; c’est pour justifier son livre, s’il avait besoin d’être justifié.

209. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Pendant ce temps, le premier ministre Mazarin n’a pas besoin d’être abaissé ; il s’abaisse assez de lui-même. […] Il n’y a pas du reste besoin de grand effort pour extraire le comique de la réalité. […] Les faits ont eu besoin de passer par la mémoire pour enflammer les imaginations. […] L’ongle du lion était enfoncé partout et je croyais le sentir dans mes flancs. » Ai-je besoin d’ajouter que le discours ne fut pas prononcé ? […] C’est la possibilité reconquise de tout dire, de mouler la phrase sur la réalité même, de reproduire la vie dans sa complexité, et, au besoin, dans sa nudité.

210. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Nous étions jeunes, nous avions besoin d’un objet public d’enthousiasme : il s’en présentait un devant nous, nous l’avons saisi. […] Grenier n’a nul besoin de demander à ses devanciers ce qu’il faut penser de la Grèce. […] Les nations, pour se former, pour sortir de l’état social élémentaire et pour s’élever dans la civilisation et dans la puissance, ont besoin de tels hommes ; quand elles se sont défaites et qu’elles sont restées, des siècles durant, en dissolution et en déconfiture, elles en ont également besoin pour se reformer, et rien n’en saurait tenir lieu : elles languissent et traînent, ou s’agitent vainement, jusqu’à ce qu’elles aient trouvé cet homme-là. […] Je voudrais croire à une épidémie de cette nature pour la Grèce ; elle en a besoin.

211. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Enfin, si, dans ces différentes situations, on se sent assez fort pour ne vouloir que ce qui dépend de soi seul, pour ne compter que sur ce qu’on éprouve, on n’a pas besoin de se consacrer à des ressources purement solitaires. La philosophie est en nous, et ce qui caractérise éminemment les passions, c’est le besoin des autres ; tant qu’un retour quelconque est nécessaire, un malheur est assuré ; mais l’on peut trouver dans les carrières diverses, où les passions se précipitent, quelque chose de l’intérêt qu’elles inspirent, et rien de leur malheur, si l’on domine la vie, au lieu de se laisser emporter par elle, si rien de ce qui est vous enfin ne dépend jamais ni d’un tyran au-dedans de vous-même, ni de sujets au-dehors de vous. […] Depuis la gloire, qui a besoin du suffrage de l’univers, jusqu’à l’amour, qui rend nécessaire le dévouement d’un seul objet, c’est en raison de l’influence des hommes sur nous que le malheur doit se calculer ; et le seul système vrai pour éviter la douleur, c’est de ne diriger sa vie que d’après ce qu’on peut faire pour les autres, mais non d’après ce qu’on attend d’eux. […] Quand le tableau des douleurs est vivement retracé, quelles leçons peuvent ajouter à la force du besoin qu’on a de cesser de souffrir ? […] Enfin, de quelque manière qu’on réfléchisse sur le sentiment de la pitié, on le trouve fécond en résultats prospères pour les individus et pour les nations, et l’on se persuade que c’est la seule idée primitive qui soit attachée à la nature de l’homme, parce que c’est la seule dont il ait besoin pour toutes les vertus, comme pour toutes les jouissances.

212. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Le devoir d’arracher sa sœur à Loujine lui donne un instant la force de reprendre sa vie normale ; un curieux conflit d’amour instinctif, de besoin de pitié, d’ironique abaissement, le pousse à chercher en une prostituée une amie, comme la curiosité, la haine et le pressentiment d’une secrète et honteuse égalité l’attachent aux pas de Svidrigaïloff. […] Son peuple, ce sont les déclassés, les prostituées, les criminels, les ivrognes, les aigrefins, ou encore les simples créatures cordiales et ces impudentes canailles qui sentent parfois le besoin de mettre à l’air leur turpitude. […] Lui et les autres, si libres et perdus de leurs actes, sentent tous le besoin de se confesser à quelqu’un d’aimant en d’explicites aveux. […] Cet homme voyait les choses et les êtres un peu avec la netteté et la surprise d’un demi-fou ; et comme ni la prévision ne le préparait à leur succession, ni le besoin de raisonner ne le poussait à en démêler les causes et la dépendance, il demeurait hagard devant un spectacle qui frappait ses sens de secousses disconnexes. […] Et si l’on considère l’étendue et la pénétration de leur enquête, la façon neuve dont ils parlent de l’homme et à l’homme, leur art sincère et haut, la sérieuse ferveur de l’évangile de pitié qu’ils proposent, le plus déterminé partisan de l’art pour l’art peut se sentir hésiter et réfléchir, jusqu’à ce qu’il recomprenne que le problème de la société, de la vie de l’homme ne peut être résolu par le cri de passion des détracteurs d’intelligence, que l’évangile que prêchent les romanciers slaves a précédé de dix-huit cents ans les maux qu’ils dénomment, que l’enseignement fut la marque même de sa fausseté dans son emportement, que la vérité est paisible, persuade en paraissant et n’a nul besoin d’apôtres, que l’erreur seule parle violemment, que les œuvres d’art ne doivent pas tenter de tromper, qu’il leur suffit de contenir les préceptes latents et obéis, ceux-là du monde dont elles sont la lumineuse image.

213. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

En effet, ses lecteurs avaient besoin de préparation. […] Qu’est-il besoin d’un brillant théâtre ? […] Il n’a pas besoin de notre hypothèse » pour expliquer la création, et il s’en passe. […] Avec cela on intéresse sans qu’il soit besoin ni d’une imagination inventive ni d’un rare génie d’observateur. […] Je n’ai pas besoin de vous dire la conclusion de l’histoire.

214. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Un des insignes bonheurs de Henri IV fut (et je parle toujours d’après des contemporains), que Henri III, un peu avant de mourir et depuis son attentat de Blois, dans l’extrémité où il se vit réduit par la révolte des principales villes, eut besoin de lui, fut contraint, au vu et su de toute la France, de capituler avec lui, de le rappeler à son service, d’en faire son bras droit et son chef d’avant-garde. […] L’impression des contemporains est que, si Mayenne avait gagné la partie en ces journées et avait vaincu l’armée royale, le mouvement populaire aidant et l’avénement de Henri IV ayant réveillé toutes les colères de la Ligue, il n’avait qu’à se saisir de la couronne, il était roi ; il l’était en vertu d’un mouvement français égaré, et sans avoir eu trop besoin de Philippe II. […] De joindre une longue délibération avec un fait pressé, cela lui est malaisé, et c’est pourquoi, au contraire, aux effets de la guerre il est admirable, parce que le faire et le délibérer se rencontrent en un même temps, et qu’à l’un et à l’autre il apporte toute la présence de son jugement ; mais aux conseils qui ont trait de temps, à la vérité il a besoin d’être soulagé… Il a cela néanmoins qui doit fort contenter ses conseillers : c’est qu’encore qu’il n’ait nullement pensé ni été disposé à une affaire, si ses serviteurs, après l’avoir bien ruminée et bien digérée, la lui viennent représenter, il est si prompt à toucher au point et à y remarquer ce qu’on peut y avoir ou trop ou trop peu mis, qu’on jugerait qu’il y était déjà tout préparé. […] Oh voit ici bien naturellement cette première forme du roi capitaine et guerrier dans Henri IV, tout prêt néanmoins à entendre toutes choses et à devenir un grand roi politique et civil dès qu’il en aura le besoin et l’instant. […] Il y eut là, vers l’année 1600, dans la nature aussi bien que dans les âmes, comme un immense et vigoureux printemps ; on avait un puissant besoin de réparation et de saine jouissance ; c’était le cri universel.

215. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Il est besoin de le rapprendre à ceux qui aujourd’hui croient possible de les ressusciter, tous ses écrits sont nés fanés et sans flamme. […] Ses Mélanges de Littérature, où il y a de jolis morceaux, un surtout sur Julie Talma, n’ont aucune consistance ; on y devine trop l’homme qui un jour, par besoin d’argent et pressé par le libraire, a ramassé dans ses tiroirs, a taillé dans ses vieilles brochures, et a réchauffé tout cela, comme il a pu, par une préface d’orateur. […] Il en avait cependant assez pour sentir le besoin d’en montrer de temps en temps. […] Le besoin de frapper par des réflexions fortes mène à l’exagération ; celui d’amuser par des anecdotes entraîne à la calomnie. […] Ses passions sont tout artificielles… Constant est tellement usé, continua Béranger, il a tellement besoin que quelqu’un l’anime et le travaille, que je lui disais que, vieux et ne pouvant plus quitter le coin de son feu, il donnerait de la tête contre le marbre de la cheminée pour se secouer.

216. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

La première Grèce était simple dans son principe architectural ; ce principe, c’était la ligne horizontale, la plate-bande (comme on dit en termes techniques) posant horizontalement sur deux points d’appui verticaux ; la stabilité résultait des simples lois de la pesanteur, sans qu’il fût besoin de l’adhérence des matériaux. […] On avait cependant à s’entretenir, à s’entendre, à discourir sur toutes sortes de sujets ; les moines et les clercs parlaient toujours latin assez correctement, le latin d’autrefois : mais le peuple, mais les prêcheurs qui s’adressaient journellement aux populations des villes ou des campagnes, mais les rois et les barons qui traitaient entre eux de leurs affaires avaient besoin d’une langue commune ; et, tout en la dénaturant à qui mieux mieux, ils la faisaient. […] Le château, de son côté, tout en se revêtant à neuf et en prenant sa forme féodale, appropriée aux besoins de la défense, reçoit à l’intérieur son arrangement et sa distribution en vue de l’agrément et même du luxe qui s’introduit peu à peu ; il se meuble de mille objets curieux, que les romans du temps nous font connaître, et dont M.  […] Viollet-Le-Duc est sévère pour l’art emprunté, copié, extérieur, fastueux, plus apparent que réel, pour l’art massif qui s’impose et qui ne correspond ni à un état de civilisation, ni à un besoin réel, ni à une pensée sincère, ni à un bien-être, à une habitude ou à une convenance de la société régnante et vivante. […] Il s’est formé à la longue une compagnie privilégiée qui a fini par ne plus permettre qu’une seule coupe d’habit, quel que fût le corps à vêtir : cela évitait la difficulté de chercher des combinaisons nouvelles, et celle, non moins grande, d’étudier les diverses formes adoptées chez nous dans les siècles antérieurs et d’y recourir au besoin. » Voilà le grief.

217. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère en vint à s’établir définitivement au cœur de l’histoire littéraire comme en son domaine propre, il se trouva y apporter précisément cette faculté d’enchaînement, ce besoin instinctif des rapports et des lois, cette sagacité investigatrice des origines et des causes, dont son noble père avait fourni de si hautes preuves dans un autre ordre de vérités. […] Pour apprécier toute l’originalité de Racine, il est besoin de remonter à Euripide ; pour embrasser celle de Port-Royal, il n’est pas nécessaire de sortir de la Gaule ; on a l’île de Lérins. […] Aussi, leur œuvre patiente est illisible pour les gens du monde, je dirai même qu’elle l’est pour les savants, surtout d’une manière continue et dans le détail ; il faut en avoir besoin absolument sur un point pour s’y plonger. […] Ampère (est-il besoin de le dire ?) […] On a tant abusé de l’imagination en ce temps-ci, qu’on a besoin de la signaler du doigt là où elle ne brille que dans sa justesse.

218. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

L’homme qui a procuré à ses semblables opprimés et innocents une telle lueur d’espérance, et qui a payé lui-même ce bon mouvement, de sa tête et de son sang, mérite qu’on lui pardonne beaucoup ; mais ajoutons vite qu’il en a grand besoin. […] Et que dire de ceci encore, à l’adresse de ceux à qui le pur zèle d’un patriotisme désintéressé ne suffisait pas, et qui avaient besoin d’un motif d’agir plus puissant ? […] Quand on ne connaît que de réputation ce pamphlet célèbre et qu’on se met à le lire, on a besoin de quelque réflexion pour s’apercevoir que c’est là un retour au bon sens, aux idées de modération et de justice. […] Pour faire passer sa modération nouvelle, Camille sent le besoin de la déguiser plus que jamais en bonnet rouge ; il n’a même pas de honte de la mettre sous l’abri de Marat, qu’il ose appeler divin. […] comme, après la lecture de ces pages bigarrées, toutes tachées encore de boue et de sang, et convulsives, image vivante (jusque dans les meilleurs endroits) du dérèglement des mœurs et des âmes, comme on sent le besoin de revenir à quelque lecture judicieuse où le bon sens domine, et où le bon langage ne soit que l’expression d’un fonds honnête, délicat, et d’une habitude vertueuse !

219. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

On a lieu de s’excuser pour une telle association de noms, et il est besoin de l’expliquer. […] Volney, de peur d’y tomber, s’est rangé plutôt à l’excès contraire ; il affecterait au besoin l’aridité. […] Lui seul subvient à tous les besoins de ses maîtres. […] Il ne laisse pas d’être misanthropique pourtant, et le besoin d’aller toujours au fond des ressorts humains l’empêche de voir ce qui les recouvre souvent dans l’habitude, et ce qui en rend le jeu plus tolérable et plus doux. […] On n’a pas besoin d’être un profond croyant pour cela ; « on pense à l’église de son village, a dit quelqu’un, et l’on redevient enfant, et l’on se met à genoux ».

220. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Guyau n’absorbait point la morale entière dans la sociologie, car il considérait que le principe « de la vie la plus intensive et la plus extensive », c’est-à-dire de la moralité, est immanent à l’individu, mais il n’en admettait pas moins que l’individu est lui-même une société de cellules vivantes et peut-être de consciences rudimentaires ; d’où il suit que la vie individuelle, étant déjà sociale par la synergie qu’elle réalise entre nos puissances, n’a besoin que de suivre son propre élan, de se dégager des entraves extérieures et des besoins les plus physiques, pour devenir une coopération à la vie plus large de la famille, de la patrie, de l’humanité et même du monde. […] C’est s’arrêter à la superficie des choses que d’y voir seulement des effets à saisir et à rendre, de confondre la nature avec un musée, de lui préférer même au besoin un musée. » Le grand art est celui qui traite la nature et la vie « non en illusions, mais en réalités », et qui sent en elles le plus profondément « non pas ce que l’art humain peut le mieux rendre, mais ce qu’il peut au contraire le plus difficilement traduire, ce qui est le moins transposable en son domaine. […] Plus les religions dogmatiques deviennent insuffisantes à contenter notre besoin d’idéal, plus il est nécessaire que l’art les remplace en s’unissant à la philosophie, non pour lui emprunter des théorèmes, mais pour en recevoir des inspirations de sentiment. « La moralité humaine est à ce prix, et la félicité. » Aussi, selon Guyau, les grands poètes, les artistes redeviendront un jour les initiateurs des masses, les prêtres d’une religion sociale sans dogme. « C’est le propre du vrai poète que de se croire un peu prophète, et après tout, a-t-il tort ? […] Pour sentir le printemps, il faut avoir au cœur un peu de la légèreté de l’aile des papillons, dont nous respirons la fine poussière répandue en quantité appréciable dans l’air printanier11. » L’art, étant ainsi presque synonyme de sympathie universelle, consiste à saisir et à rendre l’esprit des choses, « c’est-à-dire ce qui relie l’individu au tout et chaque portion du temps à la durée entière ;  » mais ce rapprochement entre la grande vie répandue à l’infini et la vie humaine ne s’opérera qu’en écartant les limites, élevées par l’individualité, au besoin en brisant ce que l’individualité a d’exclusif et d’égoïste. […] Nous avons vu que, selon lui, nous devons sympathiser avec l’œuvre d’art comme avec les œuvres de la nature, « car la pensée humaine, comme l’individualité même d’un être, a besoin d’être aimée pour être comprise ;  » jusque dans la lecture d’un simple livre soyons donc de bonne volonté : « l’affection éclaire » ; et il ajoute ces belles paroles, qu’on peut appliquer à son propre ouvrage sur l’art : « Le livre ami est comme un œil ouvert que la mort même ne ferme pas, et où se fait toujours visible, en un rayon de lumière, la pensée la plus profonde d’un être humain. » Alfred Fouillée 1.

221. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Au milieu d’une société étrangère par ses goûts et ses besoins à ces sortes de théories, une vive sympathie dut bientôt réunir et liguer ensemble les jeunes réformateurs : aussi ne manquèrent-ils pas de s’agréger étroitement, et de se constituer envers et contre tous missionnaires et chevaliers de la doctrine commune. […] Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination.

222. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Cela veut dire que la déclamation theatrale est si variée, qu’il est si difficile d’entrer avec justesse dans tous ses differens tons, qu’on a besoin lorsqu’on veut déclamer comme on déclame sur la scene, de se faire soutenir par un accompagnement qui aide à bien prendre ces tons, et qui empêche de faire de fausses inflexions de voix. […] Il est au-dessous de l’orateur, dit Ciceron, d’avoir besoin d’un pareil secours pour entrer avec justesse dans tous les tons qu’il doit prendre en déclamant. […] Ils se piquoient de composer eux-mêmes leurs discours, et l’on remarque que Neron est le premier des empereurs romains qui ait eu besoin qu’un autre lui fit ses harangues.

223. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Il faudrait s’étonner, plutôt, si cette défection n’avait pas eu lieu… Rapetti, en nous la racontant, a fait l’histoire vraie de ce jour qui perdit l’Empereur, mais il l’a refaite avec l’histoire faussée, sophistiquée, pervertie par l’intérêt du coupable, et, pour la refaire et la ramener au vrai, il n’a pas eu besoin de révéler des faits inconnus et de se retirer derrière des négations inattendues. […] Il l’a frappé au nom de cette notion du devoir qui doit rester impérissable et immaculée, parce que sans elle il n’y a plus de patrie et il n’est plus besoin d’histoire. […] Mais il l’a placé parmi ceux qui, au jour du besoin, délaissèrent leur patrie, et c’est tout près de ceux qui la vendent.

224. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Aux hommages de la foule, qui flattent d’autant plus qu’ils tiennent toujours un peu de la superstition et de l’enthousiasme d’un culte, il joignit le suffrage de quelques-uns de ces hommes qu’on pourrait, au besoin, opposer à un peuple entier. […] Je n’en crois rien ; celui qui pleurait enfant, en apprenant les conquêtes de son père, n’avait pas besoin d’une harangue pour renverser le trône de Darius. […] Les passions seules raniment tout ; les passions traversent les siècles et se communiquent, après des milliers d’années, sans s’affaiblir ; l’homme a besoin d’orages ; il veut être agité : c’est pour cela que Démosthène a encore des admirateurs, et qu’Isocrate n’en a plus.

225. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Dans ces différents traits vous avez reconnu le besoin fondamental des formes délimitées et claires. […] La civilisation, en se déplaçant vers le nord, a dû pourvoir à toutes sortes de besoins qu’elle n’était pas obligée de satisfaire dans ses premières stations du sud. […] Les contemporains de Périclès et de Platon n’ont pas besoin d’effets violents et imprévus qui piquent leur attention émoussée ou troublent leur sensibilité inquiète. […] L’État en a besoin ; les mœurs publiques les demandent. […] Pour fournir à de tels goûts et à de tels besoins, le gymnase était la seule école.

226. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Voilà notre premier besoin. Mais il en est un autre, non moins légitime, c’est, le besoin de ne pas être dupe de principes chimériques, d’abstractions vides, de combinaisons plus ou moins ingénieuses mais artificielles, le besoin de s’appuyer sur la réalité et sur la vie, le besoin de l’expérience. […] Le désir est fils du besoin. […] Le besoin de la sécurité me ramène de l’anarchie au besoin de l’ordre, pourvu que l’ordre soit à mon profit, et je deviens tyran, si je puis, ou serviteur doré du tyran. […] Le désir vient du besoin que l’homme ne fait pas, mais qu’il subit.

227. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Ce dégoût de la chicane le brouilla avec son père, qui sentait le besoin de brider, de mater par l’étude un naturel aussi passionné, et qui le pressait de faire choix d’un état quelconque ou de rentrer sous le toit paternel. […] Ma porte s’ouvre toujours au besoin qui s’adresse à moi, il me trouve la même affabilité ; je l’écoute, je le conseille, je le plains. […] Tout homme doué de grandes facultés, et venu en des temps où elles peuvent se faire jour, est comptable, par-devant son siècle et l’humanité, d’une œuvre en rapport avec les besoins généraux de l’époque et qui aide à la marche du progrès. […] Diderot dit que c’était une des plus puissantes affections de l’homme : « Un cœur paternel, repris-je ; non, il n’y a que ceux qui ont été pères qui sachent ce que c’est ; c’est un secret heureusement ignoré, même des enfants. » Puis continuant, j’ajoutai : « Les premières années que je passai à Paris avaient été fort peu réglées ; ma conduite suffisait de reste pour irriter mon père, sans qu’il fût besoin de la lui exagérer. […] La gêne et le besoin, une singulière facilité de caractère, une excessive prodigalité de vie et de conversation, la camaraderie encyclopédique et philosophique, tout cela soutira continuellement le plus métaphysicien et le plus artiste des génies de cette époque.

228. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

. — Concordance de cette philosophie et des besoins nouveaux […] Quoi de plus séduisant pour le Tiers   Non seulement cette théorie a la vogue, et c’est elle qu’il rencontre au moment décisif où ses regards, pour la première fois, se lèvent vers les idées générales ; mais de plus, contre l’inégalité sociale et contre l’arbitraire politique, elle lui fournit des armes, et des armes plus tranchantes qu’il n’en a besoin. […] C’est l’esprit de Rousseau, « l’esprit républicain588 » ; il a gagné toute la classe moyenne, artistes, employés, curés, médecins, procureurs, avocats, lettrés, journalistes, et il a pour aliments les pires passions aussi bien que les meilleures, l’ambition, l’envie, le besoin de liberté, le zèle du bien public et la conscience du droit. […] — Instincts de nivellement. — Besoin de domination. — Le Tiers décide qu’il est la nation. — Chimères, ignorance, exaltation. […] Le Tiers, à lui seul et par lui-même, est « une nation complète », à qui ne manque aucun organe, qui n’a besoin d’aucune aide pour subsister ou se conduire, et qui recouvrera la santé lorsqu’il aura secoué les parasites incrustés dans sa peau.

229. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

L’homme de réflexion n’est vraiment maître de sa réflexion que lorsqu’il n’a pas besoin pour réfléchir d’imaginer un ami ou un auditoire ; la conscience morale n’est en pleine possession d’elle-même que lorsqu’elle se voit telle qu’elle est réellement, personnelle, rationnelle et discursive. […] L’âme a, pour ainsi dire, surveillé l’écho dans son évolution décroissante, et, à un certain degré d’affaiblissement, le trouvant approprié à ses besoins, elle l’a arrêté, cultivé, choyé, exercé, entretenu, fixé ; elle s’en est emparé, elle se l’est approprié, et ce qui était quelque chose de la parole est devenu quelque chose de la pensée. […] En effet, si nous considérons d’abord les habitudes élémentaires qui la composent, nous trouvons chacune d’elles parfaite en soi ; car elle passe à l’acte par intervalles, au moment même où sa réalisation est devenue un besoin de l’esprit ; son acte est toujours complet, sans lacune : un mot commencé n’est jamais interrompu avant la fin, ni simplifié par l’omission d’une syllabe médiane ; enfin cet acte est doué d’une intensité de conscience et d’une durée à peu près inaltérables ; — si maintenant nous envisageons ces différents actes dans leur succession, c’est-à-dire l’habitude totale, nous voyons qu’elle possède, avec toutes les qualités de ses composants, devenues siennes puisqu’ils la composent, une qualité que ceux-ci ne sauraient avoir : elle est souple, elle se plie de mille manières aux besoins incessamment variés de la pensée ; tandis que chaque mot est un tout indissoluble, les syllabes étant rivées les unes aux autres par ce lien de fer que Stuart Mill a appelé l’association inséparable, l’ordre des mots, au contraire, n’a rien de fixe ; sans doute ils s’appellent les uns les autres, mais non d’une manière inéluctable ; bien loin d’être réduite, comme une mendiante en haillons, à chanter toujours le même air, l’âme est un improvisateur infatigable ; avec des matériaux toujours les mêmes, elle construit incessamment des composés nouveaux. […] Mais elle est devenue, par son incessante réalisation, si proche de l’acte que, tout en conservant la généralité, c’est-à-dire l’indifférence à la nature particulière de l’acte complexe qui la manifeste, elle ne peut plus se passer de le produire ; elle se réalise encore sans besoin, d’une manière, pour ainsi dire, automatique, dans le silence de la pensée. […] La parole extérieure, jetée dans l’âme par la sensation, s’est trouvée être une semence féconde, parce que l’attention l’a fécondée, et parmi les mobiles de l’attention, parmi les désirs, les besoins, les tendances de l’âme, l’analogie de l’âme et du son doit figurer en première ligne : si nous sommes séduits à chaque instant à maintenir l’union de fait, de la parole et de la pensée, ce n’est pas seulement parce qu’elle est utile ou commode à l’entendement [ch.

230. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Lorsqu’il a de vrais « semblables » à comparer, l’esprit n’a pas besoin d’effort pour user des mêmes poids et mesures. […] En cet état un besoin naît, qui est que notre façon d’être ne nous soit pas imposée par autrui. […] Ainsi, par cela même que les sociétés sont hétérogènes, elles ont besoin d’égalité : leur ordre ne peut s’établir que sur ce principe, que chacun y sera traité « selon ses œuvres ». […] Nous avons déduit alternativement les conséquences de l’homogénéité, puis de l’hétérogénéité ; force nous est de conclure que l’une ou l’autre, prise isolément et poussée à l’extrême, tendrait à ruiner l’égalitarisme, qui semblait pourtant, à un certain moment de cette dialectique, avoir besoin de l’une comme de l’autre. […] Entre ces deux « lois d’évolution » nous n’avons pas besoin de choisir ici.

231. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Ai-je besoin de vous dire que, m’attaquant à un sujet si vaste et si confus, je n’ai point eu la prétention d’être complet ? […] Les autres n’en ont pas besoin : l’espace leur suffit, ils s’y meuvent à l’aise. […] Et il ne m’est pas même prouvé que toutes les consciences aient besoin de ces appuis. […] Brunetière trouve réalisée à un haut degré cette unité de la métaphysique et de la morale, dont il a besoin. […] Mais ce n’est pas là la question : nous ne voulons insister que sur le besoin d’unité qui hante M. 

232. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Le besoin d’aimer, qui fut toujours le premier chez elle, la conduisit à faire succéder à des amis qu’elle avait perdus d’autres amis plus jeunes qu’elle choisit avec goût, et dont la nouvelle affection la trompait sur ses pertes. […] L’enthousiasme reconnaissant et dévoué, dont elle s’était d’abord senti le besoin, essuya trop d’échecs consécutifs pour résister et subsister bien longtemps. […] Mais qu’on a besoin de force pour quitter la première un semblable ornement ! […] Si le plus noble besoin d’un fils confiant et pieux est d’avoir sa mère pour première confidente et pour compagne, j’y vois aussi, et avant tout, un bien touchant rajeunissement de la mère. […] On aime à voiries âmes plus douces, comme les plus orageuses, proclamer le besoin d’un même port.

233. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Carbon que je n’avais pas besoin d’une somme aussi énorme ; je le remerciai. […] L’homme ne doit savoir littérairement que deux langues, le latin et la sienne ; mais il doit comprendre toutes celles dont il a besoin pour ses affaires ou son instruction. […] Je n’ai pas besoin de te demander le silence. […] Puissé-je voir le jour où ce christianisme prendra une forme capable de satisfaire pleinement tous les besoins de notre temps ! […] J’ai là sous mes yeux un petit billet de sa main : « Avez-vous besoin de quelque argent ?

234. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Deux motifs très pressants l’y déterminaient, le besoin de vivre et l’amour de la célébrité. […] Il montre ensuite les sacrements institués pour les divers besoins de l’homme, depuis la naissance jusqu’à la mort. […] Ici la sœur hospitalière veille aux besoins du soldat mourant. […] C’est contre la volupté seule qu’elle accourt le défendre ; c’est alors qu’il en a le plus grand besoin. […] Je souhaiterais même que ce besoin vînt rarement.

235. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Je n’ai pas besoin, je pense, d’avertir que nous écarterons de cet examen toutes les doctrines qui tendent plus ou moins au matérialisme ; et que Locke et Condillac seront eux-mêmes mis hors de cause, à plus forte raison Helvétius et Cabanis. […] Dans le premier cas, l’invention du langage serait un résultat nécessaire de la forme même, si l’on peut parler ainsi, de notre intelligence : les langues seraient alors comme un ensemble de signes convenus, devenu graduellement plus ou moins complet, graduellement perfectionné, à mesure que de nouveaux besoins se seraient fait sentir. […] Le dépôt des connaissances humaines est peu à peu sorti du lieu mystérieux où les sages le tenaient caché pour en tirer des trésors qu’ils dispensaient aux peuples dans le temps, et autant que le besoin s’en faisait sentir. […] Il me reste donc à établir que notre intelligence, successivement affermie, a pu s’avancer vers un ordre de choses où elle a moins besoin d’un appui, mais que cet appui lui fut très nécessaire.

236. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

À chaque instant, on croit qu’elle va se lever, cette cravache indignée, dans la main de ce prêtre mâle et ferme, qui exige si nettement ce qu’on lui doit, ne fût-ce que pour éviter d’être foulé, lui et la considération de tout prêtre venant après lui en Chine, sous les pieds d’un peuple lâche, gouverné par le bâton, et qui a toujours besoin de sentir le vent du bambou sur sa tête ! […] La Science chinoise, qui semblait auguste comme une fille de Mage, a besoin d’un lambeau de la soutane d’un jésuite pour s’envelopper, et ne sait pas faire même un almanach. […] Pour en juger, il n’est pas besoin d’avoir recours à des écrivains exceptionnels. […] « On n’a jamais tant besoin de son esprit que quand on a affaire à un sot.

237. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Leur sensibilité de névropathes n’admet que ce qui l’émeut ; il ne faut à leur besoin d’impressions fines ou violentes que des tableaux de plus en plus brillants et vibrants. […] N’oublions pas enfin que deux ou trois seulement des romans de MM. de Goncourt ont besoin d’être ainsi défendus. […] MM. de Goncourt ont éprouvé par deux fois le besoin d’exprimer leur peur de la femme, leur préjugé contre le mariage, et de montrer que l’artiste doit vivre seul pour être tout entier à son démon intime. […] Encore une que son cœur tourmente, sinon son corps : malade du besoin d’aimer et de se dévouer, après une enfance pieuse, renfermée, mélancolique, elle se fait sœur de charité. […] Ajoutez qu’il ne reste peut-être plus que cet art violent pour nous donner les émotions dont nous avons besoin.

238. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Or, c’est cette sympathie, c’est le besoin, pour ses méditations, d’un sujet vivant, qui, peu à peu, dégoûtèrent Pascal de la science, à cause de sa stérilité pour le bonheur de l’homme. […] Pour mieux connaître leurs besoins, il est entré dans leur condition. […] Comment s’étonner qu’ayant fait choix de la foi, il ait eu du dédain pour la philosophie, ne fut-ce que pour l’avoir trompé dans ce besoin de croire, dont la satisfaction était l’unique emploi de sa vie ? […] Aimerait-on mieux la découverte de quelque loi des corps, ou l’invention de quelque nouvelle preuve métaphysique de l’existence de Dieu, laquelle n’a pas besoin de preuves ? […] Je n’ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du bien ni de l’autorité de personne.

239. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

uniquement, invinciblement, à la satisfaction de leurs besoins. […] Mais cette voix prononçait précisément les paroles dont cette foule avait le besoin. […] Il n’est pas besoin d’une comédie pour corroborer des vérités de cette évidence. […] Cela signifie qu’elle était une chose vivante, adaptée aux besoins d’âmes vivantes. […] La prose classique, dans son besoin d’analyse et de logique, fuyait l’inversion et le contournement, comme elle évitait, dans son besoin de clarté, le néologisme, et, dans son besoin de généralité, le terme technique et individuel.

240. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 364-367

La plupart, avec un esprit peu élevé, un cœur froid & stérile, une imagination pauvre & dénuée de vigueur, ont besoin d’entasser incident sur incident, d’avoir recours aux épisodes, de prodiguer les sentences, de multiplier les coups de Théatre, pour parvenir jusqu’au dernier acte ; encore finissent-ils le plus souvent par ennuyer le Spectateur, qui ne tolere le commencement, que dans l’espérance d’une fin plus heureuse, M. de Morand avoit assez de talent pour se dispenser de ces pitoyables ressources. […] Quelqu’un lui répondit, dit-on, qu’ayant perdu la tête, il n’avoit plus besoin de chapeau.

241. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XII. Des livres de jurisprudence » pp. 320-324

Mais comme les lecteurs qu’on a en vue, n’ont besoin que de quelques bons livres sur chaque matiere, nous nous contenterons de leur indiquer les suivans. […] Il y a mille occasions où l’on a besoin de le consulter.

242. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Soyez sociable ; faites honneur à la vertu dans le monde. » Et il redouble lui-même de légèreté en écrivant, comme pour lui donner l’exemple avec le précepte : « On a besoin d’être sans cesse la faucille en main, pour retrancher le superflu des paroles et des occupations. » Jamais la piété de Fénelon ne se montre mieux ce qu’elle est que dans ces lettres au vidame d’Amiens, c’est-à-dire une piété douce, commode, simple, exacte, ferme et gaie tout ensemble, une piété qui s’allie avec tous les devoirs et qui se ressouvient du grand seigneur devant les hommes jusque dans la perfection de l’humilité devant Dieu : Un homme de votre rang ne fait point assez, et il manque à Dieu quand il ne s’occupe que de curiosités, que d’arrangement de papiers, que de détails d’une compagnie, que de règlements pour ses terres. […] On dit que Mme la duchesse de Bourgogne fait fort bien pour le soutenir, mais qu’il est honteux qu’il ait besoin d’être soutenu par elle… Dans les nombreuses lettres de Fénelon où il parle du prince, il y a deux parts à faire, celle de l’opinion même de Fénelon et des reproches ou des conseils qu’il lui adresse, et celle de l’opinion publique qu’il recueille avec anxiété à son sujet et dont il se fait l’écho direct, et presque offensant, pour l’avertir, le prémunir et l’obliger à en tenir compte. […] On a beau lui en dire du bien, il ne sera content que « lorsqu’il le saura libre, ferme et en possession de parler (même au roi) avec une force douce et respectueuse… S’il ne sent pas le besoin de devenir ferme et nerveux, il ne fera aucun véritable progrès ; il est temps d’être homme ». […] Mais alors, et sans qu’il fût besoin de plus d’information, tous les gens sensés et honnêtes, les Fénelon, les Vauban, les Catinat, voient les défauts et cherchent, chacun de son côté, les remèdes dans des contrepoids, et dans le contrepied de ce qui est. […] Quelque louables que soient de telles maximes, elles laissent presque entière la question de politique proprement dite ; une politique vraiment nouvelle, si nécessaire après Louis XIV, aurait eu besoin, pour réussir dans l’application, de tous les correctifs et de toutes les précautions qui plus tard manquèrent : car enfin Louis XVI n’a échoué que pour avoir trop fidèlement pratiqué, mais sans art, cette maxime du vertueux Dauphin son père et du duc de Bourgogne son aïeul.

243. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Si vous pouviez préparer l’esprit des Français à s’expliquer envers vous des conditions de la paix, pour que l’on pût juger de leurs intentions et voir s’il y aurait quelque chose à faire avec eux ; si vous les priiez de vous confier leurs demandes, assurant de n’en point faire un mauvais usage, et leur répondant des bonnes dispositions dans lesquelles j’étais, peut-être verrait-on si ce traité est vrai, qu’on les suppose avoir fait avec les Autrichiens, et du moins pourrait-on juger par leurs propositions à quoi l’on peut s’attendre d’eux en cas de besoin. […] La margrave n’avait pas besoin de longs raisonnements pour croire au bon droit de son frère, pour se confier en ce qu’elle appelait sa grande âme, et que nous appellerons seulement son grand caractère. […] Vous sentez tous les ménagements dont j’ai besoin dans celle affaire, et combien peu j’y dois paraître ; le moindre vent qu’on en aurait en Angleterre pourrait tout perdre. […] Je n’ai besoin ni d’honneurs ni de biens, et, comme lui, je ne songe qu’à vivre en évêque philosophe. […] Elle était évidemment une personne des plus distinguées, spirituelle, naturelle, piquante, capable de satire, encore plus capable d’affection, tendrement dévouée à son frère, et l’égalant au besoin par la fermeté du caractère et le stoïcisme des résolutions : dans une des crises les plus extrêmes où se soient vues des personnes de leur rang, elle a fait acte de vigueur et de sacrifice ; si Frédéric avait fini violemment alors, elle serait indubitablement morte avec lui ; elle avait de l’âme d’une Porcia ou d’une Roland.

244. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Sur les anciens auteurs, Horace, Homère, est-il besoin de le dire ? […] Pour moi qui ne l’avais jamais été autrement que par la lecture, très attentive, qu’il avait faite de mes livres, j’ai bien senti ce besoin, cette démangeaison trop naturelle qu’il avait de se dédommager sur quelqu’un. […] Celui qui écrit tous les jours ou très habituellement dans les journaux, même quand il aurait tout l’esprit du monde, est en danger parfois de souffrir de la disette d’idées ou de sujets : mais ayez un adversaire, et il n’y a plus à vous inquiéter ; l’adversaire, au besoin, vous fournira chaque matin la moitié de vos idées : vous n’avez qu’à retourner les siennes contre lui. […] Sans originalité native, sans besoin d’invention pour son compte ni chez autrui, plus jaloux de maintenir le goût que de découvrir les talents nouveaux, et enclin même à railler outre mesure les essais qui ne rentraient pas dans les formes connues, il était habile et ferme sur la défensive, prompt à châtier quiconque chassait sans permission sur les terres du domaine classique. […] En un mot, professeur autant qu’écrivain, non seulement il n’aspirait pas à sortir de l’Université, mais il avait besoin d’en être, de s’y rattacher jusque dans ses succès extérieurs, de se retremper au sein de l’Alma parens en Benjamin fidèle et reconnaissant ; il y puisait sa force et sa joie, et quand, par un malentendu fâcheux, il s’en vit tout à coup retranché un jour, une partie de sa sève lui manqua : il défaillit.

245. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Un tel voyage est une sorte d’analyse pratique et vivante de l’origine des peuples et des États : on part de l’ensemble le plus composé pour arriver aux éléments les plus simples ; à chaque journée, on perd de vue quelques-unes de ces inventions que nos besoins, en se multipliant, ont rendues nécessaires ; et il semble que l’on voyage en arrière dans l’histoire des progrès de l’esprit humain. […] Il semble avoir été écrit en prévision du 18 Fructidor et des déportations prochaines : on n’ose dire pourtant que la Guyane et Sinnamari aient en rien répondu à la description des colonies nouvelles que proposait Talleyrand d’un air de philanthropie, et en considération, disait-il, « de tant d’hommes agités qui ont besoin de projets, de tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérances. » Il y disait encore, en vrai moraliste politique : « L’art de mettre les hommes à leur place est le premier peut-être dans la science du gouvernement ; mais celui de trouver la place des mécontents est, à coup sûr, le plus difficile, et présenter à leur imagination des lointains, des perspectives où puissent se prendre leurs pensées et leurs désirs est, je crois, une des solutions de cette difficulté sociale. » Oui, mais à condition qu’on n’ira pas éblouir à tout hasard les esprits, les leurrer par de vains mirages, et qu’une politique hypocrite n’aura pas pour objet de se débarrasser, coûte que coûte, des mécontents. […] « Justement effrayé des fonctions dont je sens la périlleuse importance, j’ai besoin de me rassurer par le sentiment de ce que votre gloire doit apporter de moyens et de facilités dans les négociations. […] Le flair merveilleux des événements, l’art de l’à-propos, la justesse et, au besoin, la résolution dans le conseil, M. de Talleyrand les possédait à un degré éminent ; mais cela dit et reconnu, il ne songeait, après tout, qu’à réussir personnellement, à tirer son profit des circonstances : l’amour du bien public, la grandeur de l’État et son bon renom dans le monde ne le préoccupaient que médiocrement durant ses veilles.

246. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Sans doute une ébauche de vie sociale se dessine, et l’individu se soumet à un intérêt collectif lorsque la famille se forme et durant le temps où les petits ont besoin des soins de leur mère. […] Des êtres n’ont nul besoin de morale réfléchie qui sont par nature adaptés à la vie sociale. […] Et le dévouement de l’homme, en un tel cas, est pareil à celui dont l’oiseau protège ses petits tant que ceux-ci ont besoin de soins. […] C’est dire que nous n’aurions pas besoin de ce qu’on entend en général par une « morale ». […] bien plus qu’il ne l’est, complètement altruiste même, si ces mots ont un sens, et qu’il eût cependant besoin d’une morale, si son altruisme restait étroit et trop spécialisé.

247. (1890) L’avenir de la science « V »

En supposant qu’un jour vienne où l’humanité n’aura plus besoin de croire à l’immortalité, quelles angoisses la destruction prématurée de cette foi consolante n’aura pas causées aux infortunés sacrifiés au destin durant notre âge de douleur. […] Le trait général des œuvres religieuses est d’être particulières, c’est-à-dire d’avoir besoin, pour être comprises, d’un sens spécial que tout le monde n’a pas : croyances à part, sentiments à part, style à part, figures à part. […] Mais n’entendant absolument rien en théologie, et sentant pourtant le besoin d’une croyance, elle trouve commode de prendre tout fait le système qu’elle rencontre sous sa main, sans se soucier de le perfectionner ; car tenter de le perfectionner, ce serait le prendre au sérieux, ce serait se poser en théologien ; or, il est de bon ton, parmi nous, de déclarer qu’on ne s’occupe pas de ces sortes de choses. […] Tout ce qui est secte doit être placé sur le même rang que ces chétives littératures qui ont besoin, pour vivre, de l’atmosphère de salon où elles sont écloses. […] Ce regret ne se remarque pas chez les premiers sceptiques (les philosophes du XVIIIe siècle par exemple), lesquels détruisaient avec une joie merveilleuse et sans éprouver le besoin d’aucune croyance, préoccupés qu’ils étaient de leur œuvre de destruction et du vif sentiment de l’exertion de leur force.

248. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Nous avons vu plus haut qu’en 1673, à l’époque de la mort de Molière, les trois amis qui lui survécurent avaient déjà arrêté le cours de leur fécondité, et qu’ils avaient exprimé, par un long silence, l’étonnement de ce qui se passait, le besoin d’étudier, d’observer, de suivre le changement qui s’opérait dans les mœurs de la haute société. […] Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] Il n’en aurait nul besoin, il ne faudrait ni fable, ni fiction, il suffirait d’un style droit, pur et naturel. » Quoiqu’elle n’ait rien dit de trop ici, il faut pourtant remarquer que homme à qui elle écrivait lui avait témoigné l’ambition d’être l’historien du roi. […] Mais sans considérer que toutes ces personnes n’avaient pas besoin d’un bien grand discernement pour reconnaître si elles ou leurs amis étaient l’objet de satires courantes, il aurait suffi de leur supposer un peu de cette curiosité maligne qui ne manque jamais aux bénévoles auditeurs d’une satire. N’en doutons pas, ceux-ci s’étaient assurés de la manière la plus positive qu’ils n’avaient point à redouter les applications des ouvrages satiriques dont les auteurs leur faisaient la lecture ; ils savaient indubitablement de la bouche des auteurs mêmes le nom des personnes qui avaient servi de modèle à leurs tableaux, et ils n’avaient pas besoin de le demander.

249. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

En abordant M. de Lamennais, il sentit, sans se l’avouer peut-être expressément, que ce talent vigoureux, hardi, qui ouvrait comme de vive force des vues et des perspectives, avait besoin tout auprès de lui d’une plume auxiliaire, plus retenue, plus douce, plus fine, d’un talent qui lui ménageât des preuves, qui remplit les intervalles et couvrît les côtés faibles, qui ôtât l’aspect d’une menace et d’une révolution à ce qui ne prétendait être qu’une expansion plus ouverte et un développement plus accessible du christianisme. […] L’auteur commence par rechercher historiquement les idées générales, universellement répandues dans l’Antiquité, de sacrifice, d’offrande, de désir et de besoin de communication avec un Dieu toujours présent, qui ont servi de préparation et d’acheminement au mystère ; mais, au milieu des digressions historiques et des distinctions dogmatiques fines ou profondes, il mêle à tout moment de belles et douces paroles qui sortent de l’âme et qui sont l’effusion d’une foi aimante. […] Ainsi sur la prière : La prière, dans ce qu’elle a de fondamental, n’est que la reconnaissance sincère de ce besoin continuel (de se réparer à la source de vie), et l’humble désir d’une continuelle assistance ; elle est l’aveu d’une indigence qui espère. […] Cela tient, je suppose, à ce qu’il a toujours vécu trop près de sa pensée, n’ayant jamais eu l’occasion de la développer en public : en effet, sa santé délicate, sa voix faible et qui a besoin de l’oreille d’un ami, n’a jamais permis à ce riche talent de se produire dans l’enseignement ou dans les chaires. […] La nature de l’abbé Gerbet est de celles qui, seules, ne se suffisent point à elles-mêmes et qui ont besoin d’un ami ; on dirait qu’il n’a toute sa force que quand il peut s’y appuyer.

250. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Il a besoin d’apercevoir beaucoup d’objets d’un seul coup ; il en ressent comme un agrandissement subit ; et il a goûté tant de fois ce plaisir intense, qu’il n’y en a plus d’autres pour lui. […] Le têtard, qui n’est pas Carnivore, ayant besoin d’un très-long canal pour digérer sa pâture, a l’intestin dix fois long comme le corps ; changé en grenouille carnivore, son intestin raccourci n’a plus que deux fois la distance de la bouche à l’anus. […] L’instinct et les besoins variant, l’estomac varie, et réciproquement. […] Je n’ai plus besoin de le regarder, je le retrouverai par raisonnement au besoin.

251. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

A la première morsure, on n’a pas besoin d’assimiler, ni de généraliser, ni de classer : on juge tout de suite qu’on est mordu et on se sauve, sans autre forme de procès logique. […] Ce mouvement n’a besoin que d’être continué sans être infirmé pour devenir une généralisation complète, c’est-à-dire une complète union des représentations d’épingle et de piqûre indépendamment des temps et des lieux. […] Or, c’est là raisonner ; car je n’ai besoin que de faire abstraction des différences et de considérer les ressemblances pour obtenir un concept général, qui est un total de ressemblances ; et je n’ai besoin que de concevoir l’avenir lui-même comme semblable au passé pour induire. […] Le psychologue, lui aussi, a besoin d’imagination pour se représenter les combinaisons d’états intérieurs, sentiments, passions, émotions, pensées, désirs, volitions, etc. […] Quant aux métaphysiciens, poètes à leur manière, ils ont besoin d’une imagination encore plus puissante pour reconstruire le monde entier par la pensée.

252. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Crier, boire, s’agiter, sentir ses veines échauffées et gonflées par le vin, entendre et voir autour de soi le tumulte de l’orgie, c’était le premier besoin des barbares24. […] Même dans leurs villages, leurs chaumières ne se touchent pas ; ils ont besoin d’indépendance et d’air libre. […] Elle parle et on l’écoute ; on n’a pas besoin de la cacher ni de l’asservir pour la contenir ou la préserver. […] La société, en se formant, amenait avec soi l’idée de la paix et le besoin de la justice, et les dieux guerriers languissaient dans l’imagination des hommes, en même temps que les passions qui les avaient faits. […] Cette émotion était déjà dans leurs légendes païennes, et Cœdmon, pour raconter l’origine des choses, n’a besoin que de trouver les anciens rêves, tels qu’ils se sont fixés dans les prophéties de l’Edda.

253. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Elle existe, car sans domination, il n’y a ni peuple, ni ville, ni famille qui puisse subsister ; et si une famille a besoin d’un maître, il faut bien que l’univers en ait un. […] Sans la république, il n’y avait plus de France alors ; ce fut sa raison d’être et son excuse, si elle en avait besoin. […] Il y a un Dieu, mon fils: toute la nature l’annonce ; je n’ai pas besoin de vous le prouver. […] A-t-il besoin d’employer quelque signe extérieur pour exécuter sa volonté, lui qui agit sans cesse dans tous ses ouvrages par un travail intérieur ? […] Mais ce silence est plus éloquent que des phrases: voilà le style sans style, le murmure du cœur muet de paroles, mais qui n’a pas besoin de paroles pour être entendu.

254. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Pour ceux qui connaissent son caractère de droiture, d’énergie et de franchise, ou qui ont apprécié la haute portée de son talent, c’était un besoin de manifester les sentiments d’estime et d’affection qu’ils lui portent : ceux qui partagent ses principes politiques ont dû lui savoir gré de cette généreuse ardeur toujours prompte à relever les provocations ou à venger les injures qui s’adressent à la cause de Juillet ; les hommes de cœur, enfin, qui, sans être attirés vers lui par une communauté d’opinion aussi étroite, ont pris en dégoût les honteuses palinodies qui font le scandale de notre temps, n’ont pu refuser quelque marque de sympathie à un écrivain dont la foi politique, éclairée et persévérante, va jusqu’au sacrifice de la vie. […] Ni lui, ni aucun de nous ne se serait imaginé que cette faction qui a tant besoin d’oubli et de tolérance, en viendrait à ce degré de hardiesse de vouloir interdire par la menace et le guet-apens la liberté de discussion, ne le pouvant plus faire par la censure.

255. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XX. Conclusion » pp. 499-500

Mais il va de soi qu’elles ne peuvent, à elles seules, tout expliquer ; qu’elles ont besoin d’être complétées par des causes et lois secondaires qui s’appliquent au détail du mouvement. […] Elle apprendra ainsi à gouverner, dans la mesure du possible, les forces obscures auxquelles jusqu’à présent elle a obéi sans le savoir et elle fera un pas vers cette liberté qui est seule à sa portée et qui consiste à connaître le jeu des lois naturelles pour commander aux puissances de la vie et pour les employer à la satisfaction de ses besoins matériels comme de ses plaisirs esthétiques.

256. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Lorsque l’espoir de faire une découverte qui peut illustrer, ou de publier un ouvrage qui doit mériter l’approbation générale, est l’objet de nos efforts, c’est dans le traité des passions qu’il faut placer l’histoire de l’influence d’un tel penchant sur le bonheur ; mais il y a dans le simple plaisir de penser, d’enrichir ses méditations par la connaissance des idées des autres, une sorte de satisfaction intime qui tient à la fois au besoin d’agir et de se perfectionner ; sentiments naturels à l’homme et qui ne l’astreignent à aucune dépendance. […] L’amour de l’étude, loin de priver la vie de l’intérêt dont elle a besoin, a tous les caractères de la passion, excepté celui qui cause tous ses malheurs, la dépendance du sort et des hommes. […] L’esprit est plus agité que l’âme ; c’est lui qu’il faut nourrir, c’est lui qu’on peut animer sans danger, le mouvement dont il a besoin se trouve tout entier dans les occupations de l’étude, et à quelque degré qu’on porte l’action de cet intérêt, ce sont des jouissances qu’on augmente, mais jamais des regrets qu’on se prépare.

257. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Le fanatisme religieux ôté de l’âme de Philippe II, il se fait à l’instant en lui le vide de l’homme qui a besoin de l’idée de Dieu pour être quelque chose, et Forneron, avec son regard exercé, voit, dans ce vide où l’idée de Dieu s’embrouillait avec les passions et les vices, ce qui reste de Philippe II, c’est-à-dire un des plus vulgaires despotes qu’ait corrompus la royauté. […] Dans un temps où l’on n’avait pas vu que Mayenne, — le dernier des Guise, de toutes les manières, — mais le grand Guise lui-même, le magnifique Balafré, le charmeur de la France, recevoir vingt-cinq mille écus par mois du roi d’Espagne, non pour les besoins de son parti, — ce qui eût été légitime, — mais pour les besoins de sa maison, de son luxe et de sa personne ; quand les plus grands seigneurs de France tendaient leurs mains gantées d’acier, et les évêques leurs mitres de soie, à l’argent du roi d’Espagne qui y tombait ; quand partout, dans l’abominable politique du temps, il n’y a que gens qui se marchandent, espions tout prêts qui se proposent, assassins qui s’achètent, la Ligue ne fut pas plus innocente que les autres des vices qui dévoraient son siècle, et elle y ajouta le sien, qui était d’être une Démocratie… Philippe II fut ruiné, du reste, avant d’avoir acheté la France, et les victoires d’Henri IV firent le reste.

258. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

Ce que le Ranz de l’enfant des Alpes produit, pour qui l’entend, d’ennui, de langueur ardente et de besoin, jusqu’au mourir, de revoir la patrie, Louis Wihl l’éprouve dans Les Hirondelles pour un pays qu’il n’a pas vu, mais qu’en sa qualité de poète il a mieux fait que de voir, puisqu’il l’a rêvé. […] Tithon voulait coucher avec l’Aurore… Mais Louis Wihl n’eut pas besoin de faire le tour de souplesse de Gœthe pour se faire Oriental. […] Adam Mickiewicz, dans son temps, a été plus heureux… Mais si, dans le sien, Duruy, l’homme des initiatives, mais que j’estime, moi, pour ce crâne amour des initiatives, en prenait une généreuse vis-à-vis de Louis Wihl, qui a besoin de Paris pour ses travaux, Duruy honorerait également le talent, le malheur et son ministère… 33.

259. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Ceux-là ont besoin d’un apprentissage technique. […] Mais il a besoin pour former une image de plus d’éléments que les documents n’en fournissent. […] On sent le besoin irrésistible de combler ces lacunes. […] Le besoin de s’élever au-dessus de la simple constatation des faits, pour les expliquer par leurs causes, ce besoin constitutif de toutes les sciences, a fini par se faire sentir même dans l’étude de l’histoire. […] Le même besoin a fait naître en France l’Album historique, qui se publie sous la direction de M. 

260. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — De l’état de savant. » pp. 519-520

Entre les sciences, les unes sont filles de la nécessité ou du besoin, telles sont la médecine, la jurisprudence, les premiers éléments de la physique et des mathématiques ; les autres naissent de Tàisance et peut-être de la paresse, telles sont la poésie, l’éloquence et toutes les branches de la philosophie spéculative. […] Un corps de savants qui se forme de lui-même, ainsi que la société des hommes s’est formée, celle-ci pour lutter avec plus d’avantage contre la nature, celui-là par le même instinct ou le même besoin : la supériorité avouée des efforts réunis contre l’ignorance.

261. (1888) Études sur le XIXe siècle

Giacomo, forcé par le besoin, s’exécutait, et sur quel ton, après quelles hésitations ! […] Les lettres de Paolina nous montrent à chaque page un cœur qui cherche à se donner et souffre du besoin d’aimer. […] Comme eux, il retourne à l’hellénisme, et pour la même raison : parce que l’hellénisme lui fournit, dans son culte de la beauté, cette unité qu’il recherche et dont il a besoin. […] Ceux-ci, du moins pour la plupart, étaient obligés de suffire à leurs besoins ; la bravoure avec laquelle ils persévéraient dans leur voie n’était point sans leur causer de vives inquiétudes. […] Carmela est une jeune paysanne, à demi sauvage, qui s’est passionnément éprise d’un officier en garnison dans son village ; mais, — est-il besoin de le dire ? 

262. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

La société de cette femme illustre était devenue pour lui un besoin impérieux. […] L’auteur déclare lui-même qu’il a voulu répondre aux besoins religieux de certaines âmes. […] Au surplus, est-il besoin de le dire ? […] Hugo, le doute n’équivaut chez lui à la négation ; il éprouve, au contraire, le besoin de croire, et ce besoin s’affirme en lui par des élans religieux, et par de puissantes élévations vers le Créateur. […] On y retrouve le même besoin de l’effet, le même désir de se rapprocher de certains modèles.

263. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre V. Caractère du vrai Dieu. »

Nous croyons n’avoir pas besoin de preuves pour montrer combien le Dieu des chrétiens est poétiquement supérieur au Jupiter antique. […] Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours ?

264. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Un littérateur, dans le sens vague et flottant où je le laisse, serait au besoin et à plaisir un peu de tout cela, un peu ou beaucoup, mais par instants et sans rien d’exclusif et d’unique. […] Il n’a pas non plus besoin d’Oberman pour naître, bien qu’il le lise de bonne heure et qu’il l’admire aussitôt ; mais si Oberman et René sont pour lui des frères aînés et plus mûris, ce ne sont pas ses parents directs, ses pères. […] Plus tard, pour les figures de femmes, surtout de jeunes filles, il a mieux atteint à l’idéal voulu, et, dans le charme de les peindre, son pinceau gracieux et amolli n’a pas eu besoin de plus d’effort. […] Son livre des Questions légales, par exemple, c’est proprement un quatre-mendiants de la littérature ; on passe des heures musardes à y grappiller sans besoin, à y ronger avec délices. […] Jean Sbogar, conçu en 1812 sur les lieux mêmes de la scène, était autre chose certainement que le Charles Moor de Schiller, et n’avait pas besoin de Rob-Roy.

265. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Théocrite devient Sophocle au besoin ; mais nous nous trompons, ni Théocrite n’a de telles puretés virginales au commencement, ni Sophocle n’a de telles mélancolies à la fin. […] Me serrer à ton côté, c’était un doux, un charmant bonheur, mais je ne le ressentirai plus ; il me semble que j’ai besoin de me faire violence pour aller à toi, que tu me repousses loin de toi. […] Quand elle me vit, elle s’approcha timidement, mais avec confiance, de moi, et me dit : “Nous n’avons pas été toujours dans cette humiliante situation où nous sommes aujourd’hui ; je ne suis pas encore habituée à demander à l’étranger cette aumône qu’il donne souvent à regret et seulement pour se délivrer de l’importunité du pauvre ; mais le besoin me force à parler. […] Moi je répondis à la jeune fille : “Il y a souvent un bon génie qui nous conseille et qui nous fait deviner les plus pressants besoins de nos frères. Ma mère, comme si elle avait pressenti vos besoins, m’a donné, pour ceux qui n’auraient pas de quoi se couvrir, ce paquet de hardes et de linge.”

266. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Cela revient à dire que l’art suppose une société où les besoins urgents de la vie sont déjà satisfaits ; il faut du loisir pour goûter les œuvres des poètes ; il en faut pour les créer. […] C’est que le souverain a besoin des fonds amassés par son sujet. […] Sous le règne réparateur de Henri IV, le souci du roi et de ses ministres se porte avec prédilection sur les besoins de l’agriculture. […] L’unique souci de tous ces êtres privilégiés (ai-je besoin de le dire ?) […] Est-il besoin de montrer davantage comment une révolution économique se répercute dans la littérature ?

267. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Les premiers artistes n’ont donc pas eu besoin de recréer, au moyen d’artifices spéciaux, les diverses sensations ; assez leur a été, pour cette fin, de faire naître les sensations visuelles. […] Nous avons le besoin, toujours plus vif, pour conserver les sentiments de l’art, que les impressions de la vie nous soient données, dans la vie artistique, par d’autres moyens que dans la vie réelle. A ce besoin répond la Peinture. […] Le même besoin de traduire, par les procédés de leur art, la vie de l’émotion, ce besoin a, très tôt, pris les peintres. […] Déjà il négligeait, dans le besoin d’une émotion à créer, les couleurs et les lignes réelles des objets.

268. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Nous sommes voleurs en Russie, et cependant, qu’un homme ait commis vingt vols qu’il avoue, mais qu’il soit constaté qu’il y ait eu besoin, qu’il ait eu faim, il est acquitté… Oui, vous êtes des hommes de la loi, de l’honneur, nous, tout autocratisés que nous soyons, nous sommes des hommes — et comme il cherche son mot, je lui jette « de l’humanité ». […] À l’amoureux d’art, la vue des choses d’art ne suffit pas, il sent le besoin d’être propriétaire d’un petit bout, d’un petit morceau de cet art, qu’il soit riche ou non. […] la bonne petite pluie, qui sait si bien qu’on a besoin d’elle ! […] C’était là sa vie, mais de temps en temps, Halphen éprouvant le besoin de s’en débarrasser, et ayant la pitié de le mettre sur le pavé, l’expédiait avec une pacotille au Congo ou chez le roi de Siam. Mais la pacotille était quelquefois faite si en dehors des besoins des populations, qu’un jour, à la suite d’une cargaison dans un pays quelconque, Halphen recevait de lui cette lettre : « Gonze, tu m’envoies avec des peignes dans une contrée ousce qu’on se rase la tête ! 

269. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Est-il besoin de citer des exemples, la loi d’équivalence et de transformation des forces, l’homogénéité de la matière cosmique révélée par l’analyse spectrale ? […] Il ne serait pas besoin aujourd’hui d’une initiation spéciale pour suivre dans ses libres développements la poésie qui s’inspirerait des découvertes contemporaines, de leurs applications, de leurs conséquences morales et philosophiques. […] Le besoin partout crée le droit ; et quel besoin ! le besoin physique uniquement : C’est du conflit des corps que le droit est venu. […] L’homme ne peut lier l’homme qu’au nom de l’intérêt, et le droit social, ainsi considéré, n’est que la règle des besoins.

270. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Ajoutons ici que l’âme éprouve le besoin ou l’instinct de s’exprimer, selon la nature de ses sensations, tantôt en paroles, tantôt en chant. […] III Ce besoin de chanter, besoin tout à fait irréfléchi, mais impérieux comme un instinct, n’est pas seulement propre aux poètes ; il est sensible dans tous les hommes, dans toutes les femmes, dans tous les enfants, et même dans certaines races d’animaux, comme les oiseaux, ces poètes de l’air, du chaume ou des bois. […] Il est une sorte de surabondance de vie et de sensations qui déborde des sens, et qui a besoin de se répandre en effusions mélodieuses, même quand ces effusions mélodieuses n’ont pas d’autre écho que notre oreille. […] Didier remit l’aiguillon en donnant gravement à son petit frère tous les préceptes et toutes les traditions du métier, avec de tendres instructions sur les caractères divers de ses quatre bœufs : comme quoi celui-ci regimbait si on le piquait à l’épaule ; comme quoi celui-là était plus sensible à la voix qu’à l’aiguillon ; comme quoi le roux avait besoin d’entendre toujours chanter ou siffler autour de lui pour reprendre cœur à l’ouvrage ; comme quoi le blanc était si apprivoisé et si doux qu’on pouvait s’accouder en sûreté, pour se reposer, sur son joug, entre ses deux cornes, sans qu’il secouât seulement la tête pour chasser les mouches, tant il avait peur de blesser un enfant ! […] Voilà la première ode que j’entendis ; voilà comment je compris que le besoin de chanter, quand l’âme est émue jusqu’à l’enthousiasme par la joie, est un instinct inné de l’homme chez le paysan comme chez le lettré.

271. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Vous êtes Italiens, sans doute, mais vous êtes Italiens comme les Hellènes étaient Grecs, Grecs dans la communauté de famille générique et dans la vaste autonomie du Péloponnèse, des îles et de l’Ionie, mais, en réalité, Lacédémoniens, Athéniens, Thébains, Corinthiens, Samiens, branches distinctes, toujours séparées, quelquefois hostiles de cette grande et héroïque famille grecque contenue à peine entre les montagnes du Péloponnèse, les archipels et les rivages de l’Asie Mineure ; branches ayant chacune son territoire, ses flottes, ses formes de gouvernement diverses, aristocratique ici, populaire là, militaire dans les montagnes, navale dans les ports, monarchique en Asie, théocratique à Éphèse, républicaine en Europe, rivale en temps de paix, confédérée en temps de guerre, indépendante pour le gouvernement intérieur, amphictyonique pour la défense commune, forme élastique qui s’étend ou se resserre selon les besoins de la race hellénique, et qui, en faisant l’émulation au dedans, la sûreté au dehors, le mouvement et le bruit partout, fit de la Grèce en son temps l’âme, la force, la lumière et la gloire de l’humanité ! […] Pendant ce demi-siècle, où la France a occupé la scène, et où vous avez participé, tantôt à sa fortune, tantôt à ses conquêtes, tantôt à ses revers dans le Nord, tantôt aux orages féconds de ses révolutions intestines, un nouvel esprit, de nouveaux besoins, constitutionnels, politiques, sont nés en Italie. […] L’Italie a besoin de protecteurs étrangers et intéressés à son indépendance, et non d’un maître intérieur. […] Cette confédération, sous le protectorat de la France et de l’Europe, n’a besoin que de se proclamer pour être reconnue. Si vous avez besoin d’une épée en attendant que la vôtre ait repris la trempe de vos temps héroïques, l’épée de la France est plus longue que celle de la maison de Savoie.

272. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Les coups d’État ont besoin de prétexte, la ridicule Montagne de 1849 le fournit au pouvoir exécutif ; elle fit peur à la France d’elle-même, la France s’enfuit dans une dictature : que la responsabilité de l’occasion perdue retombe à jamais sur ceux qui donnent ces paniques aux peuples, et qui montrent les spoliations et les terreurs comme perspective de la liberté ! […] Pourvu que ce gouvernement du suffrage universel émane de tous les citoyens capables, et ne laisse à aucune classe l’oppression des castes sur les âmes, pourvu que ce gouvernement soit l’expression de la justice, qu’importe sa forme, si cette forme est opportune et si elle répond aux besoins de conservation ou de progrès dans la nation ? […] J’avais résolu avant tout d’être véridique envers et contre tous, et au besoin envers moi-même ; je ne négligeai rien pour être bien informé. […] Sa parole ne me manquerait pas au besoin pour dissiper les doutes de M. de Cassagnac. […] « Beaucoup d’habitants du village ont conservé comme moi le souvenir de cette enquête et la certifieraient au besoin.

273. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Il connaît ce que Dieu m’a mis au cœur, j’avais besoin de sa force pour le suivre. […] Mais aussi j’ai besoin d’écrire et d’un confident à toute heure. […] que j’ai besoin de toi et de Dieu ! […] Pour moi, je sens que j’ai besoin d’une consolation surhumaine, qu’il faut Dieu pour ami quand ce qu’on aime fait souffrir. […] Pour moi, j’ai besoin de repos, de me coucher au lieu d’errer sur le frais gazon d’un ruisseau.

274. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

L’élément primordial du développement volontaire, sans lequel la sélection naturelle n’aurait pas où s’exercer, est donc l’appétition spontanée par laquelle, étant donné un plaisir, l’être réagit pour le retenir, étant donnée une douleur, l’être réagit pour l’écarter, sans avoir besoin ni de concevoir plusieurs partis possibles, ni d’opposer la représentation à la peine présente ou au plaisir présent. […] La finalité de l’entendement est un rapport conçu, représenté, entre une fin et un moyen ; mais, à l’origine, la volonté n’a pas besoin de l’entendement. […] Quand un être vivant, sous l’influence de la douleur, fait des mouvements en tous sens et réagit énergiquement, il lui est inutile de concevoir la suppression future de la douleur ; il n’a besoin que de sentir la douleur actuelle, obstacle à son bien-être également senti ; la douleur entraîne le besoin de changement, donc de mouvement ; ce besoin est la volonté de changer, et le mouvement du corps en tous sens est la manifestation de cette volonté. […] Aujourd’hui encore, l’animal n’agit par instinct que sous l’influence d’un appétit éveillé par la perception et qui donne le branle aux réflexes mécaniques : c’est la fin, la soif, le besoin sexuel, maternel, etc. […] Les insectes d’aujourd’hui n’ont plus besoin de voir leurs larves éclore et grandir ; ils continuent à faire tout ce qu’ils avaient jadis appris, ou tout ce qui, par hasard, ayant mieux réussi, avait entraîné la sélection des plus aptes.

275. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Mais les scènes, chez lui, ont besoin d’être préparées et comme expliquées d’avance ; il est de ceux qui croient devoir disposer la pensée avant de parler aux yeux : « Vous saurez donc, dit-il en écrivant à sa mère (25 décembre 1831), que les Américains des États-Unis, gens raisonneurs et sans préjugés ; de plus, grands philanthropes ; se sont imaginé, comme les Espagnols, que Dieu leur avait donné le Nouveau Monde et ses habitants en pleine propriété. […] Il a besoin de circonstances favorables, d’un certain état du Gouvernement et d’une certaine disposition des esprits. […] Vous avez en vous-même le remède de cette maladie dans le besoin de bien faire. C’a été, vous le savez, le besoin de tous les esprits supérieurs, et nous lui devons la perfection de leurs œuvres. […] Royer-Collard de toutes les vicissitudes de cette campagne électorale : il n’a pas besoin de consolations dans son échec.

276. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

La réforme pratique que le prêtre Bourdoise opéra dans les mœurs de son Ordre, après les désastres de la Ligue, excite son émulation ; il se croirait heureux, après des désastres pareils, d’en provoquer une du même genre et d’en inspirer le besoin : « Ô Bourdoise, s’écrie-t-il, où êtes-vous ?  […] Il n’en fut donc pas le seul, l’essentiel auteur, et on peut expliquer ainsi, s’il en est besoin, l’espèce de contradiction, d’ailleurs fort légère, qu’on s’est plu à faire remarquer entre certaines opinions énoncées par lui dans la suite, et un ou deux passages du discours préliminaire de ce livre. […] Heureux celui qui vit de ses revenus, qui n’éprouve d’autre besoin que celui de digérer et de dormir, et savoure toute vérité dans le pâté de Reims que nul n’oserait censurer en sa présence ! […] N’as-tu pas admiré dans le discours de M. de Montesquiou comme quoi les Français ont trop d’esprit pour avoir besoin de dire ce qu’ils pensent ? […] Dieu aidant, il n’est pas indispensable d’avoir marché jusqu’au bout pour être arrivé, et même on ne mériterait pas d’arriver du tout si, après un certain terme, on avait besoin de marcher toujours. 

277. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Je cède d’autant plus volontiers au besoin de vous les dire, que je n’ai personne ici à qui je les puisse confier. […] Et la vie matérielle qui m’apparaissait avec ses besoins grossiers et impérieux ! […] J’avais perdu le besoin de savoir, de scruter, de critiquer ; il me semblait qu’il m’eût suffi d’aimer et de sentir ; mais je sentais bien qu’au premier jour où le cœur cesserait de battre si fort, la tête recommencerait à crier famine. […] Pas une âme humaine à qui je puisse ouvrir mon cœur, bien plus, avec qui je puisse avoir de ces conversations qui, pour être indifférentes, ne laissent pas de délasser l’esprit et de satisfaire au besoin de société. […] Je bénis Dieu, mon cher, de m’avoir donné en vous que qu’un qui sait si bien me deviner que je n’ai pas besoin de lui exposer l’état de mon cœur ; oui, c’est une de mes plus grandes peines que de songer que les personnes dont l’approbation me serait la plus chère doivent me blâmer et me trouver coupable.

278. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Je reste deux ou trois jours, sans sortir de chez moi, travaillant de l’heure où je me lève, à l’heure où je me couche, mais le troisième ou le quatrième jour, j’ai besoin de m’acheter un bibelot, pour me payer de mon travail. […] Au fond, il faut l’avouer, ça fait, en mon par dedans, une espèce de tristesse qui se traduit par un cassement de bras et de jambes, une fatigue physique qui a le désir et le besoin de dormir. […] * * * — « Quand on est malade, n’est-ce pas qu’on a besoin de lire des livres distingués ?  […] — la filiation d’un Pouyer-Quertier, descendant d’un ouvrier tisseur… Cela m’amusera, de l’écrire en dialogues, avec des mises en scène très détaillées… Puis mon grand roman sur l’Empire… Mais avant tout, mon vieux, j’ai besoin de me débarrasser d’une chose qui m’obsède, oui, nom de Dieu, qui m’obsède ! […] Dans ce cas, il va trouver une maison de banque, et dit au banquier qu’il a besoin de 10 000 taëls pour passer ses examens.

279. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Il y a dans les grands États un instinct de subsistance et de conservation, un besoin de croissance et d’achèvement à une certaine heure, qui est aussi un droit de nature. Ce besoin et ce droit se personnifient dans la figure et dans l’âme de Louis XIV, qui, plein de son objet, put excéder sans doute et vouloir dépasser le but, mais qui en définitive l’a atteint, et, même après toutes ses fautes et ses grands désastres, n’a rien perdu d’essentiel de ce qu’il nous avait une fois acquis. […] Comme les plus capables et les mieux destinés à leur emploi, Louvois eut cependant besoin de quelque apprentissage. […] Je vous supplie donc de vous laisser persuader, et de vous souvenir que, la citadelle de Lille ayant l’honneur d’être votre fille aînée dans la fortification, il est juste que vous lui fassiez quelque prérogative. — Rien, disait-il encore en ouvrier amoureux de son ouvrage, rien n’est mieux conduit ni plus beau que toute cette maçonnerie ; l’on n’y voit pas le moindre défaut. » La maçonnerie était belle, mais on menait les maçons un peu rudement : « Pour empêcher la désertion des maçons, qui me faisait enrager, j’ai pris, sous votre bon plaisir, deux gardes de M. le maréchal (d’Humières), des plus honnêtes gens, qui auront leurs chevaux toujours sellés dans la citadelle, avec chacun un ordre en poche et un nerf de bœuf à la main ; les soirs, on verra ceux qui manqueront ; après quoi, dès le matin, ils les iront chercher au fond de leur village, et les amèneront par les oreilles sur l’ouvrage. » Est-il besoin d’avertir qu’il y a quelque plaisanterie dans cette rudesse un peu grossière ? […] Louis XIV, enfin, s’y montre dans sa grandeur d’âme et son ambition de roi, avec son esprit de travail, son application de détail, son besoin de tout prescrire et de tout régler, ou du moins de tout comprendre, de se rendre un compte exact de la marche et de la conduite suivie en chaque affaire.

280. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Cousin que la publication de ce Mémoire soit un événement pour l’histoire littéraire : pourquoi cet éternel besoin de surfaire sa marchandise et de tirer de son côté la couverture ? […] Ce Mémoire, est-il besoin de le rappeler ? […] On a besoin de se croire supérieur aux autres, de croire qu’on a raison sur eux, qu’on a dans sa main la clef des vérités ; on veut se donner les avantages publics du triomphe. […] À la page 252, dans les Maximes, il manque à la sixième ligne de la CCLVIIe, inédite un membre de phrase qu’on suppléerait au besoin : le copiste ne s’est pas relu. […] Il croyait toujours en avoir besoin… » 91.

281. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Faire dans nos jugements des réformes continuelles, si besoin est, mais des réformes seulement et non des révolutions, voilà le plus sûr résultat de la critique littéraire, telle que je l’entends. […] Catinat, enfant de Paris, élevé dans une obscure maison de la rue de Sorbonne, aimait sa ville natale, son quartier, l’approbation de ses voisins et proches ; nourri dans ces besoins et ces habitudes d’estime, il porta au milieu des camps un principe d’honnêteté, de rectitude et de scrupule que rien n’altéra jamais. […] Sa Majesté s’attend que vous satisferez au premier, en leur donnant vous-même, sans vous en rapporter à personne, les susdits cinq écus, et en interrogeant si bien ceux qui se diront déserteurs de Mons, que vous ne soyez pas pris pour dupe, et ne donniez pas d’argent à ceux qui n’en viendront pas… Je ne vous dis point que Sa Majesté ne confierait point son argent à un autre que vous, étant fort persuadée que vous l’administrerez de manière qu’elle aura tout sujet de s’en louer : je lui en répondrais bien, s’il en était besoin… » Ainsi sa sagesse, son égalité d’humeur et son ménagement des hommes (dans ses rapports avec M. de Quincy), sa probité et son intégrité dans le maniement et l’emploi rigoureux des fonds, étaient reconnus autant que ses talents militaires ; il avait l’entière confiance du ministre et du maître. […] Cependant je vois avec beaucoup de surprise que vous attendiez les ordres de Sa Majesté, sur quoi vous êtes d’autant moins excusable que, si vous aviez cru avoir besoin desdits ordres, vous n’auriez pas dû manquer de l’écrire par un courrier exprès, qui vous en aurait apporté la réponse en huit ou neuf jours… Quoique j’espère que les dépêches qui vous ont été remises par le courrier La Neuville, il y a plus de quatre jours, vous auront porté à demander audit marquis l’entrée dudit château, je ne laisse pas de vous dépêcher ce courrier exprès pour vous témoigner la mauvaise satisfaction que le roi a du retardement que vous avez apporté, etc… » Louis XIV, pas plus que Napoléon, n’aimait qu’on se le fît dire deux fois ni qu’on lui fît répéter un ordre. […] Ces textes, que je prends dans les Mémoires de Catinat, auraient besoin de quelque vérification, ce me semble, pour une entière exactitude.

282. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Encore aujourd’hui, on distingue au premier abord les peuples qui aiment à voyager de ceux qui se plaisent chez eux sans avoir le besoin d’en sortir. […] Henri Duveyrier semble avoir reçu de la nature ce don, ce besoin impérieux qu’une éducation spéciale a perfectionné. […] Le palmier dattier, disent les Sahariens, doit, pour produire de bons fruits, « avoir la tête dans le feu et les pieds dans l’eau. » L’industrie des indigènes à trouver et à découvrir les eaux cachées a été grande de tout temps : le besoin, comme toujours, a aidé à l’invention. […] Exempts comme gentilshommes de toute occupation manuelle, ils sont assez occupés, d’ailleurs, à faire la police du territoire dans leur tribu, à assurer la sécurité des routes, à protéger les caravanes, à veiller sur l’ennemi, à le combattre au besoin et à se mettre à la tête des serfs : « Aussi, nous dit M.  […] « Enfin, l’heure est venue où les Touâreg et les Français ont besoin de se connaître.

283. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Son style est, dit-on, si fantastique, si subtil, si extraordinaire, que même en Allemagne on a senti le besoin d’un guide pour l’intelligence de ses ouvrages, et qu’un dictionnaire particulier à l’usage de ses lecteurs se publie en ce moment. […] Enfin, pour dernière raison, qui pourrait au besoin servir à justifier l’éditeur du recueil que nous annonçons3, si on venait à lui reprocher qu’il a tiré à peine quelques paillettes d’or d’une mine si riche, nous rappellerons le jugement de madame de Staël dans son livre de l’Allemagne : « La poésie du style de Jean Paul ressemble aux sons de l’harmonica, qui ravissent d’abord, et nous font mal au bout de quelques instants. » À tout prendre, ce petit livre est donc un présent dont nous devons remercier l’éditeur. […] Ainsi ce grand changement dans le style, et par suite dans la langue, n’est pas dû à une puérile imitation, mais à des besoins bien sentis. […] Le besoin de poésie, de rénovation des idées morales et religieuses, et l’étude de la nature et de ses mystérieuses harmonies, voilà ce qui l’a engendré. Après cela, mille causes accessoires y ont concouru : on a pris goût au style poétique de la Bible, qui était pour Voltaire un sujet d’ineffables risées ; on a pris goût aux littératures étrangères ; on a étudié l’Orient ; on a eu besoin d’émotions nouvelles ; le sentiment de la liberté et de l’individualisme s’est montré partout, s’est appliqué à tout ; enfin on retrouve ici, comme dans mille autres questions, l’influence de tout ce qui compose ce qu’on appelle l’esprit du siècle.

284. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Gide, est une hygiène de valétudinaire, excellente pour la plupart, dont quelques-uns n’ont pas besoin. […] Qui a besoin de se défendre ainsi ferait bien d’attendre : il ne faut pas écrire avant d’être et la résistance, comme la docilité, prouve relation et dépendance. […] Le vrai crime de Mirbeau, c’est de consentir à la cage étroite et de se condamner, pour faire tomber les gros sous, à des tours de souplesse, lui qui est vigoureux et a besoin d’espace. […] Quand l’épithète serait absolument indispensable à un artiste, alors, mais alors seulement, Henry Bordeaux n’en a pas besoin. Voici une de ses meilleures phrases, une des vingt qui paraîtront belles à la lecture sommeillante d’un voyageur de sleeping-car : « Comme les conquérants qui agrandissent leurs conquêtes par l’imagination, il faisait du présent victorieux le piédestal d’un avenir de gloire. » Il n’est pas besoin d’un psychologue profond (Paul Bourget lui-même suffirait à la tâche) pour remarquer qu’aux yeux d’un jeune ambitieux l’avenir n’est pas une statue précise, mais une succession de degrés qu’une lumière de féerie soulève l’un après l’autre et où monte un vertige joyeux.

285. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Tous les deux sont des politiques qui ont commencé par être écrivains ; ils ont passé par la littérature, ils y reviennent au besoin, ils l’honorent par leurs œuvres ; mais ils n’appartiennent pas à la famille des littérateurs proprement dits, à cette race qui a ses qualités et ses défauts à part. […] Guizot sait mieux que nous ces inconvénients, et il les combattrait au besoin avec sa supériorité. […] Est-il besoin de rappeler à l’éminent historien, qui a connu et manié les deux pays, ces différences essentielles de génie et de caractère ? […] Mais ils comprenaient leur temps ; les vues et les efforts de leur politique étaient en harmonie avec ses besoins, avec l’état et le mouvement général des esprits. […] Le talent, enfin, qui nous montre tout cela, est supérieur, est-il besoin de le dire ?

286. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Lui, si épris de la gloire de l’action, et qui se sentait une capacité innée pour la guerre ou pour les affaires, il paraît avoir eu besoin de quelque raisonnement pour s’en détourner et pour s’acheminer ainsi à devenir auteur. […] Le christianisme, qui ne considère l’homme actuel qu’à titre de créature déchue, ne craint pas d’insister sur les vices de la nature, à qui il veut faire sentir le besoin d’un remède et d’une restauration surnaturelle. […] Ayant à parler du sentiment de la pitié, il le définira admirablement : La pitié n’est qu’un sentiment mêlé de tristesse et d’amour ; je ne pense pas qu’elle ait besoin d’être excitée par un retour sur nous-même, comme on croit. […] Il a peu, ou plutôt il n’a pas le sentiment des beautés de la nature : dans la nature il ne considère volontiers que l’homme et la société ; Vauvenargues portait en lui le besoin d’être un grand homme historiquement. […] » Il ne se résigne pas toujours si aisément, il s’écrie : Si l’on pouvait, dans la médiocrité, n’être ni glorieux, ni timide, ni envieux, ni flatteur, ni préoccupé des besoins et des soins de son état, lorsque le dédain et les manières de tout ce qui nous environne concourent à nous abaisser ; si l’on savait alors s’élever, se sentir, résister à la multitude… !

287. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Mon homme est marié ; la femme qu’il a placée la troisième est sûrement la sienne, et il m’a appris son nom en la nommant. » En nous racontant cette preuve de la sagacité un peu méthodique et raffinée de Rulhière, Diderot donne à entendre que toutes ces choses déliées, conçues en des termes fort déliés, l’étaient trop pour lui, bonhomme tout uni et rond, et qui, à chaque fois, demandait des exemples : « les esprits bornés ont besoin d’exemples ». […] Il est naturel d’ailleurs que Monsieur ait eu de la prédilection pour Rulhière, qui aiguisait si bien l’épigramme salée et même au besoin le conte libertin, les deux genres littéraires favoris du futur monarque. […] C’est que Rulhière savait si bien par cœur son Jean-Jacques, qu’il le reconnaissait à chaque ligne, dans ses soupçons, dans ses reproches : Comme je suis au courant du caractère de notre homme et de son faire, comme je pourrais, en cas de besoin, lui tenir lieu de secrétaire intime et le suppléer en son absence, je ne me suis guère occupé, en lisant votre correspondance, que de ce qu’il devait, d’après mes données, vous dire ou vous écrire ; et j’ai si bien rencontré, que je m’en suis félicité. […] Il n’était pas besoin de ce dernier fait pour nous prouver que Rulhière avait toutes sortes de raisons pour n’être que médiocrement révolutionnaire. […] Il a besoin de peindre, et il cherche des sujets de tableaux, comme nous l’avons vu ailleurs chercher des sujets de comédie ou d’épigrammes.

288. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Toutefois nous n’avons usé qu’avec une extrême sobriété des pensées échappées à cette âme dévorée du besoin d’être utile. […] Ce seul ouvrage déposerait, au besoin, des sentiments et des vœux de Carrel dans cette période de sa carrière : substituer à une royauté légitime, et qui se croyait de droit divin, une royauté consentie. […] Partout et dans tous les temps, ce sont les besoins qui ont fait les conventions appelées principes, et toujours les principes se sont tus devant les besoins. Ce mot de besoins revient trop souvent, ainsi que celui de nécessités, de terrain, de résultats, d’éléments.

289. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

On a besoin d’en prendre idée et de la suivre tant soit peu dans les diverses directions où elle s’est risquée, pour arriver à une conclusion équitable sur la nature de l’homme et sur celle du talent. […] En ce moment de licence effrénée où le peuple a beaucoup moins besoin d’être excité que contenu, ces barbares excès, à quelque parti qu’on les prête, me semblent dangereux à présenter au peuple, et propres à justifier les siens à ses yeux. […] Ce besoin d’activité et d’entreprises qui survivait encore chez lui à tant de mécomptes, le fit s’engager en mars 1792 dans une affaire qui avait couleur de patriotisme et qui l’abreuva d’ennuis. Il ne s’agissait de rien moins que de soixante mille ou même de deux cent mille  fusils à acheter en Hollande et à procurer au gouvernement français, qui, aux approches de la guerre, en avait grand besoin. […] Le triste motif qui m’y ramène est l’opposé de celui qui me la fit construire, le besoin d’économie.

290. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Chez quelques-uns, il est vrai, l’antagonisme n’était qu’apparent, simple amour du paradoxe, besoin effréné de faire parler de soi par des dires étranges. […] Poète par fréquentation et par besoin de se faire remarquer, plus que par tempérament, il n’a aucune idée générale de coordination et de synthèse : il subordonne tout à ses volontés, à ses appétits. […] Il a le talent trop élastique pour n’avoir pas, au besoin, un style moins compliqué. […] Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il n’y a là qu’une envie malsaine d’étonner le bourgeois et que tous les poètes de ce groupe ne la partagent certainement pas. […] Il peut maintenant entrer à l’hôpital presque toutes les fois qu’il en a besoin.

291. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

Après lui, on n’aurait plus besoin de personne. […] Pour cela, des voies moins pures sont nécessaires, etc. », ce qui veut dire, en termes qu’on surveille, mais qu’il est impossible de ne pas comprendre, que le bien, pour être, a besoin du mal, et que la vertu ne peut rien de grand et de fort dans le monde sans l’aide des gredins et l’appoint de la coquinerie. […] Chose très simple, et qui va paraître peut-être prodigieuse parce que, comme aux choses très simples, on n’y a jamais réfléchi : Jésus-Christ a certainement plus besoin de l’Église que l’Église de Jésus-Christ ! […] L’Église, enfin, est la Vérité visible dont nos pauvres yeux de chair ont tant besoin, et qui faisait dire un jour à une femme, en parlant de Jésus-Christ : « Tout me serait aisé si je pouvais parfois voir passer sa robe bleue ». […] Luther a commencé par déshonorer le grand témoin, mais Renan, venu après Luther, a cru cette besogne du déshonneur de l’Église suffisamment faite pour n’avoir pas besoin d’y revenir.

292. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

La Revue des Deux Mondes et les écrivains qui tiennent à honneur de lui appartenir ont été récemment l’objet de telles attaques violentes et outrageuses, outrageuses et pour ceux qu’on y désignait malignement, et pour ceux qu’on y passait sous silence, en ayant l’air de les ménager, et pour ceux surtout qu’on cherchait à y flatter en se les donnant pour auxiliaires, que c’est un devoir à eux, non pas de se défendre (ils n’en ont pas besoin), mais de témoigner de leurs sentiments, de leurs principes, et de marquer de nouveau leur attitude. […] Si, pour les écrivains qui se respectent, il est, à certains égards, bien pénible de venir même toucher par allusion à ces tristes conflits, quelque chose ici l’emporte, le besoin pour eux de rendre hommage à la vérité et de ne pas laisser s’autoriser par leur silence l’ombre d’un doute sur ce qu’ils pensent, sur ce qu’ils souffrent de tout ce bruit. […] En nous tenant strictement ici à ce qui concerne le fondateur de la Revue des Deux Mondes (et cette fondation est le vrai titre d’honneur de M.Buloz), nous pourrions bien lui affirmer que ce n’est point tant à cause des inconvénients, des imperfections et des défauts que toute œuvre collective et tout homme de publicité apportent presque inévitablement jusqu’au sein de leurs qualités et de leurs mérites, qu’il est attaqué et injurié avec cette violence en ce moment, mais c’est précisément à cause de ses qualités mêmes (qu’il le sache bien et qu’il en redouble de courage, s’il en avait besoin), c’est pour sa fermeté à repousser de mauvaises doctrines, de mauvaises pratiques littéraires, et pour l’espèce de digue qu’il est parvenu à élever contre elles et dont s’irritent les vanités déchaînées par les intérêts. […] Leurs déportements se jugent d’ailleurs par le fait même ; au bout de quelques jours, le public, d’abord excité, s’en dégoûte, sans avoir besoin d’être averti, et il ne reste d’irréparable, après de tels éclats, que les atteintes profondes que les violents se sont portées, qu’ils ont portées aussi à la cause littéraire qu’ils semblaient dignes de mieux servir.

293. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Mais le poëte, à son tour, pour vivre, pour arriver jusqu’à nous et continuer de régner dans toute sa splendeur, a besoin du critique, c’est-à-dire du serviteur fidèle et zélé qui le recueille même après des siècles, qui rassemble son héritage épars, qui recouse avec une piété diligente et discrète les plis de sa robe dispersée. […] Cela donne patience au lecteur et lui rafraîchit, s’il en avait besoin, la mémoire, l’image toute-puissante du héros. […] Ai-je besoin d’ajouter que je n’entends ici parler d’aucune influence littérale et servile ? […] Dès qu’on met la main à l’œuvre, il ne s’agit pas seulement de se croire littéral, il faut être lisible et plus on s’éloigne de la phrase ordinaire et de fa locution française consacrée, plus il serait besoin d’avoir en dédommagement les mille secrets d’un grand écrivain.

294. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Aux époques où l’humanité brise les liens qui l’unissaient sympathiquement à ce qui l’entoure, et où ses propres parties éparses luttent et se dévorent entre elles, quand la plus grande ardeur de destruction est calmée, une anxiété profonde succède ; le malaise moral et la misère matérielle rongent le corps social par sa double extrémité ; un vague et confus besoin d’association se fait sentir et s’exhale en gémissements mal définis, en mouvements désordonnés ; les uns ont faim de pain, les autres ont soif de parole ; tous sont malades et aspirent à la vie. […] Du moment que Dieu n’est plus conçu comme un être à part et hors du monde, du moment qu’il est inséparable de la nature et de l’humanité, et qu’il se manifeste uniquement en elles et par elles, du moment enfin que le mal cesse d’être un principe positif ennemi du bien, dès lors l’homme n’a plus peur de Satan, de même qu’il n’a plus besoin de médiateur pour entrer en rapport avec Dieu ; la communication est directe, immédiate ; il sent l’influence divine dans chacune de ses relations avec les hommes et avec les choses ; il ne s’imagine aucunement devoir recourir à des envoyés mystérieux, à des anges ; et les anges, les envoyés mystérieux, les démons ne lui viennent pas. […] Vous supposez dès le début que l’homme est condamné à chercher ici-bas la vérité, seul, par lui-même, à la sueur de son front ; et tout cet effort infatigable de l’humanité pendant des siècles, ce sang, ces larmes répandues à travers ses diverses servitudes, ces joies quand elle se repose et se développe harmonieusement, ces religions qui fondent, ces philosophies qui préparent ou détruisent, cette loi de perfectibilité infinie et d’association croissante, tout cela n’aura abouti pour vous qu’à la conception mélancolique et glacée d’un ensemble d’êtres rationnels avant tout, destinés à s’observer, à se connaître, s’ils en ont la capacité et le loisir, à chercher concurremment ce qu’aucun ne sait, ce qu’aucun ne saura ; honnêtes gens tristes et solitaires, sortis d’un christianisme philosophique d’où la foi et la vie ont disparu, ayant besoin d’espérer, s’essayant à croire, oubliant et rapprenant la psychologie tous les ans, pour s’assurer qu’ils ne se sont pas trompés, et pour vérifier sans cesse les résultats probables de leur observation personnelle. […] Comme un pasteur solitaire, mélancoliquement amoureux du désert et de la nuit, il demeure immobile et debout sur son tertre sans verdure ; mais du geste et de la voix il pousse le troupeau qui se presse à ses pieds et qui a besoin d’abri ; il le pousse à tout hasard au bercail, du seul côté où il peut y en avoir un2.

295. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Satisfaire quelques besoins, comparer avec peine deux objets, voilà où se réduisent leur desir & leur curiosité : mais l’homme de génie ouvre à peine les yeux, qu’il reçoit à la fois une idée & un sentiment. […] Mais au sein de la retraite, on l’appelle dans le tourbillon du monde ; ceux qui se livrent aux plaisirs tumultueux veulent avoir le suffrage de la présence ; jettez-vous dans le tourbillon, frivoles Ecrivains, qui pour écrire n’avez pas besoin de penser, vous y perfectionnerez cet esprit léger tout fier d’idées sémillantes, il vous faut des éclairs, il vous faut un langage brillant qui puisse servir de voile à vos connoissances superficielles ; promenez-vous avec la folie, vous n’avez rien à gâter ; mais toi homme de génie qui as sçu méditer, poser des principes, affermir ta marche, & comme d’un tronc fertile, en suivre toutes les conséquences, toi qui vois en grand, garde-toi d’asservir tes mâles talens au goût des Sociétés ; elles corromproient ton éloquence, tes vues hardies & sublimes, ton héroïsme vertueux. […] La plupart des hommes ne pensent que d’après l’habit qu’il portent ; leur profession crée leurs idées ; celui qui a rompu les liens nuisibles au progrès de la raison paroît seul posséder un jugement libre que rien ne tyrannise : Accoutumé à renfermer ses desirs dans le cercle de ses besoins réels il n’en aura point d’illimités. […] Elles amolissent l’ame en l’enchaînant à de nouveaux besoins.

296. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Les résultats auxquels conduit cette méthode ont donc besoin d’être interprétés. Mais quelle est la méthode expérimentale qui permet d’obtenir mécaniquement un rapport de causalité sans que les faits qu’elle établit aient besoin d’être élaborés par l’esprit ? […] Cette cause commune, c’est l’affaiblissement du traditionalisme religieux qui renforce à la fois le besoin de savoir et le penchant au suicide. […] N’ayant pas besoin d’être nombreux, les documents peuvent être choisis et, de plus, étudiés de près par le sociologue qui les emploie.

297. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Lui, Jules Janin, qu’on pourrait appeler Félix Janin, car il fut certainement le plus heureux des hommes de lettres de ce temps, a eu aussi cette fortune dernière, comme si à tous les autres bonheurs de sa vie il avait eu besoin d’ajouter encore celui-là. Car je tiens qu’il n’en avait besoin d’aucune manière. […] (aurait-il dit) et il n’avait même pas besoin de pousser beaucoup pour qu’elles allassent. […] C’était en ce temps-là un joyeux garçon aux belles dents rieuses, frais comme une rose-pomme épanouie parmi tous ces pâles de Paris, au regard très doux et un peu indécis, un de ces regards qu’on appelle à la Montmorency et dont l’indécision, qui vous lutine, est plus piquante… Il avait de magnifiques cheveux noirs bouclés comme un pâtre de la campagne romaine, et qui, pour boucler, n’avaient pas besoin des papillotes que se plantait le grave Lerminier sur sa forte tête philosophique et législative.

298. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

D’autant plus que cette manière est claire, simple, exempte de grandes phrases et d’abstractions rébarbatives, pouvant être employée dans un fauteuil au coin de la cheminée, et n’ayant pas besoin d’être étalée en chaire, avec accompagnement de métaphores et d’éloquence. […] Elles vous portent et vous font avancer d’elles-mêmes ; on n’a pas besoin d’effort, on pense sans le vouloir, et l’on ne s’aperçoit de son progrès et de ses découvertes qu’au plaisir paisible dont insensiblement on se trouve pénétré. […] Ces idées, qui paraissent claires, ont pourtant besoin d’être éclaircies ; son premier travail est de les éclaircir. […] On a dit que le propre de l’esprit français est d’éclaircir, de développer, de publier les vérités générales ; que les faits découverts en Angleterre et les théories inventées en Allemagne ont besoin de passer par nos livres pour recevoir en Europe le droit de cité ; que nos écrivains seuls savent réduire la science en notions populaires, conduire les esprits pas à pas et sans qu’ils s’en doutent vers un but lointain, aplanir le chemin, supprimer l’ennui et l’effort, et changer le laborieux voyage en une promenade de plaisir.

299. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Mousquetaire gris à dix-sept ans, mestre-de-camp de cavalerie, il est démissionnaire en 1702, de dépit de n’avoir pas passé brigadier : le roi, qui à cette date avait plus que jamais besoin d’officiers, et qui n’aimait pas les esprits si prompts à fixer leur droit, ne lui pardonna jamais d’avoir quitté l’armée. […] Quand il eut annoté Dangeau, il se sentit seulement en haleine : il éprouva le besoin de rédiger, lui aussi, ses Mémoires ; il reprit les notes que, depuis l’âge de dix-huit ans, il avait entassées, et, gardant toujours une copie de Dangeau devant les yeux, pour lui donner le fil de l’exacte chronologie, il composa507 cette œuvre volumineuse qui embrasse les vingt dernières années de Louis XIV, avec toute sorte de digressions sur les parties antérieures du règne, et l’époque de la Régence. […] Il moule sa phrase sur sa pensée, l’étire, l’élargit, la courbe, la brise, selon son besoin, non selon la grammaire.

300. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Voilà tout, en effet, et qui ne sait que, si le besoin crée l’organe, l’organe fixe et développe le besoin ? […] Les comptes rendus des tribunaux, les faits divers assouvissent chaque jour et entretiennent en nous un besoin d’émotions et de sensations brutales : tout ce qu’on craignait jadis de montrer dans les livres ou sur la scène, s’étale là ; et la littérature serait vite insipide à nos palais, si elle ne nous offrait le ragoût auquel les journaux nous ont habitués.

301. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

On pourrait bien leur parler de la marine, dont personne ne peut méconnaître l’importance, et qui a besoin de l’Astronomie. […] Ce succès leur montrait que la Nature obéit à des lois ; il ne leur restait plus qu’à savoir à quelles lois ; pour cela, ils n’avaient besoin que de patience, et ils avaient le droit de demander que les sceptiques leur fissent crédit. […] Après ce que nous venons de dire, est-il besoin de répondre à cette objection ?

302. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

Eh bien, nous demandons s’il est permis de toucher à cette idée, de la modifier, de la changer, de la remplacer par une autre au gré de son intérêt, de son caprice ou des besoins quelconques de sa personnalité de traducteur ? […] On se demande pour les besoins de quelle idée fausser ainsi son sens critique, et, après avoir méconnu le vrai, braver, par-dessus le marché, les contradictions : « S’il est un trait distinctif de l’auteur de ces Mémoires, — dit M.  […] il ne s’agit que de vérité littéraire… Or, très certainement, on n’avait pas besoin de s’adresser au sentiment public, blessé en ce moment par la Russie, pour provoquer un succès qui se serait naturellement fait tout seul.

303. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

Hugo, qui n’avait pas besoin de vieillir comme Goethe pour défaillir encore plus que lui… La poésie en masque ne doit pas plus inspirer de respect que l’histoire en masque, car on l’y met aussi, l’histoire. […] Quand Midi parut, cette pièce, dans laquelle le poète a sonné ses douze coups comme talent et de même que Midi, ne sonnera pas un coup de plus, on s’en allait, citant ses vers trop connus pour qu’on ait besoin de les citer tous : Midi, roi des Étés, épandu dans la plaine, Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu. […] Également mythologue antique et mystagogue indien, il va des sveltes symboles de la Grèce au vaste symbolisme lourd et confus de l’Inde, et pour les mêmes raisons, affaire de métaphore, besoin d’images ; seulement, comme l’a dit Fourier, les attractions étant proportionnelles aux destinées, la métaphysique indienne le retient par son vide même, ce nihiliste naturel !

304. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Mais comme tout devait s’y ramener à l’urne du sort ou à la balance, la Providence empêcha que le hasard ou la fatalité n’y régnât en ordonnant que le cens y serait la règle des honneurs, et qu’ainsi les hommes industrieux, économes et prévoyants plutôt que les prodigues ou les indolents, que les hommes généreux et magnanimes plutôt que ceux dont l’âme est rétrécie par le besoin, qu’en un mot les riches doués de quelque vertu, ou de quelque image de vertu, plutôt que les pauvres remplis de vices dont ils ne savent point rougir, fussent regardés comme les plus dignes de gouverner, comme les meilleurs120. […] Mais la sagesse divine n’a pas besoin de la force des lois ; elle aime mieux nous conduire par les coutumes que nous observons librement, puisque les suivre, c’est suivre notre nature. […] et Polybe, s’il est vrai, comme il l’a dit, qu’on n’aura plus besoin de religion, quand les hommes seront philosophes.

305. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Une vérité si évidente n’a pas besoin d’être démontrée. […] Est-il besoin de les apprendre pour s’en souvenir ? […] Qu’ai-je besoin de le dire ? […] Pour châtier l’insolence de don Salluste, Ruy Blas n’a pas même besoin de courage, il n’a besoin que de bon sens. […] Hugo n’a besoin du témoignage de personne pour démontrer ce qu’il vaut.

306. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Si l’homme n’a plus le même besoin intellectuel de croire, il a conservé le besoin de sentir comme aux temps où il croyait. […] Il n’est pas besoin d’une grande habitude de ces sortes de réflexions pour reconnaître, dans les titres mêmes des volumes publiés par M.  […] C’est là un second caractère de l’Idéal romantique : l’infini besoin des sensations intenses. […] On n’a besoin que des faits dans la vie. […] C’est pour avoir méconnu ces deux besoins que les révolutionnaires, partisans de l’omnipotence de l’Etat, semblent à M. 

307. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbier, Auguste (1805-1882) »

Gustave Planche Auguste Barbier occupe un rang glorieux dans la poésie contemporaine ; ce rang, il ne le doit qu’à ses œuvres, car la critique n’a pas eu besoin d’intervenir et d’expliquer à la foule le sens et la valeur des paroles du poète. […] Elle est éternelle et ne doit jamais avoir besoin d’un secours extérieur.

308. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Il en est tout autrement en Littérature qu’en Politique, le talent qui a besoin de subir des lois n’en donnera jamais ». […] On n’eut donc besoin ni de masques pour grossir les traits & la voix, ni du cothurne exhaussé pour suppléer aux gradations du lointain. […] Pour peindre le malheur il n’est pas besoin d’être malheureux, mais il est bon de l’avoir été. […] des vérités modernes Ne pouvons-nous user aussi dans nos besoins ? […] Qu’avoit-il besoin de conquêtes, ce héros, l’ennemi des méchans, le vengeur des bons, le pacificateur de la terre & des mers ?

309. (1894) Critique de combat

Au besoin, il en inventerait pour corser le tableau ! […] Les besoins du public et, j’ose le dire, de l’art lui-même ont eu beau changer autour de lui. […] Aurons-nous toujours besoin en France d’avoir une arche sainte ? […] Ai-je besoin de confesser plus longuement que je lui reconnais une sérieuse valeur ? […] Quel besoin de faire du grand naturaliste une sorte d’anachronisme vivant ?

310. (1881) Le naturalisme au théatre

comme nous aurions besoin de ce réveil ! […] Aucun besoin de penser. […] Nous avons besoin de créateurs originaux. […] Aujourd’hui, le besoin de vérité se fait sentir, au théâtre comme partout ; mais, plus que partout, ce besoin y trouve des résistances désespérées. […] Mais je ne puis résister au besoin d’étudier, à son sujet, ce fameux besoin de réclame qui affole notre époque, selon les chroniqueurs.

311. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Ce besoin de l’esprit c’est l’instinct de curiosité, la passion de savoir. […] L’inclination n’est alors qu’un désir ; si le désir est violent, un besoin. […] Dans le besoin d’unité, de simplicité. […] L’objet reste constant ; le besoin, actif, est excité par l’habitude. […] Point ne sera donc besoin de les énumérer tous.

312. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Ai-je besoin de dire ici que je fais le plus grand cas de M.  […] Ai-je besoin de rappeler ici tant de poèmes qui sont dans toutes les mémoires ? […] Avons-nous besoin maintenant de « conclure » ; et, pour imiter la précision de M.  […] Où sont donc ces besoins nouveaux ? […] Nous avons besoin d’elle contre elle-même.

313. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Ai-je besoin de dire que le garçon s’appelait Paul, et la fille Virginie ? […] L’observation d’ailleurs en a souvent été faite, et je n’ai pas besoin d’y insister. […] Ai-je besoin de dire ici que M.  […] Ai-je besoin d’insister et de multiplier les exemples ? […] Ils n’ont besoin ni de le vouloir, ni de le savoir : il leur suffit de s’y développer.

314. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Est-il besoin d’ajouter que ce que je viens de dire de la comédie de Lanfranc ne prouve nullement qu’il y ait du talent ? […] Avez-vous besoin de renommée ? […] Vous avez besoin de vos écrits pour atteindre Au superflu, chose si nécessaire. […] Le Cours de La Harpe, célèbre dès 1787, se trouva là à point nommé pour répondre à nos besoins. […] Le premier besoin pour la police n’est-il pas le maintien de la tranquillité ?

315. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

La presse en a bien besoin : il ne s’y produit aucun talent remarquable depuis longtemps. […] Au reste, la passion n’est dans tout ceci qu’à la surface, on a besoin d’occasion, de sujet pour s’occuper, pour se combattre, pour s’illustrer.

316. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Déterminés dans le choix de leurs premières demeures par le besoin de trouver de l’eau et des aliments, ils ne peuvent se fixer d’abord sur le rivage de la mer, et les premières sociétés s’établissent dans l’intérieur des terres. […] Ainsi par le simple secours de l’intelligence, et sans avoir besoin de celui de la mémoire, qui devient inutile lorsque les faits manquent pour frapper nos sens, nous avons rempli la lacune que présentait l’histoire universelle dans ses origines, tant pour l’ancienne Égypte que pour l’Orient plus ancien encore.

317. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

La vanité royale en a besoin ; ne croyez pas que cette magnificence ait d’autres motifs. […] Je n’ai pas besoin de dire que l’auteur des Contes a suivi là-dessus l’instinct du peuple. […] L’administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. […] Il n’a pas besoin de prévoir de loin, de craindre la saison, de calculer la récolte. […] Je n’ai eu besoin que de réunir des traits épars pour reformer une société tout entière.

318. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Comme elle n’aura pas à choisir, elle n’a pas non plus besoin d’explorer la région d’alentour, ni de s’essayer par avance à plusieurs actions simplement possibles. […] Notre représentation de la matière est la mesure de notre action possible sur les corps ; elle résulte de l’élimination de ce qui n’intéresse pas nos besoins et plus généralement nos fonctions. […] Le premier de ces faits est que nos sens ont besoin d’éducation. […] Et par suite, chacune des qualités perçues par mes différents sens dans le même objet symbolise une certaine direction de mon activité, un certain besoin. […] Point ne serait besoin de poser d’un côté l’espace avec des mouvements inaperçus, de l’autre la conscience avec des sensations inextensives.

319. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

On a besoin de toi pour tâter ce panier. […] Quand le puits travaillait, il tuait sans besoin ; abandonné, il tue encore. […] N’enseignez à ces filles et à ces garçons que des faits ; on n’a besoin que de faits dans la vie. […] Tous les siens ont une sensibilité extrême ; ils aiment beaucoup et ils ont besoin d’être aimés. […] Ce coin du feu où ils vont passer la soirée est un sanctuaire, et les tendresses de famille sont la seule poésie dont ils aient besoin.

320. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Il avait un grand besoin de certitude. […] Ce besoin de paix intime se confondait avec un autre : le besoin d’être meilleur, de mériter. […] Il comprit mieux ainsi pourquoi le peuple est ce qu’il est, que c’est lui, surtout, qui a besoin du Christ, et qu’il est moins coupable que ses guides. […] Que pèsent ces mots pour qui ne croit plus qu’aux besoins de son ventre et aux joies de sa haine ? […] C’était une institution si belle, le pauvre petit peuple en avait si grand besoin !

321. (1925) La fin de l’art

Tandis qu’une mine d’or, une ligne de chemin de fer, une usine d’irrigation travaillent, produisent pour l’humanité tout entière qui a besoin d’or, besoin de transports, besoin du blé que produit la terre fécondée. […] Cela répond à ce besoin de nouveau qui, surtout à de certaines périodes, agite les peuples. […] La mode impose l’enseignement et la mode est fondée sur des besoins réels ou factices ; avons-nous à en juger ? […] Il n’est donc pas besoin d’être noctambule pour apprécier son labeur. […] Les uns et les autres répondent à des besoins différents.

322. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Il faut remarquer que le Bouddhisme, qui apportait aux hommes la délivrance, considérait les dieux eux-mêmes comme ayant besoin d’être délivrés. […] On éprouvait, à peine redescendu du ciel sur la terre, le besoin d’aller enseigner les hommes. […] Par le fait, les mystiques sont unanimes à témoigner que Dieu a besoin de nous, comme nous avons besoin de Dieu. Pourquoi aurait-il besoin de nous, sinon pour nous aimer ? […] Chez l’homme lui-même, la souffrance physique n’est-elle pas due bien souvent à l’imprudence et à l’imprévoyance, ou à des goûts trop raffinés, ou à des besoins artificiels ?

323. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Et d’abord le critique intègre, indépendant, a besoin de l’anonyme, non pas pour en abuser contre les auteurs, mais pour que les auteurs n’abusent pas de lui. […] Le critique a besoin de n’être pas isolé, de n’être pas seul à sa table, plume en main, au premier carrefour venu ; il a besoin d’être dans un ordre de doctrines, au sein d’un groupe uni et sympathique qui le couvre, dans lequel il puise à tout instant la confirmation ou la rectification de ses jugements ; car souvent il ne fait autre chose pour les sentences qu’il rend qu’aller autour de lui au scrutin secret, en dépouillant toutefois les votes avec épuration et intelligence.

324. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Tout porte l’esprit aux idées générales plutôt qu’aux observations particulières ; mais lorsque les sociétés brillantes de la cour et de la ville ont un grand crédit politique, le besoin de les observer pour y réussir développe un grand nombre de pensées fines ; et si, d’un côté, il y a moins de philosophie pratique dans un tel pays, de l’autre, les esprits sont nécessairement plus capables de pénétration et de sagacité. […] Mirabeau, et quelques autres après lui, ont un talent plus entraînant, plus dramatique que celui des Anglais ; l’habitude des affaires s’y montre moins, et le besoin des succès de l’esprit beaucoup davantage. […] Le repos du despotisme produirait un effet absolument contraire ; il laisserait subsister les besoins actifs de l’amour-propre individuel, et ne rendrait indifférent qu’à l’intérêt national.

325. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VI. La commedia sostenuta » pp. 103-118

Il est besoin de couvrir ainsi les vices qu’on a, Bisogna dar questa coperta a i vitii. […] Elle a besoin de recourir à un notaire qui lui rédige un acte interminable auquel elle ne comprend rien, et, quand elle lui en demande l’explication, il la renvoie à un avocat, son associé. […] Il n’est pas besoin de dire que les amoureux sont semblables de part et d’autre ; ils sont à peu près les mêmes toujours et partout.

326. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Au contraire, les pays qui éveillent des besoins peu nombreux sont les pays de l’idéalisme et de la poésie. […] Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. […] La troupe heureuse, se reposant sur le Père céleste pour la satisfaction de ses besoins, avait pour première règle de regarder les soucis de la vie comme un mal qui étouffe en l’homme le germe de tout bien 488.

327. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Si l’on étudie attentivement ces trois classes de spectateurs, voici ce qu’on remarque : la foule est tellement amoureuse de l’action, qu’au besoin elle fait bon marché des caractères et des passions13. […] De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité. […] Et, si le seigneur sent encore d’aventure le besoin de cacher son nom, ce n’est pas pour échapper au roi, c’est pour échapper à ses créanciers.

328. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

Lenient ait besoin de cette illusion charitable. […] Ou plutôt ne serait-ce pas là une ancienne thèse que ce volume indigéré, de faits écourtés et de jugements trop rapides, qui a besoin de développements et de commentaires, — qui naturellement les aurait eus s’il était une thèse, mais qui ne les a point s’il est un livre, et qui, par là, manquant de solidité et d’étendue, n’est plus guère alors qu’un assez indigeste hachis ? […] Et cependant, quand on écrit l’histoire de la Satire, fût-ce en France, fût-ce au Moyen Âge, c’est-à-dire, après tout, dans un assez chétif fragment de l’espace et du temps, on n’écrit pas moins que l’histoire de l’esprit humain, — et de l’esprit humain par son côté le plus varié, le plus profond, le plus mystérieux, car le rire est plus difficile à expliquer que les larmes, dont la source est si large en nous qu’on n’a pas besoin de la chercher !

329. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Parfois même il n’est pas besoin d’une filiation directe ; il suffit du même nom, pour que la mystérieuse et redoutable loi s’accomplisse… Habitué, par l’histoire religieuse qu’il a souvent écrite, aux idées générales et aux conclusions providentielles, Crétineau-Joly devait être nécessairement plus frappé que personne du rôle invariablement funeste qu’a joué dans nos annales tout ce qui porta jadis le nom d’Orléans, et il n’a pas voulu qu’on l’oublie. […] Or, les hommes ne permettent pas sans mépris à l’ambition d’être une trembleuse, et les plus faux d’entre eux ont un tel besoin de franchise et de fermeté dans les relations de la vie, qu’il vaudrait mieux pour Louis-Philippe et sa renommée dans l’Histoire y avoir été ouvertement ou même horriblement coupable, que d’y être l’espèce de demi-criminel ou de demi-couard qu’il y sera. […] Guizot, comme on sait, n’eut jamais aucune personnalité au pouvoir mais l’historien l’identifie-t-il tellement avec son maître qu’il ne croie pas avoir besoin d’en dire un seul mot ?

330. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Eugène Hatin » pp. 1-14

Cela disait en deux mots, — plus un titre est bon, moins il en a, — cela disait en deux mots ce que l’auteur a voulu faire, et ce qu’il a voulu faire était bien assez difficile pour n’avoir pas besoin de le compliquer par toutes les superfétations du titre lourd qu’il a choisi. […] Hatin, qui aurait pu les rappeler avec un juste mépris et passer outre, les a trop rappelées, et s’est attardé dans des citations qui donneront à croire que le besoin de compléter un volume, où la matière d’un volume manque évidemment, était furieusement impérieux ! […] Lorsque l’auteur de l’Histoire de la Presse en France ne s’appesantit que sur des inutilités, comme, par exemple, quand il nous cite, dans le dessein transparent de faire son volume, les platitudes difficiles, nugas difficiles , de la Gazette en vers de Loret, pu quand encore, sous prétexte de nous donner l’histoire du Mercure, il nous transcrit je ne sais combien de passages de la comédie du Mercure galant de Boursault, que nous savons bien où trouver sans avoir besoin de la relire dans l’histoire de Μ. 

331. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIV. M. Auguste Martin »

En tant qu’on se préoccupe de la morale par elle-même, il faut la prendre où elle brille le mieux, où elle a son caractère le plus saillant et le plus incontestable, là enfin où elle a le plus régné sans s’appuyer sur cette robuste et grossière épaule des religions, dont elle n’a plus besoin pour aller toute seule à présent… Or, qui ne le sait ? […] Louis-Auguste Martin, l’auteur de plusieurs ouvrages que je n’ai pas lus, que je n’ai pas besoin de lire, celui-ci me suffisant pour juger l’homme qui doit être, j’en suis sûr, de la plus profonde unité. […] Est-ce que dernièrement encore l’immense caricature n’a pas tourné au tragique, et avions-nous besoin de cela pour savoir ce qu’ils ont dans le ventre, ces poussahs au cerveau figé et à la poitrine vide de tout sentiment d’humanité et d’honneur ?

332. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Et tout cela sans avoir besoin de l’histoire, quand ce bouvier inconnu ne serait pas le Rob-Roy de Walter Scott et cette buandière ignorée, la Nausicaa du vieil Homère ! […] Mistral tient un tel espace, il a besoin d’un tel champ pour se déployer dans sa magnificence ou dans son charme, un peu farouches tous les deux ; ses bas-reliefs fourmillent de tels détails, que de tous les poètes, difficiles à citer dans un chapitre de la nature de celui-ci, il est peut-être le plus difficile. […] Or, s’il n’y a eu que des patois, il y a donc eu aussi des poètes qui n’ont pas eu besoin d’une langue toute faite pour être poètes, — et ce ne sont pas les moins grands !

333. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Je suis intimement convaincu qu’il avait en lui la racine de toutes les poésies, mais il fut plus spécialement entraîné vers la poésie dramatique et l’étude de la nature humaine, et pour creuser dans cette poésie-là et dans cette étude, il n’avait pas besoin de l’émotion de ces voyages qui furent peut-être nécessaires au génie du poète de la Lusiade et du chantre de Childe Harold. […] Mais cet Illuminé intérieur, ce Visionnaire du Paradis perdu, avait voyagé dans sa jeunesse, et il avait remporté dans ses souvenirs le ciel et le soleil de l’Italie pour en éclairer sa cécité et ses vers… Corneille n’avait besoin d’aucun soleil pour être le poète qu’il a été. […] Il nous a parlé longtemps du poète comique dans Corneille : de la comédie de la Suivante, jolie comme son sujet ; du Menteur, dont il n’était pas besoin de nous parler (car il tient toujours la scène comme Molière, avec des touches que n’a pas Molière, et cependant Molière a écrit le rôle de don Louis — dans Don Juan — qui est un rôle cornélien !) 

334. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

L’épopée s’adresse aux esprits distingués qui n’ont aucun besoin de tout cet attirail extérieur, tandis que l’art tragique ne s’adresse qu’à des gens d’un goût vulgaire. […] La sensation a besoin du corps évidemment ; la pensée n’en a pas moins besoin, bien qu’elle semble plus propre à l’âme que la sensibilité. […] L’âme, pour connaître les choses, n’a pas besoin d’être semblable aux choses, ni surtout, comme l’ont imaginé quelques esprits grossiers, d’être les choses mêmes. […] Elle se confond si peu avec le corps qu’elle se sent faite pour lui commander, le combattre, et, au besoin, l’anéantir. […] Maintenant est-il besoin de dire que Platon a fait de l’âme une substance, au sens le plus rigoureux de ce mot ?

335. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Ce qu’on appelle le besoin du rêve, c’est le goût de l’inintelligible. […] L’homme est un animal qui a besoin d’être convaincu. […] Ils ont besoin des circonstances. […] On sent qu’il en avait besoin. […] Voilà des gens qui n’ont pas besoin de recevoir de la vie des leçons d’immoralité.

336. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Je crois qu’il prévoyait moins cela alors, qu’il n’obéissait à un goût naturel, à un besoin chez lui très caractérisé et qu’ont noté tous ceux qui l’ont bien connu. […] J’en ai un besoin pressant. — Envoyez-le-moi plutôt aujourd’hui que demain. […] Le défaut, c’était le besoin d’action à tout prix, le besoin de bruit et de renommée qui ne se passait ni des intrigues ni des manèges, et qui jouait avec les moyens scabreux : de là toute une suite d’indiscrétions, de déguisements, de rétractations, de désaveux, de mensonges. […] Mlle Quinault lui avait écrit à ce sujet ; il lui répondait par une des plus jolies lettres du nouveau recueil ; il lui disait : Vous êtes toute propre à faire des miracles ; j’en ai grand besoin.

337. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Sortons quelquefois de nous ; accordons aux autres un peu de ces souvenirs et de ces retours bienveillants dont, demain, nous aurons besoin nous-mêmes. […] Il a besoin d’être aimé et d’aimer. Ce besoin d’affection et de sympathie l’entraîne quelquefois : son cœur trouble ou affecte son raisonnement et le détermine. […] Je rougissais comme si je reconnaissais ma faute ; cependant j’alléguais ma sensibilité extrême pour elle : je ne pouvais, disais-je, supporter de voir sa chute ; son avilissement surpassait ce que pouvait souffrir ma constance ; mais qu’elle eût besoin de moi, et, du bout du monde, j’étais prêt à retourner à elle… » Et il allait s’échauffant de plus en plus dans cette idée de patriotisme, si bien qu’il s’éveilla au beau milieu de son discours enthousiaste. […] Sa correspondance avec la comtesse est sur le pied d’une grande déférence et d’un profond respect, qui a besoin cependant d’arriver et de se fixer à une sorte d’amitié : c’était pour lui, dans toute liaison, la pente naturelle.

338. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Il écrivait au roi, en lui adressant un mémoire sur les besoins de son armée (8 décembre 1693) : « Je connais parfaitement, Sire, la conséquence des dépenses ; mais il vaudrait mieux qu’elles fussent diminuées sur le nombre des troupes et que celles que l’on a fussent servies de leurs besoins essentiels et nécessaires… J’importune Sa Majesté dans ce mémoire de grands et petits détails, parce qu’il n’y en a aucun d’indifférent sur cette frontière, où les choses les plus nécessaires manquent tout d’un coup, pour lesquelles on n’a presque pas d’attention ailleurs. […] Celle de Flandre est à la vue du roi, celle d’Allemagne est de même ; l’une et l’autre intéressent sa gloire particulière, de sorte que nous regardons ici que nos besoins ne peuvent être regardés que comme les troisièmes ; car, à l’égard de la Catalogne, j’espère que cette guerre va reprendre son train de défensive… Je dis donc que ne nous regardant ici qu’après les besoins de Flandre et d’Allemagne, M. le maréchal de Catinat est prévenu que soit en qualité de troupes, soit en nombre, le roi ne nous fournira que les troisièmes. […] On était dans une de ces dispositions bien connues où l’opinion a besoin d’apprendre quelque injustice du pouvoir et où elle s’en empare avidement, tout heureuse de l’exagérer.

339. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Le besoin de faire effet, d’être dramatique et de poser, pouvait mener aux plus funestes résultats, et l’enseignement de la rhétorique était au fond de tout cela. […] Heureusement elle ne s’égare point dans les Alpes ; elle est tout bonnement à Montrouge, parce que les médecins ont décidé qu’elle avait besoin de l’air des champs. […] Enfin, quand elle posa sa tête sur mon épaule, que ses larmes mouillèrent ma robe, je pressai sa main avec force sur mon cœur, et je sentis que le malheur est le plus fort de tous les attraits. » Mme Dufrenoy s’est souvent plainte, pour elle, de cette sécheresse extérieure : « J’ai toujours besoin de pleurer, disait-elle, et mes yeux ne peuvent verser des larmes. » La passion n’avait épuisé ni tari en son âme la source de la sensibilité, mais le ruisseau ne coulait plus à la surface. […] On entre chez Mathieu de Montmorency, qu’on trouve priant au bord de son lit. « M. de Constant s’est empoisonné », lui cria-t-on. — « Il faut chercher un médecin », reprit-il, et il continua ses patenôtres. » Et, se rabattant sur Benjamin Constant, il continuait lui-même sur le ton de médisance : « Constant est tellement usé, il a tellement besoin que quelqu’un l’anime et le travaille, que je lui disais que vieux et ne pouvant plus quitter le coin de son feu, il donnerait de la tête contre le marbre de la cheminée pour se secouer. […] En un mot, il a le goût un peu hybride ; son esprit, qui est assez solide, n’a pas la trempe ni le fil : il ne lui a manqué peut-être que le dur besoin, la nécessité, cette pierre à aiguiser ; mais le fait est qu’il ne sépare pas nettement les choses, il ne discerne pas toujours vivement les personnes ; son métal n’est pas d’un son clair et net : il admet quelque amalgame. — À cela près, le plus galant homme, le plus droit, le plus véridique, je le crois sans peine, bon à écouter de temps en temps ou à parcourir, et méritant, comme je viens de le faire, qu’on aille glaner chez lui.

340. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Ils ont dit : « Quel besoin l’historien a-t-il de juger ? […] Si l’on peut me dire quel est ce signe, je n’ai plus besoin de croire sur parole messieurs les critiques ; je possède leur secret ; je puis juger sans leur aide. […] A-t-il besoin de s’être fait une théorie complète de la beauté ? […] Une œuvre qui plaît aux sens vaudra mieux, si elle satisfait en même temps notre besoin d’émotions et notre intelligence ; elle sera une œuvre suprême, un vrai chef-d’œuvre, si elle est par surcroît largement douée de la beauté morale et de la beauté idéale. […] Elle n’est pas parfaite ; elle a besoin d’être précisée perfectionnée, et elle le sera sans nul doute par ceux qui viendront après nous.

341. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Elle disait : « Je m’en suis si bien passée, que je n’en ai jamais senti le besoin. […]  » Elle aimait la simplicité, et, au besoin, elle l’aurait affectée un peu. […] Mme Geoffrin, quand on la prenait là-dessus, avait mille bonnes réponses, et fines comme elle : « Ceux, disait-elle, qui obligent rarement, n’ont pas besoin de maximes usuelles ; mais ceux qui obligent souvent doivent obliger de la manière la plus agréable pour eux-mêmes, parce qu’il faut faire commodément ce qu’on veut faire tous les jours. » Il y a du Franklin dans cette maxime-là, du Franklin corrigeant et épaississant un peu le sens trop spirituel de la Charité selon saint Paul. […] Mme Geoffrin avait besoin, pour ne pas se lasser, d’une grande variété de personnes et de choses. […] La Harpe raconte qu’elle avait à sa dévotion un confesseur capucin, confesseur à très large manche, pour la commodité de ses amis qui en auraient eu besoin ; car si elle n’aimait pas, quand on était de ses amis, qu’on se fît mettre à la Bastille, elle n’aimait pas non plus qu’on mourût sans confession.

342. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Au début de L’Esprit des lois, il va jusqu’à dire que les premiers hommes supposés sauvages et purement naturels sont avant tout timides et ont besoin de la paix : comme si la cupidité physique, le besoin et la faim, ce sentiment aveugle que toute jeunesse a de sa force, et aussi « cette rage de la domination qui est innée au cœur humain », ne devaient pas engendrer dès l’abord les rixes, et les guerres. […] Il aurait eu besoin, je le répète, d’une révolution (ne fût-ce que d’une Fronde comme en vit Pascal) pour lui rafraîchir l’idée de la réalité humaine, cette idée qui se recouvre si aisément durant les temps calmes et civilisés. […] Il avait besoin d’être appuyé d’un interlocuteur : « Quant aux conversations de raisonnement, ajoutait-il, où les sujets sont toujours coupés et recoupés, je m’en tire assez bien. » L’Esprit des lois s’offre bien souvent à nous coupé et recoupé, comme ces conversations dont parle Montesquieu. […] Il avait la bonhomie de croire qu’il avait négligé de faire la fortune de son nom et l’illustration de sa maison : « J’avoue, disait-il, que j’ai trop de vanité pour souhaiter que mes enfants fassent un jour une grande fortune ; ce ne serait qu’à force de raison qu’ils pourraient soutenir l’idée de moi ; ils auraient besoin de toute leur vertu pour m’avouer. » Ainsi il croyait, par exemple, que si l’un de ses enfants devenait ministre, chancelier, ou quelque chose de tel, ce serait un embarras à un personnage si considérable que d’avoir un père ou un aïeul comme lui qui n’aurait fait que des livres, Ceci même est un excès de modestie ou un reste de préjugé qu’on a peine à comprendre.

343. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Son avis comptait pour beaucoup, et les personnages du pays ne se faisaient faute, au besoin, de le consulter. […] Dès le premier regard qu’il porta autour de lui sur ces congrégations plus ou moins émanées de Calvin, Franklin ne put en accepter les dogmes antinaturels et écrasants ; il fut esprit fort et déiste, et d’abord il le fut avec ce premier feu et ce besoin de prosélytisme qu’a aisément la jeunesse. […] Tu ne seras pas insulté de tes créanciers, pressé par le besoin, rongé par la faim, transi par la nudité. […] En entrant dans des détails si minutieux, il sent le besoin de s’excuser, mais il pense que rien n’est à dédaigner de ce qui sert à tout le monde et tous les jours : « Le bonheur des hommes est moins le résultat de ces grands lots de bonne fortune qui arrivent rarement, que de mille petites jouissances qui se reproduisent tous les jours. » Pendant ces années de sa jeunesse et de la première moitié de sa vie, il ne se fait pas un seul projet d’intérêt public en Pennsylvanie sans qu’il y mette la main. […] L’orgueil est un mendiant qui crie aussi haut que le besoin, et qui est bien plus insolent.

344. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Cet homme puissant qui tiendra la France à ses pieds et fera trembler l’Europe commence par être bien pauvre et à la gêne ; il écrit à une Mme de Bourges, à Paris, qui lui faisait ordinairement ses commissions de ménage, et qui lui avait acheté les ornements dont son église avait besoin : (Fin d’avril 1669.) […] Je suis extrêmement mal logé ; car je n’ai aucun lieu où je puisse faire du feu à cause de la fumée ; vous jugez bien que je n’ai pas besoin de grand hiver, mais il n’y a remède que la patience. […] Dans ces premières lettres, où je n’ai pas besoin de faire remarquer qu’on est encore en pleine langue du xvie  siècle, il y en a où Richelieu fait l’évêque, le consolateur au besoin, et parfois le directeur des âmes. […] Je sais, Dieu merci, me gouverner et sais davantage comme ceux qui sont sous moi se doivent gouverner… Je trouve bon que vous m’avertissiez des désordres qui sont en mon diocèse ; mais il est besoin de le faire plus froidement, n’y ayant point de doute que la chaleur piquerait, en ce temps-ci, ceux qui ont le sang chaud comme moi, s’ils n’avaient quelques moyens de s’en garantir… Le théâtre est bien étroit encore ; Richelieu, au-dehors et dans ses relations avec le monde, est obligé à bien des civilités, à bien des révérences envers les puissants du jour, et à bien des souplesses.

345. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Il parcourut l’univers, la science et la vie, montrant que tout spectacle, tout événement et toute pensée y ramènent l’homme, qu’elle est l’œuvre, non d’une curiosité tranquille, mais d’un besoin impérieux et âpre, qu’elle n’est point un divertissement de l’esprit, mais la vraie et la première nourriture du cœur. […] Les habitudes de l’homme intérieur, ayant formé le philosophe, formèrent sa philosophie ; son système du monde fut produit par l’état de son âme ; sans le savoir ni le vouloir, il construisit les choses d’après un besoin personnel, Ce genre d’illusion est presque inévitable ; nous ressemblons à ces insectes qui, selon la diversité de la nourriture, filent des cocons de diverses couleurs. Il avait un besoin passionné de connaître la destinée de l’homme ; il établit comme axiome que tout être a une destinée, et de là dérive le reste. « Tout être a une fin ; pareil au principe de causalité, ce principe en a toute l’évidence, toute la nécessité, toute l’universalité. » Il est certain par lui-même, irréductible, et n’a pas besoin d’être déduit d’une vérité plus haute. […] Trempez le bout de l’œuf dans l’huile, la force est vaincue, le développement s’arrête, l’organisation se renverse et vous voyez naître un monstre : l’être n’est point allé à sa fin, sa destinée n’a point correspondu à sa nature. — Il y avait dans le bœuf une force vitale et une force reproductive ; le couteau du vétérinaire et la massue du boucher en ont empêché l’effet ; les tendances existaient, la destinée ne s’est point accomplie. — Il y a en nous un besoin infini de science, de sympathie et de puissance ; la supériorité des forces voisines, l’infinité de l’univers, l’imperfection de notre société nous condamnent à des misères sans nombre, et à des contentements médiocres ; nous avons la tendance, nous n’avons pas la puissance.

346. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Il n’avait pas besoin de ces artifices. […] Il lui fallait les grandes scènes, les grands auditoires ; il avait besoin d’espace comme tout ce qui veut rayonner de loin. […] On va voir bientôt dans sa correspondance qu’il savait au besoin s’accommoder avec la Révolution pourvu qu’elle rétablît et qu’elle agrandît le trône de son monarque. […] Il s’agissait donc dans sa pensée d’un de ces desseins confus, chimériques, équivoques, qui ont besoin du succès pour être avoués. […] La belle Maria-Antonia recevait son monde avec sa robe blanche et ses cheveux noirs, sans diamants, sans perles, sans fleurs ; elle sait fort bien qu’elle n’a pas besoin de tout cela.

347. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Il satisfait son besoin : il ne veut le mal de personne ; au-delà de son besoin, il ne prend rien. […] Ne voit-on pas partout les arts et les lettres en relation étroite avec le luxe, avoir besoin du luxe ? […] L’humanité s’est instruite par le besoin, par l’expérience : faisons sentir le besoin, apprêtons de l’expérience à l’enfant. […] L’intelligence aura son tour : mais on ne peut rien faire de mieux pour elle que de lui préparer d’abord de bons organes, qui puissent lui fournir toutes les impressions, exécuter toutes les actions dont elle aura besoin. […] C’est qu’elle le satisfaisait pleinement : elle n’avait besoin que d’être, pour lui donner des jouissances : ici, par conséquent, sa sensation coïncidait toujours avec l’objet, et la diversité de ses sensations successives ne faisait l’effet que d’un changement d’éclairage.

348. (1927) Approximations. Deuxième série

Le besoin du vrai s’accompagne chez lui d’une retenue, d’une stylisation. […] n’en avons-nous pas tous besoin ? et combien davantage en ont besoin ceux qui nous aiment malgré tout ! […] On a besoin de lui, et il ne fera pas défautie ». […] comme on avait besoin de lui, comme il fait défaut, et combien il importe que vivent en nous et sa mémoire et son exemple.

349. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Je n’ai pas besoin de dire qu’il ne s’est même pas posé la question des Droits de l’homme. […] Cela n’a pas besoin d’être démontré. […] On distribuait à chaque famille ce qui suffisait à ses besoins ; le reste était vendu à Buenos-Ayres et au Pérou… Les Jésuites distribuaient les denrées et faisaient servir l’argent et l’or à la décoration des églises et aux besoins du gouvernement. […] Le pouvoir en notre temps ne fait pus de lit de justice, parce qu’il n’en a pas besoin. […] Monstres qui avez besoin de superstitions comme le gosier des corbeaux a besoin de charognes !

350. (1893) Alfred de Musset

Il n’était plus besoin d’indiscrétions pour s’en douter. […] Qui est-ce qui aura besoin de mes veilles ? […] Que j’ai besoin de ta tendresse et de ton pardon ! […] « Eh bien, moi, j’ai besoin de souffrir pour quelqu’un ; j’ai besoin d’employer ce trop d’énergie et de sensibilité qui sont en moi. […] Au besoin, il arrangeait aussi un peu le sens.

351. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

L’ennui et la douleur ont ravagé ma vie, au point que le repos est le besoin le plus impérieux qui me soit resté de tous mes besoins gigantesques. […] On sait fort bien que la brute elle-même n’a point de fureurs qui ne soient motivées par ses besoins. […] On ne s’habitue pas tout d’un coup à ces éternelles séparations, et, dans les premiers moments, on a plus besoin d’y songer que d’en parler. […] Mais il avait besoin de jeter hors de lui cette humeur secrète qui manquait d’aliments. […] Il avait besoin de se torturer lui-même en accusant ses meilleurs amis d’ingratitude, et ses prétendus ennemis d’insolence et de cruauté.

352. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Fénelon, ultramontain, ami des Jésuites, avait la faveur de la cour de Rome : Bossuet, gallican, eut besoin d’avoir évidemment raison, et surtout d’avoir de son côté la peur qu’inspirait le roi. […] Mais, à l’ordinaire, il contenait sa sensibilité ; il montrait un jugement net, une volonté ferme ; il avait la notion du possible et du pratique, le besoin de l’action efficace et précise. […] Pour cela, il n’est pas besoin de fuir le monde : on peut se sauver dans toutes les conditions. […] Mais son tempérament de juriste a besoin de justice : le dogme de la Providence corrige l’immoralité de la réalité, et rend à chacun selon son mérite. […] Il avait affaire à un public épris de raison et de clarté, qui voulait des idées, un exercice de l’intelligence, et qui avait du reste peu de besoins sentimentaux ou esthétiques.

353. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Il fut poète, comme plus tard orateur et homme d’État, par inspiration, par besoin du cœur : ce fut une fonction de sa vie morale, d’ennoblir par le vers ses émotions intimes ; jamais il ne voulut en faire un exercice professionnel, jamais même un pur jeu d’artiste. […] Il improvisait trop brillamment pour revenir sur ses improvisations : elles satisfaisaient pleinement à son besoin. […] Puis Lamartine sentit le besoin d’objectiver son sentiment : du lyrisme personnel il tâcha de passer à l’épopée symbolique, où les émotions d’ordre universel se dépouillent des expressions trop directement subjectives de l’élégie ou de l’ode, et s’élargissent en s’apaisant. […] La nature n’a pas besoin d’amour ; elle est insensible : ce qui passe et ce qui pleure a besoin d’amour. […] La forme seule importe : il n’y a pas besoin d’idées.

354. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Son « devoir » et ses « droits » sont nettement établis par ses relations avec les autres organes, et par les besoins généraux de l’organisme. […] L’origine même de la volonté dominatrice est peut-être souvent dans les besoins, dans les désirs inconscients ou non de la masse qu’elle va pétrir. […] Je dépends de lui ; j’ai besoin de lui, et je le subis tant que je ne puis me soustraire à son pouvoir et que je veux continuer à vivre. […] La preuve que ce que vous me dites est faux, c’est que vous avez besoin de me le dire, et que vous me le dites en effet. […] Son intérêt exigerait au contraire qu’il parût le très fidèle observateur du pacte social, et, au besoin, qu’il en démontrât aux autres les avantages et le caractère sacré.

355. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Je n’ai pas besoin pour cela d’instituer une comparaison réfléchie entre les idées de deux partis possibles, ni de concevoir explicitement le contraire de ce que je veux comme étant également possible pour moi. […] Est-ce à dire que la distinction du sujet et de l’objet ait besoin d’être posée comme consciente d’elle-même dès le début, dans l’être sentant ? […] L’être n’est plus seulement absorbé dans le présent et poussé par le passé : il fait l’avenir même sans le concevoir, par le besoin qu’il a de tel état qui n’est pas encore, par un certain nisus a fronte, non plus a tergo. […] Au contraire, le besoin de vivre et de jouir, avec les mouvements corrélatifs, existe dans l’être vivant, non au dehors, et y devient le générateur même des autres mouvements. […] Pour voir ces rayons de lumière, nous n’avons pas besoin d’une autre lumière : pour être immédiatement avertis que nous jouissons, nous n’avons pas besoin d’un acte particulier de conscience qui viendrait éclairer le premier.

356. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Ceux qui admiraient son art et sa force sentaient pourtant quelques-uns de ses défauts, cette description trop continue, cette tension perpétuelle qui faisait que chaque objet venait saillir au premier plan et tirer le regard ; on aurait voulu aussi que, sans renoncer à aucune hardiesse, à aucun droit de l’artiste sincère, il purgeât son œuvre prochaine de tout soupçon d’érotisme et de combinaison trop maligne en ce genre : l’artiste a bien des droits, y compris celui même des nudités ; mais il est besoin qu’un certain sérieux, la passion, la franchise de l’intention et la force du vrai l’absolvent et l’autorisent. […] Flaubert une telle œuvre : le siècle a, depuis des années, besoin d’un grand artiste nouveau, il le réclame ; de désespoir il se montre parfois tout prêt à l’inventer. […] Se voyant de loisir et complètement livrés à eux-mêmes, comptant leurs forces et sentant croître leurs besoins, ils s’exaltèrent dans leurs prétentions ; la masse fermenta, des chefs ambitieux soufflèrent l’esprit de sédition, et lorsque Hannon, qui commandait pour les Carthaginois en Afrique, se fut rendu à Sicca et qu’au lieu de payer la totalité de la solde promise, il parla de réductions et de sacrifier une partie de la dette, on peut imaginer comme il fut reçu. […] On entrevoit très-bien, par la facilité qu’ils eurent de faire soulever des villes et des provinces entières, que les Carthaginois proprement dits étaient des colons conquérants qui s’étaient établis principalement sur les côtes, mais qui ne s’étaient pas fondus avec les populations autochtones, qui les dominaient, les pressuraient au besoin, et qui n’étaient pas bien vus d’elles.

357. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

On lit, par exemple, dans les comptes de 1688 : « À Cinthio, comédien italien, tant pour lui que pour ses compagnons, pour cinq comédies jouées à Versailles pendant les six derniers mois de 1688… 390 liv. » Il n’est pas besoin de dire qu’ils étaient indemnisés de leurs frais de voyage, nourriture, logement, etc. […] « Rien, madame, répond-il, vous trépaner seulement, pour vous désennuyer en attendant que le Docteur vienne. » Et comme, en s’en allant, elle le traite de fou : « Vous en avez besoin, lui crie-t-il, servez-vous de l’occasion, vous ne la trouverez pas toujours si commode. » Ces traits sont pris parmi les meilleurs que l’on puisse glaner dans le recueil. […] Aussi éprouvèrent-ils le besoin de modifier leur manière pour soutenir la lutte avec leurs rivaux. […] Cette scène faisait certainement partie du premier canevas de Scaramouche, pédant scrupuleux, quoique Cailhava l’attribue à un personnage nommé Don Gilli (Don Gilles), il n’est pas besoin de dire que la situation analysée ci-dessus formait un des éléments d’une intrigue plus ou moins compliquée.

358. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Non, elle n’a jamais aimé, aimé de passion et de flamme ; mais cet immense besoin d’aimer que porte en elle toute âme tendre se changeait pour elle en un infini besoin de plaire, ou mieux d’être aimée, et en une volonté active, en un fervent désir de payer tout cela en bonté. […] Mme Récamier, jeune, eut besoin de cet ange à côté d’elle et en elle, car le monde qu’elle traversa et où elle vécut était bien mêlé et bien ardent, et elle ne se ménagea point à le tenter. Pour être vrai, j’ai besoin de baisser un peu le ton, de descendre un moment de cette hauteur idéale de Laure et de Béatrix où l’on s’est accoutumé à la placer, de causer d’elle enfin plus familièrement et en prose.

359. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Dès lors on a pu exiger d’eux l’impartialité ; ils avaient donné ce droit ; mais les poètes, qui furent les premiers historiens, n’avaient pas besoin de chercher l’impartialité ; ils avaient plus que cela ; ils avaient la vérité vue de haut, vue dans l’ensemble des choses. […] Je n’ai pas besoin de répéter ce que j’ai dit dans la première partie du chapitre précédent, pour peu que mes lecteurs se soient approprié mes idées. […] Ce n’est point assez qu’un petit nombre de savants s’enfoncent dans les profondeurs du sanscrit, toutes nouvelles pour nous, il faut que la génération contemporaine soit devenue, par l’éducation, habile à comprendre les investigateurs de l’ère qui va s’ouvrir ; car l’homme ne sait bien que ce qu’il peut communiquer aux autres : tant on rencontre à chaque pas le sentiment social, et le besoin de ce sentiment. Il est impossible encore d’apprécier toutes les révélations que nous devons recevoir de langues dont les racines primitives sont des manifestations morales ou intellectuelles plutôt que la représentation d’objets physiques ou l’expression de besoins matériels.

360. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Cousin invente peu ou point ; mais il a besoin d’éprouver des émotions métaphysiques ; il ressent le plus vif et le plus poétique plaisir, lorsqu’il voit un système se former dans son cerveau, se développer et embrasser l’univers dans ses conséquences. […] Son ressort primitif, qui est le besoin d’éloquence, peu à peu se relève. […] Si nous avons besoin de quelque formule rigoureuse, nous irons à Kœnigsberg et nous emprunterons celle de Kant. Telle est cette philosophie ; le besoin oratoire de prêcher la morale y explique tout, le choix des doctrines, le manque d’invention et la faiblesse des preuves.

361. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Las des querelles de parti, presque saturés des discussions parlementaires, bien des esprits, jeunes, ardents et généreux, sans déserter leurs devoirs comme citoyens et sujets, ressentent un vif besoin de ces distractions nobles et légitimes, qui se sont liées de tout temps à la gloire de la France et à la splendeur du trône. […] Puis, quand l’ancienne littérature est partout ; qu’elle occupe les places, les Commissions, les Académies ; que le gouvernement s’en rapporte à ses décisions en toute matière littéraire où il a besoin de s’éclairer ; quand, il y a quelques mois à peine, une pétition, signée de plusieurs auteurs classiques les plus influents, et tendant à obtenir pour eux le monopole du Théâtre-Français, est venue mourir au pied du trône ; n’y aurait-il pas, de la part du gouvernement du roi, peu de convenance et d’adresse à frapper d’interdiction la première œuvre dramatique composée depuis ce temps par un des hommes de la jeune littérature, une pièce avouée d’elle, réclamée par le public, et sur laquelle on veut bien fonder quelque espoir ?

362. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Ainsi, à mesure que la société multiplia les besoins de la vie, les poètes apprirent qu’il ne fallait plus, comme par le passé, peindre tout aux yeux, mais voiler certaines parties du tableau. […] Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets ; l’autre, en dérobant à la vue certains côtés faibles de l’âme : l’âme a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps.

363. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Il s’agit ici de déterminer l’époque précise où les précieuses s’établirent et furent désignées sous ce nom dans la société ; comment ce mot changea de signification, à quelle époque on distingua entre les précieuses, et on eut besoin d’adjectifs pour déterminer le sens de ce mot. […] Pour soutenir ce système, qui calomnie Molière et la maison Rambouillet tout ensemble, on a besoin de persuader que la pièce a été faite à Paris, pour Paris, et non en province, pour la province. […] J’espère que cette digression sera pardonnée au besoin de prouver une des puissances de la conversation et de revendiquer pour elle un droit qui n’a été reconnu qu’aux lettres. […] Elles ont la bonté de souffrir celle des autres, et d’agréer leurs services quand elles en ont besoin. […] Dans un siècle frivole, de bel esprit, de mauvaises mœurs, sous un gouvernement absolu, la satire, la comédie satirique, devaient être en grand honneur ; les bonnes qualités ne rachetaient pas le ridicule ; après le besoin de parler était venu le besoin de rire.

364. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

il n’est rien de plus classique que d’inventer, lorsqu’on en retrouve la puissance, et que d’imiter au besoin ce qui mériterait d’être inventé ; que d’emprunter même, s’il le faut, ce qu’on peut embellir en le dérobant. […] Phèdre n’avouera qu’à sa nourrice son incestueux amour ; Iphigénie ne divulguera plus les secrets de son frère, et n’aura pas besoin de recommander le silence à tout un chœur de femmes. […] Le dénouement de la première n’est point ajourné à la seconde, ou à la troisième ; et celle-ci se suffit à elle-même, sans qu’on ait besoin pour la comprendre, d’avoir vu les deux précédentes. […] C’est même un genre d’effet dont la tragédie a peut-être besoin ; il n’appartient qu’à la comédie de se rapprocher si fort de nos allures actuelles. […] Je sais que Voltaire a daigné employer de pareils prestiges, et je serais tenté de croire qu’il eût mieux fait de n’en avoir pas besoin.

365. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Ils répondent à ce besoin de perpétuité et de tradition qui est une vertu nationale ils témoignent du respect que doit avoir toute grande nation pour son passé. […] Aucun mot n’a peut-être plus besoin d’être défini, parce qu’aucun n’a été plus détourné de son sens, au profit de plus de paradoxes et de caprices. […] Est-il besoin de parler de l’utilité d’une telle étude ? […] Outre que, par les caractères des écrits qu’il a toujours aimés, comme s’y étant toujours reconnu, nous pourrions apprécier à toutes les époques ses véritables besoins, les distinguer de ses caprices, et travailler avec connaissance à régler son avenir d’après son passé. […] Les mots sont comme des déductions invincibles les uns des autres, et il n’est pas besoin d’une opération particulière qui rétablisse l’ordre naturel, dérangé par l’artifice de l’inversion.

366. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Les animaux sentent le besoin de se secourir les uns les autres. […] L’erreur  je n’ai pas besoin de l’indiquer, n’est-ce pas   l’erreur consiste à avoir cru constater de la solidarité entre les animaux de différentes espèces, ce qui est faux. […] Mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont. […] L’animal a appris un certain nombre de choses nécessaires à sa subsistance, nécessaires à sa défense, nécessaires à sa vie, et quand il les a sues, quand sa vie a été à peu près assurée, il a été très sage, il s’est arrêté, parce qu’il est un sage ; il a dit : « Je n’ai besoin de rien de plus !  […] Nous, peut-être, parce que, étant, parmi les animaux, au nombre des plus faibles, nous avons eu (nos grands ancêtres ont eu) infiniment plus de difficultés pour assurer notre pauvre existence ; nous avons pris l’habitude d’inventer, de continuer d’inventer même alors que nous étions arrivés à un point de sécurité suffisante pour n’avoir plus besoin d’avancer.

367. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

À mesure qu’elle se rétrécit, elle s’infiltre davantage dans une physiologie qui, naturellement, y trouve une philosophie très propre à lui donner cette confiance en elle-même dont elle a besoin. […] Nous-même, il y aura bientôt vingt ans de cela (si nous rappelons le fait, ce n’est pas pour en tirer vanité, c’est pour montrer que l’observation intérieure peut l’emporter sur des méthodes qu’on croit plus efficaces), nous avions soutenu que la doctrine alors considérée comme intangible aurait tout au moins besoin d’un remaniement. […] L’aphasique devient incapable de retrouver le mot quand il en a besoin ; il semble tourner tout autour, n’avoir pas la force voulue pour mettre le doigt au point précis qu’il faudrait toucher ; dans le domaine psychologique, en effet, le signe extérieur de la force est toujours la précision. […] Des clichés photographiques se conservent dans une boîte, des disques phonographiques dans des casiers ; mais pourquoi des souvenirs, qui ne sont pas des choses visibles et tangibles, auraient-ils besoin d’un contenant, et comment pourraient-ils en avoir ? […] Et je crois par conséquent aussi que notre passé tout entier est là, subconscient — je veux dire présent à nous de telle manière que notre conscience, pour en avoir la révélation, n’ait pas besoin de sortir d’elle-même ni de rien s’adjoindre d’étranger : elle n’a, pour apercevoir distinctement tout ce qu’elle renferme ou plutôt tout ce qu’elle est, qu’à écarter un obstacle, à soulever un voile.

368. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Cela n’a pas besoin d’être démontré pour la littérature religieuse ; mais la littérature laïque est imprégnée du même esprit. […] L’honnête homme des salons se fait une langue selon son besoin. […] Des impulsions sentimentales, des besoins imaginatifs commencent à troubler les opérations de la lucide et froide intelligence.

369. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Il acheva d’éveiller dans ces légères intelligences des salons le besoin de tout comprendre, la conviction que l’inexplicable n’est que de l’inexpliqué. […] Il demandait aux dames, pour comprendre sa Pluralité des mondes, tout juste la même somme d’attention dont elles ont besoin pour suivre la Princesse de Clèves. […] Et l’homme n’a pas besoin qu’on lui en fournisse des causes : il est par lui-même un animal suffisamment féroce et indisciplinable.

370. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Que l’auteur, après avoir dit qu’il n’avait plus besoin d’étudier son art ailleurs que dans la société, et après avoir produit plusieurs chefs-d’œuvre de cet art ainsi étudié, ait néanmoins eu la fantaisie d’imiter une comédie fort immorale de Plaute, je le veux croire. […] Il semble assez simple d’imaginer que cette femme mal mise , qui ressemblait à un fantôme, qui attendait madame de Montausier dans un passage obscur , pour lui faire des reproches sanglants sur madame de Montespan , n’était autre que Montespan lui-même, pressé du besoin de se venger, par un nouvel outrage sur la dame d’honneur, qu’il avait accusée hautement chez elle-même de son malheur. […] Les admirateurs du génie de Molière ont besoin de chercher des excuses à son Amphitryon, dans son désir immodéré de plaire au prince qui Pavait subjugué par sa gloire et ses bienfaits, dans la corruption générale qui demandait au poète comique de faire rire le public aux dépens des époux malheureux, peut-être même dans l’espèce d’héroïsme auquel le poète avait voulu s’élever en se rangeant du côté des rieurs, lui à qui les désordres de sa femme avaient couté tant de larmes amères.

371. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Si au contraire, dit-il, le pigeon voyageur n’eût pas essuyé de dangers, mais qu’il eût trouvé les plaisirs insipides loin de son ami, et qu’il eût été rappelé près de lui par le seul besoin de le revoir, tout m’aurait ramené à cette seule idée, que la présence d’un ami est le plus doux des plaisirs. […] Cela n’a pas besoin d’être dit ; et les deux parties ne sont point par-là distinguées des autres plaideurs. […] Cela n’avait pas besoin d’être appuyé de cette consonnance de lors et d’encor insupportable à l’oreille.

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