La tirade, le vers alexandrin, la partie descriptive, épique, ou de périphrase élégante, qui entrait dans les tragédies du jour, faisaient matière à sa raillerie. […] C’était donc des tragédies ou drames en prose qu’il appelait de tous ses vœux. […] Nous avons eu, depuis, ce qui était alors l’idéal pour Beyle, ces drames ou tragédies en prose « qui durent plusieurs mois, et dont les événements se passent en des lieux divers » ; et pourtant ni Corneille ni Racine n’ont encore été surpassés. […] « Que le ciel nous envoie bientôt un homme à talent pour faire une telle tragédie ! […] Mais dès que Beyle expose ses plans de tragédies en prose ou de comédies, dès qu’il s’aventure dans l’idée d’une création nouvelle, il montre la difficulté et trahit l’embarras.
Faust est la tragédie de l’esprit humain aux prises avec les deux principes du bien et du mal dans le personnage de Faust ! Enfin Faust est la tragédie de Dieu et de Satan, le bien et le mal, dans le personnage de Méphistophélès. […] Les entretiens entrecoupés de tous ces groupes qui passent sont une parfaite imitation des mœurs du peuple ; c’est le chœur dans les tragédies antiques. […] Il y a aussi loin de ces tragédies d’apparat à cette tragédie de l’âme qu’il y a loin de la déclamation théâtrale au sang chaud qui crie en suintant de la blessure secrète du cœur. […] Il y a assez à réfléchir et à admirer sur cette première moitié de l’œuvre du poète, qui, en créant Faust et Marguerite, a créé non plus la tragédie des cours, des dieux ou des rois, mais la véritable tragédie du cœur humain !
Les tragédies allemandes, et en particulier celles de Schiller, contiennent des beautés qui supposent toujours une âme forte. […] Mais en lisant les tragédies allemandes qui ont acquis de la célébrité, l’on trouve souvent des mots, des expressions, des idées qui vous révèlent en vous-même des sentiments étouffés ou contenus par la régularité des rapports et des liens de la société. […] La tragédie de Goetz de Berlichingen, et quelques romans connus, sont remplis de ces souvenirs de chevalerie si piquants pour l’imagination, et dont les Allemands savent faire un usage intéressant et varié. […] Les odes de Klopstock, les tragédies de Schiller, les écrits de Wieland, le théâtre de Kotzebue, etc., exigeraient plusieurs chapitres, si l’on voulait approfondir leur mérite littéraire ; mais ce travail, comme je l’ai déjà dit, ne pouvait entrer dans le plan général de mon ouvrage.
Pylade avoit composé son recueil, de gestes tirez, pour m’exprimer ainsi, des trois recueils de gestes dont nous avons déja parlé, et qui servoient pour la tragédie, pour la comédie et pour ce poëme dramatique que les anciens appelloient satyres. […] Ainsi depuis le temps de Pylade il y eut quatre recueils de gestes propres au théatre : l’ emmelie qui servoit à joüer la tragédie, le cordax qui servoit pour la comédie, le sicinis qui servoit pour la satyre, et l’ italique qui servoit pour les pieces executées par les pantomimes. […] Il est à croire que ces comédiens commencerent d’abord par executer à leur maniere les scénes des tragédies et des comédies qui s’appelloient des cantiques. […] Cassiodore après y avoir parlé des tragédies et des comédies qui se représentoient sur ce théatre, ajoute donc : orchestarum… etc. si l’on en croit Martial et quelques autres poëtes, les pantomimes faisoient des impressions prodigieuses sur les spectateurs.
C'est moins une bonne tragédie qu’une excellente et très-belle étude tragique. […] C'est une tragédie du genre de Genséric, de madame Deshoulières.
Après avoir lu ses Odes, ses Héroïdes, ses Contes, ses Fables, ses Romans, ses Comédies, ses Tragédies, son Poëme sur la déclamation, les Lecteurs éclairés sont forcés de regarder tant de Productions, comme des especes de phosphores qui éblouissent un instant, pour se perdre ensuite dans l’obscurité. […] Ses Tragédies même, malgré leurs disgraces, offrent plusieurs traits dignes d’un Eleve de Melpomene.
Son grand succès, ou du moins son grand effort littéraire, l’année suivante, fut sa tragédie de Mustapha et Zéangir. […] Le genre admis, il y a de la simplicité, et l’on s’est accordé à y louer un style pur et des sentiments doux, ce qui est assez singulier dans une tragédie et chez un auteur tel que Chamfort : il réservait toute sa douceur pour ses tragédies. […] Quand, l’hiver suivant, la tragédie de Mustapha fut représentée à la ville, à la Comédie-Française, elle n’y obtint qu’un succès plus froid. Mais la reine ne cessa d’y prendre le plus vif intérêt ; c’était sa tragédie d’adoption. […] Mustapha et Zéangir parut imprimé en 1778 et fut dédié à la reine ; voici cette dédicace, qui n’a pas été reproduite dans les éditions des Œuvres de Chamfort : « Madame, l’indulgente approbation dont Votre Majesté a daigné honorer la tragédie de Mustapha et Zéangir m’avait fait concevoir l’espérance de lui présenter cet ouvrage, et vos bontés ont rendu ce vœu plus cher à ma reconnaissance.
Sa tragédie est artificielle et sa comédie n’est qu’instinctive. » Johnson confirme le verdict : « Sa tragédie est le produit de l’industrie et sa comédie le produit de l’instinct. » Après que Forbes et Johnson lui ont contesté le drame, Green lui conteste l’originalité. […] Écoutons encore Rhymer : « Othello est une farce sanglante et sans sel. » Jonhson ajoute : « Jules César, tragédie froide et peu faite pour émouvoir. » « J’estime, dit Warburton dans sa lettre au doyen de Saint-Asaph, que Swift a bien plus d’esprit que Shakespeare et que le comique de Shakespeare, tout à fait bas, est bien inférieur au comique de Shadwell. » Quant aux sorcières de Macbeth, « rien n’égale, dit ce critique du dix-septième siècle, Forbes, répété par un critique du dix-neuvième, le ridicule d’un pareil spectacle. » Samuel Foote, l’auteur du Jeune Hypocrite, fait cette déclaration : « Le comique de Shakespeare est trop gros et ne fait pas rire. […] Il caractérise les pièces de Shakespeare de ce mot : « Farces monstrueuses qu’on appelle tragédies », et complète le prononcé de l’arrêt en déclarant que Shakespeare « a perdu le théâtre anglais ». […] Shakespeare a la tragédie, la comédie, la féerie, l’hymne, la farce, le vaste rire divin, la terreur de l’horreur, et, pour tout dire en un mot, le drame.
Il l’a déjà dit ailleurs, le drame comme il le sent, le drame comme il voudrait le voir créer par un homme de génie, le drame selon le dix-neuvième siècle, ce n’est pas la tragi-comédie hautaine, démesurée, espagnole et sublime de Corneille ; ce n’est pas la tragédie abstraite, amoureuse, idéale et divinement élégiaque de Racine ; ce n’est pas la comédie profonde, sagace, pénétrante, mais trop impitoyablement ironique, de Molière ; ce n’est pas la tragédie à intention philosophique de Voltaire ; ce n’est pas la comédie à action révolutionnaire de Beaumarchais ; ce n’est pas plus que tout cela, mais c’est tout cela à la fois ; ou, pour mieux dire, ce n’est rien de tout cela.
Les tragédies mêmes qui ont pour sujet des traits de nos propres annales, sont exposées à beaucoup d’obscurité. […] Dans son horreur des éléments étrangers à la tragédie classique, Geoffroy s’attaqua même à Voltaire. […] Ces lois ne pesaient guère que sur la tragédie. […] » C’est ainsi que le grand interprète de la tragédie devinait le grand acteur du drame. […] Mais la tragédie ne convenait pas à sa nature exubérante et fougueuse.
Ses tragédies, malgré quelques taches, sont du premier ordre ; mais son comique n’est pas pris au cœur de la réalité. […] J’ai vu mettre de la bière et de l’eau-de-vie sur la table dans la tragédie d’Hamlet, et j’ai vu les acteurs en boire ! […] je n’ai pas de parti pris contre les tragédies en prose. […] « J’ai cru, je crois et je croirai que Paris est très supérieur à Athènes en fait de tragédies et de comédies. […] Je vous dirai hardiment que toutes les tragédies grecques me paraissent des ouvrages d’écoliers, en comparaison des sublimes scènes de Corneille et des parfaites tragédies de Racine. » Lettre à Horace Walpole.
Les poésies les plus religieuses, les tragédies d’un Corneille et d’un Racine ne sont pas dangereuses ! […] » Il indique aussi, comme bien supérieures à la tragédie de Racine, les tragédies de Sophocle qui avaient laissé l’amour à la comédie, « comme une passion qui ne pouvait soutenir le sublimité et la grandeur du tragique ! […] La tragédie, avant de se permettre des héros français, a attendu jusqu’à Voltaire. […] Un jour entre autres, dans une tragédie de M. […] — Ma foi, vivent les chefs-d’œuvre de l’ancienne tragédie !
Il n’y a que Racine ou une femme pour voir un sujet de tragédie dans Bérénice. […] Michaut a encore raison, c’est le type même de la tragédie racinienne, ou plutôt ce serait le type même de la tragédie racinienne si la tragédie racinienne n’avait qu’un type, ce que je suis très loin de croire. […] C’est une élégie douloureuse, c’est un thrène lyrique ; ce n’est pas une tragédie. […] Par exemple Corneille a fait de la tragédie religieuse. […] C’est une tragédie de Luce de Lancival, écrite par quelqu’un qui a eu un long commerce avec Leconte de Lisle.
Quoi qu’il en soit, je n’attente sur les droits d’aucun genre ni sur l’opinion de personne, puisque je ne classe pas mon ouvrage et que je déclare que je trouverai fort bon que ceux qui ont refusé aux pièces de Shakespeare le nom de tragédies, quoiqu’elles inspirent la terreur et la pitié, donnent à mon drame le nom de farce, quoiqu’il n’inspire pas le dégoût. […] Je lui parlai de cette étonnante conformité, il me fit cette modeste et remarquable réponse : « Il ne manquerait rien à ma gloire si je ressemblais en tout à M. de Voltaire ; mais peut-être serait-il plus heureux s’il me ressemblait davantage. » — Bodmer fit présent à Ramond du recueil de ses Tragédies historiques et politiques, dont la lecture lui prouva que le genre dans lequel le président Hénault avait échoué n’en était pas moins, dit-il, un genre excellent. Aussi le vit-on bientôt s’y exercer lui-même par un drame intitulé La Guerre d’Alsace (1780), et en tête duquel il invoquait comme autorités et comme précédents les tragédies historiques de Shakespeare, les tragédies politiques de Bodmer, et surtout le Goetz de Berlichingen de Goethe.
Si maintenant l’on m’objecte que cette théorie conjecturale serait admissible peut-être si Racine n’avait pas fait Athalie, mais qu’Athalie seule répond victorieusement à tout et révèle dans le poëte un génie essentiellement dramatique, je répliquerai à mon tour qu’en admirant beaucoup Athalie, je ne lui reconnais point tant de portée ; que la quantité d’élévation, d’énergie et de sublime qui s’y trouve ne me paraît pas du tout dépasser ce qu’il en faut pour réussir dans le haut lyrique, dans la grande poésie religieuse, dans l’hymne, et qu’à mon gré cette magnifique tragédie atteste seulement chez Racine des qualités fortes et puissantes qui couronnaient dignement sa tendresse habituelle. […] C’est le cas de Racine lorsqu’on vient à lui en quittant Molière ou Shakspeare : il demande alors plus que jamais à être regardé de très-près et longtemps ; ainsi seulement on surprendra les secrets de sa manière : ainsi, dans l’atmosphère du sentiment principal qui fait le fond de chaque tragédie, on verra se dessiner et se mouvoir les divers caractères avec leurs traits personnels ; ainsi, les différences d’accentuation, fugitives et ténues, deviendront saisissables, et prêteront une sorte de vérité relative au langage de chacun ; on saura avec précision jusqu’à quel point Racine est dramatique, et dans quel sens il ne l’est pas. […] il ne s’agissait que d’achever la fusion ; l’œuvre de réforme dramatique qui se poursuit maintenant sous nos yeux eût été dès lors accomplie. — C’est que, sans doute, dans la tragédie telle qu’il la concevait, Racine n’avait nullement besoin de ce franc et libre langage ; c’est que les Plaideurs ne furent jamais qu’une débauche de table, un accident de cabaret dans sa vie littéraire ; c’est que d’invincibles préjugés s’opposent toujours à ces fusions si simples que combine à son aise la critique après deux siècles. […] Nous croyons faire preuve d’un respect mieux entendu en déclarant le style de Racine, comme celui de La Fontaine et de Bossuet, digne sans doute d’une éternelle étude, mais impossible, mais inutile à imiter, et surtout d’une forme peu applicable au drame nouveau, précisément parce qu’il nous paraît si bien approprié à un genre de tragédie qui n’est plus.
Les Italiens ont-ils poussé très loin l’art dramatique dans leurs tragédies ? […] Il faut que l’auteur italien prenne tout en lui-même pour faire une tragédie, qu’il s’éloigne entièrement de ce qu’il voit, de ses idées et de ses impressions habituelles ; et il est bien difficile de trouver le vrai de ce monde tragique, alors qu’il est si distant des mœurs générales. La vengeance est la passion la mieux peinte dans les tragédies des Italiens36. […] Métastase cependant a su faire de ses opéra presque des tragédies, et quoiqu’il fût astreint à toutes les difficultés qu’impose l’obligation de se soumettre à la musique, il a su conserver de grandes beautés de style et des situations vraiment dramatiques.
C’est pourquoi Socrate dit, dans le Banquet de Platon, qu’il appartient au même homme de traiter la comédie et la tragédie , et que le vrai poète comique est en même temps poète tragique 133. […] Le fleuve de la tragédie, dans Shakespeare, ne roule pas seulement çà et là quelques paillettes d’or comique, mais tous ses flots sont phosphorescents. […] Ainsi Euripide débitait des maximes ; mais Aristophane, nouveau Moïse, fit tomber sur lui sa pluie de Grenouilles, pour le punir de sa morale affadissante167. — La tragédie française est non seulement terriblement froide, mais aussi froidement terrible.
. — tibère, tragédie de marie-joseph chénier au théatre-français. — article scandaleux de janin. […] — On a donné au Théâtre-Français Tibère, tragédie de Marie-Joseph Chénier, qui n’avait jamais pu être représentée jusqu’ici.
Elles exercèrent chacune une influence spéciale sur les deux grands génies qui fondèrent chez nous l’un et l’autre genre dramatique : Pierre Corneille, le père de la tragédie, fut soutenu dans sa puissante initiative par la littérature espagnole ; Molière, le comique, s’inspira davantage de l’art de l’Italie. […] Au moment où Jean-Baptiste Poquelin, entraîné par sa vocation, engagé dans la troupe de l’Illustre Théâtre, représentait aux fossés de Nesle ou au port Saint-Paul les tragédies de Tristan et de Magnon, ce n’étaient pas seulement les Montfleury, les Floridor, les Madeleine Beauchâteau qui lui enlevaient la faveur du public et rendaient l’Illustre Théâtre désert, c’étaient aussi Tiberio Fiurelli sous les traits du noir Scaramouche, Domenico Locatelli sous le masque de Trivelin, Brigida Bianchi sous les atours et le nom d’Aurélia.
. — Une preuve frappante que les premières fables furent des histoires, c’est que la satire attaquait non-seulement des personnes réelles, mais les personnes les plus connues ; que la tragédie prenait pour sujets des personnages de l’histoire poétique ; que l’ancienne comédie jouait sur la scène des hommes célèbres encore vivants. […] Jamais les Grecs et les Latins ne prirent un personnage imaginaire pour sujet principal d’une tragédie.
D’abord, le goût du temps avait peine à admettre un héros de tragédie qui n’était point amoureux. […] Jamais vous ne pleurerez à une tragédie, ni n’en aurez envie, je pense. […] … Et je songeais aussi combien cette tragédie, toujours jeune, a dû être neuve en son temps. […] C’était la nature qui reprenait possession du temple de la tragédie. […] Quelle tragédie en eût-il tirée ?
La tragédie. — § VI. […] De ce que la tragédie doit à Louis XIV. La tragédie est moins redevable à Louis XIV que la comédie. […] La tragédie, qui emprunte ses personnages aux traditions héroïques ou à l’histoire, peut naître et fleurir même aux époques d’agitation politique. […] C’est de ce côté-là surtout que le domaine de la tragédie devait s’étendre, et que des créations nouvelles étaient possibles après Corneille.
oui… — Tragédie en cinq actes et en vers, de Racine ? […] — Quand je lirais cent fois, cela ne changera rien à la phrase : Cinna, tragédie en cinq actes et en vers, de Racine. […] Buloz, pour accomplir sa mission conservatrice, qu’à trouver un homme qui pût faire pour la comédie ce que Mlle Rachel faisait pour la tragédie et le drame. […] L’affiche était donc conçue en ces termes : CINNA, Tragédie en cinq actes et en vers de Racine. […] Buloz une tragédie nouvelle.
La tragédie d’Eschyle et de Sophocle est née dans le sanctuaire, comme nos Mystères, et, comme nos Mystères, elle a gardé jusqu’à son dernier jour un vague souvenir du lieu de sa naissance. […] Pradon n’est pas seulement responsable et coupable d’avoir osé refaire une tragédie de Racine ; il est responsable encore de ce silence de douze ans que garda le poète. […] On le verra mieux encore si l’on relit les tragédies de la vieillesse de Corneille. […] Il est clair que partout il la rencontre, — lui qui ne regarderait pas à entre-croiser trois ou quatre intrigues dans une seule tragédie, — comme une barrière aux caprices de son invention dramatique. […] Encore, si la tragédie révolutionnaire, comme un mauvais drame romantique, n’avait pas versé de l’odieux dans le ridicule.
Mais quand on jouait la tragédie, les murs étaient tendus de noir. […] Si une forme nouvelle de tragédie devait sortir de nos mœurs actuelles et du génie de quelque grand poète, cette forme ne ressemblerait pas plus à la tragédie de Shakspeare qu’à celle de Racine. […] César, si simple par l’élévation même de son génie, ne parle presque dans cette tragédie qu’un langage fastueux et déclamatoire. […] La tragédie de Coriolan n’est pas moins vraie et moins née de Plutarque. […] Milton avait eu la pensée de mettre en tragédies un grand nombre de traits de l’histoire sainte.
Andronicus en joüant dans une de ses tragédies, fut obligé par les spectateurs à repeter tant de fois un endroit de la piece, qu’il s’enroüât de maniere qu’il fut obligé pour continuer à faire réciter les vers par un de ses esclaves accompagné du joüeur de flute, tandis que lui, Andronicus, il faisoit les gestes. […] Il dit en parlant d’une des parties du théatre, que c’étoit-là que les poëtes et ceux qui chantoient des tragédies ou des comédies, se plaçoient pour prononcer leurs recits, durant lesquels d’autres acteurs faisoient les gestes.
Deux orateurs célèbres, Fléchier et Bossuet le fixèrent, comme deux grands poètes avaient fixé l’art bien plus difficile de la tragédie. On peut observer que la tragédie, en se perfectionnant parmi nous, eut à peu près la même marche que l’éloquence. […] Deux tragédies de Rotrou.
Mais, malgré tout, le fond des cœurs et des esprits allemands n’a jamais pu être gagné à cette forme de tragédie symétrique, antithétique. […] Je transcris le passage du Mémorial où se trouve pour la première fois le mot qui a tant couru et qui, dans sa version vraie, est digne de Corneille lui-même : « La haute tragédie, disait l’Empereur à l’un de ses couchers à Saint-Cloud, est l’école des grands hommes. […] Il n’est pas nécessaire d’être poète pour la juger ; il suffit de connaître les hommes et les choses, d’avoir de l’élévation et d’être homme d’État. » Et s’animant par degrés : « La tragédie, disait-il, échauffe l’âme, élève le cœur, peut et doit créer des héros. […] Aussi, messieurs, s’il vivait, je le ferais prince. » Quand Napoléon parlait ainsi de cette tragédie qui transporte et qui élève, il n’avait pas seulement entendu ou lu du Corneille, il avait vu Corneille par Talma.
Comment voulez-vous que Corneille puisse trouver bon Racine, qui goûte les sujets que Corneille a toujours évités et les manières de traiter les sujets que Corneille très visiblement n’aime point, et qui se donne tout entier à la peinture de l’amour, sentiment que Corneille a toujours considéré comme trop chargé de faiblesse pour pouvoir soutenir une tragédie ? […] Même dans le langage de l’ancienne tragédie, il y avait pour lui beaucoup de choses choquantes, tout au moins inexplicables… . C’est ainsi qu’assis dans le théâtre, il réfléchissait longuement, inquiet et troublé, et il dut s’avouer, lui, le spectateur, qu’il ne comprenait pas ses grands devanciers… Dans cette angoisse, il rencontra l’autre spectateur (Socrate) qui ne comprenait pas la tragédie et pour ce motif la méprisait. Délivré de son isolement en s’alliant à celui-ci, il put oser entreprendre une guerre monstrueuse contre les oeuvres d’art d’Eschyle, de Sophocle, et cela non par des ouvrages de polémique, mais par ses œuvres de poète dramatique opposant sa conception de la tragédie à celle de la tradition. » Voilà donc le poète conscient, le poète qui comprend, le poète qui analyse, le poète qui est mêlé d’un critique et qui fera exactement ce qu’il aura voulu faire.
— Iphigénie, tragédie (1900). — Stances (1900). […] Cet heureux Athénien, après nous avoir restauré plus d’un genre lyrique, l’ode, la chanson, l’épigramme, l’épître, même la satire et surtout l’élégie qu’il a rendue si belle, nous promet une tragédie : la première représentation d’une nouvelle Iphigénie, imitée d’Euripide, dont quelques scènes achevées courent déjà de main en main, verra tous ces instincts classiques, refoulés depuis soixante ans aux veines de la France, prendre enfin leur revanche du désastre de Hernani.
Ainsi le sujet de l’imitation, c’est-à-dire, les évenemens de la tragédie et les expressions du tableau, font une impression legere sur les peintres et sur les poëtes sans génie, qui sont ceux dont je parle. […] Cependant Monsieur Despreaux avoüoit que très-souvent il étoit arrivé que les jugemens qu’ils portoient après une discussion methodique son ami et lui, sur les divers succès que devoient avoir differentes scénes des tragédies de cet ami, avoient été démentis par l’évenement, et qu’ils avoient même reconnu toujours après l’expérience, que le public avoit eu raison de juger autrement qu’eux.