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266. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

L’homme peut arriver par la raison à empêcher les actions réflexes sur son cœur ; mais plus la raison pure tendrait à triompher, plus le sentiment tendrait à s’éteindre. […] L’homme y tend par sentiment, mais il est clair qu’il ne pourra la posséder tant qu’il ignorera quelque chose, et la raison paraît nous dire qu’il en sera toujours ainsi. […] Toutes les sciences qui font usage de la méthode expérimentale doivent tendre à devenir anti-systématiques. […] Mais le savant ne doit pas s’arrêter en chemin il doit toujours s’élever plus haut et tendre à la perfection, il doit toujours chercher tant qu’il voit quelque chose à trouver. […] Un chirurgien de l’école de Paris, Pelletan, enseigne que la vie est la résistance opposée par la matière organisée aux causes qui tendent sans cesse à la détruire.

267. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

que n’ai-je des ailes pour m’enlever dans les airs et tendre incessamment vers lui ? […] combien de fois des groupes d’enfants, les mains tendues, ont dû se suspendre autour de ce trône patriarcal ! […] Il lui fait astucieusement entendre à demi-mot que son cœur est tendre et libre, et qu’il pourrait bien, s’il l’osait, se présenter à elle pour finir son dur veuvage. […] Pendant qu’ils s’éloignent, une scène de badinage amoureux, naïve et tendre, se laisse entrevoir et entendre dans un petit pavillon du fond du jardin entre les deux amants heureux de leurs aveux, affligés de leur séparation. […] Racine lui-même, qu’on appelle tendre, a-t-il soupiré ainsi dans Esther ?

268. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Chacune des haltes de ce voyage fut un tendre retour vers madame Récamier ; il demandait une plume à chaque auberge pour écrire un de ces retours de tendresse à Paris. […] J’ai beaucoup connu d’hommes publics, je n’en place aucun pour la pureté et la grandeur d’âme au-dessus de M. de La Ferronnays ; quand l’aristocratie adopte la raison publique, elle réconcilie en elle les deux parties du genre humain qui tendent toujours à se combattre, faute de se comprendre. […] Je laissai la route libre ; la calèche s’arrêta à la grille en bois de la métairie, et j’en vis descendre, entre les mains tendues des trois jeunes filles du métayer, la charmante Romaine, encore présente à ma mémoire depuis les bals de la rue de la Paix. […] Je suis trop malheureux ici sans vous. » À mesure que l’ennui, sa maladie obstinée, le gagne, ses lettres deviennent plus tendres. […] « L’amitié a ses cajoleries comme un sentiment plus tendre, et plus elle est vieille, plus elle est flatteuse, précisément tout l’opposé de l’autre sentiment.

269. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Sa beauté était une transparence ; on voyait au fond de son cœur, et tout ce qu’on y voyait était si bon, si tendre, si intelligent, si serein, si souriant et si compatissant à la fois, qu’on ne savait plus, en la regardant, si c’était l’enveloppe ou la personne qu’on admirait involontairement et unanimement en elle ; ou, pour mieux dire, on ne pensait plus à admirer, on s’attendrissait : l’attendrissement est la vraie forme, la forme pathétique de l’admiration. […] Le reste du temps appartenait à la solitude ; par moment le bruit d’une fenêtre qui s’entrouvrait en battant mélancoliquement contre la muraille, et le bras blanc de la comtesse Léna ou de sa fille qui écartait doucement le rideau pour laisser rentrer le demi-jour dans leur chambre, appelaient l’attention : un petit bâillement sonore qui s’échappait à haute voix de leurs lèvres au réveil, un doux et tendre oïmè ! […] « Angélique s’arrête à la fin dans un délicieux bocage dont une brise légère fait frissonner les feuilles ; deux clairs ruisseaux murmurent à son ombre ; leur onde fraîche y fait verdoyer en tout temps des herbes tendres et nouvelles ; les petits cailloux dont leur courant était ralenti leur faisaient rendre une suave harmonie qui charmait l’oreille. « Là, se croyant en pleine sécurité et éloignée de mille lieues de Renaud, lasse de la course et de l’ardeur du soleil d’été qui la brûle, elle prend la confiance de se reposer un moment ; elle descend de son coursier sur cette herbe en fleurs et laisse le palefroi débridé aller à son gré paître l’herbe tendre ; celui-ci erre en liberté autour des ruisseaux limpides qui ravivaient d’une verdure appétissante leurs bords humides. […] Car remarquez qu’il a donné à son héroïne le nom de la tendre veuve de Florence, dont il fut l’adorateur pendant son âge mûr et jusque dans ses jours avancés.

270. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

L’Europe, plus tard ce sera le monde, tend à l’unité. […] Elle y tend tout naturellement. […] Pourquoi aurait-il tendu ces pièges à sa créature ? […] A mesure qu’il s’organise mieux, le commerce tend à sa suppression ; par son perfectionnement il tend à la mort. […] Son mysticisme doux et tendre était devenu fougueux, ardent et agressif.

271. (1902) La poésie nouvelle

Méthodique, sévère, très religieuse, et plus énergique que tendre, elle menait son petit monde conformément à ses doctrines indiscutables. […] Et l’autre, quand il vint, il était ‌ Dans sa jeunesse tendre ! […] Étrange morte, vivante en allégorie lointaine de Beauté, guerrière, et douce exilée vers qui se tend la nostalgie éternelle des cœurs, — étrangère et voyageuse !‌ […] Elle tend les fleurs au bien-aimé, elle lui tend ses lèvres, humides d’avoir baisé les fleurs, elle lui tend ses seins qui palpitent et tout son doux corps délicieux, tiède en l’attente des voluptés. […] D’autres sont d’une grâce plus tendre et légère, profils gravés sur des médailles, sentences précieuses, tableaux champêtres.

272. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Les poèmes de Bertautg et de Ronsard nous ont appris à ne plus nous guinder pour paraître grands, et surtout à ne plus tendre à des sublimités inintelligibles. […] Ce n’est plus cette porte que l’on voit, c’est la plus tendre des mères, le plus chéri des enfants, le plus grand et le plus heureux des rois, et le souvenir attendrissant de cette grandeur évanouie. […] N’est-ce pas ainsi que le tendre Nisus, égaré loin de son Euryale, revole à son secours au-devant de la mort qu’il reçoit avec lui ? […] Ce seul exemple renverserait le système de cette perfectibilité présumée, qui ne me paraît qu’une chimère où tend notre orgueil trompé de jour en jour. […] Néanmoins, la quantité des objets qu’il fait reluire, en passant, ne l’écarte, ni ne le détourne de l’unité d’action, vers laquelle il tend sans cesse, comme au seul but où doivent converger tous ses rayons poétiques.

273. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Dehèque (car c’est lui), un savant modeste, aimable, qui n’a cessé, dès sa tendre jeunesse, de cultiver les lettres grecques au milieu des soins d’une administration laborieuse, et que l’Institut a fini par reconnaître et adopter pour l’un des siens ; M.  […] S’étant essayé avec succès dans la plupart des genres, excepté le tendre, il nous sera comme un abrégé vivant de l’Anthologie, dans sa partie du moins la plus honorable et la plus digne. […] » C’est de lui cette épigramme tant goûtée des connaisseurs sur la Vénus Anadyomède, sur la Vénus d’Apelles : « Échappée à peine du sein de sa mère et encore toute frémissante d’écume, lorsque Apelles eut vu la tendre Cypris, la beauté même, il l’a rendue non pas en peinture, mais toute vive. […] Que vos agneaux au moins viennent, près de ma cendre, Me bêler les accents de leur voix douce et tendre, Et paître auprès d’un roc où, d’un son enchanteur, La flûte parlera sous les doigts du pasteur.

274. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Mme Champagneux m’y avait autorisé, en se fiant à moi du soin d’expliquer et de présenter sous leur vrai jour, ou même de passer tout à fait sous silence certaines confidences des Mémoires, qu’elle m’avait d’ailleurs à peine indiquées, désirant ou ne trouvant pas mauvais que j’en eusse connaissance, mais évitant elle-même de s’y arrêter. » Il faut le savoir en effet, et c’est un sujet fort digne de réflexion : la fille de Mme Roland, cette Eudora si cultivée par sa mère et dont elle avait soigné l’éducation jusqu’à l’âge de onze ans avec un zèle éclairé et tendre, Eudora était devenue fort religieuse, — disons le mot, fort dévote avec les années. […] « Dans la tendre vénération qu’elle portait à la mémoire de son père, et qui était restée gravée en elle comme l’impression la plus ineffaçable de son enfance », elle n’avait rien tant à cœur, nous apprend M.  […] Tendre fille d’une femme forte, son cœur faisait illusion à son esprit. […] Et puis la légende tend sans cesse à pousser dans ces émouvants récits comme une herbe folle : il faut, à tout moment, l’en arracher.

275. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Lord Wellington, retrouvant peu de temps après Franceschi prisonnier, lui rendait justice en ces propres termes : « Monsieur le général, dans cette retraite, j’ai été plus content de vous que de mon général de cavalerie ; vous n’aviez que 600 chevaux, lui en avait 1,500, il avait du canon, et je le soutenais avec une division d’infanterie ; mais vos manœuvres ont été si habiles, vos mouvements si prompts, vos charges exécutées avec tant d’assurance, que moi-même je vous ai toujours soupçonné d’avoir de l’infanterie derrière vous et de me tendre un piège, ce qui m’a fait constamment agir avec mes masses. » Ici tout s’arrête. […] Ce malheureux ami, mes camarades, tendaient leurs mains vers moi à travers la grille et m’adressaient leurs vœux pour le succès de mon voyage. » Après le départ du capitaine de Saint-Joseph, c’est l’aide de camp Bernard qui devient le narrateur et qui adresse à son camarade la relation des derniers mois de cette triste captivité. […] Le général Franceschi ne meurt pas seulement comme un soldat, avec le courage, la résignation et en silence ; il meurt comme un homme, payant tribut à chaque affection, épuisant en quelque sorte la nuance de chaque sentiment : « Vainement, nous dit l’aide de camp fidèle, je retournai auprès de son lit et m’efforçai de lui persuader que le médecin n’avait pas dit ce qu’il croyait avoir entendu : il me tendit la main, me la serra en me regardant tendrement, et quelques larmes sillonnèrent son visage. […] Il nous tendit la main à tous l’un après l’autre, nous remercia des soins que nous lui avions donnés, fit des vœux pour notre bonheur et nous congédia.

276. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Lamartine De tout temps et même dans les âges les plus troublés, les moins assujettis à une discipline et à une croyance, il y a eu des âmes tendres, pénétrées, ferventes, ravies d’infinis désirs et ramenées par un naturel essor aux régions absolues du Vrai, de la Beauté et de l’Amour. […] Et pourtant les âmes tendres, élevées, croyant à l’exil de la vie et à la réalité de l’invisible, n’avaient pas disparu : la religion, sous ses formes rétrécies, en abritait encore beaucoup ; la philosophie dominante en détournait quelques-unes, sans les opprimer entièrement ; mais toutes manquaient d’organe général et harmonieux, d’interprète à leurs vœux et à leurs soupirs, de poëte selon le sens animé du mot. […] Regarde-toi au milieu de ces secrètes et intérieures insinuations qui stimulent si souvent ton âme, au milieu de toutes les pensées pures et lumineuses qui dardent si souvent sur ton esprit, au milieu de tous les faits et de tous les tableaux des êtres pensants, visibles et invisibles, au milieu de tous les merveilleux phénomènes de la nature physique, au milieu de tes propres œuvres et de tes propres productions ; regarde-toi comme au milieu d’autant de religions ou au milieu d’autant d’objets qui tendent à se rallier à l’immuable vérité. […] Puis la nacelle est devenue une barque plus hardie, plus confiante aux étoiles et aux larges eaux : le rivage s’est éloigné et a blanchi à l’horizon ; mais de la rade on y revenait encore, on y recueillait encore de tendres ou cruels vestiges ; on y voyait à chaque approche comme plusieurs phares scintillants qui vous rappelaient : c’était trop s’éloigner ou trop souvent revenir.

277. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

« Les âmes froides n’ont que de la mémoire ; les âmes tendres ont des souvenirs, et le passé pour elles n’est point mort, il n’est qu’absent. […] Ces quelques pages du Mercure se terminaient par cette pensée, qui exprimait à ravir son rêve et sa prétention du moment : « La mélancolie des âmes tendres et vertueuses est la station entre deux mondes. […] Voici, j’imagine, à peu près comme il raisonnerait, et j’emprunterai le plus que je pourrai les paroles mêmes des maîtres : « Les dames galantes qui se donnent à Dieu lui donnent ordinairement une âme inutile qui cherche de l’occupation, et leur dévotion se peut nommer une passion nouvelle, où un cœur tendre, qui croit être repentant, ne fait que changer d’objet à son amour194. […] « Mme de Krüdner flottait entre quarante et cinquante ans, âge ingrat pour les femmes, quand elle se convertit décidément : avec ses goûts tendres, avec sa complexion sentimentale et mystique, qu’avait-elle de mieux à faire ?

278. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Son père était sévère comme le temps ; sa mère, tendre comme la soumission ; ses sœurs, belles comme la modestie ; lui, sauvage et insoumis comme la solitude. […] M. de Chateaubriand avait, nous le savons, un tendre ami, Fontanes ; cet ami était intimement lié avec M.  […] « Les femmes qui accompagnaient la troupe témoignaient pour ma jeunesse une piété tendre et une curiosité aimable. […] Elle joignait à cela des grâces plus tendres ; une extrême sensibilité, unie à une mélancolie profonde, respirait dans ses regards.... » XXI On arrive au grand village d’Atala, la veille de la mort du prisonnier.

279. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

On sait que le roman, œuvre d’amusement et de pure imagination à l’origine, s’est transformé peu à peu, qu’il a serré de plus en plus la réalité, qu’il tend à devenir une peinture véridique et minutieuse de toute la vie contemporaine. […] Elles ne sont ni tendres ni même sentimentales. […] Avec toutes ses affectations d’immoralité, il est constamment bon, tendre, généreux. […] A parler franc, Monsieur de Camors est un roman contradictoire si l’on considère la thèse dont il est la prétendue démonstration ; mais je me hâte de dire que, si cette thèse était éliminée, si le héros de ce dramatique récit nous était donné pour ce qu’il est, à savoir pour une âme tendre et faible aux prises avec une doctrine de dilettantisme absolu trop forte pour elle, et qui inflige à son programme de vie de continuels et douloureux démentis, j’aimerais beaucoup Monsieur de Camors.

280. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

C’est Léa qui vient faire sa paix, les lèvres ouvertes et les bras tendus. […] ce jeune artiste si affectueux pour son père, si tendre à sa jeune femme qu’il lui adressait, tout à l’heure des litanies, comme à une sainte Vierge, le voilà qui, d’un jour à l’autre, se transforme en fils dénaturé, en mari sans cœur ! […] Mademoiselle de Birague, que ses assiduités importunent, lui tend un piège à déclaration, pour avoir le droit de le congédier tout à fait. […] Il pleut de l’or dans la valise de voyage qu’il tend au public.

281. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Mademoiselle, dès sa tendre enfance, témoignait plus de fierté et plus d’honneur. […] Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir, j’ai perdu tous mes amis ; MM. de Nemours, de La Rochefoucauld et Clinchamp, sont blessés à mort. » Je l’assurai qu’ils étaient en meilleur état qu’il ne les croyait… Cela le réjouit un peu, il était tout à fait affligé ; lorsqu’il entra, il se jeta sur un siège, il pleurait et me disait : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien ; pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ses amis et pour ce qu’il aimait. […] C’étaient des révérences profondes, des assurances de soumission à n’en pas finir, mais il faisait la sourde oreille à toute parole tendre ; et non seulement lui, mais Baraille, officier de sa compagnie, et qui était son homme de confiance, faisait de même : Toutes les fois que je le rencontrais (Baraille), je le saluais, nous dit Mademoiselle, pour lui donner quelque envie de m’approcher ; il faisait toujours semblant de croire que c’était à quelque autre personne que je m’adressais, et me faisait cependant de profondes révérences d’un côté, et se retirait de l’autre : dont j’étais au désespoir. […] Si Mademoiselle n’avait pas eu l’idée de mariage, il l’y aurait amenée et contrainte par sa conduite, tant il était soigneux à ne se prêter à aucune ouverture simplement tendre ou galante.

282. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Poète dont chacun sait le talent, mais homme dont ceux qui l’ont approché savent seuls toute la noblesse et la délicatesse de cœur, il considérait comme un devoir, lui, arrivé le premier, de tendre la main à ceux qui viendraient ensuite, et nous le trouvons également aux débuts d’Hégésippe Moreau et à ceux de Pierre Dupont. […] Vieux vagabond qui tends la main,     Enfant pauvre et sans mère, Puissiez-vous trouver en chemin     La ferme et la fermière ! […] Il fallait à Hégésippe Moreau, comme à tous les poètes doux et faibles, sauvages et timides, tendres et reconnaissants, il lui aurait fallu une femme, une sœur, une mère, qui, mêlée et confondue avec l’amante, l’eût dispensé de tout, hormis de chanter, d’aimer et de rêver : Cependant, avec la santé qui lui revenait, la nécessité, et aussi le génie ou le démon qui ne pardonne pas, le ressaisirent. […] La faiblesse tendre qui a besoin d’appui, la souffrance et le martyre d’un être délicat, se retrouvent mêlés à de l’espièglerie et à de la lutinerie gracieuse dans La Souris blanche ; c’est le plus joli conte de fées et le plus attendrissant ; c’est moins naïf que Perrault, mais aussi aimable, aussi léger, et cela ne se peut lire jusqu’à la fin sans une larme dans un sourire.

283. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

« Il n’est point, selon lui, de poète qui tende plus de pièges à son traducteur » ; il compte parmi ces pièges les hardiesses et les comparaisons de tout genre dont quelques-unes lui semblent intraduisibles dans leur crudité. […] L’honneur est tendre et se blesse de peu : tel est le goût ; et, tandis que le jugement se mesure avec son objet, ou le pèse dans la balance, il ne faut au goût qu’un coup d’œil pour décider son suffrage ou sa répugnance, je dirais presque son amour ou sa haine, son enthousiasme ou son indignation, tant il est sensible, exquis et prompt ! […] À Paris, on n’en était pas dupe : « En vain les trompettes de la Renommée ont proclamé telle prose ou tels vers ; il y a toujours dans cette capitale, disait Rivarol, trente ou quarante têtes incorruptibles qui se taisent ; ce silence des gens de goût sert de conscience aux mauvais écrivains et les tourmente le reste de leur vie. » Mais, en province, on était dupe : « Il serait temps enfin, conseillait-il, que plus d’un journal changeât de maxime : il faudrait mettre dans la louange la sobriété que la nature observe dans la production des grands talents, et cesser de tendre des pièges à l’innocence des provinces. » C’est cette pensée de haute police qui fit que Rivarol, un matin, s’avisa de publier son Petit almanach de nos grands hommes pour l’année 1788, où tous les auteurs éphémères et imperceptibles sont rangés par ordre alphabétique, avec accompagnement d’un éloge ironique. […] Le sentiment qui anime les derniers chapitres, et qui fait que cet homme au cœur trop desséché par l’air des salons se relève et surnage, par l’intelligence, du milieu de la catastrophe universelle, me rappelle quelque chose du mouvement d’un naufragé qui s’attache au mât du navire, et qui tend les bras vers le rivage.

284. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur, et l’on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la présence des grands, et de tous ceux que l’on respecte : Est-ce une peine que l’on sent à laisser voir que l’on est tendre, et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujet faux, et dont il semble que l’on soit la dupe ? […] Ce n’est donc pas un tissu de jolis sentiments, de déclarations tendres, d’entretiens galants, de portraits agréables, de mots doucereux, ou quelquefois assez plaisants pour faire rire, suivi à la vérité d’une dernière scène où les3 mutins n’entendent aucune raison, et où, pour la bienséance, il y a enfin du sang répandu, et quelque malheureux à qui il en coûte la vie. […] Il semble qu’il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qui tendent un peu plus à une même chose ; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action ; à qui le grand et le merveilleux n’ont pas même manqué, ainsi qu’à Corneille, ni le touchant ni le pathétique. […] Celui qui n’a égard en écrivant qu’au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu’à ses écrits : il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre.

285. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

. — En général, depuis dix ans, l’effort de la critique tend à ruiner l’influence romantique dans le livre et au théâtre, soit au profit d’un art social, soit au profit d’une renaissance classique, ou si vous le voulez d’une renaissance latine. […] « Il a tendu sa main fière à la fille Élisa et ne la peut plus retirer… » MM.  […] Tout l’art du critique doit tendre à distinguer ce qui est conforme au génie d’une langue et non à suivre le goût public ou la mode. […] Il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice qui nous est refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre… » Certes, nous croyons défendre aussi la pensée classique et la tradition française, de clarté, de sobriété et de mesure, ce qui ne veut pas dire que nous louerons les pâles épigones et les imitateurs et les plagiaires27.

286. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Krauss raconte qu’une nuit, en se réveillant, il s’aperçut qu’il tendait encore les bras vers ce qui avait été, dans son rêve, une jeune fille, vers ce qui n’était plus maintenant que la lune, dont il recevait en plein les rayons. […] En général, quand il s’est produit une fois, il tend à se reproduire, et à chaque nouvelle expérience on se dit : « J’ai souvent rêvé que j’évoluais au-dessus du sol, mais cette fois je suis bien éveillé. […] Nous nous résumerons en disant que les mêmes facultés s’exercent, soit qu’on veille soit qu’on rêve, mais qu’elles sont tendues dans un cas et relâchées dans l’autre. […] Que la mémoire interprétative se tende, qu’elle fasse attention à la vie, qu’elle sorte enfin du rêve : les événements du dehors scanderont sa marche et ralentiront son allure — comme, dans une horloge, le balancier découpe en tranches et répartit sur une durée de plusieurs jours la détente du ressort qui serait presque instantanée si elle était libre.

287. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Francis Jammes, arrivé à la fête des Rameaux, nous dit en quelques vers une histoire de Jésus belle et tendre ainsi que les vieilles gravures que l’on clouait dans les alcôves. […] Bois les baisers de ta douce et tendre fiancée. […] Le grand gibet dans l’herbe tendre, la meule dorée dans le grand pré. ― Roi ! […] et tend à la lumière le hasard agrippant et l’unité première de son geste ingénu qui ne se sait porteur des soirs d’Hérédités, ― et tend à la lumière ronde du haut soleil son geste triomphant d’être du monde ! […] Bataille, encore épars, ne semblent pas contrarier cette impression : il y demeure le rêveur nerveusement triste, passionnément doux et tendre, ingénieux à se souvenir, à sentir, à souffrir.

288. (1940) Quatre études pp. -154

Il réussissait ce paradoxe, d’être à la fois tendre et voltairien. […] Et certes, ils étaient beaux, ses vers, avec leurs aveux retenus, leurs tristesses refoulées, leur accent si tendre, si gouailleur, et si triste. […] Si l’esprit critique demeure en eux, ou s’il vient à réapparaître inopportunément, leur rêve s’écroule, comme s’écroulent les palais enchantés de Lamia et comme s’évanouit la tendre Lamia elle-même. […] Elle dépoétisera l’arc-en-ciel, comme jadis elle fit pour la tendre Lamia, qui s’est dissoute en une ombre… » (Keats, Lamia.) […] L’atome de Maupertuis tend à comprendre ; il tend à percevoir, et comme tel, il est indissoluble : « la perception étant une propriété essentielle des éléments, il ne paraît pas qu’il puisse périr, diminuer, ni s’accroître… » (Par. 

289. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Madame Tastu, par un délicat hommage d’amitié, s’avoue l’élève de madame Dufresnoy ; mais qu’il y a loin de ses pieux et tendres accents à des élégies qui ne sont le plus souvent que de pâles et sèches imitations de Parny ! […] Hugo devait cette étonnante précocité et à la trempe de son âme et aux circonstances de ses plus tendres années.

290. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Pourtant, autant qu’il nous semble, la Pologne philosophique, raisonneuse, érudite, celle que Lelewel nous représente si vénérablement, et qui n’est pas tout à fait la Pologne dévote et naïve de Skrzynecki, cette Pologne qui est en minorité, je le crois, mais que d’inévitables lumières tendent à agrandir et à recruter, trouvera des objections de bon sens et de répugnances judicieuses contre certains préceptes d’un livre d’ailleurs si vivifiant et si salutaire. […] Un hymne de M. de La Mennais à la Pologne termine ce volume avec la douceur et l’harmonie d’une virginale prière ; car ce grand écrivain, assez connu par l’énergie brûlante de sa plume, une fois hors de la polémique, retrouve une onction tendre et une délicieuse fraîcheur d’âme.

291. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Cette idée manque de justesse ; les arts ont un terme, je le crois, au-delà duquel ils ne s’élèvent pas ; mais ils peuvent se maintenir à la hauteur à laquelle ils sont parvenus ; et dans toutes les connaissances susceptibles de progression, la nature morale tend à se perfectionner. […] Il fallait que les avantages de la société devinssent universels ; car tout dans la nature tend au niveau ; mais les douceurs de la vie privée, la diffusion des lumières, les relations commerciales établissant plus de parité dans les jouissances, apaiseront par degré les sentiments de rivalité entre les nations.

292. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Le type de l’homme de cabinet, savant ou lettré, à qui il est indifférent que l’Europe soit en feu, pourvu qu’il ait trois mille verbes bien conjugués dans ses tiroirs, tend à se constituer. […] Tant par le détail que par la couleur générale de sa traduction, il modernise le monde gréco-romain, et par ce travestissement involontaire il tend à prévenir l’éveil du sens des différences, c’est-à-dire du sens historique.

293. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre IX. L’avenir de la Physique mathématique. »

Les lois sont plus simples, mais elles sont de toute autre nature et pour ne citer qu’une de ces différences, pour les harmoniques d’ordre élevé le nombre des vibrations tend vers une limite finie ; au lieu de croître indéfiniment. […] On l’a tenté de bien des manières ; mais il y en a une entre autres que je voudrais vous faire remarquer ; ce n’est pas l’explication qui tend aujourd’hui à prévaloir, mais c’est une de celles qui ont été proposées.

294. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

(Bidault tend sa note. […] (Nichot, Bidault, Cascaret, Poupardot tendent vers lui une main avide.)

295. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

et ce que j’aime et veux vous montrer, c’est le Monselet nouveau, le Monselet inconnu tendre et chaste, et de cette nuance de mélancolie qui est le velouté de l’âme des poètes et que rien de la vie qu’ils ont menée ne détruit, quand une fois ils l’ont. […] Je m’étais éloigné de cette aimable toile, Et je voyais toujours l’enfant aux yeux d’étoile ; Et je me surprenais, en marchant, à songer : « Je veux dire à mes fils les leçons du berger, « Leur tailler des pipeaux, et leur faire comprendre « À quel point l’Art est doux, consolateur et tendre ! 

296. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Elle était assez jeune et belle toujours, délicieuse de grâce ; petite, blanche, blonde, de ces cheveux d’un blond cendré qui ne sont qu’à Valérie, avec des yeux d’un bleu sombre ; une voix tendre, un parler plein de douceur et de chant, comme c’est le charme des femmes livoniennes ; une walse enivrante, une danse admirée. […] Comme on retrouve là cette frêle et tendre adolescence jetée au bord de l’abîme, cette nature d’âme aimable, mystique, ossianesque, parente de Swedenbourg, amante du sacrifice, ce jeune homme qui, comme René, a dépassé son âge, qui n’en a su avoir ni l’esprit, ni le bonheur, ni les défauts, mais que le Comte, d’une voix moins austère que le Père Aubry pour Chactas, conviait seulement à ces douces affections qui sont les grâces de la vie, et qui fondent ensemble notre sensibilité et nos vertus ! […] Si l’on a pu dire de la conversion de quelques âmes tendres à Dieu : C’est de l’amour encore, il semble que le mot aurait dû être trouvé tout exprès pour elle. […] Après tout, sous une forme particulière, dans son langage biblique vague, mais avec un sentiment vivant et nouveau, Mme de Krüdner n’a fait autre chose qu’entrevoir à sa manière et proclamer de bonne heure, du sein de l’orage politique, cette plaie du néant de la foi, de l’indifférence et de la misère moderne, qu’avec plus ou moins d’autorité, de génie, d’illusion et de hasard, ont sondée, adoucie, aigrie, déplorée et tourmentée tour à tour ceux qui, en des sens divers, tendent au même but de la grande régénération du monde, Saint-Martin, de Maistre, Saint-Simon, Ballanche, Fourier et La Mennais. […] Et lui, comme un ami tendre, L’enlaçoit d’un air d’entendre Ce bonheur qu’on me défend.

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