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760. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Ces deux sortes de périodes s’unissent enfin en paragraphes selon certaines lois rhythmiques ; car la prose de Flaubert est belle de la beauté et de la justesse des mots, de leur tenace liaison, du net éclat des images ; mais elle charme encore la voix et l’oreille par l’harmonie qui résulte du savant dosage des temps forts et des faibles. […] « Il était empêché d’ailleurs par une sorte de crainte religieuse. […] Enfin sa façon de joindre ces sortes de mots déterminèrent les autres caractères de son art. […] La difficulté de bien faire cette sorte de phrase, la peine qu’elle lui donnait proscrivant toute prolixité, le fit condenser ses descriptions et ses analyses, en leurs points les plus significatifs, rendit son style tendu et stable. L’énorme tension intellectuelle qu’exigeait cette sorte de phrase, le fit concentrer en elle, en sa facture et en sa disposition rhythmique, la plupart de ses forces, et le rendit moins attentif à la composition générale.

761. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

L’abbé Fléchier76 Les Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours d’Auvergne, dont il n’avait été donné jusque-là que de rares et courts extraits, ont été publiés pour la première fois en 1844, et ont obtenu aussitôt le plus grand succès dans le monde et parmi les esprits cultivés, en même temps qu’ils ont soulevé toutes sortes de controverses dans quelques parties de la province. […] Vénus répond à son fils en le consolant, et lui dit qu’il ne faut pas désespérer à ce point du rebelle Alcandre : Plus ses vœux sont tardifs, plus ils seront constants ; Il diffère d’aimer pour aimer plus longtemps, Et sa chaîne, mon fils, qu’il traîne de la sorte, En sera quelque jour plus durable et plus forte ; Relève ton espoir, et choisis seulement Une parfaite amante à ce parfait amant. […] Lorsque Louis XIV prit en main le gouvernement après la mort de Mazarin, l’Auvergne était un des pays les plus signalés par le nombre comme par l’impunité audacieuse des crimes ; dès 1661 et dans les années suivantes, les intendants ne cessaient d’y dénoncer à Colbert toutes sortes d’abus de pouvoir et d’excès de la part des nobles, protégés et couverts qu’ils étaient par les officiers mêmes de justice : ce fut aussi l’Auvergne que l’on jugea à propos de choisir pour commencer la réparation dans le royaume. […] Il considère les Grands Jours comme une sorte de tragi-comédie, et il y dispose le touchant, l’horrible, le gai, avec alternative et comme on assortit des nuances. […] Un peu avant son retour il envoyait un exemplaire de ce petit poème à l’éternel et inévitable Chapelain, qui lui répondait (11 février 1666) : J’ai eu un fort grand sujet de contentement dans la lecture de votre poème latin sur la justice des Grands Jours, qui est sans doute l’un de vos meilleurs, bien qu’il ne sorte rien que d’excellent de vous.

762. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Dans la première forme de société, chez les Klephtes, chez les montagnards des Asturies, par exemple, chacun plus ou moins était poëte, chacun exhalait au ciel sa romance ou sa chanson, et n’en vivait que mieux et plus allègrement de toutes les saines et énergiques facultés de l’âme et du corps : ici, à cette autre phase extrême de la société, il se crée une situation inverse : la faculté poétique qui, aux époques intermédiaires, s’était successivement amortie et calmée dans beaucoup d’organisations occupées ailleurs, et s’était tenue à part et distincte en quelques hautes organisations couronnées, cette faculté revient avec une sorte de recrudescence, et se remue, se loge dans un nombre croissant de jeunes âmes. […] Si l’art, la poésie, se doivent jamais appeler le produit précieux d’un mal caché, ce n’est pas de l’art, de la poésie d’Homère et de Sophocle, ni de celle de Dante, ni de celle de Shakspeare, de Molière et de Racine, qu’on peut dire cela : ces sortes de poésies, quelque travaillées qu’elles semblent, demeurent toujours le riche et heureux, couronnement de la nature, ramis felicibus arbos ; mais c’est bien de la poésie de Jean-Jacques, de Cowper, de Chatterton, du Tasse déjà, de Gilbert, de Werther, d’Hoffmann, et de son musicien Kreisler, et de son peintre Berthold de l’Église des Jésuites, et de son peintre Traugott de la Cour d’Arthus, c’est de toutes ces poésies, et c’est aussi de celle de Stello, qu’on peut à bon droit le dire. […] Je m’étonne souvent que lorsqu’il paraît de ces sortes de livres, il ne se fasse pas entendre un grand cri de toute la France, comme d’un seul homme qui dirait : Ah ! […] « 14 juillet 1829. » La lettre suivante a plus d’importance, puisqu’elle roule tout entière sur cette méthode même de critique que j’essayais alors pour la première fois avec quelque étendue dans mes articles de la Revue de Paris : De Vigny qui en parlait de la sorte au début, et avec une complaisance infiniment trop marquée pour être mise sur le compte de la simple politesse, était certes bien loin d’estimer cette façon d’analyse fausse et mauvaise en soi, et, peu s’en faut, impie dans son application aux poëtes : il a attendu pour cela qu’elle le prît lui-même au vif pour sujet et qu’elle n’entrât pas absolument dans le joint de son amour-propre : « 29 décembre 1829. […] Cette pièce singulière, intitulée Flux de mélancolie, commence de la sorte : « Dans l’état où je suis, il n’y a que Dieu qui puisse me consoler… Je suis si ennuyé du monde que, si ce chagrin me continue, j’espère au moins qu’il m’en tirera bientôt.

763. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

tout un verger riche et fertile, et qui ploie sous l’abondance des fruits, fruits de toute sorte, mais bien gaulois de sève et de saveur. […] C’est pourtant au xiii e siècle seulement, ce siècle de génie, de véritable et universelle invention, m’il convient, ne l’oublions pas, de rapporter les plus jolies branches et rapsodies de cette libre épopée satirique, celles qui ont encore naïveté et grâce dans l’ironie, une sorte de candeur, et en qui ne percent pas trop outrageusement l’allégorie et la satire tout intentionnelle qui sera l’esprit du Renart final. […] Quoi qu’il en soit de ces meilleures veines entremêlées et persistantes, et de quelques honorables exceptions qui retardent sur le siècle, telles que la Chronique rimée de Du Guesclin et le Combat des Trente, ce fragment épique du plus rude et du plus grand caractère, ce poème d’honneur qui nous rappelle le ton de la Chanson de Roland, la décadence durant tout le xiv e siècle se continue et, qui pis est, elle s’ignore, elle s’applaudit, elle foisonne et se diversifie à plaisir en toute sorte de subtilités et de fausses gentillesses. […] Les formes compliquées de cette poésie mènent très-vite à une sorte de grimoire. […] Malgré l’épuration sensible qui s’était faite dans la poésie française depuis Marot, et l’aisance aimable qu’il y avait introduite, on n’était point encore sorti de la fausse voie qui avait ramené notre langue à une sorte d’enfance, à une puérilité laborieuse.

764. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Le tout a fini par composer une sorte de ramage très diversifié et, complet qui ; durait un quart d’heure de suite et recommençait dix fois par jour. […] Il devenait attentif en les revoyant respirait plus vite, faisait une sorte de bruissement avec ses lèvres et, vers le troisième mois, souriait. — Ensuite il a reconnu les autres figures, celles de sa mère, de sa grand’mère, de sa petite sœur. — Vers la même époque, on voyait son attention se fixer sur le dos d’un fauteuil d’une couleur vive et tranchée, sur un rideau, sur le jour qui venait par la fenêtre, sur la lumière d’une lampe. […] Présentement (septième mois), il émet ces sortes de sons (toujours avec ah, gue, gre comme fonds de son vocabulaire) pendant un quart d’heure de suite, avec une étonnante variété d’intonations. […] Après la cuiller, ç’a été un rond de serviette ; aujourd’hui (treizième mois), il s’y intéresse encore, surtout quand on le fait tourner sur son axe, ce qui fait une sorte de brouillard sphérique. […] Selon lui, il y a deux sortes de langages, l’un qu’il appelle émotionnel et qui nous est commun avec les brutes, l’autre qu’il appelle rationnel et qui est propre à l’homme.

765. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Tandis que le poème héroïque s’évanouit pour plaire aux nobles dans la chevalerie carnavalesque des Vœux du Paon, il aboutit quand on s’adresse a la roture, à la chevalerie joviale de Baudouin de Sebourc, cette sorte de Du Gueselin vert-galant, à qui sa bravoure enragée contre la féodalité et la maltôte tient lieu de toutes vertus. […] Mais dans tout cet esprit, tout cet art, il n’y a pas un grain de poésie : ni intimité, ni personnalité : pas un mot qui sorte de l’âme ou la révèle. […] Ne lui demandons ni idées, ni sentiments, ni personnalité intellectuelle et morale d’aucune sorte : mais s’il s’agit de montrer un chevalier en armes, une armée en bataille, le travail sanglant d’une mêlée, ou bien une entrée de reine, l’éclat des tournois, noces et curoles, c’est notre homme. […] Que du reste Deschamps, avec son rude langage, dans ses vers martelés et pénibles, ait souvent de la force, de l’éclat, de l’originalité, une sorte de mâle et brusque fierté qui rappelle, par moments, l’accent de Malherbe, il n’y a pas à le contester. […] Il se produit alors, en effet, une sorte de réveil de l’humanisme.

766. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Comme je n’avais pas en mon esprit ces sortes de cloisons étanches, le rapprochement d’éléments contraires qui, chez M.  […] Tout cela fait une sorte d’encyclopédie très fortement enchaînée. […] Le dogme chrétien s’est fait, comme toute chose, lentement, peu à peu, par une sorte de végétation intime. […] Les personnes qui n’ont pas l’esprit scientifique ne comprennent guère qu’on laisse ses opinions se former hors de soi par une sorte de concrétion impersonnelle, dont on n’est en quelque sorte que le spectateur. […] Le christianisme m’apparaissait comme plus grand que jamais, mais je ne maintenais plus le surnaturel que par un effort d’habitude, par une sorte de fiction avec moi-même.

767. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Certains des contes analytiques inspirent déjà une sorte de vague effroi par le calme glacial, la netteté livide dont Poe raconte quelque monstrueux assassinat, et désigne les plaies. […] Elle est dans ces œuvres suprêmes purifiée et assuavie, teintée de tendresse, ombrée d’une sorte de mysticisme qui l’exalte et l’apaise. […] Il semble que l’artiste pour son écrit le plus bref ou le plus étendu, avant ressenti, puis envisagé un effet émotionnel à produire, s’étant calmé même de la sorte d’excitation purement intellectuelle que lui a causée l’invention des moyens, s’est mis à l’œuvre la tête aussi libre qu’un mathématicien notant une belle démonstration, ou un biologiste sur le point d’écrire un mémoire concluant. Dans la plénitude de ses hautes facultés d’analyste, Poe médite son effet final, combine ses péripéties, détermine ses personnages et leur milieu, se décide pour la sorte de style voulu, précis, songeur, mystique, plaintif ou pompeux, adopte certains artifices éprouvés, fixe la nature du dénouement brutal ou fuyant, vérifie par le rebours la contexture de sa trame, rédige et termine, aussi sûr de frapper certaines touches cérébrales, qu’un chimiste de l’effet d’un réactif ou un balisticien, sur le point de projeter un boulet, de son choc terminal. […] Poe se marie ; et les circonstances lui ayant ainsi permis d’augmenter le rayon de ses souffrances, voici les désastres qui reviennent et se suivent, que chassé de ville en ville et de rédaction en rédaction, restant besoigneux, lent à travailler, querelleur, aigri, affolé par le spectacle de la maladie qui minait sa femme, semblait l’abandonner et la ressaisissait, il se jeta dans le vice qui consomma sa ruine, se mit à boire les redoutables liqueurs que l’on débite en Amérique, ces délabrants mélanges d’alcool, d’aromates et de glace ; et toujours luttant contre sa tentation et toujours succombant, reportant l’amour enfantin qui purifiait sa pauvre âme, de sa femme morte à sa belle-mère, quêtant un peu de sympathie auprès de toutes les femmes qu’il trouvait sur un chemin et ne recevant qu’une sorte de pitié timide, ayant tenté de se suicider pour une déconvenue de cette espèce, atteint enfin de la peur de la bête pourchassée, du délire des persécutions, multipliant ses dernières ivresses qui le menaient de chute en chute à la mort, — il en vint, l’homme en qui se résumaient la beauté, la pensée, la force masculine, à avoir cette face de vieille femme hagarde et blanche que nous montre un dernier portrait, cette face creusée, tuméfiée, striée de toutes les rides de la douleur et de la raison chancelante, où sur des yeux caves, meurtris, tristes et lointains, trône, seul trait indéformé, le front magnifique, haut et dur, derrière lequel son âme s’éteignait.

768. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Il consiste en ce que la classification doit ressortir de l’étude même des objets à classer, et être déterminée par les affinités réelles et l’enchaînement naturel qu’ils présentent, de telle sorte que cette classification soit elle-même l’expression du fait le plus général, manifesté par la comparaison approfondie des objets qu’elle embrasse. […] Ainsi, dans l’état présent de l’esprit humain, il y aurait une sorte de contradiction à vouloir réunir, dans un seul et même cours, les deux ordres de sciences. […] En effet, le but principal que l’on doit avoir en vue dans tout travail encyclopédique, c’est de disposer les sciences dans l’ordre de leur enchaînement naturel, en suivant leur dépendance mutuelle ; de telle sorte qu’on puisse les exposer successivement, sans jamais être entraîné dans le moindre cercle vicieux. […] De quelque manière qu’on explique les différences de ces deux sortes d’êtres, il est certain qu’on observe dans les corps vivants tous les phénomènes, soit mécaniques, soit chimiques, qui ont lieu ans les corps bruts, plus un ordre tout spécial de phénomènes, les phénomènes vitaux proprement dits, ceux qui tiennent à l’organisation. […] En effet, les phénomènes naturels ayant été classés de telle sorte, que ceux qui sont réellement homogènes restent toujours compris dans une même étude, tandis que ceux qui ont été affectés à des études différentes sont effectivement hétérogènes, il doit nécessairement en résulter que la Méthode positive générale sera constamment modifiée d’une manière uniforme dans l’étendue d’une même science fondamentale, et qu’elle éprouvera sans cesse des modifications différentes et de plus en plus composées, en passant d’une science à une autre.

769. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Mais, d’autre part, nous savons bien, par toutes sortes de témoignages, que La Fontaine était très léger dans sa conduite à Château-Thierry. […] La Fontaine s’honora d’abord en faisant une sorte d’élégie  du reste c’est intitulé Elégie  une sorte d’élégie sur la disgrâce de Fouquet. […] Il est évident qu’il faut, pour parler de la sorte, avoir du génie et aussi de la tendresse. […] Songez jour et nuit que vous allez travailler désormais sous les yeux d’un prince qui s’informera du progrès que vous aurez fait dans le chemin de la vertu et qui ne vous considérera qu’en tant que vous y aspirerez de la bonne sorte.

770. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

C’est une sorte de cri public qui désigne les candidats. […] L’abbé Félix Brandelet, curé de Laviron (département du Doubs), a été signalé à l’Académie par une sorte de rumeur et de dénonciation publique venue de la contrée qu’il habite et où il exerce son ministère depuis quarante ans. […] Le jurisconsulte éminent qui préside le Sénat, dans ses commentaires judicieux et savants, au titre du Contrat de mariage, avait déjà indiqué les raisons de cette sorte de complaisance de la loi pour l’épouse et la veuve, en ce qui est de cette espèce d’héritage. […] Mais aussi il n’est rien de respectable et de touchant (je reprends le mot, et, pour ma part, je sais aussi de tels exemples) comme de voir un homme, lui-même laborieux ou distingué dans son étude, dans sa profession, s’honorer d’une femme remarquable par un talent et un don qui la rend célèbre et qui ne la laisse pas moins aimable ; lui en permettre le libre et facile exercice, s’y prêter ; ne parler d’elle qu’avec respect et une sorte de modestie ; oser l’admirer et cependant rougir presque lui-même quand on la loue.

771. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

« Quand je songe, écrivait-il à son ancien collègue, aux épreuves qu’une poignée d’aventuriers politiques ont fait subir à ce malheureux pays ; lorsque je pense qu’au sein de cette société riche et industrieuse on est parvenu à mettre, avec quelque apparence de probabilité, en doute l’existence même du droit de propriété ; quand je me rappelle ces choses, et que je me figure, comme cela est la vérité, l’espèce humaine composée en majorité d’âmes faibles, honnêtes et communes, je suis tenté d’excuser cette prodigieuse énervation morale dont nous sommes témoins, et de réserver toute mon irritation et tout mon mépris pour les intrigants et les fous qui ont jeté dans de telles extrémités notre pauvre pays. » C’était peut-être, il est vrai, pour consoler le chef de l’ancienne Opposition de gauche et le promoteur des fameux banquets qu’il écrivait de la sorte : quoi qu’il en soit, le philosophe est ici en défaut, et il paraît trop vite oublier ce qu’il a reconnu ailleurs, que ce ne sont pas les partis extrêmes qui ont renversé Louis-Philippe, mais que c’est la classe moyenne le jour où elle fit cause commune avec eux. […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France. […] Je n’ai pas de traditions, je n’ai pas de parti, je n’ai point de cause, si ce n’est celle de la liberté et de la dignité humaine : de cela, je suis sûr ; et pour un travail de cette sorte, une disposition et un naturel de cette espèce sont aussi utiles qu’ils sont souvent nuisibles quand il s’agit, non plus de parler sur les affaires humaines, mais de s’y mêler. » J’en demande pardon à Tocqueville : au moment où il dit qu’il n’a point de cause, il déclare assez qu’il en a une, et cette cause, telle qu’il vient de la définir, était pour lui une religion. […] Je ne puis m’empêcher de croire qu’il existe pour nous beaucoup de points de contact et qu’une sorte d’intimité intellectuelle et morale ne tarderait pas à régner entre vous et moi, si nous avions l’occasion de nous mieux connaître.

772. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Tout est surnaturel dans ce que nous voyons, et les maux comme les remèdes dérivent immédiatement d’un ordre supérieur de causes, aussi élevé qu’impénétrable à la vue de l’homme, dont la sagesse ne fut jamais mieux convaincue de folie. » N’allez pas, à un homme qui prophétise de la sorte, venir parler avec quelque estime de la politique pratique qu’essayèrent en ces années, — qu’essayeront bientôt des ministres patriotiques et sages, les Richelieu, les De Serre, les Decazes, les Gouvion Saint-Cyr, les Dessolle ; allons donc ! […] De plus, j’ai toute sorte de répugnance pour recommencer à écrire. […] Il avouait qu’il n’était pas né pour la prêtrise, qu’il s’y était laissé inconsidérément entraîner par le vertueux abbé Carron ; qu’il lui fallait la vie laïque en plein vent et en plein soleil ; qu’il regrettait de n’être pas marié, de n’avoir pas une femme, des enfants ; mais que, pour se former une famille, il était déjà trop âgé lorsqu’il rompit avec le sacerdoce. » Certes, La Mennais, en 1810, eût probablement frémi de s’entendre s’exprimer de la sorte ; mais l’aveu qui devait sortir plus tard de ses lèvres couvait déjà dans l’amertume cruelle et irrémédiable dont il se sentait abreuvé au fond de l’âme. […] Quelqu’un l’a dit : « Il a toujours été un malcontent et une sorte de fataliste. » Le vautour qu’il avait au foie ne le quittait pas et recommençait de temps en temps ses morsures.

773. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Il avait espéré en arrivant trouver l’empereur Alexandre investi d’un pouvoir supérieur et se l’était figuré comme une sorte d’Agamemnon dans la ligue des rois : avoir pour soi la confiance et l’oreille d’Alexandre eût tout simplifié. […] « L’état-major de Schwartzenberg formait une sorte de comité aulique de campagne, qui avait pour tâche de préparer et d’expédier les ordres après les avoir soumis aux souverains, dont l’entourage formait comme un conseil de révision. […] Au lieu d’un coup de main vigoureux, qui avait toute chance de réussir, on eut un premier combat sans résultat, engagé par une sorte de malentendu, et suivi le lendemain de l’immense bataille où le génie de Napoléon ressaisit toute sa supériorité. […] Dans la Vie politique et militaire de Napoléon, l’historien rentre dans le vrai et le vraisemblable : « Ney, est-il dit, attachant trop d’importance au mouvement sur Berlin, était prêt (à un moment) à s’y porter de sa personne. » Là eût été la faute, et c’est en cela que Jomini le combattit par toutes sortes d’objections que les renseignements et les ordres ultérieurs vinrent tout à fait confirmer.

774. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Pour le comprendre, l’esprit du spectateur découvre sans peine et monte avec une sorte d’orgueil paisible l’échelle d’idées par laquelle a passé le génie de l’artiste. […] La poésie racinienne est construite de telle sorte qu’à toute hauteur il se rencontre des degrés et des points d’appui avec perspective pour les infirmes : l’œuvre de Shakspeare a l’accès plus rude, et l’œil ne l’embrasse pas de tout point ; nous savons de fort honnêtes gens qui ont sué pour y aborder, et qui, après s’être heurté la vue sur quelque butte ou sur quelque bruyère, sont revenus en jurant de bonne foi qu’il n’y avait rien là-haut ; mais, à peine redescendus en plaine, la maudite tour enchantée leur apparaissait de nouveau dans son lointain, mille fois plus importune aux pauvres gens que ne l’était à Boileau celle de Montlhéry : Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue, Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue, Et, présentant de loin leur objet ennuyeux, Du passant qui les fuit semblent suivre les yeux. […] Enfin je fus bien aise de cette rencontre, qui servit du moins à me délivrer de quelque commencement d’inquiétude ; car je m’étudie maintenant à vivre un peu plus raisonnablement, et à ne me pas laisser emporter à toutes sortes d’objets. […] Avec cette facilité excessive aux émotions, et cette sensibilité plus vive, plus inquiète de jour en jour, on explique l’effet mortel que causa à Racine le mot de Louis XIV, et ce dernier coup qui le tua ; mais il était auparavant, et depuis longtemps, malade du mal de poésie : seulement, vers la fin, cette prédisposition inconnue avait dégénéré en une sorte d’hydropisie lente qui dissolvait ses humeurs et le livrait sans ressort au moindre choc.

775. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Je t’en conjure cependant, mon cher Pierre, fais en sorte d’être envers tout le monde, et surtout envers les tiens, tel que je le désire, bon, doux, affable, généreux : qualités par lesquelles il n’est rien qu’on n’obtienne et qu’on ne puisse conserver. […] Par cet amour qui vous fait embrasser tout le genre humain, qui vous a fait descendre du ciel et revêtir notre humanité nue, qui vous a fait souffrir la faim, la soif, le froid, la chaleur, le labeur, les moqueries, le mépris, les coups, la flagellation, la mort enfin sur une croix ; par cet excès d’amour, ô mon Sauveur Jésus, je vous supplie et vous conjure de détourner vos regards, votre face de mes péchés, afin que cité à comparaître devant votre tribunal, ce que je sens devoir être très-prochain, je ne sois pas puni pour mes fraudes, mes péchés, mais pardonné par les mérites de votre croix : qu’il plaide, qu’il plaide en ma faveur, ce sang, le plus précieux de tous, que vous avez répandu sur ce sublime autel de notre rédemption, et pour rendre l’homme libre, donner à l’homme la liberté. » Après ces paroles et d’autres encore, devant tous les assistants en pleurs, le prêtre ordonna qu’on le relevât et qu’on le mît dans son lit pour qu’on lui administrât plus facilement le sacrement : il s’y opposa d’abord ; mais, de crainte de manquer d’obéissance au vieillard, il se laissa fléchir, et répétant avec fermeté les paroles sacramentales, déjà sanctifié et vénérable par une sorte de majesté divine, il reçut le corps et le sang du Seigneur. […] Appelé un peu tard, il se mit à essayer d’un remède composé avec une poudre de toutes sortes de pierres précieuses pilées. […] Politien, remarquez encore que, de tous mes enfants, nul n’a montré une nature égale à celle de Pierre, de telle sorte qu’il me fait augurer et espérer qu’il ne le cédera à aucun de ses ancêtres, à moins que les expériences que j’ai déjà faites de ses talents ne me trompent. » Il m’a donné récemment une preuve de la vérité du jugement et de la prévision de son père, quand nous l’avons vu sans cesse près de lui dans sa maladie, toujours prévenant dans les services les plus intimes et les plus désagréables, supportant le plus patiemment possible les veilles, la privation d’aliments, ne pouvant souffrir qu’on l’arrachât du lit de son père que pour les affaires les plus urgentes de la république, et tout cela avec une merveilleuse piété répandue sur toute sa personne.

776. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Parfois ce peintre si sagace et si exact s’emporte, et, par une sorte d’enivrement d’imagination, dépasse son observation ; la description réaliste s’achève alors en fantaisie copieuse, et l’on a une sorte de bouffonnerie très particulière, pittoresque et chargée, qui peut être de fort mauvais goût, mais qui a une saveur originale : elle consiste éminemment à noter l’hypothèse impossible par une collection de petits faits précis et sensibles, tout analogues à ceux par lesquels la réalité visible se note. […] Son vocabulaire est extrêmement riche : il a sous la main toute sorte d’archaïsmes, de néologismes, de mots délicats ou populaires, techniques, scientifiques, termes de métier, d’art, de chasse ou de guerre ; en sorte qu’on a pu dire que son livre était un inventaire des richesses de la langue française. […] Toutes les variétés de sentiments, toutes les sortes d’esprit y sont : et quelle connaissance de l’homme et du monde, des ressorts par lesquels se manient les cœurs !

777. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

On me dira que le nombre des lignes ne fait rien à l’affaire ; mais c’est qu’il n’y a peut-être pas un de ces feuilletons où l’on ne puisse faire son butin, mince ou gros, et je vous assure qu’on est saisi d’une sorte de respect devant ce labeur énorme, si vaillant et si consciencieux. […] D’abord une action dramatique, dans la vie réelle, n’est jamais isolée, est mêlée à toutes sortes d’actions accessoires, indépendantes, indifférentes : une histoire s’entrelace avec d’autres histoires, se déroule au milieu du train-train de la vie journalière. […] Tous, je crois, prenaient la même sorte de plaisir à une comédie d’Aristophane ou à une tragédie de Sophocle. […] Cette sorte d’esprit a de tout temps existé en France.

778. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Ainsi s’est effumé le mysticisme des landes d’Armor ; pourtant l’on ne s’étonnera pas si l’artiste a gardé de son autre patrie une sorte de rude esprit de combat que révèlent son aspect et mille manières d’être, mais qui s’apaise en une tranquille force aux courbes des campagnes douces et claires, décors de ses poèmes. […] Giraud et Gilkin, desquels il s’écarte bientôt par sa force et par une sorte d’élan malgré tout juvénile. […] Quant à la voix nouvelle de M. de Régnier, elle a des inflexions spécialement rares et pures, avec parfois une sorte de chaleur interne qui, pour les Sites, les Épisodes, les Poèmes anciens, l’Alérion et la Gardienne, demeurait étrangement inconnue ; on l’entendra chanter en tous ses derniers vers, et surtout en ceux-ci qui sont des plus proches de la perfection et s’orientent vers un mystère émouvant et discret : J’ai vu fleurir, ce soir, des roses à ta main, — Ta main pourtant est vide et semble inanimée — Je t’écoute comme marcher sur le chemin, — Et tu es là pourtant et la porte est fermée — J’entends ta voix, mon frère, et tu ne parles pas ; L’horloge sonne une heure étrange que j’entends Venir et vibrer jusques à moi de là-bas… L’heure qui sonne est une heure d’un autre temps. […]   Car, comme il est un William Shakespeare et un Jean Racine, il est deux sortes de styles.

779. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Le marquis, homme supérieur, mais orgueilleux, féodal, antique à la fois et au coup d’œil prophétique, d’une de ces races sans mélange dont l’heure finale avait sonné, éprouvait pour ce fils, qui penchait vers les courants du siècle, vers ce qu’il appelait la canaille philosophique, encyclopédique, plumière, écrivassière et littéraire, une sorte d’étonnement, d’admiration même, antipathique et répulsive, et qui, par moments, ressemblait fort à de l’effroi et à du dégoût. […] Vous me montrâtes une sorte d’esprit et une manière de sentir et d’observer que je ne m’attendais point à trouver au pied du Mont-Jura. » — « J’avoue, lui répond Mme de Monnier, que vous m’inspirâtes cette prévention qui donne de la confiance. […] La singulière place d’honneur, pourtant, qu’il s’était choisie, en entendant de la sorte la vie privée, et en ne l’embrassant ainsi que pour la consumer tout entière et la ravager ! […] J’ai là (ce qui vaut mieux) sur ma table ses grandes feuilles-manuscrites, toutes chargées de notes gracieuses ou sévères, d’extraits d’auteurs latins, grecs, anglais, italiens, provisions de toute sorte et pierres d’attente qu’il amassait pour des temps meilleurs et pour l’avenir.

780. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

À défaut de preuves plus intimes et que tout homme, accoutumé à s’apprécier sous le jour de la morale traditionnelle, trouvera dans sa conscience, les pénalités de toutes sortes en font foi. […] Il y a des automates heureux : l’hérédité les a façonnés de telle sorte, les circonstances extérieures leur sont à ce point favorables, que toutes choses leur sont prospères. Leur conduite est constamment conforme aux lois de la probité, à la conception que l’idéal de l’époque a formée de l’honnête homme, et à vivre de la sorte, ils rencontrent à la fois la fortune et l’estime publique. […] Il se réveille de sa passion, chargé de conséquences qu’il n’a pas voulues, comme s’il eût subi la suggestion d’un autre qui eût abusé de son nom et exploité son énergie contre lui, On voit comment une duperie de cette sorte asa source en un Bovarysme de la personnalité.

781. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Il croyait à l’âme des bêtes, oui, mais il a senti le besoin de faire une sorte d’exception, de faire une sorte de répartition particulière que je vous ai indiquée déjà tout à l’heure. […] C’est dans les Obsèques de la Lionne que La Fontaine montre le mieux, et avec une sorte de rire sarcastique, qu’en définitive c’est le Normand, — dans le sens péjoratif du mot  qu’en définitive c’est l’habile, le rusé, l’adroit et le flatteur qui l’emporte là où l’Alceste des animaux, je veux dire l’ours, a perdu complètement la partie. […] Soyez sûr que l’enfant ne songera qu’à se moquer du bouc qui est assez imbécile pour se prêter au renard comme une échelle pour que le renard sorte du puits  Est-il bête, dira-t-il, ce bouc ?

782. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Plus une langue a de syllabes rudes ou sourdes, plus il faut d’attention à celui qui parle ou qui écrit, pour ne pas trop multiplier dans une même phrase les mots qui renferment ces sortes de syllabes. […] Mais quelle différence de ce plaisir estropié, si je puis parler de la sorte, à celui que le même air ferait éprouver, s’il était chanté dans le goût et l’esprit qui lui conviennent, et surtout exécuté par le compositeur même, et devant des auditeurs bien au fait des finesses de l’art musical ? […] Quand on est condamné à écrire en latin, il y a certainement quelque mérite à imiter de la sorte les bons modèles. […] Mais, encore une fois, que nous sommes peu en état d’apprécier cette sorte d’imitation !

783. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

C’était, semblait-il, le moyen le plus propre à affaiblir l’esprit aristocratique : « Si l’on veut fonder la démocratie, dit Aristote 152, on fera, ce que fit Clisthène chez les Athéniens : on, établira de nouvelles tribus et de nouvelles phratries ; aux sacrifices héréditaires des familles on substituera des sacrifices où tous les hommes seront admis ; on confondra autant que possible les relations des hommes entre eux, en ayant soin, de briser toutes les associations antérieures. » Et en effet, au nom des fins politiques, militaires ou économiques, prenant comme principes de classement, l’origine ou le métier, l’habitation ou la richesse, les réformateurs des cités antiques y manièrent et remanièrent sans trêve la matière sociale, de telle sorte que les rapports de ses éléments ne pouvaient manquer de se compliquer. […] On sait, d’ailleurs, qu’indépendamment des liens quasi, naturels, comme ceux que tisse d’elle-même la communauté du sang ou du sol, les citoyens romains se forgeaient volontairement, pour les objets ou sous les prétextes les plus divers, des chaînes sociales de toutes sortes. […] Qui vit au contraire dans la complication de notre civilisation moderne, habitué à rencontrer les individus les plus nombreux et les plus divers dans les mêmes associations, et inversement les mêmes individus dans les associations les plus nombreuses et les plus variées, est porté à se représenter ce nombre et cette variété comme susceptibles de s’accroître indéfiniment, se figure aisément, au-dessus de ces groupements réels, les groupements possibles, et arrive ainsi à concevoir sans répugnance une sorte de vaste société idéale dont tous les hommes, à quelque société partielle qu’ils pussent appartenir par ailleurs, seraient également les membres. […] La complication sociale laisserait, de la sorte, la hiérarchie intacte.

784. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Aussi, est-il bon qu’il n’y ait qu’une seule histoire littéraire de cette sorte et de ce ton, vaste répertoire de faits, d’analyses et de documents authentiques. […] Ce qui est certain, c’est que la vieille langue française du Nord, elle aussi, possède, dès le xiie et le xiiie  siècle, toutes sortes de récits en vers, dont le Renard est le sujet et le héros. […] Ce qui fait la grâce et la naïveté en ces sortes de fables, c’est quand, tout en représentant quelque vice humain, les animaux restent un peu eux-mêmes, c’est quand il y a, de la part du poète, des instants de confusion et d’oubli, et que d’heureux détails, d’une vraisemblance naturelle, viennent ôter à l’ensemble ce qu’une allégorie trop constante y introduirait de minutieux et de tendu.

785. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Le Coq rêve donc qu’il voit je ne sais quelle chose qui est dans le courtil et qui lui vient dessus pour le revêtir : ce je ne sais quoi a une peau rousse, blanche sous le ventre ; le bord est en os, le col est étroit, et force lui est, après y être entré, de s’en revêtir au rebours, c’est-à-dire de telle sorte que sa taille aille à l’autre extrémité de l’habit et que sa queue reste dans le collet. […] Comme le sujet resta longtemps en circulation, il est évident que les esprits satiriques du temps y virent un cadre commode au dénigrement, et qu’ils y embarquèrent petit à petit toutes sortes d’audaces. […] Lui, qui vient de s’avancer avec une sorte de jactance, il hésite et recule ; il demande à Beaumanoir de remettre la partie, d’en faire savoir la nouvelle à leurs rois, au gentil Édouard d’Angleterre et au roi de Saint-Denis

786. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Il s’élève de toutes parts une sorte de biographie universelle en marbre et en bronze, et qui parle aux yeux. […] Disons-le sans détour, l’abbé Prévost, reparaissant à Hesdin sous forme de marbre et couronné de la main de ses compatriotes, ce n’est pas seulement l’homme célèbre qui est salué avec respect, c’est à la fois moins et plus, et c’est mieux : c’est l’Enfant prodigue, qui, après une longue absence et après avoir longtemps fait parler de soi en bien des sens, illustré par ses erreurs mêmes et par cette sorte de magie qu’il n’est donné qu’au génie d’y répandre, a terminé son temps d’exil, et qui revient plus aimé, plus embrassé de tous, fêté même et pardonné par les plus sévères. […] Devant la maison natale était suspendu une sorte de dôme, également formé de guirlandes naturelles et qui produisait un effet charmant ; enfin, on y avait déjà disposé les mâts vénitiens et les lanternes de papier de couleurs vives et variées pour l’illumination du soir.

787. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Ce qu’il y a de singulier pourtant dans cette fortune et cette sorte d’apothéose de Bossuet, c’est qu’il devient ainsi de plus en plus grand pour nous sans, pour cela, qu’on lui donne nécessairement raison dans certaines controverses des plus importantes où il a été engagé. Vous aimez Fénelon, vous chérissez ses grâces, son insinuation noble et fine, ses chastes élégances ; vous lui passeriez même aisément ce qu’on appelle ses erreurs : et Bossuet les a combattues, ces erreurs, non seulement avec, force, mais à outrance, mais avec une sorte de dureté. […] Destouches, se fait une sorte d’agréable gageure de battre, de réfuter, de morigéner à tout bout de champ son ami avec des citations bien prises des Satires ou des Épîtres.

788. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Dangeau, tout lié qu’il est avec celle-ci, ne parle point de la sorte ; il se garde bien d’être indiscret, il ne dit que ce qu’il voit, ce que tout le monde a vu comme lui. […] Ces chasses au loup perpétuelles finissent même par être si ennuyeuses que les nouveaux éditeurs de Dangeau, par une sorte de respect humain, ont cru devoir leur trouver une cause finale, et ont remarqué que c’est à ces chasses de Monseigneur sans doute qu’on doit la destruction des loups aux environs de Paris4. […] Monseigneur alla le soir à sa comédie. » Quantité de journées commencent et se terminent de la sorte.

789. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Je les définis, au xviiie  siècle, toute une tribu intellectuelle, née de Calvin, restée très morigénée en s’émancipant, très philosophisée d’ailleurs et sécularisée, où Bayle est entré, où Fontenelle a passé, mais où, même avec la liberté de penser acquise, il se sent beaucoup de circonspection, de réserve, et une sorte de contrainte. […] Malheureusement il y a trop peu de ces passages dans le recueil de ses œuvres trop sèches et trop ternes20 ; il se réservait pour la conversation ou la correspondance. — Être plutôt que paraître, savoir plutôt qu’enseigner, préférer une vie égale et tranquille avec l’estime des siens à une réputation lointaine, renoncer aux chimères, aux grands desseins, pour cultiver cette sorte de mérite « qui a sa récompense en soi-même et se suffit » ; faire tout cela et par choix, et aussi parce qu’on n’a pas en soi de démon qui vous pousse ailleurs : tel était, avec ses trente louis de rente, et même un peu plus, dit-on, Abauzit, le type du studieux et du sage non professant, mais consultant. […] Heureux défaut, et qui rappelle encore, par une sorte de marque héréditaire, la suite des ancêtres !

790. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

N’est-ce pas lui qui, dans son Éloge de l’architecte Abel Blouët, dira avec une sorte d’enthousiasme, à propos des cinq grands prix de Rome : « Chaque année, l’Académie des Beaux-Arts distribue ses couronnes. […] Le récit qu’il a fait des émouvantes et magnifiques funérailles de Grétry, de cette sorte de pompe triomphale, nous a rappelé les funérailles d’Halévy lui-même. […] Vitet, qui est depuis plus de trente ans une sorte de secrétaire perpétuel extérieur, le plus brillant et le plus fin, mais à ses heures et à ses moments, se dit : « Pourquoi nous conduire toujours comme une Académie muette et dépendante, nous qui possédons par excellence toutes les autres formes sensibles de l’expression ?

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