J’ai ouï dire à quelques vieillards qu’à leur sens, l’époque où il aurait été le plus doux et le plus amusant de vivre, eût été à partir de 1715 environ, dans toute la longueur du siècle, et en ayant bien soin de mourir à la veille de 89. […] A mesure que le serment politique perd de sa valeur, le serment dramatique gagne en inviolabilité ; c’est ainsi que la littérature exprime souvent la société, par le revers : on fait des bergeries au siècle de Fontenelle ; on immole sur le théâtre son bonheur à la lettre d’un serment, dans le siècle où la parole d’honneur court les rues et où on lève la main sans rien croire.
. — Histoire de deux siècles (1852). — Histoire politique et privée de Louis-Philippe (1852). — Urbain Grandier, drame (1852) […] Quel beau commencement d’une vie littéraire qui reste l’une des plus dignes d’envie de ce siècle, malgré les fréquentes misères dont elle a été troublée par l’imprévoyance, la prodigalité et le désordre ! […] Pour tout le reste du siècle, leur double révolte va défrayer le théâtre.
. — La Confession d’un enfant du siècle, roman (1836). — Poésies complètes : 1re partie, Contes d’Espagne et d’Italie (1830) ; Poésies diverses : 2e partie, Un spectacle dans un fauteuil ; 3e partie, Poésies nouvelles (1835-1840) — Les Deux Maîtresses ; Frédéric et Bernerette (1840). — Comédies et Proverbes (1840-1848-1851), contenant : André del Sarto ; Lorenzaccio ; Les Caprices de Marianne ; Fantasio ; On ne badine pas avec l’amour ; Une nuit vénitienne ou les Noces de Laurette ; La Quenouille de Barberine ; Le Chandelier ; Il ne faut jurer de rien ; Un caprice. — Dans une deuxième édition (1857) sont ajoutés : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ; Louison ; On ne saurait penser à tout ; Carmosine ; Bettine. — Nouvelles (1841-1846) : Les Deux Maîtresses ; Emmeline ; Le Fils du Titien ; Frédéric et Bernerette ; Croisilles ; Margot. — Nouvelles, avec M. […] Alfred de Musset conduire un siècle ? […] Lucrèce, et aussi dans l’éternel inassouvissement du désir, l’éternelle illusion renaissante ; ou encore que la mélancolie de l’amour lui a été parfois un acheminement aux mélancolies intellectuelles de son siècle, on sera fort près d’avoir tout dit.
Et puis, qu’on nous permette ce dernier mot, entre Hernani et Ruy Blas, deux siècles de l’Espagne sont encadrés ; deux grands siècles, pendant lesquels il a été donné à la descendance de Charles-Quint de dominer le monde ; deux siècles que la providence, chose remarquable, n’a pas voulu allonger d’une heure, car Charles-Quint naît en 1500, et Charles II meurt en 1700.
Le Romantisme, ce Résurrectionniste, en ravivant, aux lueurs de son flambeau, toutes les gloires du seizième siècle, de ce siècle que le dix-septième et le dix-huitième, descendants ingrats de pères plus grands qu’eux, avaient cru pouvoir effacer, le Romantisme avait laissé dans l’ombre cette petite gloire d’une traduction qui est un bijou… Tous ou presque tous de ce siècle qui a la beauté d’une aurore, depuis Rabelais, Montaigne, Ronsard, d’Aubigné, Régnier, Amyot, Desportes, jusqu’à Mathieu, le splendide Pierre Mathieu, qui écrivait sous Henri IV et qui précéda immédiatement cette littérature, exécutée comme la Noblesse et dont Malherbe et Despréaux vont tout à l’heure être les Richelieu et les Louis XIV, tous avaient eu leur édition ou du moins leur page d’histoire ou de critique qui disait la nécessité ou la convenance de l’édition, comme on a la niche, en attendant la statue. […] Dans ce siècle, dont la langue ressemble à une charmille taillée de Versailles, je ne connais qu’un homme qui aurait pu traduire Hérodote, s’il l’avait voulu : c’est le traducteur d’Anacréon qui, d’un coup de sa baguette gauloise, a transfiguré, à ravir les Grecs s’ils avaient pu l’entendre, L’Amour mouillé, ce chef-d’œuvre, en ce double chef-d’œuvre : J’étais couché mollement, Et, contre mon ordinaire, Je dormais tranquillement, Quand un enfant s’en vint faire À ma porte quelque bruit : Il pleuvait fort cette nuit, etc., etc.
Son Histoire de la Papauté aux xve , xvie et xviie siècles, fut le premier livre qui porta l’attention sur sa personne et qui méritait de la captiver. […] Il continua d’être historien, et un historien beaucoup plus préoccupé des choses politiques, qui sont du siècle, que des choses religieuses, qui n’en sont plus. […] De catholique à protestant, les points de vue ne diffèrent pas seulement, ils se renversent, quand il s’agit d’un siècle qui, comme le xvie , a été le commencement de tout pour les uns, et presque la fin de tout pour les autres.
À la date de son siècle, — car nous avons eu, depuis, le prince de Ligne, et plus tard encore la correspondance adorable de cet observateur de génie qui s’appelait Beyle et qui se fit nommer Stendhal, — à la date de son siècle, je ne vois guères que Voltaire et Madame Du Deffand qu’on puisse, épistolairement, lui comparer. […] Il rappelle, par la variété des connaissances et des aptitudes, un autre Italien de son siècle, monstrueux, il est vrai, dans l’ordre physique de l’action, mais charmant dans l’ordre de l’esprit, l’aventurier Casanova, dont on dit aussi : que ne fut-il pas et que n’aurait-il pas pu être ?
Armand Hayem45 I Dans un temps où les mandarins des instituts s’imaginent diriger et gouverner l’Esprit humain, voici un livre qui aurait dû avoir leurs bonnes grâces et qui a perdu ses coquetteries à leur en faire… L’auteur de ce livre, Armand Hayem, est, je crois bien, parmi les jeunes écrivains de la génération qui s’élève quand le siècle finit, un des mieux faits pour avoir des succès d’institut. […] C’est un homme qui mériterait d’être resté ce qu’il était dans l’origine, une santé spirituelle, un beau tempérament bien venu, mais qui, au contact de son siècle, a contracté les maladies intellectuelles d’une époque hégélienne hier, — nihiliste aujourd’hui, — et qui, si elle n’est tout à fait morte, deviendra on ne sait quoi demain ! La limaille des erreurs de son siècle est sur lui comme s’il en était le forgeron, et il n’a pourtant forgé aucune des erreurs dont il rapporte sur son esprit la vile poussière.
C’est un poète, et, de plus, un poète du xixe siècle, de tous les siècles celui-là certainement qui protège le moins ses poètes contre eux-mêmes et les difficultés ou les convoitises de la vie. Le xixe siècle, que j’aurai l’insolence réfléchie d’appeler, malgré les positivismes qu’il invente et les prétentions qu’il affecte, le siècle du scepticisme absolu, du touche-à-tout philosophique, — et de l’écroulement de tout sous ses mains toucheuses, — n’a pas la cuirasse d’une seule conviction à lacer sur le sein nu et délicat de ses poètes… et Heine en a fait l’expérience. […] Mais, comme un enfant vigoureux qui s’ennuie de ces grêles amusettes et qui s’en retourne à la récréation en plein air, il a fini par jeter le jeu de cartes sous la table et il est retourné, sans foi ni loi, à la Sensation, qui a décidé de sa vie ; — car Henri Heine est le poète de la Sensation, du Doute et de l’Impression personnelle, comme, du reste, le plus grand du χιχe siècle, l’auteur du Childe Harold et du Don Juan.
Cette calotte noire de Corneille qui couvre tout dans son siècle, a dit Chateaubriand, couvrit encore cela ! […] La Harpe, qui ne quitta la livrée de Voltaire que pour prendre celle de Jésus-Christ, avait sifflé comme Voltaire, cet éleveur de perroquets, lui avait appris à siffler ainsi qu’à tout son siècle. […] Les esprits médiocres et ignorants qui sont de tous les siècles et qui ne lisent que quand tout le monde lit, le servum pecus des âmes basses et des sots qui est le public, avaient pris pour Évangile littéraire le Commentaire de Voltaire et s’étaient taillé un petit Corneille de rhétorique dans le grand.
Le xixe siècle a commencé la réalisation de la grande idée dont les siècles précédents, n’avaient, en somme, tracé que l’ébauche. « La pratique de l’arbitrage, qui est la reconnaissance formelle et l’entrée triomphante du droit dans la politique internationale » date de ce siècle. […] Ce fait et ceux qui précèdent prouvent indubitablement que l’idée d’arbitrage, entrevue depuis des siècles par des penseurs d’avant-garde, s’est réellement incarnée dans la pratique, et qu’il est impossible de ne pas prévoir le progressif épanouissement de ses applications.
Voilà ce que Pausanias, au second siècle de notre ère, entendait raconter par son hôte de Larisse. […] Apparemment, le poëte eut deux époques dans sa vie et dans son art ; ou bien il faut supposer que, son nom étant devenu célèbre, on le chargea dans les siècles suivants de vers qui ne lui appartenaient pas. […] Pausanias60, si studieux explorateur de la Grèce, au temps des Antonins, a décrit, sans exprimer de doute, le monument d’Arion, du moins fort ancien, s’il n’était vrai ; et, dans le siècle suivant, un polygraphe assez judicieux, Élien, citait une ode de ce poëte fabuleux sur la merveille de son sauvetage inespéré.
On se figure difficilement ce que devait paraître cette féconde et forte époque aux yeux de ceux qui en sortaient, qui en héritaient, et pour qui elle était véritablement le dernier et grand siècle. […] On aime à l’entendre proclamer la félicité de notre dernier siècle, et on sourit en songeant que c’est celui même duquel nos littérateurs instruits d’il y a trente ans s’accordaient à parler comme d’une époque presque barbare. […] A voir l’anarchie morale qui régnait durant le premier tiers du siècle, et l’impuissance d’en sortir en continuant la tradition, on apprécie l’importance de cette brusque réforme cartésienne à titre d’institution publique de la philosophie. […] « Qui peut savoir et dire ce qu’arrive à penser sur toute question fondamentale un homme de quarante ans, prudent, et qui vit dans un siècle et dans une société où tout fait une loi de cette prudence ? […] Mort en 1653, du même âge que le siècle, il n’en représentait que la première moitié, au moment où la seconde, si glorieuse et si contraire, allait éclater.
Son Siècle de Louis XIV est léger, sans gravité, sans unité, adulateur ; ce sont des pages, ce n’est pas un livre. […] Il faut avoir dix âmes pour s’emparer ainsi de celle de tout un siècle. […] « Les erreurs de mes adversaires, a-t-il dit, sont trop généralement répandues depuis un siècle, pour que je puisse espérer trouver quelqu’un qui marche avec moi sur ma route solitaire. […] La tête énergique de Fabvier rappelait les hommes des siècles passés, et nous revînmes à lui plusieurs fois. […] XXIII Aussi était-il et est-il resté le génie le plus incontesté de son siècle, et peut-être de tous les siècles modernes au-delà du Rhin et même en deçà.
Il a dressé un répertoire complet des pièces jouées au Théâtre-Français depuis 1680 jusqu’en 1900, siècle par siècle, décennat par décennat, année par année, avec le nombre de fois que chacune a été donnée chaque siècle, chaque décennat et chaque année. […] Pour trois erreurs parmi cent idées justes, Boileau est moqué depuis trois siècles. […] La Querelle du Cid, à deux siècles de distance, fait pendant à la Bataille d’Hernani. […] Lemierre, contemporain de Gresset, avait écrit « le vers du siècle ». […] Elle peut ne plus plaire ; elle est sans doute inférieure aux pièces qui traversent les siècles sans jamais
Il l’a vue telle qu’elle était, tout occupée du salut du roi, de sa réforme, de son amusement décent, de l’intérieur de la famille royale, du soulagement des peuples, et faisant tout cela, il est vrai, avec plus de rectitude que d’effusion, avec plus de justesse que de grandeur ; enfin, il a résumé son jugement sur elle en des termes précis, au moment de l’accompagner dans son œuvre de tendresse et de prédilection : Mme de Maintenon, dit-il, n’a donc pas eu sur Louis XIV l’influence malfaisante que ses ennemis lui ont attribuée : elle n’eut pas de grandes vues, elle ne lui inspira pas de grandes choses : elle borna trop sa pensée et sa mission au salut de l’homme et aux affaires de religion ; l’on peut même dire qu’en beaucoup de circonstances elle rapetissa le grand roi ; mais elle ne lui donna que des conseils salutaires, désintéressés, utiles à l’État et au soulagement du peuple, et en définitive elle a fait à la France un bien réel en réformant la vie d’un homme dont les passions avaient été divinisées, en arrachant à une vieillesse licencieuse un monarque qui, selon Leibniz, « faisait seul le destin de son siècle » ; enfin en le rendant capable de soutenir, « avec un visage toujours égal et véritablement chrétien », les désastres de la fin de son règne. […] Lavallée a eu soin de placer aussi un portrait de l’illustre fondatrice, où revit cette grâce si réelle, si sobre, si indéfinissable, et qui, sujette à disparaître de loin, ne doit jamais s’oublier quand par moments la figure nous paraît un peu sèche ; il l’emprunte aux Dames de Saint-Cyr dont la plume, par sa vivacité et ses couleurs, est digne cette fois d’une Caylus ou d’une Sévigné : Elle avait (vers l’âge de cinquante ans), disent ces Dames, le son de voix le plus agréable, un ton affectueux, un front ouvert et riant, le geste naturel de la plus belle main, des yeux de feu, les mouvements d’une taille libre si affectueuse et si régulière qu’elle effaçait les plus belles de la Cour… Le premier coup d’œil était imposant et comme voilé de sévérité : le sourire et la voix ouvraient le nuage… Saint-Cyr, dans son idée complète, ne fut pas seulement un pensionnat, puis un couvent de filles nobles, une bonne œuvre en même temps qu’un délassement de Mme de Maintenon : ce fut quelque chose de plus hautement conçu, une fondation digne en tout de Louis XIV et de son siècle. […] L’établissement de l’École militaire vers le milieu du siècle suivant, et dont le principal honneur revient à Pâris-Duverney, fut le complément nécessaire de ces fondations monarchiques, et remplaça ce que les compagnies de cadets avaient d’insuffisant. […] S’il est pénible, comme elle l’a dit, de durer trop longtemps, de vivre dans le monde avec des gens de qui l’on n’est pas connu, qui n’ont point été de la vie qu’on a menée autrefois, qui sont en un mot d’un autre siècle, il est très agréable dans la retraite, et sur le banc d’un jardin, de se retrouver devant des âmes toutes neuves et toutes fraîches, qui sont dociles à se laisser former et avides de tout ce que vous leur dites. […] Pendant son agonie, elle devint beaucoup plus belle qu’elle n’avait été dans le temps de sa meilleure santé ; mais c’était une beauté toute céleste qui inspirait de la dévotion, et nous la regardâmes mourir avec ravissement… La langue de Saint-Cyr forme une nuance à part dans celle du siècle de Louis XIV ; Mme de Caylus en est la fleur mondaine ; on sent qu’Esther y a passé, et Fénelon également.
Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencements lyriques où un groupe uni de poëtes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorants, emportions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Riouffe de sa nuit passée avec les Girondins (car les sentiments réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthousiasme qu’elle y a semé) ; nous donc, qui avons eu surtout à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique de l’époque. […] Or, depuis ce moment, l’expédition collective fut manquée ou accomplie, selon qu’on veut l’entendre, et chaque chef, poussant individuellement de son côté, poursuit à travers le siècle, par des voies plus ou moins larges, sa destinée, ses projets, la conquête de la glorieuse Toison. […] La pensée dramatique au contraire, qui, en passant par le lyrique, n’y voyait qu’un début et un prélude, ne se sentait pas satisfaite à si peu de frais ; elle croyait, elle, énergiquement à la poétisation possible du siècle ; et, plus vaste en désirs, moins effarouchée du bruit des profanes, elle insistait plutôt sur l’autre devise confiante et conquérante : L’avenir est à nous ! La portion la plus ardente et la plus ferme de cette pensée dramatique ne se préoccupait même pas d’une initiation graduelle et indirecte de la foule à l’œuvre moderne, moyennant d’habiles reproductions d’œuvres antérieures ; elle était pour une application immédiate et franche, pour une mêlée décisive, pour une descente et un assaut au cœur du siècle. […] Du moment en effet qu’il s’agissait de fonder, non pas une poésie dans le xixe siècle, mais la poésie du xixe siècle lui-même ; du moment qu’on s’était mis en marche, non pour jeter quelque part une colonie furtive, mais pour faire une révolution réelle dans l’art, la pensée dramatique avait toute raison de prévaloir ; l’épreuve décisive était et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années.
La religion sans âme, la beauté vénale et souillée, ce n’est pas seulement Rome ou Venise ; le peuple méprisé et fort, c’est partout la Terre de labour ; Juliette assoupie et non pas morte, Juliette au tombeau, appelant le fiancé, c’est la Vierge palingénésique de Ballanche, la noble Vierge qui, des ombres du caveau, s’en va nous apparaître sur la plate-forme de la tour ; c’est l’avenir du siècle et du monde. […] Né, j’imagine, avec une sensibilité profonde, il s’est bientôt aperçu qu’il y aurait duperie à l’épandre au milieu de l’égoïsme et de l’ironie du siècle ; il a donc pris soin de la contenir au dedans de lui, de la concentrer le plus possible, et, en quelque sorte, sous le moindre volume ; de ne la produire dans l’art qu’à l’état de passion àcre, violente, héroïque, et non pas en son propre nom ni par voie lyrique, mais en drame, en récit, et au moyen de personnages responsables. Ces personnages mêmes, l’artiste les a poussés d’ordinaire au profil le plus vigoureux et le plus simple, au langage le plus bref et le plus fort ; dans sa peur de l’épanchement et de ce qui y ressemble, il a mieux aimé s’en tenir à ce qu’il y a de plus certain, de plus saisissable dans le réel ; sa sensibilité, grâce à ce détour, s’est produite d’autant plus énergique et fière qu’elle était nativement peut-être plus timide, plus tendre, plus rentrée en elle-même ; elle a fait bonne contenance, elle s’est aguerrie et a pris à son tour sa revanche d’ironie sur le siècle : de là une manière à part, à laquelle toutes les autres qualités de l’auteur ont merveilleusement concouru. — Esprit positif, observateur, curieux et studieux des détails, des faits, et de tout ce qui peut se montrer et se préciser, l’auteur s’est de bonne heure affranchi de la métaphysique vague de notre époque critique, en religion, en philosophie, en art, en histoire, et il ne s’est guère soucié d’y rien substituer. […] S’il s’attaquait au vrai moyen âge, aux siècles de Hildebrand et de Bernard, il n’accorderait pas assez à l’influence universelle, à la splendeur du soleil catholique ; les exceptions et les points obscurs le distrairaient de la vérité d’ensemble. […] Le XVIe siècle lui va à merveille, parce que le moyen âge, en s’y brisant, le remplit d’éclats, et qu’en crimes et en vertus l’énergie individuelle, poussée à son comble, y hérite directement de tout ce qu’avait amassé, durant des siècles, l’organisation féodale et catholique.
Ce goût n’est pas chose absolument nouvelle en littérature ; il s’est déjà rencontré dans des sociétés d’une culture raffinée, au temps de Théocrite, au temps de Virgile, chez nous au siècle dernier ; mais il est certainement plus fort et plus profond aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. […] Notez que cette belle passion, qui éclate à certains moments chez quelques poètes anciens, s’est tue pendant des siècles et des siècles. […] l’humanité vieillie, dégoûtée des agitations stériles, excédée de sa propre civilisation, déserter les villes, revenir à la vie naturelle et employer à en bien jouir toutes les ressources d’esprit, toute la délicatesse et la sensibilité acquises par d’innombrables siècles de culture. […] Les lettrés élégants du siècle dernier aimaient les paysans à la façon de citadins : ils en faisaient des peintures enjolivées et convenues, goûtaient surtout la « naïveté » des « villageois » à cause du contraste qu’elle fait avec la « corruption des villes ».
La certitude et l’activité ; des croyances morales simples et fortes, héritées de l’antiquité grecque et latine, attendries par le christianisme, élargies par la Renaissance, enrichies de toute la générosité acquise par l’âme humaine à travers trente siècles ; des actes conformes à ces croyances ; des écrits conformes à ces croyances et à ces actes ; le plus ardent patriotisme et le plus humain ; les plus solides vertus privées et publiques ; une sincérité entière ; toutes communications ouvertes, si je puis dire, entre la vie publique, la vie privée et l’œuvre écrite ; des passages aisés et tranquilles de la médiocrité à la puissance, de la chaire du professeur à la tribune et au cabinet du ministre, et de là au foyer domestique et au recueillement de l’étude… bref, c’est une vie singulièrement harmonieuse que celle de M. […] Enfin — et je suis tenté de dire surtout, — l’auteur de la Vie de César aima l’historien attitré de Rome, de cette Rome dont la période impériale, bienfaisante du moins pendant un siècle, sous Auguste, puis sous les Antonins, occupait l’imagination du neveu de Napoléon Ier, lui présentait à la fois son idéal et son apologie. […] Victor Duruy fut un des plus grands ministères de ce siècle. […] J’avoue que, pareil en cela aux hommes du siècle dernier, M. […] Il fait songer, par endroits, à un Tite-Live épigraphiste, ou mieux, à un Polybe muni, par le progrès des siècles, de plus sûres méthodes.
Votre vie austère, toute consacrée à la recherche désintéressée, est la meilleure réponse à ceux qui regardent notre siècle comme déshérité des grands dons de l’âme. […] Les républicains étaient rares alors ; c’était, comme aux siècles de la primitive Église, le temps des convictions personnelles, passionnées. […] C’étaient des croisés, à leur manière ; ils héritaient, sans le savoir, de dix siècles de vertu ; ils dépensaient, en un jour, le capital accumulé par vingt générations de silencieuse obscurité. […] Tel était son amour de la vérité que, seul peut-être en notre siècle, il put se rétracter sans s’amoindrir. […] Mais sa haute vie l’a mis en rapport avec l’esprit éternel qui agit et se continue à travers les siècles ; il est immortel.
Après Villehardouin, qui demeure comme le premier monument à l’horizon, on a, même dans ces vieux siècles, une succession d’admirables tableaux d’histoire tracés par des témoins et des contemporains, Froissart, Commynes, et d’autres après eux. […] Voltaire, qui avait peint le siècle de Louis XIV avec tant de talent et de charme, mais en beau, et qui fut averti des contradictions que l’autorité de Saint-Simon pouvait lui susciter un jour, avait conçu le dessein de réfuter quelques parties de ces Mémoires. […] Mais il me semble qu’en ce qui touchait le siècle de Louis XIV, Voltaire apportait des dispositions plus patriotiques que véridiques. […] Saint-Simon est comme l’espion de son siècle : voilà sa fonction, et dont Louis XIV ne se doutait pas. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent.
Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu’on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d’esprit libre et dégagé, d’esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et, sur la fin de ce siècle de grandeur, mais certes aussi d’illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu’elles sont. […] Il suppose avec tranquillité des choses extraordinaires et qui pourront bien arriver un jour : Nous serons un jour des anciens nous-mêmes, remarque-t-il, et il faut espérer qu’en vertu de la même superstition que nous avons à l’égard des autres, on nous admirera avec excès dans les siècles à venir : « Dieu sait avec quel mépris on traitera en comparaison de nous les beaux esprits de ce temps-là, qui pourront bien être des Américains. » C’est ainsi que Fontenelle, l’esprit le plus dégagé de soi-même, de toutes ces préventions qui tiennent aux temps et aux lieux, se propose des perspectives, des changements à vue dans l’avenir, et s’amuse à les considérer avec des yeux indifférents. […] Le siècle était déjà pleinement entré dans la seconde et plus orageuse moitié de sa carrière. […] Fontenelle, qui marque mieux que toute définition (comme l’a si bien dit Fontanes) la limite de l’esprit et du génie ; et Diderot, une espèce de génie extravasé et en ébullition, qui ne peut se contenir à une limite ; l’un qui ouvre discrètement le siècle, et qui retient dans sa main à demi fermée plus de vérités qu’il n’en laisse sortir, qui semble dire chut ! à tout bruit, à tout éclat ; l’autre qui proclame et prêche à haute voix ses doctrines, qui sème les germes à pleines mains à tous les vents, en apostrophant l’avenir ; Fontenelle qui se rattache encore à Descartes et à quelques-uns des grands esprits réguliers du siècle précédent, ou, qui pis est, aux précieuses ; et Diderot qui, en ses accès, par le désordre et la fougue de sa parole, semble déjà faire appel aux générations ardentes qui auront à leur tête Mirabeau ou Danton.
Pour lui, il croit que, depuis plusieurs siècles, c’est l’erreur qui se propage et il veut rappeler les lois fondamentales et la vérité. […] Mais, à côté de ces travers tout à fait désagréables du dialecticien, on aime à dégager de belles et justes pensées comme celle-ci, qu’il ne faut pas que la loi conspire avec les passions de l’homme contre sa raison : « Ainsi, du côté que l’homme penche, la loi le redresse, et elle doit interdire aujourd’hui la dissolution à des hommes dissolus, comme elle interdit, il y a quelques siècles, la vengeance privée à des hommes féroces et vindicatifs. » La conclusion de ce traité Du divorce, adressée sous forme d’allocution aux législateurs du Code civil, est d’une grave et réelle éloquence ; l’âme de l’homme de bien et du bon citoyen s’y fait jour par des accents qui ne se laissent pas méconnaître ; on y entend ce cri vertueux et ce vœu de réparation qui s’élève de la société après chaque grand désordre, et qui ne demande qu’à être régulièrement dirigé : Commandez-nous d’être bons, et nous le serons. […] Bossuet, l’Évangile même, dit-il, n’ont sur les chrétiens que l’autorité que leur donne l’Église. » Par condescendance pourtant, et afin de montrer que la vérité accepta toutes les armes, M. de Bonald prend des mains du xviiie siècle les divers problèmes, tels que ce siècle les a posés. […] Bonald restait ce qu’il avait été dès l’abord, l’homme de la tour et du clocher antique et gothique, tandis que Chateaubriand, livré à ses brillants instincts, se faisait déjà l’homme du torrent : C’est le grand champion du système constitutionnel, écrivait Bonald à Joseph de Maistre en 1821 ; il va le prêcher en Prusse, et n’y dira pas de bien de moi, qu’il regarde comme un homme suranné qui rêve des choses de l’autre siècle… C’est un très grand coloriste, et surtout un très habile homme pour soigner ses succès. […] [NdA] Sans bruit et sans effort, cela vous plaît à dire : quand on remonte dans l’histoire, on ne trouve que bruit et qu’effort à chaque siècle, cependant il n’en est pas moins vrai qu’il y avait dans l’ancienne société, au milieu de tous ses dérangements, un ou deux grands ressorts qui continuaient d’aller ou qui reprenaient vite le dessus, et qui se sont brisés depuis.
Et je leur ai dit : Sortez de l’Italie, et passez chez mon peuple que je me suis élu dans la plénitude de ma bonté, et dans le pays que je compte d’habiter dorénavant, et à qui j’ai dit dans ma clémence : Tu seras la patrie de tous les talents… Et je les ai tous rassemblés dans un siècle, et on l’appelle le siècle de Louis XIV jusqu’à ce jour, en réminiscence de tous les grands hommes que je t’ai donnés, à commencer de Molière et de Corneille qu’on nomme grands, jusqu’à La Fare et Chaulieu qu’on nomme négligés. Et encore que ce siècle fût passé, je fis semblant de ne m’en pas apercevoir, et j’ai perpétué parmi toi la race des grands hommes et des talents extraordinaires. Suivaient des compliments et signalements particuliers pour Voltaire, pour Montesquieu, etc. ; mais le trait certes le plus délicat et le plus français était celui qu’on vient de lire : « Et encore que ce siècle fût passé, je fis semblant de ne m’en pas apercevoir. […] Quoi qu’il en soit, il va devenir de plus en plus le critique ordinaire intérieur et le chroniqueur littéraire du siècle.
Voici les paroles que nous trouvons dans l’introduction dont Saint-Chéron a fait précéder sa traduction de l’Histoire d’Innocent III : « Recevons le beau tableau historique de Hurter comme un témoignage du bien immense qu’un souverain pontife a pu accomplir dans un siècle reculé, mais encore du bien que l’institution, reconnue comme nécessaire aux intérêts les plus élevés du genre humain, pourra faire dans les siècles à venir où il se rencontrera un Grégoire, un Innocent, au milieu des hommes ramenés par une pénible et douloureuse expérience, aux vrais principes sociaux. » Comme on le voit, s’il n’est guère possible d’être plus lourd, il n’est guère possible d’être plus clair. […] Elle restera donc, et pour les siècles. […] Si les Papes avaient décidé que tout prêtre coupable avait bien droit à la miséricorde de l’Église, mais non plus aux fonctions publiques ; que, l’indignité reconnue, il n’était plus bon qu’à faire un moine, Home eût vécu plus longtemps sur le respect des peuples, et l’heure de la Réforme n’aurait pas sonné deux siècles après Innocent. […] Il donna dans la chimère de son siècle : la possession rêvée du Saint-Sépulcre l’émouvait plus que la possession de Byzance, la capitale de l’Empire grec.
C’est à ce prix que, l’année même de Salamine, après d’autres succès d’Eschyle, elle avait atteint, dans le drame des Perses, cette élévation que devait soutenir et tempérer le majestueux Sophocle, et qui n’a pas été surpassée dans la suite des siècles, non plus que la grandeur de la statuaire antique. […] Cette gloire dramatique d’Athènes, suscitée du milieu de sa gloire guerrière et libératrice, était si bien le propre domaine de la cité de Minerve que, parmi les citoyens des autres villes de la Grèce, nul, pendant plus d’un siècle, ne s’avisa d’y prétendre. […] Une autre poésie s’était élevée, depuis plus d’un siècle, puissance bien assortie aux troubles des états libres, n’épargnant ni le vice ni la vertu, et promenant de Paros à Corinthe son fouet injurieux. […] Mais nous sommes ici bien loin de ces injustes dédains d’un siècle trop raffiné ; nous essayons de comprendre, à la lumière du passé, Pindare comme Eschyle, et de les expliquer l’un par l’autre : car ils se touchent et se ressemblent. […] Ce jour-là, dans les fêtes d’Athènes, le génie de la liberté et de la poésie jetait, un siècle d’avance, les fondements de la grandeur d’Alexandre et commençait la conquête de l’Orient.
Ces trois dons, beauté, esprit, bonté, en avaient fait la reine du siècle. […] Il n’avait rien d’un homme de ce siècle. […] Je me dis : Voilà un homme né il y a deux siècles ; — examinons-le bien. […] « “Je n’aime pas, ma chère, tes travaux historiques et tes tableaux siècle par siècle. […] Comme langue, rien ne contribua plus à le former au travail difficile de parodier un siècle dans un autre siècle.
Jean-Jacques Rousseau, pendant un quart de siècle, eut le crédit d’un oracle. […] C’est là proprement la part de Rousseau dans le mal que nous a fait la philosophie politique du dernier siècle. […] Où son siècle était délicat, il affecte la grossièreté ; où son siècle était grossier, il raffine sur la délicatesse. […] Voilà pourquoi, parmi ses griefs contre son siècle, Rousseau a osé comprendre l’abandon de ses enfants. […] Ses sectaires, on les a vus à la fin du dernier siècle débuter par les maximes de sa philanthropie, et finir par égorger une partie de la nation par amour pour l’autre.
Le meilleur signe de progrès dans notre siècle, c’est peut-être qu’on y parle beaucoup de progrès. […] Les utopies passent, le mouvement qu’elles impriment à l’esprit d’un siècle persister se modère lui-même en se composant d’impulsions et de tendances divergentes, et reste ainsi salutaire, parce qu’il devient plus régulier. […] Là les observations exactes, les expériences décisives s’accumulent, les lois se dégagent comme d’elles-mêmes et les vérités conquises : de siècle en siècle forment un héritage incessamment agrandi, de telle sorte que les derniers venus trouvent dans ce capital intellectuel, intégralement transmis par les générations précédentes, l’instrument créateur de richesses illimitées. […] Ce n’est donc pas peine perdue que de parcourir ce noble édifice, à peine entamé par vingt-deux siècles ; toute obscurité d’ailleurs est écartée par l’érudition exacte et sûre du guide qui s’offre à nous. […] C’est enfin la tradition d’Aristote qui maintient seule, pendant les siècles les plus ténébreux du moyen âge, quelques faibles lueurs de science zoologique.
Des Troglodytes, des hommes du moyen âge, des hommes d’il y a deux ou trois siècles, se trouvent mêlés aux rares individus qui sont vraiment les hommes du XlXe siècle. […] Mais le courant du siècle sera le plus fort. […] Et quelle misanthropie qu’une misanthropie de vingt siècles ! […] Non, décidément, mieux vaut vivre au XIX° siècle, à Paris qui peut, ou même dans un joli coin de province. […] Il viendra des siècles où tes disciples passeront pour les disciples de l’ennui.