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1669. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Défendez-vous de la maladie de votre siècle, ce goût fatal de la vie commode, incompatible avec toute ambition généreuse. […] Il semble assez naturel qu’un siècle à ses débuts emprunte sa philosophie au siècle qui le précède. […] Mais si la philosophie du dernier siècle nous a laissé le vide pour héritage, elle nous a laissé aussi un amour énergique et fécond de la vérité. […] Une nouvelle poésie, une prose nouvelle commencent à paraître, qui pendant un siècle entier portent d’assez beaux fruits. […] Mais les systèmes philosophiques suivent leur temps bien plus qu’ils ne le dirigent ; ils reçoivent leur esprit des mains de leur siècle.

1670. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Nous n’avons vu cette expression à personne ; le croire Français, né dans ce siècle, eût été difficile. […] Un homme des générations antérieures reparaît, après un long intervalle, avec des croyances, des préjugés, des goûts disparus depuis plus d’un siècle, qui rappelle une civilisation évanouie. […] S’est-il passé tant de siècles entre la première représentation de Gaspardo le pêcheur et celle de l’Armurier de Santiago ? […] Quelle majesté et quelle force active encore dans cet ancien de la forêt, dans ce burgrave végétal, digne d’être chanté par Laprade, qui a vu les siècles tomber autour de lui comme les feuilles jaunes de l’automne ! […] Le siècle, en avançant, se dépeuple, et tous ces grands morts, nous ne voyons pas qui les remplacera dans l’avenir encore obscur ; car Rachel, cette flamme ardente dans ce corps frôle, est partie avant Georges.

1671. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Mais comme l’intérêt est passé des Empereurs, des Rois de l’antiquité, aux marquis des xviie et xviiie  siècles, puis des marquis aux gros bourgeois du xixe  siècle, ils entendent qu’on s’arrête à ce personnage noble de l’heure présente, et qu’on ne descende pas plus bas. […] toutes ces choses de la vie usuelle, rongées par la rouille des siècles, et où survit et se détache dans un fragment de métal pourri, la fière ronde bosse et le puissant relief d’un corps de femme emporté sur la croupe d’un animal, galopant dans l’espace… De la Grèce, et sa sculpture dans la tête, en ma promenade hallucinée, presque aussitôt tomber sur les portraits à la mine de plomb de M.  […] Là-dedans, au milieu de ce mobilier d’un autre siècle, l’ovale délicat de son pâle visage, ses yeux noirs doux et profonds, la sveltesse de sa personne longuette, lui donnent quelque chose d’une apparition, d’un séduisant et souriant fantôme ; caractère que je retrouve dans son portrait pastellé par Helleu. […] Et me voilà devant le colossal sphinx de granit rose de l’entrée, devant cette puissante image de la royauté, soudant une tête d’homme à un corps de lion, dont les pattes reposent sur un anneau : symbole d’une longue succession de siècles. […] Là-dessus je lui dis : « Pensez-vous que dans le siècle prochain, il y aura peut-être des appareils pour voir tout ce qui se passe derrière ces murs, et y entendre tout ce qui s’y dit. » Et en effet ce sera peut-être… Le miracle de l’instantané est un miracle tout aussi étonnant que pourraient être ceux-ci.

1672. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Si nous parvenons à montrer qu’il y a encore beaucoup d’idées chez le poète qui passe aujourd’hui pour n’avoir eu « aucune idée », il s’ensuivra que les idées, surtout avec les progrès de la société moderne, contribuent plus qu’on ne croit à la grande poésie, même à celle qui semble toute d’imagination aux esprits superficiels ; il s’ensuivra enfin que l’introduction des doctrines philosophiques, morales et sociales, dans le domaine de la poésie, est bien un des traits caractéristiques de notre siècle. […] Un grand homme épuise, pour ainsi dire, à l’avance son siècle : ceux qui viendront après lui l’imiteront même sans le connaître, parce qu’il les contenait d’avance et les avait devinés. […] Le mal est la nuit qui enveloppe encore le jour, et d’où le grand jour ne sortira qu’à la consommation des siècles. […] Quand la foule regarde les riches avec ces yeux-là, ce ne sont pas des pensées qu’il y a dans tous les cerveaux, ce sont des événements. » Victor Hugo, ici, a le courage de regarder le péril en face : « Les riches, écrit-il, sont en question dans ce siècle comme les nobles au siècle dernier. » Et il a aussi le courage de montrer la vanité des revendications dont il parle : ce n’est pas la pauvreté, c’est « l’envie » qui les dicte, et c’est à la richesse que la pauvreté s’en prend, sans se douter que, la richesse supprimée, « il n’y a plus rien pour personne214. » En 1830, il avait eu une idée fort juste sur la nécessité d’instruire le peuple avant de lui donner le droit de suffrage. « Les droits politiques doivent, évidemment aussi, sommeiller dans l’individu, jusqu’à ce que l’individu sache clairement ce que c’est que des droits politiques, ce que cela signifie, et ce que l’on en fait. […] Il faut réformer et transformer227. » « N’apportons point la flamme là où la lumière suffit. » « Il faut que le bien soit innocent228. » Une minute peut blesser un siècle, hélas229 !

1673. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Il avait trente-huit ans en 1814, ayant vécu jusque-là dans l’étude, dans la rêverie, dans les affections et les souffrances individuelles, s’étant élevé naturellement à une moralité générale, douce, pieuse, plaintive, chrétienne, mais n’ayant pas approprié sa pensée à son siècle, n’ayant pas trouvé la loi, la formule de sa philosophie, n’ayant pas deviné l’énigme. […] Ballanche disait à son jeune désespéré de 1819 pourrait s’adresser fructueusement à beaucoup des jeunes néophytes qui embrassent les siècles et l’univers : « Je veux essayer, mon fils, de guérir en vous une si triste maladie, état fâcheux de l’âme qui intervertit les saisons de la vie et place l’hiver dans un printemps privé de fleurs. » — La destinée de l’homme se compose, en effet, de deux destinées qu’il doit simultanément accomplir, une destinée individuelle proportionnée à son temps de passage sur cette terre, une destinée sociale par laquelle il concourt pour sa part à l’œuvre incessante de l’humanité. […] Son Orphée dut résumer les quinze siècles de l’humanité, qui, en dehors du cercle de nos traditions religieuses, sont placés en avant des temps historiques : Orphée dut être une espèce de Genèse du haut paganisme. 2° Si M. Ballanche enfermait toute l’humanité, extérieure aux Hébreux et antérieure à l’histoire, dans cette composition mythique d’Orphée, il songeait en même temps à enfermer l’histoire positive dans une Formule générale : les cinq premiers siècles de l’histoire romaine lui parurent se prêter excellemment à ce dessein, en ce qu’historiques par la gloire des noms, ils sont couverts de vapeurs transparentes et crépusculaires, et en ce que l’évolution, s’y accomplit dans une gradation distincte et toute dramatique.

1674. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

En Limousin, dit un intendant au commencement du siècle, sur plusieurs milliers, il n’y en a pas quinze qui aient vingt mille livres de rente. […] Depuis des siècles, la haute noblesse s’obère par son luxe, par sa prodigalité, par son insouciance, et par ce faux point d’honneur qui consiste à regarder le soin de compter comme une occupation de comptable. […] Près de Fontainebleau et de Melun, à Bois-le-Roi, les trois quarts du territoire restent en friche ; presque toutes les maisons de Brolle sont en ruines, on n’y voit plus que des pignons demi-écroulés ; aux Coutilles et à Chapelle-Rablay, cinq fermes sont abandonnées ; à Arbonne, quantité de champs sont délaissés ; à Villiers et à Dame-Marie, où il y avait quatre corps de ferme et nombre de cultures particulières, huit cents arpents demeurent incultes  Chose étrange, à mesure que le siècle va s’adoucissant, le régime de la chasse empire ; les officiers de la capitainerie font du zèle, parce qu’ils travaillent sous les yeux et pour les « plaisirs » du maître. […] « La pitié la plus active remplissait les âmes : ce que craignaient le plus les hommes opulents, c’était de passer pour insensibles. » (Lacretelle, Histoire de France au XVIII e siècle, V, 2.)

1675. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Les échelons manquent dans cette littérature ; le siècle littéraire d’Auguste est un sommet entouré de vide. […] Il fallait quatorze siècles pour que le génie latin, après avoir changé de lieu, de religion et de langue, se retrouvât à Rome, à Florence et à Ferrare, sous les Médicis, dans le Dante, dans Pétrarque, dans le Tasse, dans l’Arioste, ces quatre grands ressusciteurs de l’Italie. II J’ai dit tout à l’heure : Amusons-nous un peu avec le plus charmant poète de ce triumvirat d’hommes de lettres romains composé de Cicéron, d’Horace et de Virgile ; c’est qu’en effet la société d’Horace est une des sociétés d’esprit les plus aimables que l’on puisse rencontrer dans tous les siècles de l’antiquité ou des temps modernes. […] La jeunesse studieuse d’Athènes, à la lecture de ces lettres de Cicéron, approbatives du meurtre du tyran, proclama Brutus et Cassius les héros du siècle, promena leurs bustes dans les rues, et les plaça à côté des statues des libérateurs d’Athènes, Harmodius et Aristogiton.

1676. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Qu’il y en a qui se perdent dans le siècle par une vaine science et par l’oubli du service de Dieu ! […] Heureux ceux dont la joie est de s’occuper de Dieu, et qui se dégagent de tous les embarras du siècle ! […] Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et votre Esprit consolateur, dans les siècles des siècles.

1677. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Mardi 23 février À la fin du dîner de Brébant d’aujourd’hui, au bout d’une longue conversation, entre tous les hommes politiques, sur Lourdes et ses eaux miraculeuses, Berthelot dit qu’il ne serait pas étonné, que la fin du siècle fût en proie à un violent mysticisme. […] Et il s’apercevait à peine de la panne, dans laquelle il vivait, la cervelle, prise par un immense poème, en trois parties : « La Genèse, l’Humanité, l’Avenir », et qui était l’histoire cyclique et épique de notre planète, avant l’apparition d’une humanité, pendant ses longs siècles d’existence, et après sa disparition. […] Si quelqu’un fait un jour ma biographie, qu’il se persuade qu’il serait d’un grand intérêt pour l’histoire littéraire et la réconfortation des victimes de la critique des siècles futurs, de donner sur chacun de nos livres, les extraits les plus violents, les plus forcenés, les plus négateurs de notre talent. C’est bien dommage qu’un tel livre n’ait pas été fait pour tous les hommes de talent de ce siècle, à commencer par les éreintements sur Chateaubriand, à continuer par ceux sur Balzac, Hugo, Flaubert.

1678. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Pour la plupart de nos plantes les plus anciennement cultivées et de nos animaux domptés déjà depuis de longs siècles, il est impossible de décider définitivement s’ils descendent d’une ou de plusieurs espèces sauvages. […] — On pourrait objecter que le principe de sélection n’est devenu une méthode pratique que depuis trois quarts de siècle à peine. […] Néanmoins, nous pouvons admettre que ce procédé, continué durant des siècles, modifierait quelque race que ce fût, et en l’améliorant, de la même manière que Bakewell, Collins et tant d’autres, par la même méthode poursuivie systématiquement, modifient considérablement, dans la seule durée de leur vie, les formes et les qualités de leur bétail. […] On sait que le Chien d’arrêt anglais s’est considérablement modifié pendant le dernier siècle, et l’on croit que des croisements avec le Chien courant ont été la cause principale de ces changements.

1679. (1739) Vie de Molière

Ses premières comédies, qui étaient aussi bonnes pour son siècle, qu’elles sont mauvaises pour le nôtre, furent cause qu’une troupe de comédiens s’établit à Paris. […] Il fut plus encouragé par cette idée, que retenu par les préjugés de son siècle. […] Trois des plus grands auteurs du siècle de Louis XIV, Molière, La Fontaine, et Corneille, ne doivent être lus qu’avec précaution par rapport au langage. […] Molière peut avoir contribué à leur ôter leur pédanterie ; mais les mœurs du siècle, qui ont changé en tout, y ont contribué davantage.

1680. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Un des heureux du siècle et le plus actif des voluptueux, Voltaire, n’appréciait pas ces mérites lorsque, parlant de la publication commençante de dom Rivet, il écrivait à Cideville (6 mai 1733) : La fureur d’imprimer est une maladie épidémique qui ne diminue point. […] Le xiiie  siècle, en France, fut « un grand siècle littéraire », dit un de nos auteurs, que je crois être M. 

1681. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Un nouveau siècle était né et avait grandi : Marivaux appartenait à l’époque de transition, à la génération ingénieuse et discrète de Fontenelle, de Mairan, de La Motte, et le monde désormais appartenait à Voltaire régnant, à Montesquieu, à Buffon, à Rousseau, à d’Alembert, à cette génération hardie et conquérante qui succédait de toutes parts et s’emparait de l’attention universelle : Marivaux a eu parmi nous, disait Grimm en 1763, la destinée d’une jolie femme, et qui n’est que cela, c’est-à-dire un printemps fort brillant, un automne et un hiver des plus durs et des plus tristes. […] [NdA] Fontanes, en notre siècle, crut devoir renouveler quelque chose de la même réserve, lorsqu’il reçut M. 

1682. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Maurice de Guérin descendait d’une ancienne famille noble, originaire de Venise, dit-on, mais établie depuis des siècles dans le midi de la France. […] Il se sentit bientôt atteint de ce mal d’ennui qui fut celui des individus distingués dans les jeunes générations des trente premières années du siècle.

1683. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Le charmant portrait que Voltaire a tracé du héros de Denain dans Le Siècle de Louis XIV est bien plus celui qui nous semble juste, sauf l’indispensable teinte de flatterie, laquelle encore est si transparente qu'elle laisse bien apercevoir les défauts. […] Villars n’est pas seulement brave et brillant, il a les instincts de la grande stratégie, de celle dont notre siècle a vu les développements et les merveilles : en deux ou trois occasions, s’il avait été maître de ses mouvements, il frappait au cœur de l’Allemagne de ces coups agressifs auxquels on n’était pas accoutumé alors ; il se lançait, par exemple, jusqu’aux portes de Vienne, et très probablement il y entrait.

1684. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

C’est là chez bien des écrivains de son siècle et du suivant, très distingués par l’esprit et très agréables en prose, une sorte d’infirmité que de croire qu’ils ajoutent quelque chose à l’agrément d’une pensée en faisant et en mettant, à l’endroit où l’on s’y attend le moins, de méchants vers. […] Pour s’être donné le malin plaisir de faire un livre de Régence et de Directoire, qui est bien de la date où le surintendant Fouquet faisait collection de ses billets doux, et dressait une liste de ses bonnes fortunes, il manque le grand siècle, les guerres de Flandre, celle de Franche-Comté qui vient passer presque sous ses fenêtres ; tous ses compagnons d’armes y seront : « Il vient de passer dix mille hommes à ma porte (à la porte de son château de Bussy) : il n’y a pas eu un officier tant soit peu hors du commun qui ne me soit venu voir ; bien des gens de la Cour ont couché céans. » Vite il écrit au roi pour demander à servir cette campagne, et le roi impassible répond : « Qu’il prenne patience !

1685. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Cicéron avait dit, — s’était fait dire par Atticus dans son dialogue Des lois —, que l’histoire était un genre d’écrit éminemment oratoire (« opus hoc oratorium maxime ») ; Atticus lui conseille de s’y appliquer : « Depuis longtemps, dit-il à son éloquent ami, on vous demande une histoire, on la sollicite de vous ; car on est persuadé que, si vous traitiez ce genre, là aussi nous ne le céderions en rien à la Grèce. » Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas, pour Cicéron, de remonter jusqu’aux origines, aux contes de vieille sur Rémus et Romulus, mais bien de retracer les grandes choses de l’histoire contemporaine et les spectacles dont on a été témoin en ce siècle d’orages, y compris cette mémorable année de son consulat. […] Taine nomme Stendhal ; il le citera surtout dans son livre des Philosophes, et le qualifiera dans les termes du plus magnifique éloge (grand romancier, le plus grand psychologue du siècle).

1686. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Mais aucun monarque et souverain ne s’était rencontré encore dans la situation extraordinaire de Napoléon, à la fois abdiquant et captif, — prisonnier sans avoir été pris et en quelque sorte de son propre choix, pour s’être allé asseoir au foyer de la nation son implacable ennemie ; détenu non dans une prison, mais sur le rocher le plus perdu de l’Océan ; non par la vengeance d’un seul adversaire, mais par la terreur de l’Europe entière conjurée ; et désormais élevé (seule élévation dernière qui lui manquât) à l’état de victime ; — ayant abdiqué pour la seconde fois et toujours forcément sans doute,, mais enfin de cœur comme de fait, et résigné ; ne nourrissant plus aucun espoir de retour, mais conservant jusqu’à la fin toute la sérénité de son coup d’œil, toute sa plénitude d’intelligence politique ; sevré de presque toute information actuelle, et se reportant avec d’autant plus d’impétuosité et d’ardeur aux grands événements récents ou passés, à l’histoire d’hier ou à l’histoire des siècles ; perçant de plus dans l’avenir et plongeant sur les horizons lointains avec la haute impartialité du conquérant apaisé, avec la vue épurée du civilisateur. […] Quand on a eu de telles occasions uniques dans la vie et dans les siècles de se montrer et qu’on les manque, c’est irréparable.

1687. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Si l’on voulait se donner le spectacle de l’incertitude et de la fragilité du goût, même chez les plus savants hommes, et même en ces matières classiques, il suivrait de lire le jugement que porte le docte Huet de ce joli roman ; c’est dans sa Lettre à Segrais, en tête de  ; il vient de parler de deux mauvais romans composés par des Grecs byzantins : « Je fais à peu près le même jugement, dit-il, des Pastorales du sophiste Longus ; car, encore que la plupart des savants des derniers siècles les aient louées pour leur élégance et leur agrément, joint à la simplicité convenable au sujet, néanmoins je n’y trouve rien de tout cela que la simplicité, qui va quelquefois jusqu’à la puérilité et à la niaiserie. […] Après une simple mention faite de l’Âne de Lucius, et de Théagene et Chariclée d’Héliodore, il se contente de dire : « Le roman de Daphnis et Chloé du sophiste Longus est d’un temps plus récent encore ; Huet ne le croit guère antérieur à deux romans obscurs qu’a produits le siècle.

1688. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Sa maison seule, qui est fort belle, ses escaliers ornés de statues d’un goût parfait, la beauté de ses tableaux, la profusion des dessins qu’on trouve jusque dans ses antichambres, et les raretés de toute espèce et de tous les siècles qu’on rencontre à chaque pas, auraient suffi pour m’apprendre que j’entrais chez le prince de la littérature allemande. […] Edouard Lefebvre, s’emparait de tous ses papiers et le faisait conduire en Russie, où il fut détenu prisonnier jusqu’à la paix. » C’est cet homme capable, instruit de tant de choses, les ayant observées dans l’une de ces situations secondaires où, moins engagé de sa personne, on garde une plus parfaite clairvoyance, que la Restauration et le ministre qui en était le plus noble représentant dans la sphère diplomatique avaient su apprécier à sa valeur : le duc de Richelieu l’avait invité à écrire l’Histoire de la diplomatie française pendant les quinze premières années du siècle.

1689. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

C’est véritablement sa confession qui commence : « Le mouvement de ma vie a été si rapide, si varié, qu’il me semble avoir déjà vécu un siècle. […] J’ai vu mon avenir détruit dans sa partie la plus vitale, mon esprit envahi par les incroyables hypothèses du siècle, et mon cœur, en révolte contre lui-même, s’absorber dans une lutte insensée.

1690. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Il croyait que rien n’est impossible à Dieu, non-seulement pour les siècles passés, mais sur l’heure et présentement. […] Il avait été reçu par M. de La Chapelle, directeur, qui ne parla pas mal non plus et qui dit même des choses assez neuves et très à propos à cette date de 1699, fin d’un siècle, sur les heures de perfection et de décadence littéraire pour les nations : il développa une pensée de l’historien Velleius Paterculus, et parla de cette sorte de fatalité qui fixe dans tous les arts, chez tous les peuples du monde, un point d’excellence qui ne s’avance ni ne s’étend jamais : « Ce même ordre immuable, disait-il, détermine un nombre certain d’hommes illustres, qui naissent, fleurissent, se trouvent ensemble dans un court espace de temps, où ils sont séparés du reste des hommes communs que les autres temps produisent, et comme enfermés dans un cercle, hors duquel il n’y a rien qui ne tienne ou de l’imperfection de ce qui commence ou de la corruption de ce qui vieillit. » C’était bien pensé et bien dit.

1691. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Continuez, monsieur, d’être supérieur à ce qui a énervé, abattu, anéanti tant d’hommes ; soyez toujours ce fils, cet époux, cet ami que vous êtes ; faites voir à un siècle qui semble l’ignorer que l’on peut être très sage, très appliqué, et en même temps infiniment aimable. […] Son cœur seul put être rapporté en France, Le major du régiment de Champagne, M. de Vignolles, appelé par le mourant, et qui avait reçu ses derniers soupirs, écrivait du camp près de Cologne, le 28 juin 1758 : « Nous venons de perdre le meilleur sujet du royaume et la plus belle âme ; il était doué de trop de vertus pour vivre dans un siècle aussi corrompu.

1692. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

On a comparé aussi les nombreuses et agréables citations que fait M. de Bausset des écrivains du grand siècle, à des îles verdoyantes et fraîches qui ornent le courant du récit et s’y prolongent encore par leurs ombres. […] Perrault, qui mettait les modernes si fort au-dessus des anciens, comptait parmi les plus beaux avantages de son siècle cette cérémonie académique dont il était le premier auteur : « On peut assurer, dit-il, que l’Académie changea de face à ce moment : de peu connue qu’elle étoit, elle devint si célèbre qu’elle faisoit le sujet des conversations ordinaires. » Les Grecs avaient les jeux olympiques, les Espagnols ont les combats de taureaux, la société française a les réceptions académiques.

1693. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Le caractère du siècle reçoit alors son trait final, et « l’homme sensible » apparaît. […] Trait final qui achève la physionomie du siècle, la sensibilité de salon

1694. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Grâce, finesse et bonté, indulgence sans illusions, philosophie douce qui rappelle, avec quelque chose de plus sain et de plus tendre, celle de quelques femmes du siècle dernier, une sagacité qu’on ne trompe pas, mais qui pardonne parce qu’elle comprend, une intelligence très pénétrante et passablement désenchantée, mais consolée par un très bon cœur…, ai-je dit tout ce qu’on trouve dans les Maximes de la comtesse Diane ? […] Vous n’aurez peut-être pas été une des femmes les plus raisonnables de ce siècle, mais vous aurez plus vécu que des multitudes entières, et vous aurez été une des apparitions les plus gracieuses qui aient jamais voltigé, pour la consolation des hommes, sur la surface changeante de ce monde de phénomènes.

1695. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

En somme, Schaunard et Rodolphe agonisent, avec les principaux clichés du chauvinisme et du sentimentalisme de ce siècle, dans cette dure et salutaire période où nous sommes, qui examine avec une résolution froide et triste toutes les métaphores et toutes les notions acceptées par la masse. […] L’homme qui, appuyé sur l’expérience de la vie parisienne, et mû par une puissante compassion pour les êtres qui promènent sans défense des dons admirables à travers les dangers de la vie, écrirait ce code de leur organisation morale et matérielle, cet homme réaliserait une des œuvres les plus hautement bienfaisantes de tous les siècles.

1696. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Les très variés problèmes obscurcis pendant des siècles par le spiritisme leur seront une provision de besogne, pour longtemps. […] S’il est vrai que le siècle va au socialisme, et qu’impuissants matériellement à l’orienter nous ne devons que reconnaître avec le plus de clairvoyance l’itinéraire prochain, l’enquête stricte à laquelle s’est livré M. de Wyzewa nous est à tous d’un intérêt personnel.

1697. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Aristote a précédé Théophraste, lequel est né de ce grand maître en l’art de penser sur toutes choses fortement et à fond ; Montaigne est l’aîné de La Rochefoucauld de près d’un siècle et demi. […] Dans ces Pensées, publiées quatre ans après, mais conçues vers le même temps, ce grand génie, franchissant les siècles, cherchait les principes et la sagesse bien au-delà des expériences du temps présent, auquel La Rochefoucauld était resté trop attaché.

1698. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Pour eux, la Poésie datait du siècle et, en dehors de Mallarmé, il n’y avait point de salut. […] Il appartenait à ce peuple honni et persécuté depuis des siècles, mais orgueilleux, irréductible et qui n’a jamais voulu reconnaître la loi du vainqueur.

1699. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

À cette époque, Franklin ne distinguait point entre ses deux patries ; il avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées de la jeune Amérique ; il la voyait, du Saint-Laurent au Mississipi, peuplée de sujets anglais en moins d’un siècle ; mais, si le Canada restait à la France, ce développement de l’empire anglais en Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à les rallier en confédération et à les lancer sur les colonies. […] Il avait foi à la science expérimentale et à ses découvertes croissantes ; il regrettait souvent, vers la fin de sa vie, de n’être pas né un siècle plus tard, afin de jouir de tout ce qu’on aurait découvert alors : Le progrès rapide que la vraie science fait de nos jours, écrivait-il à Priestley (8 février 1780), me donne quelquefois le regret d’être né sitôt.

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