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634. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

elles ont été relevées par des Critiques très-propres à lui faire sentir la nécessité de traduire une seconde fois son Auteur, ou à le dégoûter pour jamais de la traduction. […] Ce Mercure est sur-tout le Théatre où cet Ecrivain déploie avec le plus d’éclat sa majesté littéraire, & fait le mieux sentir le poids de son autorité. […] Quoique les paroles qui viennent de nous échapper sentent un peu l’irrévérence, qu’on ne s’imagine pas que nous voulions le troubler dans l’exercice de sa domination.

635. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

Il sentira naître en lui une facilité nouvelle, le don d’écrire aisément et limpidement, « Nous avons, on le voit, exactement dit le contraire de ce que M. de Gourmont voudrait nous faire dire. […] Nous avons dit textuellement ceci : « Le goût est la faculté de sentir les défauts ou les beautés d’un ouvrage. » Nous serions curieux de savoir par quelle définition on pourrait remplacer la nôtre. […] … Le goût peut varier, en effet, et l’on peut changer d’opinion sur les beautés ou les défauts d’un ouvrage ; mais, quels que soient ces beautés ou ces défauts, le goût consiste et consistera toujours dans la faculté de les sentir.

636. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

De la nature, on ne sent, on ne reproduit, que les spectacles les plus sévères. […] Chez Chateaubriand, cette dualité, je n’ose dire cette duplicité, se fait bien sentir. […] Sa seule dissemblance avec Gœthe, c’est qu’il en a senti le poids. […] Ayant perdu la foi religieuse, il n’avait pas tardé à sentir le vide de son absence. […] On dirait qu’il se sent atteint déjà par sa main glacée.

637. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

On se sent assiégé de visions extravagantes. […] il y a longtemps que cette bouteille de vieux vin n’a senti le contact du souffle tiède de la nuit, comptez-y. […] La beauté de la nuit a été sentie à peine, quand déjà le jour arrive bondissant. […] La manière de concevoir règle en l’homme la manière de sentir. […] Nous nous trouvons transformés, notre vie est doublée ; notre âme végétait ; elle sent, elle souffre, elle aime.

638. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Au réveil, Joseph sentit pénétrer jusqu’à lui un rayon de l’allégresse universelle, et naître en son cœur comme une envie d’être heureux ce jour-là. […] S’il va un jour dans ce monde qui lui sourit, mais où il sent qu’il ne peut se faire une place, il est en pleurs le lendemain ; et s’il se résigne, car il le faut bien, c’est la douleur dans l’âme et en baissant la tête. […] Joseph le sentait mieux que personne. […] J’ai mille fois senti ces rayons jaunes. […] Je croyais me sentir plein d’éloquence à une tribune, mon idéal d’alors, et plein d’héroïsme en face des tyrannies ou des multitudes.

639. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Boschot, Adolphe (1871-1955) »

Et voici les Poèmes dialogués, qui sent sans aucun doute, du moins de ma part, ce que l’auteur a fait de meilleur. […] Il a surtout une méthode qu’il tient de sa manière de sentir et qui est fort originale.

640. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 252-254

de Beauvais, qui ne sont point imprimés, qu’en sacrifiant au goût du siecle, ennemi de tout ce qui sent la discussion, il n’a pas du moins à se reprocher, comme tant d’autres Prédicateurs, d’affoiblir la majesté de la Religion. Sa maniere est plutôt d’attacher par les peintures, que par le raisonnement ; & l’on sent que l’élévation & le courage des pensées, la noblesse & l’énergie des expressions, la vigueur & la vérité des tableaux sont très-capables d’y suppléer.

641. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 275-277

Il suffit en effet de lire l’Ouvrage dont nous parlons, pour sentir combien sont frivoles, contradictoires & absurdes, les raisonnemens des Impies ; & combien sont solides, raisonnables & consolans les principes sur lesquels le Christianisme est établi. […] Il joint encore à ses lumieres les sentimens d’un Ecrivain modéré, honnête, très-éloigné de toute prétention dogmatique ; caractere propre à faire sentir évidemment la différence qui subsiste entre l’homme sage & éclairé qui redresse, & le Philosophe fastueux qui égare.

642. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Je ne sais quel goût de distinction native : se sent toujours chez ceux qui, jeunes, ont eu de ces religions secrètes ; même quand l’heure de l’érudition est venue, on se dit en les lisant, et on devine à un certain air, que la poésie a passé par là. […] Et cependant, au milieu des grandeurs et des magnificences qui l’environnaient, il lui manquait encore quelque chose ; son cœur se sentait au dedans un vide qui n’était pas comblé. […] Tout cela est d’un bon esprit qui sent sa portée et ses limites, d’un acteur politique qui connaît son terrain et ses moyens. […] De ce côté-ci, comme on sent l’excès de poli et, dessous, l’épuisement ! […] On y vit d’heureux traits de détail, mais on y sent trop bien l’absence d’intérêt dans les sujets et le manque d’invention poétique.

643. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Madame de Sévigné sentait la nature à sa manière, et la peignait au passage, en charmantes couleurs, quoique ayant une prédilection décidée pour la conversation et pour la société mondaine. Mais La Fontaine, après Racan, La Fontaine surtout la sentit, l’aima, la peignit, et en fit son bien. […] La manière dont Bernardin de Saint-Pierre envisageait la femme s’accorde à merveille avec sa façon de sentir la nature ; et c’est presque en effet (pour oser parler didactiquement) la même question. […] On y remarque quelques rapports lointains avec des personnages qu’il avait rencontrés durant sa vie antérieure, mais c’est seulement dans les noms que la réminiscence, et pour ainsi dire l’écho, se fait sentir. […] Bernardin, le peintre du coloris fondant et des nuances mœlleuses, a su, en ses deux contes indiens, adoucir la raillerie sans l’éteindre, la revêtir d’une magnificence charmante et faire sentir le piquant dans l’onction.

644. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Hâtez-vous, ou vous êtes perdus ; vos délais, vos incertitudes sont funestes ; mes cheveux frissonnent ; le froid du matin se fait sentir. […] « La nature peut-elle être sentie par des hommes sans enthousiasme ? […] Le feu d’esprit, qui habituellement le traversait et ranimait de mille nuances rapides, ne s’y marquait plus que par une expression singulière de mobile et pénétrante inquiétude, une sorte de divination dans le chagrin : on se sentait affligé en la voyant. […] Napoléon le sentait lui-même et cherchait à colorer son attentat d’un prétexte de patriotisme. […] On pense à elle toutes les fois qu’on se sent dans le cœur quelque chose de libre, de fort et de grand.

645. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Jeanne ne semblait rien voir, rien sentir, rien comprendre. […] … J’ai senti ses moustaches. […] Et comme elle se sentait loin de chez elle ! […] Les domestiques qui ne se sentent pas surveillés font tout à la diable. […] Elle ne sentait rien.

646. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Quelques jeunes, en petit nombre, sentent dans toutes leurs veines et tous leurs nerfs leur force vitale, et se réjouissent à l’avance du lever du Soleil. […] « Nous nous sentons, dit-il, environnés d’un inconnu immense où nous demandons au moins qu’on nous réserve un accès. […] Le mauvais cavalier qui ne se sent pas sûr de lui remonte ordinairement ses jambes et tombe certainement, tandis qu’il conserverait vraisemblablement l’équilibre, s’il les laissait tendues. […] De même que le vagabond se sent attiré vers les vagabonds, l’aliéné se sent attiré vers les aliénés. […] Ce mollusque voit donc, entend, sent, flaire avec cette seule partie du corps ; son siphon lui sert à la fois d’œil, d’oreille, de nez, de doigts, etc.

647. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Beaucoup ont senti comme vaciller des convictions qu’ils avaient crues inébranlables. […] Elles sentent bien que leur affection ennuie et lasse l’enfant prodigue. […] comme il se sent monter au cœur des mouvements de haine ! […] Lemaître n’ait senti ce jour-là comme un coup douloureux. […] Il me semble, en effet, que parfois son drame sent le réquisitoire violent.

648. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

La nuit était noire et le froid commençait à se faire sentir. […] Combien l’homme ranimé par la fraîche haleine du printemps se sent dispos et plein de vigueur ! […] Le soleil monte toujours ; l’herbe sèche rapidement, et déjà la chaleur commence à se faire sentir. […] À chaque instant on se sent une larme au bord de la paupière. […] On n’y sent aucun art ; l’art est dans son œil qui lui fait tout discerner et dans son âme qui lui fait tout sentir.

649. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Tantôt, on se souvient avec complaisance, et l’on substitue, à ce qu’on a senti ou pensé, ce qu’on aimerait avoir pensé ou senti ; on se voit invinciblement en plus beau : et c’est le cas ordinaire. […] On sent, je ne saurais trop dire à quoi, que Julie eût-elle été libre, il n’eût pas épousé Julie. […] Les merveilleux paysages de Chateaubriand sentent volontiers le décor, l’arrangement théâtral. […] Je sentais dans mes cheveux un vent doux et frais. […] Sentir se confond, alors, avec adorer.

650. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Je ne me flattais pas de l’avoir éveillé ; il me suffisait de m’y sentir adéquat. […] Tant pis pour qui ne sent point cela ! […] Flaubert plus d’indulgence ; elle l’irrite surtout pour ne point vouloir sentir son néant. […] On sent qu’elles ont été vivantes et qu’elles ne le sont plus. […] On sent bien d’abord une différence vague, mais pourquoi ?

651. (1896) Études et portraits littéraires

L’insuffisance a été sentie de ces précisions numériques. […] Fond et forme, il sent son époque. […] Elle le dit, elle le crie ; elle se sent meilleure. […] Il se sent vaincu et dupe, qui pis est. […] Il sent, il imagine, il pense en orateur.

652. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 277-279

Ce n’est pas qu’il en ignore les préceptes : les Réflexions qu’il a publiées à la tête de ses Discours choisis, prouvent qu’il les connoît & qu’il en sent la nécessité ; mais les Discours qui les suivent & les Sermons que nous lui avons entendu prêcher, ne prouvent pas qu’il possede les qualités & qu’il ait rempli les devoirs d’un Orateur Chrétien véritablement éloquent. […] Plus ambitieux de plaire que de toucher, d’étaler des connoissances que de convertir, il n’a absolument rien d’énergique, rien qui soit senti : on croit entendre un Dissertateur bel-esprit, plutôt qu’un Orateur pénétré de son sujet, & jaloux d’en pénétrer les autres.

653. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VI. Des Esprits de ténèbres. »

On doit sentir dans ces orages une puissance, forte seulement pour détruire ; on y doit trouver cette incohérence, ce désordre, cette sorte d’énergie du mal, qui a quelque chose de disproportionné et de gigantesque, comme le chaos dont elle tire son origine. […] On sent qu’il n’est pas question ici de la partie historique et philosophique de la magie considérée comme l’art des mages.

654. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

On sent l’homme qui a vu les Charmettes et conversé peut-être dans sa jeunesse avec madame de Warens. […] C’est dans cette troisième puissance que l’homme se sent blessé à mort. […] On y sent une résignation mal résignée qui murmure au fond du cœur sous un sourire de convention. […] Il pense seul, il voit loin, il sent juste, il exprime puissamment : c’est un radical monarchique. […] Nous sentions qu’un génie marchait devant nous.

655. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Il se distingua de bonne heure par une capacité surprenante de mémoire et d’entendement ; il savait par cœur Virgile, comme un peu plus tard il sut Homère : « On comprend moins, a dit M. de Lamartine, commentil s’engoua pour toute sa vie du poète latin Horace, esprit exquis, mais raffiné, qui n’a pour corde à sa lyre que les fibres les plus molles du cœur ; voluptueux indifférent, etc. » M. de Lamartine, qui a si bien senti les grands côtés de la parole et du talent de Bossuet, a étudié un peu trop légèrement sa vie, et il s’est posé ici une difficulté qui n’existe pas ; il n’est fait mention nulle part, en effet, de cette prédilection inexplicable de Bossuet pour Horace, le moins divin de tous les poètes. […] Après avoir apostrophé en face l’hérétique Marcion (avec les paroles de Tertulliend) : « Tu ne t’éloignes pas tant de la vérité, Marcion… », entrant alors dans son sujet, il établit que cette miséricorde et cette justice subsistent l’une et l’autre, mais ne se doivent point séparer ; il va s’attacher à représenter dans un même discours le Sauveur miséricordieux et le Sauveur inexorable, le cœur attendri, puis le cœur irrité de Jésus : « Écoutez premièrement la voix douce et bénigne de cet Agneau sans tache, et après vous écouterez les terribles rugissements de ce Lion victorieux né de la tribu de Juda : c’est le sujet de cet entretien. » Dès cet exorde on sent un feu singulier, une imagination ingénieuse et exubérante, une érudition un peu subtile qui se prend dès l’abord à une hérésie bizarre ; selon le mot de Chateaubriand, on voit « l’écume au mors du jeune coursier ». […] Toute cette partie est d’une jeunesse, d’une fraîcheur de tendresse et de miséricorde charmante, et qui sent sa première sève. […] Ailleurs, c’est plutôt dans l’emploi de certains mots rudement concis, et dans le tour presque latin, qu’on sent le contemporain de Pascal : Car enfin ne vous persuadez pas que Dieu vous laisse rebeller contre lui des siècles entiers : sa miséricorde est infinie, mais ses effets ont leurs limites prescrites par sa sagesse : elle qui a compté les étoiles, qui a borné cet univers dans une rondeur finie, qui a prescrit des bornes aux flots de la mer, a marqué la hauteur jusqu’où elle a résolu de laisser monter tes iniquités. […] ne le sentez-vous pas ?

656. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Il se sentit bientôt atteint de ce mal d’ennui qui fut celui des individus distingués dans les jeunes générations des trente premières années du siècle. […] Son centaure, vieilli et contristé, déclare au visiteur humain qui le consulte que, pour être allé avec tant d’ivresse et de fougue et avoir tant pressé et tourmenté l’immense nature, il n’a pas surpris le grand secret et n’a rien arraché à la nuit des origines ; qu’il a senti seulement le souffle errer, sans saisir le sens ni les paroles, et que l’incompréhensible est pour lui le dernier mot comme le premier. — Mais je n’ai pas à analyser ici les productions de Guérin ; il me suffit d’en rappeler l’idée et d’en provoquer le réveil : ses œuvres complètes, on nous l’annonce enfin, vont paraître, prose et vers, lettres et fragments d’art, grâce aux soins des mêmes amis qui se sont voués à l’honneur de son nom et à la conservation de sa mémoire. […] C’est peu de dire que Mlle de Guérin est chrétienne, elle l’est comme aux temps de la foi la plus fervente et la plus austère ; elle désire que son frère l’ait été aussi ; elle sent bien que c’est une grande et profonde infidélité à l’humble foi primitive que de poursuivre comme il l’a fait et d’embrasser aveuglément la vague nature en elle-même, et d’adorer le dieu Pan, ce plus redoutable des adversaires, le seul peut-être tout à fait dangereux ; mais elle espère, elle a confiance dans les paroles et les sentiments suprêmes qu’elle lui a vus à l’heure qui pour elle est tout, à cette heure qui sonne l’éternité : « Ma plus grande consolation, dit-elle en écrivant à un ami de son frère, je la trouve dans sa mort pieuse, dans ces sentiments primitifs de foi exprimés en prières, et dans la réception des derniers sacrements, dans cet ardent et dernier baiser au crucifix. […] Ici nous sommes déjà dans sa confidence ; elle écrit sur un cahier ses pensées, toujours à l’intention de son frère quelle a laissé à Paris souffrant : 10 avril (à Nevers)… Il fait beau ; on sent partout le soleil et un air de fleurs qui te feront du bien. […] Je veux porter ce qui aime dans l’autre vie. » L’apaisement gagne à mesure qu’elle sent qu’elle-même s’approche du retour vers le cher absent : Ce grand ami perdu, il ne me faut rien moins que Dieu pour le remplacer, ou plutôt Dieu était là, mais il s’avance dans la place vide.

657. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

les traits fins arriveront : ils arrivent en effet, mais tout cela sent un art bien neuf et bien élémentaire. […] Mais aussi la préciosité se sent à deux pas jusque dans les dérèglements. […] Bussy, au contraire, était un ambitieux et un courtisan qui avait imprudemment barré sa fortune, et qui le sentait et qui en souffrait ; c’était une âme inquiète et vaine, qui ne trouvait pas en elle les ressources pour se consoler. […] il ne peut faire longtemps ce rôle : « Tout cela ne m’empêcha pas de me bien divertir en Italie, tant c’est belle chose que jeunesse. » Le père de Tallemant aurait voulu faire de lui un conseiller au Parlement de Paris ; le jeune homme ne se sentait pas de vocation à devenir un magistrat. […] Il parle une langue excellente, d’une grande propriété d’acceptions, pleine d’idiotismes, familière, parisienne, et qui sent son fruit.

658. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Il essaye, pour y répondre, d’hypothèses diverses : l’arrangement fortuit, la nécessité du mouvement de la matière, l’infinité de combinaisons possibles dont une a réussi… Il hésitait, il commençait à se troubler : placé entre des explications incomplètes et des objections sans réplique, il allait, s’il n’y prenait garde, trop accorder à la raison, au raisonnement ; il sentait poindre l’orgueil en même temps que s’accroître les obscurités, quand tout à coup… mais laissons-le parler lui-même sa plus belle langue : Quand tout à coup un rayon de lumière vint frapper son esprit et lui dévoiler ces sublimes vérités qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître par lui-même et que la raison humaine sert à confirmer sans servir à les découvrir. […] Il apparaît, il est sur l’autel sans qu’on l’y ait vu monter : Alors levant les yeux, il (le songeur) aperçut sur l’autel un personnage dont l’aspect imposant et doux le frappa d’étonnement et de respect : son vêtement était populaire et semblable à celui d’un artisan, mais son regard était céleste ; son maintien modeste, grave et moins apprêté que celui même de son prédécesseur (Socrate), avait je ne sais quoi de sublime, où la simplicité s’alliait à la grandeur, et l’on ne pouvait l’envisager sans se sentir pénétré d’une émotion vive et délicieuse qui n’avait sa source dans aucun sentiment connu des hommes, « Ô mes enfants, dit-il d’un ton de tendresse qui pénétrait l’âme, je viens expier et guérir vos erreurs ; aimez celui qui vous aime et connaissez celui qui est !  […] Rien ne l’embarassait ; les questions les plus captieuses avaient à l’instant des solutions dictées par la sagesse ; il ne fallait que l’entendre une fois pour être persuadé : on sentait que le langage de la vérité ne lui coûtait rien, parce qu’il en avait la source en lui-même. […] Necker), mon jeune ami, plaignez-moi ; plaignez cette pauvre tête grisonnante qui, ne sachant où se poser, va nageant dans les espaces, et sent pour son malheur que les bruits qu’on a répandus d’elle ne sont encore vrais qu’à demi. […] » Et cependant Rousseau eut jusqu’à la fin des moments de bonheur et d’intime jouissance ; il aimait, il sentait trop vivement la nature pour haïr la vie ; et s’il était besoin d’un témoignage pour prouver que la vie, somme toute, est bonne, si après le bûcheron de La Fontaine, après l’heureux Mécénas, après l’ombre d’Achille qu’Homère nous a montrée dans la prairie d’Asphodèle redésirant à tout prix la lumière du jour, il fallait quelqu’un qui renouvelât ce même aveuaa, ce n’est pas à un autre qu’à Rousseau, à cet aîné de Werther, à cet oncle de René, que nous l’irions demander.

659. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

On sent l’homme pressé. […] Mais aussi, dès que l’emportement était passé, la raison le saisissait et surnageait à tout ; il sentait ses fautes, il les avouait, et quelquefois avec tant de dépit qu’il rappelait la fureur. […] On sent, à ces suppressions, le goût intimidé et affaibli de ces esprits polis que la Révolution a effrayés, même en ce qui est de la littérature : ils émoussent tout ce qui a un accent. […] Virgile, pourtant, grâce à la modestie de son début et à la douceur de ses transports, les séduit tous en chantant et les désarme, — tous, excepté Hésiode, plus morose que les autres, plus piqué au jeu et qui sent apparemment son vainqueur. […] Alexandre, dès l’enfance, avait le culte d’Homère ; il sentait en lui la fibre d’Achille, et Aristote, en l’élevant, sut en user.

660. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Ce pauvre Don Quichotte, répétant les exploits des anciens chevaliers avec une si parfaite bonne foi et une candeur si unique, donne jour à une telle variété de rencontres et d’aventures, — l’écuyer Sancho, dès la seconde sortie, accompagne et double si grotesquement son maître, avec ce perpétuel contraste de demi-bon sens et de demi-bêtise qui ne feront que s’accroître et se solidifier en avançant, — l’auteur, par des stations ménagées à propos, sait si naturellement entremêler d’autres récits et nous intéresser, chemin faisant, par les côtés passionnés et romanesques de notre nature, — il profite si justement et avec une si légitime hardiesse des instants lucides de son héros qui n’extravague que sur un point, pour le faire noblement et fermement discourir des matières que lui-même avait le plus à cœur de traiter, — tout cet ensemble vit, marche, se déduit si aisément, d’un cours si large, si abondant, et avec une telle richesse de développements imprévus et d’embranchements inépuisables, qu’on est bien réellement en plein monde, en plein spectacle, en plein air sous le ciel, qu’on nage dans un courant de curiosité humaine de tous côtés excitée et satisfaite, et que rien ne sent ni ne rappelle l’application critique et satirique née dans le cabinet. […] Le premier mouvement de Cervantes, en apprenant cette désagréable nouvelle et en recevant le croc-en-jambe, fut d’être irrité ; mais il redoubla aussitôt de courage, il se piqua d’honneur, et la dernière partie de son ouvrage sent l’aiguillon. […] Cervantes fut frappé de la richesse que lui offrait l’idée d’un enthousiaste héroïque qui se croit appelé à ressusciter l’ancienne chevalerie : C’est là le germe de tout son ouvrage, Il sentit en poëte tout ce qu’on pouvait faire de cette idée… » Un autre critique distingué par son savoir et ses consciencieuses lectures, mais doué aussi d’une ingénuité de jugement parfois excessive, Sismondi, dans son Cours sur les littératures du Midi, professé à Genève devant un auditoire qui riait peu, se chargea de reprendre et de développer la pensée de Bouterwek. […] Mais le même caractère, qui est admirable pris d’un point de vue élevé, est risible, considéré de la terre… L’on sent déjà pourquoi quelques personnes ont considéré Don Quichotte comme le livre le plus triste qui ait jamais été écrit ; l’idée, fondamentale, la morale du livre, est en effet profondément triste… » Il n’est, on le voit, que manière de prendre les choses. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah !

661. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Ceux qui vous ont précédés dans la carrière y ont dirigé vos premiers pas… Vous ne sentez peut-être pas assez vous-mêmes tout le prix de ces biens que vous avez reçus ; croyez-en celui qui les regrettera jusque dans sa vieillesse, et dont l’enfance sans protection, sans guide, n’eut de leçons que celles du malheur. » — On s’étonnait un jour devant M. d’Andilly que son très-jeune frère, le docteur Arnauld, au sortir des écoles, eût pu produire en français un livre aussi bien écrit que celui de la Fréquente Communion. […] Réfléchissez un peu : à chaque révolution, à chaque calamité sociale un peu longue, quelle interruption notable en tout se fait aussitôt sentir ! […] On sent que l’auteur a causé beaucoup avec M. de Bonald, et qu’aussi il a étudié les mathématiques. […] Molé a parlé avec élévation et sentiment de la conduite de M. de Quélen durant le choléra, et de son sermon à Saint-Roch pour les orphelins de ce fléau : « Serait-il vrai, messieurs, qu’il y eût pour tous les hommes dont la vie mérite qu’on la raconte, un moment, une journée, où ils arrivent au plus haut qu’il leur soit donné d’atteindre, où ils sentent, au plus intime comme au plus profond de leur âme, une sainte estime d’eux-mêmes qui ne saurait être surpassée ? » S’il est en effet, au milieu des luttes et des travaux de a vie active, tel jour méritoire où l’homme se sent le plus lui-même, il est aussi, pour quelques-uns, dans l’honorable loisir qui suit le combat et dans l’arrière-saison éclairée, tel jour de retour où la vie retrouve toute sa grâce.

662. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Né en 1669 ou 70 à Paris, d’un père cordonnier, qu’il renia plus tard, ou qu’au moins il aurait certainement troqué très-volontiers contre un autre, Jean-Baptiste Rousseau se sentit de bonne heure l’envie de sortir d’une si basse condition. […] Voilà ce que sentaient et disaient du moins les partisans et les débris du dernier règne, M. […] Le comte du Luc, son patron, tombe malade ; Rousseau en est touché ; il veut le lui dire et lui souhaiter une prompte convalescence, rien de mieux ; c’était matière à des vers sentis et touchants ; mais Rousseau aime bien mieux déterrer dans Pindare une ode à Hiéron, roi de Syracuse, qui, vainqueur aux jeux Pythiques par son coursier Phérénicus, n’a pu recevoir le prix en personne pour cause de maladie. […] Si, en juin 1829, un jeune homme de vingt ans, inconnu, nous arrivait un matin d’Auxerre ou de Rouen avec un manuscrit contenant le Cantique d’Ézéchias, l’Ode au comte du Luc et la Cantate de Circé, ou l’équivalent, après avoir jeté un coup d’œil sur les trois chefs-d’œuvre, on lui dirait, ce me semble, ou du moins on penserait à part soi : « Ce jeune homme n’est pas dénué d’habitude pour les vers ; il a déjà dû en brûler beaucoup ; il sent assez bien l’harmonie de détail, mais sa strophe est pesante et son vers symétrique. […] Il est fâcheux que, non content de protester pour lui, il ait persisté à incriminer les autres, comme Rollin le lui fit sentir un jour (voir l’Éloge de Rollin par de Boze).

663. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Les précieuses écrivaient des lettres ; la phrase de Mme de Montausier, ou de Mme de Sablé, ou de Mme de Maure, est encore un peu compassée, cérémonieuse, à longue queue : cependant avec elles, et surtout avec Voiture, qui a laissé échapper de délicieux billets, on sent que l’on marche vers l’excellent style, sans relief et sans couleur, mais d’un trait si juste et si fin, que Bussy et Mme de la Fayette emploieront. […] Son rôle a donc été fort analogue à celui de Malherbe : en face de la strophe oratoire préparée par celui-ci, il a construit la période éloquente, et Boileau avait le droit d’écrire : « On peut dire que personne n’a jamais mieux su sa langue que lui, et n’a mieux entendu la propriété des mots et la juste mesure des périodes. » Et vraiment, quand on lit certaines pages de Balzac, dans le Socrate chrétien par exemple, on sent que la forme de Bossuet est trouvée. […] La nature, les arbres, les eaux, le clair soleil, lui donnaient du plaisir, et sous ses grandes phrases on sent la sincérité de la jouissance : il a vraiment aimé la campagne, il l’a préférée à la société. […] Seuls les jansénistes trop instruits pour estimer son fond, trop peu artistes pour sentir sa forme — le tenaient en médiocre estime. […] Il a une phrase longue, enchevêtrée d’incidentes et de subordonnées, alourdie de relatifs et de conjonctions, qui sent enfin le latin et le collège.

664. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Ils sentaient le divin en eux-mêmes. […] Jésus n’a pas de visions ; Dieu ne lui parle pas comme à quelqu’un hors de lui ; Dieu est en lui ; il se sent avec Dieu, et il tire de son cœur ce qu’il dit de son Père. […] Il n’avait pas encore de disciples, et le groupe qui se pressait autour de lui n’était ni une secte, ni une école ; mais on y sentait déjà un esprit commun, quelque chose de pénétrant et de doux. […] La palme est à celui qui a été puissant en paroles et en œuvres, qui a senti le bien, et au prix de son sang l’a fait triompher. […] Mais la forme fragmentaire se fait sentir à travers les sutures.

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