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1099. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

On sent qu’il est toujours maître de son sujet, qu’il se meut dans le champ des idées comme dans son domaine, qu’il en sait tous les chemins, qu’il est prêt, si l’un d’eux se trouve fermé, à en ouvrir d’autres, qu’il a le droit de prendre charge d’âmes, et de s’offrir pour guide aux ignorants et aux étrangers qui voudront visiter la contrée solitaire et périlleuse où il s’est établi. […] Si le ton est toujours familier, on ne s’empare point des esprits, on ne fait que les amuser et les instruire ; il faut que la noblesse vienne relever la familiarité, et que l’auditeur maîtrisé sente et respecte l’autorité de l’orateur. […] » Il y a une grâce touchante dans cette phrase : « L’âme immatérielle, intelligente et libre, sera recueillie par son auteur. » Mais cette grâce et cette force sont à demi cachées ; l’auteur ne les étale point ; d’elles-mêmes elles se font sentir. […] Il a dépouillé sa poésie, il est resté simple orateur ; son style est devenu plus mesuré ; et cependant sa jeunesse parfois lui revient ; il s’enflamme encore ; on sent alors qu’il oublie ses auditeurs ; il voit son idée se lever devant lui ; il s’éprend d’amour pour elle ; il retrouve son enthousiasme ; il écrit cette phrase dont j’entends d’ici l’accent transporté et poétique.

1100. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

Nous sentons partout ce que le souvenir de l’Italie jeta de douceur dans les vieux poëtes de la rude Albion, dans les sonnets de Daniel, dans Surrey, dans Spencer, dans Waller, dans le grand Milton lui-même. […] C’est que Gray, avec la science et le goût profond de l’antiquité, eut une manière originale de sentir et de rendre sa pensée. […] Ce moyen âge, alors aussi peu loué que peu compris, cette antiquité des siècles gallo-romains et celtiques, il la connut également, dans ses langues, son architecture, ses arts, son imagination et ses ruines : et de cette étude si vaste, si variée, entretenue par les voyages et la rêverie, il ne tira qu’un petit nombre de vers, profondément sentis, lentement travaillés, après d’assidues lectures de Pindare et de Sophocle, devant les sites escarpés et sombres des forêts d’Écosse, ou dans les recoins solitaires des Hébrides, ou dans les humbles allées de quelque cimetière de village. […] « Marquez l’année et marquez la nuit où la Severn répétera avec épouvante les râles de mort qui bruis• sent à travers les voûtes de Berkley, les râles d’un roi agonisant…..

1101. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Il a parlé de la mort : toujours on sent Horace, ou Sénèque, ou la Bible derrière lui. […] C’est une grande affaire pour lui que de placer un repos : il estimait son écolier Maynard « l’homme de France qui savait le mieux faire les vers », parce que Maynard lui avait l’ait sentir la nécessité d’une pause après le troisième vers dans les strophes de six. […] « La raison qu’il disait pourquoi il fallait plutôt rimer des mots éloignés que ceux qui avaient de la convenance, est que l’on trouvait de plus beaux vers en les rapprochant qu’en rimant ceux qui avaient presque une même signification ; et s’étudiait fort à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avait qu’elles lui faisaient produire quelques nouvelles pensées, outre qu’il disait que cela sentait son grand poète de tenter les rimes difficiles qui n’avaient point été rimées265. » Pour peu qu’on soit familier avec la poésie romantique, on ne peut avoir de doute sur la valeur et la portée de ces idées.

1102. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Des vieillards frémissent d’amour depuis qu’ils se sentent impuissants. […] l’artifice naïf, au lieu de donner au récit quelque unité même apparente, en fait, sentir plus cruellement la dispersion. […] On sent l’impuissance dès les premières pages ; il n’y a plus qu’à se résigner, à s’intéresser aux divers fragments comme à une série de nouvelles sur « une époque ».

1103. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les traductions. » pp. 125-144

Autant l’une a pour objet de faire sentir toute la force & tout le mérite du texte, autant l’autre tend à l’accommoder à notre goût, & à le tourner beaucoup moins à notre instruction qu’à notre amusement. […] Selon lui, les beautés du goût de toutes les nations doivent être conservées : mais il ne juge pas qu’il en soit de même de certaines beautés locales, que des allusions, à des usages particuliers, empêchent d’être senties partout, & rendent le plus souvent des énigmes insipides. […] Ce langage ne convient qu’aux mauvais versificateurs & à ceux qui n’ont pas assez d’enthousiasme, & peut-être de goût, pour sentir les charmes de la belle poësie.

1104. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 45, de la musique proprement dite » pp. 444-463

Nous-mêmes ne sentons-nous pas que ces airs font sur nous l’impression que le musicien a eu l’intention de leur faire produire ? Ne sentons-nous pas que ces symphonies nous agitent, nous calment, nous attendrissent, enfin qu’elles agissent sur nous à peu près comme les vers de Corneille et ceux de Racine y peuvent agir. […] Le sentiment nous enseigne d’abord qu’elle est très-propre à calmer les agitations de l’esprit, et comme une discussion bien faite justifie toûjours le sentiment, nous trouvons en l’examinant par quelles raisons elle est si propre à faire l’impression que nous avons déja sentie.

1105. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Mais on ne sent pas quand on le lit ce que nous recherchons, même en histoire : le voisinage d’une âme qui chauffe la nôtre, ou bien cette âpre froideur de l’intelligence qui finit, comme la neige, par brûler autant que le feu, et que possèdent seuls les grands historiens, les grands observateurs de la nature humaine dont la pensée est toutes les passions. […] Alors on sent profondément ce que sont les Mémoires, même les plus passionnés, même les plus suspects, pour la complète intelligence de la réalité historique, et on conçoit nettement tout ce qui manquerait si on ne les avait pas. […] Il ne comprend pas que cela était de situation, et qu’en politique et en histoire la situation a une telle force, que de grands esprits comme Napoléon, qui l’ont sentie contre la leur, ont incliné, du coup, vers une superstitieuse fatalité !

1106. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Vous rappelez-vous certains cris de Mme Dorval, cette tragédienne par l’abandon, par le spontané, par le prime-sautier, par le je ne sais quoi, par la nature, comme dit l’homme exaspéré, qui sent que son étude et son effort ne sont pour rien là-dedans ! […] Sans son suicide et sans ses vices, Sapho ne serait qu’un exemple de prosodie, à l’usage de ceux qui, comme Trissotin, ne se sentent pas d’aise de savoir le grec. […] On eût dit que le poète des Méditations avait senti sous le faux de ces tristes volumes d’églogues et de romances une sœur à lui et à de Musset, son cadet superbe, — une Cendrillon de leur poésie, de leur poésie déjà négligée aussi, à tous les deux !

1107. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Seulement, il ne rit pas, lui, et, quoiqu’il soit difficile de l’aimer, on sent avec respect qu’il est un maître, tandis que M.  […] Le vis-à-vis de la mère qui n’aime pas sa fille et de la fille qui ne se sent pas aimée par sa mère, voilà tout l’intérêt du livre, et la nuée sombre d’où doit sortir la foudre qui frappera cette mère aux mamelles de bronze, l’altière marquise de Penarvan. […] La fille, heureuse par toutes les fortunes du mariage, sent son bonheur perdu, parce qu’elle ne voit plus sa mère et qu’elle a le remords de lui avoir désobéi.

1108. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Peu à peu les imaginations en France se calmèrent, la direction des esprits changea, et la réflexion qui médite prit la place de l’enthousiasme qui sent. […] Familiarisé avec le trépas, tu le sentis approcher avec cette indifférence que les philosophes s’efforçaient jadis ou d’acquérir, ou de montrer. […] Je sentirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié.

1109. (1887) George Sand

On sent trop bien que l’inspiration vient du dehors et que cette parole n’est qu’un écho. […] Je l’ai senti presque aussi vif et pénétrant. […] Croyez-y vigoureusement, vous la sentirez vivre et agir en vous. […] Comme on sent peser lourdement sur chacun des acteurs le poids d’une soirée d’automne pluvieuse qui a suivi une journée plus monotone encore ! […] Tout sentait l’abandon momentané dans la gentille salle, habituée aux applaudissements, aux rires de la famille et des amis.

1110. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Gilbert Augustin-Thierry »

J’ai rarement senti avec cette vivacité le désir de savoir ce qui arrivera et le délice d’avoir peur. […] Et sent-on assez là-dedans l’application d’une loi  Mais nous ne sommes frappés que des cas où cette loi semble appliquée : or il y en a des millions où rien de semblable n’apparaît  Qu’en savez-vous ?

1111. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bornier, Henri de (1825-1901) »

Mais il a si clairement vu, si profondément senti, si passionnément aimé ce qu’il avait entrepris de faire, que la pensée a, cette fois, emporté la forme et que, même aux endroits où cette forme reste un peu courte et où se trahit le défaut d’invention verbale, une âme intérieure la soutient et communique à ces vers un frisson plus grand qu’eux. […] Feu mon père en fit, à mon avis, Qui sentaient leur Dorat ; à ce compte, tes fils En feront d’excellents, et tout cela fait croire Que notre nom doit vivre au Temple de Mémoire.

1112. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Quand nous renvoyons à la lecture de ses Pieces, on sent bien que nous ne prétendons pas indiquer l’édition commentée par M. de Voltaire : ce seroit renvoyer aux cendres de Corneille, & n’offrir de ce Grand Homme qu’un squelette décharné par le scalpel de la malignité. […] Ses Ouvrages conserveront sans altération la vive expression de son génie & du caractere de son ame, c’est-à-dire qu’ils retraceront le tableau de ces Edifices antiques, majestueux, solides, qui, malgré quelques irrégularités, n’en font pas moins sentir la petitesse de cette Architecture moderne, où l’ornement & la symétrie s’efforcent en vain de suppléer à la noblesse & à la magnificence.

1113. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Où est la force qu’une seconde j’avais sentie en moi ?.. […] L’étrange héros de la Course à la Mort n’aime pas, on doute du moins qu’il aime et se sent douter, interroge sans cesse son pâle cœur, ne sait que résoudre et se résigne à son atonie.

1114. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Je sentis qu’il se défendrait jusqu’au bout. […] Tout de même je me suis senti vexé… Et j’ai dit : « Ah ! […] Elle est mignonne, fine, élégante ; elle sent bon. […] Depuis longtemps, il sentait bien qu’il possédait une ombre. […] Elles sentaient le jasmin, l’ail et le palissandre.

1115. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Dès que l’homme emploie autre chose que la force, il sent un Dieu en lui. […] Il sent en lui quelque chose qui ne se mesure pas, dont il ne connaît pas les limites, qui est spirituel et qu’il ne sent pas absolument à lui comme son poing ou son bras. Il se sent inspiré. […] Se sentir obligé, c’est adorer. […] Le peuple se sent souverain très suffisamment.

1116. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Vernet aurait senti tout cela. […] Un habitant de Saturne transporté sur la terre sentirait ses poumons déchirés et périrait en maudissant la nature ; un habitant de la terre transporté dans saturne se sentirait étouffé, suffoqué, et périrait en maudissant la nature… j’en étais là, lorsqu’un vent d’ouest balayant la campagne nous envelopa d’un épais tourbillon de poussière. […] Je regardais, je sentais, j’admirais, je ne raisonnais plus, je m’écriais : ô profondeur des mers ! […] Le philosophe raisonne, l’enthousiaste sent ; le philosophe est sobre, l’enthousiaste est ivre. […] Chaque sens a son langage ; lui, il n’a point d’idiôme propre, il ne voit point, il n’entend point, il ne sent même pas, mais c’est un excellent truchement.

1117. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Quand on a lu cette mort dans le Phédon, on se sent comme un air de joie et de fête dans l’âme ; on croit sortir d’un banquet au lieu de sortir d’un supplice. […] Un homme seul peut rêver éveillé tout ce qui lui plaît ; il soulève le monde, mais le monde ne se sent point soulevé ; et, s’il se sentait soulevé un moment par le rêve de l’utopiste, il écraserait, en retombant de tout son poids de monde réel, le monde chimérique du nouveau Platon. […] Or, du jour où l’homme s’est uni à la femme, il a senti doubler en lui l’instinct de la propriété, car, ce qu’il s’appropriait pour un, il a fallu songer à l’approprier pour deux, c’est-à-dire pour lui et sa compagne. Et, du jour où il a eu un fils, il a senti tripler en lui l’instinct sacré de l’appropriation, car, ce qu’il s’appropriait pour deux, il a fallu songer à se l’approprier pour trois ; et, quand la famille a multiplié encore par la fécondité de sa compagne, il a senti multiplier d’autant l’instinct, et, disons plus juste, le droit de son appropriation. […] Plus tard, Rome, décomposée par sa grandeur et par ses vices, devait se sentir prête à laisser sa proie, à moins de resserrer sa serre par le despotisme et de se réfugier contre ses anarchies dans la servitude.

1118. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Mais ne sentez-vous pas sa passion pour Rodrigue jusque dans la violence de son ressentiment, jusque dans cet excès de paroles dont elle réchauffe le devoir languissant ? […] Jamais notre passion n’est si forte que nous ne sentions quelque chose qui y résiste : aujourd’hui un avertissement, demain un remords. […] Entre les héros fabuleux et ceux de Corneille, il y a cette différence que la grandeur des premiers est trop inaccessible pour nous tenter, tandis que la grandeur des seconds n’est pas si hors de notre portée, que nous ne sentions le désir de nous en rapprocher, ou du moins quelque honte d’en être loin. […] Corneille tombait dans ce double défaut, bien plus par l’effet de cette vue fausse sur le théâtre, que pressé par la pauvreté dont il n’est que trop vrai qu’il sentit les atteintes. […] Il y avait à faire parler la femme dans une langue aimable, où l’on sentît l’exquise délicatesse de sa nature jusque dans l’emportement de ses passions.

1119. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Desmarets sentit le coup. […] Et quel exemple, pour le dire en passant, que l’homme de génie qui en a tant inspiré pour lui-même, l’ait si vivement sentie pour les autres ! […] Si j’en juge par le ton de ses louanges, il connaît ce que vaut son oncle ; il ne le sent pas. […] On sent dès ce temps-là l’homme qui aimera mieux la vérité que l’erreur, mais qui préférera toujours ses aises à la vérité. […] Tout ce qu’il écrit, il le sent, sinon avec le cœur, du moins avec la raison doucement émue d’un sage qui voit, dans les vertus des hommes, d’aimables images de l’ordre universel.

1120. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Content de leur approbation, j’aurois méprisé encore quelque temps ces pitoyables ressources d’un amour-propre déconcerté, si des Amis, aussi respectables par leur mérite que par leur rang, ne m’eussent fait sentir la nécessité de détromper le Public qu’on abuse depuis si long-temps & de tant de manieres. […] Leur suffrage me flatte d’autant plus, que, plus voisins du foyer de la contagion (de Ferney), ils paroissent avoir mieux résisté aux malignes vapeurs de l’atmosphere qui les environne, & en avoir senti plus vivement le danger. […] Vous aimez, Sire, les Lettres ; vous les aimez, non seulement en Prince, mais en Littérateur éclairé, capable de saisir avec justesse les beautés de l’Art, &, ce qui est bien supérieur, en Sage qui en fait sentir les abus & les détester. […] Ici, il s'éleve contre l'Athéisme, & en fait sentir tous les dangers ; là, il fait l'apologie des Athées & s'épuise en vains raisonnemens, pour prouver que leur systême n'est pas incompatible avec un bon Gouvernement. […] Je ne vous dirai point qu’il est peu de mes adversaires avec qui je ne pusse combattre à armes égales sur cet article ; je vous ferai seulement remarquer combien cette Philosophie, qui affiche la sublimité des sentimens, devient extravagante, quand elle se sent blessée.

1121. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

On en sentira aisément la raison par le trait suivant. […] Il apostrophe la lune, il parle à la nuit et aux étoiles, et l’on ne se sent point ému. […] qui ne sent toute l’amertume de ce tableau ? […] qui peut dire combien de génies sublimes ont senti l’influence d’un astre funeste ! […] Michaud, qui ne se sentirait attendri !

1122. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

La France se sent débarrassée des éternels agitateurs que, de 1610 à 1653, étaient les grands seigneurs suivis des petits et qui ont été définitivement réduits à la fin de la Fronde. […] Elle sent, avec netteté sans doute, et si elle le sent nettement elle a raison, que c’est le règne de la bourgeoisie moyenne qui commence. […] Je dirai peut-être plus loin qu’il se sent aussi de la plate courtisanerie dont il ne faut pas dissimuler que Molière était assez loin d’être exempt. […] » Voilà l’objection qu’Elmire sent venir. […] C’est une bonne petite tête, on la sent saine, pure, clairvoyante et d’une volonté parfaitement inébranlable.

1123. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Il n’est pas commode d’aborder les pauvres d’un air qui soit exempt d’affectation, qui ne sente ni un effort trop grand ni, d’autre part, le contentement de soi et le sentiment de sa supériorité. […] Ils vous accorderont peu à peu leur confiance, s’ils sentent en vous une fraternelle pensée et que vous ne vous croyez pas meilleurs qu’eux ni d’une essence supérieure. […] Et cette musique, ces panaches de corbillard… Paul Costard sentit quelque chose pleurer dans son cœur. […] La bande revenue, elle sent que ses sœurs et ses beaux-frères, et Mikils et Norah réconciliés, tout le monde « s’aime » autour d’elle. […] Vous sentez la convention, d’autant plus déconcertante ici que ces manifestations invraisemblables de vraisemblables pensées sont mêlées çà et là de traits de vérité comique.

1124. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

On se sent devenir meilleur. […] Cela ne veut pas dire qu’il ne fût pas capable de sentir en poète. […] Plus on en goûte profondément la valeur, et moins on se sent capable d’en parler longuement. […] Rien qui sente sa rhétorique et qui dénote le désir de plaire. […] Rien chez lui qui sente l’acteur ; il ignore les artifices de la diction.

1125. (1925) Comment on devient écrivain

Sentir des yeux ! Et sentir des yeux attendris ! […] La perfection sent souvent le pastiche. […] En littérature et en art, être sincère, c’est arriver à sentir ce qu’on veut se faire sentir. Une page est sincère, quand elle est sentie, et c’est la qualité de l’expression qui révèle si elle est sentie.

1126. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

En cet état ils sont comme des tuteurs, et il n’aime pas se sentir en tutelle. […] Il ne sent son bonheur que relativement ; il ne le sent que par comparaison avec le bonheur moindre des autres. […] Si ma foi vient d’autrui, c’est quelque chose en moi qui n’est senti que par un autre. […] Il se sentait plus que prêtre, il se sentait un peu fondateur de religion, tant il était bon et spécieux interprète des dieux, sacer interprosque deorum. […] Il s’y sent toujours ramené et comme acculé et par tous ses désirs et par toutes ses répugnances.

1127. (1903) Propos de théâtre. Première série

On sent qu’il va fléchir, on sent, comme nous disons, « qu’il est à un tournant. » On le suit avec anxiété. […] On sent à les voir qu’ils en sont capables. […] Il le sait, il le sent, et combien sa faiblesse est coupable. […] Ce n’en est plus la mode ; elle sent son vieux temps. […] Elle l’est, d’une façon un peu systématique et qui sent l’effort.

1128. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Ces scènes sentent un peu la farce, mais elles sont marquées au coin de l’originalité. […] Aussitôt qu’elle l’eût senti lui toucher la main, elle lui dit : « Bénie soit votre venue !  […] Qui ne sent combien la forme est plus simple et plus belle dans Pétrarque ? […] On s’échappe volontiers de la cour avec Imogène, et l’on se sent disposé à rêver dans l’asile romantique où elle retrouve ses frères sans les connaître. […] Shakspeare est presque le seul poëte dramatique qui n’ait pas craint de s’arrêter sur le tableau du bonheur ; il sentait qu’il avait de quoi le remplir.

1129. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Cependant Fléchier sentit bientôt qu’il convenait de mettre fin à ces tendres jeux, bien qu’ils fussent purement platoniques ; car, ainsi qu’il en convient lui-même dans un dialogue en vers entre Climène et Tircis, À force de le dire en vers. […] Se peut-il rien qui sente mieux son honnête homme ?

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