/ 1880
427. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Du moment, en effet, où, au lieu de mêler la lumière ou le phénomène physiologique aux faits humains pour en éclairer la profondeur — comme Shakespeare, par exemple, avant tout le monde, l’a osé d’une si admirable manière et avec tant de bonheur dans sa fameuse scène de lady Macbeth somnambule, — on va plus loin dans le sens de la physiologie, quand on se circonscrit et qu’on enferme son sujet tout entier dans le phénomène, il faut prendre garde, car le passage est dangereux ! […] La scène où il décrit les symptômes du somnambulisme est courte. […] Dans sa Madame Gil Blas, où j’ai noté pourtant une scène très-belle, d’un tragique très-nouveau, inspirée par la physiologie (c’est un duel, horrible d’acharnement et de longueur, entre deux rivaux, au bord du lit d’une cataleptique, qu’ils croient morte, et qui, rigide, les voit, lus comprend, seul les coups qu’ils se portent et ne peut faire un cri, un geste, un mouvement de paupière pour les empêcher de se massacrer sous ses yeux ouverts, immobiles, marbrifiés par la catalepsie !

428. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Antipas et Hérodiade disparurent aussi bientôt de la scène politique. […] En présidant à la scène du Calvaire, l’État se porta le coup le plus grave.

429. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 79-87

Il se met à crier, dans son délire : Janséniste, qu’on a vu donner des scènes au cimetiere de St. […] Il dit que j’ai donné des scènes au cimetiere de St.

430. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre II. Des Époux. — Ulysse et Pénélope. »

Pénélope assise en silence, Ulysse immobile au pied d’une colonne, la scène éclairée à la flamme du foyer : voilà d’abord un tableau tout fait pour un peintre, et où la grandeur égale la simplicité du dessin. […] Dans le tableau précédent, par exemple, on peut soupçonner que la scène, au lieu de se passer en action entre Ulysse et Pénélope, eût été racontée par le poète.

431. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Les scènes racontées par M.  […] C’est ici la scène maîtresse du livre. […] Coppée a tiré de cette situation avec son talent de metteur en scène et de poète. […] Je crois que la scène, d’où j’extrais un passage, se produisit aux environs de Dantzig. […] » Un enfoncement dans la muraille : c’est la scène.

432. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

La scène est un bal champêtre ; rafraîchis par les brises marines, fillettes et garçons dansent au son du tambourin. […] Dans certaines scènes, il y a une exubérance d’inspiration, une splendeur de coloris qui touche à l’abus. […] Echegaray règne sur la scène par l’horreur. […] Les jolies scènes qui mouillent les sourires attendris ! […] Daudet l’a compris, en appelant castillane la scène maîtresse de l’œuvre, et M. 

433. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Disciple et héritier de Voltaire et de Diderot, Beaumarchais à la veille de la révolution faisait de la scène une tribune. […] Dès les premiers chapitres, le roman met en scène cette haute conception du devoir. […] On voit que nous voulons parler de ce personnage de Robert Macaire, né sur les scènes du boulevard, et qui de succès en succès faillit un jour monter sur la scène du second Théâtre-Français. […] Le roman met-il en scène un honnête homme et un fripon ? […] Seulement, à la scène, le contraste revêt des formes plus saisissantes ; les situations ont une sorte de réalisme plus poignant.

434. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

La scène a été vue par un artiste qui l’a voulu recréer franchement : elle nous console des nombreuses illustrations techniques : intérieurs d’usines, équipes d’ouvriers, etc., que nous étalent là, sous le prétexte de naturalisme, MM.  […] Tannaeuser et Lohengrin furent produits en italien sur nos deux scènes d’opéra avec un grand succès. […] L’orchestre était tout ce qu’il y a de mauvais ; la mise en scène aurait perdu un théâtre de province de troisième rang ; les représentations étaient données en allemand : et cependant, l’auditoire tout considérable qu’il fût, était saisi. […] … La première scène nous introduit dans cette grotte secrète, que le Hœrselberg renfermait, disait-on. […] Aux clameurs agitées des scènes précédentes succède le silence total de l’orchestre, et la douce et rêveuse chanson d’un pâtre assis sous une roche voisine ; le refrain de son chalumeau que le cor anglais figure très heureusement, amène une opposition bienfaisante.

435. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Logiquement l’heure n’était ni à la comédie, ni à la tragédie, mais au drame, celui de la scène comme celui de la rue. […] L’autorité s’en émeut : « Le grand principe de ne pas ensanglanter la scène, dit un arrêté du département, est absolument mis en oubli, et elle ne cesse pas d’offrir le tableau hideux du vol et de l’assassinat. […] Guizot, élevé à Genève, et plus genevois encore que Mme de Staël, allait jouer sur la scène politique, à des risques et périls qui apparurent en 1848, le drame même des idées politiques staëliennes. […] Une partie de l’intérêt de ses livres vient de l’ingéniosité, de l’humour, de la cocasserie avec lesquels le subtil épicier met en scène (car il a un vrai sens de la marionnette et du théâtre) ce monde des passions humaines, idéalisé, pomponné, fleuri, comme dans le Supplément au Voyage de Bougainville ou dans les descriptions suisses de Rousseau, les vrais précurseurs de Fourier. […] De ce point de vue, la scène centrale de Jocelyn serait la scène de la prison, la transmission du clerc au clerc, de l’âme à l’âme (thème du Crucifix), et, par un sacrifice nouveau, l’âme individuelle qui rallie l’âme de l’Église, de l’humanité, de la remontée collective vers Dieu ; seulement toute cette grandeur symbolique, cette matière épique et mystique de Jocelyn, elle n’est guère plus extérieurement visible dans le poème que l’âme dans le corps.

436. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

J’ai sous les yeux des nouvelles et des romans que je découpe en scènes. […] Hamlet, III, scène ii. […] Hamlet, III, scène iv. […] Winter’s Tale, acte I, scène i. […] King Henri VIII, acte II, scène iii, etc.

437. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Mais les paroles ailées s’envolaient au cintre, et l’attention revenait bien vite à la scène. […] “On doit avouer, dit Goethe, qu’on ne s’était pas soi-même représenté la scène aussi parfaitement. […] C’est par cette refonte et cette création à nouveau du sujet que l’artiste sut rester si original en traitant des scènes tirées de drames, de poèmes et de romans, au lieu de scènes puisées directement dans la nature. […] La scène d’histoire n’était pas moins bizarre et fantastique que la scène légendaire, mais dans l’une et l’autre il y avait cette transformation de la réalité en chimère et cette entente des terreurs nocturnes qu’on ne rencontre que dans les Caprices de Goya. […] De quel ton elle disait au duc, dans la scène des flacons : « Don Alfonse de Ferrare, mon quatrième mari ! 

438. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

* * * — Une scène qui se passe devant moi à la Bibliothèque, et qui juge M.  […] Et ces ouvriers, que je vois de ma loge sur la scène, et qui vont et qui viennent sans bruit, mais empressés et enlevant par morceaux tous ces beaux nuages, firmaments, paysages, roulant les toiles et les tapis, ne figurent-ils pas les années, dont chacune emporte dans ses bras quelque beau décor de notre existence, quelque cime où elle montait, quelque coupe qui était de bois, de bois doré, mais qui nous semblait d’or. […] Scènes se passant à Paris, scènes se passant à Constantinople, scènes se passant sur le Nil, scènes d’hypocrisie européenne, scènes sauvages du huis-clos de là-bas, et noyade et tête coupée pour un soupçon, une mauvaise humeur : une œuvre qui ressemblerait assez bien, selon sa comparaison, à ces bateaux qui ont sur le pont, à l’avant, un Turc habillé par Dusautoy, et à l’arrière, sous le pont, le harem de ce Turc, avec ses eunuques et toute la férocité des mœurs du vieil Orient. […] Nous trouvons Rose, tranquille, espérante, parlant de sa sortie prochaine, — dans trois semaines au plus, — et si dégagée de la pensée de la mort, qu’elle nous raconte une furieuse scène d’amour, qui a eu lieu hier entre une femme couchée à côté d’elle et un frère des écoles chrétiennes, — qui est encore là aujourd’hui. […] La toile se lève sur la scène, où le peintre Puvis de Chavannes a peint d’assez cocasses décors — une scène où il y a juste la place pour un soufflet et un coup de pied dans le derrière.

439. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Celle-ci n’occupe jamais l’âme aussi longtemps que les précédentes ; elle est intermittente et concise ; elle interrompt brusquement une méditation, prononce son arrêt, qui est toujours un impératif non motivé, puis elle se tait jusqu’à ce qu’une nouvelle occasion se présente pour elle de rentrer en scène. […] rappel : la prosopopée est une figure de rhétorique consistant à mettre en scène les absents, les morts, les êtres surnaturels ou même les êtres inanimés, et les faire agir, parler, répondre. […] Racine, Athalie, Acte I, scène 1, v. 89 (tirade de Joad) : « Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté. » (et non « nos rois ») 30. Corneille, Héraclius, Acte III, scène 2 (Martian à Phocas) : « J’ai fait ce que j’ai dû. […] Racine, Andromaque, acte IV, scène 5, v. 1377-1379 (Hermione à Pyrrhus).

440. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ses conceptions s’agencent exactement pour la scène, et pittoresquement à la fois. […] Il expose son sujet avec brio, dessine ses personnages avec vivacité, les anime, puis il se jette sans tarder dans le cœur de son récit, le développe, l’équilibre, ménage l’intérêt et de scène en scène le fait croître jusqu’au dénouement qu’il gagne sans attendre. […] Et si nous songeons précisément à citer ici cette grande œuvre, c’est qu’une scène du Roi, cette pièce qui connut un si long succès, impose le souvenir d’une des plus fortes scènes de Mirbeau. […] Indiscrétion, la présence de tant d’ecclésiastiques sur des scènes où ils sont si déplacés. […] Un petit nombre de personnages suffit pour occuper la scène de ses romans.

441. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Ici, à mesure que la scène s’agrandit, la personnalité qui règne dans ces Mémoires se rétrécit encore, et la mesquinerie des réflexions s’accroît avec l’importance des événements. En 89, madame de Genlis ne voit et ne loue, dans le but de la réforme, que l’abolition des lettres de cachet et du droit de chasse, c’est du moins quelque chose ; en 93, elle n’a de larmes que pour Athalie, bannie de la scène française.

442. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

Aussi, dans l’ouvrage dont nous parions, la scène où Pinto vient rassurer les conjurés saisis d’une terreur panique et donne le signal de l’attaque est de beaucoup la meilleure, précisément parce qu’elle est tragique : elle est tragique parce qu’elle est essentielle au sujet. En ces derniers temps, le même écrivain, dans sa comédie de Plaute, a imité quelques scènes de Plaute lui-même.

443. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Autour, le prévôt des marchands, ou une monstrueuse femme grosse déguisée, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes ; et tous les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène, d’où Minerve descend accompagnée d’une petite paix, que l’immensité du lieu et des autres personnages achève de rapetisser. […] Et ces trois maussades, hydeuses, plates figures emmaillottées dans leurs draperies jusqu’au bout du nez, pourriez-vous m’aprendre si ce sont des personnages réels de la scène, ou de mauvaises estampes enluminées, comme nous en voyons sur nos quais, dont ce pauvre diable a décoré le dedans de sa tente.

444. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Thiers ; l’historien pathétique manque, il est vrai ; cependant les scènes de la guerre lui inspirent quelquefois un héroïsme de style et une émotion de pinceau qui rendent merveilleusement les impressions non individuelles, mais collectives, du champ de bataille. […] Scènes terribles, dont l’aspect serait intolérable si le génie, si l’héroïsme déployés n’en rachetaient l’horreur, et si la gloire, cette lumière qui embellit tout, ne venait les envelopper de ses rayons éblouissants !  […] Les scènes de Fontainebleau, entre Napoléon, Joséphine et ses enfants, ont des accents domestiques qui se mêlent, avec un pathétique contraste, à la solennité des négociations et des victoires. […] « Le 24 juin au matin, ce qui, dans ce pays et en cette saison, pouvait signifier trois heures, le soleil se leva radieux et vint éclairer de ses feux une scène magnifique. […] Mais de chaque scène de ce grand drame il ne sort de la bouche de l’historien qu’un léger blâme pour ce héros emporté trop loin par son génie, et toujours ce mot de génie appliqué aux plus ruineuses folies du monde, et toujours ce mot de gloire jeté comme une amnistie de la justice sur les plus lugubres catastrophes de l’humanité !

445. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Tant de flambeaux chéris, qui pour lui ont disparu de la terre, éclairent par derrière au loin, en mille endroits indéterminés, la scène ; à chaque reflet passager, partout où il entend un bruit, un soupir, où il voit une beauté, une grâce, il dit : C’est là !  […] Dans les scènes qui vont suivre, on retrouvera des situations, la plupart connues, toujours faciles à combiner, et par ces moyens simples il obtiendra une attache croissante, il finira par atteindre au pathétique déchirant.  […] Si l’on a deviné que Laurence, l’angélique enfant, n’est qu’une femme, on sera reporté aussi à des scènes du pèlerinage de Paul et Virginie dans la Montagne-Noire. […] C’est une scène analogue à celle d’Amélie et de René revoyant le manoir paternel ; plus loin, lorsque Jocelyn doit ensevelir Laurence à la Grotte des Aigles, il pourra rappeler Chactas ensevelissant Atala ; car ce n’est pas, je l’ai déjà dit, par le point de départ singulier des situations que ce poëme se distingue, mais par leur naturel, par leur développement, leur fraîcheur et leur jet de source à chaque pas, par l’inspiration et l’émanation qui s’élève du tout : là vraiment se déploie l’originalité, le génie. […] Si Lamartine se souvient d’une scène, d’un paysage qu’il ne peut revoir, il le reproduit, il le décrit avec abondance et limpidité, avec tendresse : ainsi Milly, ainsi son Lac, ainsi les souvenirs de Jocelyn.

446. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Chansonnier, musicien, metteur en scène, plein de gais motifs et de saillies, il était là dans son élément. […] Une couple de fois, il parut vouloir tenter une scène plus haute : en 1806, il donna seul le Mari intrigué, comédie en trois actes et en vers, très-faible, qui fut jouée au théâtre de l’Impératrice, autrement dit théâtre Louvois ; en 1820, il atteignit aux cinq actes, également en vers, et fit jouer à l’Odéon, une comédie, l’Homme aux précautions, dont je n’ai rien absolument à dire. […] Le moraliste peu chagrin fait défiler en de vifs couplets toute une suite de petites scènes, de façades ou de facettes, nettes, brillantes, mouvantes, de la vie humaine ; c’est bien l’espèce de chanson dont Picard nous rend la comédie. […] Comment oublier ces folles scènes nocturnes de M. […] Leur talent ne répondant pas à leur bonne volonté, ils fuient la scène ingrate qui ne les nourrissait pas, et laissent jusqu’à leurs vêtements pour gages. » Les Mémoires de mademoiselle Flore (chap. 

447. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Il nous répondait qu’il y avait bien songé, qu’il ne cherchait qu’à faire des études d’après nature, qu’il n’y avait que cela de bon, qu’il lui arrivait de dessiner souvent dans les rues, qu’il avait même proposé à L’Illustration de prendre une page, pour lui faire des scènes parisiennes, comme celles dont nous lui parlions, mais qu’on était si peu intelligent dans cette boutique, qu’on n’avait pas voulu. Et il ajoutait tristement : « Jusqu’à présent, je n’ai rien fait… mais un jour, je ferai de grandes scènes comme cela, et alors j’aurai fait quelque chose. » La dernière fois que nous le vîmes, c’était sur le boulevard, en face le Café de Paris. […] Ce sera l’Histoire même, et ses grandes scènes et ses hauts faits figés, immortalisés à la fois dans la forme et dans la couleur. On utilisera pour cela, les peintres et les sculpteurs sans ouvrages : on leur associera des régisseurs, des acteurs, tous les gens dont le métier est de disposer plastiquement une scène. […] Les spectateurs assis de côté et tournant à demi le dos à la scène… À ce théâtre, la fille se sent dans son salon.

448. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Feydeau compose ses livres et ne les écrit pas au fur et à mesure, par feuilletons), le style qui, avec ses défauts, est si marqué et si expressif, n’ont pas obtenu l’attention qui était due ; on n’a pas rendu justice, non seulement à de très beaux tableaux très bien exécutés, tels que l’incendie et des paysages de marine, mais à des scènes dramatiques fort vigoureuses, à celles de la falaise entre Daniel et Louise, entre Daniel et Cabâss, à la scène de la dernière partie dans laquelle Daniel, comptant n’avoir affaire qu’à sa belle-mère, rencontre chez elle tous ses ennemis réunis et en a raison un à un, s’en débarrasse successivement, les culbute et les évince, jusqu’à ce qu’il ait réduit le débat à n’être que ce qu’il devait être d’abord, un duel à deux et sans témoins. […] La scène qui se passe dans le cabinet du procureur du roi à Bruxelles, et où sont réunis pour y être confrontés les principaux personnages, est d’un dramatique terrible sous sa forme judiciaire contenue.

449. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

La pleine décadence du Théâtre-Français, le décri absolu où est tombé surtout l’ancien genre tragique, l’ennui profond que causent à la scène, non pas seulement tant de plates amplifications de notre temps, non pas même ces tragédies de Voltaire décorées du nom de chefs-d’œuvre, mais jusqu’aux pièces si belles et si accomplies de Racine, tout cela peut se déplorer avec plus ou moins d’affliction et d’amertume, mais à coup sûr ne saurait plus se nier. […] Cette œuvre du loisir et du recueillement, où viendront sans doute contraster et se confondre en mille effets charmants ou sublimes la vérité et l’idéal, la raison et la fantaisie, l’observation des hommes et le rêve du poète, arrivée dans le monde réel, exposée aux regards de tous, enchantera les âmes et ravira les suffrages ; les esprits les plus graves, philosophes, érudits, historiens, se délasseront à la contempler, car l’impression d’une belle œuvre n’est jamais une fatigue ; les politiques surtout, en n’y cherchant que du plaisir, y puiseront plus d’une émotion intime, plus d’une révélation lumineuse, qui, transportée ailleurs et transformée à leur insu, ne restera stérile ni pour l’intelligence de l’histoire, ni pour les mouvements de l’éloquence ; la tribune et la scène, en un mot, rivales et non pas ennemies, pourront retentir ensemble et quelquefois se répondre. […] Il suffirait d’invoquer le succès de tant de livres où s’est réfugié le drame, banni de la scène, et dans lesquels le public accueille avec faveur et reconnaissance une image anticipée de ce qu’il espère.

450. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

Aucune complication ne vaut sa simplicité formidable ; l’étreinte du colosse défie toutes les armes aiguisées et raffinées par la science de la scène. […] II. — Légende des Atrides. — Tantale. — Sacrifices humains des âges primitifs. — La Grèce les déteste et les abolit. — Leurs rares récidives. — La cavale du champ de bataille de Leuctres, C’est l’histoire finale de la famille des Pélopides et des Atrides que l’Orestie met en scène. […] Ces spectres hagards, errants sous les portiques du palais d’Argos, embusqués sous le tombeau du père égorgé, s’agitent obscurément au fond de la scène.

451. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Le grand point sur la scène est de faire illusion aux spectateurs & de leur persuader, autant qu’on le peut, que la tragédie n’est point une fiction ; mais que ce sont les héros mêmes qui agissent & qui parlent, & non pas les comédiens qui les représentent. […] On lui reprochoit pourtant de parler du nez & de tourner le dos à ceux avec lesquels il étoit en scène. […] Beaubourg, dans certaines scènes de hauteur, faisoit baisser les regards aux spectateurs eux-mêmes.

452. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

« Oui, en effet, elle se souvient, ainsi vaincue par une force irrésistible, de ses jours tout-puissants de triomphe et de victoire ; elle se souvient de l’enthousiasme universel, elle se souvient de ses créations splendides, quand elle faisait, de rien quelque chose : une comédie d’un vaudeville, un membre de l’Institut de quelque faiseur de mauvais vers ; elle se souvient de la joie, de la bonne humeur, de l’applaudissement du parterre ; elle se rappelle tous les triomphes entassés là, à ses pieds : ce théâtre glorifié, cette scène agrandie, et les vrais Dieux venant au-devant d’elle, les mains chargées de couronnes. […] De là, grand tapage dans les entractes, bruyantes clameurs, interjections puissantes, restes éloquents du déjeuner solennel ; mais, une fois l’actrice en scène, pas un souffle. […] « Il y avait, à ce qu’on rapporte, sur cette même scène française, un grand comédien nommé Baron, que Molière avait élevé lui-même.

453. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

C’est ainsi que Marivaux écrivant des comédies, faisait encore des romans, et que Lesage écrivant des romans, faisait encore des comédies ; car, ce n’est pas seulement la facilité de combiner des scènes et de développer une intrigue qui constitue l’auteur comique, c’est l’art de saisir les caractères, d’observer les mœurs, et d’en présenter un tableau dramatique et fidèle. […] Nanine paraît sur la scène, et ce n’est plus un jeune seigneur perdu de mœurs, c’est un sage qui se mésallie. […] Et d’ailleurs, les êtres ridicules ou vicieux que Molière a traduits sur la scène, sont encore au milieu de nous.

454. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Il y a de l’adultère, du naufrage, de l’assassinat, de l’enfant enlevé, du procès criminel, de la pendaison, interrompue au moment final ; toutes les péripéties haletantes et pirouettantes des romans d’Alexandre Dumas et de Ponson du Terrail — ces conteurs bas, aimés des esprits bas — tout le vieux jeu du mélodrame, retourné de la scène au récit ! […] Et la seule chose qui ne le soit pas — qui ne soit ni anglaise, ni vertu — c’est la scène du roman — la seule vraiment spirituelle — où une jeune fille qui n’est, elle ! que du pays de l’amour, vient indécemment chez l’homme qu’elle aime, et qui craint, le vertueux garçon, les petites sensations qu’elle lui donne, essayer de ces petites sensations-là et provoquer le baril de poudre à sauter, avec des coquetteries d’étincelle… J’ai assez dit, dans ce chapitre, de duretés à Mme Haller pour ne pas lui avouer que j’ai trouvé cette scène charmante, et autrement dans sa main, qui n’est pas celle d’une prude anglaise, que les frigidités vertueuses et protestantes de son roman.

455. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Le combat de la vocation religieuse contre la vocation de la mère de famille qui se révèle avec tant d’énergie dans la scène, au village, où Éliane est obligée, par les combinaisons du roman, à tenir un enfant dans ses bras, — scène magnifique, d’un contenu excessivement émouvant, et que Stendhal seul aurait pu écrire s’il avait été chrétien, — le triomphe enfin de la vocation de l’épouse, le discours de la mère Saint-Joseph qui clôt le roman dans une souveraineté de raison éclairée par la foi, et surtout, surtout, la réalité de la sœur Saint-Gatien, qui représente l’être surhumain, l’ange gardien d’Éliane, et qui s’en détache si humainement et si vite quand elle lui a préféré, pour s’appuyer, le cœur d’un homme, — trait cruel que Wey n’a pas manqué, — voilà les beautés de la troisième partie de ce livre, écrit avec une sûreté de main et une maturité de touche qui n’ont fait faute à l’auteur de Christian qu’une seule fois. […] En vain l’a-t-il fait aussi, comme Christian, victime de l’absence d’éducation morale, cette plaie du siècle, et le ramène-t-il à l’ordre et à la vraie destinée par le sentiment paternel, comme il y a ramené Christian par l’amour ; en vain la scène du verre de champagne accepté, qui l’introduit dans le roman, est-elle charmante et attendrie, ce personnage de Chambornay nuit plus qu’il ne sert au développement du livre, et, avec le talent mâle, sobre et qui se ménage si peu de l’auteur, avec ce talent qui sait revenir si courageusement sur lui-même pour s’opérer de ses propres mains, on est étonné qu’il n’ait pas sacrifié et remplacé cette figure selon nous malvenue à travers toutes les autres qui le sontsi bien.

456. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Nos paysages sont en nous autant que dans les sites où nous plaçons nos scènes.) […] Ce tableau de Gérard, en face du beau visage flétri de madame Récamier, au-dessus de la tête triomphale et dédaigneuse de M. de Chateaubriand, complétait bien la scène d’intérieur à laquelle j’étais rarement admis. […] Corinne, pour lui, était trop théâtrale ; il ne pouvait prendre un tel modèle que sur la scène ou dans une séance d’Académie ; or ce n’était pas là qu’il étudiait la nature. […] Cette scène-là, il l’a vue cent fois ; elle est entrée dans son imagination avec la lumière des plages de Terracine, avec le grincement de la guitare sous les oliviers, avec les visages et les costumes qu’il a depuis six ans sous les yeux. […] Et d’abord remarquez avec quel instinct de la vérité dans les sensations Léopold Robert, dans son Improvisateur napolitain, dispose les lieux selon la scène.

457. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Qu’il y a eu, avant ce déluge général ou même partiel, attesté par toutes les traditions orientales, une époque de civilisation supérieure à ce qui fut après ce cataclysme de l’humanité ; que cette époque de civilisation antédiluvienne touchait de plus près elle-même à une autre époque encore supérieure en innocence, en science, en facultés, en félicités de l’homme ici-bas avant cette grande et mystérieuse déchéance, tradition universelle aussi, qui chassa l’humanité primitive de ce demi-ciel appelé l’Éden ou le jardin ; que des traditions de cette philosophie de l’Éden ou du jardin avaient survécu dans l’humanité déchue, et qu’enfin, après le second naufrage de l’humanité antédiluvienne, quelques grandes vérités et quelques grandes philosophies, restées dans la mémoire de quelques sages ou prophètes échappés à l’inondation universelle ou partielle, avaient surnagé, et inspiraient encore de temps en temps l’esprit de l’homme dans l’Orient, scène encore humide de la grande catastrophe. […] Est-ce qu’il y a une scène et un dialogue au monde comparables, en majesté tragique, en intérêt personnel, en pathétique universel, à cette scène et à ce dialogue entre le Créateur et sa créature ? […] » IX Mais, si la scène et le drame surpassent en intérêt toutes les scènes et tous les drames de l’antiquité, que dirons-nous des passions, et dans quel drame en trouverons-nous de si pathétiques et de si pathétiquement exprimées, depuis les larmes jusqu’à la colère ? […] Ainsi, scène, passion, style, tout est surhumain, et cependant la philosophie dépasse encore la scène, la description, la passion, le drame. […] Quand on ne peut pas combattre corps à corps un destin plus fort que nous et qui nous raille d’un bout à l’autre de l’histoire, il y a encore un moyen de se venger de lui : c’est d’en rire ; c’est de se faire soi-même le bouffon de cette destinée, de se moquer des hommes et de soi, de prendre sa part de cette risée universelle qui éclate depuis le commencement du monde jusqu’à nous, derrière le rideau de la scène humaine, et de dire, comme Salomon (ce faux sage) le disait déjà de son temps : « Aimons, rions, buvons, amusons-nous ; tout le reste est vanité ! 

/ 1880