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376. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Écartez vos soldats, et demandez à la république aristocratique et orientale de Venise si elle reconnaît la légitimité des vallées de Maurienne sur les flots libres de l’Adriatique. Écartez vos soldats, et demandez à Milan s’il reconnaîtra l’aristocratie de Turin : voilà la liberté qui tue trois États libres ! […] « Je le reconnus aussitôt, et je fus saisi d’un frémissement subit ; mais lui : Rassure-toi, Scipion, me dit-il ; bannis la crainte, et grave ce que je vais te dire dans ta mémoire. […] Je les reconnais tels que je les ai lus souvent dans le Marius. […] « J’ai rendu, dans cet esprit, d’assez grands services à mes compatriotes, comme ils veulent bien le reconnaître.

377. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Les sièges, de forme antique, étaient garnis en tapisseries représentant les fables de la Fontaine ; mais il fallait le savoir pour en reconnaître les sujets, tant les couleurs passées et les figures criblées de reprises se voyaient difficilement. […] ” Dieu reconnaîtra ses anges aux inflexions de leur voix et de leurs mystérieux regrets. […] Eugénie, grande et forte, n’avait donc rien du joli qui plaît aux masses ; mais elle était belle de cette beauté si facile à reconnaître, et dont s’éprennent seulement les artistes. […] Tu es ma fille, je te reconnais.” […] Eugénie fut reconnue posséder trois cent mille livres de rente dans l’arrondissement de Saumur, six millions étaient placés en rentes, deux millions en or, et la totalité passait dix-huit millions !

378. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Lincoln déclare au congrès qu’aucun Américain du Nord ne voudrait reconnaître un noir pour son frère ou pour son parent, que lui-même partage ce glorieux préjugé et que si comme président il fait la guerre pour cette race avilie, comme Américain il la méprise et la répudie avec tous ses compatriotes. […] XIV Or pourquoi l’Europe ou le monde ancien reconnaîtraient-ils ces droits de piraterie sur mer et sur terre aux États-Unis, tandis que dans l’ancien monde, nous reconnaissons non seulement le droit de protéger les propriétés utiles à tous, mais encore le droit d’exproprier avec indemnité les États et les individus de toute propriété de choses dont l’usage est nécessaire à tous ? […] Moi qui avais obstinément blâmé les planches du livre que mon père m’avait donné ; moi dont la critique avait relevé mille défauts dans ces portraits, combien je fus honteux quand mes patients efforts n’aboutirent qu’à des résultats si misérables, qu’à peine pouvais-je reconnaître moi-même l’oiseau que je venais de dessiner ! […] Cependant il y a bon nombre de pêcheurs qui, par un procédé beaucoup plus simple, savent prendre tout autant de poissons, sans leur laisser même un instant pour se reconnaître. […] M’étant muni d’une belle ligne et des insectes que je savais le plus de son goût, je gagnai un banc de sable recouvert par un pied d’eau environ, et où j’avais préalablement reconnu plusieurs de ces dépôts d’œufs.

379. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Je m’imagine qu’il n’eût pas reconnu Hercule dans cette statuette de Lysippe, dont parle Stace, si petite à l’œil, mais si grande par l’air de grandeur divine que lui avait imprimé l’artiste43. […] On rit du rôle, et l’on reconnaît la vigoureuse et naïve ébauche de caractère qui est dessous. […] Rien n’est plus écrit de génie dans notre langue que cette conversation des Sganarelle et des Gorgibus, si efficace par tant d’excellentes sentences de ménage, si piquante par ces locutions parisiennes où Malherbe reconnaissait le vrai français. […] Si l’observation est du génie dans le poète comique, y a-t-il moins de génie à reconnaître la nature dans l’auteur qu’on lit qu’à la surprendre sur l’original qui passe ? […] Les gens de goût y reconnaissent l’expression la plus parfaite de l’esprit de société dans notre pays.

380. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Quoi, est-ce que je ne m’y reconnais plus ? […] Je mets pied à terre, cherchant à m’orienter, à reconnaître au moins quelque chose. […] La chose a eu lieu, a été vérifiée, certifiée, reconnue exacte. […] On, l’attaque beaucoup, et assez justement, je le reconnais, au point de vue de la langue qu’on parle dans son théâtre tout d’improvisation. […] Ceux qui l’ont vu le reconnaîtront et se rappelleront que M. 

381. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Il ne fallait pas qu’à la seule annonce du Figaro, un des sociétaires reconnût et dévoilât notre supercherie. […] Seul, Sarcey, parmi les critiques, après le prologue, avait reconnu la main du Supplice. […] Il serait, en effet, surprenant qu’elle eût jusqu’à nos jours négligé de reconnaître les délices d’un vers de treize syllabes, par exemple. […] Il nous le montre poète, faiseur de romans, et reconnaît à ses écrits leur valeur réelle en restituant cependant à Jean le Bel des morceaux qui ont contribué à la réputation de Froissart. […] C’est alors qu’ils reconnaîtront que mieux vaut laisser un homme aveugle toute sa vie que lui montrer le ciel et la terre quand on ne peut les lui montrer qu’un seul jour.

382. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Toutefois on reconnaît, à la chaleur avec laquelle il peint les batailles, l’héroïsme d’un guerrier qui rendit celle de Saint-Quentin si désastreuse à nos Français. […] qui ne reconnaît la nature à ces traits de réelle mélancolie ? […] « C’est dans les plus petits détails qu’on reconnaît souvent le mieux le grand talent de Virgile. […] Il ne commente l’œuvre que par les propres sentiments de l’auteur, et l’on reconnaît qu’il en éprouve la noble sympathie. […] Ce poème, examiné dans chacune de ses parties, va donc nous fournir lui seul tous les exemples et les preuves irrécusables de vingt-quatre conditions que nous avons reconnues dans l’épopée.

383. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Ces peintures, il faut le reconnaître, étaient à peu près inoffensives. […] Chateaubriand lui-même l’a reconnu. […] Je ne le prétends pas, et n’a-t-on pas déjà reconnu les influences avouées auxquelles obéissaient ces jeunes esprits ? […] Victor Hugo, il le reconnaît, n’a pas résisté aux fluctuations qui agitaient l’esprit de son temps. […] Quoi qu’elle ait pu dire, ici il est impossible de ne pas la reconnaître.

384. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Là est le bien que tout esprit désire, Là le repos où tout le monde aspire, Là est l’amour, là le plaisir encore Là, ô mon Âme, au plus haut ciel guidée, Tu y pourras reconnaître l’Idée De ta beauté qu’en ce monde j’adore. […] En ces meilleurs passages, il faut bien cependant reconnaître que le sentiment et l’intention sont fort supérieurs à l’exécution et au style ; rarement le sonnet tout entier répond au vœu du poète et du lecteur. […] Semblable en cela à Ulysse, il est arrivé, il a abordé à Ithaque, et tout d’abord il ne la reconnaît pas. […] Et sur ce qu’on a voulu persuader au cardinal que Du Bellay se plaignait de lui, il convient s’être plaint en effet de son malheur et de l’ingratitude de quelques-uns qui, comblés de biens par le cardinal, l’ont si mal reconnu. […] Ces vers, que je n’ai vus nulle part imprimés, méritent de ne point se perdre ; on y reconnaît le tour philosophique du poète, élève d’Andrieux, en même temps qu’ils ont la marque certaine de son talent : Qu’on porte envie au pontife romain !

385. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

La démocratie complète dans les mandarins de tout ordre choisis dans toutes les classes par l’élection dans les examens publics, ce qui veut dire égalité de tous, mais à condition de capacité constatée par tous, et de vertu reconnue par tous. […] Devoir de ce premier groupe de la famille de reconnaître et de respecter, dans les autres groupes semblables à elle, le même droit divin de vivre et de multiplier sur la terre, domaine commun de la race humaine ; de ne point la tuer, de ne point lui dérober sa place au soleil et au festin nourricier du sillon ; mais de reconnaître, d’assister, d’aimer les autres hommes ses semblables, et de leur appliquer cet instinct tout spiritualiste et tout moral de la justice législative incréée, qui invente et qui sanctionne toute société par une force morale mille fois plus forte que la force législative, la conscience, et dont toute violation est crime, dont toute observation est vertu ! […] XVI Notre contrat social, à nous, le contrat social spiritualiste, au contraire, celui qui cherche son titre en Dieu, qui s’incline devant la souveraineté de la nature, celui qui ne se reconnaît d’autre droit que dans ce titre magnifique, et plus noble que toutes les noblesses, de fils de Dieu, égal par sa filiation et par son héritage à tous ses frères de la création, celui qui ne croit pas que tout son héritage soit sur ce petit globe de boue, celui qui ne pense pas que l’empire de quelques millions d’insectes sur leur fourmilière, renversant ou bâtissant d’autres fourmilières, soit le but d’une âme plus vaste que l’espace, et que Dieu seul peut contenir ou rassasier ; celui qui croit, au contraire, à l’efficacité de la moindre vertu exercée envers la moindre des créatures en vue de plaire à son Créateur, celui qui place tous les droits de l’homme en société dans ses devoirs accomplis envers ses frères ; celui qui sait que la société humaine, civile et politique, ne peut vivre, durer, se perfectionner en justice, en égalité, en durée, que par le dévouement volontaire de chacun à tous, dévouement du père au fils, de la femme à l’époux, du fils au père, des enfants à la famille, de la famille à l’État, du sujet au prince, du citoyen à la république, du magistrat à la patrie, du riche au pauvre, du pauvre au riche, du soldat au pays, de tout ce qui obéit à tout ce qui commande, de tout ce qui commande à tout ce qui obéit, et, plus haut encore que cet ordre visible, celui qui conforme, autant qu’il le doit et qu’il le peut, sa volonté religieuse à cet ordre invisible, à ce principe surhumain que la Divinité (quel que soit son nom dans la langue humaine) a gravé dans le code, dans la conscience, table de la loi suprême ; celui qui sait que, sous cette législation des devoirs volontaires qu’on nomme avec raison force ou vertu, il n’y a ni Platon, ni J. […] Elle crut reconnaître que ce qui écartait le plus d’âmes religieuses de la pratique de tel ou tel culte, c’étaient le nombre et la littéralité des dogmes.

386. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Son cousin Giacomo Pazzi parvint à s’évader de la ville ; mais, reconnu dans un village, il fut ramené par les paysans irrités, qu’il conjura en vain de lui donner la mort pour lui éviter le supplice. […] On y reconnaît le cœur de l’enfant qui suivait Côme, son père, dans les pâturages de Coreggio. […] « Ranime, ô mon esprit, tes facultés endormies ; chasse de tes yeux ce sommeil perfide qui leur dérobe la vérité ; réveille-toi enfin, et reconnais combien est vaine, inutile et trompeuse toute action qui n’est pas dirigée par une raison supérieure à nos désirs. […] Jeune encore, il fit briller, au milieu des ténèbres de la barbarie qui s’étaient étendues sur toute l’Italie, une simplicité de style, une pureté de langage, une versification heureuse et facile, un goût dans le choix des ornements, une abondance de sentiments et d’idées, qui firent encore une fois revivre la douceur et les grâces de Pétrarque. » Si l’on ajoute à ces témoignages respectables les considérations suivantes, que les deux grands écrivains dont on prétend établir la supériorité sur Laurent de Médicis employèrent principalement leurs talents dans un seul genre de composition, tandis qu’il exerça les siens dans une foule de genres différents ; que, dans le cours d’une longue vie consacrée aux lettres, ils eurent le loisir de corriger, de polir, de perfectionner leurs ouvrages, de manière à les mettre en état de supporter la critique la plus minutieuse, tandis que ceux de Laurent, presque tous composés à la hâte, et, pour ainsi dire, impromptu, n’eurent quelquefois pas l’avantage d’un second examen, on sera forcé de reconnaître que l’infériorité de sa réputation comme poëte ne doit pas être attribuée à la médiocrité de son génie, mais aux distractions de sa vie publique. […] Alors on vit la culture la plus active étendre ses bienfaits sur cette belle et fertile contrée : non seulement ses plaines riantes et ses fécondes vallées furent couvertes de fruits, mais même le sol stérile et ingrat des montagnes fut forcé de payer un tribut à l’industrie du cultivateur ; et, sans reconnaître d’autre autorité que celle de sa noblesse et de ses chefs naturels, l’Italie était heureuse à la fois par le nombre et la richesse de ses habitants, par la magnificence de ses princes, par la grandeur et l’éclat imposant de plusieurs de ses cités… Abondante en hommes distingués par leur mérite dans l’administration des affaires publiques, illustres dans les arts et dans les sciences ; elle jouissait au plus haut degré de l’estime et de l’admiration des nations étrangères.

387. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

On avait reconnu un état de l’esprit meilleur que la curiosité, cet appétit un peu grossier, qui se jette sur toute sorte de nourriture ; meilleur que le doute, qui, après avoir été si doux, devient insupportable, à mesure que la curiosité s’affaiblit. […] « Et la postérité, ajoute-t-il, lui faisant justice et voyant en lui des mœurs tout conformes à celles de ces grands hommes de l’antiquité, admirera la candeur et l’ingénuité de cet esprit élevé au-dessus du commun, quoique les hommes jaloux maintenant de sa gloire ne veuillent pas reconnaître une vertu si sublime. » C’est sa franchise qui lui attire ces libelles diffamatoires dont les auteurs ont pris dans ce qu’il dit de lui le spécieux prétexte et la matière de toutes leurs accusations. […] Cette sévérité, qu’il n’approuvait pas sans réserve, avait, dit-il, « subtilisé son goût de telle façon, et lui avait mis devant les yeux une telle idée de pureté, que les moindres souillures les offensaient, et qu’il ne trouvait pas supportable ce qu’il avait autrefois trouvé excellent. » Il dit ailleurs : « Je m’étais rendu si délicat en français et en latin, qu’il n’y avait rien de si aisé que de me faire rejeter un mauvais livre. » En français tout lui était suspect de gasconisme ; sur chaque mot d’un écrivain de province, il consultait l’oreille d’un habitant de Paris, et « peu s’en fallait, disait-il, que la Touraine, si proche de Paris, ne lui en parût aussi éloignée que le Rouergue. » On reconnaît à ce trait un disciple de Malherbe. […] L’éloquence, l’art de convaincre les autres de ce dont on est convaincu soi-même, voilà ce qu’on reconnut dans Balzac avec un applaudissement universel. […] On pourrait reconnaître, dans la Relation à Ménandre, de grands traits de mélancolie, que Pascal semble avoir recueillis et placés en meilleur lieu ; dans la fameuse lettre sur Rome, et dans beaucoup de pensées de religion, la hardiesse et la pompe solide de Bossuet ; dans Aristippe et le Prince, des portraits que La Bruyère n’a fait que retourner.

388. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Il les compare à des pièces de musique qui manquent de l’unité de mélodie : « Les gens de lettres ressemblent trop à la musique sans unité. » Pour lui, dans toute cette première partie de sa vie, et quand on le surprend comme je l’ai pu faire, grâce à cette masse de témoignages de sa main, dans l’intimité de sa méditation et de son intelligence, on le reconnaît et on le salue tout d’abord (indépendamment de ses erreurs) un grand harmoniste social, un esprit qui a sincèrement le désir d’améliorer l’humanité et d’en perfectionner le régime ; qui a en lui, sinon l’amour qui tient à l’âme et aux entrailles, du moins le haut et sévère enthousiasme qui brille au front de l’artiste philosophe pour la grande architecture politique et morale. […] À la suite de ces vers, où l’on reconnaît l’ami de La Fontaine, je lis, écrites de la main de Sieyès également, des pensées latines extraites de Salluste et surtout de Lucain ; entre autres : « Jusque datum sceleri » (Le crime eut force de loi), dont il a fait usage dans la Notice qu’il publia sur sa propre vie en l’an III, et cet autre passage : « … Ruit irrevocabile vulgus », qui exprime la force fatale de la démocratie triomphante. […] Après avoir rendu de grands services diplomatiques à la République française dans son ambassade de Berlin et ailleurs, et avoir influé à l’intérieur sur beaucoup d’actes importants de comité ou de cabinet, nommé membre du Directoire, Sieyès se vit une puissance reconnue et fut recherché de toutes parts. […] Il vit qu’on ne prendrait jamais ses idées qu’en les tronquant et en les altérant, c’est-à-dire en les rendant indignes d’être avouées et reconnues par lui. […] Ces calomnies sont réfutées par les pièces mêmes de la comptabilité officielle : elles le sont mieux encore par les Mémoires de Napoléon, qui reconnaît à la fois le faible de l’homme et son fonds d’intégrité ; il y est dit : « Il aimait l’argent, mais il était d’une probité sévère, ce qui plaisait fort à Napoléon ; c’était la qualité première qu’il estimait dans un homme public. » Il fut, en 1832, assez malade de la grippe pour que sa tête s’en ressentît.

389. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Intérêt spécial de la forme calme Avant de rattacher la parole intérieure dans sa totalité aux faits psychiques qui font partie de la même famille, quelques observations sont nécessaires sur la distinction et la dénomination des variétés que nous avons reconnues en elle. […] La bouche garde le silence Pour écouter parler le cœur34 ; sa parole intérieure reste calme ; elle ne peut s’élever jusqu’à l’inspiration ; si, dans cet état, il se souvient de la Muse et de leurs amours d’autrefois, son esprit lui représente en vain tous les motifs poétiques qui devraient éveiller son génie ; aucun n’a le pouvoir de l’arracher à lui-même ; il ne ressent ni colère durable ni enthousiasme profond ; la Muse est pourtant descendue du ciel ; elle lui a parlé ; mais il a eu peine à la reconnaître ; ni son appel ni son baiser n’ont pu réchauffer un cœur glacé ; il refuse de s’envoler avec elle dans les « mondes inconnus » qu’en des temps plus heureux ils ont tant de fois parcourus ensemble. […] Les caractères de la parole subsistent encore en elle, mais effacés ; elle paraît moins une parole ou quelque chose de la parole qu’un élément ou une détermination de la pensée ; son rapport avec la parole semble si faible et si lointain qu’il faut pour le reconnaître un véritable effort de réflexion ; au contraire, on ne la conçoit pas sans la pensée ni la pensée sans elle ; elle est comme un vêtement dont la pensée est toujours revêtue à nos yeux et sans lequel nous ne la reconnaîtrions pas. […] Mais ces deux fonctions n’épuisent pas l’énergie de la faculté des images ; il faut lui reconnaître un autre rôle encore, inférieur peut-être à celui que lui attribue l’école anglaise, supérieur à coup sur à celui auquel elle était restreinte dans la psychologie classique : parallèlement à la série continue des idées se développe une série continue d’images d’une seule espèce et pures de tout mélange, la série des signes intérieurs ; étroitement liées aux idées qui les accompagnent, les images-signes sont pourtant distinctes et séparables de ces groupes hétérogènes qui sont l’idée même ou la partie empirique de l’idée ; le signe, même intérieur, ne peut donc être confondu avec l’idée.

390. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Une Europe qui ne reconnaîtrait pas de droit public, ou qui ne le ferait pas respecter, serait une barbarie universelle ; le monde y serait joué aux dés tous les jours. […] Anathème sur le roi, le peuple ou le conquérant qui ne reconnaît pas le droit public : qu’il soit l’excommunié de la civilisation ! […] Une pensée, il faut le reconnaître, une pensée honnête les domine toutes et les relie toutes dans leur incohérence. […] Le rôle du grand diplomate alors, nous le reconnaissons, fut délicat aux yeux de ceux qui reconnaissent uniquement la France dans le sol. […] L’Angleterre et l’Europe se refusaient naturellement à reconnaître ce déchirement de la Belgique et de la Hollande en deux parts ; on menaçait de les contraindre par la force à l’unité, qui leur répugnait comme la mort.

391. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Il rappelle dans une épître nonchalante des idées cent fois répétées dans les causeries familières, et il s’est bien gardé de se faire précepteur ; les Pisons n’auraient point reconnu leur spirituel ami sous l’austérité d’un pédagogue. […] Mais il reconnaît que le corps n’est pas lui, précisément parce que le corps est à lui, et que ce qui possède est distinct de ce qui est possédé6 Il ne sait point si l’âme est la forme du corps. […] L’âme recueillie en elle-même, au-dessus des troubles et des vertiges que le corps lui donne, quand elle reste unie à lui, se reconnaît alors pour un principe divin, immortel, intelligent, simple, indissoluble. […] Il est impossible à l’âme de se placer en face d’elle-même, sans reconnaître bientôt cette évidence suprême qui accompagne tout acte de conscience, et qui de là se répand sur toutes les notions que l’âme peut saisir directement en elle. […] Mais ces principes n’ont pas toujours été reconnus pour les siens ; on lui en a prêté même de tout contraires.

392. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Quoique jaloux de tromper les autres, il ne veut pas les tromper trop grossièrement, car ils pourraient bientôt reconnaître leur erreur, et s’en vengeraient par un mépris, souvent aussi injuste que leur estime. […] Je crois cependant devoir avertir que mon dessein n’est point ici d’établir des principes ou des faits absolument généraux ; je reconnais avec plaisir quelques exceptions, la naissance et la fortune n’excluent point les talents comme elles ne les donnent pas. […] Bientôt, comme on n’observe guère de milieu dans ses jugements, tout géomètre s’est vu indistinctement recherché ; il est vrai que cette manie a duré peu, non parce qu’on a reconnu que c’était une manie, mais parce qu’aucune manie ne dure dans notre nation. […] La disparité qui est entre eux, ne sera jamais unanimement reconnue, surtout par les parties intéressées. […] C’est à ce langage entortillé, impropre et barbare, qu’on prétend reconnaître aujourd’hui les auteurs qui fréquentent ce qu’on appelle la bonne compagnie, mais à qui cette fréquentation, quoi qu’on en dise, est très funeste, et dont la manière d’écrire vaudrait beaucoup mieux, comme l’expérience le prouve, s’ils vivaient dans une société moins brillante.

393. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Vous nous dites que la Révocation, dont vous êtes contraints malgré vous de reconnaître les conséquences funestes pour la France, fut prononcée à rencontre des volontés de Bossuet. […] Ses biographes néanmoins s’accordent tous à lui reconnaître une science extraordinaire. […] Telle est la supériorité que je reconnais à Bossuet, son incontestable maîtrise de rhéteur. […] L’Église de France, en trahissant la cause nationale, se déshonore une fois de plus, et c’est en elle qu’il faut reconnaître l’origine des désastres postérieurs de la France, qu’elle amputa de ses plus nobles individus. […] « Mais l’hypocrisie déprima peut-être trop violemment vos cerveaux et vos cœurs pour vous permettre aujourd’hui de reconnaître louablement la vérité.

394. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Il ne reconnaîtra son erreur qu’à la condition d’en être averti, tant il est porté à mesurer un état psychologique donné par les mouvements conscients qui l’accompagnent ! […] Inversement, nous reconnaissons la sensation d’intensité extrême aux mouvements irrésistibles de réaction automatique qu’elle provoque de notre part, ou à l’impuissance dont elle nous frappe. […] Or, si l’on veut bien nous accorder ce que nous disions plus haut des intensités lumineuses, on reconnaîtra que les diverses teintes grises présentées par M.  […] On peut interpréter l’une par l’autre, ériger l’une en équivalent de l’autre ; mais, tôt ou tard, au commencement ou à la fin, il faudra reconnaître le caractère conventionnel de cette assimilation. […] Car, dès qu’une chose est reconnue susceptible de grandir et de diminuer, il semble naturel de chercher de combien elle diminue, de combien elle grandit.

395. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Louis XIV le reconnut et eut à cœur de s’en acquitter : 1º en fondant l’Hôtel des Invalides, dont une partie fut réservée pour des officiers vieux ou blessés ; 2º par la formation des compagnies de cadets qu’on exerçait dans les places frontières, et où l’on élevait 4 000 fils de gentilshommes ; 3º enfin, dès que Mme de Maintenon lui en eut suggéré l’idée, par la fondation de la maison royale de Saint-Cyr, destinée à l’éducation de 250 demoiselles nobles et pauvres. […] Mme de Maintenon, toute gagnée qu’elle était par eux, reconnaissait avec son bon sens qu’il fallait y remédier et ne pas laisser abonder dans cette veine de jeunes et tendres esprits dont quelques-uns avaient commencé à s’éprendre. […] » Une haute idée, c’est que les Dames de Saint-Louis étant destinées à élever des demoiselles qui deviendront mères de famille et auront part à la bonne éducation des enfants, elles ont entre leurs mains une portion de l’avenir de la religion et de la France : « Il y a donc dans l’œuvre de Saint-Louis, si elle est bien faite et avec l’esprit d’une vraie foi et d’un véritable amour de Dieu, de quoi renouveler dans tout le royaume la perfection du christianisme. » La fondatrice leur rappelle expressément qu’étant à la porte de Versailles comme elles sont, il n’y a pas de milieu pour elles à être un établissement très régulier ou très scandaleux : « Rendez vos parloirs inaccessibles à toutes visites superflues… Ne craignez point d’être un peu sauvages, mais ne soyez pas fières. » Elle leur conseille une humilité plus absolue qu’elle ne l’obtiendra : « Rejetez le nom de Dames, prenez plaisir à vous appeler les Filles de Saint-Louis. » Elle insiste particulièrement sur cette vertu d’humilité qui sera toujours le côté faible de l’institut : « Vous ne vous conserverez que par l’humilité ; il faut expier tout ce qu’il y a eu de grandeur humaine dans votre fondation. » Quoi qu’il en soit des légères imperfections dont l’institut ne sut point se garantir, il persista jusqu’à la fin dans les lignes essentielles, et on reconnaîtra que c’était quelque chose de respectable en l’auteur de Saint-Cyr que de bâtir avec constance sur ces fondements, en vue du xviiie  siècle déjà pressé de naître, et dans un temps où Bayle écrivait de Rotterdam à propos de je ne sais quel livre : On fait, tant dans ce livre que dans plusieurs autres qui nous viennent de France, une étrange peinture des femmes de Paris. […] Et ce n’était pas seulement Bayle qui écrivait ces choses, c’était Mme de Maintenon qui le disait aussi et qui reconnaissait cela pour vrai dans les conseils qu’elle donnait à une demoiselle sortie de Saint-Cyr : Ne soyez jamais sans corps (sans corset, c’est-à-dire en déshabillé), et fuyez tous les autres excès qui sont à présent ordinaires, même aux filles, comme le trop manger, le tabac, les liqueurs chaudes, le trop de vin, etc. ; nous avons assez de vrais besoins sans en imaginer encore de nouveaux si inutiles et si dangereux.

396. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

La Défense des ouvrages de M. de Voiture, dédiée à M. de Balzac, parut avec une préface de Martin de Pinchêne, neveu de Voiture, lequel reconnaissait tenir le manuscrit des mains de Conrart et prenait sur lui la responsabilité de la publication. […] M. de Girac, dans sa dissertation, assez élégante, ce me semble, mais composée sans prétention et s’adressant peu au public, disait donc, non sans s’excuser d’avoir à donner son avis en matière de grâces, lui homme de campagne et vivant au milieu des bois, que des trois genres de lettres où s’était exercé Voiture, l’un sérieux et grave, l’autre enjoué et badin, et le troisième amoureux, il n’avait bien réussi ni dans le premier ni dans le dernier, et n’avait atteint à une véritable perfection que dans le second genre, celui de l’ingénieuse familiarité et de l’enjouement ; mais cette perfection qui lui était propre, il n’hésitait pas à la lui reconnaître. […] N’était-ce pas là bien nettement reconnaître Voiture pour ce qu’il était avant tout, pour le plus charmant instrument de société ? […] On n’y voit point la grandeur, la majesté, la magnificence et la pompe de votre style, cette rapidité impétueuse semblable aux torrents… M. de Voiture a fait judicieusement de vous laisser toute libre cette large et vaste carrière du genre sublime, ayant reconnu que vous en aviez remporté le prix, et qu’il ne restait plus d’honneur à y acquérir après vous.

397. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Le style agréable et naturellement élégant de M. de Pontmartin ne se reconnaît plus dans ces grands morceaux qui demanderaient, même le thème étant donné, une main plus sobre et plus ferme. […] Pour mon compte, je dois cependant convenir, sans prétendre faire le généreux, que sa plaidoirie en faveur de Chateaubriand, à l’occasion et à l’encontre d’un livre que j’ai publié, m’a frappé comme très-spirituelle, très bien menée, très-soutenue d’haleine, fort juste en bien des points ; et il me coûte d’autant moins de le reconnaître, qu’au fond ses conclusions à lui (sauf le ton de la chanson) ne sont pas si différentes des miennes, et qu’un abîme, quoi qu’il en dise, ne nous sépare pas. […] Elle a d’abord reconnu M.  […] Marbeau appelle Aurélie dans son cabinet ; elle s’y rend accompagnée de la maîtresse de pension : la pauvre enfant reconnaît avec un peu d'effort de mémoire ce même cabinet où son père et sa mère se sont vus pour la dernière fois.

398. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

C’est bien tel et sous ces traits tout conformes à son caractère que nous allons le retrouver et le reconnaître dans la charge nouvelle qui lui était déférée. […] Au xve  siècle, le bourgeois de Bordeaux avait le droit de porter toujours des armes ; il ne reconnaissait pour chef militaire que le maire. […] Le spectacle de cette entrée épouvantable et de cette exécution laissa une longue horreur imprimée aux âmes, et quand on lit ensuite le traité de la Servitude volontaire d’Étienne de La Boëtie, l’ami de jeunesse de Montaigne, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître un profond sentiment de représailles autant et plus peut-être qu’un ressouvenir et une imitation de l’antiquité. […] J’entre autant que personne dans l’esprit de ces raisons, et je reconnais même dans cette conduite le véritable Montaigne tel que je me le suis toujours représenté, avec toutes ses qualités de bon esprit, de modération, de prudence, de philosophie et de parfaite sagesse ; à quoi il ne manque que ce qui n’est plus en effet de la philosophie et de la sagesse, ce qui est de la sainte folie, de la flamme et du dévouement.

399. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Bertrand me fait l’effet d’un orfèvre ou d’un bijoutier de la Renaissance ; un peu d’alchimie par surcroît s’y serait mêlé, et, à de certains signes et procédés, Nicolas Flamel aurait reconnu son élève. […] Il avait reconnu là un procédé analogue au sien, et il s’était, mis à courir après. […] Singulière, insaisissable nature, que les gens du monde auraient peine à comprendre et que les artistes reconnaîtront bien ! […] Bertrand lui a, depuis, avoué l’avoir reconnu de son lit ; mais il s’était couvert la tête de son drap, en rougissant.

400. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Maintes fois, il le reconnaît lui-même, il manquait de bon sens dans les déterminations, et il est des circonstances où il se reproche de n’en avoir pas eu un grain ; il était sujet à des éblouissements, à des coups d’imagination dont savent se préserver les hommes de qui la pensée doit guider et gouverner les empires. […] Quand un La Rochefoucauld nous peint Retz et que Retz s’accorde avec lui pour se reconnaître dans les traits principaux de cette peinture, nous n’avons plus qu’à nous taire, pauvres observateurs du lointain, et à nous incliner. […] Bazin, en lisant cela, n’ait pas à l’instant reconnu et salué Retz comme un maître, sauf ensuite à le contredire en bien des cas, s’il y avait lieu ; mais l’historien qui rencontre, dès les premiers pas, dans le sujet qu’il traite, un tel observateur et peintre pour devancier, et qui n’en tire sujet que de s’efforcer à tout amoindrir et à tout éteindre après lui, me paraît faire preuve d’un esprit de taquinerie et de chicane qui l’exclut à l’instant de la large voie dans la carrière. […] Si étonnante que la chose puisse sembler, il faut bien reconnaître que cette considération lui demeura tant qu’il vécut, et malgré tout ce qu’il fit pour l’entamer.

401. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Disons tout, et reconnaissons les difficultés de divers genres contre lesquelles il eut à lutter. […] Ce que je veux conclure de tout ceci, c’est que, pour être véritablement vivante, une ode politique ou religieuse ne doit être que la voix harmonieuse et vaste de tout un peuple assemblé, qui y reconnaît et y salue son âme, et s’y exalte en l’écoutant : tel était le chœur antique. […] Une des choses auxquelles il est le plus difficile de s’accoutumer en jugeant les hommes, c’est de maintenir la part de leurs talents ou de leurs qualités, après qu’on a reconnu celle de leurs défauts ou de leurs vices. […] Cette élévation qu’il n’avait ni dans le cœur ni dans le caractère, il faut bien pourtant reconnaître qu’elle s’était par moments réfugiée dans son imagination.

402. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Les voilà donc tous trois sur le pavé de Paris, « moi, sans autorisation régulière, dit Marmont, Junot attaché comme aide de camp à un général qu’on ne voulait pas reconnaître, et Bonaparte, sans emploi, logés tous trois Hôtel de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre, passant la vie au Palais-Royal et au théâtre, sans argent et sans avenir ». […] Cette campagne m’avait été favorable, dit Marmont ; on reconnaissait mes services, et on me supposait, avec raison, investi de la confiance du Premier consul. […] Arrivé à Charenton et sentant l’importance du poste de Romainville pour la défense de la capitale, il envoie un officier pour reconnaître si la position est déjà occupée par l’ennemi. […] Le maréchal, voulant s’assurer par lui-même, descend dans la grande rue de Belleville : Mais à peine avais-je descendu quelques pas, je reconnus, dit Marmont, la tête d’une colonne russe qui venait d’y arriver.

403. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

On y reconnaît pourtant de la sensibilité et quelque chose du poète. […] Il ne reconnaît à son frêle gouvernement ni ressources, ni avenir. […] Michaud, que cette espèce d’enchantement politique, ce mobile des grandes actions, est une des merveilles de l’ordre social ; et plus nous sommes éloignés aujourd’hui de ces idées, plus nous devons en sentir le prix. » Passant à la morale, il y suivait les mêmes formes, les mêmes jeux de l’amour-propre, et reconnaissait qu’elle a, comme la politique, « ses rubans et sa broderie : ce sont les illusions, et je n’entends par illusion que la manière d’envisager les choses sous leurs formes les plus attachantes ». […] Dès qu’il en reconnaissait dans quelqu’un, fût-ce d’un bord même opposé, l’épigramme cessait à l’instant sur ses lèvres : il avait de l’amitié pour l’esprit.

404. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il reconnaît lui-même qu’il était peu propre aux emplois et à ce qu’on appelle une profession ou un état : Ce qui m’a toujours donné une assez mauvaise opinion de moi, disait-il, c’est qu’il y a fort peu d’états dans la république auxquels j’eusse été véritablement propre. […] Une de ses pensées m’a toujours frappé : « Fontenelle, a-t-il dit, autant au-dessus des autres hommes par son cœur qu’au-dessus des hommes de lettres par son esprit. » Je lis et relis cette pensée, et, me rappelant ce qu’a été Fontenelle, je crois d’abord qu’il faut lire : « Fontenelle autant au-dessous des autres hommes par son cœur que…, etc. » Mais non : il paraît bien que c’est un éloge que Montesquieu a voulu faire de Fontenelle ; il lui reconnaît ailleurs une qualité excellente pour un homme tel que lui : « Il loue les autres sans peine. » Montesquieu admirait réellement en Fontenelle l’égalité, l’absence d’envie, l’étendue et la prudence, l’indifférence même peut-être. […] Un ou deux ans après, le jeune homme qui sent bien que c’est à l’inconnu qu’il doit la délivrance de son père, le rencontre sur le port, se jette à ses pieds avec effusion, en le bénissant, en le suppliant de se laisser reconnaître et de venir voir les heureux qu’il a faits. […] Au milieu des hardiesses et des irrévérences des Lettres persanes, un esprit de prudence se laisse entrevoir par la plume d’Usbek ; en agitant si bien les questions et en les perçant quelquefois à jour, Usbek (et c’est une contradiction peut-être à laquelle n’a pas échappé Montesquieu) veut continuer de rester fidèle aux lois de son pays, de sa religion : « Il est vrai, dit-il, que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois : mais le cas est rare ; et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante. » Rica lui-même, l’homme badin et léger, remarquant que dans les tribunaux de justice, pour rendre la sentence, on prend les voix à la majeure (à la majorité), ajoute par manière d’épigramme : « Mais on dit qu’on a reconnu par expérience qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : et cela est assez naturel, car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux. » C’est assez pour montrer que cet esprit qui a dicté les Lettres persanes ne poussera jamais les choses à l’extrémité du côté des réformes et des révolutions populaires.

405. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Il commencera à chercher à reconnaître le nombre, la nature et l’intensité des émotions que cette lecture suscite, à les classer ; il se trouvera alors arrêté court par une difficulté qui ne semble encore avoir été aperçue par aucun esthéticien. […] Elles reposent sur une confusion entre l’acte d’apprécier l’intensité d’une émotion et celui de la reconnaître, d’en désigner l’espèce. […] Nous avons nous-même reconnu cette variabilité de l’appréciation quantitative des œuvres d’art, quand nous avons parlé des tentatives faites pour la mesurer exactement chez diverses personnes. […] Si Iago émeut une personne du commun, ce n’est pas que celle-ci sente et puisse même comprendre l’art et l’audace que le poète a mis à dresser ce personnage ; cet art et cette audace, on ne les reconnaît qu’après coup, par un examen critique, minutieux et difficile.

406. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Dès lors aussi, leur portée peut se prédire, leur marche se tracer, leurs coups se reconnaître ; elles sont tombées sous la prise de l’histoire. […] Il fallait bien pour l’historien, sous peine de se traîner, en pure perte, dans les détails des plus dégoûtantes atrocités, en venir à reconnaître les lois générales qui régissent les partis dans les temps de violence, sinon les énoncer en doctrine, du moins les sous-entendre dans l’exposition des faits, et en révéler le sens au lecteur par cette manière de traduction vivante et lumineuse.

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