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606. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

C’est de plus l’histoire des lions qui croient savoir peindre… Mme Sand, comme toutes les femmes devenues des bas-bleus, et qui luttent d’orgueil contre l’homme, crée des hommes misérables dans tous ses romans pour donner à peu de frais la supériorité à la femme. […] En effet, Laurent est un poète, comme Sténio qui, disait-on, était déjà un portrait, débauché comme Sténio, amoureux comme Sténio, bien plus de l’émotion de l’amour que de la femme aimée, recherchant cette émotion moins pour l’éprouver que pour la peindre, contradictoire comme un enfant et comme tant de génies, lorsque la religion, qui fait seule l’harmonie et l’ordre dans ces têtes sublimes et troublées, n’y verse pas la paix féconde et la lumière !

607. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Après la représentation exacte de ce qui est, il y a encore la manière de peindre, qui fait l’artiste, et qui n’est déjà plus la même, par exemple, dans Ernest Feydeau l’auteur de Fanny, et Ernest Feydeau l’auteur de M. de Saint-Bertrand, le roman-feuilleton ! […] Le Leone Leoni de madame Sand n’est pas long, et par là l’artiste a épargné à son lecteur, tout en l’émouvant, la sensation du dégoût qui n’eût pas manqué d’arriver si on eût prolongé la scabreuse situation, nécessaire au développement du sentiment qu’on a voulu peindre.

608. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Il est périlleux, même pour un honnête homme, s’il est passionné, de sentir qu’il écrit sans contrôle, et qu’il peint son monde sans confrontation. […] ici l’on va plus sûrement ; si l’on a le don d’observation et la faculté dont j’ai parlé, on va loin, on pénètre ; et si à ce premier don d’observer se joint un talent pour le moins égal d’exprimer et de peindre, on fait des tableaux, des tableaux vivants et par conséquent vrais, qui donnent la sensation, l’illusion de la chose même, qui remettent en présence d’une nature humaine et d’une société en action qu’on croyait évanouie. […] Et quand il aura à peindre des femmes, il a de ces grâces légères, de ces images et de ces suavités primitives, presque homériques (voir le portrait de la duchesse de Bourgogne), que les peintres de femmes proprement dits, les malicieux et coquets Hamilton n’égalent pas. […] Un ou deux ans après, à l’occasion d’une quête que Saint-Simon ne voulut point laisser faire à la duchesse sa femme, ni aux autres duchesses, comme étant préjudiciable au rang des ducs vis-à-vis des princes, le roi se fâcha, et un orage gronda sur l’opiniâtre et le récalcitrant : « C’est une chose étrange, dit à ce propos Louis XIV, que depuis qu’il a quitté le service, M. de Saint-Simon ne songe qu’à étudier les rangs et à faire des procès à tout le monde. » Saint-Simon averti se décida à demander au roi une audience particulière dans son cabinet ; il l’obtint, il s’expliqua, il crut avoir au moins en partie ramené le roi sur son compte, et les minutieux détails qu’il nous donne sur cette scène, et qui en font toucher au doigt chaque circonstance, montrent assez que pour lui l’inconvénient d’avoir été dans le cas de demander l’audience est bien compensé par le curieux plaisir d’y avoir observé de plus près le maître, et par cet autre plaisir inséparable du premier, de tout peindre et raconter. […] Habituellement et toujours, il a dans sa vivacité à concevoir et à peindre, le besoin d’embrasser et d’offrir mille choses à la fois, ce qui fait que chaque membre de sa phrase pousse une branche qui en fait naître une troisième, et de cette quantité de branchages qui s’entrecroisent, il se forme à chaque instant un arbre des plus touffus.

609. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

que serait-ce si on la peignait en sang ? […] Il n’y a pas un contrecoup de lames sur la grève, une ombre de cap sur les flots, un sifflement de brise dans les cordages, un bruit d’aviron sur les bordages du navire, qui ne soit retentissant ou peint dans ses vers. […] Il y peint sur une toile sans fond et sans fin la bataille de Dieu et des esprits rebelles, corps aériens qui succombent sans mourir et qui roulent du sommet des cieux dans les abîmes des enfers sans jamais se heurter aux aspérités impalpables de l’élément ambiant des mondes. […] … Sous un soleil de plomb la terre ici fondue Pour unique ornement n’a que son étendue ; On n’y voit pas bleuir, jusqu’au fond d’un ciel noir, Ces neiges où nos yeux montent avec le soir ; On n’y voit pas au loin serpenter dans les plaines Ces artères des eaux d’où divergent les veines Qui portent aux vallons par les moissons dorés L’ondoîment des épis ou la graisse des prés ; On n’y voit pas blanchir, couchés dans l’herbe molle, Ces gras troupeaux que l’homme à ses festins immole ; On n’y voit pas les mers dans leur bassin changeant Franger les noirs écueils d’une écume d’argent, Ni les sombres forêts à l’ondoyante robe Vêtir de leur velours la nudité du globe, Ni le pinceau divers que tient chaque saison Des couleurs de l’année y peindre l’horizon ; On n’y voit pas enfin, près du grand lit des fleuves, Des vieux murs des cités sortir des cités neuves, Dont la vaste ceinture éclate chaque nuit Comme celle d’un sein qui porte un double fruit ! […] …      « Du jour où de l’Éden la clarté s’éteignit, « L’antiquité menteuse en songes me peignit ; « Chaque peuple à son tour, idolâtre d’emblème, « Me fit semblable à lui pour m’adorer lui-même.

610. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Peyrefort, Émile »

Peyrefort peint des couchers du soleil, et surtout des couchers de soleil sur la nier.

611. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 490-491

Son cœur, toujours ému par la volupté, lui fournissoit sans effort ces tournures naïves & délicates, propres à peindre les sentimens qu’il éprouvoit.

612. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 80-81

L’Auteur y développe avec art les plus secrets ressorts des passions ; tous les mouvemens d’un cœur entraîné par la tendresse y sont peints avec naturel, intérêt, & variété.

613. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 208-209

Clément, que l’Art de peindre ne puisse jamais faire le sujet d’un bon Poëme didactique ?

614. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 271-272

Sédaine s'est plus attaché à peindre aux yeux qu'à l'esprit, & il faut convenir qu'il y a parfaitement réussi.

615. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 274-275

Il a su, par-dessus toutes choses, peindre ces passions tempérées, ces inclinations douces, ces goûts sensibles, cette charmante ingénuité, ces petites inquiétudes, qui caractérisent les mœurs des Bergers.

616. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Venevault, Boizot, Bachelier et Francisque Millet » p. 222

Il vit le Mercure de Pierre et celui de Boizot, l’un changeant en pierre Aglaure, l’autre conversant avec Argus, et il dit : À effacer avec la langue pour avoir osé peindre des dieux sans en avoir d’idée ; et Mercure l’embrassa.

617. (1763) Salon de 1763 « Peintures — La Tour » p. 223

Il a peint le Prince Clément et la Princesse Christine de Saxe, le Dauphin et presque toute sa famille.

618. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Fragonard » p. 280

J’aurais attendu de cet artiste quelque effet piquant de lumière, et il n’y en a point, cela est plat, jaunâtre, d’une teinte égale et monotone et peint cotoneux.

619. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Léonidas, d’abord reconnu pour prince héréditaire, puis tout d’un coup abandonné, se console par cette réflexion modeste : « Il est vrai, je suis seul ; mais Dieu l’était aussi avant de faire le monde, et il était mieux servi par lui-même que par la nature717. » Parlerai-je du plus grand sonneur de fanfares, Almanzor, peint, dit Dryden lui-même, d’après Artaban, redresseur de torts, pourfendeur de bataillons, destructeur de monarchies718 ? […] Naturellement nous doutons en face d’une action atroce ; nous devinons que les fers rougis qui vont brûler les yeux du petit Arthur sont des bâtons peints, et que les six drôles qui font le siége de Rome sont des figurants loués à trente sous par nuit. […] Ils ont donné pour règle à leur style la pureté ; la vigueur virile est celle du nôtre751. » Deux ou trois mots pareils peignent un homme ; Dryden vient de marquer sans le savoir la mesure et la qualité de son esprit. […] Dryden peignit l’Irlandais Fleknoë, antique roi de la sottise, délibérant pour trouver un successeur digne de lui, et choisissant Shadwell, héritier de son bavardage, propagateur de la niaiserie, glorieux vainqueur du sens commun. […] Il peint la vie d’un squire rural qui est l’arbitre de ses voisins, qui évite les procès et les médecins de la ville, qui se maintient en santé par la chasse et l’exercice.

620. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Murger, Henry (1822-1861) »

Il a peint avec une verve, un esprit et un sentiment qu’on ne dépassera pas, les mœurs exceptionnelles et fantasques d’une jeunesse qui, depuis, s’est peut-être un peu trop corrigée.

621. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 286-288

Si l'expression de la sensibilité inépuisable de son cœur paroît quelquefois emprunter le langage de l'esprit, ce n'est que pour produire de ces traits fins & délicats, fruit d'une imagination tendre & vive, & rendus dans un style qui peint & anime tout.

622. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre V. Sculpture. »

Cependant, il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l’avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu’ils ont placés au monument ; ce n’est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste.

623. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Amédée Vanloo » p. 218

Vis-à-vis et à droite, le pape et ses assistants forment, en s’étendant vers le fond et sur le devant, toute l’assemblée, dont le personnage le plus voisin du spectateur est un prélat, la tête appuyée sur sa main, qui écoute, et qui écoute bien ; qui a un beau caractère de tête, qui est drapé largement, qui est bien peint, mais qui nuit à tout.

624. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

C’est donc autant de tableaux objectifs et visuels qu’il essaie de peindre. […] Si l’écrivain fait saillir à l’extrême ce contraste, il peint trop noir. […] La donnée est différente, le procédé d’art est identique : la vie d’abord peinte dans sa vérité, la réflexion venant ensuite. […] La jeune Messine et le jeune Allemand sont peints, tous les deux, du plus ferme pinceau, du plus véridique aussi. […] Il est peint, si l’on peut employer ici une telle expression, d’après nature.

625. (1925) Proses datées

L’escalier à rampe de bois peint en vert mène au large corridor qui a vue sur le cloître et sur lequel s’ouvrent les cellules. […] Sur les murs blanchis à la chaux, on distingue encore des traces d’ornementations peintes. […] C’est que le jour où il se fît peindre par Van Loo, M. de La Pouplinière était tout à Apollon. […] Mais les attraits vivants ne vous laissaient point insensible à celui que vous ressentiez pour les imitations peintes de la nature. […] Il est peint à mi-corps.

626. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

Les efforts de la raison se sont sentir dans les Ouvrages de la plupart, par la gêne & les convulsions du style : dans l’Histoire Naturelle, l’Ecrivain raisonne & peint tout à la fois.

627. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 475-476

Jamais Auteur ne s’est mieux peint dans ses Ouvrages.

628. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 259-261

Sans le surcharger ridiculement d’un sentiment froid & puérile, sans y étaler une philosophie vaporeuse, propre à faire hurler la musique ou la dénaturer, sans le parsemer de ces petits riens à prétention, qui ne sont accueillis qu’au défaut de quelque chose, il a su y répandre de l’intérêt, du naturel, de la gaieté, de la finesse, & tous les agrémens dont il est susceptible ; il a su, en un mot, y peindre le vrai caractere de la Nation, que ses Rivaux ne s’occupent qu’à abâtardir & à défigurer.

629. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Mme Necker de Saussure a peint à merveille ces commencements gracieux dans l’excellente notice qu’elle a écrite sur sa cousine. […] Benjamin Constant y apparaît, au contraire, dans la candeur du noviciat, enclin de sentiments vers les républicains modérés, vers ces mêmes patriotes qu’on lui peint dans le salon de Mme de Staël comme des âmes sanguinaires. […] Cette Rome, cette Naples, que Mme de Staël exprimait à sa manière dans le roman-poëme de Corinne, M. de Chateaubriand les peignait vers le même moment dans l’épopée des Martyrs. […] Pour la comparaison de toutes ces manières diverses de sentir et de peindre Rome depuis que Rome a commencé d’être une ruine, on ne saurait rien lire de plus complet qu’un docte et ingénieux travail de M. […] Les Dix Années d’exil peignent au naturel les vicissitudes de cette situation agitée ; elle s’y représente étudiant sans cesse la carte d’Europe comme le plan d’une vaste prison d’où il s’agissait de s’évader.

630. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Si Racine avait aimé comme l’Oreste d’Andromaque, jamais il n’aurait su peindre l’amour. […] Lavedan et Gyp, l’un avec son imagination poétique, l’autre avec sa gaminerie si drue, nous déroulent surtout l’extérieur du guignol mondain, peignent en superficie des âmes futiles en effet et superficielles. […] Paul Hervieu nous les révèle dans Peints par eux-mêmes, ce quasi chef-d’œuvre. […] J’en reconnais aussi des traces dans sa complaisance et sa compétence à peindre les doux adolescents, timides, tendres, faibles et scrupuleux, de rôle passif, plus jeunes que la femme aimée, et beaucoup plus séduits que séducteurs … Il a donné des frères charmants au délicieux Hubert Liauran de M.  […] Au-dessus de la lucarne aux ombres chinoises est peint un chat noir, à la queue en tringle, aux contours simplifiés, un chat de blason ou de vitrail, qui pose, une patte dédaigneuse sur une oie effarée.

631. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

d’une indigence dans sa nature, mais de la plus parfaite harmonie de toutes les parties de son être moral, pris de tête à cœur… « En la peignant dans sa foi, dans sa patience, dans sa fidélité, dans sa fortitude, avec son intuition heureuse et son tact fin, qui n’a besoin de l’intervention d’aucune faculté discursive, en la peignant dans la lumière de ses affections à travers laquelle elle voit tout, en la peignant enfin dans la seule erreur qui soit la sienne, l’exagération de l’amour, Shakespeare a peint toutes les femmes dans la même femme ; car lorsqu’il y a individualité chez la femme, c’est toujours les circonstances qui la font. […] Parce que cet admirable génie de Shakespeare, qui était une intuition et non le résultat d’une expérience, a eu la divination de toutes choses et a peint les plus beaux et les plus purs sentiments de la vie (comme il a peint du reste les plus laids et les plus terribles), voilà que, selon François Hugo, ce grand raisonneur, Shakespeare en était capable et a dû nécessairement les éprouver ; comme justement aussi il y avait l’amitié parmi ces sentiments, et qu’il s’agit des AMIS, dans l’arrangement des titres de sa façon dont François Hugo a orné Shakespeare, il se trouve que Shakespeare a dû être, de réalité, le plus charmant, le plus adorable, le plus magnanime et le plus vertueux des amis. Les Sonnets, ces Sonnets sans sexe, où l’âme de ceux qui respectent Shakespeare se trouble devant la confusion d’un langage si troublant lui-même et si troublé ; les Sonnets, que je n’aurais pas cités, moi, pour prouver la pureté d’un sentiment qui, s’il est de l’amitié, n’est plus de l’amitié sainte et forte, mais de l’amitié qui, au moins, a le délire ; ces Sonnets sont invoqués à l’appui de cette idée que, quand il s’agit de Shakespeare : qui peint l’amitié doit la ressentir. […] Dans le Roi Jean, il peignit — vous savez en quels traits déchirants !  […] Mais ces beautés du drame de Henri V, avait-il besoin de les expliquer par autre chose que par cet insatiable besoin de peindre sous tous ses aspects la nature humaine, qui fut toujours le fond et l’unique mobile du génie de Shakespeare ?

632. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Mais voilà que nous sommes déjà en plein à peindre l’homme, et nous n’avons pas encore donné l’idée de sa philosophie, de son rôle dans la science, de la méthode qu’il y apporte, et des résultats dont il peut l’avoir enrichie. […] C’étaient encore, dans cette correspondance, des retours de désir vers le pays natal, vers la montagne d’où il tirait sa source, et le besoin de peindre à ses amis qui les ignoraient, ces grands tableaux naturels dont il était sevré : « Qui vous dira la fraîcheur de nos fontaines, la modeste rougeur de nos fraises ? […] L’idée de devoir préside à cette noble partie de l’âme que nous peignons ; si le premier mouvement s’échappe quelquefois, la seconde pensée répare toujours. […] Jouffroy, que nous tâchions ainsi de peindre avec un soin et des couleurs où se mêlait l’affection, est mort le 1er mars 1842, laissant à tous d’amers regrets.

633. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Comme Léonard de Vinci, qui regardait tout pour tout dessiner, jusqu’aux rides des vieilles murailles, où il trouvait des airs de tête, des figures étranges, des confusions de bataille, des habillements capricieux, le poète coloriste a tout regardé pour tout peindre. […] Sa plume dessine, peint, grave, cisèle. […] Raconter, peindre, c’est tout le génie d’Augustin Thierry. […] S’agit-il, par exemple, de l’usage des passions dans le drame, elle recueille dans les auteurs dramatiques les plus divers et les plus inégaux les traits vrais ou spécieux dont ils ont peint une passion ; elle compare les morceaux, non pour donner des rangs, mais pour faire profiter de ces rapprochements la vérité et le goût ; elle y ajoute ses propres pensées, et de ce travail de comparaison et de critique elle fait ressortir quelque vérité de l’ordre moral.

634. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Pour commencer et comme il voit que l’officier prend au sérieux ce monde dérisoire peint à la détrempe, il le renfonce dans le troisième dessous, d’un coup de sifflet, comme un machiniste ; il arrache les masques, il dit les noms propres, il s’informe du mari de la veille et de l’amant du lendemain, il lave bruyamment le linge sale de ce lazaret, il pétrifie dans le sel de sa plaisanterie ces femmes de Loth — moins Loth, pourtant ! […] Et madame de Santis, est-elle assez ressemblante et vivace dans sa pétulance élastique, cette poupée peinte qui n’est que fanfreluches, babillage et vide ! […] La voilà peinte d’un trait, c’est un profil au fusain rose que ce mot-là. […] Ce ne sont ni les fièvres ni les angoisses de l’argent que l’auteur a peintes, mais ses gênes, ses embarras, ses petites misères et ses cas de conscience.

635. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Enfin, c’était une homme qui s’était fait peindre en officier de la garde nationale, — en ballon ! […] Et l’on se promène dans de la nature, dont on vous crie aux oreilles : « Ceci a été peint par ***, ceci a été fusiné par ***, ceci aquarellé par ***. » Ici, dans l’île d’Aligre, devant les deux catalpas formant un A sur le ciel, on vous avertit que vous êtes devant le premier tableau de Français, et l’on vous fait revoir la petite femme nue, couchée sur une peau de tigre, en la légère et gaie verdure de la campagne parisienne ; là — l’histoire est vraiment plaisante — là, c’est là que se dressait une magnifique et orgueilleuse plante, entrevue au coucher du soleil par Français, rêvant toute la nuit d’en rendre, le lendemain, l’élancement vivace et la délicate dentelure des feuilles. […] » Puis nous avons causé de l’idéal, ce ver rongeur du cerveau, « ce tableau que nous peignons avec notre sang », a dit Hoffmann. […] Et peindre ce jour du printemps, un jour non flou, non rayonnant, non tamisé de l’or des chauds soleils, mais un jour aigu, un jour frigidement clair, où les lumières semblent des hachures de blanc sabrant du papier bleu. » 6 novembre Départ pour l’Italie.

636. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

      Toujours sublime et magnifique,       Soit que, plein de nobles douleurs, Il nous montre un abîme où fut un trône antique, Et d’une grande reine étale les malheurs ;       Soit lorsque, entr’ouvrant le ciel même,       Il peint le monarque suprême Courbant tous les états sous d’immuables lois ; Et de sa main terrible ébranlant les couronnes,       Secouant et brisant les trônes,       Et donnant des leçons aux rois ! […]       Et comme il peint cette princesse,       Riche de grâce et de jeunesse, Tout à coup arrêtée au sein du plus beau sort, Et des sommets riants d’une gloire croissante,       Et d’une santé florissante,       Tombant dans les bras de la mort ! […]       C’est Condé qui, dans la carrière,       Entre pour la première fois ; C’est lui dont Bossuet peint la fougue guerrière, Couronnée à vingt ans par les plus hauts exploits. […] » Je ne considère pas seulement Louis XIV parce qu’il a fait du bien aux Français, mais parce qu’il a fait du bien aux hommes : c’est comme homme, et non comme sujet que j’écris ; je veux peindre le dernier siècle, et non pas simplement un prince.

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