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2097. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Vous pourriez aisément, dans la conversation, savoir ce qu’en pense l’homme instruit dont j’ai l’honneur de vous parler. […] J’imagine que si elle écrivait directement au roi une lettre touchante et raisonnée, et qu’elle adressât cette lettre à la personne dont je vous parle, cette personne pourrait, sans se compromettre, l’appuyer de son crédit et de son conseil. […] Je ne parle pas de divers endroits de ses poésies ; il sentait bien que ce n’était point par là qu’il la ferait vivre. […] La gravité, l’autorité de la parole, celle des doctrines, cette immortalité religieuse acceptée et passée dans le cœur, puisée à la source des croyances, qui s’étend de celui qui parle aux personnes qu’il célèbre et les revêt de leurs vertus épurées comme d’un linceul éblouissant et indestructible, tout cela manquait ; et, il faut le dire, la mémoire même de la généreuse et noble margrave n’y prêtait pas.

2098. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

L’auteur de Madame Bovary a donc vécu en province, dans la campagne, dans le bourg et la petite ville ; il n’y a point passé en un jour de printemps comme le voyageur dont parle La Bruyère et qui, du haut d’une côte, se peint son rêvé en manière de tableau au penchant de la colline, il y a vécu tout de bon. […] On s’était dit adieu, on ne parlait plus ; le grand air l’entourait, levant pêle-mêle les petits cheveux follets de sa nuque, ou secouant sur sa hanche les cordons de son tablier, qui se tortillaient comme des banderolles. […] Le soleil se couchait ; le ciel était rouge entre les branches, et les troncs pareils des arbres plantés en ligne droite semblaient une colonnade brune se détachant sur un fond d’or : une peur la prenait, elle appelait Djali, s’en retournait vite à Tostes par la grande route, s’affaissait dans un fauteuil, et de toute la soirée ne parlait pas. […] J’ai parlé de mots naturels, et terriblement vrais, qui échappent.

2099. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Ce détestable entourage dont elle parle, c’est d’abord, pour elle, « Talleyrand, Mirabeau, le duc de Biron, le vicomte de Nouilles, le comte de La Marck et d’autres moins connus. […] On n’en parle pas, même en bien. […] Vous en parlez bien à votre aise, me dira-t-on, et j’aurais voulu vous voir en sa place : Croyez-vous donc qu’on soit si bien dans une armoire ? […] Le duc répondit : « Elles sont en effet terribles, mais dans toutes les révolutions on a toujours versé beaucoup de sang, et une fois commencées, on ne peut les arrêter quand on veut. » Il me parla, continue madame Elliott, de l’abominable meurtre de Mme de Lamballe, de sa tête qu’on lui avait apportée au Palais-Royal pendant son dîner.

2100. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Mais je parle là de ce que j’ai le tort peut-être de ne pas assez aimer et surtout de ne pas assez connaître. […] Dans son beau livre sur Averroès, sur ce philosophe arabe dont le nom signifiait et représentait, bien qu’à tort, le matérialisme au Moyen-Age, il a parlé excellemment de Pétrarque, de ce prince des poëtes et des lettrés de son temps, qu’il proclame le premier des hommes modernes en ce qu’il a ressaisi et inauguré le premier le sentiment de l’antique culture, et « retrouvé le secret de cette façon noble, généreuse, libérale, de comprendre la vie, qui avait disparu du monde depuis le triomphe des barbares. » Il nous explique l’aversion que Pétrarque se sentait pour l’incrédulité matérielle des Averroïstes, comme qui dirait des d’Holbach et des Lamettrie de son temps : « Pour moi, écrivait Pétrarque cité par M.  […] Et pour parler convenablement de M.  […] Sous une forme ou sous une autre, il est conquis à Jésus ; il l’est surtout depuis qu’il a visité cette Palestine, objet et terme désiré de son voyage, ce riant pays de Génézareth, qui ressemble à un jardin, et où le Fils de l’Homme a passé le meilleur temps de sa mission à prêcher les petits et les pauvres, les pêcheurs et les femmes au bord du lac de Tibériade ; il faut entendre comme il parle à ravir et avec charme de ce cadre frais et de ce paysage naturel des Évangiles.

2101. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

J’ai trois amis, j’en ai de tous les bords et dans tous les camps ; ces trois amis sont venus, non pas ensemble comme les amis de Job, mais séparément l’un après l’autre, dans la même journée, me parler de la Vie de Jésus, et sous prétexte de me demander mon avis, ils m’ont dit le leur : c’est ce qu’on fait le plus souvent quand on va demander un avis. […] … Je m’en vais parler pour lui, à mon tour. […] Il a fait mille raisonnements, mille remarques, bien des critiques, et quelques-unes sans doute à tort et à travers ; mais, tantôt approuvant, tantôt critiquant, il ne s’est en rien scandalisé, il n’a pas lancé l’anathème, cette arme n’étant plus dans nos mœurs ni à notre usage ; il a reconnu un esprit supérieur qui venait à lui et qui lui parlait (sauf à quelques rares endroits) un langage à sa portée, un langage toujours noble d’ailleurs, éloquent, élégant même : il n’a pensé qu’à s’informer auprès de lui et à s’instruire. […] Je ne parle ici que littérature.

2102. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Quand il parle, comme il le fait, contre la guerre et ses effets désastreux, ce n’est pas qu’il supprime le courage et l’intrépidité humaine, c’est qu’il sait où les placer ailleurs. […] Dans l’Antiquité, les peuples, tels que la poésie ou l’histoire nous les montre, les peuples des différentes cités et des petits États, dans leurs mouvements impétueux et leurs révolutions, se décidaient d’eux-mêmes au gré de leurs passions, et, à défaut de presse, par la voix de leurs orateurs ; ou bien, quand l’oracle avait parlé, aveuglément superstitieux qu’ils étaient, ils lui obéissaient en aveugles. Chez les modernes, il y a progrès : les oracles sont muets ; la voix des dieux et de ceux qui les faisaient parler n’est plus fatalement obéie ; les peuples pensent : et pourtant il y a toujours l’empire des mots, la puissance des déclamations de tout genre, des sophismes spécieux, ces autres formes d’idoles ; il y a la mobilité naturelle aux hommes, le jeu presque mécanique des actions et des réactions, mille causes combinées d’où résultent on ne sait comment, à certains jours, des souffles généraux qui deviendront plus tard des tempêtes ; et lorsqu’une fois il s’est établi parmi les peuples un mauvais courant de pensées et de sentiments, oracle ou non, il y a danger, si une main bien prudente et bien ferme n’est au gouvernail, qu’ils n’y obéissent en aveugles comme à un mauvais génie. […] Rouher ; — lorsque encore, par exemple, ayant à parler de Victor-Emmanuel, il l’a défini « ce roi plein de résolution qui met le triomphe de l’unité italienne au-dessus de la conservation de sa couronne et de sa vie, roi plein d’ardeur, qui a le mépris de la mort et la volupté du péril » — lorsqu’à la veille du discours de l’Empereur pour l’ouverture de la dernière session, et s’arrêtant par convenance au moment où il allait essayer d’en deviner le sens, il ajoutait : « On peut s’en rapporter pleinement de ce qu’il conviendrait de dire, s’il le veut dire, à l’Empereur, qui semble puiser dans la condensation et l’esprit du silence la force et le génie du discours. » On ne saurait mieux dire ni plus justement, et en moins de mots, les jours où l’on ne veut pas déplaire.

2103. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

On en est sorti enfin : les cités commencent ; on invente la justice ; les premiers législateurs font parler les dieux. […] Aussi vous ai-je prévenu que mon savant vit seul ; il n’a pas d’enfants autour de lui qui l’interrogent et auxquels il faut faire une réponse à tout, une réponse quelconque, car ils en veulent une ; il n’a pas à parler non plus à ces hommes réunis qui sont plus ou moins comme des enfants ; il cause avec quelques amis, avec des chercheurs comme lui ; ils se communiquent leurs doutes, leurs espérances hardies, leurs ambitions droites et sobres, leurs joies austères : il n’y a jamais place pour le sourire. […] Chaque être (et je parle des élus et des plus favorisés), dans cette série immense, innombrable, où il n’est qu’un atome de plus, a eu son jour, son heure d’éclosion brillante, son printemps sacré ; après quoi vient le déclin, et l’ombre et la nuit. […] Il est impossible de mieux parler d’idées qu’on ne partage pas, et d’un homme avec lequel on ne vit pas.

2104. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Le Play qui parle) dresse les hommes à la tolérance dans toute société où la paix publique est fermement maintenue par l’autorité : la même liberté fait souvent naître des attaques et des haines qui peuvent compromettre cette paix publique. » Mais si l’on n’essaye pas l’on n’apprend pas. […] Le Play nous parle d’une société déjà rassurée et en voie de stabilité, où il y aurait des points fixes dans les mœurs, de puissantes familles donnant le ton et faisant contre-poids aux corrompus ou aux brouillons par une série d’honnêtes gens de père en fils. […] Franck, le savant Israélite, professeur au Collège de France, parlait un jour de la tolérance et il en parlait avec feu ; un de ses auditeurs, qui était d’un avis différent, marqua sa désapprobation ; un autre auditeur, voisin du premier, et qui tenait pour la tolérance, indigné de la contradiction, donna un soufflet à l’interrupteur, et celui-ci se vit à l’instant honni et expulsé de la salle par un auditoire enthousiaste de la tolérance.

2105. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Zeller hésite un peu sur ce point ; mais il n’hésite pas quand il attribue à César l’idée de fonder, sous un nom ou sous un autre, une monarchie populaire, universelle et, en quelque sorte, humaine : « Étendre le droit de cité à tous les hommes libres de l’Empire, régner sur le monde pour le monde entier, non pour l’oligarchie ou la démocratie quiritaires ; abaisser les barrières entre les classes comme entre les nations, entre la liberté même et la servitude, en favorisant les affranchissements et en mettant le travail en honneur ; avoir à Rome une représentation non du patriciat romain, mais du patriciat du monde civilisé ; fondre les lois de la cité exclusive dans celles du droit des gens ; créer, répandre un peuple de citoyens qui vivent de leur industrie et qu’on ne soit pas obligé de nourrir et d’amuser : voilà ce qu’on peut encore entrevoir des vastes projets de celui qu’on n’a pas appelé trop ambitieusement l’homme du monde, de l’humanité ; voilà ce dont témoignent déjà les Gaulois, les Espagnols introduits dans Rome, Corinthe et Carthage relevées, et ce qu’indiquent les témoignages de Dion Cassius, de Plutarque, de Suétone, bien qu’ils aient pu prêter peut-être à César quelques-unes des idées de leur temps. » César (s’il est permis d’en parler de la sorte à la veille d’une publication par avance illustre), César, au milieu de tous ses vices impudents ou aimables, de son épicurisme fondamental, de ce mélange de mépris, d’indulgence et d’audace, de son besoin dévorant d’action, et de cet autre besoin inhérent à sa nature d’être partout le premier, César, à travers ses coups de dés réitérés d’ambitieux sans scrupule et de joueur téméraire, avait donc une grande vue, une vue civilisatrice : il n’échoue pas, puisque son idée lui survit et triomphera, mais il périt à la peine, parce qu’il avait devancé l’esprit du temps, tout en le devinant et le servant, parce qu’il vivait au milieu de passions flagrantes et non encore domptées et refoulées. […] Ne me parle plus d’Alexandre, de Philippe, de Démétrius de Phalère, tragiques acteurs que je ne suis pas condamné à imiter. […] Marc-Aurèle n’avait à offrir que la patience, la résignation, la conscience du devoir accompli, la satisfaction interne sobre et austère, les palliatifs de la sagesse, les moyens humains : il n’a parlé, il ne parle encore qu’à quelques-uns.

2106. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Quand on parlait devant lui de la complicité de Mme de Staël, dans ce coup d’État : « Mme de Staël, disait-il, a fait le 18, mais non pas le 19. » On sait, en effet, que, si la journée du 18 avait abattu l’espoir des royalistes, la journée du 19, avec ses décrets de déportation, avait relevé l’audace des jacobins. […] Une telle affaire avérée, comme le mensonge dont je parlais l’autre jour, en représente et en suppose des milliers d’autres. Or, rien de plus avéré, de plus authentiquement acquis à l’histoire que cette tentative d’extorsion et, pour parler net, que cette manoeuvre de chantage auprès des envoyés américains. […] Talleyrand, dans les deux cas, parla au général en avocat d’office et médiocrement convaincu.

2107. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Le Pape, invoqué sans cesse, pouvait parler, et force était alors d’obéir ou de n’être plus du tout le même. […] Lui seul pourrait nous le dire, si sa mémoire parlait. […] Ce qu’on représentait comme la mort des peuples, on assure à présent que c’est leur santé, leur vie. » Les hommes dont nous parlons pourront donc sourire en relisant ce passage de M. de La Mennais ; mais lui-même aussi ne peut-il pas le leur redire en face à la plupart, le leur rétorquer à bout portant ? […] Nous en signalerons bientôt plus d’une trace, véritablement charmante, dans l’écrit dont nous avons à parler.

2108. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Il fallait et parler et se taire comme les autres, connaître les usages pour ne rien inventer, ne rien hasarder ; et c’était en imitant longtemps les manières reçues qu’on acquérait enfin le droit de prétendre à une réputation à soi. […] Je parlerai dans un autre chapitre de la gaieté des comédies, de celle qui tient à la connaissance du cœur humain ; mais il me paraît vraisemblable que les Français ne seront plus cités pour cet esprit aimable, élégant et gai qui faisait le charme de la cour. […] Je ne parle pas ici de l’estime réfléchie, mais de cette impression involontaire qui se renouvelle à tous les instants. […] L’urbanité des mœurs peut seule adoucir les aspérités de l’esprit de parti ; elle permet de se voir longtemps avant de s’aimer, de se parler longtemps avant qu’on soit d’accord ; et par degrés, cette aversion profonde qu’on ressentait pour l’homme que l’on n’avait jamais abordé, cette aversion s’affaiblit par les rapports de conversation, d’égards, de prévenance, qui raniment la sympathie, et font trouver enfin son semblable dans celui qu’on regardait comme son ennemi.

2109. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

Dans la conception dont je viens de parler (et que j’appellerai la conception scientifique), toute loi n’est qu’un énoncé imparfait et provisoire, mais elle doit être remplacée un jour par une autre loi supérieure, dont elle n’est qu’une image grossière. […] Je ne veux pas parler de relations constantes ou de lois, j’envisage séparément (individuellement pour ainsi dire) les diverses séquences réalisées. […] Rien n’est objectif que ce qui est identique pour tous ; or on ne peut parler d’une pareille identité que si une comparaison est possible, et peut être traduite en une « monnaie d’échange » pouvant se transmettre d’un esprit à l’autre. […] Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ; puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu’il y a autre chose que la pensée, c’est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens.

2110. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Lorsqu’on a noté ainsi la partie du territoire où s’est manifestée pour un temps la vertu créatrice, lorsqu’on a aussi délimité l’étendue des pays où se parle et s’écrit le français51, il est indispensable de rechercher quelle part revient au monde extérieur dans les préoccupations de la littérature. […] A Sully Prudhomme55, elle apparaît, dévoilée et comme déflorée par la science, sous des traits durs et rigides : La nature n’est plus la nourrice au grand cœur ; Elle n’est plus la mère auguste et bénévole, Aimant à propager la grâce et la vigueur,   Celle qui lui semblait compatir à la peine, Fêter la joie, en qui l’homme avait cru sentir Une âme l’écouter, divinement humaine, Et des voix lui parler, trop simples pour mentir. […] On voit par là combien il importe à l’historien de déterminer dans chaque période quel est le genre, et, si je puis ainsi parler, quel est le degré des beautés naturelles qu’on a su y apprécier. […] Si l’on me demandait la ville qui parlait le plus à l’imagination de nos romantiques, je serais embarrassé : car il y eut, aux entours de 1830, une orgie d’exotisme.

2111. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

On se figure volontiers la sagesse en cheveux blancs et la prudence en cheveux gris ; ici, elles se montrent plutôt avec un sourire, avec un parler jeune et plein de fraîcheur. […] Il en parle même toujours avec convenance et discrétion quand il le nomme ; mais il le juge : « Il étoit assez puissant, dit-il, de gens et d’argent, mais il n’avoit point assez de sens ni de malice pour conduire ses entreprises. » Ce mot de malice revient souvent chez Commynes, et toujours en bonne part. […] Il est facile de voir, du premier moment qu’il parle de celui-ci, que ce sera le prince de son choix. […] Louis XI, qui est venu s’asseoir sur un escabeau, tout contre le paravent, rit aux éclats et lui dit de répéter, de parler haut, et qu’il commence à devenir un peu sourd.

2112. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Ayant à parler en un endroit d’une tempête qu’il essuie sur la Baltique, et où le vaisseau se trouve échoué sur un banc pendant une nuit obscure : Il n’y a point de termes, confesse-t-il ingénument, qui puissent exprimer le trouble d’un homme qui se trouve dans ce misérable état ; pour moi, Monsieur, je ne me ressouviens d’autre chose, sinon que, pendant tout le reste de la nuit, je commençai plus de cinq cents Pater, et n’en pus jamais achever aucun. […] la femme sensée et rigide, le comique riant et un peu dissolu disent la même chose ; Mme Grognac et Lisette chez Regnard, quand elles parlent des jeunes gens à la mode, font le pendant exact de ce que Mme de Maintenon racontait à Mme des Ursins sur les jeunes femmes à la mode au temps de la duchesse de Bourgogne : des deux côtés, c’est le jeu effréné, c’est le vin, le contraire en tout du sobre et du poli ; l’orgie avait commencé à huis clos sous Louis XIV. […] Regnard, pour attacher sa vie et jeter plus sûrement cette ancre dont il a parlé et qui devait le retenir doucement au rivage, avait acheté la charge de lieutenant des eaux et forêts et des chasses de Dourdan, à onze lieues de Paris, et en même temps il acheta, dans le voisinage de cette petite ville, la terre de Grillon, dont le château est situé dans un vallon agréable entre deux forêts. […] Il y a longtemps que La Harpe avait parlé du Légataire comme « d’une pièce charmante, où tous les inconvénients possibles du célibat sont peints vivement, et où l’auteur n’a rien oublié, si ce n’est peut-être de résumer d’une manière précise et directe, en dix ou douze vers, la morale de son ouvrage ».

2113. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

La persécution politique d’autrefois, c’est d’autrefois que nous parlons, s’assaisonnait volontiers d’une pointe de persécution littéraire. […] … » (Nous supprimons quelques lignes.)… Vous faites un livre, défense d’en parler. […] Ainsi parlent les athénées, les sorbonnes, les chaires assermentées, les sociétés dites savantes, Saumaise, successeur de Scaliger à l’université de Leyde, et la bourgeoisie derrière eux, tout ce qui représente en littérature et en art le grand parti de l’ordre. […] Que vient-on nous parler de Franklin ?

2114. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Deux choses indispensables : 1° S’entendre avec soi-même sur le sens du mot génie, que le vulgaire emploie d’une manière confuse et indéterminée, comme tous les mots complexes ; analyser cette idée, afin de bien savoir de quoi l’on parle ; 2° ouvrir le corps d’un très grand nombre d’hommes de génie, disséquer leur cerveau, et montrer à nos sens une certaine modification particulière, qui, se rencontrant à la fois chez les idiots et chez les hommes de génie, et ne se rencontrant que chez eux, fasse défaut à tous les hommes médiocres et doués de raison. […] Il parle de transcendance, de supériorité, d’excentricité, d’originalité, etc. […] Mais il n’y a rien de plus compliqué que les faits qui paraissent les plus simples au vulgaire, et pour parler de ces faits d’une manière vraiment sérieuse, il faut commencer par les décomposer : opération très-difficile et pour laquelle la physiologie n’est absolument d’aucun secours, je me trompe cependant en affirmant que l’auteur n’a pas de théorie sur la nature du génie. […] Tantôt c’est une mémoire extraordinaire qui se développe tout à coup ; le fait le plus fréquent, c’est de parler et d’écrire dans les langues que l’on est censé tout à fait ignorer : fait qui s’est souvent reproduit dans les grandes épidémies convulsives.

2115. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Déjà quelques grandes pensées de Condillac ne semblaient plus comprises ; on ne parlait plus de ses découvertes sur la nature de l’âme, ou sur la perception extérieure, et l’ingénieux professeur, qui essayait de le corriger et de le ranimer, réduisait toute la philosophie à la distinction puérile de l’idée claire et de l’idée vague, de la connaissance attentive et de la connaissance involontaire, de la formule et de l’impression. […] Je ne parle point des innombrables recherches et des publications infinies qu’elle a produites, mais dû nouvel esprit qui l’a transformée. […] J’exposerai simplement comment on doit les chercher ; il s’agit du moyen de découvrir, non de la découverte ; j’ose parler de la voie, et non du but. […] Ces signes voyaient pour la première fois la lumière ; à peine gravés on les avait enfouis sous le ciment ; ils n’avaient point servi, ils n’avaient point parlé, ils étaient restés obscurs, collés contre leurs voisins obscurs ; et toute la cité était ainsi.

2116. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

Mme de Bregy, une nièce du savant Saumaise, une précieuse des plus qualifiées, auteur d’un petit volume de pièces galantes, félicitant un jour Mme de Sablé sur son esprit à la fois et sur son potage qui était en renom, trouvait moyen de lui dire qu’elle quitterait volontiers tous les mets du plus magnifique repas de la Cour pour une assiettée de ce potage, à la condition de l’écouter tout en en mangeant ; cela est flatteur et spirituel, mais elle le lui écrivait en ces termes impossibles, dont je ne veux rien dérober : … Aujourduy la Rayne et Mme de Toscane vont à Saint-Clou don la naturelle bauté sera reausé de toute les musique possible et d’un repas manifique don je quiterois tous les gous pour une ecuele non pas de nantille, mes pour une de vostre potage ; rien n’étan si delisieus que d’an manger an vous ecoulan parler. […] Et je ne sais pourquoi je n’ai l’air de parler ici que des femmes : les hommes y manquent bien souvent.

2117. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

La discussion a été belle, mais, comme tant de belles choses, elle a duré trop longtemps : chaque orateur a parlé un peu trop, et on a eu le temps d’arriver à la fatigue avant la fin. […] Les fins connaisseurs peuvent sourire, faire les dédaigneux, railler même tel ou tel détail ; ils en parlent à leur aise, eux, ils lisent l’original ; cela de leur part revient à dire : Que serait-ce si vous aviez vu le monstre lui-même ?

2118. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Léopold, pour jouer son rôle d’héritier opulent et faire impression sur la belle et jeune voyageuse, ne parle que de dépenses folles, de plaisirs ruineux, et s’attire de la part de la dame, qui d’abord n’avait pas l’air d’écouter, la plus juste et la plus piquante leçon de morale sur l’emploi des richesses. […] Scribe y songe : la haute muse comique, qui à la vue des excès du vaudeville est blessée au cœur et nous boude avec raison, a tendu la main à l’auteur de la Camaraderie, et le protégerait de préférence à beaucoup d’autres, si, au lieu d’éparpiller ses forces, il s’appliquait à les réunir ; s’il livrait plus souvent de véritables combats, au lieu d’escarmouches sans fin ; s’il donnait à son observation plus d’étendue et de profondeur, et s’il ne dédaignait pas aussi ouvertement cette puissance ombrageuse qui ne se laisse captiver que par de continuels sacrifices, mais qui seule aussi peut faire vivre l’écrivain : c’est du style que je veux parler.

2119. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

Comment en serait-il autrement, quand le crime dont je parle est si pareil, dans son fond, à d’autres actes, absous ceux-là par le Code, ou dont la loi ne saurait connaître, et que la « morale » commune, non seulement supporte, mais avoue ? […] Il serait seulement souhaitable que les hommes qui parlent à la foule prissent à tâche d’incliner du moins l’opinion publique à certaines rigueurs, — et aussi à certaines générosités.

2120. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

ou, pour parler selon l’ordre historique, ne sera-t-on pas étonné d’apprendre que des Ouvrages d’agrément ait été le prélude de ses Œuvres philosophiques ? […] &, pour parler avec plus de vérité, la Philosophie n’est-elle pas déjà venue au point de se décrier par ses propres Ouvrages ?

2121. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IX »

Très souvent, après une brève réflexion, on le jugera tout à fait inutile : steamer est un doublet infiniment puéril de vapeur ; et quel besoin de smoking-room pour un parler qui possède fumoir ou de skating, quand, comme au Canada, il pourrait dire patinoir110 ? […] Il y a de ces emprunts anglais, réempruntés parle français, qui ont pris au cours de ce double voyage une forme bien curieuse.

2122. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

Nous y reviendrons du reste quelque jour ; et nous parlerons aussi, bien en détail, en la ruinant par les raisonnements et par les faits, de cette censure dramatique qui est le seul obstacle à la liberté du théâtre, maintenant qu’il n’y en a plus dans le public. […] Quant à son œuvre en elle-même, il n’en parlera pas.

2123. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Le théâtre parle fort et parle haut.

2124. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Joseph Scaliger, et Scioppius. » pp. 139-147

Ceux dont je parle n’auroient pas mérité l’estime qu’on a pour eux, s’ils n’avoient donné des preuves de quelque talent. […] Il se glorifioit de parler treize langues, l’Hébreu, le Grec, le Latin, le François, l’Espagnol, l’Italien, l’Allemand, l’Anglois, l’Arabe, le Syriaque, le Chaldaïque, le Persan & l’Ethiopien ; c’est-à-dire, qu’il n’en sçavoit aucune.

2125. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Examen du clair-obscur » pp. 34-38

Mais il est une autre peinture qui n’est pas moins dans la nature, mais qui ne l’imite parfaitement qu’à une certaine distance, elle n’est, pour ainsi parler, imitatrice que dans un point : c’est celle où le peintre n’a rendu vivement et fortement que les détails qu’il a aperçus dans les objets du point qu’il a choisi ; au-delà de ce point, on ne voit plus rien, c’est pis encore en deçà. […] Elle est d’observation absolue dans le premier genre de peinture dont j’ai parlé dans l’article précédent ; elle n’est pas de même nécessité dans le second genre : le peintre y néglige tout ce qui ne s’aperçoit dans les objets que dans les points plus voisins du tableau que ceux qu’il a pris pour son point de vue.

2126. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

On remarquera que je ne parle ici que des personnes qui étudient ; car celles qui lisent principalement pour s’amuser, et en second lieu pour s’instruire (c’est l’usage cependant que les trois quarts du monde font de la lecture) aiment encore mieux les livres d’histoire dont le stile est interessant, que les livres d’histoire mal écrits, mais pleins d’exactitude et d’érudition. […] C’est de quoi je dois parler plus au long à la fin de la seconde partie de cet ouvrage.

2127. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Émile Augier »

Sans les partis vaincus, comme les a nommés la critique, avec cette sentimentalité bête qui n’a jamais manqué son effet sur le peuple français ; sans les cléricaux, qui sont le sujet de la courageuse comédie d’Émile Augier, et sans Veuillot-Déodat, le Fils de Giboyer ne serait un chef-d’œuvre qu’entre cabotins intéressés à la chose ; mais, entre gens littéraires, on n’en parlerait déjà plus ! […] Les cléricaux, comme on dit maintenant, — puisque la littérature française parle belge et cherche ses mots dans le dictionnaire de Havin, qui les prend lui-même dans l’Indépendance, — les cléricaux se sont crus pourfendus, du ventre à la tête, par la plumette d’Augier !

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