On nous permettra donc de revenir un peu longuement sur une opinion si pleine d’autorité en pareille matière, d’autant plus, selon nous, que, bien comprise, modifiée en quelques points et réduite à ses vrais termes, elle nous semble fort recevable, sans que, pour cela, il en résulte rien de fâcheux pour les prétentions des traducteurs vulgaires, et encore moins pour l’honneur des traducteurs éminents comme M.
Les lois peuvent forcer à la justice, mais l’opinion générale fait seule un précepte de la bonté, et peut seule exclure de l’estime des hommes l’être insensible au malheur.
À la parution de livres récents1, il fut facile de discerner chez les lettrés contemporains un revirement soudain de l’opinion.
OPINIONS.
Certes, une grande diversité d’opinions se fait jour parmi les collaborateurs de la Renaissance qui d’ailleurs a pris soin de nous avertir que, « malgré l’unité des vues générales, la responsabilité absolue demeure, à chacun, de ses articles ».
On reproche à l’opinion sa mobilité ; hélas !
L’opinion commune veut que la possibilité d’acquérir des connaissances nouvelles soit pour nous sans bornes.
Quoique placé depuis plusieurs années dans les rangs, sinon les plus illustres, du moins les plus laborieux, de l’opposition ; quoique dévoué et acquis, depuis qu’il avait âge d’homme, à toutes les idées de progrès, d’amélioration, de liberté ; quoique leur ayant donné peut-être quelques gages, et entre autres, précisément une année auparavant, à propos de cette même Marion de Lorme, il se souvint que, jeté à seize ans dans le monde littéraire par des passions politiques, ses premières opinions, c’est-à-dire ses premières illusions, avaient été royalistes et vendéennes ; il se souvint qu’il avait écrit une Ode du Sacre à une époque, il est vrai, où Charles X, roi populaire, disait aux acclamations de tous : Plus de censure !
Il avoit mauvaise opinion des femmes, & s’égayoit sur leur compte par des comparaisons applaudies de son temps, & fort insipides aujourd’hui.
Voilà même, suivant mon opinion, pourquoi ceux qui n’ont fait que lire une tragédie, et ceux qui ont entendu réciter la piece sur le théatre, sont quelquefois d’un sentiment opposé dans le jugement qu’ils en portent.
Mon opinion est fondée sur deux passages, le premier est de Donat.
On a imputé au système certaines conséquences pratiques qui ne pouvaient pas ne pas alarmer l’opinion.
. — Opinions qu’on nous prête. — Imitation ou transposition ?
Tout le temps qu’il vécut, il ne cessa d’être cet infatigable prometteur de mariage dont il faisait sa séduction, promettant du même coup le divorce, puisqu’il était marié, et que pour se donner il était bien obligé de se reprendre… Capefigue, qui ne se charge de nous raconter dans son livre sur Gabrielle d’Estrées que le plus long et le plus scandaleux adultère de cet homme d’adultères, nous a fait le compte de ces promesses de mariages menteuses, appeaux de cet oiseleur, qui durent certainement mettre plus bas que tous ses autres actes, dans l’opinion de ses contemporains, le don Juan royal chez lequel rien n’était sincère, si ce n’est les convoitises et les intérêts.
Les hommes de l’école poétique à laquelle appartient par sa langue Gramont sont, presque tous, de l’opinion du grand panthéiste du xviiie siècle, qui disait sans sourciller : « On fait de l’âme comme on fait de la chair, et de la chair comme on fait du marbre », et c’est pour cela sans aucun doute qu’on trouve si peu d’âme dans leurs écrits ; mais lui, par un bonheur d’organisation dont il faut le féliciter, ne s’est pas pétrifié tout entier parmi ces Memnons sans soleil qui n’ont que le son vide du rhythme.
Courageux contre notre opinion, il a continué de marcher dans cette voie où l’on ne s’en tire qu’avec des ailes, et il nous donne, absolument comme si nous n’avions rien dit, deux volumes, — que dis-je ?
Et la haute situation d’académicien ne suffit pas à m’autoriser, devant l’opinion, à traiter librement de la période révolutionnaire, ni d’aucun sujet délicat.
D’ailleurs, en voyant les hommes de si près, on met moins de prix à leur opinion.
Enfin, pour goûter, pour juger des saveurs, ils disaient sapere, quoique ce mot s’appliquât proprement aux choses douées de saveur, et non au sens qui en juge ; c’est qu’ils cherchaient dans les choses la saveur qui leur était propre : de là cette belle métaphore de sapientia, la sagesse, laquelle tire des choses leur usage naturel, et non celui que leur suppose l’opinion.
Il fut frappé de ce que leurs opinions politiques n’avaient rien de subversif : un libéralisme, nullement dangereux, les animait ; quelques-uns même, protestaient sincèrement contre les théories violentes. […] Il n’y a eu qu’une opinion, se résumant de la sorte : « C’est abominable ! […] Opinion ridicule et qui retarde par trop d’anachronique candeur, sur le siècle ! […] Nous avons l’opinion de M. de Rothschild et celle de M. […] je connais depuis longtemps cette opinion.
Boussingault et Roulin, qui ont visité l’Amérique du Sud vingt-cinq ans plus tard, ont émis la même opinion. […] Les auteurs de cette relation reviennent à l’opinion de MM. de Humboldt, Boussingault et Roulin, savoir que le curare est un poison végétal ; mais ils assurent en outre que les Indiens ne mettent aucun secret dans cette préparation. […] Cette opinion, à laquelle s’étaient arrêtés d’anciens physiologistes, est aujourd’hui contredite par l’anatomie, qui nous montre que le cœur reçoit dans son tissu un grand nombre de rameaux nerveux. […] La science ne contredit point les observations et les données de l’art, et je ne saurais admettre l’opinion de ceux qui croient que le positivisme scientifique doit tuer l’inspiration. […] Je repousse, tant qu’à moi, cette dernière opinion, parce que je n’admets pas que la vérité scientifique puisse ainsi se fractionner.
Des hommes si nombreux, si actifs, si résolus, si capables de se suffire à eux-mêmes, si disposés à tirer leurs opinions de leur réflexion propre et leur subsistance de leurs seuls efforts, finiront, quoi qu’il arrive, par arracher les garanties dont ils ont besoin. […] Mais en même temps ils se cultivent et se réforment ; leur richesse et leur bien-être s’accroissent énormément ; la littérature et l’opinion chez eux deviennent sévères jusqu’à l’intolérance, et leur longue guerre contre la Révolution française pousse à l’excès le rigorisme de leur morale, en même temps que l’invention des machines développe jusqu’au centuple leur confortable et leur prospérité. […] Chez nous, quand un homme a une idée, il l’écrit ; une douzaine de personnes la jugent bonne ; et là-dessus tous mettent en commun de l’argent pour la publier ; cela fait une petite association, qui grandit, imprime des traités à bon marché, fait des lectures, puis des pétitions, rallie l’opinion, et enfin apporte un projet au Parlement ; le Parlement refuse, ou remet l’affaire ; cependant le projet prend du poids ; la majorité de la nation pousse, elle force les portes, et voilà une loi faite. » Libre à chacun d’agir ainsi ; les ouvriers peuvent se liguer contre leurs maîtres ; en effet, leurs associations enveloppent toute l’Angleterre ; à Preston, je crois, il y eut une fois une grève qui dura plus de six mois.
» Or, qu’on nous permette de le dire avec la certitude que notre opinion sera un jour commune à tous ceux qui aiment profondément le théâtre : les effets dramatiques produits par l’intime hymen du vers et de la mélodie sont tels dans l’œuvre de Richard Wagner, que, inférieur comme poète à Goethe, égalé, en tant que musicien, par Beethoven, il n’est, comme créateur dramatique, comparable qu’au divin Shakespeare. […] Heureusement, Hans Sachs, le cordonnier-poète, le plus respecté des maîtres, ne partage pas cette opinion et sa sentence prévaut dans le conseil. […] Aussi s’est-il élevé parmi nous un bon nombre de musiciens zélés qui ont fait serment de nous instruire, et l’on peut espérer qu’au bout de quelques années, il y aura une grande révolution dans nos opinions et, une renaissance du drame musical.
Deux maîtres tendres et vénérés, dont les vicissitudes de la vie et de la fugitive opinion (aura) n’ont point refroidi en moi la mémoire, le Père Béquet et le Père Varlet, professeurs des classes littéraires chez les Jésuites, me témoignèrent depuis ce jour une prédilection presque paternelle que je serais ingrat d’oublier. […] Il y vivait en philosophe, auprès de ses sœurs, suspendu par ses opinions et ses souvenirs entre deux temps ; doué d’un esprit étendu, d’une érudition profonde, d’une éloquence sobre et précise comme les affaires qu’il avait maniées. […] Quand ces discussions étaient épuisées et terminées par de tristes retours sur la monotonie des regrets et sur la vanité des espérances, mon père, M. de Vaudran ou le jeune abbé tiraient un volume de leur poche ; ils citaient à l’appui de leurs opinions l’autorité de l’écrivain qu’ils étudiaient alors.
Maintenant, ils ont amalgamé toutes leurs opinions et sont devenus fusionistes (un nouveau mot qu’ils mettront certainement dans leur Dictionnaire, car ce sont eux qui l’ont inventé). […] La guerre actuelle est une preuve certaine à l’appui de mon opinion. […] Ils ont à eux une façon d’idiome hiératique que le vulgaire n’entend pas ; c’est un patois hiéroglyphique qu’il faut étudier longtemps avant de le comprendre ; je sais que ces formules particulières servent souvent à voiler bien des opinions fausses, bien des découvertes insensées, bien des théories absurdes, mais je sais aussi qu’elles recouvrent parfois de merveilleuses histoires, pleines de féeries, pleines d’aventures magiques arrivées entre des astres, entre des métaux, entre ces mille atomes qui nous entourent et que nous ne soupçonnons pas.
Ceux qui me méconnaissent crurent que je recherchais un moyen d’éclat en des allusions inévitables aux circonstances précédentes : c’était, dans leur opinion, me déchaîner sans danger et sans but sur les réminiscences d’un péril passé. […] Ce poème fut long temps méprisé, puis vanté sans mesure, et critiqué sans réserve par les dissertateurs de l’Angleterre, où la dissidence continuelle des opinions s’est exercée à tout constituer méthodiquement en opposition polémique. […] De trop grands exemples appuient les deux opinions, pour qu’on ait la liberté de choisir entre elles dans un art où les bons exemples de réussite ont produit les règles. […] Libre des entraves du style, il nous révèle sa juste opinion sur la supériorité de l’idiome poétique, dont il vante le joug, en le port tant avec autant de force que de grâce. […] Réfuterai-je l’opinion qui condamne la prolixité des récits de Nestor ?
L’opinion courante concède beaucoup de privautés aux grands hommes : Pour les héros et nous, Dieu fit des poids divers. […] Les opinions que nous aurons sur Werther, Wilhelm Meister ou Faust, dépendent en partie de celles que nous aurons sur Goethe. […] C’est un fils des hommes qui a beaucoup de défauts, et cependant l’un des meilleurs… » Cette bonne opinion qu’il avait de sa première pièce, Goethe ne la perdit jamais. […] Laquelle de ces deux opinions inconciliables sera la plus voisine de la vérité ? […] On voit qu’en 1805 Goethe était bien revenu de ses anciennes opinions.
On a trop parlé de ces livres pour que je puisse émettre mon opinion autrement que fortifiée par des exemples. […] Ceci pour dire que, cette fois encore, le public a raison et a devancé l’opinion de la critique. […] Sous ce rapport, je suis resté prêtre, et cela est d’autant plus absurde que je n’en retire aucun bénéfice ni pour moi ni pour mes opinions. […] Je ne m’exprime librement qu’avec les gens que je sais dégagés de toute opinion et placés au point de vue d’une bienveillante ironie universelle. […] Littré ; les libres penseurs et les disciples de la foi l’ont accommodé chacun à la satisfaction de sa propre opinion, sans se préoccuper de savoir ce qu’il était réellement.
et qu’en général il fût possible, à la vérité même de faire son chemin dans le monde, sans y .être aidée par une certaine complicité de l’opinion ! […] La publication des Sentiments de l’Académie sur le Cid consacra du même coup l’autorité de l’Académie sur l’opinion, et l’autorité de Chapelain sur l’Académie. […] Eh oui sans doute, nos opinions sont déterminées par nos goûts, qui le sont par notre nature, qui l’est elle-même par des conditions dont nous ne sommes pas les maîtres ! […] Taine, qui venait de paraître : A propos de Boileau, puis-je donc accepter ce jugement étrange d’un homme d’esprit, cette opinion méprisante que M. […] Vous rapprocherez ce qu’il dit ici de Boileau de ce qu’il en avait dit dans son Port-Royal, où il a mis sa véritable opinion sur l’auteur des Satires.
On est alors obligé de constater que les opinions républicaines, démocratiques — parlementaires, si l’on veut — d’Alphonse Daudet ont coloré son œuvre, lui ont communiqué une tonalité, un timbre particulier ; de même que l’opinion inverse communique une tonalité, un timbre particulier aux œuvres de la génération actuelle. […] Elle s’est affinée, s’est enrichie, en somme, malgré les catastrophes individuelles causées par les suites de la guerre, elle a changé de mœurs et d’opinion. […] Ce n’est pas mon opinion. […] On peut croire à mon impartialité : je ne partage aucune de ses opinions politiques et religieuses, et il le sait. […] Et pourtant, répudiant « l’Art pour l’Art » presque tous nos jeunes écrivains proclament une opinion politique !
Il n’y a qu’une opinion sur le génie oratoire de Bossuet : il y en a, il peut y en avoir deux sur son esprit, sur sa personne et son caractère. […] Bossuet, d’abord attaché aux jésuites ou à leurs adhérents, puis lié avec les messieurs de Port-Royal, puis se tenant à distance et observant la neutralité, était assurément un politique ; il ne se sentait pas de goût en général pour être du parti des disgraciés, des persécutés et des vaincus ; il avait fort égard à la doctrine et aux opinions en faveur à la Cour ; il avait un faible pour tout ce qui régnait à Versailles ; son esprit même, son talent avait besoin, pour se déployer tout entier et atteindre à toute sa magnificence, de l’appui ou du voisinage de l’autorité et de l’accompagnement de la fortune. […] J’ai cette année un auditoire très nombreux, très partagé d’opinions, très recueilli, et je puis vraiment croire que nous cherchons tous ensemble la vérité… » Le professeur qui cherche la vérité ! […] Je me rappelle encore son opinion si nettement exprimée et un peu sévère.