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648. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Mais les yeux des amoureuses nous suivent longuement, nous tiennent, nous hantent ; et nous les revoyons toujours. […] Jeanne, qui est « une belle fleur », avec des « yeux magnifiques », est « souverainement intelligente », encore qu’elle entende sans rire les tirades de Jacques de Lerne. […] Ouvrez les yeux : le monde est vaste, l’humanité infiniment variée, et il y a sur terre des hommes et des femmes autrement vivants et dignes d’attention que ceux qui vont à cheval au bois le matin ou celles qui ont leur loge à l’Opéra. […] Remarquez que sa faute même ne suffit point à le flétrir à nos yeux, tant nous sentons, malgré tout, de générosité en lui, et tant le châtiment de la faute est effroyable : souvenez vous qu’il en meurt, tout simplement. […] Je me suis même laissé prendre d’abord aux yeux « énigmatiques » (naturellement) de Mlle Sabine.

649. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Et j’avais tant d’espoir quand j’entrai dans le monde     Orgueilleuse et les yeux baissés ! […] Ceci est ressemblant, tenez-vous-en pour sûr, autant que le portrait d’Hersent, où elle a cette écharpe bleu clair couleur de ses yeux. » C’est ainsi qu’elle est longtemps restée dans l’idée de ceux qui l’ont vue sous le rayon. […] Ainsi, une première sensibilité élégiaque dont elle s’est guérie, et, à côté, une certaine idole chevaleresque dont elle n’est pas encore revenue, telle ressort en définitive, à nos yeux, au milieu de tout son esprit d’aujourd’hui, Mme Émile de Girardin. […] Ton œil méditatif ne fait que se promener sur les temples et les palais en ruines. […] Le vicomte de Launay est, à mes yeux, comme un beau chevalier de Malte qui combat les corsaires tout en l’étant un peu.

650. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Doyen d’un effet plus piquant pour l’œil semble lui dire de se dépêcher, de peur que l’impression d’un objet venant à détruire l’impression d’un autre, avant que d’avoir embrassé le tout, le charme ne s’évanouisse. […] Mon œil tourne tout autour de lui. […] Un catéchisme d’autant plus utile aux peuples qu’on n’avoit guères que ce moyen de tenir présentes à leurs esprits et à leurs yeux, et de graver dans leur mémoire, les actions des dieux, la théologie du tems. […] Fermez les yeux sur le reste de la composition, et dites-moi si vous reconnoissez là l’homme destiné à être le vainqueur et le maître du monde. […] Il me semble, maître Vien, qu’appuié contre le pié d’estal, les yeux attachés sur Alexandre et pleins d’admiration et de regrets ; ou, si vous l’aimez mieux, la tête penchée, humiliée, pensive, et les bras admiratifs, il eût mieux dit ce qu’il avoit à dire.

651. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Quel front et quels yeux pour un livre ! […] Tout a passé, pour être broyé, sous cette information supérieure, sous cette critique à laquelle on peut appliquer ce qu’Amelot de la Houssaye disait du gouvernement de Venise : C’est une verge couverte d’yeux. […] » L’auteur de l’Histoire des Causes nous met sous les yeux les rapports, les déclarations écrites, l’opinion sur le peuple des hommes qui le représentaient aux États-Généraux, et ces déclarations affirment qu’il ne poussait pas alors à la Révolution, qu’il n’en avait ni le désir ni la pensée. […] Au contraire, à mes yeux du moins, ce jugement sur les hommes de la Révolution est le côté véritablement supérieur et profond de l’Histoire des Causes, et je demande qu’on me permette de déduire les raisons de cette opinion. […] À mes yeux, l’éternel honneur de l’écrivain dont il est ici question sera d’avoir éclairé une période d’histoire d’une lumière qu’on ne pourra plus altérer.

652. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Toujours ronds et frais comme des pommes d’api, le cœur sur la main, l’œil clair et souriant à la nature. […] Feuilletez son œuvre, et vous verrez défiler devant vos yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités. […] Tel nez, tel front, tel œil, tel pied, telle main. […] Il lève ses yeux reconnaissants vers le ciel sans étoiles, et s’écrie : « Je vous bénis, mon Dieu, qui m’avez donné ce mur pour m’abriter et cette natte pour me couvrir !  […] Je n’ai plus les pièces sous les yeux, il se pourrait que l’une de ces dernières fût de Traviès.

653. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

La comédienne, les yeux encore rouges, dit à Claude : —    Ne vous moquez pas de moi, mon ami. […] Mais les yeux, d’un bleu pâle, étaient très doux, d’une douceur innocente de ruminant ; la bouche était saine, et l’on devinait, sous, la robe mal taillée, un corps robuste de belle campagnarde… Elle sentait encore le village, et avait dû débarquer tout récemment sur le trottoir. » Il l’aborde, lui offre un bock. […] Même une gaieté passa dans ses petits yeux jaunes, comme s’il rigolait intérieurement à la pensée d’en faire une bien bonne.

654. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Ici se présente une objection d’une autre espèce : — Sans contredit, dans le moment même le plus critique d’une crise politique, un pur ouvrage d’art peut apparaître à l’horizon ; mais toutes les passions, toutes les attentions, toutes les intelligences ne seront-elles pas trop absorbées par l’œuvre sociale qu’elles élaborent en commun, pour que le lever de cette sereine étoile de poésie fasse tourner les yeux à la foule ? […] L’artiste, comme l’auteur le comprend, qui prouve la vitalité de l’art au milieu d’une révolution, le poëte qui fait acte de poésie entre deux émeutes, est un grand homme, un génie, un œil, ὀφθαλμός, comme dit admirablement la métaphore grecque. […] Qu’on lui passe une image un peu ambitieuse, le volcan d’une révolution était ouvert devant ses yeux.

655. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Lorsque je vis ce vieillard éloquent et pathétique, je sentis, comme elle, mon âme s’attendrir et des pleurs prêts à tomber de mes yeux. […] De quelque côté qu’on porte ses yeux, on est enchanté. […] que ne lui reproche-t-on aussi ces traits rougeâtres qu’elle a aux petits angles des yeux ?

656. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment » pp. 341-353

Suivant le sentiment du chancelier Bacon, elles n’en épousent aucun dans la crainte que l’envie de justifier ce systême ne fascinât les yeux des observateurs, et ne leur fit voir les expériences, non pas telles qu’elles sont, mais telles qu’il faudroit qu’elles fussent pour servir de preuves à une opinion qu’on auroit entrepris de faire passer pour la verité. […] Le sentiment dont je parle est dans tous les hommes, mais comme ils n’ont pas tous les oreilles et les yeux également bons, de même ils n’ont pas tous le sentiment également parfait. […] Il arrive donc que ceux qui ont la vûë courte, hésitent quelque-temps à se rendre au sentiment de celui qui a les yeux meilleurs qu’eux, mais dès que la personne qui s’avance s’est approchée à une distance proportionnée à leur vûë, ils sont tous d’un pareil avis.

657. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Par-dessus l’élégiaque, il y a le lyrique, qui fait à tout instant des vers comme ceux-ci, par exemple (dans Le Harem) : L’une, soulevant ses cheveux Par un geste de canéphore, Montre au fond de ses deux grands yeux Une caverne de phosphore. […] C’est le génie de l’élégiaque qui a dicté ces choses adorables d’émotion et de simplicité : le poème intitulé Médoc, Le Musicien, Le Paresseux, Le Ruisseau, Les Espagnoles, Encore à Madame X…, etc. ; surtout cette pièce de La Leçon de flûte, que je citerai tout entière pour donner une idée de ce poète qui rappelle ici André Chénier et le Poussin : J’étais resté longtemps les yeux sur un tableau Où j’avais retrouvé Théocrite et Belleau, Fraîche idylle aux bosquets de Sicile ravie Ayant bu la lumière et respiré la vie. […] Je m’étais éloigné de cette aimable toile, Et je voyais toujours l’enfant aux yeux d’étoile ; Et je me surprenais, en marchant, à songer : « Je veux dire à mes fils les leçons du berger, « Leur tailler des pipeaux, et leur faire comprendre « À quel point l’Art est doux, consolateur et tendre ! 

658. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Ne l’attendez pas d’un peuple esclave ; la gloire est fière et libre, et l’esclave, corrompu par sa servitude, n’a pas assez de vertu pour lever les yeux jusqu’à elle. […] Mais ne nous flattons point, il y a peu de ces âmes qui se suffisent et marchent d’un pas ferme sous l’œil de la raison qui les guide, ou de Dieu qui les regarde. […] Ils oseraient peut-être rougir à leurs yeux ; ils craindront de rougir aux yeux de leur nation et de leur siècle.

659. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Ils disaient pour voir distinctement, cernere oculis (d’où l’italien scernere, discerner), mot à mot séparer par les yeux, parce que les yeux sont comme un crible dont les pupilles sont les trous ; de même que du crible sortent les jets de poussière qui vont toucher la terre, ainsi des yeux semblent sortir par les pupilles les jets ou rayons de lumière qui vont frapper les objets que nous voyons distinctement ; c’est le rayon visuel, deviné par les stoïciens, et démontré de nos jours par Descartes.

660. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il fut un peu surpris, cligna des yeux et puis se remit à songer. […] La fine bouche rit volontiers ; les yeux aussi. […] … Ces yeux très purs se sont ouverts sur le vaste monde ; ils n’en ont pas vu la laideur. […] Ainsi se purifie le monde, pour des yeux purs. […] Mais il sourit, — de la bouche, des yeux, de tout le visage : — et il a l’air d’un enfant.

661. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

La mort de sa mère (1798), celle d’une sœur, le refont chrétien : il n’a pas besoin de raisons pour croire ; il lui suffit que la religion soit un beau, un doux rêve ; elle participera au privilège que tous les rêves de M. de Chateaubriand possèdent, d’être à ses yeux des réalités. […] Voici M. de Bourmont avec sa physionomie spirituelle, son nez fin, ses beaux yeux doux de couleuvre. […] Les paysages de Chateaubriand En lui, il trouve pourtant quelque chose qui n’est pas lui, une représentation du monde extérieur ; et traduisant toutes les sensations de son œil comme il traduisait les sentiments de son cœur, il a écrit les plus belles pages de son œuvre. […] Il jouissait par les yeux, il avait cette sensibilité du peintre qui perçoit des beautés invisibles à la foule dans le dessin d’une attitude ou d’un mouvement, dans les transparences ou les brumes de l’air, dans l’harmonie des tons et des lignes d’un paysage immobile ou d’une foule grouillante. […] Il a cette espèce d’ivresse devant la nature qui fait la peinture chaude, sans altérer la lucide précision de l’œil.

662. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Mais peut-être, un jour, quand le péril leur crèvera les yeux, se résoudront-ils, enfin, à une réforme. […] Des centaines d’expériences de ce genre ne pouvaient que confirmer, à mes yeux, la valeur éducative supérieure des humanités. […] III. — La restauration des études classiques offrirait même à mes yeux une utilité dépassant la sphère des intérêts nationaux. […] C’est au latin qu’il faudra revenir lorsque se seront achevées dans le ridicule les tentatives de volapük et d’espéranto que nous voyons végéter sous nos yeux. […] Ni les faits que vous pourrez citer, et qui sont innombrables, ni les arguments que vous pourrez faire valoir, n’auront de prix à leurs yeux.

663. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Une balle, en jouant, lui avait atteint un œil dès le collège ; il ne parlait jamais de cet accident. […] J’ai sous les yeux quantité de volumes anonymes ou pseudonymes de sa façon : l’Histoire du procès Fualdès (1818) ; les Mémoires de Mme Manson (il fit le voyage de Rodez exprès pour aller la voir) ; des Lettres à David sur le Salon de 1819 (en collaboration avec M.  […] On voit qu’il commence à se compléter à nos yeux par bien des points, esprit coquet, chatoyant, inquiet, furtif, lascif et fascinateur. […] écrit-il à cet ami dans une lettre que j’ai sous les yeux, et je me réserve de vous en parler ; car je sais que je fus désagréablement étonné quand je trouvai dans la préface de Trilby qu’on m’avait pris un sujet sans me le dire. […] Quand j’ai osé relever ma paupière, vos yeux étaient encore sur moi… et dans tes yeux j’ai vu briller une larme.

664. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

J’ai eu sous les yeux quantité de réflexion de lui sur la musique, des airs notés de sa main, et ce qu’il appelait le « Catalogue de ma petite musique », c’est-à-dire de toutes les ariettes, ambigus ou romances tirées des opéras-comiques en vogue, et qu’il s’était procurées : on voit même une liste de celles qu’il désirait acquérir. […] Il accorde de prime abord à la société tout ce que Rousseau lui refuse ; il l’accorde, non pas à la société telle qu’on l’avait alors sous les yeux, et qu’on la subissait dans tous les développements de la vie, mais à une société vraiment moderne qu’il concevait, et où l’art du réformateur eût présidé. […] J’ai sous les yeux la série des lettres ou billets de Mirabeau à Sieyès, depuis le jour où il lui accuse réception et le remercie de ses deux brochures sur les Privilèges et le Tiers état (23 février 1789) : « Il y a donc un homme en France ! […] Un passage très significatif encore, et qui s’était vérifié à ses yeux dans les luttes et les sanglantes défaites de parti dont il avait été témoin, est celui-ci : « … Semper nocuit differre paratis » (Quand on est prêt, c’est toujours un danger que de remettre un coup d’État). […] S’enfoncer dans les allées de l’Académie, c’est à leurs yeux se cacher dans un bois.

665. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Quand pourront les neuf Sœurs, loin des cours et des villes M’occuper tout entier, et m’apprendra des cieux, Les divers mouvements inconnus à nos yeux, Les dons et les vertus de ces clartés errantes Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ? […] Rien ne manque à Vénus, ni les lis, ni les roses, Ni le mélange exquis des plus aimables choses, Ni ce charme secret dont l’œil est enchanté, Ni la grâce plus belle encor que la beauté. […] Peut-être quand un œil ardent Vous contemplait en imprudent, Ce qu’en dépit de moi trop souvent il hasarde, Vous disiez en vous-même, et mon cœur l’entendait : « Hélas ! l’autre me regardait Comme celui-ci me regarde. » S’il est ainsi, j’aime bien mieux Ne dire mot, baisser les yeux, Et prendre une froideur qui soit comme la vôtre, Que de vous mettre au point où vous étiez tantôt. […] Remarquez que, lorsque d’après un texte qu’il a sous les yeux et dont il veut faire une fable, La Fontaine est forcé, par son texte même, de donner un mauvais rôle à l’âne, il s’en étonne, il s’en étonne le premier.

666. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Quelques rares esprits dans lesquels le génie exaspéré du Romantisme vit encore, appelleront peut-être le nouveau livre de Sainte-Beuve une capucinade littéraire, et ce mot, tout choquant qu’il veuille être, ne nous choque point, nous qui aimons les capucinades en toutes choses, parce qu’elles impliquent à nos yeux la reconnaissance de la vérité et le repentir de l’erreur ; Seulement, si ce mot veut dire conversion, appliqué à Sainte-Beuve c’est un mot faux et nous le repoussons. […] Or, à présent, nous avons à peu près tous les monuments du siècle de saint Louis sous les yeux. […] Lorsqu’après avoir caractérisé plus ou moins heureusement le génie de Virgile il met l’Énéide à son tour en face de l’Iliade et s’efforce de prononcer, il recommence la séparation qui lui a porté malheur une première fois, et il établit entre les deux poèmes des distinctions très subtiles et très spirituelles, mais plus spécieuses que concluantes aux yeux d’une critique large et de bon sens. […] Comme le rat, dont il a beaucoup, mais de l’espèce de ceux qui les livres rongeant, se font savants jusques aux dents : La moindre taupinée était mont à ses yeux ! […] L’amour-propre a les yeux crevés comme l’autre amour, mais l’amitié doit être clairvoyante.

667. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Tel, pendant toute sa vie, avait été l’honneur de sa pensée, et voilà ce qui rachetait à nos yeux les défauts d’un écrivain sur lequel notre sympathie ne nous a jamais fait illusion ! […] Capefigue, qui n’y a pas assisté pourtant, s’est laissé enivrer aux soupers divins, comme il dit, où l’on buvait et l’on mangeait l’honneur de la France, et d’ivresse en ivresse, il a fini par épouser des deux mains et les yeux fermés la honteuse époque qu’un esprit comme le sien aurait dû répudier avec le mépris qu’elle inspire. […] la petite monnaie de son ancien talent d’historien, c’est toujours, ou à peu près, la même manière de tirer de sa poche la bonbonnière où elle est peinte sur ivoire, cette coqueluche de roi, avec tous les détails de sa toilette biographique, et de vous dire, la perle d’une larme à l’œil : « Elle était bien charmante, et ils l’ont bien calomniée !  […] Ce n’est pas tout qu’elle fût jolie, qu’elle eût les yeux de son état et les épaules de sa situation, ce n’est pas même tout qu’elle fût indignement calomniée comme si elle eût été une vertu et qu’elle valût mieux que sa fonction officielle : il fallait qu’elle fût encore quelque chose de plus pour M.  […] Mais il se garde bien de dire pourquoi cette négociation, confiée aux soins du cardinal de Bernis, ne réussit point à Rome, parce que, s’il l’avait dit, il n’eût pu s’empêcher de voir la différence fondamentale de situation devant laquelle il ferme obstinément les yeux.

668. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

À ses propres yeux, il a passé gentilhomme, presque Luynes ! […] Louis XIII, le contraire de son père, le Vert-Galant, n’a jamais essayé de soulever cette robe de femme, si légère à l’œil, mais qui pèse tant encore à la main du plus audacieux. […] C’était la beauté classique de l’époque : œil de velours bleu, cheveux blonds, incarnat aux joues et bouche en cœur ! […] Aux yeux froids des observateurs et non pas à ceux de M.  […] « Posons la plume, dit-il, et mettons fin à ces peintures d’une société à jamais évanouie et de femmes que l’œil des hommes ne reverra plus.

669. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

La foule est grossière ; sa psychologie se réduit à des éléments par trop simples pour être curieux ; elle pense à peine ; elle ne rêve pas ; elle ressemble à une pierre rugueuse, que tout l’effort de l’artiste ne rendra pas agréable à l’œil. […] Elle avait les yeux bleu vif d’un chef d’armée, un air de commandement et de décision que tempéraient l’humilité acquise et la finesse naturelle de la femme. […] Madame X., si elle avait été peintre, aurait probablement été un grand dessinateur, car elle a un œil merveilleux pour les formes, la ligne, l’harmonie, ses teintes sont généralement fondues, rien de heurté. On pourrait la comparer à Ingres, tandis que madame Y. est absolument l’opposé ; elle a bien l’œil de son ancien pays d’Orient. […] L’héroïne, ce serait l’une des ouvrières les plus artistes de la mode parisienne, non l’une quelconque, mais celle-ci, qui avait les yeux couleur d’eau de mer, un air d’aristocrate, un sourire si facile et si vite retenu.

670. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « APPENDICE. — LEOPARDI, page 363. » pp. 472-473

. — Au déclin des étés, Ce feuillage, là-bas, dont la frange étincelle, Et qui, plus jaunissant, rend la forêt plus belle Quand un soleil oblique y prolonge ses feux ; Tout ce voile enrichi ne présage à tes yeux Que l’hiver, — l’hiver morne, aride. […] Pour moi, ces douces pentes Me peignent le retour des natures contentes, L’heureux soir de la vie, — un esprit calme et sûr Qui, pour la fin des ans, réserve un fruit plus mûr ; Dans un œil languissant je crois voir l’étincelle, Un céleste rayon d’espérance fidèle, La jeunesse du cœur et la paix du vieillard. —  Tout, pour toi, dans ce monde est ténèbres, hasard : Un grand principe aveugle, un mouvement sans cause Anime tour à tour et détruit chaque chose ; Par tous les éléments, sous les eaux, dans les airs, Chaque être en tue un autre : ainsi vit l’Univers ; Et dans ce grand chaos, bien plus chaos lui-même, L’homme, insondable sphinx, ajoute son problème, Crime et misère, en lui, qui se donnent la main ; La douleur ici-bas, et point de lendemain. —  Oh !

671. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

C’était une Portugaise plutôt, aux yeux bleus, aux cheveux d’or ou de lin43 Ses sœurs et frères étaient bruns et de traits fortement accentués. […] Elle eut la douleur de voir mourir sous ses yeux ses deux filles, la plus jeune, Inès, en décembre 1846, à peine âgée de vingt ans : sa fille aînée, Ondine, celle même que j’indiquais tout à l’heure en finissant, comme tenant de sa mère le don de poésie, mourut à trente ans, le 12 février 1853. […] En vain on veut lever les yeux Aux desseins, qu’on lui prête : Il est son seul juge en tous lieux Et son seul interprète. […] Des yeux bleus, des cheveux blonds… ma femme assure que c’est tout le portrait d’Ondine (fille aînée de Mme Valmore), et que vous, vous avez de beaux cheveux châtains, avec de grands yeux noirs… Le croirez-vous ? […] Quant à la couleur des yeux, il paraît bien qu’ils étaient plutôt bruns que bleus.

672. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Il paraît qu’il fut amoureux de quelque Romaine peu lettrée, et il disait dans une jolie épigramme que je traduis un peu librement : « O pied, ô jambe, ô contours accomplis pour lesquels ce m’a été raison de périr, ô épaules, sein, col délié, ô mains, ô petits yeux qui font mon délire, ô mouvements divins, petits cris, baisers suprêmes ! […] Puissé-je sur toi maintenant, comme un Sommeil sans ailes, pénétrer dans tes paupières et n’en plus bouger, afin que pas même lui, lui qui charme les yeux mêmes de Jupiter, n’habite en toi, et que moi seul je te possède !  […] L’une tombe penchée sur les genoux de la mère, l’autre dans ses bras, l’autre à terre, l’autre à sa mamelle ; une autre, effarée, reçoit le trait en face ; une autre, à l’encontre de la flèche, se blottit ; l’autre, d’un œil qui survit, regarde encore la lumière. […] » Bien que le plus grand nombre des traits qui composent ce tableau entre d’ordinaire, bon gré, mal gré, dans toute description du printemps, et que la poésie, en émigrant vers le nord, n’ait cessé de s’inspirer et de se ressouvenir de ces mêmes anciennes peintures du midi, comme si dans leurs objets elles restaient toujours présentes, on peut s’assurer qu’il n’en était pas ainsi pour Méléagre, et qu’il avait bien réellement sous les yeux le spectacle fortuné qu’il décrit. […] Cette épigramme se peut comparer pour l’image et aussi pour le sentiment à cette autre d’Asclépiade : « De grâce, ô Couronnes, restez-moi là suspendues à cette porte, sans secouer précipitamment vos feuilles, ô Couronnes que j’ai trempées de mes pleurs ; car les yeux des amants en sont tout chargés.

673. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Si jamais l’imagination d’un mortel se jouant des formes et des couleurs pour reproduire la création par l’image, donna quelque idée de la conception divine se jouant dans sa puissance créatrice des temps, des espaces, des éléments, des êtres naissant et disparaissant sous ses yeux, c’est dans ce monde du pinceau de la chapelle Sixtine qu’il faut chercher, bien plus que dans la Divine Comédie de Dante, cette divine comédie de l’infini. Quand on promène ses regards autour de cette salle du Jugement dernier, de la base aux murailles, des corniches à la voûte, on éprouve un vertige des yeux tout à fait semblable à ce vertige de l’âme éprouvé par la pensée, quand, dans une nuit sereine et profonde, on se plonge dans l’infini du firmament, dont les avenues d’étoiles illuminent la voie en reculant sans cesse le fond. […] Michel-Ange y avait perdu son temps, sa fortune et ses yeux ; sa vue resta plusieurs années affaiblie par l’attitude forcée de la tête, qu’il avait dû renverser en peignant la voûte. […] Rends à nos yeux baignés de larmes le soleil de tes regards, qui semble dédaigner le spectacle de notre misérable chute !  […] « Si je ne puis détacher mes regards de ses yeux, c’est qu’en eux seuls je découvre ma vraie lumière, la lumière qui m’éclaire la route vers mon Dieu.

674. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Le maître, qui l’a fait construire au gré de son goût bizarre, n’a pas voulu y réunir les plantes précieuses, les fleurs qui réjouissent les sens par l’odorat et l’esprit par les yeux, les feuillages d’une douce et argentine verdure, les belles palmes, les grands éventails, les longues bannières flottantes, et les panaches inclinés de la végétation des Antilles. […] La Mort s’y promène avec la Volupté sa sœur, toutes deux pareilles et défiant l’œil de distinguer celle qui attire ou celle qui repousse. […] Les amants meurent au milieu des fleurs, le sourire aux lèvres, l’éclair prophétique dans les yeux, bercés sur l’aile de l’ange des dernières amours. […] Quand don Juan descendit vers l’onde souterraine, Et lorsqu’il eut donné son obole à Caron, Un sombre mendiant, l’œil fier comme Antisthène, D’un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. […] Delacroix sautent aux yeux : le premier venu peut apercevoir dans sa peinture des audaces, des négligences, la laideur des visages ; mais il a fallu vingt ans pour faire comprendre sa tonalité savante et l’intensité de ses compositions.

675. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Il n’est pas moins délicat d’en réunir à la fois plusieurs dans une même couronne ; car il en est des beaux esprits comme des belles : la louange partagée perd à leurs yeux le meilleur de son prix : L’or se peut partager, mais non pas la louange. […] L’imitation saute tout d’abord aux yeux, et, mon impression une fois prise, je me méfie, je crains de m’avancer. […] Dans ces nombreux recueils que j’ai sous les yeux, il y en a qui, à mesure que j’y entre davantage, me font entrevoir tout un monde, un ordre de sentiments, d’amitiés, d’idées, dans lequel le poëte habite, où il a vécu, et qui mériterait sans doute d’être étudié d’un peu plus près ; car il n’y a rien de plus distinct et de moins fait pour être confondu avec un autre qu’un talent, même secondaire, de vrai poëte. […] Pour plus d’éclaircissement, je prendrai un exemple dans un genre voisin et fraternel : s’il en était en ceci de la peinture comme de la poésie, si la quantité de nouveaux peintres et paysagistes qui se produisent chaque année n’arrivait pas aux yeux du public, s’ils restaient chacun avec son œuvre à l’ombre de son atelier, combien ils auraient lieu de se plaindre de cette condition ingrate, de cet isolement, de ce manque de place et de lumière au soleil !

676. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

N’y a-t-il pas dans la composition des Chants du Crépuscule quelques ombres grossies à dessein, quelques lueurs plus sensibles à l’œil que l’âme du poète ne semble naturellement accoutumée à les voir ? […] j’atteste les cieux que j’ai voulu le croire, J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire : Mais non ; il n’est pas vrai que des cœurs excellents Soient les seuls en effet où germent les talents. […] On dirait qu’en finissant l’auteur a voulu jeter une poignée de lis aux yeux. […] On le voit, rôdeur à l’œil dévorant, au sourcil visionnaire, comme Wordsworth a dit de Dante , tour à tour le long des grèves de l’Océan, dans les nefs désertes des églises au tomber du jour, ou gravissant les degrés des lugubres beffrois.

677. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Voyant la reine entrer, et craignant de choquer sa délicatesse, Saumaise fourra vite le volume sous la couverture, mais pas assez vite pour le dérober à cet œil curieux de femme et de savante. […] L’illustre poète lubrique Baffo donna l’œil à l’achèvement de son éducation poétique ; un vieux sénateur retiré des affaires, mais non du monde, perclus de jambes, mais sain de tête, M. de Malipiero, lui ouvrit sa maison, sa table, avec les conseils d’une expérience vénitienne de soixante-dix ans, et l’initia au savoir-vivre exquis et à une honnête corruption. […] Vers ce même temps, Casanova fut présenté chez une courtisane et actrice à la mode, J…, qu’il trouva singulière, et aux impertinences de laquelle il résista : « Chaque fois qu’elle me regardait, elle se servait d’un lorgnon, ou bien elle rétrécissait ses paupières comme si elle eût voulu me priver de l’honneur de voir entièrement ses yeux, dont la beauté était incontestable : ils étaient bleus, merveilleusement bien fendus, à fleur de tête et enluminés d’un iris inconcevable que la nature ne donne quelquefois qu’à la jeunesse, et qui disparaît d’ordinaire vers les quarante ans, après avoir fait des miracles. […] comme son œil est vigilant !

678. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Bossuet le mène, et les spectateurs contemplent avec respect l’auguste étalage des robes violettes, des chapeaux à plumes et des jupes lamées qui s’ordonnent en belles rangées sous les yeux du roi. […] Quand Grandville, pour illustrer La Fontaine, a mis sous nos yeux les bêtes en habits d’hommes, il a tout gâté ; il n’a fait qu’entasser un carnaval vulgaire, propre à faire rire des provinciaux et des épiciers. Le dessin, de sa lourde empreinte matérielle, perpétue et enfonce dans les yeux ce qui doit glisser devant l’imagination comme emporté par un éclair. […] Nous n’avons plus le mot, mais nous avons encore la chose : « Ne pas sourire respectueusement au seul nom de M. le préfet, disait Beyle, passe aux yeux des paysans de la Franche-Comté pour une imprudence signalée, et l’imprudence dans le pauvre est promptement punie par le manque de pain. » L’état des choses n’a guère changé, et les maximes qui en naissent n’ont pas changé davantage.

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