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1128. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Au commencement du mois de mai 1737, un jeune homme et une jeune femme arrivent à Vevey, dans le canton de Vaud, et là, au bord du beau lac, interrompant leur voyage, ils font choix d’une habitation élégante et rustique ; ils continuent, durant des années, d’y vivre dans l’amour fidèle, dans l’admiration de la nature et l’adoration du créateur. […] L’auteur a, dès le début, le désavantage de se rencontrer trop directement avec Jean-Jacques, avec Byron, dans les descriptions de la même nature. […] Fortoul a dû éprouver que tout n’est pas vain dans ces efforts pittoresques qu’il a dénoncés quelquefois comme arriérés, et qu’il y a un art propre, constamment digne du plus sérieux souci, dans cette reproduction précise et splendide de la nature, dans cette transparence limpide de couleur, dans ces coups de pinceau du génie, que toutes les théories du monde ne donnent pas sans doute, mais qu’elles doivent reconnaître, saluer et cultiver. […] D’ailleurs, il était paisible, confiant et bon ; il se jetait dans l’imprévu avec cette insouciance naturelle aux êtres qui ne croient pas que le mal puisse exister ; il ne se plaignait pas de la fortune, qui l’avait exposé aux chances les plus dures, et il remerciait la nature des instincts qu’elle lui avait donnés et des trésors de jouissances inconnues qu’elle avait renfermés dans son âme.

1129. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

La nature qui est clémente n’est point prodigue ; elle n’empâte pas ses nourrissons d’une abondance brutale ; ils mangent sobrement, et leurs aliments ne sont point pesants. […] Imaginez le paysan qui vit toute la journée en plein air, qui n’est point, comme nous, séparé de la nature par l’artifice des inventions protectrices et par la préoccupation des idées ou des visites. […] C’est ainsi que l’esprit reproduit la nature ; les objets et la poésie du dehors deviennent les images et la poésie du dedans. […] Ils ne sont point frappés par la magnificence de la nature ; ils n’en voient guère que les jolis aspects ; ils peignent la beauté d’une femme d’un seul trait, qui n’est qu’aimable, en disant « qu’elle est plus gracieuse que la rose en mai. » Ils ne ressentent pas ce trouble terrible, ce ravissement, ce soudain accablement du coeur que montrent les poésies voisines ; ils disent discrètement « qu’elle se mit à sourire, ce qui moult lui avenoit. » Ils ajoutent, quand ils sont en humeur descriptive, qu’elle eut « douce haleine nette et savourée », et le corps aussi blanc « comme est la neige sur la branche quand il a fraîchement neigé. » Ils s’en tiennent là ; la beauté leur plaît, mais elle ne les transporte pas ; ils goûtent les émotions agréables, ils ne sont pas propres aux sensations violentes.

1130. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Jeune, mais déjà mûr, d’un esprit ferme et haut, nourri des études antiques et de la lecture familière des poètes grecs, il a su en combiner l’imitation avec une pensée philosophique plus avancée et avec un sentiment très présent de la nature. […] La nature matérielle, la science, la philosophie vous suffisent. […] Mais c’est le mal du siècle tombé dans une nature intellectuelle, et c’est une poésie dont le tissu premier est une trame d’idées. […] C’est une vérité commune à tout le monde, mais qui paraît plus sensible dans certaines natures dont l’originalité est nette et le caractère arrêté.

1131. (1890) L’avenir de la science « Préface »

L’inégalité est écrite dans la nature ; elle est la conséquence de la liberté ; or la liberté de l’individu est un postulat nécessaire du progrès humain. […] Je voyais bien que tout se fait dans l’humanité et dans la nature, que la création n’a pas de place dans la série des effets et des causes. […] Rien ne nous indique quelle est la volonté de la nature, ni le but de l’univers. […] La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature, la curiosité ; elle fournira à l’homme le seul moyen qu’il ait pour améliorer son sort.

1132. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Logique passionnée, effusions lyriques, style oratoire, apostrophes à la nature et à l’Etre suprême, exclamations perpétuelles qui choquaient tant Buffon, goût du roman sentimental, incapacité d’écrire sauf sous le coup d’une émotion violente, irritabilité nerveuse aboutissant à la manie de la persécution, tout cela nous apparaît désormais comme une série de faits unis entre eux par une dépendance mutuelle. […] Il n’aurait devant lui qu’une série de cas particuliers, de faits individuels et isolés, que rien ne permettrait de relier ensemble ; la genèse et la nature d’une œuvre littéraire, sa liaison avec ce qui précède et ce qui suit ne seraient pas expliquées. […] Ce ne sont plus maintenant des documents toujours destinés au public qu’il s’agit d’interpréter : ce sont des paroles échappées dans la causerie, des lettres intimes où la pensée se montre sous forme familière et parfois dans toute sa nudité ; ce sont des actes où se trahit la vraie nature de celui qui les commet. […] Je sortis de sa maison aussi indigné qu’attendri et déplorant le sort de ces belles contrées à qui la nature n’a prodigué ses dons que pour en faire la proie des barbares publicains. » On sait, après cela, et de science certaine, l’une des causes qui firent de Rousseau un ancêtre du socialisme moderne.

1133. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Leurs plaintes, leurs soupirs, leurs rêveries, leurs tristesses, leur méditation et leur patience ne sont-ils pas de la nature des pratiques réellement dévotes et religieuses ? […] Les églogues qui chantent la nature ne peuvent-elles pas être prises pour de saintes effusions ? […] La peinture, la musique, l’art de la statuaire et la poésie sont soumis, comme les choses elles-mêmes, aux nécessités mécaniques de la nature. […] Toutes les belles lois de la nature y inscrivent leurs traits implacables, riches et variés.

1134. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

Ne seront-ils un jour tentés de contrôler sur la nature la vérité de leurs créations ? […] Là, la nature, ici la thèse primeront, supprimeront l’art ; — le pire sera qu’« eux » ne s’en aperçoivent. […] L’un et l’autre sont maintenant une grande enquête sur l’homme, sur toutes les variétés, toutes les situations, toutes les floraisons, toutes les dégénérescences de la nature humaine. […] Ils dirent encore : « Celui-ci chantera son rêve, et celui-là sa vie ; celui-ci sa chimère, celui-là sa simple douleur ; cet autre la nature, et cet autre les hommes.

1135. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Ici Sainte-Beuve revient à son ambiguïté du début, et dit tout d’une haleine : « Chaque ouvrage d’un auteur, vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre, et entouré de toutes les circonstances qui font vu naître, acquiert tout son sens, son sens historique, son sens littéraire… Être en histoire littéraire et en critique, un disciple de Bacon, me paraît le besoin du temps et une excellente condition première pour juger et goûter ensuite avec plus de sûreté. » Sainte-Beuve développe plus loin l’idée exprimée dans ce second membre de phrase, et conseille, pour apprécier un auteur, de le comparer à ses antagonistes et à ses disciples, de distinguer les diverses manières de son talent, de déterminer ses opinions sur certains sujets d’ordre général, enfin de résumer sa nature morale dans une formule exacte et concise. […] D’une part il veut juger l’auteur et faire cette sorte de critique proprement dite dont nous avons défini plus haut la nature. […] Posnett, dans un livre tout récent : Comparative literature, envisage dans un esprit nouveau le problème de la morphologie artistique, et s’attache à démêler, dans une énumération malheureusement superficielle, quelle influence ont exercée sur la forme littéraire, sur l’individuation des personnages par exemple et la description de la nature, les différentes formes de la vie sociale, le clan, la communauté urbaine, la nation, le cosmopolitisme. […] D’autre part, ayant à déterminer d’une façon précise et individuelle, la nature de l’esprit d’artiste qu’elle veut connaître, elle est obligée de recourir aux notions générales sur l’intelligence humaine que donne la psychologie ; et s’appliquant à démêler les groupes naturels d’hommes auxquels un artiste peut servir de type, elle est contrainte de s’adresser à la sociologie et à l’ethnologie.

1136. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

On a beaucoup trop calomnié jusqu’à présent la nature humaine : les intérêts doivent être considérés comme effets ou comme signes, et non point comme causes. […] Ainsi nous ne pouvons pas éviter d’en venir à examiner ce grand problème de l’intelligence humaine, ou plutôt la nature de l’instrument qui nous a été donné pour la production et la manifestation des actes de notre intelligence. […] Il y a dans les lois un Dieu puissant qui triomphe de notre injustice, et qui ne vieillit jamais. » À la seconde classe appartiennent ceux qui puisent la raison de ces lois dans un état abstrait de la nature de l’homme ; ceux qui croient à l’homme la puissance de faire des lois ; ceux qui, par conséquent, sont obligés d’admettre un contrat primitif. […] Lorsque nous établirons, plus tard, que la société est une des conditions de notre nature, et que, par conséquent, la société a été imposée à l’homme, nous trouverons la liaison des deux questions, si distinctes en apparence, de l’origine du pouvoir et de l’origine du langage.

1137. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Car il était violent et doux, indolent et passionné, efféminé et héroïque, magnanime et mesquin, enthousiaste et moqueur, moral et immoral, sceptique et religieux ; il était tout cela en même temps et tour à tour, — comme les enfants sont ce qu’ils sont — et comme eux, en l’étant, il obéissait à sa nature. Et parce qu’il était tout cela également, parce que sa nature était toutes les natures, ceux qui l’ont haï et ceux qui l’ont aimé ont pu choisir en lui ce qu’ils ont voulu de ces contrastes pour l’accuser ou pour le défendre, pour le faire adorer ou maudire ! […] Or il n’y a ici qu’un bas-bleu sous lequel s’entrevoit la femme du monde, la femme comme il y en a tant, qui ne se doutent même pas de la nature de l’homme qu’elles ont pressé, avec une tendresse bête, dans leurs doux et faibles bras.

1138. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Que ce soient les lignes de la face, ou les protubérances du crâne, ou la conformation de la main dont il soit question pour expliquer l’homme, son génie, son caractère, sa nature et sa destinée, c’est toujours la même induction physiologique que l’on fait, c’est le même procédé qu’on emploie, c’est la même idée qu’on affirme. […] Ce désaccord profond entre le tempérament, ou la seconde nature d’une longue habitude, et la métaphysique qu’on s’est arrangée dans l’intelligence, établit un contraste choquant entre l’esprit qui a pensé la Science de la main et le talent qui l’a écrite. […] Comme le principe de la vitalité est dans les nerfs, Chopin est mort jeune. » Dans l’impossibilité de citer tout ce qui peut donner l’idée de ce talent inconnu qui a bien le droit d’une place au soleil, nous avons choisi ces lignes pénétrantes sur Chopin ; mais ceux qui liront, après nos citations, le capitaine d’Arpentigny, auront seuls la mesure de ce talent, qui peint Chopin avec cette profondeur nuancée et qui, du même pinceau, nous peint si différemment des natures différentes, — par exemple le général Rapp et le prince Jules de Polignac. […] , mais tous les deux appartiennent à des opinions qui faussent leur nature et dépravent leur talent ; tous les deux ils étaient mieux faits que pour soutenir et défendre, chacun à sa manière, les doctrines avouées ou secrètes du matérialisme démocratique.

1139. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Mais à de certaines largeurs, à de certains épanouissements qui sont en lui et qui révèlent la nature frémissante et généreuse de l’artiste, nous ne pouvons croire qu’il garde contre la Critique la dure opiniâtreté d’un parti pris. […] La seule différence qu’il y ait entre l’imitateur et le modèle, c’est que Monselet a l’amour de la nature, que Gautier met presque un singulier orgueil à ne point avoir. […] C’est par les vitraux de couleur à travers lesquels Hugo a toujours regardé la nature que Monselet la contemple. […] … Mais jusqu’à ce coup de foudre qui allume la poussière d’un homme et en fait un poète, et sur lequel il n’est permis à personne, si optimiste soit-on, de compter, que Monselet aille dans sa voie vraie, indiquée par la nature de ses facultés, et s’il fait des vers encore, que ce soit seulement pour ce public de cœur qui prend tout de nous avec ivresse, — nos rimes, nos cheveux et nos portraits !

1140. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Figurez-vous un Allemand de Hambourg ou de Brême, serré pendant cinq cents ans dans le corselet de fer de Guillaume le Conquérant : ces deux natures, l’une innée, l’autre acquise, composent tous les ressorts de sa conduite. […] Elle aura beau se discréditer d’abord par ses emportements et sa tyrannie ; atténuée par l’épreuve, elle s’accommodera par degrés à la nature humaine, et, transportée du fanatisme puritain dans la morale laïque, elle gagnera toutes les sympathies publiques parce qu’elle correspond à tous les instincts nationaux. […] Se contraindre et se pourvoir, prendre l’empire de soi et l’empire de la nature, considérer la vie en moraliste et en économiste, comme un habit étroit dans lequel il faut marcher décemment, et comme un bon habit qu’il faut avoir le meilleur possible, être à la fois respectable et muni de bien-être, ces deux mots renferment tous les ressorts de l’action anglaise. […] Dans cette fumée jaunâtre, les objets semblent des fantômes effacés ; la nature a l’air d’une mauvaise ébauche au fusain sur laquelle un enfant a maladroitement passé la manche. […] Il y est fait, sa nature y est conforme.

1141. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Tous les hommes marchent vers la mort ; c’est l’ordre inévitable de la nature. […] En s’éloignant de la nature primitive, l’art se corrompt. […] Ce n’est plus cette sauvage horreur que la nature, abandonnée à elle-même, imprime aux vastes solitudes ; ici tout se ressent de la présence et des travaux de l’homme. […] Le cri qui sort du cœur torturé de l’homme ou de la femme retentit dans le ciel plus que sur la terre : la nature s’absorbe dans la religion. […] Souffre donc que cet enfant, dont à ta vue le petit cœur palpite d’un mouvement involontaire, t’embrasse, te touche de ses douces lèvres ; car il n’est pas dans la nature de sensation plus délicieuse que le toucher d’un enfant.

1142. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Pour la première fois, dit-il, l’Angleterre eut un ouvrage d’imagination, fondé sur l’imitation fidèle de la nature. […] Bulwer a pris ailleurs que dans la nature les traits de son tableau. […] C’est une belle et touchante étude qui doit être faite d’après nature. […] Le portrait de Diane, et surtout ses yeux, me semblent peints d’après nature. […] Sans doute il s’y rencontre des pages d’une nature exquise.

1143. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugues, Clovis (1851-1907) »

En dehors des actualités sociales, les sujets qu’il préfère par contraste sont les plus doux : l’amour de la femme, la tendresse pour les enfants, et aussi la passion de la nature méridionale ensoleillée sous l’azur. […] Clovis Hugues est bien frappé, vigoureux, facile, richement rimé ; la pensée qui l’anime est généralement élevée, et nul n’a plus de grâce quand il s’agit de peindre le charme de la nature.

1144. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

. —  En quoi il est d’accord avec la nature. —  Locksley Hall. […] Tu es accouplée à un rustre, —  et la pesanteur de sa nature te fera tomber aussi bas que lui. […] Leur nature est trop riche ; à chaque secousse, il se fait en eux comme un ruissellement de joie, de colère ou de désirs ; ils vivent plus que nous, plus chaudement et plus vite. […] Il a glissé au plus haut des sentiments nobles et tendres ; il a recueilli dans toute la nature et dans toute l’histoire ce qu’il avait de plus élevé et de plus aimable. […] As the husband is, the wife is : thou art mated with a clown, And the grossness of his nature will have weight to drag thee down.

1145. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Vos portraits du comte de Maistre sont des portraits d’imagination ; le mien est un portrait d’après nature. […] La tête, quoique naturellement forte, paraissait ainsi plus grosse encore que nature ; son front large et haut sortait plus ample de ce nuage de frisure et de poudre. […] Chacun de ces êtres occupe le centre d’une sphère d’activité dont le diamètre varie au gré de l’éternel Géomètre qui sait étendre, restreindre ou diriger sans contraindre la nature. […] Le comte de Maistre s’y met à nu tout entier à son insu, et, bien que l’homme y soit toujours brillant et charmant dans sa nature, il disparaît souvent sous le diplomate de peu de scrupule. […] Ce n’est pas le Piémont qu’il faut grandir ; c’est l’Italie qu’il faudra constituer libre et diverse comme l’a fait la nature.

1146. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Il n’y a pas de bonne politique contre la nature. […] Corrompre pour régner et régner pour corrompre, fut la nature de ce gouvernement. […] L’aventure et le mouvement étant dans sa nature, la stabilité la corrompit. […] C’était une véritable république de tribuns des soldats, sans aucun contrepoids monarchique, et ne conservant un roi nominal à son sommet que pour cacher sa véritable nature militaire. […] L’Autriche est toujours la première à intervenir à main armée pour le statu quo, car c’est sa nature, et c’est son intérêt de représenter partout le passé.

1147. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Qu’est-ce que la religion, sinon un sublime effort de la nature humaine pour lutter contre sa corruption originelle ? […] Un peu avant lui, l’idéal avait été la nature. […] De la nature on en vint bientôt à la raison, qui n’est que la nature dans sa perfection. […] Elle n’affecte pas d’ailleurs d’ignorer notre nature. […] La vertu n’est qu’une convenance de sa noble nature ; ce n’est pas une loi pour tous et dans les forces de tous.

1148. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Chacune d’elles a par nature, comme l’homme et la femme dans un ménage, des aptitudes et des attributions spéciales. […] La musique, de son côté, triomphe, dès qu’il s’agit d’imiter les bruits de la nature ; elle peut atteindre en cela une perfection refusée à sa sœur. […] Tel d’entre eux se continue pendant plus de cent ans et change de nature sur la route ; il commence par la gaieté, par la joie de vivre, et finit par l’amertume et la raillerie mordante. […] Il a toujours la mémoire tellement pleine d’œuvres d’art anciennes ou modernes qu’il voit la nature même à travers. […] La littérature majestueuse et correcte a été remplacée par une littérature coquette et sentimentale, éprise déjà de la nature : tel est le sens qui se dégage du rapprochement des deux caprices royaux.

1149. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Tous les cerveaux de décadence, depuis Pétrone jusqu’à Baudelaire, se plaisent dans des imaginations obscènes, et leurs voluptés sont toujours plus ou moins contre nature ; leur style même est contre nature : ils cherchent partout le neuf dans le corrompu. […] Il ne faut voir en soi qu’un coin de la nature à observer, le seul qui ait été mis d’une façon constante à notre portée. Faire effort pour se trouver un sens à soi-même, c’est en réalité en donner un à la nature, de laquelle nous sommes sortis au même titre que tout ce qui est en elle, que tout ce qui la compose. […] La cité aristocratique de l’art, au dix-huitième siècle, admettait à peine dans son sein les animaux ; elle en excluait presque la nature, les montagnes, la mer. […] Le vice est la domination de la passion chez un individu ; or, la passion est éminemment contagieuse de sa nature, et elle l’est d’autant plus qu’elle est plus forte ou même déréglée.

1150. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il se trouve, dans la nature, Peu de géans & peu de nains. […] Celui d’Énée lui paroît être dans la belle nature & dans le véritable héroïsme. […] Que peut tout l’art du monde sans la nature ? […] Le genre romanesque n’est-il pas un genre pernicieux de sa nature ? […] Ces mêmes romanciers François trouvent des défenseurs & des vengeurs, qui reprochent à ceux d’Angleterre les longueurs, le verbiage, la bassesse des détails, mille traits qui sont, à la vérité, dans la nature, mais non pas dans la belle nature.

1151. (1894) Textes critiques

Surprise devant ces toiles exiguës d’un qui devina plus qu’il n’apprit — sauf de Corot peut-être — en son ermitage lyonnais, disciple de la nature seule du Dauphiné plus tard, saupoudrée par la poussière supra-terrestre de sa sensibilité de Doré. […] Disant que tout est beau dans la nature, il oublie que tout est beau pour quelques-uns seuls qui savent voir ; et que chacun du moins élit un beau spécial, le plus proche de soi ; et en cette nature de Pont-Aven et du Pouldu le va distiller comme un cheval d’Espagne en l’entonnoir d’un lys au pollen de fourmilion. […] S’il était semblable à la nature, ce serait un duplicata superflu… On parlera plus loin de la nature décor. […] Mentionnons que ledit trompe-l’œil fait illusion à celui qui voit grossièrement, c’est-à-dire ne voit pas, et scandalise qui voit d’une façon intelligente et éligente la nature, lui en présentant la caricature par celui qui ne comprend pas. […] Quelques mots sur les décors naturels, qui existent sans duplicata, si l’on tente de monter un drame en pleine nature, au penchant d’une colline, près d’une rivière, ce qui est excellent pour la portée de la voix, sans vélum surtout, dut le son se perdre ; les collines suffisent, avec quelques arbres pour l’ombre.

1152. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Peut-être quelques-uns comptent-ils d’une manière analogue les coups successifs d’une cloche lointaine leur imagination se figure la cloche qui va et qui vient cette représentation de nature spatiale leur suffit pour les deux premières unités ; les autres unités suivent naturellement. […] A vrai dire, les différences qualitatives sont partout dans la nature ; et l’on ne voit pas pourquoi deux directions concrètes ne seraient point aussi marquées dans l’aperception immédiate que deux couleurs. […] Nous touchons ici du doigt l’erreur de ceux qui considèrent la pure durée comme chose analogue à l’espace, mais de nature plus simple. […] Pourquoi recourir à une hypothèse métaphysique, si ingénieuse soit-elle, sur la nature de l’espace, du temps et du mouvement, alors que l’intuition immédiate nous montre le mouvement dans la durée, et la durée en dehors de l’espace ? […] Extérieures les unes aux autres, elles entretiennent entre elles des rapports où la nature intime de chacune d’elles n’entre pour rien, des rapports qui peuvent se classer : on dira donc qu’elles s’associent par contiguïté, ou par quelque raison logique.

1153. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Elle repose, en dernière analyse, sur une fausse idée de la nature et de l’objet de la perception extérieure. […] En l’opposant à la perception présente, nous comprendrons déjà mieux la nature de ce que nous appelons le « souvenir pur ». […] La raison en est précisément qu’on s’obstine à ne trouver qu’une différence de degré, et non pas de nature, entre les sensations actuelles et le souvenir pur. […] Ayant ainsi effacé, par avance, toute différence de nature entre la sensation et le souvenir, ils sont conduits par la logique de leur hypothèse à matérialiser le souvenir et à idéaliser la sensation. […] Entre la disparition d’un souvenir avec ses divers détails préliminaires et l’abolition, par l’amnésie rétrograde, d’un nombre plus ou moins grand de souvenirs antérieure, à un événement donné, il y a donc une simple différence de degré, et non pas de nature.

1154. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Ce ne sont point les grands, les princes, c’est la nature qui crée les émules d’Homère. […] Les dieux consacrés dans les religions, les puissances motrices de la nature, elles-mêmes divinisées, l’animent et la soutiennent. […] Nous savons, par exemple, que la nature et l’industrie humaines ont la double faculté de rebâtir et de repeupler des villes détruites. […] Ce crime, commis par l’insatiable soif de l’or, révoltait la nature, et la fiction se montre analogue à ce forfait, en renversant les lois de la nature outragée. […] Voilà le précis de ce que m’ont donné les vues de Newton sur la nature.

1155. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Il parut, quelque temps, hésiter entre les sciences de l’histoire et les sciences de la nature. […] Il pensait que l’intelligence humaine doit être en harmonie avec la nature, dont la vie consiste en une éternelle métamorphose. […] Cette suite de planches est une fantasmagorie où la nature s’est réverbérée avec une clarté précise et violente. […] On semble craindre que nous ne dépassions la quantité de vérité que notre faible nature est capable de supporter sans défaillir. […] Après tout, qui peut se vanter de décrire d’après nature, sans quelques ressouvenirs ?

1156. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

a sur Madame toute la supériorité d’une nature de génie faite exprès pour sonder et pour fouiller dans les cœurs, pour en rapporter des descriptions toutes vives, qu’il nous rend présentes en traits de flamme. […] Il a parlé d’elle avec vérité et justice, comme d’une nature mâle un peu parente de la sienne ; tout ce qu’on a lu et ce qu’on lit dans les nombreuses lettres où Madame se déclare et se montre à tous les yeux, n’est en quelque sorte que la démonstration et le commentaire du jugement premier donné par Saint-Simon. […] Ce trait est caractéristique de la part d’une nature d’ailleurs essentiellement bonne. […] On n’a pas besoin du catéchisme de Heidelberg pour apprendre à ne pas trop s’attacher à ce monde, surtout en ce pays où tout est si plein de fausseté, d’envie et de méchanceté, et où les vices les plus inouïs s’étalent sans retenue ; mais désirer la mort est une chose tout à fait opposée à la nature. […] Elle eut quelque peine à se faire à ce genre de vie nouveau, à cette résidence plus assidue à la ville et au Palais-Royal : « J’aime les Parisiens, disait-elle, mais je n’aime pas à résider dans leur ville. » Elle s’était accoutumée, durant ses longues saisons à Saint-Cloud, à cette mesure de retraite, de compagnie et de liberté qui allait à sa nature et, je dirai, à sa demi-philosophie.

1157. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Il y a là une preuve de plus de cette tranquillité d’esprit et de cette faculté de travail uniforme, deux traits distinctifs de la forte nature que nous étudions. […] Daru, dans la retraite où il composait son Histoire de Venise, rendu tout entier à sa nature d’écrivain et se rouvrant, comme la plupart des esprits d’alors, à une impulsion d’idées qui sera bientôt universelle, n’oublie donc pas les résultats de l’expérience, laquelle a condamné souvent certains désirs que l’homme estimait plus conformes à sa dignité (t.  […] Il n’y a trace nulle part de déclamation, qui était la chose la plus antipathique à sa nature ; on n’y trouve aucune de ces concessions marquées faites à l’esprit du jour ; toutes ses remarques sont telles qu’elles lui viennent de son propre fonds. […] Daru, dans un écrit ou document sous forme de tableaux, intitulé Notions statistiques sur la librairie, pour servir à la discussion des lois sur la presse (1827), croyait pouvoir établir, par le chiffre comparé des publications et par la nature des livres produits de 1811 à 1825, qu’il n’y avait nul péril imminent ou même lointain ni pour l’État ni pour la moralité et la raison publique. […] Dans l’épilogue qui termine le chant VIe et que je veux citer pour exemple du ton, l’auteur se représente comme ayant passé la nuit à méditer sur ces astres sans nombre et sur tout ce qu’ils soulèvent de mystères, jusqu’au moment où l’aube naissante les fait déjà pâlir et quand, à côté de lui, l’insecte s’éveille au premier rayon du soleil : Ainsi m’abandonnant à ces graves pensées, J’oubliais les clartés dans les Cieux effacées : Vénus avait pâli devant l’astre du jour Dont la terre en silence attendait le retour ; Avide explorateur durant la nuit obscure, J’assistais au réveil de toute la nature : L’horizon s’enflammait, le calice des fleurs Exhalait ses parfums, revêtait ses couleurs ; Deux insectes posés sur la coupe charmante S’enivraient de plaisir, et leur aile brillante Par ses doux battements renvoyait tous les feux De ce soleil nouveau qui se levait pour eux ; Et je disais : « Devant le Créateur des mondes « Rien n’est grand, n’est petit sous ces voûtes profondes, « Et dans cet univers, dans cette immensité « Où s’abîme l’esprit et l’œil épouvanté, « Des astres éternels à l’insecte éphémère « Tout n’est qu’attraction, feu, merveille, mystère. » Ce sont là des vers français qui me font l’effet de ce qu’étaient les bons vers latins du chancelier de L’Hôpital et de ces doctes hommes politiques du xvie  siècle s’occupant, se délassant avec gravité encore, dans leur maison des champs, comme faisait M. 

1158. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

Elle qui m’a confié toute son âme et toute sa vie, quand moi-même je lui ai voué dans mon cœur toute la tendresse qu’on a pour une épouse, souffrirais-je qu’une nature aussi honnête, aussi pure, aussi bien élevée, en vienne, par misère, à tourner mal ? […] L’exposition de ce Bourreau de soi-même est des meilleures de Térence, et de celles qui caractérisent le mieux cette nature de génie. […] Et voilà trois mois de cette fuite. — Chrémès, après avoir tout entendu : « Il y a de votre faute à tous deux, dit-il, bien que ce coup de tête annonce pourtant une nature sensible à l’honneur, et à qui certes le cœur ne manque pas. » — Ménédème a raconté ce qui lui était le plus pénible ; c’est alors que le malheureux père, en apprenant le départ de son fils et se voyant seul, a tout quitté et vendu de désespoir ; il a fait maison nette et s’en est venu se confiner dans ce champ pour s’y mortifier et s’y punir. […] Et aji même temps, pas une déclamation, pas une épithète inutile, pas de tirade proprement dite et pour la galerie ; c’est l’expression même de la nature, « une naïveté inévitable qu’il plaît et qui attendrit par le simple récit d’un fait très-commun. » C’est encore Fénelon qui dit cela. […] Diderot le fougueux, le verveux, a eu l’honneur de comprendre et de sentir dans Térence celui qui lui ressemblait le moins, celui qui n’outre rien, ne charge jamais, et qui ne met pas un trait de plus que nature.

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