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559. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

Mais un petit nombre d’artisans est avec du génie, et par consequent avec cette sensibilité ou cette délicatesse d’organes supérieure à celle que peuvent avoir les autres, et je soutiens que les artisans sans génie jugent moins sainement que le commun des hommes, et si l’on veut que les ignorans. […] C’est ainsi qu’un vieux médecin, bien qu’il soit tendre et compatissant, n’est plus touché par la vûë d’un mourant autant que l’est un autre homme, et autant qu’il le seroit encore lui-même, s’il n’avoit pas exercé la médecine.

560. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Ainsi l’homme qui est avec le génie le plus heureux est celui qui va plus loin que les autres dans ces sortes de professions, et cela indépendamment du dégré de perfection où elles se trouvent lorsqu’il les exerce. […] Hippocrate étoit avec un génie superieur pour la médecine, et ce génie lui donnoit plus d’avantage dans la pratique sur les médecins modernes, que les nouvelles découvertes n’en donnent aux médecins modernes sur Hippocrate.

561. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Lorsque après Trajan sonna décidément l’heure de la décadence romaine, la littérature sacrée, en train de naître, n’hérita pas aussi vite ni aussi directement de la beauté littéraire que Rome l’avait fait dans son premier contact avec la Grèce : on ne se passa pas de la main à la main le flambeau. […] Le classique en effet, dans son caractère le plus général et dans sa plus large définition, comprend les littératures à l’état de santé et de fleur heureuse, les littératures en plein accord et en harmonie avec leur époque, avec leur cadre social, avec les principes et les pouvoirs dirigeants de la société ; contentes d’elles-mêmes, — entendons-nous bien, contentes d’être de leur nation, de leur temps, du régime où elles naissent et fleurissent (la joie de l’esprit, a-t-on dit, en marque la force ; cela est vrai pour les littératures comme pour les individus) ; les littératures qui sont et qui se sentent chez elles, dans leur voie, non déclassées, non troublantes, n’ayant pas pour principe le malaise, qui n’as jamais été un principe de beauté. […] On ne naît pas quand on veut, on ne choisit pas son moment pour éclore ; on n’évite pas, surtout dans l’enfance, les courants généraux qui passent dans l’air, et qui soufflent le sec ou l’humide, la fièvre ou la santé ; et il est de tels courants pour les âmes. […] Nous n’avons pas ici pour mission et pour prétention de les faire naître, nous avons, avant tout, à les conserver. […] On n’est plus au temps où, quand on naissait dans une capitale, on n’en sortait pas.

562. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Cette respectable personne, née en 1791, est par conséquent âgée aujourd’hui de soixante-quatorze ans. […] Mme Navier (Félicité Barilliet), née à Paris, le 13 février 180G, sur la paroisse de l’Assomption, a aujourd’hui tout près de soixante ans. […] L’abbé Brandelet en avait été frappé dès l’enfance, car il est dans ce village ; il avait formé le vœu de le doter un jour d’une église pour les catholiques seuls ; et cette pensée, il l’avait eue moins dans un esprit de division que dans un esprit de charité, moins pour sauver le contact que pour prévenir tout conflit. […] Mais ce serait mal répondre au caractère d’une telle loi, à la nature des idées qu’elle fait naître et qu’elle remue, que de ne pas dire quelques mots de l’état des choses qui l’a rendue nécessaire et des intérêts élevés auxquels elle pourvoit. […] Il y a eu de grands siècles littéraires : nul les salue et ne les admire plus profondément que moi ; mais de nos jours la littérature a pris un développement plus suivi, plus régulier, en rapport avec une société moyenne ou démocratique qui consomme prodigieusement.

563. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Les circonstances récentes ont fait apparaître dans notre Parlement, en matière d’affaires étrangères, deux partis extrêmes, également dangereux : l’un qui rêve de conquêtes et aime la guerre, soit pour elle-même, soit pour les révolutions qu’elle peut faire naître ; l’autre qui a pour la paix un amour que je ne craindrai pas d’appeler déshonnête, car il a pour unique principe non l’intérêt public, mais le goût du bien-être matériel et la mollesse du cœur. […] Mais quand je viens à chercher le nœud d’un pareil sujet, le point où toutes les idées qu’il fait naître se rencontrent et se lient, je ne le trouve pas. […] On est tenté de se dire en les feuilletant : Que de choses aimables il aurait pu faire s’il n’avait pas si constamment tendu son esprit, s’il ne s’était pas laissé atteler à des corvées honorables, à des sujets officiels ennuyeux ; si, hors de sa classe, la nécessité l’avait obligé de bonne heure à se rompre, à se hâter et à se prodiguer ! […] malgré les dissentiments qu’il doit faire naître en vous dans cette partie, à la vérité minime, de sa Correspondance, tout ce que je souhaiterais serait que vous pussiez parler encore de ce nouveau livre à vos lecteurs. […] Ailleurs, ayant à parler de Fontanes, il dira : « M. de Fontanes, qui restait fort amoureux du passé et était ce qu’on eût appelé dans le jargon moderne un grand réactionnaire… » J’avoue que ce dédain de la langue courante m’impatiente un peu riiez Tocqueville : car enfin le mot de réaction ne pouvait exister sous Louis XIV, puisqu’il n’y avait pas lieu au mouvement des partis, qui a motivé l’introduction du mot ; il fallait la Terreur et Thermidor, le Directoire et Fructidor, 1815 et les Cent-Jours, pour qu’il naquît et s’autorisât : à choses nouvelles il faut des mots nouveaux ; et quand l’emploi en est modéré, comme dans les exemples que je cite, quand l’usage les accepte et les consacre, c’est le fait d’un dégoût ou d’une timidité extrêmes de s’en priver ou de ne s’en servir qu’en s’en excusant de cette façon… Tangens maie singula dente superbo.

564. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

La médiocrité, non plus, n’est guère propre à faire naître en nous un sentiment d’espèce si délicate ; l’impression qu’elle cause n’a rien que de stérile, et ressemble à de la fatigue ou à de la pitié. […] Heureux ceux qui, comme lui, ont eu un jour, une semaine, un mois dans leur vie, où à la fois leur cœur s’est trouvé plus abondant, leur timbre plus pur, leur regard doué de plus de transparence et de clarté, leur génie plus familier et plus présent ; où un fruit rapide leur est et a mûri sous cette harmonieuse conjonction de tous les astres intérieurs ; où, en un mot, par une œuvre de dimension quelconque, mais complète, ils se sont élevés d’un jet à l’idéal d’eux-mêmes ! […] Il naquit, sur la fin du xviie  siècle, en avril 1697, à Hesdin dans l’Artois, d’une honnête famille et même noble ; son père était procureur du roi au bailliage. […] En général, ces personnages sont oublieux, mobiles, adonnés à leurs impressions et d’un laisser-aller qui par instants fait sourire ; l’amour leur naît subitement d’un clin d’œil comme chez des oisifs et des âmes inoccupées ; ils ont des songes merveilleux ; ils donnent ou reçoivent des coups d’épée avec une incroyable promptitude ; ils guérissent par des poudres et des huiles secrètes ; ils s’évanouissent et renaissent rapidement à chaque accès de douleur ou de joie. […] L’embarras du bon M. de Renoncour quand son élève veut épouser sa nièce, les représentations qu’il adresse à la pauvre enfant, en lui disant du jeune homme : Avez-vous oublié ce qu’il est  ?

565. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

À cette affreuse image tous les mouvements de l’âme se renouvellent, on frissonne, on s’enflamme, on veut combattre, on souhaite de mourir, mais la pensée ne peut se saisir encore d’aucun de ces souvenirs ; les sensations qu’ils font naître absorbent toute autre faculté. […] Mais c’est par des calculs positifs et non par des pensées sensibles ou morales qu’on éloigne ou prévient de semblables peines ; le bonheur des caractères passionnés au contraire, étant tout à fait dépendant de ce qui se passe au-dedans d’eux, ils sont les seuls qui trouvent quelque soulagement dans les réflexions qu’on peut faire naître dans leur âme. […] Les hommes, privés d’occupations fortes, se resserrent tous les jours plus dans le cercle des idées domestiques, et la pensée, le talent, le génie, tout ce qui semble des dons de la nature, ne se développe cependant que par la combinaison des sociétés ; le même nombre d’hommes divisé, séparé, sans mobile et sans but, n’offre pas un génie supérieur, une âme ardente, un caractère énergique ; tandis que dans d’autres pays, parmi les mêmes êtres, plusieurs se seraient élevés au-dessus de la classe commune, si le but avait fait naître l’intérêt, et l’intérêt l’étude, et la recherche des grands moyens et des grandes pensées. […] En effet, le moment le plus prospère dans tous ces gouvernements est celui où cette balance, subsistant d’une manière parfaite, donne le repos qui naît de deux efforts contenus l’un par l’autre, mais cet état ne peut être durable. […] En effet, si l’on n’était pas passionné qu’aurait-on à craindre, de quel effort aurait-on besoin, que se passerait-il en soi qui put occuper le moraliste, et l’inquiéter sur la destinée de l’homme ?

566. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Ordinairement, quand celle-ci naît, elle est précédée par cet ébranlement terminal ; mais ce n’est qu’ordinairement. Si, par exception, le bout central conservé après l’amputation vient à s’ébranler, elle naîtra, quoiqu’il n’y ait plus d’orteil, et l’amputé portera le même jugement que s’il avait encore sa jambe. — Ces exemples nous montrent fort nettement en quoi consiste l’apparence. […] Si la sensation se produit en leur absence, la perception affirmative naîtra en leur absence, et l’homme verra une tête de mort qui n’est pas. Ici encore, la présence du dernier intermédiaire suffit pour faire naître la perception ; peu importe que les antécédents existent ou n’existent pas. […] La perception extérieure d’un fauteuil n’est rien en dehors du fantôme de ce fauteuil ; quand, selon l’habitude, nous considérons ce fantôme comme un objet extérieur et réel, nous retranchons de la perception tout ce qui la constitue, et, d’un acte plein, nous faisons un acte vide ou abstrait. — Nous avons déjà vu plusieurs exemples de cette illusion ; nous en verrons encore d’autres ; c’est ainsi que naissent les êtres et les actes spirituels dont la métaphysique et la psychologie sont encore remplies.

567. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Nous apprenons ainsi (je vous fais grâce de ses ascendants) qu’il était à onze mois, fut mis en nourrice au village, apprit le latin avant le français, était éveillé en son enfance au son des instruments, reçut les verges deux fois, joua des comédies latines au collège de Guyenne ; qu’il était de taille au-dessus de la moyenne, assez peu porté aux exercices du corps et à tous les jeux qui demandent de l’application physique, qu’il avait la voix haute et forte, un bon estomac, de bonnes dents, dont il perdit une passé cinquante ans, qu’il aimait le poisson, les viandes salées, le rôti peu cuit, le vin rouge ou blanc indifféremment, et trempé d’eau ; qu’il était sujet au mal de mer, et ne pouvait aller ni en voiture, ni en litière sans être malade, mais en revanche faisait de longues traites à cheval, même en pleine crise de coliques néphrétiques ; qu’il ne prenait pas de remèdes, sauf des eaux minérales, et qu’il gémissait sans brailler, quand la gravelle le tenait. […] Il nous confie aussi qu’il a aimé les cartes et les dés en sa jeunesse, qu’il n’a jamais été continent, qu’il n’était ni pour la paternité ni pour le mariage ; il nous parle de son mariage, sinon de sa femme, d’où il résulte qu’il s’est marié par raison, pour la famille. […] Prenons bien garde que la critique historique est la dernière née, et que la critique philosophique pendant deux ou trois siècles a fait son œuvre sans elle et même parfois contre elle. […] Il posera en principe qu’il faut aimer la forme de gouvernement dans laquelle on est  ; et ainsi, étant Français, il sera pour la royauté, bien que son affection le porte de préférence vers le gouvernement démocratique. […] Biographie : Michel Eyquem de Montaigne, d’une famille de commerçants bordelais, fils de Pierre eyquem qui fut conseiller à la Cour des aides de Périgueux, prévôt de la ville, jurat et maire de Bordeaux, naquit à Montaigne en Périgord le 23 février 1533, l’aîné de quatre frère et trois sœurs qui vécurent.

568. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

si j’étais protestant en Allemagne ! […] Je ne suis pas chevalier d’industrie. […] Que de réflexions, mon bon ami, fit naître en moi cette nouvelle inattendue qui concourait avec une phase si singulière de mon existence ! […] J’enviais le sort des simples qui naissent, vivent et meurent sans bruit et sans pensée, suivant bonnement le courant qui les entraîne, adorant un Dieu qu’ils appellent leur Père. […] Je voudrais pouvoir commenter, ligne par ligne, votre lettre que je viens de recevoir, il y a une heure, et vous communiquer les réflexions qu’elle a fait naître en moi en mille sens divers.

569. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Roger de Rabutin, comte de Bussy, à Épiry près Autun, en avril 1618, eut beaucoup en lui de cette veine railleuse et mordante, de cet esprit de saillies dont on fait honneur à sa province, et dont on retrouve maint témoignage direct chez les Piron, les La Monnoye, les Du Deffand. On a dit qu’il serait mieux Gascon que Bourguignon ; je ne le trouve pas. […] Il était doux… Ici nous l’arrêtons, et nous disons avec tous ceux qui l’ont connu : il était mordant, médisant à l’excès, et ne pouvant retenir le sel qui s’échappait de ses lèvres et qu’il prenait soin le plus souvent de fixer dans ses écrits. […] Il avait de la foi et de la probité aux grandes occasions, et il était insolent et sans égard mais l’adversité lui avait appris à vivre… On voit que Bussy avait le talent de peindre les physionomies et les caractères, et d’assembler les contraires dans un même point de vue, sous un même coup d’œil.

570. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Aujourd’hui pourtant, grâce à un secours bienveillant, l’idée m’est venue de le ressaisir dans l’épisode le plus saillant de sa jeunesse, dans cet épisode trop célèbre, sa liaison avec Sophie, et de m’en faire une occasion pour rassembler et rappeler quelques idées qui ne peuvent manquer de naître toutes les fois qu’on s’approche de cet extraordinaire et prodigieux personnage. […] le 9 mars 1749 d’une race florentine établie depuis cinq siècles en Provence, le cinquième de onze enfants et l’aîné des garçons, Gabriel-Honoré de Mirabeau avait, en naissant, apporté plusieurs des traits essentiels de la famille paternelle, mais en les combinant avec d’autres qui tenaient de sa mère. […] Mlle Marie-Thérèse Richard de Ruffey, si connue sous le nom de Sophie, fille d’un président à la chambre des comptes de Bourgogne, née le 9 janvier 17541, avait été sacrifiée à dix-sept ans au marquis de Monnier, premier président de la chambre des comptes de Dole, déjà veuf, et père d’une fille mariée malgré lui ; c’était pour s’en venger qu’il se remariait lui-même. […] On dit que l’ennui naquit un jour de l’uniformité : l’uniformité me sauve au contraire de l’ennui… Mais c’est trop parler de moi. […] Ce que je connais de votre esprit ce que j’ai pénétré de votre âme, a fait naître en moi des sentiments que vos yeux, tout beaux qu’ils sont, n’auraient jamais produits.

571. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

M. de Tocqueville, dans les rangs de l’aristocratie, a compris la démocratie : cela est admirable. […] qui voudra le faire taire doit lui remplir la bouche 7 » ; lorsque Richelieu, ennemi des grands, mais parmi eux, écrivait de son côté : « Si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir… il faut les comparer aux mulets, qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail », lorsque ces écrivains laissaient échapper ces outrageantes paroles, ne trahissaient-ils pas par là les sentiments secrets de leur caste ? […] Ce qui est bien autrement redoutable, c’est le mal que voici. — Supposez une société démocratique née d’une révolution qui a aboli tous les privilèges de l’aristocratie, supposez que dans cette société il y ait encore, comme dans toutes les sociétés du monde, des heureux et des misérables, des riches et des pauvres : croit-on qu’il serait difficile de persuader à ceux-ci que la pauvreté des uns et la richesse des autres sont le résultat de certains privilèges des classes supérieures, et viennent de l’oppression des pauvres par les riches ? […] Il y a donc des libertés générales qui sont nées ou qui ont grandi avec la démocratie, et qui ne sont point par conséquent incompatibles avec elle. […] Lorsque cela arrive, on crie de part et d’autre à l’apostasie, à la défection ; mais la plupart du temps, ces sortes de conversions naissent des vrais besoins de l’âme, partagée entre le doute et la foi.

572. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

La sociologie biologique n’avait de regards que pour ces « corps » sociaux qui seuls paraissent naître et se développer à la manière des organismes. […] de l’excès même de la division du travail, le « cumul des fonctions » accompagne souvent ainsi, comme pour en neutraliser certains effets, leur spécialisation. […] Un groupement dont les membres appartiennent librement, en même temps qu’à lui-même, à une multitude d’autres, sera par définition moins exclusif et moins jaloux que celui dont les membres, comme emprisonnés, n’entretiennent aucune relation avec le dehors : dans un milieu où se rencontrent les représentants de tant de sociétés différentes, l’idée naîtra plus aisément d’un Droit général supérieur aux Droits étroits des sociétés particulières. […] Il pouvait opposer, à chacune d’elles, la résistance des autres ; de la multiplication des dépendances est née son indépendance. […] Par la complication sociale, « l’individu passe au premier plan de la scène, tandis que les anciennes personnes morales dont il était englobé naguère se dissipent comme des ombres derrière cette unique figure en vif relief. » Comment, d’ailleurs, la complication sociale combat directement cette notion de classe, ennemie née de l’égalitarisme, c’est chose aisée à apercevoir.

573. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Nous naissons incorrigibles, hélas ! Nous naissons si vieux ! […] Les enfants naissent religieux, M.  […] Tant d’ouvrages naissent vieux ! […] Ils ne naquirent qu’avec le péché.

574. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

L’incurie politique, l’impiété religieuse, l’amour léger, la plaisanterie badine, la licence, la grâce, la poésie, la table, étaient les délices et les célébrités des deux époques ; il y avait plus de talent dans cette société du Temple de Rome, plus de débauche dans celle de Paris ; Horace et Virgile naissaient dans la première, Voltaire dans la seconde ; d’Horace à La Fare, de Virgile à Voltaire, on peut mesurer la distance, mais dans les mœurs et dans les plaisirs parfaite analogie. […] Ces paysages à la loupe font revivre Ustica, Tibur, Venusia, Blandusie, tous ces sites où sont nés ces vers immortels. […] IX De telles odes n’étaient évidemment pas nées de la rude terre de Rome, mais de la terre légère et embaumée des îles de l’archipel grec. […] « Que tu sois riche ou de la race antique d’Inachus, ou pauvre et issu d’une famille obscure qui supporte le poids du jour, tu mourras victime dévouée au dieu qui ne pardonne pas. […] Quel plaisir, au milieu de ces simples mets goûtés lentement sur sa table, de voir ses brebis rassasiées rentrer, ses bœufs hâter le pas vers la maison, traîner d’un cou languissant sous le joug, le soc renversé, et un groupe de serviteurs nés dans la maison se presser autour de la flamme éclatante du foyer ! 

575. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Les Phidias, les Michel-Ange, les Canova, sont nés : ces grands littérateurs, ces grands historiens, ces grands philosophes, ces grands poètes du marbre ou du bronze, ont écrit la religion, la fable, l’histoire, la gloire des peuples, en statues qui bravent le temps. […] D’ailleurs, deux sens sont convaincus et satisfaits à la fois par l’œuvre de l’artiste : l’œil voit, la main touche ; l’un de ces sens rend témoignage à l’autre, l’admiration enveloppe la statue par toutes ses faces ; la beauté, l’éclat et le poli de la matière d’où la statue semble naître immortelle, ravissent également le regard et le tact ; son éternité même imprime un respect de plus aux sens qui en jouissent. […] Canova, dans cette carrière, avait eu pour premier jouet de son enfance, à l’âge de cinq ans, le maillet et le ciseau : le métier avait commencé pour lui avant l’art. […] Ce père, mort jeune, l’avait confié à un sculpteur de ses amis, à Venise ; le jeune homme y avait appris les rudiments d’une sculpture grossière et purement industrielle ; il était peu à peu de lui-même, comme naît le véritable génie, qui ne sort pas de l’école, mais de la nature. […] On souffre du poids qui les écrase ; on voudrait soulager leurs membres qui semblent plier en se roidissant sous cette masse ; on sent que le ciseau de Phidias tremblait, brûlait dans sa main, quand ces sublimes figures naissaient sous ses doigts.

576. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Platon remerciait les dieux de ce qu’il était du temps de Socrate ; et moi je rends grâces à Dieu de ce qu’il m’a fait naître dans le gouvernement où je vis, et de ce qu’il a voulu que j’obéisse à ceux qu’il m’a fait aimer. […] Pour peu qu’on voie les choses avec une certaine étendue, les saillies s’évanouissent ; elles ne naissent d’ordinaire que parce que l’esprit se jette tout d’un côté et abandonne tous les autres. […] Chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes ; et on en tirera naturellement cette conséquence : qu’il n’appartient de proposer des changements qu’à ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer d’un coup de génie toute la constitution d’un État. […] Le désordre y naît soudain, parce que ce peuple prodigieux manque de subsistances. […] « Dans les pays du Midi, une machine délicate, faible, mais sensible, se livre à un amour qui dans un sérail naît et se calme sans cesse, ou bien à un amour qui, laissant les femmes dans une plus grande indépendance, est exposé à mille troubles.

577. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

J’avais reçu, avant de naître, le coup de quelque fée. […] Je naquis avant terme et si faible que, pendant deux mois, on crut que je ne vivrais pas Gode vint dire à ma mère qu’elle avait un moyen sûr pour savoir mon sort. […] Aucun d’eux ne naquit riche et aucun d’eux n’a pillé ni rançonné personne. […] -je ne peux pas te dire cela… Il y a des gens qui naissent pour être riches, d’autres qui ne le seront jamais. […] La preuve qu’il était pour naviguer et se battre, c’est qu’il avait une complète inaptitude pour les affaires.

578. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

La première tendance est celle des théories qui expliquent la fausse reconnaissance par une image, née au cours de la perception ou un peu avant, et rejetée aussitôt dans le passé. […] Supposons en effet que le souvenir ne se crée pas tout le long de la perception même : je demande à quel moment il naîtra. […] De chacune on est en droit de dire que son objet disparaît au fur et à mesure ; comment le souvenir ne naîtrait-il que lorsque tout est fini ? […] Plus on y réfléchira, moins on comprendra que le souvenir puisse naître jamais s’il ne se crée pas au fur et à mesure de la perception même. […] Ainsi naît l’illusion que le souvenir succède à la perception.

579. (1932) Le clavecin de Diderot

Que tel individu naisse doué d’un mode d’expression déterminé, tout va conspirer à le vouer à ce mode d’expression, donc à le limiter sans droit de les outrepasser à des recherches purement formelles. […] De l’obscurantisme, est , a vécu, continue de vivre l’idée de Dieu. […] Chaque miette se paie d’un cantique, et cela, au nom de Dieu, ce complexe d’idées nées de l’assujettissement de l’homme à la nature affermissant cette oppression, assoupissant la lutte de classes (Lénine). […] Fils d’une femme d’amour, il est à cent coudées, certes, au-dessus de ses contemporains et cadets nés de parents unis en justes noces. […] Byron aurait eu des relations incestueuses avec sa demi-sœur Augusta, dont serait née une fille, nommée Medora.

580. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Le 13 mars 1820, c’est la poésie lyrique qui venait de naître en France. […] Lamartine est le 21 octobre 1790, à Mâcon. […] Lamartine est à la campagne. […] C’est tout un monde que chacun porte en lui, un monde ignoré, qui naît et qui meurt en silence. […] Il est à Paris, il a toujours vécu à Paris.

581. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Ici, la philosophie est une conversation ; elle naît dans les gymnases, sous les portiques, sous des allées de platanes ; le maître parle en se promenant, et on le suit. […] En effet, il déclare que le monde est mauvais et que l’homme est gâté ; et certes, au siècle où il naquit, cela était indubitable. […] Etant de tels parents, il est naturel que tu sois en tout le premier. […] Il a foudroyé les Titans, le monstrueux Typhoée aux cent têtes de dragons, les noires exhalaisons qui, nées de la terre, s’entrelaçaient comme des serpents et envahissaient la voûte céleste. […] Un autre de ses plus vieux surnoms, Tritogénie, née des eaux, rappelait aussi qu’elle était née des eaux célestes, ou faisait penser au miroitement lumineux des flots.

582. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

C’est la génération dont fait partie Flaubert, cette même année 1821, la génération dont les Essais de M.  […] Le siècle, qui avait deux ans quand naquit Victor Hugo, atteint sa majorité, vingt et un ans, quand naissent Baudelaire et Amiel. […] Ils ne pourraient absolument naître, ni être sentis, dans une vie de village ou de petite ville. […] Son centenaire coïncide avec celui d’Émile Augier, comme lui en 1820. […] Amiel est en 1821.

583. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Ces passions ne doivent point être rangées dans la classe des ressources qu’on trouve en soi ; car rien n’est plus opposé aux plaisirs qui naissent de l’empire sur soi-même, que l’asservissement à ses désirs personnels. […] La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme.

584. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Victor Hugo a peint cet abus dans des vers pittoresques : La langue était l’état avant quatre-vingt-neuf : Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versailles aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires. […] Je massacrai l’albâtre, et la neige, et l’ivoire ; Je retirai le jais de la prunelle noire, Et j’ose dire au bras : sois blanc, tout simplement… J’ai de la périphrase écrasé les spirales ; Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ; Et je n’ignorais pas que la main courroucée Qui délivre le mot, délivre la pensée… Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses… Tel mot est un sourire et tel autre un regard… Ce qu’un mot ne sait pas, un autre le révèle.

585. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Je suis le dieu sans nom aux visages divers, Mon âme il illimitée est le palais des êtres ; Je suis le grand aïeul qui n’a pas eu d’ancêtres, Dans mon rêve éternel flottent sans fin les deux ; Je vois naître en mon sein et mourir tous les dieux. […] Quand mon esprit aspire à la pleine lumière, Je sens tout un passé qui le tient enchaîné ; Je sens rouler en moi l’obscurité première : La terre était si sombre, aux temps où je suis  !

586. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

Et c’est pourquoi, non seulement certains hommes ne sont éloquents que parce qu’ils sont révolutionnaires ; mais on en cite qui, peut-être à leur insu, ne sont devenus révolutionnaires que parce qu’ils étaient nés éloquents ; qui, partis du criticisme un peu timide du centre gauche, ne se sont arrêtés que là où ils trouvaient l’emploi total de leur éloquence magnifique, violente et vague, et qui, menés par leur langue, dupes de leur propre séduction, ont sans doute fini par croire qu’ils remplissaient une mission, quand ils ne faisaient qu’accomplir une fonction naturelle et fatale. […] Car nous avons beau savoir que les fauteurs de révolte ont toujours participé largement de l’égoïsme contre lequel ils s’insurgeaient ; que, si la justice et la charité appellent quelquefois les révolutions, c’est la haine et l’envie qui les accomplissent, et que, par exemple, ce sont les meneurs de grèves qui, nés capitalistes, eussent été les plus durs patrons : il semble parfois que, les révolutions faites, il en revienne tout de même quelque chose, au bout d’un certain temps, aux résignés, aux humbles de cœur, bien qu’elles n’aient été faites ni par eux ni même, au fond, pour eux ; et il arrive ainsi que les violents et les féroces paraissent finalement avoir travaillé pour la justice… Ou peut-être que je m’abuse, et que le bénéfice humain acquis par des moyens révolutionnaires eût pu l’être, et mieux, par un progrès uniquement légal et pacifique.

587. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

On naît chirurgien, comme on naît poète ou rôtisseur.

588. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Au XVIIIe siècle, c’est précisément là qu’est l’Opéra-Comique. […] Champi-Tortu était avec son romancier. […] La poétesse était née en 1876. […] Bernstein était en 1876. […] en 1891 et mort en 1920, auteur de L’Internationale des Soviets, La Vie ouvrière, 1919.

589. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Négligera-t-on le nœud, l’intérêt duquel résultent la curiosité qu’elle excite, et l’émotion qu’elle fait naître ? […] « De leurs froideurs sont nés les guerriers de Pharsale, « Qui de luxe et d’orgueil marchent appesantis. […] Elle s’accorde encore à la tendance naturelle aux hommes, nés de tout temps enclins à s’effrayer de leur destinée future. […] De là naissent les contrariétés des jugements critiques sur l’intervention ou l’omission du merveilleux dans telle ou telle épopée, et sur l’essence du merveilleux convenable à chacune. […] Les premiers poètes vinrent d’Égypte et d’Asie, chanter dans les îles de la Grèce : c’est aussi d’un coup de trident que naquit ce coursier ailé.

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