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446. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 122-123

Rien de plus moral & de mieux écrit encore, que son Poëme en prose de la Paresse, prétendu traduit du Grec, Ouvrage plein de chaleur & d’imagination, qui annonce une grande connoissance de la Mythologie, & l’art de la mettre en œuvre sans ostentation.

447. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 363-365

Il a cultivé différentes branches de la Littérature ; & ses Productions, soit didactiques, soit historiques, soit morales, annoncent en général l’homme instruit, l’observateur éclairé qui connoît les hommes, & sait peindre les vices & les vertus avec les couleurs qui leur sont propres ; mais trop de diffusion, quelquefois de la sécheresse, & assez souvent un ton peu naturel, défigurent son style, & l’excluent du nombre des bons Ecrivains.

448. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Comment donc forcer l’esprit humain à rétrograder, et lors même qu’on aurait obtenu ce triste succès, comment prévenir toutes les circonstances qui pourront donner aux facultés morales une impulsion nouvelle ? […] Les affections modifient toutes nos opinions sur tous les sujets : l’on aime tels ouvrages parce qu’ils répondent à des douleurs, à des souvenirs qui disposent de nous-mêmes à notre insu ; l’on admire avant tout certains écrits, parce que seuls ils ont ému toutes les puissances morales de notre être.

449. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXIV. Conférence sur la conférence » pp. 291-305

Valait-il mieux, laissant intactes les légendes, tirer de tel ou tel acte de tout à l’heure un problème moral bon à retourner ensemble, en attendant qu’il soit neuf heures et demie ? […] C’est Voltaire qui, lisant Athalie, s’exclamait : « On a honte de faire des vers quand on en lit de pareils. » Pareillement, et malgré l’autorité de notre aimable Marcel Prévost, qui, tout en continuant avec un dévouement dont on lui sait gré ce qu’il appelle la tradition des gentils conteurs, adresse à sa clientèle spéciale des consultations pour les maladies morales secrètes, et enseigne aux nobles lectrices du Temps, pour moitié protestantes et pour moitié israélites, les principes de la galanterie nationale et honnête, en un style troublant qui fleure le pot-au-feu au patchouli, malgré l’exemple du jeune et courageux écrivain, n’osons-nous plus tenter ces petits divertissements psychologiques pour peu que nous venions de relire ou Stendhal ou Balzac ou Tolstoï.

450. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Nous sommes à chercher dans les historiettes un seul endroit où, sous la pression d’un fait quelconque, vibre le sentiment moral. […] De 1572 à 1600, — et les Historiettes vont jusqu’en 1669, — le 93 moral, précurseur du 93 politique, qui n’est que l’écroulement terminal et matériel, est définitivement accompli.

451. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

II Le voici donc tout entier, ce livre qui, je l’ai dit, nous donne un Richepin aussi contenu qu’il avait été jusque-là incontinent, et aussi moral qu’on peut l’être sans Dieu ; car M.  […] Excepté le bohème (Nargaud), qui est le justicier en ce roman, moral à sa manière ; excepté ce paroxyste, comme il l’appelle, dont la prose est… les vers de Richepin auxquels il a enlevé la rime ; excepté deux ou trois scènes d’amour où se retrouve un peu de l’ancien Richepin des Caresses, le roman de Madame André n’a que le spiritualisme de l’analyse, qui regarde surtout dans le cœur et qui en épingle les ténuités.

452. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Si les orateurs grecs et romains touchent en nous les cordes du patriotisme et les notions générales de l’intérêt public, ce dont nous parlent nos orateurs chrétiens — le dogme mis à part, — c’est toute notre vie morale et toutes les grandes questions métaphysiques et morales, que notre conduite journalière tranchera à notre insu, si nous ne les résolvons avec réflexion ; c’est une conception générale de la vie et de l’être, qui se dégagera malgré nous de nos actes, si nous ne les dirigeons pas par elle. […] Mais, malgré tout, les chapitres de la Grèce et de Borne sont remarquables : Bossuet a mis en lumière la force de quelques causes morales, amour de la patrie, respect de la loi ; il a saisi le rapport des faits à certaines institutions ou traditions ; il a expliqué la lente et sûre formation de la grandeur romaine par les qualités d’endurance et de discipline de la race, par l’organisation militaire, par l’esprit conservateur du sénat qui, dans la politique étrangère, met la continuité ; la moitié des Considérations de Montesquieu vient de Bossuet. […] Son discours a un caractère avant tout moral et pratique : il s’attache à régler la conduite. […] Ces portraits ne sont point abstraits précisément, mais purement moraux et psychiques, absolument dépourvus de couleur et d’éléments sensibles. Il ne s’agit pour le prédicateur que de marquer des formes d’âmes et de tracer les effets mécaniques des forces morales.

453. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Le dégoût physique et le dédain moral se marquent par la bouche ouverte comme pour rejeter un aliment qui déplaît, par l’expiration à travers le nez comme pour repousser une mauvaise odeur, par les yeux demi-fermés comme pour ne pas voir, enfin par les mains levées comme pour écarter l’objet. […] Si l’expression est la même pour la sensation physique et le sentiment moral, c’est que les deux ont leur unité non pas seulement, comme a dit Sully-Prudhomme, dans le même « champ de la conscience », mais encore dans un même mouvement de l’appétit et de la volonté. […] Quelles que soient les causes, quels que soient les objets, nous ne pouvons faire que désirer ce qui augmente notre activité et repousser ce qui la diminue : la langue des émotions, qu’elles soient physiques ou morales, n’a donc au fond que deux mots traduits de mille manières et avec mille nuances : oui et non. […] C’est la différence de tempérament et de caractère moral entre les deux animaux qui associe à des nuances de sentiments différentes des attitudes également différentes : l’une expansive, l’autre « concentrique ». […] Sully-Prudhomme (l’Expression dans les beaux-arts) a fait un long tableau des expressions physiques appliquées au moral.

454. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 74-75

Ses Bagatelles Morales ont eu d’abord le plus grand succès, mais l’examen a bientôt fait connoître que ce n’étoient que des bagatelles.

455. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1853 »

Dans cette âpre lutte contre les préjugés sucés avec le lait, dans cette lente et rude élévation du faux au vrai, qui fait en quelque sorte de la vie d’un homme et du développement d’une conscience le symbole abrégé du progrès humain, à chaque échelon qu’on a franchi, on a dû payer d’un sacrifice matériel son accroissement moral, abandonner quelque intérêt, dépouiller quelque vanité, renoncer aux biens et aux honneurs du monde, risquer sa fortune, risquer son foyer, risquer sa vie.

456. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Derrière le milieu physique il y a donc un milieu moral et même intellectuel, qui commande son activité. […] Il la formule en quelques lignes très simples à la dernière page : « En 1830 un climat politique, intellectuel et moral a pris fin. […] Il est à la fois très solitaire dans son existence personnelle, et très préoccupé des drames moraux qui peuvent se passer dans la conscience des hommes d’aujourd’hui. […] Son but, dit ce règlement, est avant tout moral et religieux. […] Ce pitoyable écroulement moral contraste sinistrement avec les scènes et les propos que rapporte Bülow.

457. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guimberteau, Léonce »

Autant que je suis informé, il me semble bien que nos versificateurs les plus connus reflètent assez exactement le désarroi moral et intellectuel de notre temps.

458. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Argument » pp. 249-250

C’est que les caractères des héros qu’il a peints ne se rapportent pas à des êtres individuels, mais sont plutôt des symboles populaires de chaque caractère moral.

459. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Combien plus hautes et sérieuses, et utiles, les recommandations morales, dans le moins coûteux de nos Manuels Civiques ! […] Elles sont désintéressées de telles croyances, parce qu’elles sont des religions purement morales et positives. […] Vivons la vie de Tous, devenons l’Humanité : cette règle Wagnérienne explique, seule, les cinq prétextes moraux que donne Tolstoï aux curieux de la joie. […] Il n’arrive pas à son âge naturel, et n’a pas une mort douce ; mais il est précipité à travers des misères morales et des souffrances physiques qu’il est seul à connaître (R. et A.). […] L’idéal moral, d’intime séduction, vêt la forme des durs conseils immédiats.

460. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

C’est le cas encore pour ce qui rentre dans le cadre des sciences dites morales et politiques, par exemple pour l’histoire et la philosophie. […] Il ne lui a plus suffi d’interroger la conscience ; elle a senti la nécessité de connaître les résultats où chaque science particulière aboutit, de relier les phénomènes physiques aux phénomènes moraux, de rattacher par exemple la psychologie à la physiologie. […] Il a été scientifique par l’effort des auteurs pour arriver à l’impassibilité, pour éliminer l’émotion personnelle, pour reproduire la réalité tout entière avec l’implacable fidélité d’un miroir, pour substituer à tout parti pris moral la leçon de choses qui se dégage de l’enchaînement des causes et des effets. […] On verrait, par exemple, comment les théories microbiennes d’un Pasteur, ses recherches sur les infiniment petits des corps ont pour pendant les fines études des romanciers analystes, les subtiles anatomies morales d’un Bourget coupant, comme on l’a dit, un cheveu en quatre, ses tentatives pour pousser ses délicates dissections jusqu’au plus menu détail, son talent à saisir et à rendre visibles les infiniment petits du cœur humain ; on verrait comment cette prédominance de l’esprit d’analyse se marque, dans l’érudition du temps, par des discussions acharnées sur un point ou une virgule, par une foule de travaux minutieux dont les auteurs fouillent à la loupe avec une patience infatigable quelque coin exigu du passé.

461. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LV » pp. 213-214

Au fait, quel que soit le vote, le coup moral est porté.

462. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

On n’aurait pas la clef de cette révolution ministérielle et le secret qui, dès le principe, est dans l’état moral de Bernis, si on ne lisait les lettres véritablement désespérées qu’il adressait coup sur coup à Mme de Pompadour pour qu’on lui donnât le successeur et le collaborateur désiré : en voici quelques passages : Je vous avertis, madame, et je vous prie d’avertir le roi que je ne puis plus lui répondre de mon travail. […] Ce n’est plus un ministre ni un homme d’État, c’est un malade qui écrit et qui nous énumère les symptômes dont il est atteint : coliques d’estomac qui durent dix heures, étourdissements fréquents et qui augmentent, insomnies opiniâtres : « Mon visage est quelquefois comme celui d’un lépreux, parce que la bile arrêtée s’est portée à la peau. » Son cri perpétuel est qu’il n’en peut plus, et que son moral même est ébranlé : Je vous en avertis, ma tête est malade (septembre 1758) : avec du repos et l’espérance de ne me pas déshonorer, je me rétablirai ; sans cela, je tomberai dans un état où il ne me sera plus possible de faire aucun travail… Mais qu’on me sauve du déshonneur si on veut conserver ma tête et ma vie ! […] Ce n’est pas nous qui ferons un reproche à Bernis d’une si honorable susceptibilité : mais il est évident que son moral était plus affecté qu’il ne convient à un homme chargé de conduire de grandes affaires, et que la responsabilité ministérielle était désormais trop forte pour lui.

463. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

… » Mais il y met son originalité et y ajoute sa flamme, un sentiment moral et religieux qui ne l’abandonne jamais, un éclair de saint Paul et des apôtres, avec l’appréciation toutefois d’un confort et d’un bien-être que les apôtres ne connurent jamais. […] Viens lui parler de devoir, de convenance, lui dire combien la vérité morale est aimable, combien le sens moral infaillible… Ne t’épargne pas sur ce sujet… Déploie toutes tes facultés de déclamation et d’emphase à la louange de la vertu… Pousse ta prose éloquente jusqu’à surpasser l’éclat de la poésie… Il y manque toujours une toute petite parole à voix basse, que Celui-là seul peut prononcer de qui le verbe atteint d’un coup son plein effet, et qui dit aux choses qui ne sont pas d’être, et elles sont à l’instant. […] On trouverait encore de profondes différences morales entre Rousseau et Cowper, en ce que l’un aspire à se passer d’autrui, affecte de s’isoler et de se mettre en guerre ou en divorce avec le genre humain, et que l’autre, au contraire, aime à devoir aux autres, à ceux qu’il aime, et à se sentir leur obligé.

464. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Elle compatit aux pauvres gens et aux affligés que frappe cette banqueroute ; elle en donne les détails et les chiffres précis à Senac de Meilhan, son correspondant très cher ; et, voyant la superbe famille de Rohan si humiliée et par cette catastrophe et par d’autres accidents qui bientôt suivirent, elle en revient aux réflexions morales ; elle se félicite au moins de ne tenir à rien, et de ne point prêter à ces revers subits du faste et à ces chutes de l’ambition ; elle se rejette dans la médiocrité, comme disait La Bruyère : Ô obscurité, s’écrie-t-elle avec un sentiment moral qui ferait honneur à toutes les conditions, tu es la sauvegarde du repos, et par conséquent du bonheur ; car qui peut dire ce qu’on serait en voulant des places, des biens, des titres, des rangs au-dessus des autres, où on arrive par l’intrigue, où on se maintient par la bassesse, et dont on sort avec confusion souvent, et toujours avec douleur ? […] Ses cahiers et notes, quand elle noircissait du papier, devaient être surtout de réflexions morales et de jugements concis.

465. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Nodier, avons-nous dit, le connut et le comprit dès l’origine ; Ballanche, qui, parti d’une philosophie tout opposée, a tant de conformités morales avec lui, l’apprécie dignement. […] Dans les autres écrits de M. de Sénancour, soit ceux qui précèdent, soit ceux que j’omets (le livre essentiel et ingénieux de l’Amour, les réfutations de MM. de Chateaubriand et de Bonald, le Résumé des traditions morales et religieuses chez tous les peuples, etc.), presque toujours on rencontre à l’occasion une sorte d’aigreur sardonique contre le christianisme tel que les âges l’ont constitué et transmis ; car, pour son essence prétendue primitive et le caractère purement moral de son fondateur, M. de Sénancour serait disposé à lui rendre hommage.

466. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Et, en effet, les romans de M. de Glouvet sont très moraux. […] Et je ne m’en plains pas, car ce souci d’un bon cœur n’est point incompatible avec l’art ni avec l’observation ; il implique de la cordialité, de la simplicité, de la gravité ; puis, la littérature d’aujourd’hui nous a tant déshabitués des « récits moraux et instructifs » que, lorsqu’il s’en présente un par hasard, on est tout prêt à trouver cela original, on est charmé, on est ému et on s’en sait bon gré ; on se dit comme le Blandinet de Labiche : « Mon Dieu ! […] Mais (et ici reparaît la perspicacité du magistrat, qui doit être en même temps un homme très moral et très clairvoyant) un jour la chair reprend ses droits : de quoi les deux amants se punissent en se séparant pour jamais.

467. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Dans l’allégorie, le concept moral ou philosophique préexiste à sa forme plastique ; dans le symbole il est ordinairement le résultat de l’étude des formes. […] Leur œuvre est un symbole, car ils ne se bornent pas à signifier mieux l’individu, mais déduisent de son attitude physique quelque large attitude morale et, sans y avoir pensé peut-être, le rattachent ainsi au cercle moral de la Vie. […] En outre, comme presque toujours l’importance du concept moral est exagéré à l’entier détriment du concept plastique, l’œuvre perd toute vie en même temps qu’est rompu l’équilibre d’où elle devait surgir.

468. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Marmont, dans ses rapports avec les troupes ou avec les populations, a toujours eu ce côté sympathique qui s’adresse au moral de l’homme. […] En prenant ce commandement des mains de Masséna, il ne se fait aucune illusion sur les difficultés de la tâche et sur la nature des moyens ; après quelques considérations sur le pays, théâtre de la guerre, il en vient au moral et au matériel des troupes : De la misère, dit-il, de l’indiscipline, du mépris de l’autorité, un mécontentement universel, et un désir immodéré de rentrer en France de la part des généraux ; une artillerie détruite en entier, et point de munitions ; une cavalerie réduite à peu de chose, et ce peu dans le plus mauvais état ; l’infanterie diminuée de près de la moitié : tel était tout à la fois le pays dans lequel je devais agir, et l’instrument dont il m’était donné de me servir. […] Les récits de Marmont s’animent ainsi naturellement, et sans qu’il y vise, de ces impressions morales et guerrières ; on sent toujours l’homme en lui.

469. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Mais, encore une fois, Grimm, en y voyant les défauts, ne sacrifie pas la tragédie française à celle de nos voisins ; il reconnaît que chaque théâtre est approprié à la nation et à la classe qu’il émeut et qu’il intéresse : « L’un (le théâtre anglais) ne paraît occupé qu’à renforcer le caractère et les mœurs de la nation, l’autre (le théâtre français) qu’à les adoucir. » Grimm va plus loin ; il pense que ces mêmes tableaux que l’une des deux nations a pu voir sans aucun risque, quelque terrible et quelque effrayante qu’en soit la vérité, pourraient bien n’être pas présentés sans inconvénient à l’autre, qui en abuserait aussitôt : « Et n’en pourrait-il pas même résulter, se demande-t-il, des effets très contraires au but moral de la scène ?  […] Il en est une surtout qui rentre dans l’ordre moral et littéraire : « M. de Buffon m’a toujours étonné, dit Grimm, par l’intime conviction qu’il paraît avoir de la certitude de sa théorie de la terre. […] Je recommande comme un très beau chapitre moral à opposer aux assertions de Rousseau, le chapitre qui commence l’année 1756 en ces mots : « J’ai souvent été étonné du vain orgueil de l’homme… » Grimm commence quelquefois l’année par des réflexions générales qui sont belles dans leur sévérité.

470. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Que cet amour de l’équilibre physique et moral n’est qu’une part d’un amour plus général, celui de la vie, un indice le montre. […] Faut-il citer toute la psychologie scientifique et toute l’ethnologie pour montrer que c’est rétrograder vers le passé, que de considérer en l’homme l’être instinctif et inconscient de préférence à l’être conscient, pensant, voulant, résolu et moral ? […] Zola est le seul à donner cette sensation d’humanité vivante et souffrante, et il y parvient, comme tous les grands artistes, en nous montrant des âmes, des êtres moraux.

471. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Le doute méthodique de Descartes est une bonne chose pour tout le monde ; l’analyse des erreurs des sens et de l’imagination est aussi vraie pour Helvétius qu’elle l’est pour Malebranche ; les sentiments moraux ont été analysés par les Écossais d’une manière que toute école peut admettre ; ainsi de la méthode inductive dans Bacon, de la théorie du langage dans Locke et Condillac, de la théorie de l’habitude dans Maine de Biran, etc. […] On a dit souvent que la cause des erreurs philosophiques est dans nos passions, et que si les vérités géométriques étaient aussi contraires à nos passions que le sont les vérités morales et religieuses, il y aurait autant d’hommes qui nieraient la géométrie qu’il y en a pour nier Dieu et la vie future. […] Si Lucrèce exprime avec force l’influence du physique sur le moral, je ne dois point me fermer les yeux pour ne pas voir la vérité qu’il me présente, parce qu’un matérialiste et un athée peuvent en abuser.

472. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Voluptueux aussi en littérature, d’une délicatesse presque morbide, mais naturaliste de fin fond, malgré les convenances morales de la surface, Sainte-Beuve a été séduit sans nul doute par cet enchanteur de Rivarol, qu’il a classé parmi les délicats qu’il aime, et chez lequel le critique du dix-neuvième siècle, assez indifférent· aux idées, a vu surtout les grandes qualités oratoires qui auraient pu devenir si aisément de grandes qualités littéraires. […] Pour l’acquit probablement de sa conscience d’éditeur littéraire, M. de Lescure a recueilli, il est vrai, comme un double échantillon des aptitudes littéraires et philosophiques de Rivarol, le Discours (si connu du reste) sur l’universalité de la langue française, couronné par l’Académie de Berlin, et le Discours (moins apprécié) sur l’homme intellectuel et moral, d’un si mâle spiritualisme encore malgré les influences de toutes les philosophies du xviiie  siècle, qui tendaient à l’anéantir. […] J’ai signalé déjà le spiritualisme du Discours sur l’homme intellectuel et moral.

473. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Ces braves gens laissaient passer à côté d’eux la comédie de Robert Macaire sans y apercevoir de grands symptômes moraux et littéraires. […] Quant au moral, le fond était le même que celui du Pierrot que tout le monde connaît : insouciance et neutralité, et partant accomplissement de toutes les fantaisies gourmandes et rapaces au détriment, tantôt de Harlequin, tantôt de Cassandre ou de Léandre. […] Ses conceptions comiques les plus supra-naturelles, les plus fugitives, et qui ressemblent souvent à des visions de l’ivresse, ont un sens moral très-visible : c’est à croire qu’on a affaire à un physiologiste ou à un médecin de fous des plus profonds, et qui s’amuserait à revêtir cette profonde science de formes poétiques, comme un savant qui parlerait par apologues et paraboles.

474. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Désormais, jusqu’à l’avènement d’une nouvelle religion, si elle doit venir, les sentiments moraux n’existent plus au cœur de l’homme sous forme religieuse. […] Le problème moral leur a semblé être l’ancienne religion à rétablir intégralement ou à restaurer partiellement. […] Brillants idéologues, beaux polémistes ou timides restaurateurs, tels sont, en choses religieuses et morales, les philosophes que j’ai réunis ici. […] Ils auraient le bonheur moral absolu, et il n’y a pas d’autre bonheur que le bonheur moral. […] Mais que pense-t-elle du grand fait moral qui sépare l’antiquité des temps modernes et fait de l’une et l’autre époque comme des mondes différents ?

475. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

J’ai eu beau me tâter, je n’ai pu me repentir ; mais, mon cher directeur, je suis pourtant resté un peu effrayé de voir à quel point la critique littéraire devient difficile, quand on n’y veut mettre ni morgue ni injure, quand on réclame pour elle une honnête liberté de jugement, le droit de faire une large part à l’éloge mérité, de garder une sorte de cordialité jusque dans les réserves, Depuis, en effet, que j’ai parlé des deux romans qui, dans ces dernières années, ont le plus piqué l’attention du public et auxquels je n’avais accordé, ce me semble, que des éloges motivés et tempérés, je n’ai cessé, en toute occasion, d’être dénoncé par des confrères vigilants comme un critique peu moral, presque un patron d’immoralité. […] qu’il ne se croyait un peu moins béotien que depuis ce temps-là ; j’apprécie moi-même assez sa fluidité et son agréabilité de causeur littéraire, bien moins, il est vrai, ses romans moraux ; mais je n’aurais pas attendu un tel procédé de ce galant homme65.

476. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

L’état moral où il a trouvé la population française prêtait beaucoup, il est vrai, à cette inoculation soudaine d’une poésie qu’aiguiserait le chant. […] par quelle combinaison toute neuve de sujets et de chants a-t-il trouvé moyen de satisfaire aux convenances morales de l’âge, des rapports privés, à l’attente du pays et à sa propre gloire ?

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