Et pour vous informer de la vérité, je commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; je suis venu au monde avec les faits et les événements, et y ai toujours pris grand’plaisance plus qu’à autre chose ; et Dieu m’a fait la grâce d’avoir toujours été de toutes les cours et hôtels des rois, et spécialement de l’hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble reine sa femme, Madame Philippe de Hainaut, de laquelle en ma jeunesse je fus clerc et secrétaire. […] À toutes ses questions le comte de Foix répond volontiers, et il promet à l’historien pour son ouvrage un crédit dans l’avenir et une fortune que nulle autre histoire ne lui disputera : « Et la raison en est, disait-il, beau Maître, que depuis cinquante ans en çà sont advenus plus de faits d’armes et de merveilles au monde qu’il n’en étoit de trois cents ans auparavant. » Encouragé par un tel suffrage, Froissart s’applique de plus en plus à mettre son langage au niveau des actions qu’il a à raconter ; car il n’a rien tant à cœur que d’étendre et rehausser sa matière, dit-il, et d’exemplier (enseigner par des exemples) les bons qui se désirent avancer par armes. […] Il a la morale de son temps, celle des seigneurs et chevaliers qu’il hante et qu’il sert ; il a le culte de ce qui paraît beau et brillant autour de lui, de ce qui rapporte profit, honneur et renommée à travers le monde.
Le Nôtre, qui était le premier homme du monde dans son art, n’a jamais observé dans ses jardins une symétrie plus parfaite ni plus admirable que celle qu’Homère a observée dans sa poésie. […] Ce soufflet appliqué par hypothèse à M. de La Motte, et qui nous rappelle celui que Madame, mère du Régent, donna un jour à son fils, retentit alors dans ce monde railleur comme si réellement il avait été donné par Alcibiade ou par Mme Dacier. […] Après un examen poli, mitigé et complaisant, il concluait que les deux adversaires pouvaient se tenir quitte à quitte, et qu’ils étaient suffisamment d’accord dans l’essentiel, à savoir, « qu’Homère est un des plus grands esprits du monde, et qu’il a fait le premier une sorte de poème auquel nul autre, le tout pour le tout, n’a jamais été préféré ou préférable ».
Il vit peu dans le monde, ou du moins il n’y donne qu’une partie extérieure de lui-même et ce qui est de représentation, il s’isole le reste du temps ; il passe des journées entières dans les forêts, au spectacle de la nature, et dans cette tour qui était son cabinet de travail. […] Venu au monde la même année que Buffon (1707), d’une famille de paysans et de ministres ou vicaires de campagne, il prit goût aux plantes tout en se jouant dans le jardin du presbytère paternel ; son père occupait ses loisirs à cette culture, et l’on raconte que la mère de Linné, pendant sa grossesse, ne cessait de suivre avec intérêt les travaux de son mari. […] … Et encore : « Buffon, toute sa vie, fut combattu entre des idées opposées : sa tête semble un chaos sublime, sillonné de mille éclairs et plein des germes des mondes futurs. » Il me semble que l’historien, en ces endroits, a fait un Buffon trop semblable à Diderot, cette tête fumeuse.
Pour donner une forte idée des plaisirs véritables dont jouissent les bienheureux, l’orateur se dit ainsi qu’à ses auditeurs : « Philosophons un peu avant toutes choses sur la nature des joies du monde. » Et il va tâcher de faire sentir par ce qui manque à nos joies ce qui doit entrer dans celles d’une condition meilleure : « Car c’est une erreur de croire qu’il faille indifféremment recevoir la joie de quelque côté qu’elle naisse, quelque main qui nous la présente. […] Il est l’Apôtre sans art d’une sagesse cachée, d’une sagesse incompréhensible, qui choque et qui scandalise, et il n’y mettra ni fard ni artifice : Il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs ; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine. […] À la vérité, chrétiens, ils sont dignes d’être distingués des autres, et ils font un des plus beaux ornements du monde.
… Je m’étonne de vous voir trahi en votre conseil même, voire de la plus proche qu’avez au monde (Catherine de Médicis). […] Un Alexandre, c’est un héros d’Homère qui s’élance tout formé et d’un seul jet des mains de Philippe et d’Aristote, et qui conquiert le monde en faisant trois pas comme un jeune dieu. […] Voyez les œuvres de Dieu envers ceux qui se sont toujours fiés en lui… Je me porte très bien, Dieu merci ; vous jurant avec vérité que je n’aime ni honore rien au monde comme vous ; et vous garderai fidélité jusques au tombeau.
La profession de poète agréable n’existe donc plus, bien que l’étoffe dont était fait ce genre de poètes n’ait pas péri, et qu’il y ait par le monde bon nombre de ces demi-vocations errantes qui ne savent plus à quoi se prendre et qui sont réduites souvent à viser trop haut, à se forcer en pure perte, faute d’avoir trouvé à se loger dans la médiocrité animée et riante qui était leur milieu naturel. […] Il n’était pas un grand seigneur ni un gentilhomme ; ce n’était qu’un bourgeois très comme il faut, qui ne pouvait paraître dans ce grand monde de Versailles que moyennant une charge. […] Il disait la même chose des mémoires de Gourville, sous prétexte que « le style de ce livre était trivial et n’avait rien du tout de cette politesse que Gourville s’était acquise par un grand usage du monde. » S’il s’était borné à dire que le premier éditeur (1724) avait pu les retoucher à tort çà et là, il aurait dit juste ; mais il allait bien plus loin, et il les déclarait hardiment un livre apocryphe.
Les éloges de Chateaubriand, qui sont ce qui l’a le plus flatté au monde, le touchent, mais ne l’enivrent pas ; il se connaît : « J’ai pris ma mesure il y a longtemps, dit-il ; j’ai au moins le mérite d’avoir utilisé mon petit talent, et c’est bien quelque chose. » Le voilà dans son orgueil littéraire, mais rien de plus. […] Il houspillait son monde et le servait. […] Rouget de Lisle, ce Tyrtée de la France, comme on l’avait surnommé, et qui avait eu dans sa vie un éclair d’inspiration sublime, n’avait reçu qu’une fois cette visite du génie, ce don de l’à-propos ; à partir du jour où il eut fait, presque sans le savoir, la Marseillaise, et où elle s’était élancée de son sein, effrénée et légère, courant le monde d’une aile enflammée, il était resté, lui, étonné, ébloui, et tout à fait décontenancé ; on aurait dit qu’il n’était plus que la dépouille laissée à terre de son immortelle chanson.
Depuis quelques mois, un académicien ne peut aller dans le monde sans être assailli de questions : « Qui allez-vous nommer ? […] il n’y a point, de par le monde, un si grand nombre de gens éloquents. […] Et quand même, après examen et franche discussion, « il ne sortirait pas de résultat bien différent de celui qu’on peut attendre du monde d’aujourd’hui, ce serait du moins une satisfaction accordée à la minorité de l’Académie ; car voir surgir sans cesse des candidats imprévus, qui ne relèvent que de leur caprice et du bon plaisir d’une majorité qui les suscite ou qui les adopte sans jamais donner de raisons ni d’explication ; subir ces choix de confrères nouveaux, sans avoir eu soi-même voix au chapitre (car un vote muet n’est pas une voix), sans avoir été mis préalablement à même de parler et de répondre, de dire ce qu’on pense et de faire dire aux autres ce qu’ils pensent aussi, sans avoir été bien et dûment vaincu ou (qui sait ?)
Les lettres qu’elle écrivait à cette dernière, pendant son voyage d’Espagne, étaient lues de tout ce monde délicat ; on se les montrait discrètement, et Mme de Sévigné les goûtait fort : « Ce sont, disait-elle à sa fille, des relations qui font la joie de beaucoup de personnes. […] Quant à la personne même qui les a écrites, Saint-Simon, si sévère, si injuste pour l’illustre maréchal, son fils, a tracé d’elle, dans sa vieillesse, un portrait unique : « Cette marquise, nous dit-il, était une bonne petite femme sèche, vive, méchante comme un serpent, de l’esprit comme un démon, d’excellente compagnie, qui avait passé sa vie jusqu’au dernier bout dans les meilleures et les plus choisies de la Cour et du grand monde, et qui conseillait toujours « son fils de ne point donner de scènes au monde sur sa femme, de se vanter au roi tant qu’il pourrait, mais de jamais ne parler de soi à personne.
Leconte de Lisle n’avait réuni que des poésies inspirées par des récits des bas temps, du Bas-Empire, par des légendes de moines de la Thébaïde, par les chants de bardes écossais et scandinaves ; mais il y a d’autres pièces qui ne sont que sauvages, et d’autres qui appartiennent à des mondes très-civilisés (l’Inde, la Perse), et même à la Grèce. […] Doué d’une harmonie pleine et d’un vaste pinceau, en possession d’une sorte de sérénité et d’impassibilité native ou acquise, désoccupé ou guéri de passions pour lui-même, il voyage à travers le monde de l’histoire et les diverses contrées, il revêt indifféremment et presque également bien les formes les plus diverses ; il exprime avec vigueur et relief les manifestations les plus variées de l’histoire, de la nature et de la vie. […] Mais l’âme s’en pénètre ; elle se plonge, entière, Dans l’heureuse beauté de ce monde charmant ; Elle se sent oiseau, fleur, eau vive et lumière.
Foucault lui en amène deux cents ; et voilà tout ce monde en marche, sans s’être bien assuré qu’il n’y savait point de neige par les passages : le gentilhomme que le maréchal avait envoyé en reconnaissance s’était contenté de faire une demi-lieue, et était revenu dire que rien n’empêchait d’aller et que-les chemins jusqu’à Roncevaux étaient praticables. […] Il y est dit, entre autres griefs, que Foucault se servait, pour la conversion du menu peuple, d’un homme de néant nommé Archambaud, que cet Archambaud menait des gens de sa sorte au cabaret et trouvait le moyen de les enivrer ; que le lendemain, lorsqu’ils étaient revenus à eux-mêmes, il leur allait dire, ou qu’ils avaient promis d’aller à la messe, et que s’ils prétendaient s’en dédire, il les ferait traiter comme des relaps ; ou qu’ils avaient mal parlé du gouvernement et des mystères catholiques, et que le seul moyen de se racheter d’une sévère punition était de se ranger à la religion romaine ; que l’affaire, ainsi amorcée et entamée sur des gens du commun, se poursuivit ensuite sur ceux d’une condition supérieure ; qu’en général l’artifice de l’intendant était de faire faire aux réformés, sous quelque prétexte, un premier acte extérieur qui pût être interprété pour une adhésion à la communion romaine, comme d’assister à un sermon, par curiosité ou par intimidation, et qu’ensuite, moyennant la peur d’être déclarés relaps et traités comme tels, il avait raison de son monde ; que, sans avoir eu besoin de demander des troupes, il s’était servi de celles qu’on faisait filer alors sur la frontière de l’Espagne et que commandait le marquis de Boufflers, et qu’il avait été commis par ces troupes, lui les dirigeant et les conduisant de ville en ville, de village en village, de véritables horreurs et cruautés. […] A ces odieux, procédés, il mêle parfois des airs d’honnête homme, des semblants de sentiment ; il joue le bon apôtre : « Le sieur d’Audrehon, ministre de Lembeye, m’étant venu voir ; me dit qu’il sentait de grands mouvements dans son cœur pour embrasser la religion catholique ; mais qu’il avait encore besoin d’un, mois pour prendre sa résolution ; sur quoi, l’ayant fait entrer dans la chapelle du château de Pau, où M. l’évêque d’Oléron recevait l’abjuration d’un ancien avocat de Pau et où il y avait beaucoup de monde, je lui demandai s’il ne sentait rien dans son cœur qui le sollicitât, à la vue de son véritable pasteur, de s’aller jeter entre ses bras.
Si l’auteur a voulu montrer en action une de ces religions infâmes, infernales, écrasantes, qui ne tenaient nul compte de la vie des hommes, et dont le Christ a débarrassé le monde, il a réussi. […] Savez-vous quelle eût été la forme la plus naturelle, la plus vraie à adopter, dans l’état actuel de la science, pour qui voulait nous entretenir de ce vieux monde punique ? […] Mes amis, avec toute la bonne volonté du monde, je n’en suis pas.
Pas le moins du monde. […] Un tel soupçon était-il le moins du monde admissible ? […] » Éternel problème où le droit de la force se dresse à nos yeux et nous apparaît régnant, dans le monde de l’histoire comme dans l’ordre de la nature !
Or, on sait précisément, par une note des papiers de Conrart, que ce n’était pas une vraie marquise ni une femme du monde, mais une comédienne qu’on avait surnommée ainsi pour ses grands airs, Mlle Du Parc, dont les deux Corneille, Pierre et Thomas, pendant un séjour qu’elle fit à Rouen, avaient raffolé à l’envi. […] Pas le moins du monde. […] j’ai souvent ouvert, avec la meilleure volonté du monde, Corneille, Racine et Boileau, et je sens tout ce qu’ils ont de talent ; mais je ne puis en soutenir la lecture, et il me paraît évident qu’une partie des sentiments les plus profonds qu’éveille la poésie est restée lettre close pour ces auteurs56… » L’aveu est assez clair.
La nouvelle reine arrivait dans le monde le plus gâté, le plus embrouillé d’intrigues, le plus capable d’abominations de toute sorte, et il lui eût fallu un vrai génie pour s’y reconnaître de bonne heure et y prendre la place qu’on aurait hésité peut-être à lui disputer ; mais elle n’était pas une Élisabeth de Parme ; elle n’avait que de la droiture et de la vertu. […] Avant l’exil du duc de Bourbon et le renvoi de Mme de Prie, la reine avait pu voir dans quel monde de cabales, de médisances et de noirceurs elle était tombée, et quel jeu croisé se jouait autour d’elle. […] Elle se dit bien vite qu’il serait heureux pour elle, au milieu de ce monde méchant et corrompu, de pouvoir se faire une petite société d’honnêtes gens et sûrs ; et en effet, lorsqu’elle les aura une fois distingués et choisis, elle s’y tiendra avec une fidélité inviolable.
Une femme célèbre, déterminée à lutter avec le vainqueur d’Italie, l’interpella au milieu d’un grand cercle, lui demandant quelle était, à ses yeux, la première femme du monde, morte ou vivante : « Celle qui a fait le plus d’enfants », lui répondit-il en souriant. » C’est là le lieu de ce fameux mot en réponse à Mme de Staël, et qui a tant couru : elle voyait également pour la première fois le général Bonaparte, elle essayait d’emblée sur lui la fascination de son éloquence. […] Le flair merveilleux des événements, l’art de l’à-propos, la justesse et, au besoin, la résolution dans le conseil, M. de Talleyrand les possédait à un degré éminent ; mais cela dit et reconnu, il ne songeait, après tout, qu’à réussir personnellement, à tirer son profit des circonstances : l’amour du bien public, la grandeur de l’État et son bon renom dans le monde ne le préoccupaient que médiocrement durant ses veilles. […] Le but atteint, il arrangeait sa contenance, et ne songeait qu’à attraper son monde, à imposer et à en imposer.
Ne tient-il pas à vous de vous enfermer dans votre quiétude de poëte, et de laisser le monde politique travailler pour vous ? […] Sans avoir aucune autorité pareille, ne serait-il donc pas permis à ceux qui ne sont, qui ne veulent être que littérateurs et poètes, qui croient ainsi servir le monde à leur manière et y remplir leur humble rôle, qui s’y attachent d’autant plus que la vue des intrigues présentes leur donne plus fort la nausée ; à ceux qui écoutent avec bonheur la voix de M. de Lamartine s’élever un moment avec pureté du milieu des récriminations, et qui regrettent qu’elle n’y soit qu’une trêve, ne leur serait-il pas permis de lui demander qu’il leur laissât au moins la dignité de leur silence en politique ? […] Mais qui donc plus que Virgile a été consolant au monde ?
Mais les conquêtes donnaient un pouvoir immense aux chefs de l’état ; et les principaux Romains, élite de la ville reine de l’univers, se considéraient comme possesseurs du patriciat du monde. […] La première époque de la littérature latine étant très rapprochée de la dernière de la littérature des Grecs, on y remarque aussi les mêmes défauts, qui tiennent, comme ceux des Grecs, à ce que le monde connu n’existait pas depuis longtemps. […] Quel est le poète qui ait eu sur la littérature latine, avant le siècle d’Auguste, une influence que l’on puisse comparer le moins du monde à celle d’Homère sur la littérature grecque ?
L’esprit moqueur s’attaque à quiconque met une grande importance à quelque objet que ce soit dans le monde ; il se rit de tous ceux qui sont dans le sérieux de la vie, et croient encore aux sentiments vrais et aux intérêts graves. […] Il y a des vertus qui vous attachent à votre famille, à vos amis, aux malheureux ; mais dans tous les rapports qui n’ont point pris encore le caractère d’un devoir, l’urbanité des mœurs prépare les affections, rend la conviction plus facile, et conserve à chaque homme le rang que son mérite doit lui obtenir dans le monde. […] Au sein de sa famille, la modestie et la simplicité suffisent pour maintenir les égards qu’une femme doit exiger ; mais au milieu du monde, il faut plus encore ; l’élégance de son langage, la noblesse de ses manières, font partie de sa dignité même, et commandent seules efficacement le respect.
À ce moment, si l’on cherche le trait dominant qui règne dans ce monde divers, on ne trouve rien ; on sent bien que tout cela est beau, mais on ne démêle pas encore de quelle beauté ; on est agité par vingt tendances naissantes et aussitôt détruites ; on essaye les mots de voluptueux, de riche, de facile, d’abondant ; ils ne conviennent pas ou ne conviennent qu’à demi. […] Au-dessous des images et des expériences, sorte de végétation qui vit au grand jour, il est un monde obscur d’impulsions, de répugnances, de chocs, de sollicitations ébauchées, embrouillées, discordantes, que nous avons peine à distinguer et qui cependant sont la source intarissable et bouillonnante de notre action. […] Artifice admirable et spontané de notre nature : nous ne pouvons apercevoir ni maintenir isolées dans notre esprit les qualités générales, sortes de filons précieux qui constituent l’essence et font la classification des choses ; et cependant, pour sortir de la grosse expérience brute, pour saisir l’ordre et la structure intérieure du monde, il faut que nous les retirions de leur gangue et que nous les concevions à part. — Nous faisons un détour ; nous associons à chaque qualité abstraite et générale un petit événement particulier et complexe, un son, une figure facile à imaginer et à reproduire ; nous rendons l’association si exacte et si étroite que désormais la qualité ne puisse apparaître ou manquer dans les choses, sans que le nom apparaisse ou manque dans notre esprit, et réciproquement.
Il n’est pas possible aujourd’hui, moins encore qu’au xviiie siècle, de s’enfermer dans la littérature d’art, et il faut qu’un homme qui ne se désintéresse pas des choses de l’esprit, ait l’œil ouvert sur ce qui se passe dans les mondes divers de l’érudition, de la science et de la philosophie. […] Parmi les gens du monde, Mme de Rémusat, avec quelque diffusion et sans grande force de pensée, en a écrit de charmantes, qui sont d’un esprit éclairé, agile, fin connaisseur du monde : mais les plus originales, je crois, sont celles de ce Doudan947 qui vécut précepteur, puis ami, dans la famille de Broglie. […] Büchner : Force et matière. — Hæckel : Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles ; Anthropogénie. — Schopenhauer : le Monde comme Volonté et comme Représentation (trad.
Les affaires de Rome lui ont aliéné le parti catholique ; le pacte de Londres, le monde du commerce et de l’industrie. […] Les victimes de la phtisie ne se comptent plus dans le monde des lettres. […] Elle devine aux commotions électriques qui la secouent, par intervalles, que s’ébranlent quelque part des forces mystérieuses et redoutables en route pour bouleverser le monde.
Les différences sont si profondes, le revirement est si complet, que les trécentistes et leurs successeurs ont vraiment pu avoir l’illusion qu’ils tiraient le monde de l’obscurité et lui donnaient la lumière. […] S’il est vrai que l’art ait pour but de manifester les caractères saillants de ses objets, et que la qualité de l’art dépende de l’importance du caractère et de la convergence des effets, il faut s’incliner devant ces arts et cette littérature qui — les cathédrales aux fines ciselures comme les drames monstrueux, comme la peinture souffreteuse, comme la scolastique subtile et angoissée et comme les élans passionnés de la poésie mystique — traduisent si bien les aspirations de l’âme vers le monde surnaturel, les tortures de la raison aux prises avec les insolubles problèmes de la foi, le mépris du corps transitoire et la passion de l’infini. […] C’est Rousseau qui célèbre à nouveau l’amour passionné et détrône la galanterie ; ce sont les ardentes leçons de Herder qui arrachent la jeunesse allemande à l’imitation inféconde de notre littérature ; c’est Goethe auquel cet admirable chef-d’œuvre, la cathédrale de Strasbourg, révèle l’art gothique ; c’est Chateaubriand qui découvre dans le christianisme autre chose qu’un ensemble de dogmes : une source vive de poésie ; c’est la mélancolie de Lamartine qui chasse le libertinage de Parny ; ce sont les romans de Walter Scott qu’on imite partout et qui ressuscitent tout un monde oublié.
Ce sont des hommes qui ont nos idées et qui les ont dans la mesure et dans le sens où il nous serait bon de les avoir, qui entendent le monde, la société, particulièrement l’art d’y vivre et de s’y conduire, comme nous serions trop heureux de l’entendre encore aujourd’hui ; des têtes saines, judicieuses, munies d’un sens fin et sûr, riches d’une expérience moins amère que profitable et consolante, et comme savoureuse. […] « Au saillir de l’enfance, dit Commynes (nous dirions aujourd’hui moins gaiement : au sortir de l’enfance), et en l’âge de pouvoir monter à cheval, je fus amené à Lille devers le duc Charles de Bourgogne. » Voilà Commynes, âgé d’environ dix-sept ans, qui met le pied à l’étrier et qui entre d’emblée à l’école du monde. […] Il a remarqué que, de toutes les seigneuries du monde dont il a connaissance, celle où la chose publique est le mieux traitée, où règne le moins de violence sur le peuple, même en temps de guerre civile, c’est l’Angleterre.
Du haut de sa terrasse comme d’un balcon, elle leur donnait ses leçons le plus gravement du monde. […] En entendant ces deux vers : Elles veulent écrire et devenir auteurs…, Et céans, beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde, tout le public, dit-on, se prit à applaudir en la regardant. […] Pourtant, tout avertit qu’on est dans un monde imaginaire : ces personnages s’attendrissent pour rien ; leurs genoux fléchissent, ils soupirent, ils chancellent sans qu’il y ait de quoi ; l’émotion prodiguée n’est que dans les mots.
Depuis le 13 Vendémiaire (jour de la victoire de la Convention par le canon de Bonaparte), le découragement est général : ce qui n’empêche pas le beau monde d’aller à la Comédie en passant sur les pavés encore teints du sang de leurs parents ou voisins tués par la mitraille de Barras. […] L’image d’un livre leur donne le frisson : parce qu’on a abusé des lumières, ils extermineraient tous ceux qu’ils supposent éclairés ; parce que des scélérats et des aveugles ont rendu la liberté horrible, ils voudraient gouverner le monde à coups de sabre et de bâton. […] Comme rien n’offre moins d’obstacles que de perfectionner l’imaginaire, tous les esprits remuants se répandent et s’agitent dans ce monde idéal.
Les premières découvertes qui se firent à Saint-Mandé dans les papiers de Fouquet n’étaient nullement propres à lui réconcilier l’indulgence du monde. […] Pellisson ne craignit pas de faire allusion à cette circonstance : Balança-t-il un moment, Sire, pour se défaire de la chose du monde qu’il avait toujours tenue pour la plus précieuse ? […] Une de ses grandes distractions dut être lorsqu’on lui donna en 1671 Lauzun, le favori disgracié, pour compagnon et voisin de captivité ; quand ils parvinrent à communiquer entre eux, ils étaient comme deux ombres dans les enfers, s’entretenant des choses fabuleuses d’un autre monde.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que le monde est partagé par la querelle de l’esprit hardi et de l’esprit traînard. […] Comme toute ma vie, j’obéis à mes passions et me livre du meilleur cœur du monde à tout ce qu’on en peut penser. […] Pour exprimer l’idée qu’il se faisait de son rôle dans la presse, et la ligne originale de conduite qu’il aurait voulu se tracer à ce moment, je citerai encore un fragment d’une de ses lettres adressées à l’un de ses collaborateurs d’alors, qui avait parlé de lui dans la Revue des deux mondes (15 février 1833) : Je vous sais, disait-il, un gré infini d’avoir deviné et si bien exprimé ma double prétention d’être un homme politique en dehors de la hiérarchie, malgré la hiérarchie, et un journaliste de quelque influence sans être homme de lettres, ni savant, ni historien breveté, ni quoi que ce soit qui tienne à quelque chose.
Pour ne pas confondre ses conjectures avec l’histoire, il a mis dans la Revue des deux mondes (du 15 décembre dernier), sous forme de scènes historiques, tout ce qui se rapporte à la première jeunesse et à l’éducation de ce brillant aventurier tel qu’il le conçoit ; il a expliqué comment l’idée, la tentation put venir peu à peu à un jeune Cosaque de l’Ukraine ressusciter en lui Démétrius, en même temps que la crédulité naissait aux autres en le regardant. […] En effet, lorsqu’une haute et jeune destinée a subi de ces catastrophes soudaines et qui sont restées par quelque côté mystérieuses, lorsqu’un prince a disparu de manière à toucher les imaginations et à laisser quelque jour à l’incertitude, bien des têtes travaillent à l’envi sur ce thème émouvant ; les romanesques y rêvent, se bercent et attendent ; les plus faibles et ceux qui sont déjà malades peuvent sérieusement s’éprendre et finir par revêtir avec sincérité un rôle qui les flatte, et où trouve à se loger leur coin d’orgueilleuse manie ; quelques audacieux, en même temps, sont tentés d’y chercher une occasion d’usurper la fortune et de mentir impudemment au monde. […] Mérimée dans l’étude si creusée de son brigand et de sa bohémienne, c’est que l’auteur, en homme d’esprit qui sait son monde, a jugé convenable d’encadrer son roman dans une sorte de plaisanterie et d’ironie : il voyageait comme antiquaire, il ne voulait que résoudre un problème d’archéologie et de géographie sur la bataille de Munda livrée par César aux fils de Pompée, lorsqu’il fait la connaissance du bandit qui lui racontera ensuite son histoire : et le roman finit par un petit chapitre où l’antiquaire reparaît encore et où le philologue se joue au sujet de la langue des bohémiens.
Eh bien, si je regarde autour de nous, et si je considère les principaux événements de l’histoire du monde depuis le Contrat social, il me semble que le principe de la souveraineté sort de plus en plus de l’utopie pour entrer dans la réalité des faits. […] Nisard pour les mauvais côtés du xviiie siècle, irréconciliable avec son matérialisme et son sensualisme, nous en aimons la philosophie sociale comme ayant ouvert un monde nouveau à l’humanité. […] Nous voudrions le croire, nous ne le pourrions pas, car nous ne pouvons oublier que cette assertion est contestée, et qu’il y a d’autres modèles dans le monde.
Théophile Gautier, que nous aimons et connaissons plus et mieux que les fils de Parnasse, disait : « Je vois le monde extérieur et j’écris des métaphores qui se suivent. » Nous, nous avons cherché à voir le mieux possible le monde extérieur, à traduire quelques nuances, (le plus possible) du monde intérieur, ce qu’on en peut saisir, chacun dans les limites de ses forces, et nous avons cherché à créer des métaphores qui s’engendrent les unes les autres ; nous n’avons pas souvent tenu à les exprimer entièrement mais pour ainsi dire à les citer, à les énumérer.