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866. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Depuis qu’un poète, d’un vrai génie, sans doute, mais dont la grandeur a été mesurée, a laissé tomber contre la Critique, peut-être pour se venger de l’exactitude de sa mesure, le mot courroucé d’impuissance, bien des gens l’ont ramassé par terre, où ils auraient dû le laisser, et ils s’en sont fait une arme contre elle. […] Encore une fois, nous ne tenons pas grand état d’une pareille donnée, inspirée plus par les études et les préoccupations littéraires de l’auteur que par son propre génie ; mais ce que nous estimons infiniment, ce sont deux ou trois courants d’aperçus, d’observations et de pensées, qui se rencontrent, se croisent et se mêlent dans ce livre, taillé trop à facettes et à pans coupés, et que nous eussions voulu plus large et plus simple. […] , et nous sommes persuadé qu’il arrivera à écrire un de ces livres dont la supériorité se chiffre plus haut ou plus bas, selon l’intensité du génie, mais qui, en définitive, sont des œuvres. […] C’est bien assez que d’avoir à raconter les désordres du Génie, quand il commet des fautes et qu’il est désordonné, sans, de plus, se charger de dire les vices et les excès d’un homme de talent qui abusa de ses facultés, et dont le talent même ressemblait à la rage d’une maladie de débauche.

867. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Partout, en effet, quand au lieu d’être journaliste il eût été corsaire, — ce qui, du reste, ne fait pas une si grande différence déjà, — partout, même quand il serait resté marchand d’anchois dans son excellente ville de Marseille, il aurait eu ce génie du mot, qui nous est donné, à pur don, comme tous les autres génies ; cette faculté qui, tout à coup, met une idée sous sa forme la plus concentrée, espèce de cristallisation de l’esprit d’une rapidité foudroyante. […] Maintenant qu’il n’est plus, on voudrait retrouver ces cristallisations éblouissantes, et on se livre à cette recherche ; mais les hommes qui ont ce génie de l’expression instantanée sont moins heureux que Polycrate. […] La durée ou l’immortalité, pour les œuvres, n’est pas une question de forme, mais d’essence, et c’est pour cela que tant d’œuvres meurent et disparaissent qui n’existaient que par un certain agencement de parties, un certain style, un certain art d’ensemble, mais qui, sans manquer de talent, manquaient de génie ou d’esprit.

868. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

tous les poëtes de manquer de génie ? […] Et La Rochefoucauld manque de génie ? […] Chaque homme a-t-il son bon génie ? […] Quel génie ! Le plus beau de la nation, le plus digne du culte des mortels ; un génie plein de vigueur, un génie supérieur à tous les obstacles.

869. (1924) Critiques et romanciers

Génie ou talent gaspillé, dira-t-on, ce n’est rien ? […] Non le génie, et non le génie romantique : il veut le grand air, il veut chanter dehors ; et il réclame les foules. […] C’est le « génie latin » : goûtez-le et protégez-le. […] Le génie latin, c’est le génie français qui le préserve. […] — du génie.

870. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. […] Chez lui, le cauchemar même a du génie ! […] Ainsi de certains génies eux-mêmes, de certains Très-Hauts humains, des hommes-astres, pourraient se tromper ? […] L’esprit moderne, c’est le génie de la Grèce ayant pour véhicule le génie de l’Inde : Alexandre sur l’éléphant. […] Que Victor Hugo prenne garde à ce côté de son génie !

871. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Quelle influence de milieu peut expliquer le sombre génie d’Eschyle naissant dans la dépravation commençante d’Athènes, ou la douceur de Virgile au milieu de la rudesse des guerres civiles romaines ? […] A cette période de l’histoire, un invincible génie pourra seul vivre et ne se pas laisser assimiler. […] Cependant ce tableau marque bien à quel point les diverses périodes littéraires d’une même nation présentent constamment des génies différents et opposables. […] Ainsi, ce n’est point une assertion inexacte de prétendre déterminer un peuple par sa littérature ; seulement il faut le faire non en liant les génies aux nations, mais en subordonnant celles-ci à ceux-là, en considérant les peuples parleurs artistes, le public par ses idoles, la masse par ses chefs. […] Mais une fois le génie, né, développé, productif, commence un jeu d’attractions et de répulsions qui nous est accessible.

872. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Elle se consacra à Jésus, l’amant divin, le cœur ravagé par une passion criminelle : la mère d’Atala, alors qu’elle sentait remuer dans son sein l’enfant de Lopez, de l’Espagnol, de l’ennemi de sa race, épousa « le magnanime Sinaghan, tout semblable à un roi et honoré des peuples, comme un génie ». […] Chateaubriand s’empara de la langue forgée par la révolution et la mania en virtuose de génie : ce n’est que lorsque la langue romantique eut affirmé dans la prose sa suprématie rhétoricienne et eut élaboré les éléments d’une langue poétique que Victor Hugo put, à son tour, faire triompher le romantisme dans la poésie. […] Le romantisme naissant s’enrôla sous la bannière catholique : Atala, qui n’était que la préface du Génie du Christianisme, chantait la victoire de la religion sur la nature. […] Jamais Racine et Hugo n’auraient été proclamés par leurs contemporains des grands génies, si leurs œuvres, ainsi que des miroirs, n’avaient reflété les hommes de leur milieu social, avec leur manière de voir, de sentir, de penser et de s’exprimer. […] Génie du Christianisme, t. 

873. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Leurs relations durèrent pourtant plusieurs années et c’est encore une preuve du génie psychologique du chancelier. […] Il sort de l’École dans le génie. […] Il rentre en France, où il est d’abord directeur du génie ; puis, il commande une division d’infanterie, un corps d’armée. […] Le génie de la guerre, le génie de l’éloquence sacrée, le génie du style, celui du théâtre, sont groupés autour du génie des jardins, attestant par ce voisinage que toutes les énergies de la société d’alors se tenaient toutes, dévouées à l’affirmation d’un même principe, celui de l’ordre français. […] Avais-je raison de dire que ces deux syllabes résument l’essence même du génie français ?

874. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Corneille était fait pour exciter par son génie et ses premiers chefs-d’œuvre des transports d’enthousiasme que, malheureusement, sa personne vue de trop près soutenait peu, ou que même elle décourageait. […] La princesse palatine, Elisabeth, avait donné l’exemple, la première, de ces nobles et sérieux attachements à un maître de génie envers qui l’amitié devient un culte. […] Byron, tant discuté, tant attaqué et noirci de son vivant, et en réalité le plus grand des génies lyriques, reçut à Ravenne, en 1821, une de ces lettres de déclaration vraie et simple, qui le vengeait de tant d’ineptes insultes. […] Ce sont là de ces choses qui font que l’on se sent poète. » Il n’est rien tel en effet que de semblables aveux pour faire sentir dans sa douceur, sa vérité et son sérieux plein de charme, l’heureuse puissance du talent ou du génie, sa vertu d’influence continue et son triomphe invisible. […] C’est là une des récompenses du génie et, tout rabattu, la plus douce encore, s’il a un cœur.

875. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Un os, un fragment d’os suffit, dit-on, à la science et au génie pour reconstruire l’animal entier. […] Elle croit au génie de Molière, parce que ses comédies la touchent ; elle croit à la beauté de L’École des femmes, parce qu’elle la sent, et ce sentiment remplit son âme d’une certitude intime qui défie tous les doutes. […] Ce n’est point par l’effet d’un éclaircissement progressif de l’idéal tragique, qu’Uranie a passé du mépris de Shakespeare au culte de son génie divin. […] Fallait-il quelle fît table rase de toutes les idées que l’éducation lui avait acquises, afin de purifier, d’affranchir son goût, de le rendre à l’état de nature, et de pouvoir le mettre désormais en rapport direct avec les œuvres du génie, sans l’intermédiaire de ces idées ? […] Ceux qui ne voient pas le génie de Molière dans Le Misanthrope, ne le découvrent point dans les analyses de la critique.

876. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

La doctrine de l’antiquité a tellement fait plier le génie de la cour que leur éducation à cet égard est plus sévère que celle des fils des simples citoyens. […] Tout tend en Chine à persuader la multitude que l’empereur est infiniment au-dessus des premiers lettrés par la force de son génie et par l’étendue de ses connaissances. […] Le génie est plus jeune chez nous, la sagesse est plus vieille chez eux : sachons nous connaître. […] Est-ce la faute du génie, est-ce la faute du temps ? […] La France le compense par mille chefs-d’œuvre d’imagination et de raison ; son génie a plutôt les formes du drame, parce que ce génie est surtout en action.

877. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Reconnu dans la rue par la jeunesse des Écoles, qui saluait en lui le génie dans l’opposition, il fut conduit jusqu’à sa porte par des acclamations qui n’étaient qu’une bouffée de vent tiède dans une tempête de feu. […] Ce n’est pas là qu’il faut chercher son génie, c’est là qu’il faut chercher ses petitesses. […] Hugo, exilé volontaire et enveloppé, comme César mourant, du manteau de sa renommée, écrit dans une île de l’Océan l’épopée des siècles auxquels il assiste du haut de son génie. […] Toujours une femme, comme une nourrice du génie, au berceau des littératures. […] Ce mot sur la mort de madame de Duras est bien appliqué à une des femmes les plus capables de comprendre le génie parce qu’elle avait de beaux talents, et la plus digne d’être regrettée parce qu’elle avait un cœur plus grand encore que le talent.

878. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

De ce hors-d’œuvre, dont le génie vigoureux de Molière s’était bientôt dégoûté, Dufresny fit le fond de tous ses repas. […] C’est un trait de génie d’avoir entouré Turcaret de fripons ; la compagnie est digne de l’homme. […] C’est Piron, le génie de l’épigramme gaie, et Gresset, le génie du petit vers de collège. […] Ses vers ont l’originalité de la bonne éducation, la meilleure après celle du génie. […] D’où vient donc, Diderot, que vous vous donnez tant de peine pour imaginer un art qui puisse se passer d’un homme de génie ?

879. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. […] frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie ! […] L’esprit rapetisse tout, même le génie. […] Ce sont des dialogues à voix basses entre le poète et ce qu’il appelle encore la muse, c’est-à-dire entre le cœur de l’homme et son génie. Ce cœur et ce génie cherchaient à se mettre d’accord en lui comme en nous tous.

880. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Gœthe n’était pas un physicien, un géomètre ; mais il était un naturaliste, il avait à un haut degré le génie de l’histoire naturelle, le sens et le tact du monde organique, et, de ce côté, en se confiant en sa force, il ne se trompait pas. […] Personne mieux que Gœthe ne s’entendait à prendre la mesure des esprits et des génies, de leur élévation et de leur portée ; il savait les étages ; c’est ce que trop de critiques oublient et confondent aujourd’hui. […] Mais il ne faisait vraiment cas, en fait de génies, que de ceux de la grande race, de ceux qui durent ; dont l’influence vraiment féconde se prolonge, se perpétue au-delà, de génération en génération, et continue de créer après eux. Les génies purement d’art et de forme, et de phrases, dénués de ce germe d’invention fertile, et doués d’une action simplement viagère, se trouvent en réalité bien moins grands qu’ils ne paraissent, et, le premier bruit tombé, ils ne revivent pas. […] Il ressemble à une source dont l’eau est empruntée ; elle coule un certain temps, mais quand le réservoir est épuisé, elle s’arrête. » Il n’y a de vrai génie ou talent que celui dont on ne peut jamais dire : Il a vidé son sac ; car ce n’est pas un sac qu’il a : il est une source.

881. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Les délicatesses exagérées de quelques sociétés de l’ancien régime n’ont aucun rapport sans doute avec les vrais principes du goût, toujours conformes à la raison ; mais l’on pouvait bannir quelques lois de convention, sans renverser les barrières qui tracent la route du génie, et conservent, dans les discours comme dans les écrits, la convenance et la dignité. […] Cette sorte de goût, plutôt efféminé que délicat, qui se blesse d’un essai nouveau, d’un bruit éclatant, d’une expression énergique, arrêtait l’essor des âmes ; le génie ne peut ménager tous ces égards artificiels ; la gloire est orageuse, et les flots tumultueux de son cortège populaire doivent briser ces légères digues. […] L’aperçu fin et juste du petit côté d’un grand caractère, des faiblesses d’un beau talent, trouble jusqu’à cette confiance en ses propres forces, dont le génie a souvent besoin ; et la plus légère piqûre d’une raillerie froide et indifférente peut faire mourir dans un cœur généreux la vive espérance qui l’encourageait à l’enthousiasme de la gloire et de la vertu. La nature a créé des remèdes aux grandes douleurs de l’homme ; le génie est de force avec l’adversité, l’ambition avec les périls ; la vertu avec la calomnie ; mais le ridicule peut s’insinuer dans la vie, s’attacher aux qualités même, et les miner sourdement à leur insu. […] Je dirai plus, une suite de hasards peuvent conduire un homme à se faire remarquer par quelques faits illustres, sans qu’il soit doué cependant ou d’un génie supérieur, ou d’un caractère héroïque ; mais il est impossible que les paroles, les accents, les formes qu’on emploie envers ceux qui nous environnent, ne caractérisent pas la vraie grandeur de la seule manière inimitable.

882. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Portez-la dans le monde moral ; essayez de vous entendre quand vous parlez de la destinée d’un peuple, du génie d’une nation, des forces vives de la société, de l’influence d’un climat ou d’un siècle, de l’expansion d’une race, de la puissance des anciennes institutions. […] « Le génie de la France est monarchique. » Comme il vous plaira, et grand bien nous fasse. […] Ayant considéré le génie d’un poëte, d’un politique, d’un savant, j’ai trouvé que ce nom m’apparaissait lorsque j’apercevais l’action principale de leur vie, avec les facultés et les inclinations qui les y portaient. […] Quelles facultés personnelles et quelles mœurs environnantes ont produit ce géant en goguette, ce métaphysicien ivre, cette cervelle dévergondée et sublime, cette prodigieuse lanterne magique où se heurte le pêle-mêle vertigineux des formes tournoyantes, où s’enchevêtre le chaos de toutes les idées et de toutes les sciences, où la sensualité secoue sa torche rouge et fumeuse, où le génie fait flamboyer tous ses éclairs ? […] La férocité des visages, l’abus de la laideur méchante et vulgaire, la violente et universelle horreur pour le bonheur et la beauté, l’intensité de l’émotion, la lugubre rêverie, l’invention fantastique d’apparitions et de monstres, le déchaînement des fantômes de l’Apocalypse et du moyen âge à travers un cerveau malade ; par-dessus tout une précision de traits, une vigueur de dessin, une surabondance de détails, un fini qui accable ; le génie consciencieux, spiritualiste, visionnaire et mélancolique d’un Allemand de la Renaissance : voilà une partie du groupe moral qui entoure le fait physique et le produit.

883. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Le génie d’un homme ressemble à une horloge : il a sa structure, et parmi toutes ses pièces un grand ressort. […] Cette histoire intérieure du génie ne dépend point de l’histoire extérieure de l’homme, et la vaut bien. […] Il fait des satires contre la société oppressive ; il fait des élégies sur la nature opprimée, et son génie élégiaque, comme son génie satirique, rencontre à propos dans le monde anglais qui l’entoure la carrière dont il a besoin pour se déployer. […] Lorsqu’on remonte loin dans l’histoire du génie anglais, on trouve que son fond primitif était la sensibilité passionnée, et que son expression naturelle fut l’exaltation lyrique. […] Mais l’éducation de cette âme fut contraire à son génie ; son histoire a contredit sa nature, et son inclination primitive s’est heurtée contre tous les grands événements qu’elle a faits ou qu’elle a subis.

884. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Préface »

Dans notre étude sur la Littérature et la Critique littéraire au xixe  siècle nous avons rencontré le problème si difficile, et d’un intérêt si général, de la conciliation de l’autorité et de la liberté, de la tradition et du changement, des lois du goût et des droits du génie ; et tout en restant fidèle à notre admiration pour les principes éternels de l’art classique, nous avons défendu la liberté de l’invention en littérature ; car ces lois éternelles elles-mêmes ne sont que l’expression des grandes inventions du génie.

885. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Il semble que, des génies qui nous ont précédé, nous ayons recueilli je ne sais quels malencontreux héritages. […] Ces génies se courbèrent au joug du milieu, par là ils s’assimilèrent à des êtres peut-être infimes. […] Je sais bien que cette formule est adoptée par une multitude de gentils génies et de psychologues délicats. […] Pour la même raison l’œuvre de ce génie n’est ni pessimiste, ni mansuétudinale. […] Beaucoup lui préférèrent Baudelaire et la plupart n’entend rien à son génie populaire.

886. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Cette idée est parfaitement juste : il faut au poète l’observation réfléchie de la nature ; son génie y gagne en étendue et en vérité. […] L’auteur a donc voulu, ce me semble, démontrer en sa personne l’influence complète des scènes de la nature sur le génie. […] On recueillit à grands frais dans toutes les bibliothèques de l’Europe les détails épars d’une vie qui fut à la fois si malheureuse et si obscure, et après des années de recherches, à la tête des œuvres du poète, reproduites dans tout l’éclat du luxe typographique, l’illustre éditeur put enfin placer l’histoire complète de cette vie tant méditée, magnifique et pieux monument élevé à la mémoire du génie.

887. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Le premier éloignait de l’antiquité, et poussait la raison moderne à ne compter que sur soi : le second ramenait à l’antiquité, et invitait le génie moderne à s’appuyer toujours sur les exemples des Grecs et des Romains. […] Un abbé, à qui Perrault attribue du génie, et qui le représente lui-même, défend les modernes contre un Président qu’il donne pour savant et idolâtre des anciens, et qu’il fait imbécile : l’abbé est soutenu d’un chevalier, sot à boutades, à qui l’auteur confie le soin de lancer les énormités paradoxales qu’il veut insinuer, et n’ose pourtant avancer sérieusement. […] À vrai dire, certains climats sont meilleurs que d’autres pour certaines productions, soit physiques, soit intellectuelles ; à vrai dire aussi, il y a des époques de recul, où les circonstances (guerres, etc.) étouffent les semences naturelles du génie : il naît une foule de Cicérons qui ne viennent pas à maturité.

888. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

On trouve chez lui, comme chez Musset, cette idée désolante du génie s’offrant en sacrifice. […] Un raté de génie… « Et alors mon grand livre de prophéties, la Bible nouvelle qui va faire déserter les cités. […] Son cri d’angoisse expire en refrains de café-concert, préoccupé qu’il est de se blaguer lui-même, et cela explique qu’en dépit de dons prestigieux, son lyrisme échoue avant la cristallisation parfaite et qu’il demeure un essayiste impénitent, comme s’il dédaignait d’être autre chose que le héros qu’il avait ambitionné de peindre : un raté de génie.

889. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

. — Pourquoi vouloir parfaire un instrument avec lequel les Poètes ont doté l’Art des plus belles œuvres de génie ? […] Répudiées donc les demi-teintes, les nuances crépusculaires, les musiques lointaines, — charme et génie de Verlaine ; — bannies les chastes Aimées, immatérielles on dirait, dont le profil s’indécise en de froides brumes, d’un tel système d’art découlait nécessairement comme Corollaire la rime riche et rare. […] Nicolas Despréaux, qui d’ailleurs était le plus parfait maroufle et le plus sot butor de son siècle, eut un jour une trouvaille de génie (l’attribuer à son tempérament bilieux) dans ce vers : Aux Saumaises futurs préparer des tortures.

890. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Cette simplicité de langage, en raison inverse de la magnificence des faits, nous semble le dernier effort du génie. […] Il entre dans son récit à la manière des anciens historiens ; vous croyez entendre Hérodote : « 1º Comme plusieurs ont entrepris d’écrire l’histoire des choses qui se sont accomplies parmi nous ; » 2º Suivant le rapport que nous en ont fait ceux qui dès le commencement les ont vues de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la parole ; » 3º J’ai cru que je devais aussi, très excellent Théophile, après avoir été exactement informé de toutes ces choses, depuis leur commencement, vous en écrire par ordre toute l’histoire. » Notre ignorance est telle aujourd’hui, qu’il y a peut-être des gens de lettres qui seront étonnés d’apprendre que saint Luc est un très grand écrivain, dont l’Évangile respire le génie de l’antiquité grecque et hébraïque. […] Nous croyons connaître un peu l’antiquité, et nous osons assurer qu’on chercherait longtemps chez les plus beaux génies de Rome et de la Grèce avant d’y trouver rien qui soit à la fois aussi simple et aussi merveilleux.

891. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

Ingres étale fièrement dans un salon spécial onze tableaux, c’est-à-dire sa vie entière, ou du moins des échantillons de chaque époque, — bref, toute la Genèse de son génie. […] Ingres n’est jamais si heureux ni si puissant que lorsque son génie se trouve aux prises avec les appas d’une jeune beauté. […] Il est une chose mille fois plus dangereuse que le bourgeois, c’est l’artiste bourgeois, qui a été créé pour s’interposer entre le public et le génie ; il les cache l’un à l’autre.

892. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Nous fait-il pénétrer le moins du monde dans la nature particulière de son génie comique ? […] Elle ne sort pas tout d’un coup de la tête d’un homme de génie. […] Des critiques sont heureux de nous dire que le vice, la vertu, le génie, le talent sont de simples produits comme le vitriol et le sucre. […] de la différence de leurs génies, qui répond à celle de l’esprit des deux nations. […] Il oublie encore ici le génie de la France.

893. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Louÿs, Pierre (1870-1925) »

Soyez sûrs que les cendres de Gautier ont frémi de joie, à l’apparition de ce livre, et que, dans le paradis des lettrés, l’ombre de Flaubert hurle, à l’heure qu’il est, des phrases de Pierre Louÿs, les soumet à l’infaillible épreuve de son gueuloir, et qu’elles la subissent victorieusement… Enfin voilà donc un jeune, un vrai jeune — Pierre Louÿs n’a pas vingt-six ans — qui nous donne un beau livre ; un livre écrit dans une langue impeccable, avec les formules classiques et les mots de tout le monde, mais rénovés et rajeunis à force de goût et d’art ; un livre très savant et où se révèle, à chaque page, une connaissance approfondie de l’antiquité et de la littérature grecque, mais sans pédantisme aucun et ne sentant jamais l’huile et l’effort ; un livre dont la table contient sans doute un symbole ingénieux et poétique, mais un symbole parfaitement clair ; un livre, enfin, qui est vraiment issu de notre tradition et animé de notre génie et dans lequel la beauté, la force et la grâce se montrent toujours en plein soleil, et inondées d’éclatante lumière ! […] Seul, en effet, le génie charmant qui habite son front a inspiré à M. 

894. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 157-161

Celui-ci avec du génie, de l’éloquence & une Littérature étendue, a prouvé combien un homme sage doit se défier de ses préventions, & combien il est essentiel, pour le bonheur & la véritable gloire, de savoir les réprimer, lorsqu’elles nous emportent trop loin. […] Son génie, plus constamment appliqué à des objets convenables à son état & à sa plume, nous eût laissé des Productions utiles, au lieu de ces Ecrits polémiques qui tombent d’eux-mêmes avec les sujet qui les a fait naître.

895. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 94-98

Cet excellent Discours qui présente les révolutions de notre Littérature depuis son origine jusqu'à présent, est tout à la fois un Tableau historique des Productions du génie, un Code abrégé des regles du bon goût, & une habile Critique des travers de nos Littérateurs actuels. Nourri de la lecture des Anciens, dont il paroît s'être pénétré ; appuyé sur les principes invariables de la nature, qui sont ceux du vrai & du beau ; toujours armé du flambeau de la raison, l'Auteur parcourt d'un pas noble & ferme les différens âges du Génie Littéraire de la France, découvre les causes qui l'ont retenu long-temps captif dans les chaînes de l'ignorance & du mauvais goût, & nous montre par quels secours il en a triomphé.

896. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

C’est de son génie qu’est sorti ce monde qui double la vie humaine en la reflétant. […] L’initiative du génie grec à l’état normal, le rayon fécondant de l’esprit attique n’auraient pas suffi à une création si extraordinaire.

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