/ 2652
530. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Là est le point de conciliation des opinions en apparence contradictoires, mais qui ne sont que partielles en leur expression, selon qu’elles s’attachent à une face du phénomène plutôt qu’à l’autre. […] Le christianisme n’est réellement devenu ce qu’il est que quand l’humanité l’a adopté comme expression des besoins et des tendances qui la travaillaient depuis longtemps. […] Voilà la pure expression de cette forme religieuse. […] Bouddha ne fut qu’un philosophe ; le brahmanisme n’a guère des religions organisées que le livre sacré et n’est au fond que l’expression la plus simple du naturalisme. […] On ne peut dire aussi que le chinois moderne soit plus analytique que le chinois ancien, puisque au contraire les flexions y sont plus riches et que l’expression des rapports y est plus rigoureuse.

531. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Pendant ces longues années, il étudie, selon son expression, l’anatomie des monuments, donnant à chaque détail d’architecture, à chaque colonne, son caractère — et s’astreignant à faire cela, sévèrement, à la mine de plomb. […] Tourguéneff, le doux géant, l’aimable barbare, avec ses blancs cheveux lui tombant dans les yeux, le pli profond qui creuse son front d’une tempe à l’autre, pareille à un sillon de charrue, avec son parler enfantin, dès la soupe, nous charme, nous enguirlande, selon l’expression russe, par ce mélange de naïveté et de finesse : la séduction de la race slave, — séduction relevée chez lui par l’originalité d’un esprit personnel et par un savoir immense et cosmopolite. […] Il est dans Werther, quand Goethe dit par la bouche de son héros : « Cela me confirme dans ma résolution de m’en tenir uniquement à la nature. » Et il ajoute : « Toute règle, quoi qu’on dise, étouffera le sentiment de sa nature et sa véritable expression. » Mardi 28 mai On cherchait aujourd’hui les raisons de la puissance de résistance des hommes, nés autour de l’année 1800. […] * * * — Aujourd’hui, Édouard (de Béhaine) m’entretient de ses conversations avec Bismarck, et me peint le causeur : un causeur à la parole lente, au débrouillage difficultueux, cherchant longuement le mot propre, n’acceptant pas celui qu’on jette à son germanisme dans l’embarras, mais finissant toujours par arriver à trouver l’expression juste, l’expression piquante, l’expression excellemment ironique, l’expression caractéristique de la situation.

532. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

» selon l’expression de Lamennais. […] Victor Hugo, lui-même, semble, avoir été intimidé par les expressions révolutionnaires qu’il maniait et dont il ne comprenait pas exactement le sens. […] Un peuple de mots, de néologismes, d’expressions, de tournures et d’images, venues de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, envahirent la langue polie, élaborée par deux siècles de culture aristocratique. […] Ils réussirent en partie ; et imitant les précieuses de l’hôtel Rambouillet, ils châtrèrent la langue parlée et écrite de plusieurs milliers de mots, d’expressions qui ne lui ont pas encore été restitués. […] Il restait encore à briser le moule du vers classique, à assouplir le vers à une nouvelle harmonie, à l’enrichir d’images, d’expressions et de mots que possédait déjà la prose courante et à ressusciter les vieilles formes de la poésie française.

533. (1903) La renaissance classique pp. -

Ils se sont imaginé reculer à l’infini les bornes de la langue, créer tout un nouveau mode d’expression à la fois plus subtil et plus abondant. […] Elle fut l’expression de réalités historiques, ethniques, physiologiques. […] Selon l’expression de Voltaire, — le plus aristocrate des hommes, — ce sont eux qui des Welches ont tiré des Français. […] Il est la plus haute expression de la vie dans son effort incessant vers l’ordre et la beauté. […] Ils savent que l’Individu, expression de la race, est la base de tout et que les démocraties elles-mêmes ne peuvent se passer d’individus : la Révolution s’appelle Mirabeau, la Terreur s’appelle Robespierre !

534. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Sa taille était médiocre, sa figure pâle, son expression sèche et grave. […] » Mulard, debout devant sa toile, attendait avec une expression pincée la correction de son maître. […] On ne peut refuser un mérite réel à cet ouvrage, largement peint, fortement coloré relativement à l’époque, et où l’artiste a rendu surtout les expressions de l’âme avec force et vérité. […] Il partit de Paris pour Rome avec la ferme intention d’apprendre l’art, mais surtout de désapprendre (c’était son expression) les routines académiques. […] Je veux essayer de mettre de côté ces mouvements, ces expressions de théâtre, auxquels les modernes ont donné le titre de peinture d’expression.

535. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Bida, c’est l’intime expression des figures. […] était-ce dans l’espérance d’obtenir une plus grande intensité d’expression ? […] Si défectueuse et même injuste que soit cette expression, je la choisis comme rendant approximativement la raison qui empêche ce savant artiste d’éblouir et d’étonner. […] (je puis appliquer aux débris d’une grandeur militante comme le Romantisme, déjà si lointaine, cette expression familière et grandiose) ; M.  […] Le caractère vigoureux du corps fait un contraste pittoresque avec l’expression mystique d’une idée toute mondaine, et la surprise n’y joue pas un rôle plus important qu’il n’est permis.

536. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Il y a deux ou trois pages de lui, mais dès la cinquième il emprunte à l’abbé Le Grand non seulement ses jugements, mais ses expressions. […] » ce portrait est très agréable chez Duclos, mais il est pris tout entier de l’abbé Le Grand, qui ne fait que l’étendre un peu plus, et y mêler de ses longueurs et de sa bonhomie d’expression. […] On verra tout à l’heure jusqu’à quel point l’assertion est exacte, et si c’est pour le matériel des faits seulement ou pour leur expression aussi, que Duclos s’appuie sur son devancier. […] Et quant à ceux auxquels il est accordé de revêtir leur pensée d’une expression d’éclat et d’imprimer il leur œuvre un cachet d’imagination et de grandeur, ne croyez pas, en général, qu’ils y soient arrivés du premier coup et sans une longue et opiniâtre conquête au-dedans.

537. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

L’espérance ou la crainte, excitées par les gestes et les mouvements d’une multitude agitée, pressaient de tous côtés l’âme et l’esprit, les élevaient au dernier degré de puissance et d’expression. […] Pour ce sauvage qui n’a pas l’idée de la beauté, qui ne compare pas, dont une continuelle rivalité sociale n’entretient ni n’exalte l’imagination, rien de pareil n’existe, et « l’instant rapide du plaisir, selon l’heureuse expression de M. de Meilhan, est pour lui une flèche décochée dans l’air, et qui ne laisse aucune trace ». […] Il n’a pas été étonné de voir les Français dès le premier jour aller au-delà du but et, selon l’expression anglaise, passer à travers la liberté. […] Le style en est simple et uni : La simplicité du style, pense avec raison l’auteur, convient seule lorsque l’expression ne peut atteindre à la grandeur des objets.

538. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Egger, son gendre, — a eu l’idée d’ouvrir tous ce parc réservé et, moyennant quelques précautions indispensables, de faire jouir tout le monde du parterre où jusqu’ici (selon une expression heureuse) « quelques-uns seulement allaient discrètement cueillir quelques charmants boutons. » Ah ! […] Supposons donc que l’on soit devant une suite de tableaux que le poète décrit et s’attache à caractériser l’un après l’autre, comme étant l’expression vivante des personnages représentés ; on arrive ainsi devant un tableau de Philoctète à Lemnos. […] Passage intraduisible ; car si l’on veut traduire littéralement, on cesse d’être délicat : l’expression grecque est à la fois sensible et légère. […] Dans l’épigramme originale, le villageois ne prend pas ce détour de traire la brebis dans un vase d’argile pour en arroser ensuite la tombe : il amène directement la brebis mère sur le tertre funéraire, et soulevant la mamelle [texte grec]; tenant haut le pis (expression d’un pittoresque rustique), il fait jaillir le lait sur la terre même.

539. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Si, hier encore, on ne savait trop où la prendre dans quelque exemple net et distinct, les Lettres de Mme Roland à Buzot nous en offrent aujourd’hui l’expression la plus haute et la plus pure. […] Si la littérature est vraiment ou doit être l’expression de la société, la littérature du xviiie  siècle est plus voisine de la société de son temps que la littérature du xviie ne l’était de la société sa contemporaine. […] Les amoureux sont aisément crédules ; elle est tentée de voir là-dedans un signe et une intention de la Providence : « Je ne veux point pénétrer les desseins du Ciel, je ne me permettrai pas de former de coupables vœux ; mais je le remercie d’avoir substitué mes chaînes présentes à celles que je portais auparavant, et ce changement me paraît un commencement de faveur. » Elle est extrêmement attendrie ce jour-là (7 juillet) ; les épanchements de la journée ne lui ont pas suffi ; elle s’y remet dans la soirée encore ; son âme déborde ; elle laisse échapper l’hymne intérieur comme dans un couplet mélodieux ; elle a beaucoup lu Thompson, elle l’imite ; elle a de sa prosodie scandée, elle a de la simplicité avec pompe : « Douce occupation, communication touchante du cœur et de la pensée, abandon charmant, libre expression des sentiments inaltérables et de l’idée fugitive, remplissez mes heures solitaires ! […] Il mourut bientôt après : je crus que c’était à propos pour sa gloire et la liberté ; mais les événements m’ont appris à le regretter davantage : il fallait le contre-poids d’un homme de cette force pour s’opposer à l’action d’une foule de roquets et nous préserver de la domination des bandits. » Or, Bosc avait cru bien faire en remplaçant l’expression si énergique : « impulser une assemblée », par cette autre qui n’a plus le même sens : « en imposer à une assemblée », et en mettant : « prendre la peine », au lieu de : « prendre le soin. » M. 

540. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Car la poésie est évidemment beaucoup plus large ; elle a pour matière tout le monde réel, y compris ses laideurs et ses discordances ; elle fait résider la beauté moins dans les objets (spectacles de l’univers physique, êtres vivants, sentiments et passions) que dans une vision particulière de ces objets et dans leur expression. Le romanesque, beaucoup plus restreint, est presque tout entier dans l’invention d’une humanité meilleure, et il peut se passer de l’expression plastique. […] Si mal que j’aie su distinguer la poésie et le romanesque, on a pu voir que le romanesque doit être principalement la poésie des créatures sentimentales, de celles qui connaissent peu la vie, qui n’éprouvent pas un grand besoin de vérité et pour qui l’art ne consiste pas avant tout dans l’expression : c’est-à-dire la poésie des enfants, des vierges et des jeunes femmes. […] Je lis ailleurs que « l’amour de M. de Maurescamp ne contenait aucun élément impérissable : c’était, pour employer une expression de ce temps, « un amour naturaliste ». 

541. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

. — Supposons que nous soyons arrivés au terme d’une longue et multiple enquête à laquelle nous aurions soumis, sinon toutes les œuvres littéraires d’une époque, du moins la grande majorité d’entre elles ; que nous ayons relevé leurs principaux caractères et les rapports de tout genre qui existent entre ces expressions de l’esprit national et ce qui de loin ou de près entre en contact avec elles ; que nous ayons enfin réuni, en un tableau soigneusement dressé, les résultats obtenus. […] En ce temps-là, tel écrivain entre à l’Académie pour une traduction médiocre d’un médiocre auteur classique et tel autre est loué d’avoir su enchâsser dans son œuvre une belle sentence de Sénèque ou quelque délicate expression de Virgile. […] La vie intérieure est également laissée dans l’ombre, et j’entends par là aussi bien la vie du cœur que la vie domestique, l’expression des sentiments en chaque individu aussi bien que dans l’intimité du. foyer. […] Quel que soit d’ailleurs l’ordre qu’on préfère, il faut réserver une place d’honneur aux grands hommes et aux chefs-d’œuvre qui représentent sans doute leur époque, mais la dépassent et l’entraînent à leur suite, qui sont la brillante expression de l’esprit de leur temps, mais en même temps de puissants agents d’innovation.

542. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Huet, que trop de savoir conduisait, comme il arrive souvent, à moins admirer, tout en reconnaissant dans ce passage le sublime de la chose racontée, se refusait à y voir, pour l’expression et même pour la pensée, rien de plus qu’une manière de dire, une tournure habituelle et presque nécessaire aux langues orientales, avec lesquelles il était si familier. […] Mais son expression a, en général, une grande propriété ; elle est quelquefois ingénieuse et même poétique par l’image. […] Toutes les fois qu’il parle d’Aunay, il a des peintures vives et il trouve des accents ; n’étant jamais poète avec son expression propre, il l’est quelquefois avec celle des anciens. […] Si le monde se réglait sur eux, on n’aurait plus qu’à s’asseoir, à jouir des richesses acquises, à se ressouvenir, à exprimer ses pensées avec les expressions des anciens, car tout a été dit.

543. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Condorcet nous en offre la dernière expression. […] Au sortir de ce livre terne et soi-disant consolateur, où pas une expression, pas une pensée ne vient, chemin faisant, dérider l’esprit et réjouir le regard, il faut bien vite ouvrir les Mémoires du cardinal de Retz et Gil Blas : ce sont les deux livres qui guérissent le mieux du Condorcet. […] Ses éloges académiques, quoiqu’on n’y rencontre presque jamais la couleur, la sensibilité, l’agrément ni le bonheur de l’expression, et que trop souvent la déclamation les dépare, se recommandent par des analyses fidèles, des jugements élevés et fermes, des observations fines et parfois mordantes : « On ne peut rien lire, dit M.  […] Toutes les fois que le peuple en personne se met en communication avec l’Assemblée, Condorcet y applaudit : On sait, écrivait-il le 21 novembre 1791, que les séances du dimanche sont consacrées au saint et indispensable devoir d’entendre les pétitionnaires… L’Assemblée doit aimer à se sentir quelquefois électrisée par les expressions que l’enthousiasme d’un peuple libre et généreux vient porter dans le sein même de ses séances.

544. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Son expression, exempte de toute phrase et sobre de couleur, se marque par une singulière propriété et une rigueur parfaite. Quand il nous définit la qualité du sol de l’Égypte et en quoi ce sol se distingue du désert d’Afrique, ce « terreau noir, gras et léger », qu’entraîne et que dépose le Nil ; quand il nous retrace aussi la nature des vents chauds du désert, leur chaleur sèche, dont « l’impression peut se comparer à celle qu’on reçoit de la bouche d’un four banal, au moment qu’on en tire le pain » ; l’aspect inquiétant de l’air dès qu’ils se mettent à souffler ; cet air « qui n’est pas nébuleux, mais gris et poudreux, et réellement plein d’une poussière très déliée qui ne se dépose pas et qui pénètre partout » ; le soleil « qui n’offre plus qu’un disque violacé » ; dans toutes ces descriptions, dont il faut voir en place l’ensemble et le détail, Volney atteint à une véritable beauté (si cette expression est permise, appliquée à une telle rigueur de lignes), une beauté physique, médicale en quelque sorte, et qui rappelle la touche d’Hippocrate dans son Traité de l’air, des lieux et des eaux. […] Saussure, on l’a dit, tout savant qu’il est, a de la candeur ; il a, en présence de la nature et à travers ses études de tout genre, le sentiment calme et serein des primitives beautés ; il se laisse faire à ces grands spectacles ; pour les peindre ou du moins pour en donner idée, pour dire la limpidité de l’air dans les hautes cimes, le frais jaillissement des sources ou de la verdure au sortir des neiges, la pureté resplendissante des glaciers, il ne craindra point d’emprunter à la langue vulgaire les comparaisons qui se présentent naturellement à la pensée, et que Volney, dans son rigorisme d’expression, s’interdit toujours ; il aura, au besoin, des images de paradis terrestre, de fées ou d’Olympe ; après un danger dont il est échappé, lui et son guide, il remerciera la Providence. […] Pourquoi choisir froidement, et comme sans en avoir l’air, l’expression la plus faite pour blesser la foi de tout un monde et pour contrister son espérance ?

545. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Pourvu que nous sentions dans la création de l’artiste la spontanéité et la sincérité d’expression que nous rencontrons partout dans la réalité, « l’antipathique même redevient en partie sympathique, en devenant une vérité vivante qui semble nous dire : Je suis ce que je suis, et telle je suis, telle j’apparais7. » Ainsi sera refaite, dans l’art à tout le moins, une place et une large place aux individualités, ces ondulations et miroitements divers du grand flot de la vie, qui semblait tout d’abord les emporter pêle-mêle. […] Zola, avec Balzac, voit avec raison dans le roman une épopée sociale : « Les œuvres écrites sont des expressions sociales, pas davantage ; la Grèce héroïque écrit des épopées ; la France du dix-neuvième siècle écrit des romans. » Le roman, dit Guyau, raconte et analyse des actions dans leurs rapports avec le caractère qui les a produites et avec le milieu social ou naturel où elles se manifestent. […] Le sentiment, avec son caractère communicatif et vraiment social, deviendra l’homme même, sa plus haute et dernière expression ; quant à son individualité propre, elle comptera pour peu de chose. […] L’art, figuration du réel, représentation de la vie, n’en deviendra l’expression véritable et n’acquerra toute sa valeur sociale que s’il a pour objet de rendre frappants, en les condensant, les idées ou sentiments qui « animent et dominent toute vie » et « valent seuls en elle ».

546. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

L’expérimentateur, selon l’expression de M.  […] Sans doute introduire une force vitale comme un deus ex machina qui dispenserait de l’étude des phénomènes, c’est retomber dans la scolastique, c’est ressusciter la vertu dormitive et toutes les facultés occultes : c’est ce que Leibnitz appelait la philosophie paresseuse, qui prend les mots pour les choses ; mais en un autre sens l’expression de force vitale est d’une grande utilité. […] Claude Bernard, il n’y a pas d’exception, et Cette expression n’exprime que notre ignorance. […] Claude Bernard lui-même signale le fait caractéristique qui sépare d’une manière absolue les corps vivants des corps bruts, et il n’hésite pas à employer l’expression si discréditée de force vitale.

547. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Si Le Prince n’y prend garde, s’il continue à se négliger sur le dessin, la couleur et les détails, comme il ne tentera jamais aucun de ces sujets qui attachent par l’action, les expressions et les caractères, il ne sera plus rien, mais rien du tout ; et le mal est plus avancé qu’il ne croit. […] Montrez-moi une vieille rusée qui attache l’attention d’une jeune innocente enchantée, tandis qu’une autre vieille lui vide ou lui coupe ses poches ; et si chacune de ces figures a son expression, vous aurez fait un tableau… non pas, s’il vous plaît, il y faudra encore bien d’autres choses. […] La tête en est charmante, d’un caractère particulier et d’une expression rare ; c’est l’ingénuité des champs fondue avec la verve du talent. […] L’homme le plus sujet aux accès de l’inspiration pourrait lui-même ne rien concevoir à ce que j’écris du travail de son esprit et de l’effort de son âme, s’il était de sens froid, j’entends ; car si son démon venait à le saisir subitement, peut-être trouverait-il les mêmes pensées que moi, peut-être les mêmes expressions, il dirait, pour ainsi dire, ce qu’il n’a jamais su ; et c’est de ce moment seulement qu’il commencerait à m’entendre.

548. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Ces sons imitatifs auront été mis en usage principalement quand il aura fallu donner des noms aux soupirs, au rire, aux gemissemens, et à toutes les expressions inarticulées de nos sentimens et de nos passions. […] C’est, s’il est permis d’user ici de cette expression, une monnoïe frappée au coin de la nature, et qui a cours parmi tout le genre humain. […] Les expressions suivantes font ce mauvais effet. […] C’est l’effet que produit la lenteur avec laquelle se prononcent les expressions simples et en apparence sans art, que Ciceron repête pour parler de l’action contre laquelle il veut soulever l’imagination de l’auditeur.

549. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

En philosophie, en législation, en politique, en littérature, tout ce que la Restauration a essayé d’élever a croulé, tout ce en quoi elle a eu confiance s’est dissous, depuis la Charte que l’Éclectisme, la Domination intellectuelle d’alors, proclamait l’expression la plus haute de l’esprit humain, en matière de gouvernement, jusqu’à l’Éclectisme lui-même ; depuis le canapé de la Doctrine, commode Trépied, sans enthousiasme et sans oracles, jusqu’aux ambitieuses théories romantiques de M.  […] Nettement fait de leurs œuvres est certainement moins éloquente et moins brillante que la critique de Mme de Staël dans son livre de l’Allemagne, mais si l’expression et toutes les ressources de l’aperçu n’y sont pas au même degré, il y a une vigueur de moralité qui est, après tout, la vraie virilité de la pensée et qui prouve que la femme du plus éblouissant génie, quand elle est protestante et philosophe, reste néanmoins, sur les points les plus importants de la pensée et de la vie, fort inférieure à un catholique, de talent médiocre mais convaincu. […] Nettement, l’expression idéale du génie qui a créé Séraphitus. […] Il n’a pas plus l’expression qu’il n’a la réflexion, qu’il n’a la méthode, qu’il n’a quelque chose, si ce n’est de pousser devant lui sa plume d’une main qui défie la fatigue de l’alourdir.

550. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Quant à la qualification de républicain exalté, que le Bulletin attache à son nom, nous n’y pouvons voir qu’une expression exagérée de ce qui, à un certain jour, dut être en effet le vrai de ses sentiments. […] Il y a une netteté dans les idées, une clarté dans les expressions, une fierté contenue dans le style, un calme dans la marche de l’ouvrage, qui en font, selon moi, une des plus belles productions du siècle. […] Et pour le style, soit en prose, soit en vers, pour la forme de l’expression, que de soins, que de scrupules ! Dans la tragédie en particulier, quel art insensible pour concilier le simple et le noble, l’expression libre, naturelle, par moments familière, et l’expression idéale ! […] Ai-je besoin aussi de faire remarquer que cette expression, talent distingué, voulait dire alors plus qu’aujourd’hui ?

551. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

D’ailleurs, qu’on me permette cette expression, il y a bien plus de cordes à la harpe de David et d’Isaïe qu’à celle d’Ossian. […] Continuons le développement de cet ouvrage, et que les lecteurs songent qu’un tel sujet a son langage propre et ses expressions consacrées. […] Que de fois, et surtout dans le quatrième volume, l’expression égale la grandeur du sujet ! […] Remarquez bien cette expression d’ornements égayés. […] Il fait passer dans ses expressions tout le feu de la guerre, et toute l’âme de Condé.

552. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Consiste-t-elle dans l’expression générale de l’ambition ? […] De là vient aussi la disproportion qui existe entre nos sentiments et l’expression que nous leur donnons. Le sentiment est vigoureux et profond, l’expression est incomplète et faible. […] Leur taciturnité n’est que l’expression de la tristesse secrète de l’homme qui sait que son sort n’est pas entre ses mains. […] Il aimait ces yeux démesurés, dont l’expression relevait si bien les platitudes bouffonnes qu’il débitait.

553. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

une langue magnifique dans sa simplicité, rapide et n’omettant rien, — et toujours d’une merveilleuse exactitude d’expression. […] Lacroix, en exactitude « d’expressions et de détails ». […] Tenez, à cet endroit (et de l’ongle il marquait l’expression incriminée) vous parlez d’un cheval « qui mordille la pointe des roseaux ». […] » Expression beaucoup plus raisonnable, beaucoup mieux appropriée. […] Que nulle raison de convenance ou de reconnaissance n’altère jamais l’expression de la pensée.

554. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il les considère le plus souvent alors comme les expressions vivantes d’une classe plus ou moins nombreuse, comme les organes d’une clameur plus ou moins générale. […] Thiers en accorde beaucoup moins aux inductions philosophiques, et laisse le plus souvent au lecteur le soin de les tirer, il semble plus à l’abri d’un défaut qui ne consiste, après tout, que dans l’expression trop absolue de certaines vérités générales.

555. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Si l’on connaît sa nature, et si l’on s’applique à n’en pas altérer la pure et franche expression, on n’en a que plus de naturel. […] Ce jugement qu’on porte sur soi doit servir de règle et d’épreuve dans la recherche des idées et des expressions, mais sans étroitesse et sans minutie : il en est du style comme des mines et des gestes ; vouloir faire transparaître son Ame à tous moments est le comble de l’affectation et l’antipode du naturel.

556. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

On ne recherche et l’on ne sent que l’exactitude scientifique de la pensée et de l’expression ; on n’a que des idées abstraites à exprimer, et on ne les rend que par des signes abstraits. […] Piron y est d’une bouffonnerie saisissante avec un grain de fantaisie délicieux : Voltaire y porte une justesse aiguë de pensée et d’expression.

557. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Ce n’est selon moi que l’expression d’un rapport. […] Et puisqu’on veut bien nous accorder que les Naturistes apportent en effet une éthique imprévue et une inédite méthode de vie, je ne crains pas trop de m’avancer en déclarant que leur désir d’art populaire, autochtone, païen et rationnel, contribuera énormément à une réforme dans l’expression, qui, pour être très différente de celle de Malherbe, n’en sera pas moins considérable.

558. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Comme le dit Ciceron, la nature a marqué à chaque passion, à chaque sentiment son expression sur le visage, son ton et son geste particulier et propre. […] Les demi-choeurs dont je parle, qu’on excuse mon expression, donnoient un spectacle interessant lorsque Lulli les faisoit executer par des danseurs qui lui obéissoient et qui osoient aussi peu faire un pas de danse lorsqu’il le leur avoit défendu, que manquer à faire le geste qu’ils devoient faire, et à le faire encore dans le temps prescrit.

559. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Levallois est très précis dans l’expression, et il applique avec beaucoup d’art ce don précieux de l’expression aux barbouillages de la rêverie.

560. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Topffer »

Topffer est français, lui, par la légèreté de l’expression et la transparence de la pensée. […] Mais l’intérieur de ces vieilles poitrines de grimpeurs de montagnes ou du cœur de rose de cette fillette, mais la manière de concevoir et de sentir la vie de ce mâle et pauvre curé qui, son bréviaire récité, sa messe dite, se rappelant qu’il est un robuste fils des Alpes, s’en va faire la guerre aux oiseaux du ciel pour nourrir les pauvres de la terre, voilà ce que l’on voudrait voir, voilà ce que Topffer ne nous montre pas avec assez de détails et ce qui n’aurait pas échappé à Sterne, par exemple, ce grand moraliste qui sait aussi fixer en trois hachures un paysage d’un ineffaçable fusain, grand comme l’ongle, mais infini d’expression, et qui reste à jamais, dès qu’on l’a vu, dans la mémoire, comme une pattefiche dans un mur !

/ 2652