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566. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Sitôt que ces élections eurent introduit dans le Corps législatif une majorité royaliste, et que le Corps législatif eut porté au gouvernement un chef royaliste aussi, la division éclata entre le Directoire et les Conseils, et jusqu’au sein du Directoire.

567. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

Entre 1887 et 1891, traversant une crise physiquement maladive, il écrit les Soirs, les Débâcles, les Flambeaux noirs, « abrupte et puissante trilogie trahissant ce que les heures mauvaises lui ont enseigné de lui-même » : les Soirs, la peine du corps infirmé par la douleur ; les Débâcles, la détresse de l’âme que le mal envahit et révolte. Avec les Flambeaux noirs, la crise paraît s’atténuer ; la convalescence survient, mensongère, promettant plus d’espoir que n’en peuvent saisir le cerveau affaibli, le corps terrassé.

568. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Il sollicita vivement le corps pour donner son avis & prononcer entre Scudéri & Corneille. […] Piganiol de la Force remarque, d’après un autre écrivain aussi spirituel que lui, que le corps de ce ministre ambitieux est placé dans le même endroit où étoient auparavant les latrines du collège de Calvi : « Soit, dit-il, que la providence, qui gouverne tout, ait voulu humilier, après sa mort, un homme qui avoit joué un si grand rôle dans le monde ; soit qu’elle ait voulu confondre l’orgueil des hommes, en leur faisant voir où se terminent les honneurs qu’ils estiment le plus. » Corneille étoit de Rouen, fils d’un maître des eaux & forêts.

569. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Le corps de l’esprit, pour ainsi dire. La parole est si inconcevable, qu’il faut ces deux mots contradictoires pour en donner seulement l’idée : Le corps de l’esprit.

570. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Point de vapeur entre le corps lumineux et les objets ; aucun de ces passages, point de ces demi-teintes si légères, qui se multiplient à l’infini dans les tableaux de nuit et dont les tons imperceptiblement variés sont si difficiles à rendre ; il faut qu’ils y soient et qu’ils n’y soient pas. […] Comme depuis le péché d’Adam on ne commande pas à toutes les parties de son corps comme à son bras, et qu’il y en a qui veulent quand le fils d’Adam ne veut pas, et qui ne veulent pas quand le fils d’Adam voudrait bien ; dans le cas de cet accident, je me serais rappellé le mot de Diogène au jeune lutteur : mon fils, ne crains rien, je ne suis pas si méchant que celui-là. si cette femme s’est un peu promenée au sallon, elle aura vu passer avec dédain devant des productions fort supérieures aux siennes, et pueri nasum… etc., et elle s’en retournera un peu surprise de la sévérité de nos jugemens, plus sociable, plus habile, et moins vaine.

571. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Pajou » pp. 325-330

La vierge est à droite, à genoux, le corps incliné, en devant s’entend, et se soumettant au fiat. […] le repos d’un berger. il est assis ; il a les mains appuyées sur un bâton qui soutient ses bras ; le reste du corps est assez mollement jetté de la droite à la gauche ; il regarde ; il respire, il vit.

572. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

— non pas charge d’âmes (le mot serait trop chrétien), mais charge de corps, charge de chair souffrante. […] Et comment pourrait-il supporter le capucin, le héros des vertus humbles, simples et fortes qui dominent le corps et le font magnifiquement obéir ?

573. (1903) Le problème de l’avenir latin

Lorsqu’on se résigne à « vivre d’une vie étrangère », à « n’être plus qu’un des membres d’un corps étranger », au moment même où cette vie se dissout, où ce corps se décompose, comment subsisteraient la force ethnique et la pureté d’énergie que l’on doit à la nature et à la race ? […] Avec des corps faibles ou malsains rien d’important ni de durable ne peut être accompli. […] Les élans les plus spirituels de la vie d’une société sont étroitement liés à la vie des corps.‌ […] Pour édifier un monde moral et un monde mental nouveaux, il faut avant tout des corps capables de les supporter. […] Dans ces grands corps malades ou paralysés, il y a encore un élément de vie et d’activité.

574. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Enfin, son enfant naît, mais le rêve de toute la race a pris corps et forme, lady Hastings donne le jour à un centaure. […] Pendant qu’emporté par le vent ton corps dévorera les distances, de ton âme s’élèveront, pour essayer d’escalader le ciel, les vagues de passions gigantesques. […] Et ce sont bien aussi les plus hautes aspirations de la nature humaine qu’il évoque, ce Centaure prodigieux dont la moitié du corps est animale et dont le buste est divin. […] Combien d’autres qui ont des corps merveilleux, et de l’âme sous le visage, ne se résoudront jamais à s’humilier devant un juge, ce juge fût-il le berger Pâris au sommet du mont Ida ! […] C’est ainsi, si je peux dire, qu’une jeune femme au corps parfait peut paraître nue, sans désagrément pour les yeux, mais qu’une grosse femme gélatineuse sera horrible sans corset.

575. (1940) Quatre études pp. -154

Car il se jette à corps perdu dans l’érudition, apprenant tout ce que les hommes ont appris, les Grecs, les Latins, les Français, les Anglais, les Allemands. Il fatigue son âme et son corps ; son frère, s’éveillant tard dans la nuit, le voit à sa table de travail, profitant des dernières lueurs de la lampe pour travailler encore. […] L’univers est formé par des éléments — c’est-à-dire par les plus petites parties de la matière au-delà desquelles une division n’est plus possible — dont l’union compose les corps. […] De ce philosophe, l’homme de désir peut apprendre que chaque fibre de son corps, que chaque élément de chaque fibre, est désir. […] Considérations sur les corps organisés, Première partie, chap. 

576. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

J’aime ces doux combats, et je suis patient ; Dans l’étroit vêtement qu’à son beau corps j’ajuste, Là, serrant un atour, ici le déliant, J’ai fait passer enfin tête, épaules et buste. […] Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps, Ainsi j’aime la femme, ainsi j’aime la Muse.

577. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

On avait exposé le corps dans le hall de la Plume, parmi les tableaux de la dernière exposition : les Hâleurs de Gottlob, les Parisiennes d’Henri Boutet, les Pyrotechnies savantes d’Henri de Groux, les Quiétudes rustiques de Maglin. […] La levée du corps tarde plus que de raison.

578. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

C’est pourquoi je vous le dis : Ne soyez pas inquiets de l’aliment que vous aurez pour soutenir votre vie, ni des vêtements que vous aurez pour couvrir votre corps. La vie n’est-elle pas plus noble que l’aliment, et le corps plus noble que le vêtement ?

579. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

De même, on démêlera sans peine dans la Nouvelle Héloïse, de Rousseau, où la trame est faite par les amours de Julie et de Saint-Preux, de véritables hors-d’œuvre, par exemple, les aventures de Milord Edouard, tenant si peu au corps du récit que l’auteur lui-même a fini par les rejeter en appendice. […] En chimie, on soumet un corps à chacun de nos sens pour en déterminer les caractères distinctifs : il y a lieu de soumettre un style à une enquête semblable et plus complète encore, parce que nous avons affaire ici à quelque chose de vivant.

580. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « L’abbé Galiani »

Heure grave, où le léger d’esprit qui va, dans une minute, n’être plus qu’un corps pesant sous de la poussière, cesse d’être Arlequin ! […] L’esprit peut être bossu comme Pope, cul-de-jatte comme Scarron, malade comme Voltaire, nain comme Galiani, mais il n’en est pas moins puissant, dans ces corps chétifs, et peut-être l’est-il davantage !

581. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Lacombe explique en détail ce qu’était la commune de Paris, réunion fraternelle des six plus grands corps de l’industrie, désignée à toutes les époques sous le double nom de l’Hôtel de Ville ou Maison de la Marchandise. […] D’ailleurs, rien ne donne plus d’aplomb à la pensée d’un homme que les certificats de l’histoire ; l’aplomb de la pensée donne à son tour la justesse du coup d’œil, comme la solidité du corps produit la justesse de la main, et c’est ce qui est arrivé à F. 

582. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 184

On a de lui plusieurs Plaidoyers, Mémoires & Consultations, dispersés dans nos Bibliotheques, & qu’il seroit utile de réunir en corps d’Ouvrage.

583. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 442

Cette apparition avoit d’abord prévenu contre leur réunion en corps de volumes.

584. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

. — Les souvenirs et les jugements généraux forment par leur cohésion un corps de réducteurs auxiliaires. — Leur influence est plus ou moins énergique et prompte. — Divers exemples. — Cas où leur influence ne suffit pas. — La sensation antagoniste, qui est le réducteur spécial, se trouve alors annulée. — Exemples dans l’intoxication et la maladie. — Le patient juge alors que son hallucination est une hallucination. — Cas où tous les réducteurs sont annulés, ou aliénation mentale complète. — Cas remarquable observé par le Dr Lhomme. […] L’halluciné prétendit alors qu’il ne voyait plus le corps du squelette, mais que la tête était encore visible au-dessus du corps du médecin ». […] On voit ici très nettement la liaison de la sensation et de l’image ; c’est un antagonisme, comme il s’en rencontre entre deux groupes de muscles dans le corps humain. […] L’halluciné est fou ; la perte d’équilibre locale a peu à peu entraîné une perte d’équilibre générale et croissante, comme la paralysie des muscles à droite, après avoir provoqué la rétraction et la difformité du visage à gauche, peut, par contagion, altérer les fonctions attenantes et porter la maladie dans tout le corps. […] De même que le corps vivant est un polypier de cellules mutuellement dépendantes, de même l’esprit agissant est un polypier d’images mutuellement dépendantes, et l’unité, dans l’un comme dans l’autre, n’est qu’une harmonie et un effet.

585. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Ces appartements étaient remplis par les cardinaux, le sénat, le corps législatif, les évêques, les ministres, et les autres corps de l’État, les chambellans, les dames du palais, etc. […] Il préféra donc ainsi ce corps laïque à celui auquel, par sa dignité, son ancienneté et ses serments, il appartenait d’une manière plus étroite. L’exemple de nos collègues qui, quoique sénateurs, ne voulurent pas se joindre à ce corps, mais à celui auquel ils appartenaient depuis longtemps, ne produisit sur lui aucune impression. […] Le corps législatif eut même le pas sur nous. […] « Les cardinaux qui étaient intervenus au mariage demeurèrent dans l’antichambre, et ils subirent encore l’humiliation de se voir précéder dans l’introduction, — je ne sais si ce fut une équivoque ou un ordre pour mortifier le corps auquel ils appartenaient, — par les ministres de l’empire, bien que le cérémonial français lui-même accorde la préséance sur eux aux cardinaux.

586. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Et Francis croit, que d’ici à très peu de temps, l’armée doit devenir le corps influent de l’État, et avoir la haute main dans le gouvernement. […] » Dimanche 27 février Aujourd’hui, au Grenier, on parlait, du beau port de corps, du style des égoutiers, des vidangeurs, et en général de tous les gens qui portent de grandes et de lourdes bottes : le soulèvement des grandes bottes, amenant un noble soulèvement des épaules dans la poitrine rejetée en arrière. […] Avec cela une détente de l’activité, une paresse du corps à bouger de chez moi, quand il n’y a pas là, où je dois aller, l’attrait de retrouver des personnes tout à fait aimées. […] Grelet, qui déjeunait avec nous, a parlé du corps des femmes japonaises, de l’exquise délicatesse de leur buste et de leur gorge, mais signalait chez toutes l’absence des hanches et du reste, et l’inclinaison en dedans de leurs jambes et de leurs pieds, par l’habitude qu’elles ont de se traîner à terre. […] Il m’entretient de sa fatigue, de sa lassitude de corps, que chasse, un moment, son heure d’armes de tous les matins.

587. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Isaïe prend corps à corps le mal, qui, dans la civilisation, débute avant le bien. […] Une émeute éclate en Gaule, les paysans couchent les dames romaines nues et vivantes sur des herses dont les pointes leur entrent dans le corps çà et là, puis ils leur coupent les mamelles et les leur cousent dans la bouche pour qu’elles aient l’air de les manger. […] En s’élevant, il s’idéalise, et la pensée laisse tomber le corps comme une robe ; de Virgile il passe à Béatrix ; son guide pour l’enfer, c’est le poëte ; son guide pour le ciel, c’est la poésie. […] Le ventre est pour l’humanité un poids redoutable ; il rompt à chaque instant l’équilibre entre l’âme et le corps. […] L’invention de Cervantes est magistrale à ce point qu’il y a, entre l’homme type et le quadrupède complément, adhérence statuaire ; le raisonneur comme l’aventurier fait corps avec la bête qui lui est propre, et l’on ne peut pas plus démonter Sancho Pança que don Quichotte.

588. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Son génie n’a pas leur puissance, mais aussi il n’a pas leurs défauts ; rien n’altère, chez le Français, cet équilibre admirable des facultés qui est la santé de l’esprit, comme l’équilibre des humeurs est la santé du corps. […] Attrait ou répugnance naturelle de l’esprit qui le préserve des engouements illogiques et qui lui fait choisir les aliments sains de l’intelligence, comme la répugnance physique du palais ou de l’odorat préserve le corps des substances suspectes ou nuisibles. […] Ainsi Pélée, quand il pleurait son fils Achille enlevé à sa tendresse… Si, avant la subversion de sa ville de Troie, Priam fût descendu chez les ombres, Hector, son fils, aurait porté sur ses épaules et sur celles de ses autres frères le corps vénéré de son père, à travers les Troyennes gémissantes, dont les filles du vieillard, Cassandre et Polyxène, les vêtements déchirés, auraient commencé les sanglots funèbres ! […] Plus loin, seul contre tous, il prend courageusement corps à corps l’injustice du siècle envers Racine, son ami ; il emprunte à l’auteur d’Athalie son style pour terrasser l’envie qui rapetissait déjà le grand tragique. […] La jeunesse en sa fleur brille sur son visage ; Son menton sur son sein descend à double étage, Et son corps, ramassé dans sa courte grosseur, Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.

589. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Je venais de passer un hiver à Naples, dans de vagues souffrances de nerfs qui sont la croissance de l’esprit et qui donnent à l’âme les mêmes angoisses que la croissance trop accélérée du corps donne aux sens. […] J’avais cependant l’esprit aussi juste que le corps sain ; mais j’étais malade d’un poème que je voulais enfanter sans avoir eu encore la force de conception nécessaire à cet enfantement. […] Les premières traductions qu’on en donna en France, à la fin du dernier siècle, ne sont que des paraphrases enluminées ou affadies ; il est impossible d’y trouver trace de l’original : ce sont des dentelles sur le corps d’Hercule. […] Brizeux, digne de lutter corps à corps, et plusieurs autres traducteurs sérieux ont tenté l’œuvre. […] La poésie est, en effet, comme un corps glorieux sous lequel la pensée demeure incorruptible et éternelle.

590. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Un des épisodes qui se rattachent le plus à son nom et dont ses lettres ont consacré le souvenir, c’est le voyage qu’il fit, en 1787, jusqu’en Crimée, avec l’impératrice Catherine, son ministre Potemkine et tout le corps diplomatique, dont était M. de Ségur, représentant de la France. […] Le prince de Ligne, malgré sa douceur de mœurs habituelle, ne pouvait s’empêcher d’avoir quelque accès de misanthropie ; il en voulait aux engouements et à toutes ces contrefaçons de talent ou d’esprit qui usurpent la réputation des originaux et des véritables : « Il se fait, disait-il, dans la société un brigandage de succès, qui dégoûte d’en avoir. » Mais il était plus dans sa nuance de philosophie et dans les tons qui nous plaisent, lorsqu’il écrivait cette pensée qui résume sa dernière vue du bonheur : Le soir est la vieillesse du jour, l’hiver la vieillesse de l’année, l’insensibilité la vieillesse du cœur, la raison la vieillesse de l’esprit, la maladie celle du corps, et l’âge enfin la vieillesse de la vie. […] C’est le prince de Ligne qui a écrit cette belle pensée : L’incrédulité est si bien un air que, si on en avait de bonne foi, je ne sais pas pourquoi on ne se tuerait pas à la première douleur du corps ou de l’esprit.

591. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Montluc, comme parlant à un roi soldat, se met donc tout d’abord à énumérer les forces de l’armée de Piémont et à nombrer les corps qui la composent ; il commence, comme de juste, par les Gascons : Sire, nous sommes de cinq à six mille Gascons… Car vous savez que jamais les compagnies ne sont du tout complètes, aussi tout ne se peut jamais trouver à la bataille ; mais j’estime que nous serons cinq mille cinq cents ou six cents Gascons comptés, et de ceux-là je vous en réponds sur mon honneur ; tous, capitaines et soldats, vous baillerons nos noms et les lieux d’où nous sommes, et vous obligerons nos têtes que tous combattrons le jour de la bataille, s’il vous plaît de l’accorder, et nous donner congé de combattre. […] Il répond un peu moins des autres corps, qu’il connaît moins, mais il espère qu’ils feront tous aussi bien que les premiers, surtout quand ils verront ceux-ci, Gascons et Suisses, mener vigoureusement les mains. […] Son grand moyen pour y arriver n’était pas seulement la libéralité et les distributions d’argent, c’était encore le soin qu’il avait de ses hommes en détail, de ne jamais leur faire faire une grande corvée sans leur faire porter pain et vin pour se rafraîchir, « car les corps humains ne sont point de fer » ; c’était surtout de donner l’exemple et de ne pas s’épargner soi-même dans les cas fatigants ou rebutants, de ne pas craindre de paraître déroger en prenant la pelle ou la pioche, comme à Boulogne ; en portant le brancard ou traînant la brouette chargée de matériaux, comme dans la défense de Verceil.

592. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Pascal n’a point un double rôle ; ce n’est point M. le théologal d’un côté, et le disciple de Sénèque ou de Montaigne de l’autre : en lui l’apologiste et l’homme ne font qu’un ; il y est tout entier, corps et âme. […] Pascal n’a rien de ces arrière-fonds de pensée ; il sait bien qu’il se noie, s’il n’embrasse cette voie unique de salut ; et c’est pourquoi il se jette à corps perdu dans la recherche, y associant tous les hommes ses frères. […] Il est ici-bas logé au dernier et pire étage de ce monde, plus éloigné de la voûte céleste, en la cloaque et sentine de l’univers, avec la bourbe et la lie, avec les animaux de la pire condition…, et se fait croire qu’il est le maître commandant à tout, que toutes créatures, même ces grands corps lumineux, incorruptibles, desquels il ne peut savoir la moindre vertu, et est contraint tout transi les admirer, ne branlent que pour lui et son service… Ici Charron combine et resserre deux passages différents ; il écourte Montaigne, mais il ne saurait faire oublier ni supprimer cette admirable interrogation que l’on dirait de Pascal s’adressant des objections à lui-même : Qui lui a persuadé que ce branle admirable de la voûte céleste, la lumière éternelle de ces flambeaux roulant si fièrement sur sa tête, les mouvements épouvantables de cette mer infinie, soient établis et se continuent tant de siècles pour sa commodité et pour son service ?

593. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Exemple : l’abbé Lacordaire parlant d’un bref adressé par Grégoire XVI aux évêques polonais, dans lequel le pontife s’était montré un peu faible de ton et d’expression envers le czar, avait cherché à excuser le père des fidèles en le comparant à Priam, qui vient réclamer le corps d’Hector, et qui, dans l’excès de son malheur, va jusqu’à baiser la main qui a tué son fils : « Quelle magnifique application, s’écrie Mroe. […] Leur théorie ne laisse pas d’éprouver de secrets échecs, et il y a bien des moments où le corps a raison de l’esprit. […] « Une âme n’est-elle pas une âme, à quelque corps qu’elle soit liée ? 

594. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

— j’ai pensé souvent à ces deux noms, à ces deux jeunes hommes bien regrettables, si tôt enlevés, un peu trop vantés sans doute, mais qui, en vivant, eussent justifié une bonne partie des louanges ; et ces louanges anticipées ou exagérées s’expliquent naturellement par la mort, par l’impression d’une perte soudaine et sensible, et parce que, tous deux, ils sont tombés entre les bras de leurs amis qui sont tout un parti et tout un corps, — le corps universitaire, le parti religieux. […] Travailleur infatigable, il était d’ailleurs très actif et agile de corps, très alerte aux jeux, et le premier aux barres comme à la conférence.

595. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

. — En votre corps (votre personne) je mets le bien et le mal ; — qui a tel don n’est pas lié à un pal (à un pieu, — c’est-à-dire est libre), etc., etc… » On le voit, Dieu parle d’une manière bien enfantine : nous voilà tombés dans la rue et dans le populaire ; adieu la belle liturgie ! […] Après les excuses qu’ils essayent de balbutier, Dieu fulmine les malédictions contre le serpent et lance contre eux les terribles menaces, les prédictions de malheur, en se réservant toutefois la pitié et la miséricorde : « En enfer irez, sans répit ; ici les corps, auront exil, les âmes en enfer péril. […] Moland, c’est cette même arrière-pensée de miséricorde, terminant la sentence divine qui-a-inspiré plus tard à Milton de faire descendre, pour juger l’homme déchu, non le Père, mais le Fils, le futur Rédempteur en personne, le « doux juge et intercesseur à la fois », venant porter la sentence avec une colère tranquille « plus fraîche que la brise du soir » ; et même temps qu’il condamnait les coupables en vertu de la loi de justice, les revêtant incontinent, corps et âme, dans leur nudité, les aidant en ami, et faisant auprès d’eux, par avance, l’office du bon serviteur, de celui qui lavera un jour les pieds de ses disciples : admirable et bien aimable anticipation du rachat évangélique et des promesses du salut !

596. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Le ministre français près la Diète de Ratisbonne, M. de Verjus, recevait de Louvois l’ordre de répondre de la bonne sorte aux plaintes des Allemands, — c’est-à-dire de ne rien répondre à la Diète en corps, et de ne daigner s’expliquer qu’à l’oreille des amis en particulier : « Le droit de Sa Majesté est si bien établi par le Traité de Munster, qu’il ne sera rien dit pour le justifier. Dans les discours familiers que le sieur de Verjus pourra avoir avec les députés bien intentionnés de la Diète, Sa Majesté a jugé avec beaucoup de raison qu’il serait bon qu’en même temps que ledit sieur de Verjus s’expliquerait avec la hauteur et la fermeté nécessaires pour faire connaître au corps de la Diète qu’elle n’est pas pour rien changer aux ordres qu’elle a donnés, il fut en état de faire connaître que Sa Majesté garde toute la modération et toute la justice que l’on peut raisonnablement désirer d’elle. » Louvois, en donnant ainsi des ordres à un envoyé diplomatique, empiétait d’ailleurs sans façon sur son collègue M. de Croissy, qui avait succédé lui-même au trop mou et trop modéré Pomponne dans le département des Affaires étrangères : il faisait acte de dictature diplomatique. […] Par malheur, la prudence, l’art profond qui avait dirigé le Sénat dans les beaux siècles de la République, la suite et la durée qui n’est donnée qu’aux corps et aux institutions et qui est refusée aux individus, leur manquèrent, et l’on est trop informé aussi, à leur égard, de certains détails qui gagneraient à se confondre dans l’éloignement.

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