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386. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

La condition de la critique, en ce qu’elle a de journalier, de toujours mobile et nouveau, la fait ressembler un peu, je réprouve parfois, à un homme qui voyagerait sans cesse à travers des pays, villes et bourgades, où il ne ferait que passer à la hâte, sans jamais se poser ; à une sorte de Bohémien vagabond et presque de Juif errant, en proie à des diversités de spectacles et à des contrastes continuels. […] De plus, en poursuivant l’image, en supposant le fleuve détourné, brisé, fatigué à travers les canaux, les usines, saigné à droite et à gauche, comme le Rhin dans les sables et la vase hollandaise, on retrouve la critique telle exactement que la font les besoins de chaque jour, dans sa marche sans cesse coupée et reprise.

387. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Ce retour sur soi-même, on le fera sans cesse, si on lit de la façon que j’ai dit, et chacune de ces études soutiendra l’autre et s’y alimentera. […] Enfin je ne sais si, au xviie  siècle, les habitudes religieuses, le souci de la perfection intérieure, l’obligation de déclarer ses fautes, entretenant dans l’âme une inquiétude qui la ramenait sans cesse en elle-même, ne contribuaient pas fortement à donner à l’esprit une vue nette et fine des faits moraux et le don de les exprimer aisément avec précision.

388. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

Aujourd’hui que trois cent soixante-cinq jours, c’est-à-dire, par le temps où nous vivons, trois cent soixante-cinq événements, nous séparent du roi tombé ; aujourd’hui que le flot des indignations populaires a cessé de battre les dernières années croulantes de la restauration, comme la mer qui se retire d’une grève déserte ; aujourd’hui que Charles X est plus oublié que Louis XIII, l’auteur a donné sa pièce au public ; et le public l’a prise comme l’auteur la lui a donnée, naïvement, sans arrière-pensée, comme chose d’art, bonne ou mauvaise, mais voilà tout. […] Pour l’artiste qui étudie le public, et il faut l’étudier sans cesse, c’est un grand encouragement de sentir se développer chaque jour au fond des masses une intelligence de plus en plus sérieuse et profonde de ce qui convient à ce siècle, en littérature non moins qu’en politique.

389. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Cette sensation cesse ; sa cellule revient au repos et à l’équilibre ; mais comment y revient-elle ? […] Par exemple, un éclair ou un coup de tonnerre produira en moi un ébranlement très-vif qui, je l’accorde, ne cessera pas tout d’un coup, et je puis passer très-rapidement et à mon insu par des alternatives de bruit et de silence, de lumière et de nuit, avant de m’arrêter au silence complet et à la nuit complète ; mais il n’y a rien là qui m’oblige à repasser par une série de phénomènes antérieurs.

390. (1879) Balzac, sa méthode de travail

L’imprimerie était un laminoir sous lequel sans cesse Balzac faisait passer sa pensée. […] De là des milliers de corrections, des intercalations de feuillets manuscrits, un dénouement entièrement nouveau, tous les pétards que ce Ruggieri tirait sur ses épreuves, toutes les bombes que l’homme, sans cesse en état de défense, lançait sur les marges pour protéger une œuvre qu’il ne jugeait pas suffisamment défendue.

391. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Elle a cessé son ouvrage, et elle avance de côté sa tête pour entendre. […] Il est sans cesse observateur, dans les rues, dans les églises, dans les marchés, dans les spectacles, dans les promenades, dans les assemblées publiques.

392. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

C’est cette grande difficulté — la grâce des forts — d’être léger en littérature, autrement qu’à la manière du liège, sans cesser d’être substantiel, pénétrant, profond, incisif, qu’Edmond About a affrontée. […] ce malheureux peuple a cessé d’être à l’ordre du jour.

393. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Voilà pourquoi il nous présente sans cesse des aspects nouveaux, mais incomplets. […] le satellite qui se traîne sans cesse dans le même cercle vaut-il l’astre central et générateur ? […] D’une part, ils leur crient sans cesse : Imitez les modèles ! […] Le vin, qu’on nous permette une trivialité de plus, cesse-t-il d’être du vin pour être en bouteille ? […] Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans cesse.

394. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Si la plante cessait de produire des fleurs normales, et l’on a observé ce phénomène pendant plusieurs années sur un spécimen d’Aspicarpa importé en France, une transition soudaine et importante se trouverait ainsi effectuée dans la nature de la plante. […] La sélection naturelle ne peut que rendre chaque être organisé aussi parfait, ou seulement un peu plus parfait que les autres habitants de la même contrée, qui vivent dans le même milieu et contre lesquels il doit lutter sans cesse pour vivre. […] Sachant d’ailleurs que tout être organisé s’efforce sans cesse de vivre partout où la vie lui est possible, nous comprenons ainsi comment il se peut faire qu’il y ait des Oies terrestres avec des pieds palmés, des Pics qui vivent en plaine, des Merles qui plongent et des Pétrels qui ont les habitudes des Pingouins. […] Ainsi les piles formées avec des muscles de Mammifères et d’oiseaux cessent au bout de peu d’instants de présenter des signes sensibles de courant ; tandis que celles qui sont faites avec des muscles de Batraciens et de Poissons (Grenouilles et Anguilles) en donnent encore plusieurs heures après leur mort. […] Ce dernier a constaté, au moyen du microscope, que la phosphorescence de ces animaux appartenait à la fibre musculaire, était intermittente, comme chez les Lampyres, et, comme chez ces derniers aussi, devenait plus vive quand on irritait la fibre ; et qu’en obligeant celle-ci à se contracter, elle cessait pendant un certain temps, puis se reproduisait quand on laissait l’animal se reposer.

395. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

La plupart de ses images cessent d’être fausses et exagérées, pour qui les envisage sous leur véritable aspect. […] Thalie enfin cessa de faire rougir les spectateurs et de s’ébattre sur la scène comme une bacchante enivrée. […] Cette méthode ne m’appartient pas autant qu’à l’ordre même de l’analyse qu’exigeait la littérature pour cesser d’être arbitraire et confuse. […] Leur langage cesserait de ressembler à la vérité. […] Le ridicule est mauvais sitôt qu’il raille ce qui est bon ; dès lors il cesse de corriger.

396. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Une dictature qu’on discute ou sous laquelle on discute, cesse d’exister ; pour qu’un seul homme commande, il faut qu’il soit le seul à parler. […] Dans toutes les communions séparées, on prend la haine contre nous pour le zèle qui est tout amour, au point qu’il cesserait d’être, s’il pouvait haïr. […] La presse devenait libre ; la tribune cessait d’être muette ; la poésie retrouvait ses ailes, l’histoire sa franchise, la philosophie son indépendance, la religion la liberté de la polémique. […] Ce sentiment qui revient sans cesse dans les premières poésies de M. de Lamartine, est un des motifs qui les fit accueillir avec tant d’enthousiasme par les femmes. […] Le doute, sans cesse repoussé, revient sans cesse puisqu’il faut le combattre sans fin.

397. (1884) La légende du Parnasse contemporain

J’entends leur coutume de hasarder sans cesse leurs personnalités dans leurs poésies. […] Résultat : les poèmes sur la direction des ballons, la télégraphie sous-marine et le percement de nouveaux canaux, avec dédicace menaçante au souverain : « Cesse de vaincre ou je cesse d’écrire !  […] Nous crûmes qu’il convenait de penser comme ce juif hongrois, qu’il fallait admirer et détester l’auteur de Lohengrin, cesser d’être son ami sans cesser d’être son apôtre, et se borner à ne plus lui tendre les mains qui l’applaudissaient. […] Il est même bon à un certain point de vue que la pauvreté cesse et cède la place, sinon au luxe, du moins au bien-être. […] Nous ajouterons les livres aux livres, les drames aux drames, et la renommée des meilleurs ne cessera pas de s’accroître.

398. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

On peut dire qu’elle avait cessé depuis 1848. […] La tentative de nous immiscer dans les affaires allemandes a été une flagrante inconséquence, et celle-ci ne doit pas être mise uniquement à la charge du gouvernement déchu ; l’opposition n’avait cessé d’y pousser depuis Sadowa. […] Jusqu’ici, la France n’a connu que deux pôles, catholicisme, démocratie ; oscillant sans cesse de l’un à l’autre, elle ne se repose jamais entre les deux. […] Ici l’individu est pris, élevé, façonné, dresse, discipline, requis sans cesse par une société dérivant du passe, moulée dans de vieilles institutions, s’arrogeant une maîtrise de moralité et de raison. […] L’Angleterre s’éloigne sans cesse du type que nous venons de décrire pour se rapprocher du type américain.

399. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Et s’il dit : ici cessent les causes, il n’a pas le droit d’ajouter : ici commence la liberté. […] Les diverses sciences sont ici analogues ; aucune ne peut épuiser la totalité des raisons d’un fait particulier quelconque, et aucune n’a le droit d’en conclure que les raisons cessent là où nous ne les apercevons pas. […] Choisir arbirairement, ce n’est pas choisir, c’est cesser au contraire de choisir pour s’en rapporter au hasard, comme quand on nous présente une assiette d’oranges. […] Au reste, pourvu qu’on ne cesse jamais de revenir ainsi à la réalité et à l’actualité, la considération du possible et de l’impossible peut avoir sa valeur comme considération auxiliaire. […] Ainsi donc l’amour ne serait pas toujours l’amour, parce qu’il se nuance sans cesse ?

400. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Le carnillet moussier, riante parure des rochers élevés, et deux ou trois pieds d’une gentiane qui se plaît dans les lieux que la neige couvre longtemps et qu’elle abreuve sans cesse, fleurissaient exilés sur cette cime déserte. […] À un certain endroit un pont, d’une seule arche se présente, jeté sur le gave, à quatre-vingt-dix pieds environ au-dessus du torrent : « Ce pont lui-même, antique et dégradé, revêtu de lierre qui pend de sa voûte en rustiques festons, a pris en quelque sorte l’uniforme de la nature, et a cessé d’être dans ce sauvage tableau un objet étranger. » L’uniforme de la nature est un de ces traits maniérés ou affectés qui se rencontrent quelquefois chez Ramond, mais qui ne sauraient compromettre le juste effet des ensembles. […] Un jeune berger marchait à la tête de chaque troupeau, appelant de la voix et de la cloche les brebis qui le suivaient avec incertitude, et les chèvres aventurières qui s’écartaient sans cesse.

401. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Son sexe en particulier est fait pour obéir, elle le sait : aussi la raison qu’elle recommande tant et sans cesse n’est point du tout un raisonnement ni une enquête curieuse ; gardez-vous de l’entendre ainsi. […] L’expérience lui avait inculqué pour principe « qu’on ne peut trop compter sur la faiblesse humaine. » Elle se méfiait, elle savait que tout se gâte vite et se dérange dans les éducations les plus admirées comme dans les natures les plus innocentes, dès qu’on cesse de veiller jour et nuit. […] Quand elle a ainsi rappelé toutes les conditions imposées et toutes les obligations, ce caractère où se confond le personnage de mère, de sœur aînée et de religieuse, et qui a pour objet de former de pauvres nobles jeunes filles destinées à édifier ensuite des maisons religieuses, mais surtout des familles, et à renouveler le christianisme dans le royaume ; des jeunes filles à qui l’on dit sans cesse : « Rendez-vous à la raison aussitôt que vous la voyez. — Soyez raisonnables, ou vous serez malheureuses. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route.

402. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Ce n’est plus l’âge des La Vallière, des Soubise, des Montespan, dansant avec Louis ou autour de Louis « sous des berceaux de fleurs » ; mais c’est encore le beau moment des promenades des dames sur le canal de Versailles, des collations de Marly, de Trianon, et les enchantements n’ont point cessé. Ils ne cesseront sensiblement que dans les dernières années de cette guerre. […] S’il y fit des fautes, il ne cesse d’y mériter l’estime.

403. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Il l’avertit sans cesse ; chaque lettre de lui a sa conclusion, son petit coup de cloche, tôt ou tard, qui ne manque jamais. […] C’est dans les lettres qu’il écrit à Mme Récamier que l’on trouverait le plus de traits exquis pour la peindre sous la forme idéale et symbolique qu’il ne cessa de lui prêter. […] Il ne cessa, dans aucun temps, d’être pour Mme Récamier un ami fidèle, constant, attaché, non exigeant, se plaignant à peine d’être rejeté au second ou au troisième plan (car il y avait une hiérarchie marquée dans ce monde d’amis), mais prouvant par la délicatesse et la suite de son affection qu’il eût été digne d’être mieux traité, d’être avancé au moins d’un cran. « Il n’y a de doux, de consolant, et je dirais même d’honorable, lui écrivait-il après trente années de liaison, que la suite et la persévérance des sentiments.

404. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Il ne cessa d’être contraire à demi-voix à l’influence d’Arago au sein de l’Académie, aux innovations qui tendaient à faire de plus en plus large la part du public, à la divulgation régulière et prompte des discussions et des travaux, telles que l’ont établie les Comptes rendus hebdomadaires des séances. Quand je dis qu’il s’y opposait à demi-voix, je n’ai dans l’idée que ses paroles à l’intérieur de l’Académie ; car, par sa plume et dans le Journal des Savants, il ne cessa de faire ouvertement la guerre à cette publicité croissante qui a quelques inconvénients sans doute, mais qui est dans la loi du siècle, et qu’on peut vouloir régler, sans plus espérer de l’empêcher. […] C’est ce qu’il n’a cessé de faire à l’occasion des nombreux écrits et témoignages originaux publiés en Angleterre sur Newton, et dont il s’était constitué dans le Journal des Savants le rapporteur très attentif, très fidèle, en même temps que le critique scrupuleux et sévère : on peut dire qu’en ce qui concerne Newton, il a été, pour la France, son historien de seconde main.

405. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Bossuet, dans la suite du peuple juif, voit partout le Messie prédit, annoncé, et ne cesse d’y tendre. […] Bossuet est à l’aise pour la reconnaître dans le langage enthousiaste et vague des prophètes, dans ce verbe de feu, sous ces images figurées qui se transmettaient de bouche en bouche et se renouvelaient sans cesse. […] L’historien, l’observateur politique a cessé son rôle : l’évêque a reparu.

406. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Mais déjà vers cette date, et un mois à peine écoulé depuis la cérémonie nuptiale, le mal, qui n’avait jamais entièrement cessé, se faisait de nouveau sentir. […] Son gendre et sa sœur, Mlle de Moramber, sont sans cesse à le servir avec son fils et son épouse, et tous se surpassent, chacun en sa manière. » Et dans la même lettre, reprenant la plume le lendemain (car le jour du courrier n’était que le jeudi) : « Ce 25 mars, vers le soir. — Je sors de chez le pauvre M.  […] Dans cette Épître, il y avait un couplet ou une tirade entière à la louange de M. de Louvois, « mais d’une louange si bien tournée, dit un contemporain, qu’elle était encore plus à la gloire du Roi qu’à celle de son ministre. » Voici cette strophe, toute prosaïque d’ailleurs ; je la donne pour ce qu’elle vaut : Avec tant de secret, d’activité, d’adresse, Un si grand dessein s’est conduit, Que la Nymphe qui vole et qui parle sans cesse N’en a pu répandre le bruit : Utile et glorieux ouvrage De ce ministre habile, infatigable et sage, Que le plus grand des rois de sa main a formé, Que ni difficulté ni travail ne rebute, Et qui, soit qu’il conseille ou soit qu’il exécute, De l’esprit de Louis est toujours animé Il fallait être bien avisé pour voir là dedans rien qui pût effaroucher Louis XIV.

407. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Ce fantôme de la Bastille était sans cesse devant ses yeux et troublait ses nuits. […] Il est évident qu’on ne comptait pas assez avec lui, qu’on le traitait avec un certain sans-gêne, que son caractère n’imposait pas, qu’on le prenait trop au mot dans les plaisanteries qui lui échappaient sans cesse sur lui-même. […] Cependant l’observateur, en lui, avait de quoi désennuyer le ministre d’État honoraire, en exerçant son mépris des hommes et sa critique des gouvernements : exclu de la scène, il ne cessait d’avoir l’œil dans les coulisses de la politique, et il se riait du jeu des acteurs.

408. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Le prestige dont parle Voltaire avait cessé, et Geoffroy, qui a le langage un peu cru, nous dit : « Il est constant que Bérénice n’a point fait pleurer à cette représentation, mais qu’elle a fait bâiller ; toutes les dissertations littéraires ne sauraient détruire un fait aussi notoire. » Talma pourtant goûtait ce rôle d’Antiochus ou celui de Titus, tel qu’il le concevait, et il en disait, ainsi que de Nicomède, que c’étaient de ces rôles à jouer deux fois par an, donnant à entendre par là que ce ton modéré, et assez loin du haut tragique, détend et repose32. […] Mais non : Racine, revenant ici, dans le dernier acte, à l’inspiration supérieure et majestueuse de la tragédie, a rendu énergiquement cette stabilité héroïque de l’âme à travers tous les orages, et n’a voulu laisser aucun doute sur ce qui demeure impossible : En quelque extrémité que vous m’ayez réduit, Ma gloire inexorable à toute heure me suit ; Sans cesse elle présente à mon âme étonnée L’empire incompatible avec notre hyménée, Me dit qu’après l’éclat et les pas que j’ai faits, Je dois vous épouser encor moins que jamais. […] Un organe pur, encore vibrant et à la fois attendri, un naturel, une beauté continue de diction, une décence tout antique de pose, de gestes, de draperies, ce goût suprême et discret qui ne cesse d’accompagner certains fronts vraiment nés pour le diadème, ce sont là les traits charmants sous lesquels Bérénice nous est apparue ; et lorsqu’au dernier acte, pendant le grand discours de Titus, elle reste appuyée sur le bras du fauteuil, la tête comme abîmée de douleur, puis lorsqu’à la fin elle se relève lentement, au débat des deux princes, et prend, elle aussi, sa résolution magnanime, la majesté tragique se retrouve alors, se déclare autant qu’il sied et comme l’a entendu le poëte ; l’idéal de la situation est devant nous. — Beauvallet, on lui doit cette justice, a fort bien rendu le rôle de Titus ; de son organe accentué, trop accentué, on le sait, il a du moins marqué le coin essentiel du rôle, et maintenu le côté toujours présent de la dignité impériale.

409. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Né sous le ciel des tropiques, au sein d’une nature à part, dont il ne cessa de se ressouvenir avec amour, il ne semble jamais avoir songé à ce que le hasard heureux de cette condition pouvait lui procurer de traits singuliers et nouveaux dans la peinture de ses paysages, dans la décoration de ses scènes champêtres. […] Un seul être me manque et tout est dépeuplé, il dit à peu près cela, comme l’a dit le chantre d’Elvire, mais il ne cesse de le répéter, de le croire. […] Celle des deux patries qu’il retrouvait devenait vite son exil ; le mal du pays en lui ne cessait pas.

410. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Le commencement des Mémoires est d’une grâce infinie et tient du roman ; c’est ainsi que la vie se dessine d’abord avant le charme cessé , avant l’illusion évanouie. […] « Mlle de Silly fondoit en larmes quand il nous dit adieu ; je dérobai les miennes à ses regards plus curieux qu’attendris ; mais lorsqu’il eut disparu, je crus avoir cessé de vivre. […] Mme de Staal avait glissé sur cet affreux détail ; mais elle l’avait trouvé aimable jusque dans les dernières années, et, malgré les erreurs de l’intervalle, elle n’avait pas cessé de rester soumise à l’ancien prestige.

411. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Or, si l’esprit régnant dans une époque cesse d’être prédominant dans l’époque suivante, la cause en est la nécessité de changement qui est imposée aux sociétés comme aux individus par la constitution même de l’homme et de l’univers. […] N’en est-il pas ainsi pour le balancier de la pendule qui, allant sans cesse de droite à gauche et de gauche à droite, reprend à chaque seconde la position qu’il occupait au début de la seconde précédente. […] Ainsi l’idée féodale a été durant des siècles comme la sève d’un grand arbre qui est allé grandissant, poussant des feuilles, des fleurs et des fruits, couvrant de son ombre un vaste espace ; mais un jour est venu où l’afflux du suc nourricier a cessé de suffire à une croissance nouvelle, puis s’est retiré peu à peu des racines et des branches les plus éloignées du tronc, s’est enfin, sous l’action hostile de l’âge et des forces extérieures, ralenti et réduit à rien.

412. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Sans être évêque ni prêtre, il est lui-même sûr de son fait, il sait à l’avance son but, et laisse assez voir sa certitude, ses dédains, son impatience ; il gourmande, il raille, il malmène celui qui résiste et qui n’entend pas : mais tout d’un coup la charité ou le franc naturel l’emportent ; ses airs despotiques ont cessé ; il parle en son nom et au nom de tous, et il s’associe à l’âme en peine qui n’est plus que sa vive image et la nôtre aussi. […] Il a une contemplation qui s’élève graduellement de vérité en vérité, et qui n’a pas à se pencher sans cesse d’abîme en abîme. […] mais nous marchons sans cesse.

413. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il avait l’imagination tendre et vive ; enfant, sa pensée se tournait naturellement aux choses célestes, et, dans ce pays de montagnes, il s’était accoutumé à les considérer comme les colonnes qui portaient le palais du Roi des mondes ; il ne s’agissait que de gravir pour y atteindre : Comme cette pensée roulait sans cesse dans son esprit, nous dit M. de Rémusat, qui se fait ici le traducteur excellent et l’humble interprète du premier biographe, il arriva qu’une nuit, il crut la réaliser. […] Tout cela a-t-il donc cessé sans espoir, et ce que M.  […] M. de Rémusat fit un rapport approfondi et cessa pour tous et pour lui-même d’être un amateur.

414. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Je suis, et je suis moi, voilà ce qu’il se dit sous toutes les formes et ce qu’il traduit sans cesse dans ses actions, sortes d’affirmations visibles d’une personnalité naissante121. […] Dans la conscience, le résultat final est la sélection croissante de l’idée du moi parmi toutes les autres : cette idée grandit sans cesse, s’éclaire, se détermine, et, comme l’idée de l’unité réalise de plus en plus l’unité même, nous finissons par penser invinciblement notre être sous la forme de l’unité. […] En un mot, c’est par la représentation de mon moi identique que je réalise une identité relative, que je me survis sans cesse à moi-même, que je renais à chaque instant, jusqu’à ce que je meure d’une mort définitive.

415. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Par exemple, s’il plaisait à un écrivain qui nous raconte l’histoire de Rome et qui analyse son gouvernement de s’arrêter tout à coup et d’introduire dans son ouvrage un traité approfondi sur les gouvernements mixtes, il cesserait d’être historien pour devenir publiciste. […] On ne peut lui interdire de juger ; mais si d’un jugement rapide et concis il passe à la discussion, et si de la discussion elle-même il tire une conclusion sur le fond des choses, il cesse d’être historien et devient philosophe. […] Ainsi le passé est entré comme objet dans les sciences de la nature, et elles sont devenues historiques sans cesser d’être des sciences.

416. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

Ce n’est donc pas une restitution qu’il tente, mais une interprétation d’un symbole qui n’a pas cessé d’être, à ses yeux, véridique et suprême, et que les tempêtes humaines n’ont fait qu’effleurer de leurs tourbillons. […] L’homme, ayant pris conscience de la réalité de son être et de la réalité du milieu où il vit, possède désormais la base nécessaire pour aborder ce mystérieux Univers dont l’énigme multiforme ne cessera plus de l’inquiéter. […] S’il en est ainsi, cessez d’espérer, croyez-moi, et retournez prudemment et noblement à votre tour d’ivoire, car votre déception serait formidable.

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