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455. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Farcy restait une bonne partie du jour dans un bois d’orangers, relisant Pétrarque, André Chénier, Byron ; songeant à la beauté de quelque jeune fille qu’il avait vue chez son hôtesse ; se redisant, dans une position assez semblable, quelqu’une de ces strophes chéries, qui réalisent à la fois l’idéal comme poésie mélodieuse et comme souvenir de bonheur : Combien de fois, près du rivage Où Nisida dort sur les mers, La beauté crédule ou volage Accourut à nos doux concerts ! […] Je ne voyais qu’un présent dont il fallait jouir, et jouir seul, parce que je n’avais ni richesses, ni bonheur à faire partager à personne, parce que l’avenir ne m’offrait que des jouissances déjà usées avec des moyens plus restreints ; et ne pas croître dans la vie, c’est déchoir. — Et cependant, du moins, tout ce que je voyais alors agissait sur moi pour me ranimer ; tout me faisait fête dans la nature ; c’était vraiment un concert de la terre, des cieux, de la mer, des forêts et des hommes ; c’était une harmonie ineffable, qui me pénétrait, que je méditais et que je respirais à loisir ; et quand je croyais y avoir dignement mêlé ma voix à mon tour, par un travail et par un succès égal à mes forces et au ton du chœur qui m’environnait, j’étais heureux ; — oui, j’étais heureux, quoique seul ; heureux par la nature et avec Dieu. […] promettez-moi que cet instant passé, vous ne vous en souviendrez pas pour me faire expier à force de froideur et de réserve un bonheur si grand. […] Le matin, loin du bruit, quel bonheur d’y poursuivre Mon doux penser d’hier qui, de mes doigts tressé, Tiendrait mon lendemain à la veille enlacé !

456. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Il désirait surtout deux bonheurs : la gloire militaire et la grande passion partagée. […] si Jésus venait à passer sur la route déserte, avec quel bonheur on jetterait derrière soi tout ce qui fait le bonheur pour la foule, en quelle extase on suivrait Celui qui serait la voie et la vie, et comme on laisserait indifférent les morts ensevelir les morts… Hélas ! […] Mais ce n’est pas le bonheur qui importe ; et ton inquiétude, tu le sens bien, n’est pas moins noble que le repos sur son sein. » [Fernand Gregh] Fernand Gregh, négociant précoce et enfant persistant, n’est pas seulement l’auteur de vers d’hésitation et de mièvrerie et de vers qu’il agite en vain pour les raidir comme des virilités adultes.

457. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Ce n’est point le poète qui est censé parler dans ces vœux et dans ces jouissances anticipées de bonheur champêtre : c’est un usurier, Alfius, qui, tout d’un coup épris, pour une raison qu’on ne dit pas, d’un merveilleux amour des champs, veut quitter les affaires et la Bourse de Rome pour aller cultiver la terre de ses mains et pratiquer la douceur des géorgiques : mais cette belle disposition ne tient pas ; le naturel l’emporte, et tous ces fonds qu’Alfius a retirés le 15 du mois, il cherche à les replacer dès le 1er du mois suivant. […] Racan, tout ignorant qu’il était, a encore imité Horace avec bonheur dans son ode au comte de Bussy : « Bussy, notre printemps s’en va presque expiré… » Son cousin, également, lui aura traduit ce jour-là le « Quid bellicosus Cantaber ». […] Ces trois vers sont admirables en effet, pour représenter le bonheur d’un héros chrétien désabusé, dans le ciel.

458. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Mais la gaieté naturelle, une joie de force et d’innocence corrigeait bientôt la langueur ; le calme et l’équilibre étaient maintenus ; tout en redisant quelque ode rustique à la Thompson, ou en moralisant sur les passions à réprimer, elle ajoutait avec une gravité charmante : « Je trouve dans ma religion le vrai chemin de la félicité ; soumise à ses préceptes, je vis heureuse : je chante mon Dieu, mon bonheur, mon amie : je les célèbre sur ma guitare : enfin, je jouis de moi-même. » Elle en était encore à la première saison, à la première huitaine de mai du cœur. […] En vain se répète-t-elle le plus qu’elle peut et avec une grâce parfaite : « Je veux de l’ombre ; le demi-jour suffit à mon bonheur, et, comme dit Montaigne, on n’est bien que dans l’arrière-boutique ; » sa forte nature, ses facultés supérieures se sentent souvent à l’étroit derrière le paravent et dans l’entresol où le sort la confine. […] Dans toute cette partie finale et déjà bien grave de la Correspondance, au milieu des vicissitudes domestiques et des malheurs qui assiégent l’existence de celle qui n’est déjà plus une jeune fille, il ressort pourtant une qualité qu’on ne saurait assez louer ; un je ne sais quoi de sain, de probe et de vaillant, émane de ces pages ; agir, avant tout, agir : « Il est très-vrai, aime-t-elle à le répéter, que le principe du bien réside uniquement dans cette activité précieuse qui nous arrache au néant et nous rend propres à tout. » De cet amour du travail qu’elle pratique, découlent pour elle estime, vertu, bonheur, toutes choses dans lesquelles elle a su vivre, et qui ne lui ont pas fait faute même à l’heure de mourir.

459. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Mais s’il le prend, pourquoi Louis, si timide au jour du bonheur, se montra-t-il si courageux au jour de l’adversité ? […] Ce n’est donc pas chose si aisée que d’associer le nécessaire et le bonheur : tout le monde n’entendra pas ceci. […] Quel bonheur pour un homme nouvellement débarqué de l’exil, après avoir passé huit ans dans un abandon profond, excepté quelques jours promptement écoulés !

460. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

La femme qui se déshabille pour se donner à un homme dépouille avec ses vêtements toute sa personne sociale ; elle redevient pour celui qu’elle aime ce qu’il redevient, lui aussi, pour elle : la créature naturelle et solitaire dont aucune protection ne garantit le bonheur, dont aucun édit ne saurait écarter le malheur. » Je suis ravi de cette beauté de pensée et de forme ; mais je tourne la page et j’y trouve une « floraison » ou un « avortement » qui « dérive » d’une certaine qualité d’amour. […] Il s’inquiète assez habituellement des conséquences que peuvent avoir les idées qu’il expose pour le bonheur et pour le bien moral de l’humanité. […] Nul, je crois, depuis Mme de La Fayette, depuis Racine, depuis Marivaux, depuis Laclos, depuis Benjamin Constant, depuis Stendhal, n’a induit avec plus de bonheur, décrit avec plus de justesse, enchaîné avec plus de vraisemblance ni exposé dans un plus grand détail les sentiments que doit éprouver telle personne dans telle situation morale.

461. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Cette objection mise à part, quelle garantie de bonheur mutuel offrirait un mariage de raison si déraisonnable ? […] Jeannine, agenouillée sur son fils, la tête cachée dans ses vêtements, sanglote doucement à cette voix chérie qui lui révèle un bonheur qu’elle n’ose espérer. […] A ces conditions, il aura trouvé le bonheur.

462. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Théodore Leclercq a eu ce singulier bonheur pour un écrivain moraliste et dramatique, d’avoir rattaché son observation et sa fine moquerie à une époque distincte et à un moment de l’histoire : tellement que, pour faire bien comprendre ce que l’historien ne dit qu’en courant et ce qu’il ne peut que noter sans le peindre, il n’y a rien de mieux que de renvoyer à quelques-uns de ses jolis proverbes comme pièces à l’appui. […] Théodore Leclercq fut un de ceux qui le piquèrent le plus finement et avec le plus de bonheur dans ses Proverbes dramatiques. […] De même, dans la scène entre les deux sœurs, et dans laquelle Mme de Goury a tant de peine à comprendre le bonheur domestique de Mme de Verna et à y croire, elle revient sur cette idée d’une place qui est son unique but : « Vous voyez bien, dit-elle, qu’il faut nécessairement que M. de Goury ait une place.

463. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Jamais on n’a porté si loin le bonheur de votre sexe : il y a peu de princesses dans le monde à qui vous ne fassiez sentir la dureté de leur condition par jalousie de la vôtre ; il n’y a point de saintes dans les couvents qui n’eussent voulu changer la tranquillité de leur esprit contre les troubles agréables de votre âme. […] Saint-Évremond ne croit en rien à l’avenir, et toutes ses espérances, comme tous ses bonheurs, se terminent pour lui au moment prochain ou présent : « Je n’ai pas en vue la réputation, dit-il… je regarde une chose plus essentielle, c’est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire après la mort… Il n’y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi… Vivez ; la vie est bonne quand elle est sans douleur. » Lui, qui a si bien pénétré le génie des Romains, voilà pourtant ce qui lui a manqué peut-être pour être leur peintre durable et définitif ; il a laissé cet honneur à Montesquieu. […] Et maintenant, quand on a parlé de Ninon avec justice, avec charme, et sans trop approfondir ce qu’il dut y avoir de honteux malgré tout, ce qu’il y eut même de dénaturé à une certaine heure, et de funeste dans les désordres de sa première vie, il faut n’oublier jamais qu’une telle destinée unique et singulière ne se renouvelle pas deux fois, qu’elle tient à un incomparable bonheur, aidé d’un génie de conduite tout particulier, et que toute femme qui, à son exemple, se proposerait de traiter l’amour à la légère, sauf ensuite à considérer l’amitié comme sacrée, courrait grand risque de demeurer en chemin, et de flétrir en elle l’un des sentiments, sans, pour cela, se rendre jamais digne de l’autre21.

464. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Indépendamment des idées révélées, les idées métaphysiques me donnent une très forte espérance de mon bonheur éternel, à laquelle je ne voudrais pas renoncer. […] Montesquieu, dans ce petit discours, parle magnifiquement de l’étude et des motifs qui doivent nous y porter : « Le premier, c’est la satisfaction intérieure que l’on ressent lorsque l’on voit augmenter l’excellence de son être, et que l’on rend plus intelligent un être intelligent. » Un autre motif encore, et qu’il n’allait pas chercher loin de lui, « c’est, disait-il, notre propre bonheur. L’amour de l’étude est presque en nous la seule passion éternelle ; toutes les autres nous quittent à mesure que cette misérable machine qui nous les donne s’approche de sa ruine… Il faut se faire un bonheur qui nous suive dans tous les âges : la vie est si courte, que l’on doit compter pour rien une félicité qui ne dure pas autant que nous ».

465. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

V Idée de perfection Quand on applique l’idée d’infini à une qualité, par exemple à l’intelligence, à la puissance, au bonheur, non plus seulement à une quantité abstraite, on forme l’idée de perfection. […] On objecte, avec Descartes, 1° qu’on ne peut construire l’idée de perfection en niant l’imperfection, parce que la perfection est conçue par nous comme positive. — Mais ce que nous nions et éliminons, ce sont précisément les limitations que nous trouvons en nous-mêmes, le côté négatif de notre bonheur, de notre intelligence, de notre puissance ; le reste est donc constitué par des qualités positives et non négatives. […] La science produit, par exemple, la puissance et le bonheur.

466. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

[NdA] Vivre et jouir, c’était pour lui tout un : « Le bonheur ! le bonheur !

467. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Ces quatre ou cinq pièces politiques, jointes à tant de délicieuses chansons personnelles, d’une inspiration et d’une fantaisie intimes, telles que Mon Tombeau ; Passez, jeunes Filles ; le Bonheur ; Laideur et Beauté ; la Fille du Peuple, et ce sémillant Colibri, qui est le lutin familier du maître et la personnification éthérée de sa muse comme est la Cigale pour Anacréon ; toutes ces pièces ensemble auraient suffi à composer un charmant recueil final, digne assurément de ses aînés, et la dernière couronne eût brillé verdoyante encore, pour bien des saisons, au front du citoyen et du poëte. […] Un tel à-propos et un tel bonheur, exploités par un génie qui a su si complètement s’en rendre compte, sont un coup unique dans une littérature .

468. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Et ailleurs, toute la pièce ironique et contristée qui commence par ces mots : Où donc est le bonheur ? […] Ce livre, avec les oppositions qu’il enferme, est un miroir sincère : c’est l’hymne d’une âme en plénitude qui a su se faire une sorte de bonheur à une époque déchirée et douloureuse, et qui le chante.

469. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Cette Thora n’a rien de commun avec les « Lois » grecques ou romaines, lesquelles, ne s’occupant guère que du droit abstrait, entrent peu dans les questions de bonheur et de moralité privés. […] Observer et maintenir la loi, parce que la loi est juste, et que, bien observée, elle donne le bonheur, voilà tout le judaïsme.

470. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Cette sympathie, en s’exaltant dans leur âme, aidait le roi à concevoir le véritable amour où les puissances morales surpassent les jouissances physiques, et à substituer en lui des idées de bonheur aux idées de plaisir. […] Le plaisir n’est pas le bonheur sans cloute, mais il aide à l’attendre.

471. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Il est artiste, à la manière de Néron ; d’étranges bonheurs décevants font fleurir sur les bouches des deux monstres la même écume de lubricité, de folie et d’impuissance. […] La morale, dans ces lueurs d’orage, ne lui paraît plus la même qu’à l’aube de l’espérance et au soleil du bonheur.

472. (1902) L’humanisme. Figaro

Mais, bien qu’ils y revinssent toujours comme en leur citadelle inexpugnable, les parnassiens sortirent souvent de la belle tour close où ils adoraient à l’écart l’idole hiératique : témoin Leconte de Lisle, dont la poésie, si impassible qu’elle veuille être, laisse souvent deviner la pensée généreuse et entendre le cœur palpitant ; témoin Sully Prudhomme, si préoccupé de justice et de bonheur, et qui loua André Chénier d’avoir uni Le laurier du poète à la palme du juste ; et Anatole France, dont les Noces corinthiennes ont pu sembler, vingt ans après avoir été écrites, une pièce d’actualité ; et le tendre et nostalgique Dierx, et Catulle Mendès, dont la fantaisie est si moderne, et Coppée, penché sur les humbles, et Heredia enfin, le somptueux conquistador épris des époques reculées et des rivages lointains, qui un jour, se souvenant qu’il était un homme d’aujourd’hui et appartenait à un « peuple libre », consentit à dresser un beau « trophée » en plein Paris, sur le pont Alexandre. […] Ils déclarent n’en avoir pas besoin, ils se flattent d’assurer, sans ce reste de mythologie, le bonheur de l’homme par l’homme.

473. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

ce fut justement à ce moment-là de son triomphe (derniers moments du bonheur poétique, moments sacrés de cette pure joie des beaux-arts ; pour ces moments-là le dernier bandit des Abruzzes aurait de l’enthousiasme et du respect), qu’un homme caché, perdu dans la foule, attendait mademoiselle Mars, le poignard à la main. […] » Au Misanthrope, un bonheur assez rare est arrivé ; Le Misanthrope devait avoir une suite (ici n’est pas le miracle ; on a la suite de Don Quichotte, on a la suite de Manon Lescaut).

474. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Elle avait le bonheur et l’honneur d’être petitement née. […] Avec cette air vieille fille que le bas-bleuisme endoctrineur lui a donné, Mme André Léo croit, comme les vieilles filles, à l’amour qu’elle confond avec le mariage, dans sa théorie ; menée, malgré elle, à cette conclusion que le but de la vie, c’est le bonheur du cœur, — la grande idée, hélas !

475. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

., avec la tuméfaction à la tête de l’orgueil, — car l’orgueil est hydrocéphale, — que l’esprit humain va de ce côté ; que l’avenir, ô bonheur du ciel mis sur la terre ! […] La littérature et les arts n’ont à se préoccuper que d’une chose, tout aussi importante d’ailleurs que l’émancipation de l’humanité : c’est de la beauté à exprimer, — à inventer ou à reproduire, — mais à exprimer dans des œuvres fortes et parfaites, si l’homme de lettres ou l’artiste peuvent atteindre jusque-là… La littérature et les arts sont désintéressés de tout, excepté de la beauté qu’ils expriment pour obéir à cette loi mystérieuse et absolue de l’humanité, qui veut de la beauté, pour le bonheur de son être, tout aussi énergiquement qu’elle veut des vêtements et du pain… Je parle, bien entendu, de l’humanité à son sommet, élevée à sa plus haute puissance ; je ne parle pas d’elle à l’époque de ses besoins inférieurs… Mais c’est le vice justement des libres penseurs, strangulés par la logique que leur a faite l’épouvantable matérialisme de ce temps, de ne voir jamais que les besoins les plus bas de l’humanité.

476. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Sous cette république, si peu romaine, dont nous avons le bonheur de jouir, — car sous la république romaine on ne se battait pas, — sous cette république inconséquente, où l’on continue de se battre comme sous la détestable monarchie, et où l’austère républicain Dufaure rumine sur le duel une loi lente à venir, voici un homme, d’une exécution plus rapide, qui publie, lui, non pas une loi, mais tout un Code nouveau du Duel 30. […] précisément en raison de l’importance sacrée de l’argent dans nos mœurs actuelles, avides et dépensières, les législateurs, qui sentent le bonheur d’en avoir et qui ont si peur des peines sévères, oseraient-ils jamais se servir de la seule peine laissée maintenant au législateur pour réprimer et pour punir ?

477. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

Une fois mort, quand on a le bonheur de l’être, on ne chicane plus ni votre mérite, ni votre gloire, et si quelqu’un s’en avisait jamais, on l’accuserait bien vite, ce quelqu’un-là, de profaner la cendre des morts. […] Cet égoïste, qui n’a songé qu’à être heureux, garde son bonheur pour lui seul.

478. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

un faux air de Talleyrand jusque dans la pensée, voilà le trait caractéristique de cette physionomie de Gœthe, lequel a eu plus de bonheur par ses défauts que par ses qualités, comme il arrive toujours, du reste. […] Bonheur inouï, n’est-il pas vrai ?

479. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

C’est là et de là qu’il porta dans les résultats de ses travaux et dans sa manière de travailler, dans son style qui était l’homme et dans les moindres détails de la vie, cette hauteur tranquille et cette éternelle préoccupation de l’ordre et de la règle qui fit sa gloire et son bonheur, car il fut heureux ! […] Parmi tous les bonheurs et toutes les somptuosités de cette prodigieuse destinée que Dieu, après sa mort, continue à cet heureux, qui aurait pu jeter sa bague aux poissons du Jardin des Plantes, le meilleur, c’est cette gloire plus intelligente et plus pure, incarnée dans l’admiration d’un rare esprit qui sait, lui, pourquoi il admire, et qui se détache de ce fond d’éloges traditionnels et de sots respects qui compose le gros de toute renommée.

480. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

C’est un bonheur pour lui et pour nous. […] Troncs d’arbres coupés par la foudre, troncs de statues mutilées par le temps, troncs de bonheurs interrompus par le train ordinaire de la vie, n’êtes-vous pas ce qui convient le mieux à nos yeux, chargés d’une éternelle tristesse ?

481. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

qui se piquent de libre examen et de philosophie, et c’est ainsi que du bonheur, de n’être pas prêtre dans une question théologique, il aura fait une habileté. […] Selon Caro et la vérité, montre à la main, c’est Hegel qui règle les destinées de la minute dans laquelle nous avons le bonheur et l’honneur de vivre.

482. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Il rêve la fraternité, la paix universelle, l’accession de tous au bonheur. […] Encouragé par le bonheur de sa première tentative, M.  […] Elle aussi, elle pourrait connaître le bonheur d’avoir un de ces chers petits anges. […] Elle n’entrevoit le bonheur que pour en faire un dernier sacrifice. […] Et voici le danger, c’est que Mme Désaubiers ne devine trop tôt le bonheur qui tue.

483. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Mais ces chagrins, comme ce bonheur, ont usé le corps du vieillard qui constate un jour aux battements de son cœur que l’heure suprême va sonner pour lui. […] Il a encore la force d’écrire à celle qui va lui donner le plus grand bonheur de son existence, de venir sans tarder d’une heure. […] Le coupable est revenu attiré par ces sourires de « bébé malade » et le bonheur va renaître ; tout est oublié, les bras se tendent, les lèvres vont se toucher. […] Rigault, qu’un si grand génie ait eu le bonheur d’être humain, et que le meilleur des hommes ait été l’un des plus grands. […] Elles vivent comme des vapeurs légères dans la région de Saturne, heureuses, sans souci, et ne sachant pas leur bonheur.

484. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Breton, Jules (1827-1906) »

S’il voit, dans son village natal, passer une procession de communiantes, il est amusé, retenu par cette impression de blancheur innocente, et, désespérant de fixer avec des couleurs matérielles cette candeur fragile, il chante délicatement son bonheur.

485. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Popelin, Claudius (1825-1892) »

Pierre de Bouchaud Somme toute, c’est l’artiste qui a dominé chez lui et lui a dicté ses moindres pensées, en poésie, où les mots : gloire, patrie, amour, bonheur, souffrance (toute la vie), reviennent sans cesse sous sa plume, sauvés de la vulgarité par le charme d’une langue nerveuse, colorée, et par de beaux élans d’enthousiasme, transformés par la magie d’un talent sensitif, fécond, impressionnable, précisément parce qu’il provient d’une nature artiste, revêtus enfin du majestueux vêtement d’un style imagé, toujours respectueux de la forme.

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