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1209. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Vous devriez savoir « qu’il a proportionné les accents de ses chanteurs et de ses chanteuses aux vers et aux rimes du poète », qu’à l’aide de ses airs « se sont insinuées dans le monde les passions les plus décevantes en les rendant encore plus agréables et plus vives » ; que cela peut être charmant, mais qu’en vérité les bonnes mœurs n’ont rien à gagner « à la douceur de cette mélodie ». […] Devéria avait tout à fait l’air de ces enrichis de la Chaussée-d’Antin qui, une fois gros propriétaires, se font nommer membres du conseil général ou de la Chambre des députés. […] Voilà pourquoi vous rencontrerez du vin de Bordeaux sous toutes les latitudes, et voilà pourquoi vous trouverez que la comédie de Marivaux est jouée, et passablement jouée, partout, en Europe, Plus d’une fois nous avons vu revenir de la Russie où elles avaient tout à fait oublié l’accent, le génie et le goût de la comédie de Molière, des actrices intelligentes qui se retrouvaient, très à l’aise, avec l’esprit de Marivaux ; elles le comprenaient à merveille ; elles le disaient avec beaucoup de grâce, et si parfois ces belles dames de la poésie exotique avaient rapporté de leur voyage un certain petit air étranger, ce petit air étranger les servait, loin de leur nuire, et leur donnait je ne sais quelle piquante nouveauté. […] Que de riches dentelles à son bonnet, que de broderies à sa jupe, et que sa robe feuille-morte a bon air ! […] Dans ces airs étudiés avec tant de soin, la dame en adoptait quelques-uns, en rejetait quelques autres : c’étaient de petites façons qu’on aurait pu noter, et apprendre comme on apprend un air de musique.

1210. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

. —  En somme, c’est un air de bravoure, avec oppositions de forte et de piano, avec variations et changements de ton ; Héloïse exploite son motif, et s’occupe à y insérer toutes les habiletés et les réussites de sa voix. […] Là1131, « le vent du sud amollissant échauffe le large espace de l’air, et sur le vide du ciel souffle les lourdes nuées distendues par les pluies printanières. […] Il y a dans cet air et dans cette végétation, dans cette imagination et dans ce style, un entassement et comme un empâtement de teintes noyées ou éclatantes ; elles sont ici la robe chatoyante et lustrée de la nature et de l’art. […] Th’ effusive South Warms the wide air, and o’er the void of Heav’n, Breathes the big clouds with vernal show’rs distent… Thus all day long the full-distended clouds Indulge their genial stores, and well-show’r’d Earth Is deep enrich’d with vegetable life, Till in the western sky the downward sun Looks out, effulgent, from amid the flush Of broken clouds, gay-shifting to his beam.

1211. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

c’est ton poème qu’il t’a volé, c’est les chants de Tristan, de Siegfried et de Parsifal, qu’il adapte, estropiés, à l’air de sa sérénade, en le Concours. […] L’Ouverture de Tannhaeuserap Dans un paysage comme la nature n’en saurait créer, dans un paysage où le soleil s’apâlit jusqu’à l’exquise et suprême dilution du jaune d’or, dans un paysage sublimé où sous un ciel maladivement lumineux, les montagnes opalisent au-dessus des bleuâtres vallons le blanc cristallisé de leurs cimes ; dans un paysage inaccessible aux peintres, car il se compose surtout de chimères visuelles, de silencieux frissons, et de moiteurs frémissantes d’air, un chant s’élève, un chant singulièrement majestueux, un auguste et pacifiant cantique élancé de l’âme des las pèlerins qui s’avancent en troupe. […] Puis, critique de l’opéra et de la musique modernes : tous ces genres reposent uniquement sur l’Air, qui est, à l’origine, la chanson populaire et devient la mélodie, puis le duo ou l’ensemble. […] 28 Mars : Concert de la Grande Harmonie : Air de concours de Tannhæuser (Henschling).

1212. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

J’étais alors plus gaie qu’aujourd’hui. » Cet air vif de Heidelberg lui est encore présent après plus de cinquante ans comme au premier jour ; elle le recommande, quelques mois avant de mourir, à la demi-sœur à laquelle elle écrit (30 août 1722) : Il n’y a pas au monde un meilleur air que celui de Heidelberg, et surtout celui du château où est mon appartement ; rien de mieux ne saurait se rencontrer.

1213. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

La paille menue vole au loin ; la tige broyée envoie dans l’air un fréquent brouillard d’atomes, qui étincelle dans le rayon de midi. […]  » Revenons à Cowper, sans nous dissimuler toutefois qu’il n’eût point peut-être réussi à exprimer si au vif la poésie des situations tranquilles que l’habitude rend insensibles à la plupart, s’il n’avait eu, lui aussi, ses orages intérieurs étranges et ses bouleversements profonds.  Le livre sixième de La Tâche débute par un morceau célèbre, et en effet délicieux : Il y a dans les âmes une sympathie avec les sons, et, selon que l’esprit est monté à un certain ton, l’oreille est flattée par des airs tendres ou guerriers, vifs ou graves.

1214. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Ce grand roi n’a plus l’air que d’un pompeux écolier. […] Dans une lettre du prince Henri, du 8 janvier 1771, une espèce de post-scriptum, écrit en revenant d’une soirée chez l’impératrice, nous montre comment fut jeté, d’un air de plaisanterie, le premier propos du partage de la Pologne.

1215. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

L’auteur des prétendus mémoires fait dire à la marquise « qu’elle a passé trente ans avec M. de Créqui dans un bonheur sans mélange. » Elle revient en plus d’un endroit, d’un air d’attendrissement, sur « tant d’années » d’un parfait bonheur qu’elle lui a dû. […] On rajusta tant bien que mal un semblant de biographie ; Crispin en marquise fit tous ses grands airs, et la comédie a réussi.

1216. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Il se pique d’avoir du trait et il en a, mais il y joint de l’impertinence, c’est-à-dire des airs de supériorité (quand il écrit, car en causant on assure qu’il avait plutôt l’air modeste), et il n’est jamais à court d’assertions tranchantes sur ce qu’il ne sait pas assez.

1217. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Il n’est pas de ceux qui ayant tout vu, tout essayé dans l’action, comme Retz, et tout osé, se risquent à tout dire, sauf à se faire une langue à leur image et qu’ils sont seuls à parler de cet air-là, bien assurés qu’ils sont d’ailleurs d’être toujours de la bonne école et de la bonne race : il est un de ces auteurs de profession qui, ayant commencé par la plume et ne la perdant jamais de vue, se retrancheraient plutôt (comme Fontanes) des idées ou des accidents de récit, s’ils croyaient ne pouvoir les rassembler et les rendre en toute correction et en parfaite élégance. […] L’important serait de bien marquer les différents temps, les différents âges, et les influences diverses qu’a subies ou exercées la compagnie, les courants d’esprit qui y ont régné et par lesquels elle s’est trouvée plus ou moins exactement en rapport et en communication avec l’air et l’opinion du dehors.

1218. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Ce fut une grâce… » Elle disait encore, en parlant de cet entier abandon de son être au sein de Dieu : « Ces sentiments, chère amie, sont de très ancienne date : le premier germe en a été conçu dans un temps où l’air était encore embaumé, les objets à l’entour resplendissants de beauté et de fraîcheur, et où mon cœur, quoique troublé par des peines, sentait encore parfois son existence avec enivrement. » Pour le philosophe et l’observateur, qui ne donne dans le surnaturel qu’à son corps défendant, il n’y a pas tant à s’étonner de cette subtilisation, de cette sublimation (pour parler comme en chimie) de tous les sentiments. […] Quelques grands athlètes y viennent de temps en temps se mesurer dans des duels ingénieux : ils entrent dans la lice, ils brillent, on écoute, on applaudit, et bientôt chacun des habitués reprend, le fil de ses propres réflexions dans des à parte suivis et qui, après les airs de bravoure, composent un fond de bourdonnements plus doux.

1219. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il rassemblait non seulement tout ce qui peut contribuer au charme des oreilles, une élocution noble et coulante, une prononciation animée, je ne sais quoi d’insinuant et d’aimable dans la voix, mais encore tout ce qui peut fixer agréablement les yeux, une physionomie solaire, un grand air de majesté, un geste libre et régulier. » Cette physionomie solaire, qui était à l’ordre du jour sous Louis XIV et à l’instar du maître, répond bien aux beaux portraits peints ou gravés qu’on a de M. de Harlay : je veux parler surtout de ceux de Nanteuil, de Van Schuppen et de Champagne. Chez tous on distingue une grande douceur, de la finesse, un air de persuasion ; l’œil est riant, la lèvre est entr’ouverte et belle ; mais dans celui de Nanteuil en particulier, le plus naturel des trois, on sent la force, quelque chose de mâle dans la douceur, et de capable, à un moment, d’imposer, d’éblouir et de remplir les yeux.

1220. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Catinat, son œuvre faite ou à peu près, rendait compte à Louvois d’un air de contentement trop visible : « Ce pays est parfaitement désolé, écrivait-il (9 mai) ; il n’y a plus du tout ni peuple ni bestiaux. […] Ils sont mal couchés, mal nourris, et les uns sur les autres ; et celui qui se porte bien ne peut respirer qu’un air empesté : par-dessus tous ces maux, la tristesse et la mélancolie causée avec justice par la perte de leurs biens, par une captivité dont ils ne voient point la fin ; la perte ou au moins la séparation de leurs femmes et de leurs enfants, qu’ils ne voient plus et qu’ils ne savent ce qu’ils sont devenus.

1221. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Ce défaut, ma chère fille, dans une princesse, n’est pas léger ; il entraîne après soi, pour faire la cour, tous les courtisans, ordinairement gens désœuvrés et les moins estimables dans l’État, et éloigne les honnêtes gens, ne voulant se laisser mettre en ridicule, ou s’exposer à se devoir fâcher, et à la fin on ne reste qu’avec mauvaise compagnie, qui entraîne peu à peu dans tous les vices… Ne gâtez pas ce fonds de tendresse et de bonté que vous avez. (17 août 1774.) » Et encore, — car cette morale générale n’est nullement en l’air et ne vient qu’à propos de rapports très-particuliers : « Ne prenez pas pour humeur ou gronderie ce que je vous ai marqué ; prenez-le pour la plus grande preuve de ma tendresse et de l’intérêt que je prends à vous, de vous marquer tout ceci avec tant d’énergie ; mais je vous vois dans un grand assujettissement, et vous avez besoin qu’on vous en tire au plus vite et avec force, si l’on peut encore espérer de l’amendement. […] Louis XVIII roi, à certain jour de la semaine, en levant la séance du Conseil et en donnant congé à ses ministres pour le lendemain (mercredi), leur disait d’un air fat et fin : « Messieurs, demain je m’amuse. » (Conversations du chancelier Pasquier.)

1222. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Quand je considère cette disposition toujours croissante à une mélancolie aride et sombre, l’avenir m’effraye ; de quelque côté que je tourne les yeux, je ne vois qu’un horizon menaçant ; de noires et pesantes nuées s’en détachent de temps en temps et dévastent tout sur leur passage ; il n’y a plus pour moi d’autre saison que la saison des tempêtes… » Ici se trahit le contemporain et le compatriote de René ; et quand je parle de René et d’Oberman à propos de La Mennais, ce ne sont pas des influences qui se croisent ni des reflets qui lui arrivent de droite ou de gauche : c’est une sensibilité du même ordre qui se développe sur son propre fond, mais qui hésite encore, qui se cherche et n’a pas trouvé son accent ; c’est un autre puissant malade, enfant du siècle, qui, dans la crise qu’il traverse et avant de s’en dégager, accuse quelques-uns des mêmes symptômes et rencontre, pour les rendre, quelques expressions flottantes dans l’air et qui se font écho. […] Ce pas de trois dansé en public de l’air le plus sérieux avait du bouffon.

1223. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Une voix lointaine, un son dans les airs, l’agitation des branches, le frémissement des eaux, tout l’annonce, tout l’exprime, tout imite ses accents et augmente les désirs. […] Le silence protège les rêves de l’amour ; le mouvement des eaux pénètre de sa douce agitation ; la fureur des vagues inspire ses efforts orageux, et tout commandera ses plaisirs quand la nuit sera douce, quand la lune embellira la nuit, quand la volupté sera dans les ombres et la lumière, dans la solitude, dans les airs et les eaux et la nuit… Heureux délire !

1224. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Avec son air rogue, sa voix rouillée, sa mèche en l’air, ses coups de boutoir usés et ses épigrammes communes, il avait le don de dérider dès les premiers mots la grave assemblée.

1225. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

A travers tout le premier drame qui se passe au Tyrol, un air vif des montagnes circule ; on entend l’hallali des chasseurs qui fait bondir ; on croit boire à pleine main la saveur glacée des neiges dont la franche âcreté répare un sang affadi. […] Le procédé d’exécution répond tout à fait à ce qu’on peut attendre : une simplicité parfaite, une force continue ; point de pomposo ni de bavardage ; point de réflexions ni de digressions ; quelque chose de droit qui va au but, qui ne se détourne ni d’un côté ni de l’autre, et pousse devant, en marquant chaque pas, comme un bélier sombre ; point de vapeurs à l’horizon ni de demi-teintes, mais des lignes nettes, des couleurs fortes dans leur sobriété, des ciels un peu crus, des tons graves et bruns ; chaque circonstance essentielle décrite, chaque réalité serrée de près et rendue avec une exactitude sévère ; chaque personnage conséquent à lui-même de tout point ; vrai de geste, de costume, de visage ; concentré et viril dans sa passion, même les femmes ; et derrière ces personnages et ces scènes, l’auteur qui s’efface, qu’on n’entend ni ne voit, dont la sympathie ni l’amour n’éclatent jamais dans le cours du récit par quelque cri irrésistible, et qui n’intervient au plus que tout à la fin, sous un faux air d’insouciance et avec un demi-sourire d’ironie.

1226. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Le personnage de Valère, de ce jeune homme bien doué et d’un naturel excellent, qui se croit obligé de faire le fat par bon air, n’est pas moins vivement saisi ; cela prête à plus d’une scène heureuse et d’un intérêt assez comique ; mais la diction surtout du Méchant est excellente ; on en peut dire ce que Voltaire disait de la satire des Disputes, que ce sont des vers comme on en faisait dans le bon temps. […] Qu’est-ce que cette mollesse et finesse de l’air que les Anciens trouvaient au ciel d’Athènes, que les Latins du temps des Césars croyaient ressentir à Rome (proprium quemdam gustum urbis), que Voltaire recommandait si fort aux poëtes trop absents de Paris, et dont lui-même, à ce qu’il semble, il savait se passer si bien ?

1227. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Souvent il fallait, sous la monarchie, savoir concilier sa dignité et son intérêt, l’extérieur du courage et le calcul secret de la flatterie, l’air de l’insouciance et la persistance de l’intérêt personnel, la réalité de la servitude et l’affectation de l’indépendance. […] On veut donner à la vertu l’air de la duperie, et faire passer le vice pour la grande pensée d’une âme forte ; il faut que la comédie s’attache à faire sentir avec talent que l’immoralité du cœur est aussi la preuve des bornes de l’esprit ; il faut qu’elle parvienne à mettre en souffrance l’amour-propre des hommes corrompus, et qu’elle fasse prendre au ridicule une direction nouvelle.

1228. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

IX Mais vous approchez des Alpes, les neiges violettes de leurs cimes dentelées se découpent le soir sur le firmament profond comme une mer, l’étoile s’y laisse entrevoir au crépuscule comme une voile émergeant sur l’Océan de l’espace infini ; les ombres glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins, des chaumières isolées et suspendues à des promontoires, comme des nids d’aigles, fument du feu du soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide, dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface, chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent le batelier du petit cap où sa femme et ses enfants l’attendent au seuil de sa maison, ses filets y sèchent sur la grève, un air de flûte, un mugissement de génisse dans les prés interrompent par moment le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque touche au rivage, les foyers brûlent çà et là à travers les vitraux des chaumières, on n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames, le firmament semble ouvrir tous ses yeux pour admirer ce coin de terre, l’âme la quitte, elle se sent à la hauteur et à la proportion de s’approcher de son Créateur presque visible dans cette transparence du firmament nocturne, elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas et qu’elle espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle, elle s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit, elle croit parce qu’elle voit, elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de ces étoiles dans l’éther, avec la divinité du spectacle. […] Or, soit que les fils fussent moins tendus, soit qu’ils fussent d’une nature plus élastique et plus plaintive, soit que le vent soufflât plus doux et plus fort dans l’une des petites harpes que dans l’autre, nous trouvâmes que les esprits de l’air chantaient plus tristement et plus harmonieusement dans les cheveux blancs que dans les cheveux blonds d’enfant ; et, depuis ce jour, nous importunions souvent notre tante pour qu’elle laissât dépouiller par nos mains son beau front.

1229. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Cela n’empêche pas de vivre comme les autres, de jouir, à l’occasion, du ciel, de l’air pur ou même de la société des hommes et des femmes ; mais, dans les minutes où l’on pense, il n’est guère possible, en dehors d’une foi positive, d’être optimiste : il y a trop de souffrances inutiles et absurdes et, de tous les côtés, une trop épaisse muraille de nuit… M.  […] Qui n’a connu cette impuissance, soit pour en jouir (car du moins elle nous laisse tranquilles et de sang-froid et elle a des airs de distinction intellectuelle), soit, à certains moments, pour en souffrir, quand on sent le vide de la vie incroyante, détachée et uniquement curieuse, et comme il serait bon d’aimer, et comme on peut faire du mal en n’aimant pas ?

1230. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Une maladie grave qui lui survint, et durant laquelle Mlle de Lespinasse l’alla soigner, lui fit ordonner par les médecins un meilleur air, et le décida à aller demeurer tout simplement avec son amie. […] l’air que je respirais me servait de calmant ; j’aimais, je regrettais, je désirais ; mais tous ces sentiments avaient l’empreinte de la douceur et de la mélancolie.

1231. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Parmi ces valets désolés il s’en glisse d’autres plus avisés, envoyés là par leurs maîtres pour voir et observer ; les Figaros du temps, accourus aux nouvelles, « et qui montraient bien à leur air de quelle boutique ils étaient balayeurs ». […] Quant à Saint-Simon, qui tâche de ne point paraître du secret, et de faire le modéré et le modeste dans le triomphe, il faut l’entendre se dépeindre lui-même et nous confesser l’ivresse presque sensuelle de sa joie : Contenu de la sorte, dit-il, attentif à dévorer l’air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d’une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d’angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d’une volupté que je n’ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour.

1232. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Au sortir de là, il vécut dans ce Paris d’alors (1733-1743) de la vie de jeune homme, aux expédients, essayant de maint état sans se décider pour aucun, prenant de la besogne de toute main, lisant, étudiant, dévorant avec avidité toute chose, donnant des leçons de mathématiques qu’il apprenait chemin faisant ; se promenant au Luxembourg en été, « en redingote de pluche grise, avec la manchette déchirée et les bas de laine noire recousus par derrière avec du fil blanc » ; entrant chez Mlle Babuti, la jolie libraire du quai des Augustins (qui devint plus tard Mme Greuze), avec cet air vif, ardent et fou qu’il avait alors, et lui disant : « Mademoiselle, les Contes de La Fontaine, s’il vous plaît, un Pétrone… », et le reste. […] Que signifie cet air rêveur et mélancolique ?

1233. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Ou, si vous voulez, c’était de la philosophie mise en menuet sur les airs de M. de Benserade. […] Il y gagne en même temps d’introduire toutes sortes de vérités sous un air frivole, et sans avoir affaire aux théologiens du temps, qui n’avaient pas encore pris leur parti de bien des choses.

1234. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

C’est ainsi encore qu’il fera dire à un solliciteur, dans L’Intrigant malencontreux : « Monsieur Mitis, tâchez donc de placer mon fils dans un bureau ; vous me rendrez un grand service : il n’est bon à rien du tout. » Et ceci encore, dans le proverbe de Madame Sorbet, à qui on propose de jouer la comédie : « La comédie, je crois que nous la jouerions fort mal tous les deux ; nous avons trop de franchise, trop de naturel pour faire jamais de bons acteurs. » Marmontel, définissant un genre de finesse analogue à celui-ci, l’appelle une certaine obliquité dans l’expression qui donne à la pensée un air de fausseté au premier abord. […] Esprit délicat, il avait besoin, même pour railler, de sentir autour de lui l’air tiède de la faveur et de l’indulgence : elle ne lui a jamais manqué.

1235. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Elle revint à son quartier du Marais, et là, entourée d’amis, vivant à sa guise, mais avertie par l’air du dehors et par l’influence régnante de Louis XIV, elle rangea sa vie, elle la réduisit petit à petit sur le pied véritablement honorable où on la vit finir, et qui a pu faire dire au sévère Saint-Simon : Ninon eut des amis illustres de toutes les sortes, et eut tant d’esprit qu’elle se les conserva tous, et qu’elle les tint unis entre eux, ou pour le moins sans le moindre bruit. […] Clarice est donc de fort belle taille et d’une grandeur agréable, capable de plaire à tout le monde par un certain air libre et naturel qui lui donne bonne grâce.

1236. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

En plein été il travaillait dans un cabinet très élevé, et dont la voûte ressemblait à celle des églises et des anciennes chapelles : « M. de Buffon, dit Mme Necker, pense mieux et plus facilement dans la grande élévation de sa tour, à Montbard, où l’air est plus pur ; c’est une observation qu’il a faite souvent. » Là, dans une salle nue, devant un secrétaire de bois, il méditait, il écrivait. […] Arrivé à cette première grande division, animal, végétal et minéral, il en viendra à distinguer dans le règne animal les animaux qui vivent sur la terre d’avec ceux qui demeurent dans l’eau ou ceux qui s’élèvent dans l’air : Ensuite mettons-nous à la place de cet homme, continue Buffon, ou supposons qu’il ait acquis autant de connaissance et qu’il ait autant d’expérience que nous en avons, il viendra à juger des objets de l’histoire naturelle par les rapports qu’ils auront avec lui ; ceux qui lui seront les plus nécessaires, les plus utiles, tiendront le premier rang ; par exemple, il donnera la préférence dans l’ordre des animaux au cheval, au chien, au bœuf, etc.

1237. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Son air alors n’est plus le même ; la plaisanterie, la gaieté, la franchise, annoncent son contentement, et succèdent à la contrainte et à la sauvagerie… C’est peut-être le seul homme à qui il soit donné d’inspirer de la confiance sans en témoigner… Quelque prévenue que fût déjà Mme d’Épinay à l’égard de Grimm, ces traits sous lesquels elle le présente s’accordent tout à fait avec ce qu’en dit M.  […] Grimm a prononcé. » Ce caractère d’oracle est assez naturel à tous les maîtres critiques : Grimm, sous la forme polie et sous un air du monde, ne pouvait s’empêcher de le marquer dans ses paroles et dans son procédé ; il aimait à donner le ton ; il avait cette rigueur et cette exigence du bon sens qui va rarement sans quelque sécheresse.

1238. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

On a sous les yeux un Frédéric sans impiété, sans rien de cette plaisanterie cynique qu’il croyait quelquefois de bon air d’afficher en s’adressant à ses correspondants de France. […] Il rappelle plus d’une fois son généreux et plus confiant ami, M. de Suhm, à la réalité et à l’expérience : les Descartes, les Newton, les Leibniz peuvent venir et se succéder, sans qu’il y ait danger pour les passions humaines de perdre du terrain et de disparaître : « Selon toutes les apparences, on raisonnera toujours mieux dans le monde, mais la pratique n’en vaudra pas mieux pour cela. » Dans sa douce et studieuse retraite de Remusberg, regrettant l’ami absent : Il me semble, lui écrit-il (16 novembre 1736), il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m’entretenir agréablement sur des sujets que nous ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche.

1239. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Autre est le son hors de nous, par exemple, et le son en nous, puisque, considéré indépendamment de nous, il se réduit à une vibration de l’air plus ou moins rapide. […] Nous disons que tout être sentant, identique à nous, et dans les mêmes relations que nous, aurait faim : c’est cette universalité qui donne un air d’absolu à notre affirmation d’une relativité radicale, s’étendant à tous les êtres hypothétiquement pensés comme identiques à nous.

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