/ 3038
61. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Don libre et gratuit, irréductible comme tel à la forme d’un devoir, l’amour est le bien souverain, principe, effet et signe de toute noblesse et de toute valeur. […] Nos hommes du Nord, quand ils connurent la poésie provençale, furent étonnés, éblouis, charmés : fond et forme, tout était pour eux une révélation. […] Elle n’avait guère vécu que d’une vie factice, n’ayant pas eu la bonne fortune de rencontrer un de ces esprits en qui elle se fût transformée, de façon à devenir une forme nécessaire du génie national. […] Nul sentiment aussi et nul amour de la nature : point de vision ni d’expression pittoresque des formes sensibles. […] De là aussi l’emploi qu’ils font de l’allégorie : ayant éliminé toutes les réalités de leur poésie, ils font de leurs concepts des réalités, et leur attribuent toutes les formes, qualités et propriétés des choses concrètes.

62. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Gunmere s’appuie sur deux formes de poésie qui ont dominé primitivement en Europe : la ballade et le vocero ou chant de lamentation. […] En ce sens, la théorie de l’art pour l’art est une forme de l’individualisme esthétique. […] Il y a bien des formes de vie et bien des degrés de vitalité. Il y a aussi bien des formes et des degrés de beauté. […] Sans doute l’idée du néant n’est pas par elle-même esthétique : mais elle peut s’exprimer au moyen d’images et de formes esthétiques.

63. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Ce qui importe, c’est de considérer dans quelle mesure cette conception nouvelle est propre à s’agencer avec la réalité actuelle, à la fortifier et à la développer si l’on se propose de favoriser cette forme du réel, — à la dissocier, si au contraire on a pour objet de détruire, comme hostile, cette forme régnante. […] Tandis que le philosophe, dupe de la croyance en. une vérité objective, se fonde, pour maintenir la suppression du culte, sur ce fait que la religion catholique, comme toute autre forme religieuse, est fausse et constitue une superstition, l’esprit clairvoyant du politique sachant que la superstition, le préjugé, la croyance sont l’étoffe et l’unique tissu du réel, se préoccupe uniquement de rechercher quelle forme du préjugé est utile à la réalité française dont il identifie avec le sien l’intérêt. […] S’il existait une vérité objective on pourrait penser que l’adhésion à cette croyance, qui nous semble aujourd’hui singulière, retarda l’avènement d’une forme sociale conforme à cette vérité. […] Cette croyance n’en est pas moins la forme rigide qui, en torturant durant une longue période ces instincts, coordonna des hommes entre eux et composa une réalité sociale, la réalité grecque et la réalité romaine. […] Cette contradiction et cette résistance dessinent en leurs points d’équilibre les contours du réel ; mais pour que le réel se forme et devienne perceptible une condition est nécessaire : c’est une certaine durée de l’état d’équilibre qui s’est établi entre les deux forces antagonistes.

64. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Platon avait déjà comparé l’influence du poète inspiré sur ceux qui l’admirent et partagent son inspiration à l’aimant qui, se communiquant d’anneau en anneau, forme toute une chaîne soulevée par la même influence. […] Recommencer toujours à vivre, tel serait l’idéal de l’artiste : il s’agit de retrouver, par la force de la pensée réfléchie, l’inconsciente naïveté de l’enfant. » VI. — Ce qui est aux yeux de Guyau la règle suprême . de l’art, c’est cette qualité morale et sociale par excellence : la sincérité ; si donc il attache à la forme une très grande importance, il ne veut point qu’on sépare la forme du fond. Dans l’être vivant, c’est le fond qui projette sa forme, pour transparaître en elle ; il en doit être de même dans l’œuvre du génie. […] En outre, elle fait de l’art quelque chose de concentré en soi et d’isolé, non d’expansif et de social, car la société humaine ne saurait s’intéresser à un pur jeu de formes. […] D’individu à individu, la compétition est moins terrible, mais plus continuelle : ce n’est plus l’extermination, mais c’est la concurrence sous toutes ses formes.

65. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

En peu de générations, la race saxonne n’a-t-elle pas donné naissance à la variété anglo-américaine, et il s’en forme même une autre en Australie. […] La forme la plus rudimentaire du langage est l’exclamation ; a-t-elle constitué seule, à l’origine, le langage humain ? […] 1° Les sociétés n’ont pas de formes extérieures déterminées ; encore faut-il remarquer que dans le règne végétal, comme dans les classes inférieures du règne animal, les formes sont souvent très vagues. 2° L’organisme social ne forme pas une masse continue, comme le fait le corps vivant. […] L’analogie est bien plus frappante encore, si on les considère surtout dans leur développement, si l’on remarque combien les formes inférieures de la vie ressemblent aux formes inférieures de l’organisation sociale.

66. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

L’histoire est la forme nécessaire de la science de tout ce qui est dans le devenir. […] Toutes les autres règles sont fautives et mensongères dans leur forme absolue. […] Est-ce l’imitation parfaite de la forme antique ? […] Le vulgaire ne voit que de vives couleurs et des formes élégantes. […] Il faut laisser chaque siècle se créer sa forme et son expression originales.

67. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

La forme dégradée du type français, c’est l’esprit gaulois, fait de basse jalousie, d’insouciante polissonnerie et d’une inintelligence absolue de tous les intérêts supérieurs de la vie ; ou le bon sens bourgeois, terre à terre, indifférent à tout, hors les intérêts matériels, plus jouisseur que sensuel, et plus attaché au gain qu’au plaisir. Sa forme frivole, c’est l’esprit mondain, creux et brillant, mousse légère d’idées qui ne nourrit ni ne grise. Sa forme exquise, c’est cet esprit sans épithète, fine expression de rapports difficiles à démêler, qui surprend, charme, et parfois confond par l’absolue justesse, où l’expression d’abord fait goûter l’idée, où l’idée ensuite entretient la fraîcheur de l’expression. Enfin, la forme grave et supérieure de notre intelligence, c’est l’esprit d’analyse, subtil et fort, et la logique, aiguë et serrée : le don de représenter par une simplification lumineuse les éléments essentiels de la réalité, et celui de suivre à l’infini sans l’embrouiller ni le rompre jamais le fil des raisonnements abstraits ; c’est le génie de l’invention psychologique et de la construction mathématique. […] Nous les verrons apparaître successivement, groupés de diverses façons, plus ou moins distincts ou engagés dans la complexité des formes individuelles.

68. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Un dernier trait s’ajoute donc à la physionomie de notre philosophe : la vanité, en sa forme la plus puérile, la vanité nobiliaire du bourgeois enrichi. […] Ni la souple et ployable raison n’a su trouver une vérité constante, ni l’ondoyant et divers instincts n’a pu établir une forme universelle de vie. […] Soyons libres aussi à l’égard de toutes les formes de la vie sociale : ne croyons pas le bien et la vérité attachés à ces formes politiques ou religieuses, d’une croyance trop passionnée qui nous arrache à nous-mêmes et nous donne aux objets de notre fantaisie. […] Et comme au reste, sous la diversité infinie des actes et des formes, il trouve que ces idées-là sont les idées communes de l’humanité, il les pose dès lors avec plus d’assurance. […] Mais eux-mêmes dans la forme de leur âme auront, à leur insu, reçu l’empreinte profonde des Essais.

69. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

La forme de Vigny. — 4. […] Entre l’élégie de Lamartine et la philosophie de Vigny, dès qu’il fut décidé à être romantique, il fit éclater le propre et sensible caractère du romantisme français : c’était de faire de la poésie une forme, et la peinture des formes. […] Nous verrons aussi qu’il a su faire un usage original et charmant de la forme dramatique. […] La forme seule importe : il n’y a pas besoin d’idées. […] Et puis la forme de Béranger est admirablement populaire.

70. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

On possède le Renard, les mouches et le hérisson, sous deux formes : il n’a passé dans la seconde rédaction que deux vers de la première. […] Regardez ses chats, ses lapins, ses chèvres, son héron : il dessine avec une précision, une vie étonnantes, la forme extérieure de l’animal, silhouette, attitudes, démarche. […] L’apologue est de sa nature une forme très primitive et très naïve : la réflexion individuelle ne peut guère plus créer des sujets de fables que des sujets d’épopée ; et ces formes symboliques ne sauraient être compréhensives et vivantes qu’à condition de dériver d’une source populaire ou d’être au moins consacrées par une longue tradition. […] Il a créé pour son œuvre unique une forme unique aussi : précise et imprécise à la fois, nette et fuyante, étonnante de mélodie et de richesse. […] Tout cela manquait à ses contemporains : de là ces accents qu’on trouve parfois chez eux, si amers sous la grâce souriante des formes.

71. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Mais les peuples de l’Orient diffèrent de ceux de l’Occident par bien d’autres caractères que par la forme des corps ; ils en diffèrent, par exemple, par la forme des sociétés : dès lors, qui nous dit que, encadrés en des groupements analogues, leurs membres, différents de nous par le sang, n’auraient pas été capables de comprendre les idées égalitaires ? […] Déjà il lui est difficile de montrer entre telle forme anatomique et le mouvement égalitaire, une relation constante ; a fortiori d’expliquer comment l’un peut produire l’autre. […] En ce sens, comme le dit Spencer, avant que le grand homme réforme la société, elle le forme. […] Du moment d’ailleurs où l’on reconnaîtra que des formes sociales existent, qui ne varient pas comme varient les individus qu’elles encadrent, il faudra bien reconnaître que la permanence de ces formes impose aux actions des individus, même de génie, certaines limites. […] D’abord, serait-il facile de prouver que, partout où telle forme sociale est donnée, l’égalitarisme apparaît, et surtout que leurs variations sont concomitantes ?

72. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

— Forme verbale d’angélus. […] — Forme verbale du mot peur. […] Substantif selon la forme adjective. […] — Forme substantive de l’adjectif ondoyant. […] Qui offre la forme crénelée d’une tour.

73. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Labiche a usé du procédé sous toutes ses formes. […] Autant le comique peut prendre de formes, autant l’esprit aura de variétés correspondantes. C’est donc le comique, sous ses diverses formes, qu’il faut définir d’abord, en retrouvant (ce qui est déjà assez difficile) le fil qui conduit d’une forme à l’autre. […] Passons à une forme moins générale. […] Mais c’en est une forme très frappante.

74. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Ils ont beau s’agiter dans le monde extérieur, ils le revêtent toujours de formes empruntées à la vie intime. […] Cette forme passa comme l’autre, comme passent toutes les formes. […] Mais, je dois le dire, ces deux grands hommes, en détruisant une forme qui ne convenait plus à l’esprit général, ne la remplacèrent par aucune forme nouvelle ferme et durable. […] La poésie, consacrée à chanter les croyances, les sentimens, les évènemens nés d’une forme religieuse et politique qui n’était plus, cessa d’être populaire ; et comme une révolution n’est pas une situation, et que la poésie vit de formes déterminées, cette absence de formes ne fit pas éclore de poètes, et c’en fut fait de la poésie allemande. […] Le sensualisme était devenu la forme philosophique de l’Angleterre et celle de la France.

75. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Nous dirons que la psychologie actuelle nous a paru surtout préoccupée d’établir que nous apercevons les choses à travers certaines formes, empruntées à notre constitution propre. […] Car à supposer que les formes dont on parle, et auxquelles nous adaptons la matière, viennent entièrement de l’esprit, il semble difficile d’en faire une application constante aux objets sans que ceux-ci déteignent bientôt sur elles : en utilisant alors ces formes pour la connaissance de notre propre personne, nous risquons de prendre pour la coloration même du moi un reflet du cadre où nous le plaçons, c’est-à-dire, en définitive, du monde extérieur. […] Or, de même que pour déterminer les rapports véritables des phénomènes physiques entre eux nous faisons abstraction de ce qui, dans notre manière de percevoir et de penser, leur répugne manifestement, ainsi, pour contempler le moi dans sa pureté originelle, la psychologie devrait éliminer ou corriger certaines formes qui portent la marque visible du monde extérieur. — Quelles sont ces formes ? […] Ou bien encore on dira que l’acte est déterminé par ses conditions, sans s’apercevoir que l’on joue sur le double sens du mot causalité, et qu’on prête ainsi à la durée, tout à la fois, deux formes qui s’excluent. […] Il ne paraît pas avoir remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu’elle revêt la forme d’un tout homogène, c’est qu’elle s’exprime en espace.

76. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Le problème de la psychologie peut alors prendre cette forme : — Comment les phénomènes sont-ils donnés à une conscience ? […] Contenu et forme sont des images empruntées au monde de l’espace, que l’on transporte indûment dans la vie interne. Qu’est-ce qu’une forme qui n’est rien de plus que ce qu’elle contient ? […] Il n’est pas étonnant que cette forme ou ce sujet soit sans action. […] Et le fait conscient n’est véritablement tel que sous forme spontanée et subjective : la forme réfléchie et objective se réduit à une nouvelle combinaison de faits spontanément conscients.

77. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Rabelais aime la vie, non par système et abstraitement, mais d’instinct, par tous ses sens et toute son âme, non une idée de la vie, non certaines formes de la vie, mais la vie concrète et sensible, la vie des vivants, la vie de la chair et la vie de l’esprit, toutes les formes, belles ou laides, tous les actes, nobles ou vulgaires, où s’exprime la vie. […] Et c’est toujours le même principe qui donne sa forme originale à la curiosité rabelaisienne. […] C’est qu’il traite les livres comme la nature : il met sa forme à tout ce qu’il en tire. […] Il croit au réel, à la substance sous les formes, à la solidité de l’individu, à l’unité du moi. […] Comme artiste, il résume et dépasse de bien loin ces essais que j’ai déjà signalés, ces timides esquisses de la vie morale, des formes et du jeu des âmes.

78. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Selon nous, la volonté ne peut, par elle-même, donner naissance à aucune forme d’activité intellectuelle ; l’aperception intellectuelle ne peut donc être identique avec l’attention, comme il arrive dans la doctrine de Wundt. […] Il est clair que le dé du tableau est une esquisse grossière qui éveille par association un souvenir plus précis, et ce souvenir, selon les hasards de l’imagination ou selon l’intérêt pris par nous à la chose, peut affecter lui-même deux formes diverses. […] Pareillement, on peut voir par l’imagination un grand nombre de formes dans les nuages, dans les roches, dans les simples accidents d’une table en bois. On prétend que Léonard de Vinci recommandait à ses élèves, lorsqu’ils cherchaient un sujet de tableau, d’étudier avec soin l’aspect des surfaces de bois ; on finit par voir se dessiner, au milieu des lignes confuses, certaines formes d’animaux, des têtes humaines, des groupes pittoresques. […] Le révérend Georges Henslaw, doué d’une faculté qu’avait déjà Gœthe, voit, quand il ferme les yeux et qu’il attend un moment, l’image claire de quelque objet : cet objet change de formes pendant aussi longtemps qu’il le regarde avec attention ; mais, en étudiant la série de formes qui se succèdent, on reconnaît que le passage de l’une à l’autre est fourni tantôt par des relations de contiguïté, tantôt par des relations de ressemblance réductibles elles-mêmes à la contiguïté.

79. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Combien de fois un sentiment une fois créé, vivant et agissant, ne modifie-t-il pas la forme sociale qui a participé à sa création ? […] L’action des formes sociales est souvent aidée, ainsi, par d’autres forces qui poussent dans le même sens. […] N’est-il pas vraisemblable, dès lors, que l’élargissement réel des formes sociales favorise cet élargissement idéal des concepts sociaux ? […] Mais, par l’intermédiaire des formes nouvelles qu’elle donne à la vie sociale, elle contribue, à sa façon, à l’évolution des idées modernes. […] Passy, Des formes du gouvernement.

80. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

La pure forme logique s’y applique-t-elle sans altération aucune ? […] D’autre part, ces lois ont une forme rigoureusement mathématique. […] Jamais celle-ci ne réalise entièrement la forme. […] Il conçoit les formes supérieures comme nées de ces formes inférieures, et il cherche l’explication de ces transformations dans l’action du milieu. […] Quelle en sera la forme ?

81. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

La qualité seule, l’intensité, les formes accidentelles et causes occasionnelles sont à lui. […] Nous avons vu, à travers le xviiie  siècle français, croître l’individualisme, sous la double forme d’expansion sentimentale et d’amour de la nature. […] Les deux circonstances que je viens d’indiquer aidèrent les jeunes esprits à s’affranchir des règles classiques, à briser surtout les formes de la langue et de la versification. […] L’école romantique se forme vers 1823, autour de Ch. […] Il dépouillait les formes classiques de l’ode ; il essayait des rythmes plus simples, plus souples, plus personnels ; il cherchait des combinaisons fantaisistes, où éclatait sa prodigieuse invention rythmique ou verbale.

82. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

La religion prend une forme ; les rites règlent la prière ; le dogme vient encadrer le culte. […] L’épopée y prendra plusieurs formes, mais ne perdra jamais son caractère. […] Cette forme, c’est la comédie. […] Il fallait condamner, non la forme employée, mais ceux qui avaient employé cette forme ; les ouvriers, et non l’outil. […] Le vers est la forme optique de la pensée.

83. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

La forme antique, qui lui plaît et qu’il essaie d’imiter ; c’est une forme révélatrice d’un caractère antique, de la gravité simple et de la sublimité habituelle. […] La procédure et les formes, les procès particuliers l’ennuyèrent : les principes généraux et les sources historiques du droit captivèrent son attention. L’idée première des recherches qui occupèrent une bonne partie de sa vie vint de là, et la forme définitive de son esprit en resta déterminée : Montesquieu sera toujours un juriste ; toutes ses idées historiques, ses vues politiques, ses conceptions philosophiques revêtiront des formes juridiques. […] Embrassant d’une vue l’histoire universelle, il réduit toutes les formes de gouvernement à trois : république, monarchie, despotisme. […] Cependant la forme de l’ouvrage était assez modérée pour ne pas soulever de trop gros orages.

84. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Mais de là devrait résulter aussi que notre pensée, sous sa forme purement logique, est incapable de se représenter la vraie nature de la vie, la signification profonde du mouvement évolutif. […] Autant vaudrait prétendre que la partie égale le tout, que l’effet peut résorber en lui sa cause, ou que le galet laissé sur la plage dessine la forme de la vague qui l’apporta. […] Si la forme intellectuelle de l’être vivant s’est modelée peu à peu sur les actions et réactions réciproques de certains corps et de leur entourage matériel, comment ne nous livrerait-elle pas quelque chose de l’essence même dont les corps sont faits ? […] Mais ces difficultés, ces contradictions naissent de ce que nous appliquons les formes habituelles de notre pensée à des objets sur lesquels notre industrie n’a pas à s’exercer et pour lesquels, par conséquent, nos cadres ne sont pas faits. […] On dira que, même ainsi, nous ne dépassons pas notre intelligence, puisque c’est avec notre intelligence, à travers notre intelligence, que nous regardons encore les autres formes de la conscience.

85. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VIII : Hybridité »

Kœlreuter considère cette loi comme universelle, mais il tranche quelquefois le nœud de la question ; car, en dix cas différents, où il a trouvé à l’expérience que les croisements entre deux formes, considérées par le plus grand nombre des auteurs comme des espèces distinctes, étaient parfaitement féconds, il a, en conséquence et sans hésitation, déclaré ces formes des variétés. […] Il l’a remarquée entre deux formes aussi étroitement alliées que les Matthiola annua et glabra, rangées par beaucoup de botanistes comme deux variétés. […] Il expérimenta sur cinq formes, communément réputées pour des variétés, et vérifia leur étroite parenté en les soumettant à l’épreuve du croisement réciproque. […] Pour revenir à notre comparaison commencée entre les hybrides et les métis, Gærtner prétend que ces derniers sont plus que les autres sujets à revenir à l’une des deux formes mères. […] Enfin, soit les hybrides, soit les métis, peuvent être ramenés à l’une des deux formes mères par des croisements répétés pendant plusieurs générations successives.

86. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

L’importance de ces deux faisceaux de volonté et d’action, si différents de forme et si profondément unis dans l’âme, me frappe singulièrement. […] La noblesse et la splendeur enfin accordées aux « formes communes » et aux « choses non regardées » ! […] La beauté non plus localisée dans les choses supérieures, confinée aux sommets, mais brillant au travers des plus rudes formes et des plus simples êtres ! […] Grandir, ce n’est pas s’isoler devant la splendeur d’une création du cerveau, c’est se relier à la splendeur du tout vivant par le sentiment de l’entière beauté de toutes ses formes. […]  » Oui, l’homme n’est pas un fauve pour l’homme, mais un dieu dont le cœur s’éveille ; pas plus que le monde n’est un théâtre où évoluent des formes solitaires, mais un enlacement d’organes vivants.‌

87. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

L’activité n’a plus qu’une forme. […] Ainsi comment se forme l’idée de triangle ? […] Mais la forme est tirée de lui-même, et cette forme est l’unité. […] On forme alors le jugement : Je suis. […] Est-il quelque chose de distinct de cette forme, ou n’est-il rien autre que cette forme même, peu importe.

88. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Pour les philosophes dont je parle, le problème se pose ainsi : Le fond périra-t-il avec la forme ? la forme sera-t-elle sauvée par la vérité éternelle du fond ? […] Même dans sa forme naïve et populaire, elle est le seul chemin par lequel des âmes grossières, courbées vers la terre par les nécessités pratiques, puissent s’élever à l’idéal. […] Qui sait s’il n’est pas appelé encore à prendre une troisième forme, et à résoudre le problème religieux de l’avenir par une dernière métamorphose ? […] Malheureusement, il faut le reconnaître, cette forme de christianisme qu’ont admise et rêvée les plus grands esprits, a peu de chances de succès dans notre pays.

89. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Tous les systèmes qui négligent l’une ou l’autre de ces causes sont incomplets et ne sauraient expliquer la genèse des formes cérébrales et mentales. […] En second lieu, elle ne rend compte que des formes superficielles de la structure mentale et cérébrale, non de ce que cette structure a d’essentiel. […] L’identité est une propriété bien plus générale encore, et, s’il est permis de dire, avec Kant, que la pensée a une « forme » constitutionnelle, cette forme est l’absence de contradiction. […] Cette induction prit à l’origine la forme mythique et ne fut ramenée que plus tard à la forme métaphysique, puis scientifique. […] L’association indissoluble de ces deux idées n’est pas accidentelle, comme celle de tel phénomène particulier avec tel autre ; elle est la forme générale de toute conscience vivante, forme qui ne s’évanouit qu’avec la conscience même et avec le vouloir.

90. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

La justice et l’impartialité nécessaires à l’administration civile, font un devoir d’employer des formes et des expressions qui calment celui qui s’en sert et celui qui les écoute. […] Dans un pays où il y aura de la liberté, l’on s’occupera beaucoup plus souvent, en société, des affaires politiques que de l’agrément des formes et du charme de la plaisanterie. […] C’est donc elle, avant tout, qu’il faut encourager, en se livrant moins en littérature aux objets qui appartiennent exclusivement à la grâce des formes. […] Si les formes grossières de celui qui commande aigrissent cette prévention, elle devient une véritable haine. […] La grossièreté, dont nous avons été si souvent les victimes, se composait presque toujours de sentiments vicieux ; c’était l’audace, la cruauté, l’insolence, qui se montraient sous les formes les plus odieuses.

91. (1911) Nos directions

Et l’on ne saurait alors distinguer la forme de l’esprit qui semble l’animer ; la forme, c’est l’esprit lui-même. […] Ici, rien que la forme ; là, toute la matière. […] La forme en soi n’est rien. La forme est la pensée. […] Celle-ci n’a-t-elle pas trouvé sa forme ?

92. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

L’architecture avec Soufflot revient aussi aux formes antiques. […] A Londres, il se procura les poètes latins de la Renaissance italienne, Sannazar et autres : ces reproductions artistiques de la forme antique le ravirent. […] Les ïambes sont aussi, par leur forme, d’inspiration antique : Archiloque et Horace ont fourni ce rythme inégal, pressant et vigoureux. […] Il a été mieux inspiré quand il a importé l’ïambe : à vrai dire, ce n’était pas une forme tout à fait nouvelle ; à ne compter que le nombre des syllabes, les Adieux de Gilbert à la vie offrent précisément le même mètre. […] Il évite les distiques, quatrains, sizains ; quand le distique est la forme métrique, il a soin que les arrêts du sens ne correspondent pas aux divisions du mètre.

93. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

Et l’on ne saurait alors distinguer la forme de l’esprit qui semble l’animer ; la forme, c’est l’esprit lui-même. […] Il les considère objectivement, sans en saisir la raison d’art cachée ; la forme à ce moment quitte l’esprit, s’isole, et désormais le poète déchu se borne à la remplir ainsi qu’une forme étrangère. […] Ici rien que la forme ; là, toute la matière. […] La forme en soi n’est rien. La forme et la pensée.

94. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Nous déclarerons donc qu’à notre sens la Poésie n’est pas l’apanage exclusif de la littérature, et même des vers, mais que les vers constituant la forme de langage qui tend à la plus haute expression du rythme, et le rythme étant la condition essentielle de toute poésie, il s’ensuit que ladite forme est la plus apte à réaliser celle-ci. […] Le vers, quel qu’il soit, en tant qu’élément de cette forme de langage, ne se peut définir que par les règles de sa construction. […] Si la forme convenue est trop étroite pour sa pensée, celle-ci la fait éclater, et l’on voit tout de suite où s’exerçait à tort le rigorisme des méthodes. […] La vieille question du fond et de la forme n’est même pas à poser en poésie. […] Il faut qu’il y ait identification, c’est-à-dire que la pensée et sa forme soient tellement confondues dans le rythme que leurs rôles respectifs ne puissent plus être déterminés.

95. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

La forme porcelet est assez répandue dans une partie de la France151. […] Quand le mot latin est très explicite et quand toutes les formes linguistiques sont identiques, l’hypothèse de la traduction est admissible. […] De l’ancien français bele, cloche, mot venu lui-même du bas-allemand par la forme latine bella. […] Les formes les plus anciennes sont la solcie, la soucie. […] Il y a la forme ranouncles, en provencal, mais la renoncule d’eau.

96. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Pour le génie proprement créateur, la vie réelle au milieu de laquelle il se trouve n’est qu’un accident parmi les formes de vie possible, qu’il saisit dans une sorte de vision intérieure. […] C’est là sa matière, et la matière conditionne toujours la forme. Pourtant, elle ne la produit pas ni ne l’impose entièrement ; la marque du génie est précisément de trouver une forme nouvelle que la connaissance de la matière donnée n’aurait pas fait prévoir. […] Mais le principe de la répétition universelle n’explique pas l’innovation, l’invention, qui fait apparaître des formes jusque-là inconnues. […] Tarde n’essaie pas de dire en quoi consiste le principe du nouveau ; il montre seulement qu’il faut, sous une forme ou l’autre, admettre un tel principe.

97. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Or, parmi ces formes, il en est de deux sortes. […] Si, en effet, les caractères dont la réunion forme le type normal ont pu se généraliser dans une espèce, ce n’est pas sans raison. […] Il est, en effet, bien rare que les espèces animales soient nécessitées à prendre des formes imprévues. […] Sans doute, il peut se faire que le crime lui-même ait des formes anormales ; c’est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré. […] Non seulement, là où il existe, les sentiments collectifs sont dans l’état de malléabilité nécessaire pour prendre une forme nouvelle, mais encore il contribue parfois à prédéterminer la forme qu’ils prendront.

98. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Quelle est la forme qui imprimera sa décision à l’indécision de la matière ? — Cette forme est le souvenir. […] La sensation voudrait bien trouver une forme sur laquelle fixer l’indécision de ses contours. […] Elle s’exprime sous bien des formes. […] C’est du moins le vœu que je forme pour elle ; c’est le souhait que je lui adresse en terminant.

99. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Le sujet et l’attribut prennent alors dans la conscience des formes nettes, ainsi que le rapport qui les unit. […] On a aussi raison de dire que la généralité est dans la forme de la pensée ; mais c’est à la condition qu’on se fasse une idée exacte de cette forme. Il ne s’agit ici ni d’une forme pure, ni d’une catégorie, ni de rien d’a priori. […] Les inductions d’abord réfléchies finissent, avec l’habitude, par prendre cette forme de l’induction instinctive. […] Une science est d’autant plus avancée qu’elle a elle-même une forme plus quantitative et plus mathématique.

100. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

L’Italie ne sera ressuscitée que par elle-même et sous la forme vraie que deux mille ans, la nature, les mœurs lui donnent, c’est-à-dire sous la forme de confédération italique. […] Là est sa nature, là est son droit, là est sa forme, là seulement sera son durable avenir. […] L’Italie reviendra à sa forme italienne, la confédération. […] N’adoptez pas la forme d’une monarchie unitaire chimérique, qui vous compromet, contre la forme d’une confédération d’États libres, qui vous sauve ! […] Vous ressuscitez sous tous vos noms, sous toutes vos formes, sous toutes vos souverainetés nationales ; vous ressuscitez dans la liberté, et non dans l’annexion, forme de la discipline militaire.

101. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Les formes mythologiques (mitologie) doivent donc être, comme le mot l’indique, le langage propre des fables ; les fables étant autant de genres dans la langue de l’imagination (generi fantastici), les formes mythologiques sont des allégories qui y répondent. […] En effet, la métonymie du nom de l’auteur pris pour celui de l’ouvrage, vint de ce que l’auteur était plus souvent nommé que l’ouvrage ; celle du sujet pris pour sa forme et ses accidents vint de l’incapacité d’abstraire du sujet les accidents et la forme. […] On prit encore la matière pour l’ensemble de la matière et de la forme : par exemple, le fer pour l’épée ; c’est qu’on ne savait pas encore abstraire la forme de la matière. […] Guidés par leur logique grossière, ils devaient mettre ensemble des sujets, lorsqu’ils voulaient mettre ensemble des formes, ou bien détruire un sujet pour séparer sa forme première de la forme opposée qui s’y trouvait jointe. […] Les Phéniciens les transmirent ensuite aux Grecs, et ceux-ci, avec la supériorité de génie qu’ils ont eue sur toutes les nations, employèrent ces formes géométriques comme formes des sons articulés, et en tirèrent leur alphabet vulgaire, adopté ensuite par les Latins57.

102. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

Leur ensemble forme l’être social. […] L’éducation intellectualiste se présente sous deux formes : la forme dogmatique et la forme critique. […] Sous la forme dogmatique, cela est évident. […] L’éducation intellectualiste peut aussi revêtir la forme critique. […] On peut distinguer deux formes de cet individualisme.

103. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Plus ils sont anciens, moins la forme naturellement déguise ou trahit la matière. […] La forme est sèche et rude, la langue raide et pauvre. Le trouvère qui a mis la légende en forme n’est pas un Dante ou un Virgile. […] Il n’est pas jusqu’à la forme que le mouvement et la grandeur du récit n’emportent et n’élèvent. […] Le xve  siècle mit donc en prose les narrations versifiées, et le passage fut achevé de la forme épique des âges primitifs à la forme du roman moderne.

104. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Un fou n’est pas un morceau de bois de forme plus ou moins bizarre : c’est une « force oblique ». […] Mais, s’il en est ainsi, il faut bien que ce soit le sens, avant tout, qui nous guide dans la reconstitution des formes et des sons. […] Mais souvent, au cours de ce travail, se révèle l’impossibilité d’aboutir à une forme d’organisation viable. […] Ici nous avons le sentiment net d’une forme d’organisation, variable sans doute, mais antérieure aux éléments qui doivent s’organiser, puis d’une concurrence entre les éléments eux-mêmes, enfin, si l’invention aboutit, d’un équilibre qui est une adaptation réciproque de la forme et de la matière. […] Il faut donc bien que le problème soit représenté à l’esprit, et tout autrement que sous forme d’image.

105. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Il s’est borné à faire consciemment ce que Lamartine avait fait par négligence, et Vigny par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait. […] Enfin, je ne vois pas ce que Vigny a fait, dans l’ordre “métrique”, par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait : une forme, chez un poète, ne traduit jamais une pensée, c’est la critique qui traduit par des pensées les formes indivisibles qu’a créées le poète, — et s’il y a quelques exceptions, si la forme et la pensée parfois se distinguent, se raccordent mal, chevauchent sensiblement, il se trouve que Vigny, plus que personne, nous les fournirait. » Je ne puis signaler tous les détails de ce genre, qui arrêtent et étonnent désagréablement le lecteur. […] Faguet : « la forme est admirable, écrit au sujet des Stances M.  […] Viélé-Griffin, Sapho et Bellérophon, et vous verrez combien la forme théâtrale l’a mieux servi que l’autre. […] Si la poésie née du symbolisme donne les fruits que nous devons en attendre encore, si un théâtre de poésie neuve forme l’oreille du public, si les essais critiques qui se poursuivent actuellement sur l’essence et le rythme du vers français continuent eux aussi à assurer et à affiner le sens poétique, jamais plus riche matière n’aura été offerte à l’exercice du goût conscient et aux délicatesses de l’analyse.

106. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Celle-ci se forme peu à peu, sans qu’à aucun moment le fait de l’invention soit spécialement visible. […] Les matériaux différeront, mais la forme générale reste abstraitement identique. […] L’évolution n’a pas été régulière d’une forme concrète de la tendance à l’autre. […] C’est une des formes nombreuses que prend l’avortement des germes psychologiques. […] L’analyse seule m’a prouvé que cette forme de rêverie était souhaitable.

107. (1890) L’avenir de la science « V »

Or, le principe indubitable, c’est que la nature humaine est en tout irréprochable et marche au parfait par des formes successivement et diversement imparfaites. […] De même, pour que l’humanité se crée une nouvelle forme de croyances, il faut qu’elle détruise l’ancienne, ce qui ne peut se faire qu’en traversant un siècle d’incrédulité et d’immoralité spéculative. […] C’est assurément un admirable génie que saint Paul ; et pourtant, sont-ce les grands instincts de la nature humaine pris dans leur forme la plus générale qui font la beauté de ses lettres, comme ils font la beauté des dialogues de Platon, par exemple ? […] Cosmas Indicopleuste imagine le monde comme un coffre oblong ; la terre forme le fond ; aux quatre côtés s’élèvent de fortes murailles, et le ciel forme le couvercle cintré. […] Voir d’admirables pages de Spiridion, présentées cependant sous des formes trop substantielles.

108. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Puis, mesurant exactement l’espace à remplir, il y a distribué ces pensées, dont la forme s’est déjà précisée par cette seule attribution d’emploi : en leur marquant leur place, il les dégrossit et les taille. […] Cette langue personnelle doit se réduire à la langue commune ; nos idées, nos sentiments doivent revêtir dans notre esprit les formes qui les feront reconnaître de tous les esprits. […] L’opération est unique et simple : c’est en changeant de mot qu’on modifie l’idée, et le mot et l’idée arrivent ensemble à leur forme juste et parfaite. […] Écrire donc, c’est achever de penser ; la forme, c’est l’organisation de la matière, et la pensée n’est véritablement née que lorsqu’elle est exprimée. […] Comment, avec du griffonnage noir aligné sur du papier d’imprimerie, remplacerez-vous pour lui la vue personnelle des couleurs et des formes, l’interprétation des visages, la divination des sentiments ?

109. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Dans nos personnifications se retrouvera forcément un rappel de la forme humaine. […] Il n’est pas de forme d’art qui lui soit comparable à ce point de vue. […] C’est la forme du vers. […] La forme du vers est en elle-même suggestive de poésie. […] Ce sont donc les formes typiques auxquelles doit plutôt tendre la poésie.

110. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

D’abord uniquement musicien, il s’aperçoit que la musique, sous la forme de l’opéra, est un genre illogique. […] Weber restitue à l’opéra sa forme populaire originelle ; avec Meyerbeer naît l’opéra à effet, historique et mélodramatique. […] La politique et la religion deviennent, dès lors, les deux formes parallèles de la morale wagnérienne. […] L’art est donc cette forme de religion qui élève le peuple, de la pratique inintelligente, à la pratique raisonnée et sachante. […] La musique, ainsi que toute forme de l’art, doit faire, seulement, ce qu’elle est seule à pouvoir.

111. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

En ces productions, la Sonate s’était imposée comme la forme typique. […] Les autres formes musicales, la forme, notamment, où se mêlent l’orchestre et les voix humaines, le Maître, encore qu’il ait, en elles, réalisé des œuvres incommunes, les traitait, seulement, par accident, comme à titre d’essai. […] Il avait à révéler la plus intime vision de l’Univers Musical, et sous les formes même, où la musique, avant lui, devait se montrer, seulement, comme un art agréable. […] Et, contre elles, il réagit, mais de sa façon, en développant, sous ces formes, son génie, fièrement, librement, comme si cette enclave subie n’existait pas à l’empêcher. […] Cet exemple de Beethoven nous fait bien voir encore l’originalité de la nature Allemande, qui a été douée de vertus si intimement profondes et si riches, qu’elle sait imprégner toute forme de son essence, en même temps qu’elle bâtit à nouveau cette forme par le dedans, sauvant ainsi de la destruction son enveloppe extérieure.

112. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Stuart Mill) y voient une forme de notre nature active, c’est-à-dire de notre volonté. Le raisonnement, sous sa forme primitive, va du particulier au particulier. […] Il est vrai que ces formes se trouvent au fond de nos connaissances puisqu’on peut les en tirer ; mais comment s’y trouvent-elles ? […] En somme, cette solution est la transformation physiologique de la doctrine kantienne des formes de la pensée. […] Sous sa forme adulte, la volonté est un pouvoir directeur, régulateur.

113. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Mais il est d’autres faits qui, sans présenter ces formes cristallisées, ont et la même objectivité et le même ascendant sur l’individu. […] Elles prennent ainsi un corps, une forme sensible qui leur est propre, et constituent une réalité sui generis, très distincte des faits individuels qui la manifestent. […] Au premier abord, ils semblent inséparables des formes qu’ils prennent dans les cas particuliers. […] Nous ne pouvons pas plus choisir la forme de nos maisons que celle de nos vêtements ; du moins, l’une est obligatoire dans la même mesure que l’autre. […] Une simple maxime morale est, assurément, plus malléable ; mais elle a des formes bien plus rigides qu’un simple usage professionnel ou qu’une mode.

114. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

— Seule l’expérience, méthodiquement consultée, donnerait ici une réponse indiscutable : en nous faisant connaître les effets différents des différentes formes d’institutions, elle seule nous permettrait de distinguer celle qui produit bien les résultats demandés par l’idéal défini. […] — Il faudra qu’elle connaisse dans tous leurs effets les formes d’institutions comparées. […] Il semble qu’on ne puisse actuellement constituer de science sociale qu’à la condition de décomposer l’histoire, c’est-à-dire d’isoler ses « facteurs » pour pousser aussi loin qu’il est possible la connaissance de leurs formes propres, de leurs conséquences et de leurs causes. […] Et quelles sont les diverses conséquences de ces formes diverses ? […] Entre les formes sociales que nous pouvons distinguer, quelles sont celles qui favorisent l’expansion de l’égalitarisme, telles que leur seule présence dans un pays et dans un temps fournirait du progrès qu’y font les idées égalitaires, une explication partielle ?

115. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

A parler en général, elle n’a jamais été plus insignifiante, de forme plus vulgaire ou plus factice, plus médiocre ou plus fausse de pensée. […] Lorsqu’un nouvel ordre s’établit, la littérature n’est plus tout à fait au point où elle était en 1789 : plus affranchie du goût mondain, de l’esprit, de l’analyse, de la finesse piquante, moins intelligente, elle s’est vidée de pensée en harmonisant ses formes. […] Malheureusement il semble qu’on ait seulement changé de joug : la délicatesse mondaine était au moins une forme d’esprit nationale, au lieu que l’élégance antique de la littérature du premier empire n’est qu’un froid pastiche, une inintelligente copie de formes étrangères. […] De plus, cette exhibition de la réalité brute, non déformée ni préparée par l’art, telle que l’offrent les reporters, a été pour quelque chose dans le souci de moins en moins grand que le public pendant longtemps a semblé prendre des formes d’art. […] Ce sont d’abord quelques survivants de l’ancienne société et de la philosophie encyclopédique, qui écrivent en général dans les feuilles contre-révolutionnaires : Suard, Rivarol, Mallet du Pan624  surtout, qui a plus de pensée sous sa forme nette et mordante.

116. (1890) L’avenir de la science « XIV »

C’est surtout sous la forme religieuse que l’État a veillé jusqu’ici aux intérêts suprasensibles de l’humanité. Mais du moment où la religiosité de l’homme en sera venue à s’exercer sous la forme purement scientifique et rationnelle, tout ce que l’État accordait autrefois à l’exercice religieux reviendra de droit à la science, seule religion définitive. […] Il le doit même à un titre plus élevé ; car la religion, bien qu’éternelle dans sa base psychologique, a dans sa forme quelque chose de transitoire ; elle n’est pas comme la science tout entière de la nature humaine. […] À vrai dire, la forme la plus naturelle de patronner ainsi la science est celle des siné-cures. Les sinécures sont indispensables dans la science ; elles sont la forme la plus digne et la plus convenable de pensionner le savant, outre qu’elles ont l’avantage de grouper autour des établissements scientifiques des noms illustres et de hautes capacités.

117. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

II Il en est ainsi en ce qui touche à la réalité psychologique où toutes les autres formes de la réalité se viennent refléter, et il en est ainsi, soit que l’on conteste, soit que l’on accorde l’existence du monde extérieur. […] Par le triomphe absolu de l’attitude objective, l’objet, faute d’un sujet pour le percevoir, se verrait privé de toute forme, de tout contour, de toute propriété ; il s’évanouirait et se dissiperait dans l’insaisissable. […] Le moi n’entre en rapport avec eux et ne réussit à les distinguer que dans l’émotion qu’il ressent à leur occasion ; c’est de l’unique substance de cette émotion qu’il tire la représentation qu’il s’en forme ; c’est cette émotion même dont une part plus ou moins grande se transforme en connaissance. […] Cependant, à pénétrer plus profondément dans le mécanisme de l’acte qui aboutit à connaître, il apparaît que malgré l’existence des nombreux objets que présentent à leurs regards les formes de la nature inanimée, les floraisons végétales, les activités animales et les passions humaines, ces contemplatifs risquent pourtant, par l’exagération de leur passion, d’en voir disparaître l’objet. Ils n’entrent en effet en relation avec tous ces objets du monde extérieur, ainsi qu’on vient d’en faire la remarque, qu’autant que leur sensibilité est encore affectée par eux : quelque joie à considérer les formes et les couleurs leur rend seule perceptibles les formes et les couleurs, quelque émotion, au contact des passions humaines leur permet seule de connaître les passions humaines.

118. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il se pose à nous sous une forme aiguë, parce que nous distinguons profondément la matière de l’esprit. […] Empirisme et dogmatisme prennent les états intérieurs sous cette forme discontinue, le premier s’en tenant aux états eux-mêmes pour ne voir dans le moi qu’une suite de faits juxtaposés, l’autre comprenant la nécessité d’un lien, mais ne pouvant plus trouver ce lien que dans une forme ou dans une force, — forme extérieure où s’insérerait l’agrégat, force indéterminée et pour ainsi dire physique qui assurerait la cohésion des éléments. […] veut-on, avec Kant, que l’espace et le temps soient des formes de notre sensibilité ? […] La forme visuelle, le relief visuel, la distance visuelle deviennent alors les symboles de perceptions tactiles. […] Voici des objets qui changent de forme et qui se meuvent.

119. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

La piété en était un, à cette date, mais non le seul ; et c’était une forme particulière de piété. […] L’imagination éveillée des poètes picards, ou peut-être la fantaisie originale du seul Adam de la Halle147, saisit la variété et la puissance des effets qui étaient contenus dans la forme de ces « jeux » sacrés. […] Mais ce sujet s’encadre dans une peinture de mœurs villageoises : déjà les pastourelles artésiennes dans leur forme lyrique y inclinaient. […] Je veux parler de l’imagination psychologique, du don de distinguer les formes générales des caractères et des vies humaines, et de composer les actes et paroles d’un personnage en parfait accord avec ses sentiments. […] Mais elle n’a pas davantage de rapport avec le théâtre sacré : il n’y a pas de raison pour ne pus voir dans cette pièce la première forme connue de la moralité.

120. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

L’alexandrin est donc un vers qui, en une forme bien différente de celle qu’il affectait antérieurement, comptait, quand naquit le vers libre, un peu plus de soixante ans d’existence. […] Si un livre de vers libres ne parut point avant les Palais Nomades, ce n’est point tant la forme que j’en jugeais insuffisante pour être présentée au public que le fond. […] La publication de ces vers fut immédiatement suivie, en Belgique et en France, de poèmes conçus selon des formes voisines. […] On sait aussi qu’après avoir trop servi les formes demeurent comme effacées ; leur effet primitif est perdu, et les écrivains capables de les renouveler considèrent comme inutile de se soumettre à des règles dont ils savent l’origine empirique et les débilités. […] Il n’y a aucune raison pour que cette vérité s’infirme en 1888, car notre époque ne paraît nullement la période d’apogée du développement intellectuel. — Ceci dit pour établir la légitimité d’un effort vers une nouvelle forme de poésie.

121. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Nous pouvons raviver sous forme d’idées des sensations et sentiments depuis longtemps passés. […] L’idée d’une impression est donc la reproduction, sous une forme plus faible, des états nerveux que cause l’impression elle-même. […] « La tendance de l’idée d’une action à produire le fait, montre que l’idée est déjà le fait sous une forme affaiblie. […] c’est qu’il y voit moins une forme de la loi fondamentale de l’intelligence, que la condition inhérente à tout acte de connaissance, et sans laquelle il n’est point possible. […] Ici on unit de nouvelles formes, on construit des images, des tableaux, conceptions, mécanismes, différant de tout ce que l’expérience a donné auparavant.

122. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

C’est en les lisant qu’on se forme le goût. […] Kahn n’est biblique que de forme ; M.  […] Toute forme d’ailleurs ne se prête pas à la simplification symbolique. […] Dans « j’ai pris la peine » et dans « la peine que j’ai pris — prise » j’ai pris est une forme verbale composée mais qui peut être traitée comme une forme simple. […] Mais la forme en ir elle-même disparaît.

123. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Sans doute ce monde n’est pas immobile, ni inerte, puisqu’il vit : les historiens ont de grandes entreprises politiques et religieuses à raconter, une évolution des formes sociales et des institutions à raconter. La pensée n’est pas inerte non plus, mais elle se meut dans l’abstrait, et comme elle ne sort guère des écoles, elle ne pense guère non plus à régler la pratique ni à imposer aux faits sa forme. […] Si grossières et pauvres que soient les formes où se réalise actuellement cette conception morale, il suffit qu’elle existe pour en faire émaner une lueur de noblesse et de beauté. Même tout l’art dont est capable ce moyen âge qui lut les chefs-d’œuvre de la poésie antique sans y remarquer la fine splendeur des formes, cet art sortira de là : il manifestera l’énergie de son individualisme par ses châteaux, et la vivacité de sa foi par ses églises. […] Plus pur est le sentiment qui dresse les églises, et plus belle la forme par où il se réalise en elles.

124. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

… Il a détriplé l’idée de La Harpe, et ce qu’il en a pris, il l’a exécuté déjà et continuera de l’exécuter sous une forme à lui et qui ne rappellera nullement celle de La Harpe. […] Mais il reconnaît cependant que dans la somme des acquisitions littéraires de ce temps, — le journalisme, pernicieux ailleurs, n’aura pas été entièrement stérile, puisqu’il a introduit dans la littérature, une forme de plus — une forme svelte, rapide, retroussée, presque militaire et que cette traîneuse de robe à longs plis, dans les livres, ne connaissait pas. Au lieu de deux ailes qu’elle avait, il en a donc donné quatre à la Pensée… Eh bien, c’est sous cette forme concentrée et particulière appelée articles de Journal, par la Vulgarité qui déshonore tout, quand elle parle de quelque chose, que les divers chapitres de ce livre ont été écrits. […] Ainsi un livre dans lequel la forme de l’Écrivain (quelle qu’elle soit ; ce n’est pas la question) est maîtresse chez elle, quand elle ne l’est pas dans les journaux, où, comme partout, la forme emporte le fond (ou l’empâte), tel est ce premier volume des Œuvres et des Hommes.

125. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Naturellement la forme de ce patron dépend des vagues concourantes. […] Cela forme pour ainsi dire la lumière du jour de notre existence. […] Ceci conduit à examiner la question des diverses formes de conscience. […] Legallois, Wilson, Philipi, Lallemand, Calmeil arrivèrent à des conclusions analogues, sous diverses formes. […] La sensation forme ainsi le point de départ de chaque série.

126. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

. — Le poème, expansion dans les Formes. […] Pour analyser avec justesse un artiste, il importe d’examiner d’abord ce qui fut le mobile de son œuvre — le motif étant toujours un besoin irraisonné d’expansion dans les formes — et, pour un Poète, à quelle occasion il prit la décision redoutable de rompre le silence. […] Vielé-Griffin manquent d’une direction certaine, on les sent agités de sourds bouillonnements qui hésitent et retombent ; le poète y est inférieur à lui-même par la beauté réalisée, mais il y révèle de plus larges désirs qui longtemps cherchent leur forme définitive et s’illuminent, plus tard, dans la Vie et le Rythme. […] Vielé-Griffin montrent comme une défiance des choses, leurs formes extérieures peu-à-peu apprises, puis une recherche encore tâtonnante de leur sens réel qui hâtivement conclut, par des sensations d’infériorité devant elles, à un pessimisme révolté. […] M. de Régnier, plus éloigné, plus tranquille, dit une parole aussi pénétrante mais sans se montrer jamais : il s’efface derrière les formes qu’il suscite et parle noblement de la tristesse avec une voix venue d’un tel horizon de songe qu’en nous faisant ressentir le poids de sa mélancolie il semble n’avoir jamais courbé le front sous elle.

127. (1890) L’avenir de la science « I »

.) ; l’autre que l’on peut appeler idéale, céleste, divine, désintéressée, ayant pour objet les formes pures de la vérité, de la beauté, de la bonté morale, c’est-à-dire, pour prendre l’expression la plus compréhensive et la plus consacrée par les respects du passé, Dieu lui-même, touché, perçu, senti sous ses mille formes par l’intelligence de tout ce qui est vrai, et l’amour de tout ce qui est beau. […] Au fond, toutes ces catégories des formes pures perçues par l’intelligence ne constituent que des faces d’une même unité. […] La vie des hommes de génie présente presque toujours le ravissant spectacle d’une vaste capacité intellectuelle jointe à un sens poétique très élevé et à une charmante bonté d’âme, si bien que leur vie, dans sa calme et suave placidité, est presque toujours leur plus bel ouvrage et forme une partie essentielle de leurs oeuvres complètes. […] Ce ne sont là que des formes différentes, qui, comme celles de la littérature, sont aptes à exprimer toute chose. Béranger a pu tout dire sous forme de chansons, tel autre sous forme de romans, tel autre sous forme d’histoire.

128. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Mais ici, partout, même dans les choses d’enfance et jusque dans lès blancheurs de l’aube, le trait est toujours pur, net, sans rien qui hésite ; le vers est parfait de rhythme et de forme. […] D’Albert est une forme dernière de la maladie de René. […] Cette forme bizarre de l’ennui, cette impuissante fureur, cette infidélité raffinée auprès de ce qu’il aime, est certes, comme je l’ai appelée, un dernier et suprême renchérissement de la maladie de René. […] Ici la forme est inspirée du Moyen-Age, de sa mythologie et des images de la mort qui lui sont familières. […] Comme un vase d’albâtre où l’on cache un flambeau, Mettez l’idée au fond de la forme sculptée, Et d’une lampe ardente éclairez le tombeau.

129. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Boileau a le sentiment très net et très juste du vers comme forme d’art. […] La matière de sa poésie est petite, le champ de son talent est étroit : mais la perfection de sa forme le fait grand, et donne une rare valeur à son œuvre. […] C’est affaire à l’expérience de montrer s’il y a des formes mixtes qui soient légitimes, c’est-à-dire viables et permanentes. […] L’imitation des anciens fournit à Boileau le moyen de transformer en forme d’art l’observation de la nature. […] Chez les anciens, les genres se distinguaient par la forme, par le mètre : chez nous, ils se distinguent surtout (du moins les principaux) par le fond, par l’impression, la forme restant libre dans une large mesure.

130. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

C’est alors qu’on la vit, qu’on la fit poser et se dessiner en muse, et qu’on la salua sous sa forme de Corinne. […] Je dis première manière, car Mme de Girardin a déjà eu trois manières, s’il vous plaît, trois formes poétiques distinctes : la première forme, régulière, classique, brillante et sonore, qu’on peut rapporter à Soumet ; la seconde forme, qui date de Napoline, plus libre, plus fringante, avec la coupe moderne, et où Musset intervient ; la troisième forme enfin, qu’elle a déployée dans Cléopâtre, et où elle ose au besoin tout ce que se permet en versification le drame moderne. Il est remarquable que les femmes, si habiles et si maîtresses qu’elles soient, trouvent rarement leur forme elles-mêmes ; elles en usent bien, mais elles l’ont empruntée à un autre. De ces trois formes, disons que la première, celle de Racine vu à travers Soumet, serait celle que suivrait de préférence et le plus naturellement Mme de Girardin, si elle était livrée à elle-même. […] Cléopâtre me représente la troisième forme poétique de Mme de Girardin.

131. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Si l’on tient compte du nombre de mesures, de l’étendue moyenne de chaque forme musicale, du nombre de fois que cette forme se présente, on pourra voir que si l’on sectionnait tout l’opéra au moyen de coupes successives, comme au microtome, on rencontrerait ce motif au moins une fois dans une coupe de trois mesures, dix-huit centièmes d’épaisseur. […] Le motif prend ainsi une forme plus solide, tonalement parlant, plus nette comme expression, et ces trois notes, mi-si-ré, se retrouveront maintenant partout. […] Page 10, une forme agitée et enthousiaste bien que contenue se dissimule dans le choral, marquant l’extase de Walther après le regard brûlant d’Eva. […] Pendant qu’Eva s’indigne contre les maîtres et contre Sachs à la fois, ce motif prend une forme malicieuse, fine et gaie ; puis, le motif de Sachs dans son intégrité reparaît sombre sous la forme doucement railleuse, et le motif mélancolique 13 se montre au milieu des syncopes de la basse en même temps que Sachs reprend : « Das dacht ich wohl !  […] Cette forme est parente du 32.

132. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Habitués au latin, au grec, à des langues mortes dont ils trouvaient les formes fixes, les règles certaines, le type désormais immuable dans les écrivains anciens, ils cherchaient le français et ne le trouvaient nulle part. […] Il reçoit des mots et des formes des dialectes : du wallon, du picard, du vendomois, avec Ronsard ; du gascon, avec Monluc et Montaigne ; du lyonnais, avec Rabelais, comme cette forme aimarent si fréquente dans Pantagruel. […] Aussi fut-ce pendant tout le siècle, et chez les mêmes écrivains, la plus étrange confusion de formes anciennes et nouvelles, comme il apparaît bien par l’usage actuel, où très capricieusement sont parvenues tantôt les unes et tantôt les autres. […] Ce n’était plus seulement de ville à ville, c’était de livre à livre que les mots et les formes changeaient. […] L’archaïsme et le latinisme s’effacent à la fois et se fondent dans l’aisance spontanée de la phrase française : si bien qu’à vrai dire les vestiges de la vieille langue passent à l’état de licences bizarres, et les formes latines tendent à devenir une question de style plutôt que de grammaire.

133. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Tout y est effet du passé, tout, jusqu’au langage, jusqu’à la forme, qui est la fille de la Renaissance, — et ceci pour nous est un reproche ! […] D’autres que nous égareraient peut-être Gramont sur la valeur vraie de son livre ; car il appartient à cette école populaire encore, quoique à bout de voie, de la forme ouvragée et savante, et dont Théophile Gautier est le plus illustre représentant. […] Nous l’avons signalé déjà ; mais il faut insister et marquer le trait… Il y a deux passés dans ces Chants du Passé : le passé d’une forme épuisée, retrempée stérilement, hélas ! […] C’est le caractère, en effet, de sa poésie, que la plaie éternelle et cachée sous l’éblouissant mensonge de la forme, qui se ferme pour se rouvrir, qui vieillit, qui n’empêche pas de vivre et même de sourire, mais qui, au lieu de guérir, s’envenime. […] Seulement, autant, quand il reste le poète d’une cause et des traditions de son berceau, il est au-dessus de l’imitation et des reflets de la Renaissance et trouve sans la chercher cette forme qui n’est ni un vêtement, ni un ornement, mais la splendeur de la pensée à travers les mots qui la voilent et qui la révèlent, autant, quand le souvenir qu’il évoque tient à ces sentiments plus vulgaires que nous avons tous éprouvés, il retombe dans cette forme d’une époque trop admirée et que le progrès serait d’oublier.

134. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Et la forme de sa pensée est dépouillée aussi de tout élément sensitif ou imaginatif : jamais forme ne fut plus abstraite, plus immatérielle, plus affranchie du nombre et de la mesure, qui sont les lois de la substance étendue : pure notation algébrique où l’intelligence seule trouve son compte. […] La pensée jouit d’une liberté illimitée dans l’abstrait et dans le général, toutes les intempérances, toutes les aventures lui sont permises : dès qu’elle touche au réel, au concret, à la vie, elle reçoit forme et couleur des préjugés impérieux du siècle. […] Il n’en a pas, faute d’abord de sentiment et d’imagination ; quand le sentiment et l’imagination s’éveillent, il n’en a pas encore, faute d’un certain sens de la forme, par une sorte d’atrophie de l’ouïe et de la vue. […] Le respect des opinions reçues, et la confiance en l’infaillibilité de la raison du siècle, font qu’on ne croit plus utile d’aller au-delà de l’idée que tout le monde se forme de la nature, jusqu’à la nature elle-même. […] Nul ne peut dire aujourd’hui ce qui sortira de ce mouvement : il n’y a rien pour ainsi dire dans les doctrines de la nouvelle école, autant qu’on peut les comprendre, qui ne soit un démenti donné au naturalisme, comme à l’Art poétique, à tous les préceptes tendant à l’expression d’un objet réel dans une forme fixe et finie.

135. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Les substances mortes, œuvre de cette destruction, sortent par le poumon sous forme d’acide carbonique, par les reins sous forme d’urine, par l’intestin et par la peau ; et diverses glandes, les reins, le foie, sont établies sur un plan savant pour aider à cette épuration. […] L’animal, c’est-à-dire le type, forme fixe et limitée, durable de génération en génération. […] Peu à peu se forme la pyramide des causes, et les faits dispersés reçoivent de l’architecture philosophique leurs attaches et leurs positions. […] Par cette hiérarchie de nécessités, le monde forme un être unique, indivisible, dont tous les êtres sont les membres. […] Toute forme, tout changement, tout mouvement, toute idée est un de ses actes.

136. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Sa forme ne dépend pas de son contenu. […] La forme qu’elle présente à n’importe quel moment prétend être la forme définitive. […] Disons la même chose sous une autre forme. […] Ce qui est aspiration tend à se consolider en prenant la forme de l’obligation stricte. […] Considérons ces deux formes tour à tour.

137. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

— Le mouvement est lié, sous une forme latente, aux sentiments les plus dégagés en apparence de toute relation avec lui. […] On a cherché dans des raisonnements intellectuels à forme inconsciente la clef des plaisirs esthétiques, sympathiques, moraux, religieux ; il faut procéder plutôt en sens inverse. […] L’attention, on s’en souvient, n’est que l’appétition sous sa forme intellectuelle et prenant une direction déterminée ; l’aperception n’est que l’efficacité de l’appétition intellectuelle qui, cherchant à voir, voit. […] La volonté, grâce à l’intelligence, prend donc nécessairement deux formes et deux directions : l’une de concentration sur le moi, l’autre d’expansion vers le non-moi, l’une qui est l’intérêt proprement dit, l’autre qui est le désintéressement. […] La substitution du toi au moi devient alors possible, puisque toute idée, comme telle, est, déjà une forme d’activité et de volonté en même temps que d’intelligence.

138. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Le personnage en effet mettra toujours au service de la fausse conception qu’il se forme de lui-même, au service de l’impossible, la quantité précise de force qu’il eût employée à développer ses aptitudes naturelles. […] Mais sa sensibilité ne répond pas à la conception qu’il s’en forme : l’intensité dans la passion lui fait défaut. […] Toutefois l’être humain n’est pas seulement une cire molle à laquelle les circonstances : et les influences extérieures impriment une forme nécessaire. […] La révélation de l’immense richesse intellectuelle qui leur est livrée n’excite en eux qu’un sentiment d’admiration pour la science, pour l’art, pour la philosophie, pour la pensée sous ses formes les plus hautes. […] D’une façon essentielle elle se méconnaît, elle se forge une fausse conception de son pouvoir, visant des buts qu’elle ne peut toucher, se réalisant toujours selon des formes qu’elle n’avait pas prévues.

139. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Ses travaux de revue en particulier, ou même ses simples articles de journal, qui sortaient des formes usitées, et dont chacun offrait un tout, le désignèrent d’emblée à l’attention comme un maître d’un genre nouveau. […] Le fond y est peut-être moins sacrifié à la forme ; on y trouve plus de déclamation, mais moins de rhétorique. […] Mais la netteté de notre esprit, comme la sécheresse de nos formes et le cassant de notre règle, ne permet pas ces indécisions souvent nourricières et fécondes ; il faut choisir par oui ou par non. […] Renan fit ses dernières réflexions ; toutes les études historiques et critiques de l’année précédente avaient donné une forme précise et arrêtée aux objections qui flottaient auparavant dans son esprit. […] Mais il eut beau faire, la préoccupation religieuse perçait ; on sentait venir un témoin, un observateur d’un ordre à part, armé d’instruments à lui et suspect de curiosité pure, sous la forme du respect.

140. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

L’opposition du sujet et de l’objet est la forme même de toute notre connaissance. […] En supposant une réalité qui serait quelque chose de premier en soi, non plus seulement pour moi, je forme l’idée d’absolu. […] L’idée demeure en nous comme une forme qu’aucun contenu ne peut remplir et qui, dépassant tout, nous invite à tout dépasser nous-mêmes. […] De plus, elles sont des instruments d’analyse pour la décomposition de la réalité en ses formes ou mouvements élémentaires. […] Comment admettre que cette notion à formes changeantes soit absolument irréductible ?

141. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il forme une suite logique au lyrisme pur, à l’exaltation romantique du moi. […] L’Idée sur ses formes déploie le Temps, le dispose et le façonne comme un lin. […] Il parlait à travers les nuages, en des mots imprécis, en une forme de rêve. […] C’en est en tout cas la plus haute forme artistique. […] D’ailleurs plus une poésie est pure, plus elle est rebelle à toute forme de traduction.

142. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Les formes inférieures de l’ironie foisonnent, j’y reviendrai. […] Sous des formes latentes et sourdes sinon évidentes et déclarées elle est peut-être une défense vitale nécessaire. […] Il se forme, comme tout ce qui se forme, en se détachant de ce qui l’a précédé, en s’opposant à ce dont il procède tout en s’y associant étroitement. […] Il est bon qu’un esprit se forme pour comprendre cette manœuvre, la diriger et la contrarier au besoin. […] Il saura enfin que son ironie est une forme passagère de la vie.

143. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

La philosophie cartésienne, dont l’esprit est foncièrement hostile à la foi, se développe dans une forme conciliable avec les dogmes de l’Église, chez Descartes, dans une forme hétérodoxe, mais plus chrétienne encore, chez Malebranche. […] Le culte du roi est la forme du sentiment national : on aime le roi par ce qu’il assure de prospérité, de grandeur, de gloire à la France. […] Les régies, dérivées de la tradition gréco-romaine, sont les conditions d’élaboration de la vérité intelligible en forme d’art. […] La société est faite : ils ne prétendent rien y changer ; mais l’individu, qui vivra dans cette société, est toujours à faire : c’est cet individu à qui tous nos écrivains veulent imposer une forme. […] De là la décadence des formes d’art et la faiblesse de la pure littérature.

144. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Il suffit de se continuer soi-même par la pensée derrière l’obstacle qu’on rencontre, sous forme d’une volonté autre, d’un effort autre. […] L’objet, c’est la forme que l’appréhension de la réalité prend dans notre conscience sous une double série de conditions : 1° celles de la conscience en général, 2° celles de telle affection spéciale d’un sens particulier. […] Nous retrouvons dans ce non-moi des mouvements et des formes qui nous sont connus en nous-mêmes. […] De même qu’il y a des peurs instinctives devant les formes d’animaux qui sont l’ennemi héréditaire, il y a des sympathies instinctives devant les formes de l’ami héréditaire. […] Le inonde se divise pour nous en ce qui est désirable et ce qui est redoutable, en amis et ennemis ; il y a pour l’animal des choses bonnes ou des choses mauvaises, des êtres bons ou des êtres méchants, c’est-à-dire des formes qui attirent et des formes qui repoussent, des images de jouissances ou des images de souffrances sous tel aspect visible, tangible, etc.

145. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Elle ne nous fait connaître véritablement que leur diffusion dans les esprits du vulgaire ignorant, leur dégradation pour ainsi dire, et la force d’impulsion qu’elles ont manifestée : mais la genèse et l’évolution de ces idées même dans l’élite qui pense, les formes supérieures de la vie intellectuelle, ne se sont pas déposées alors, sinon par hasard, dans les œuvres de langue française. […] Enfin l’esprit français, de siècle en siècle, revêt des formes ou reçoit des éléments nouveaux. […] Ses formes même apparaissent, se développent, se dessèchent, et se dissolvent, selon leur rapport à l’état intime de la société ou du groupe de la société qu’il s’agit de manifester : en sorte que, par les genres mêmes qui prévalent, la littérature exprime toutes les modifications de l’esprit français. […] Au xvie  siècle, affranchi par l’antiquité retrouvée sinon matériellement dans ses œuvres, du moins dans son véritable esprit, éveillé au sens de l’art par la vision radieuse que lui offre l’Italie, le génie français crée ou emprunte les formes littéraires capables de satisfaire ses besoins nouveaux de science et de beauté. […] Le rationalisme triomphe pendant le xviiie  siècle aux dépens de la foi et de l’art, et, de la substance ou de la forme des œuvres littéraires, élimine tout ce qui n’est pas nécessairement facteur ou signe de la vérité dont il analyse les éléments ou poursuit la démonstration.

146. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Quelle forme affectera l’ouvrage ? […] Doit-elle nous donner, seulement, les sensations simples des corps matériels, par une figuration exacte de leurs formes ? […] À Bayreuth, nous voyons « l’ideé même de l’Art, en sa réalisation idéale. » X : Le style de Bayreuth. — Nous entendons par style « la conformité absolue entre le contenu et la forme, et, de plus, la concordance, également absolue, des divers éléments expressifs, par lesquels le contenu manifeste sa forme ». — La Musique : la forme (dans le drame musical) est le Motif, simple, incomparablement suggestif, plastique ; le Motif agit comme la force vitale, intime, d’une forme idéale déterminée ; « ici, le contenu et la forme sont identiques ». — Le Drame : la forme est la Parole chantée ; cette parole chantée est le trait d’union : « par elle, l’essence idéale de la Musique, qui avait pris forme dans le motif, devient un fait dramatique, tandis que le Drame pénètre, comme élément actif, dans le domaine de l’Idéal ». […] Le second est celui de l’égoïsme, le moment où l’Art, un et indivisible, se trouve éclaté entre différentes formes. […] Wyzewa définit le wagnérisme comme une « doctrine esthétique » qui a la valeur d’une révélation philosophique et qui suppose « l’alliance naturelle, nécessaire, des trois formes de l’Art, plastique, littéraire, musicale, dans la communion d’une même fin unique, créer la vie, inciter les âmes à créer la vie. » Ainsi, cette doctrine s’applique-t-elle à toutes les formes de l’art, et surtout pas à la seule musique.

147. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Le rêve du « songeur » et du « voyant » peut avoir forme et force, mais la simple rêverie n’est pas l’aile des grands essors. […] Le vers ne peut donner sa forme et son rythme à la pensée que lorsque celle-ci vibre et chante. […] Les types éternels des formes éphémères, Qu’avait dans l’absolu vus resplendir Platon, Sont-ils réels ? […] Mais d’où vient la forme qui touche ? […] Ce culte des formes, par lequel il se rattache à la Grèce, n’exclut pas une sorte de dédain profond et final pour un monde qui, par cela même qu’il n’a d’intéressant que ces formes où se mire l’intelligence, n’est en somme qu’un monde d’apparences et d’illusions.

148. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Seuls les jansénistes trop instruits pour estimer son fond, trop peu artistes pour sentir sa forme — le tenaient en médiocre estime. […] Il est demeuré étranger au souci de ses contemporains, qui travaillaient la forme : il n’a ni la phrase troussée de Voiture ni l’ample période de Balzac. […] Elle manifeste, en une forme abstraite et d’autant plus aisément connaissable, l’idée nouvelle qui prend ou aspire à prendre la direction de ce mouvement. […] Enfin la méthode cartésienne, qui tend à constituer des démonstrations, a son analogue dans la forme oratoire, qui s’établit en même temps dans la littérature. […] La perfection des œuvres classiques consiste précisément à combiner les deux formules, esthétique et scientifique, de la littérature, de façon que la beauté de la forme manifeste la vérité du fond.

149. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Il y avait un ton, c’est-à-dire une forme rythmique et musicale, qui se rattachait à une des formes inventées par lui, et qui fut longtemps employé avec deux variétés, « le ton court » et « le ton long » de Tannhäuser. […] La forme française Boutedieu et la forme provençale Botadieu sont bien d’accord avec la forme italienne Buttadeo pour nous faire voir dans le surnom du malheureux Jean un composé du verbe bouter, botar, buttare, et du représentant en vulgaire de l’accusatif latin Deum. […] Quelle est la bonne forme entre les deux ? […] J’ai ramené à cette forme consacrée les variantes (Tanhuser. […] J’ai reproduit le texte de M. de Wailly avec de légères modifications qui ne portent guère que sur la forme.

150. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Jamais mes idées n’ont pris d’elles-mêmes la forme dramatique : devais-je les contraindre à la prendre ? […] C’est-à-dire, simplement, que dans le soin et l’amour de la forme s’affirme la personnalité de l’auteur devenu écrivain. […] La forme littéraire est, entre toutes les formes de l’art en général, celle qui fait briller aux yeux de l’individu la promesse d’immortalité la plus sûre et la plus facile à saisir en apparence. […] l’amère sottise, quand on y réfléchit, de donner la forme… à quoi ? […] Mais donner l’immortalité à notre pensée et à la forme de notre pensée !

151. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Il semble que l’influence de Rousseau et de Chateaubriand soit épuisée : la forme religieuse, enthousiaste, qu’ils avaient rendue aux âmes, s’efface. […] Il eut contre lui tous les partis qui représentaient les formes antérieures du gouvernement : légitimistes, orléanistes, républicains. […] Paradol, qui ne put être député, était un pur parlementaire : le salut était pour lui dans certaines formes constitutionnelles. […] On souffre dès aujourd’hui à le lire ; et pourtant, si médiocre que soit la forme, le mouvement y est encore, parfois la flamme. […] A l’éloquence universitaire doit s’annexer une autre forme de la parole publique qui s’est développée surtout depuis vingt-cinq ans.

152. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Si vous faites tant que de prendre les mots grecs, prenez-les en leur vraie forme et dites : Azis, qui est, à peu de chose près, la vraie prononciation ! […] Le mal du siècle, sous sa forme dernière, qui est le nihilisme moral, aura rencontré peu d’interprètes de cette âpreté d’accent. […] Leconte de Lisle, avec un sens très sûr des nécessités du moment, opposa la forme châtiée, austèrement belle, et l’impassibilité morale. […] Des poèmes évangéliques avaient précédé ; mais, en dépit de la forme magistrale, l’onction manquait ; on sentait que le poète était là sur un terrain étranger à sa pensée. […] Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maïa avant même d’en être sortis.

153. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

De plus, les parties dures semblent influencer la forme des parties molles dont elles sont voisines : ainsi plusieurs auteurs pensent que la diversité remarquable qu’on observe dans la forme des reins des oiseaux provient de la diversité de forme de leur pelvis ; d’autres croient que, chez la femme, la forme du bassin influence par la pression la forme de la tête de l’enfant ; chez les Serpents, d’après Schlegel, la forme du corps et le mode de déglutition déterminent la position de plusieurs des plus importants viscères. […] C’est ainsi que la forme d’un couteau, destiné à couper toutes sortes de choses, est presque indifférente, tandis qu’un instrument construit pour quelque emploi particulier doit avoir une forme toute spéciale. […] On pourrait dresser un immense catalogue de formes intermédiaires entre deux autres formes, qui pourraient elles-mêmes avec un doute égal être rangées comme espèces et comme variétés. Il faut donc, à moins de considérer chacune de ses formes comme indépendamment créées, que l’une en variant ait assumé quelques-uns des caractères de l’autre, de manière à produire des formes intermédiaires. […] L’apparition des rayures n’est accompagnée par aucun changement de forme ou par aucun autre nouveau caractère.

154. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Le grand souffle lyrique qui avait passé sur une génération est éteint ; la grande fantaisie créatrice qui avait animé tant de formes et tant de types est épuisée. […] On l’a dit, il y a parfois du Delille chez André Chénier, non sans doute dans le sentiment poétique, mais dans certaines formes du langage poétique, dont il n’a pu complètement s’affranchir. […] La poésie doit croire à quelque chose, ou bien, si elle doute, il faut que ce soit sous la forme de la passion, non sous la forme d’un dilemme. […] Et y a-t-il au monde contradiction plus forte que la forme du sonnet avec la largeur de l’inspiration que réclamait l’audace du sujet ? […] employer cette forme artificielle à l’expression des plus hautes idées, quelle fantaisie regrettable !

155. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Il ne sera pas inutile pourtant d’ajouter ici quelques conseils particuliers sur certaines catégories de sujets, qui peuvent être souvent proposés à des élèves, et qui se ramènent volontiers à certaines formes et à certaines proportions. […] Dans un sujet simple et court, dans une composition de collège, histoire ou fiction, dont l’unité est toujours stricte et le dessin peu compliqué, la forme la meilleure, la plus maniable et la plus efficace, est la forme dramatique : dialogue à part, bien entendu. […] Pareillement, quand vous faites parler vos personnages dans une narration, ou que vous avez choisi ou reçu la forme du dialogue, il ne s’agit pas de copier aussi exactement que possible l’allure et le ton d’une conversation réelle. […] De là vient la difficulté que présente à manier la forme du dialogue. […] On pourra, selon les matières, se décider pour la forme inductive ou la forme déductive : prouver par l’expérience des faits réels, ou par les conséquences des principes évidents.

156. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Destinés à paraître dans un journal sous cette forme de roman-feuilleton qui peut se permettre tant de hors d’œuvre et de bavardages, les romans actuels de Feydeau sont tout aussi victimes de la forme qu’ils ont revêtue que des idées fausses et des facultés décroissantes de leur auteur. Le roman-feuilleton est, en effet, la forme la plus énervante et la plus traîtresse des formes littéraires, parce qu’elle en est la plus facile et la plus débordée. […] Mais j’entends par romans-feuilletons tous les livres composés, ou plutôt décomposés, en vue de l’intérêt de chaque jour et de son succès, et je dis que cette forme littéraire abaissée pourrait, au fond, très bien s’appeler la forme « Rigolboche » en littérature ! Eh bien, c’est cette forme-là qu’Ernest Feydeau a choisie, ou qu’il a subie ici ! […] Je le crois de l’école des Impassibles en littérature, mais je connais les despotismes de cette forme littéraire qu’on appelle le roman-feuilleton.

157. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Une distinction capitale, pourtant, est à faire entre les deux formes dites romane et gothique de l’architecture au Moyen-Âge. […] Ce grand Ordre eut ses architectes à lui, qui atteignirent assez tôt à la perfection de leur forme, à Cluny même, aujourd’hui détruit, à l’église de Vézelay, encore existante, et dont M.  […] Il fallait donc geler, bon gré, mal gré, en l’honneur du principe, geler dans les formes, et, comme elle le disait spirituellement, périr en symétrie. […] Nous nous asservissons à eux, et nous importons pour d’autres mœurs, pour d’autres usages et sous un autre climat, des formes toutes faites dont nous méconnaissons le principe originel et l’esprit. C’est l’esprit et la manière de raisonner des anciens architectes, non la lettre et la forme qu’il faut prendre.

158. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Bourget, apparemment si apte à la spéculation abstraite, auquel il semblerait que la pure forme philosophique eût dû sourire exclusivement. […] À ce souci, en même temps que son imagination s’est vue contrainte de rendre le sceptre, il a dû ramener tout un système de faits, non sans que bien des formes consacrées s’en modifiassent, qui n’y avaient peut-être pas un absolu avantage. […] Bourget s’est longtemps complu à emprisonner les formes de la nature et de la vie. […] Loti, par exemple, qui tient de l’imaginatif et du professionnel, procédât autrement que par imprécisions et par tableaux successifs, et que sa forme ne lui sonnât pas un refrain, et que ce refrain ne l’incitât pas à une reconstitution, toujours approximative, encore que rapide et efficace ? […] Les choses, à même lesquelles la pensée du philosophe se forme, n’offrent pas d’harmonie tangible ; elles en offrent d’intelligible.

159. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Ce n’est là qu’une des formes de l’ennui. […] Il suffit, pour cela, que cet objet soit véritablement achevé, c’est-à-dire qu’on ait donné à sa matière et à sa forme le degré de perfection compatible avec cette matière ou cette forme. […] Les formes successives de ce mot sont deit, doit, doi. […] Peu importe donc la forme du dessin : ici encore, l’intérêt pour l’écriveur est que cette forme soit immuable. […] Les mots entre parenthèses sont les formes actuelles.

160. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Sous la forme de l’empire romain, l’Italie avait dominé le monde, lui avait imposé la paix romaine. […] La psychologie de l’Italien n’est pas logique ou morale : elle est individualiste ; elle ne cherche pas à corriger, elle s’adapte ; elle s’adapte dans les formes et sauvegarde la liberté dans les interprétations. […] D’abord elle joue un rôle moins important qu’en France dans la vie intellectuelle, qui s’exprime tout aussi aisément dans les arts plastiques et dans la musique ; elle est concurrencée aussi par une autre littérature, en langue latine, et fortement soumise aux formes, aux traditions des littératures classiques ; la forme l’emporte souvent sur le fond, d’autant plus que la liberté de l’expression est souvent limitée. […] Le drame, sous la forme des sacre rapprezentazioni, représente très humblement la fin d’une évolution que Pétrarque a déjà devancée. […] Au théâtre nous avons les « formes » régulières de la tragédie et de la comédie, mais pas de vie dramatique, sauf quelques exceptions dans la comédie.

161. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

III Cette réalité psychologique que l’on vient de montrer conditionnée par la loi d’un Bovarysme essentielest, ainsi qu’on l’a dit, la source de laquelle s’élèvent toutes les autres formes du réel. […] C’est seulement dans ce lieu psychologique, où éclot le phénomène de la connaissance, qu’il est possible d’observer les formes diverses de la réalité, car c’est là seulement que la réalité prend forme objective, c’est là seulement que se rencontrent des objets. De même que la réalité psychologique est un compromis entre un principe d’acte et un principe de contemplation, on peut remarquer tout d’abord, en ce qui touche à l’objet considéré isolément, qu’il apparaît et prend forme sous le regard de la conscience, à la suite d’un compromis entre un principe de mouvement et un principe d’arrêt. […] À employer deux termes qui s’opposent plus nettement on peut dire que la réalité phénoménale, en tant qu’elle se manifeste en des formes matérielles, est un compromis entre des forces de dissociation et d’association.

162. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Or, l’esprit des siècles héroïques se forme du mélange d’un état civil encore grossier, et d’un état religieux porté à son plus haut point d’influence. […] Ce premier pas fait, ils virent encore qu’il fallait choisir ; ensuite que la chose choisie était susceptible d’une forme plus belle, ou d’un plus bel effet dans telle ou telle position. Toujours cachant et choisissant, retranchant ou ajoutant, ils se trouvèrent peu à peu dans des formes qui n’étaient plus naturelles, mais qui étaient plus parfaites que la nature : les artistes appelèrent ces formes le beau idéal. […] Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets ; l’autre, en dérobant à la vue certains côtés faibles de l’âme : l’âme a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps.

163. (1911) Études pp. 9-261

Elle n’est pas une ductile indifférence où la forme d’un seul coup, fluide, puisse se tracer. […] Chacun tâche à construire et à maintenir sa forme ; et tous, ils s’appuient, ils s’arc-boutent les uns sur les autres pour construire et maintenir la forme totale. […] — Les êtres organisés au contraire sont des formes actives, des formes changeantes, des formes qui se développent et qui, plus ou moins, s’adaptent. […] Nous voyons maintenant que c’est pour les offrir sous cette forme impérissable à Dieu. […] Les formes autour de moi deviennent fantastiques ; je ne les reconnais plus.

164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses Concluons en rappelant l’idée de Platon, qui ajoute aux trois formes de républiques une quatrième, dans laquelle régneraient les meilleurs, ce qui serait la véritable aristocratie naturelle. […] La première république se trouve donc dans la famille ; la forme en est monarchique, puisqu’elle est soumise aux pères de famille, qui avait la supériorité du sexe, de l’âge et de la vertu. […] La forme même de la monarchie retient la volonté du monarque tout infinie qu’est sa puissance, dans les limites de l’ordre naturel, parce que son gouvernement n’est ni tranquille ni durable, s’il ne sait point satisfaire ses peuples sous le rapport de la religion et de la liberté naturelle. […] On a pleinement démontré dans cet ouvrage que les premiers gouvernements du monde, fondés sur la croyance en une providence, ont eu la religion pour leur forme entière, et qu’elle fut la seule base de l’état de famille. […] Si la religion se perd parmi les peuples, il ne leur reste plus de moyen de vivre en société ; ils perdent à la fois le lien, le fondement, le rempart de l’état social, la forme même de peuple sans laquelle ils ne peuvent exister.

165. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Ils ne l’aperçoivent que sous forme d’image, c’est-à-dire déjà incarné dans des sensations naissantes. […] Mais en distinguant profondément ces deux formes de la mémoire, nous n’en avions pas montré le lien. […] La tendance générale à s’associer demeure aussi obscure, dans cette doctrine, que les formes particulières de l’association. […] Ce ne sont pas là des formes contingentes de notre vie psychologique. […] A ces divers degrés de contraction correspondent les formes variées de l’association par ressemblance.

166. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

La base de toute certitude est dans le fond et non dans la forme. […] La forme seule de la dialectique est une science. […] Ils se bornent à les lui emprunter en les ornant d’une forme nouvelle. […] Son œuvre a l’ordre et la symétrie d’un traité en forme. […] Il faut se résigner à cette perte, qui forme une lacune fâcheuse dans l’ensemble des théories.

167. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Vigny avait cherché une forme plus serrée ; mais il gardait des gaucheries de primitif. Avec Gautier, Banville et Baudelaire, puis avec Leconte de Lisle, qui fut le vrai maître des Parnassiens, le culte de la forme poétique se fait plus attentif et plus scrupuleux. […] Cette poésie est, en effet, la seule où la forme soit vraiment tout, où l’on soit sûr, si on est séduit, de ne pas céder à un autre attrait que celui des belles images évoquées par des mots harmonieux. […] Mais justement il est difficile de distinguer ce qui, dans la beauté totale de quelques-uns de leurs vers, revient au sentiment et ce qui revient à la forme. […] Il joignait à l’ivresse des sons et des couleurs le goût d’une forme dont la brièveté, l’exactitude et la plénitude rappelassent en quelque façon nos écrivains classiques.

168. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

» Car le Christianisme et ses formes saintes sont pour ces hommes, qui ne croient qu’à la religion du tréteau, une mine d’insolentes métaphores. […] « La forme dramatique est la forme divine », ajoute-t-il tout net. […] Ceci nous semble vrai de fond et presque beau de forme. […] Comme tous les poètes dramatiques qui se sentent prêtres et dieux, Vacquerie met la main sur l’universalité des choses et parle de tout en homme qui peut jeter sur tout « la forme divine ». […] à part l’imprévu déconcertant de la forme, nous avons vu souvent passer dans les publications contemporaines les idées qui traversent le livre de Vacquerie, mais jamais nulle part nous ne les avons vues avec cette bouffissure, cette contorsion, ce déhanché, ces airs simiesques.

169. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Aussi l’émotion artistique peut-elle être considérée souvent comme une simple forme dérivée de l’émotion morale. […] En somme, une forme est d’autant plus belle, dit avec raison M.  […] La vérité est que la forme des gouvernements n’a pas d’influence directe sur le cerveau de l’artiste. […] Ce n’est en aucune façon la représentation du vent que nous admirons dans le bateau à voiles, c’est surtout l’apparence de la vie sous sa forme la plus charmante, sous sa forme ailée. […] On pourrait définir le vers idéal : la forme que tend à prendre toute pensée émue.

170. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Phidias avaient à mes yeux la forme et l’éclat des marbres du Pentélique et un peu aussi de l’immobilité et de la majesté de ces marbres. […] Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme. […] Elles l’expriment sous la forme la plus complète et la plus achevée. […] Il venait accomplir ce rêve d’André Chénier, traiter des sujets antiques avec une forme et une couleur grecques et revêtir de cette forme et de cette couleur des pensers nouveaux, en un mot interpréter poétiquement les mythes anciens.

171. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Il n’est qu’un moule pareil à une coquille fossile, une empreinte, pareille à l’une de ces formes déposées dans la pierre par un animal qui a vécu et qui a péri. […] Au fond il n’y a ni mythologie, ni langues, mais seulement des hommes qui arrangent des mots et des images d’après les besoins de leurs organes et la forme originelle de leur esprit. […] Principales formes de pensées et de sentiments. […] De même qu’en minéralogie les cristaux, si divers qu’ils soient, dérivent de quelques formes corporelles simples, de même, en histoire, les civilisations, si diverses qu’elles soient, dérivent de quelques formes spirituelles simples. […] Qu’est-ce qu’une philosophie sinon une conception de la nature et de ses causes primordiales, sous forme d’abstractions et de formules ?

172. (1894) Propos de littérature « Appendice » pp. 141-143

Symbole Amour Fatalité Expression directe Allégorie * * …………………… …………… Optimisme Pessimisme Subjectivité Objectivité Volonté (lutte) Résignation Activité Contemplation ……………… ……………… Subjectivité Objectivité FORME (Ch.  […] Vielé-Griffin M. de Régnier Invention Talent Instinct, spontanéité Sens de l’équilibre Poète Artiste Naïveté (Artificialité) Fluidité Rigidité Inconsistance Fermeté plastique Variété Homotonie Mouvement Stabilité Manière Impersonnalité (Flaubert) Un style Le style Subjectivité Objectivité (Temps) (Espace) Et encore cette petite table d’analogies : MUSIQUE PLASTIQUE Rythme (mouvement) Harmonie (son) Forme (lignes) Lumière Les rythmes Mesures Timbres L’harmonie Geste (trait) Attitude Coloris Valeurss TEMPS ESPACE On remarque que chaque ordre dans la musique correspond à l’ordre de même rang et de même position dans la plastique ; ainsi Rythme à forme, Harmonie à lumière, valeurs à harmonie, rythmes libres à gestes, etc. […] Tel était le but de ce petit livre, — et de suggérer peut-être que, si nous percevons directement nos mouvements et notre fondamental rythme, (ce que, par un inconscient appel du futur, nous appelons notre être), l’harmonie demeure au fond de nous cachée et comme sommeillante et n’affirme point sa présence, sinon lorsqu’en face des formes décisivement ordonnées, elle se révèle en se reconnaissant.

173. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

MM. d’Indy et Chabrier ; et d’autres avec eux, par les théories et les œuvres Wagnériennes ont appris à répudier la loi du poème à forme fixe ; leur esprit s’est habitué à un développement libre des émotions ; et, en même temps qu’ils s’inspiraient de la forme dramatique Wagnérienne, ils s’inspiraient (justement), de la langue Wagnérienne. […] Aussi voulurent-ils, dès longtemps, élargir les attributions de leur art, l’employer à reconstituer des formes différentes de la vie. […] Il a justement dédaigné, pour cette fin, la reproduction exacte des formes réelles et de leurs tons. Il a dressé des poèmes passionnels incomparables, par le jeu symphoniques des tons et des formes. […] Le grand public anglais ne connaît l’Opéra que sous la forme introduite par Offenbach, traduite en anglais et rendue bien plus décente et bien moins amusante par Sullivan.

174. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Exposer l’opportunité et la raison des idées qui ont présidé à leur conception, sera donc prouver la légitimité des formes qu’ils ont revêtues. […] Moins souple et moins accessible que les formes de polémique usuelle, son action serait nulle et sa déchéance plus complète. […] Celle-ci n’est qu’une idée très vague, revêtue de formes insaisissables. […] Nous ignorons, il est vrai, que les idées, en étymologie exacte et en strict bon sens, ne peuvent être que des formes et que les formes sont l’unique manifestation de la pensée ; mais une fois plongé dans l’abîme de l’absurde, s’il est aisé de s’y enfoncer toujours plus avant, à l’infini, il est à peu près impossible de remonter. […] Aussi, le grand Poète saisit-il d’un œil infaillible le détail infini et l’ensemble des formes, des jeux d’ombre et de lumière.

175. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Sur la scène, on déclame une poésie de forme approximativement dramatique. […] Mais il a affaire à des formes individuelles qui, « par hasard ou par maladie », s’écartent de la forme idéale. […] La « forme idéale » est une supposition, et non une perception. […] C’est là l’autre forme de cette influence. Les poètes emploient de plein droit l’une et l’autre forme.

176. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

L’attirance des consonances suppléa l’ordre coexistant des formes réelles. […] Le roman est d’ailleurs une forme mille fois plus complète et plus large. […] Maurice Barrès n’apporte pas en littérature une forme nouvelle. […] Malgré tout, cette forme d’art triomphait. […] Mais la forme que M. 

177. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Lui aussi a loué les mots en combattant les choses, et a fourni une autorité à cette vaine dispute de la forme et du fond. […] C’est faute de discerner ces différentes vérités, qui toutes et qui seules peuvent recevoir de la langue des formes parfaites, qu’on dit de certains modèles de l’art que la forme en est excellente, mais que le fond n’en est pas vrai. […] Nous passons outre, doublement satisfaits du plaisir de connaisseur que nous a donné la beauté de la forme, et de la réserve que nous avons faite sur le fond. […] Comment la forme, par laquelle se manifeste le fond, serait-elle parfaite si la chose manifestée était fausse ? […] Voilà la forme.

178. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Mais cette forme altérée de l’idéal tragique est encore admirable. […] 3º À ces deux grandes formes de la comédie, il faut ajouter leur synthèse, qui nous donne une troisième et dernière division. […] L’art dégage la vérité des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et grossier pour la revêtir d’une forme plus élevée et plus pure, créée par l’esprit lui-même. […] Tout contraste entre le fond et la forme, le but et les moyens peut être risible. […] La forme de l’art qui entreprend de représenter cette lutte est la satire .

179. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Son travail sera d’ailleurs plus compliqué, et nous aurons à en énumérer les formes. […] Sous quelle forme les voit-elle se survivre ? […] Mais a-t-il une forme définie en dehors de cette combinaison ? […] Nous passons à l’étude de ces formes générales, de ces tendances élémentaires. […] Ce n’est plus qu’une ombre ; mais la forme y est, à défaut de la matière.

180. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gilkin, Iwan (1858-1924) »

Le livre contient vraiment des pièces de premier ordre, des sonnets d’une forme impérieuse, impeccable, comme personne maintenant n’est de taille à en faire. […] Iwan Gilkin, par la forme, est parnassien ; par la conception, il procède évidemment de Baudelaire, mais avec plus d’étendue, plus d’humanité, moins d’aigreur. […] La forme est impeccable ; le vers est ample, harmonieux, solide. […] Tout le livre célèbre, dans la forme la plus ravissante, les pensées d’amour et de joie, rimées en français sur le mode anacréontique.

181. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Allez, vos formes sont trop belles pour vêtir des métaphysiques ! […] Ils en vinrent à exiger, et pour eux seuls, des formes artistiques plus subtiles que les formes qui suffisaient à la majorité de leurs contemporains. […] Mallarmé a cru devoir encore conserver la forme fixe du poème ; à d’autres artistes cette forme apparut une entrave, et qu’ils tentèrent de rompre. […] Le romancier devra donc mêler à la forme du récit la forme musicale de la poésie. […] La forme spéciale de M. 

182. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

et qui d’abord lui donna forme ? […] La société d’animaux qu’on nous présente est, par hypothèse, tout idéale et toute fantaisiste : elle combine des actions et des formes propres à l’homme avec des actions et des formes propres aux bêtes. […] L’esprit sous toutes ses formes, dans tous ses emplois, industrie, adresse, ruse, mensonge, charlatanisme, hypocrisie, sophisme, que sais-je encore ? […] Il faut restreindre le système de l’origine orientale des fabliaux, jusqu’à lui enlever forme de système. […] Mais le fabliau reparut plus tard, sous une forme artistique, dans le conte en vers de notre littérature classique.

183. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Elle parcourut avec lui le monde des formes et des images. […] Cette réaction, pour être vraie, fut, je crois, davantage dans la forme que dans l’esprit. […] Pour Villiers, l’homme se choisit lui-même son illusion, et le monde n’est que la forme extérieure et visible de ses idées. […] C’est cette idéalité du monde et cette réalité de l’idée qu’exprime sous une forme figurative le beau poème de Mélusine, de M.  […] L’allusion est infinie, indirecte, furtive, c’est sous cette forme nouvelle qu’est apparue de nos jours la Poésie.

184. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Les deux formes de la mémoire. […] Telles sont les deux formes extrêmes de la mémoire, envisagées chacune à l’état pur. […] Mais le mécanisme en voie de construction ne saurait apparaître à la conscience sous la même forme que le mécanisme construit. […] Il est le récipient vide, déterminant, par sa forme, la forme où tend la masse fluide qui s’y précipite. […] Pourtant il faudra bien rétablir, sous une forme ou sous une autre, à un moment ou à un autre, la continuité rompue des trois termes.

185. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Il distingue même les formes variées de l’imagination, qui correspondent à la diversité des genres : tel a l’invention dramatique qui n’a pas l’élan lyrique, ni le sens épique. […] Sacrifier la raison à la rime, c’est chercher la beauté ailleurs que dans la vérité, c’est tourner l’art contre son but, qui est de créer dans la forme un équivalent sensible de l’idée. […] Aujourd’hui, les mêmes passions qu’il y a vingt siècles agitent le monde ; les mêmes désirs, les mêmes craintes mènent les hommes, et les mêmes formes et qualités des choses font les mêmes impressions sur nos sens. […] L’original fût-il une forme unique en son genre que jamais la nature ne réalisera une seconde fois, l’imitation, à force de sérieuse conviction et de fidélité, en fait un type. […] Les passions générales ne vivent que dans des formes particulières, déterminées à chaque siècle et en chaque homme par un concours unique de causes.

186. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Dans ce chaos où tout se mêle, où rien n’est fixé, chacun choisira la matière et la forme qui lui plairont. […] Toute cette écriture, si vulgaire de pensée et de forme, a bien vieilli. […] Ce théâtre de Musset est exquis, et de la plus pure essence romantique : il est lyrique sans mélange ; et toutes les formes que se plaît à créer l’imagination du poète, formes d’actions et formes de caractères, ne sont pas autre chose que l’exacte représentation les divers états de sensibilité qu’il a lui-même traversés. […] Puis Musset a précisément les qualités auxquelles la forme dramatique peut donner toute leur valeur. […] Dumas fils tirer de la comédie l’unique forme littéraire du drame sérieux qui ait été réellement vivante en ce siècle.

187. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Représentons-nous alors la matière vivante sous sa forme élémentaire, telle qu’elle a pu s’offrir d’abord. […] Conscience et matérialité se présentent donc comme des formes d’existence radicalement différentes, et même antagonistes, qui adoptent un modus vivendi et s’arrangent tant bien que mal entre elles. […] Mais cette nécessité paraît expliquer les arrêts de la vie à telles ou telles formes déterminées, et non pas le mouvement qui porte l’organisation de plus en plus haut. […] Telle forme vivante, que nous observons aujourd’hui, se rencontrait dès les temps les plus reculés de l’ère paléozoïque ; elle a persisté, immuable, à travers les âges ; il n’était donc pas impossible à la vie de s’arrêter à une forme définitive. […] Sur certaines lignes d’évolution, celles du monde végétal en particulier, automatisme et inconscience sont la règle ; la liberté immanente à la force évolutive se manifeste encore, il est vrai, par la création de formes imprévues qui sont de véritables oeuvres d’art ; mais ces imprévisibles formes, une fois créées, se répètent machinalement : l’individu ne choisit pas.

188. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

La bizarrerie de leurs formes, la disproportion de leurs membres et l’absurdité de leur structure ne donnent point l’idée d’une personne et découragent l’anthropomorphisme où nous sommes enclins. […] Longtemps, sous la sérénité de la forme, la poésie grecque a caché de profondes tristesses. […] Il nous montre, en deux drames dont la forme imite d’assez près les tragédies d’Eschyle, l’aventure fatale d’Hélène amante de Pâris, et d’Oreste vengeur de son père et meurtrier de sa mère. […] Je ne dirai rien de ces poèmes, sinon qu’ils partent de la même inspiration que ceux dont j’ai parlé et que la forme en est aussi parfaite. […] Ainsi rien n’est plus moderne, sous ses formes bouddhiques, grecques ou médiévales, que la poésie de M. 

189. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Chacun, en réalité, crée la forme qui convient à son rêve. […] et quelle forme, quel serpentement exquis de l’idée dans l’harmonie des cadences et des rimes ! […] Telle, à mon sens, sera la forme future de notre poésie. […] — De première importance pour celui qui n’a que du talent, la Forme indiffère pour l’homme de génie. […] Désormais les poètes n’auront plus à être jaloux des musiciens ou des peintres : chacun pourra vraiment crier sa forme.

190. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Regardez ; de toutes parts la forme classique craque, et ne se soutient plus. […] Même la forme du vers est menacée : la comédie, le drame l’abandonnent ; on tente la tragédie en prose. […] Le roman se charge d’impressions, de descriptions du monde extérieur ; il substitue les silhouettes aux types, il indique les formes, les milieux, les fonds. […] Voltaire mort et devenu l’intangible idéal, l’abbé Delille représenta la plus haute forme du génie poétique que le public fût capable de concevoir. […] Un banal édit forme un obstacle pour séparer les deux amants, avant les révélations du spectre.

191. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

C’est l’idolâterie de la forme physique et plastique transportée dans le plus spirituel et le plus cordial de tous les arts ! […] C’est la tentative suprême de l’école de la Forme par la main d’un de ses meilleurs ; suprême, en effet, car on peut défier d’aller plus loin dans la vacuité de l’expression poétique et savante, de l’expression pour l’expression. […] Dans le matérialisme qui s’alourdit tous les jours sur nos têtes, dans ce réalisme, bêtise et boue, qui nous monte d’en bas et peut ensevelir du soir au matin une littérature, les poètes de la forme auront le sort des poètes de l’idée, parce que la forme, le travail de la forme, quand il est exquis ou puissant, est une spiritualisation de la matière. […] Otez-en l’amour tel qu’il est dans les Contes d’Espagne et d’Italie, l’amour en uniforme, Alfred de Musset ; ôtez ces vieilles douleurs égoïstes dont nous avons été assez rebattus, les douleurs de l’accouchement intellectuel, le soi-disant mal que nous fait la forme quand elle se débat sous notre prise et que nous avons peine à la fixer comme notre pensée l’entrevoit et l’ambitionne ; ôtez enfin cette autre douleur d’être méconnu, de n’avoir pas sa gloire, argent comptant : c’est-à-dire, en somme, toujours le mal de l’œuvre et par l’œuvre, — de toutes les douleurs la plus orgueilleuse, la moins touchante, la moins sacrée ! […] Les amis et les admirateurs de Banville (car il y en a), les puritains passionnés du style pour le style, les haïsseurs de la cheville, les sacrificateurs à la rime sévère, tous les hommes qui aiment la langue comme un beau vase, dût-on ne mettre rien dedans, trouveront ici leur théorie de la forme et du travail volontaire un peu compromise.

192. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Partout, en effet, quand au lieu d’être journaliste il eût été corsaire, — ce qui, du reste, ne fait pas une si grande différence déjà, — partout, même quand il serait resté marchand d’anchois dans son excellente ville de Marseille, il aurait eu ce génie du mot, qui nous est donné, à pur don, comme tous les autres génies ; cette faculté qui, tout à coup, met une idée sous sa forme la plus concentrée, espèce de cristallisation de l’esprit d’une rapidité foudroyante. […] Et en même temps quelle rouerie et quelle savante scélératesse de formes et de combinaisons ! […] Composition, architecture, genres qu’on croit éternels et qui tout à coup s’en vont en mille miettes, toutes les formes littéraires finissent par mourir. […] Le roman, qui est la forme des temps modernes, se détériorera aussi un jour, et la forme de Balzac, qui nous donne actuellement de si prodigieuses jouissances, nous deviendra aussi indifférente que nous l’est maintenant la forme théâtrale de Shakespeare, pour laquelle, il y a trente ans, on s’est si vivement passionné. […] La durée ou l’immortalité, pour les œuvres, n’est pas une question de forme, mais d’essence, et c’est pour cela que tant d’œuvres meurent et disparaissent qui n’existaient que par un certain agencement de parties, un certain style, un certain art d’ensemble, mais qui, sans manquer de talent, manquaient de génie ou d’esprit.

193. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Nous nous extasions devant la délicatesse de la rose et du lys, et nous passons sans un regard pour la marguerite des champs, non moins admirable La même étroitesse de sens esthétique nous rend aveugles aux nouvelles formes de beauté qu’engendre incessamment sous nos yeux la vie moderne. […] On sent que cette œuvre est sortie uniquement de lui, sans l’ombre d’un ressouvenir, d’un respect quelconque pour la tradition, et qu’il y a là, au sens plein et authentique du mot, une création, dont la forme et le fond prennent leurs racines dans le tempérament propre de l’artiste. […] L’utilisation des matériaux, du fer surtout dans la charpente, l’adaptation des formes à la matière employée frappent aussitôt. […] Il n’existe pas, pour ainsi dire ; ce sont les formes données à la structure même de l’édifice qui composent l’ornement, intimement lié, au lien d’être ajouté à l’édifice. […] Chacune de ses créations est une œuvre distincte, ne rappelant en rien ses précédentes, possédant son originalité propre, sortie d’une inspiration nouvelle, révélant une forme de beauté qu’il nous était impossible de prévoir en nous basant sur ses créations antérieures.

194. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Payen, Louis (1875-1927) »

Louis Payen vise à la forme « spacieuse et marmoréenne », et très souvent il y atteint. […] Tout coup vaille ; et la beauté de la forme vaut par elle-même. […] Il me semble que la grande impression de solitude infinie a trouvé ici sa vraie forme, ou tout au moins une forme qui l’exprime approximativement encore, mais presque aussi fidèlement que possible.

195. (1890) L’avenir de la science « XII »

Les premiers navigateurs qui découvrirent l’Amérique étaient loin de soupçonner les formes exactes et les relations véritables des parties de ce nouveau monde. […] Les formes y sont largement plâtrées, il y a du trop, et, si l’on voulait réduire le dessin au strict nécessaire, il y aurait beaucoup à retrancher. […] Voilà l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle un court résumé, qui en est comme l’extrait et la quintessence et qui se réduit souvent à un seul mot. […] Or, je l’ai déjà dit, il était convenable qu’il y eût surabondance dans le dessin des formes de l’humanité. […] Tel insecte, qui n’a eu d’autre vocation que de grouper sous une forme vivante un certain nombre de molécules et de manger une feuille, a fait une œuvre qui aura des conséquences dans la série éternelle des causes.

196. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

. ; d’où la forme sérielle que prend la conscience réfléchie. […] Je suis, et je suis moi, voilà ce qu’il se dit sous toutes les formes et ce qu’il traduit sans cesse dans ses actions, sortes d’affirmations visibles d’une personnalité naissante121. […] Enfin, le commerce avec les forces de la nature est encore une interprétation analogue, qui fut d’abord fétichiste, anthropomorphique et zoomorphique, et qui ne se dépouilla que peu à peu des formes concrètes de l’animation universelle. […] L’unification, en se réalisant, tendra à s’idéaliser sous la forme du moi ; en s’idéalisant sous cette forme, elle tendra à se réaliser davantage ; tel un artiste, à mesure qu’il réalise une idée, voit l’idée même se déterminer davantage et, l’idée devenant plus claire, la réalise dc mieux en mieux : l’œuvre et l’exemplaire réagissent l’un sur l’autre. […] Notre cerveau est, pour ainsi dire, une boîte qui s’ouvre et se ferme selon que les objets ont ou n’ont pas la forme et les dimensions voulues.

197. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

En définitive, Gratiolet résume sa pensée en ces termes significatifs : « Au-dessus du poids nous mettons la forme, au dessus de la forme nous mettons l’énergie vitale, la puissance intrinsèque du cerveau. » M.  […] Enfin, si l’on considère la forme du crâne, et par conséquent du cerveau, comme plus significative que le poids, il nous apprend que les idiots ont au moins autant que les autres hommes cette forme de tête allongée, qui, depuis Vésale, est généralement attribuée à une plus forte intelligence. […] On trouve en effet que l’animal qui a le plus d’intelligence, à savoir le singe, est précisément celui qui se rapproche le plus de l’homme par la forme du cerveau. […] Si le poids fait défaut, on invoque la forme ; si la forme fait défaut, on invoque le poids : tantôt on parle du poids absolu, tantôt du poids relatif. Faut-il chercher la solution dans une résultante du poids et de la forme ?

198. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

Draghicesco, qu’une simple forme réceptive, un lieu de passage et de concentration des influences émanées du milieu social. […] Draghicesco l’expression mentale des quatre principales formes d’association : la famille, l’école, l’usine et la caserne ! […] L’individualisme intellectuel présente d’ailleurs des formes diverses et des degrés. […] Enfin une dernière forme de scepticisme va plus loin encore. […] L’attitude spectaculaire est une forme raffinée de l’insociabilité intellectuelle.

199. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Mais, séparée des faits de l’histoire, saisie seulement dans ses formes littéraires, l’éloquence révolutionnaire perd singulièrement de sa valeur. […] De là la générale médiocrité des formes oratoires. […] Si bien que, littérairement, notre éloquence politique manque son entrée : elle revêt précisément les formes qui vont mourir. […] Plus simple, plus naturelle, elle aurait été plus près du véritable art, elle eût plus facilement rencontré les formes qui ne passent pas. […] Certaines formes théâtrales rappellent les déclamations de la tribune : « Mais je vous vois déjà courir aux armes… Eh bien !

200. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Ceux, tels Leconte de Lisle, Mendès aussi et Silvestre, qui toujours ont gardé intact le culte de la Vénus ancienne, adorèrent uniquement les formes pleines et sans ombres, les contours nets, accusés lie la sorte dure et rigide qui caractérise la statuaire grecque. […] Et j’arrive à cette conclusion — malgré moi, puisque en dehors de la question — qu’une œuvre ne peut être d’absolue beauté si l’âme n’y transparaît ; à travers la matière, si la vie n’y aime et souffre sous la Forme : la Forme éternellement morne en dépit de sa splendeur, lorsqu’elle s’isole. Donc le Poète absolu sera celui qui de son humanité animera la beauté inerte des Choses ; car la Forme ne sera jamais qu’un vêtement, lâche quelquefois, mais le plus souvent strict fiancé de l’Idée. […] Dans l’œuvre où prédomine la Forme, la Rime se présente immanquablement à l’esprit ; elle affirme la clarté du vers, le rend plus net et le fixe en de précises limites ; car ainsi qu’ailleurs je le déclarerai, en certains sujets — tels épiques, plastiques, où l’ampleur et la force sont nécessaires — il faut employer le vers à rhythme binaire, le vers dit d’airain, tour d’ivoire où, sous la porte, sentinelle casquée d’or et gemmée de rubis, veille la Rime. […] Ainsi : Et dans le soir on voit passer des formes grêles, Leurs pas ne pèsent pas au sable fin des grèves : Âmes d’adolescents qu’aimèrent les Sirènes, Et que tourmentent les angoisses éternelles.

201. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

C’est bien autre chose si de ses vers on passe à sa prose, à ses romans ; la forme y va encore plus indépendante du fond, encore plus exorbitante par rapport au sentiment ; et il résulte de cette lecture prolongée que l’affecté de l’ensemble reflète sur le sincère même et en compromet l’effet. […] Le procédé propre à l’art du style est d’emprunter à tous les arts, soit pour les couleurs, soit pour la forme, soit pour les sons, mais sans se borner à aucun de ces moyens, et surtout en les dominant et les dirigeant tous par la pensée et le sentiment, dont l’expression la plus vive est souvent immédiate et sans image. […] On n’est pas gagné à sa forme ; on ne sait plus s’il y a lieu le moins du monde d’être touché du fond. […] Là du moins la forme est plus à sa place, et puis le sentiment n’en est jamais absent comme en prose. […] L’auteur est maître en ces jeux de forme et de contraste.

202. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

L’œil y saisit sans peine les formes des objets et en rapporte une image précise. […] C’est ainsi que la nature, par les formes dont elle peuple l’esprit, incline directement le Grec vers les conceptions arrêtées et nettes. […] Il n’a pas dépassé cette forme d’association dans laquelle l’Etat est la ville. […] Dans ces différents traits vous avez reconnu le besoin fondamental des formes délimitées et claires. […] Même immobile et nu, il témoignait de ses exercices par la beauté de ses formes.

203. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

On ne s’est guère intéressé jusqu’ici aux mots du dictionnaire que pour en écrire l’histoire, sans prendre garde à leur beauté propre, de forme, de sonorité, d’écriture. […] L’esthétique du mot, telle que j’essaierai de la formuler pour la première fois, aura d’abord ce point de contact avec la phonétique qu’elle ne s’occupera que par surcroît du sens verbal, tout à fait insignifiant dans une question de beauté physique : la signification d’un mot ni l’intelligence d’une femme n’ajoutent rien ni n’enlèvent rien à la pureté de leur forme. […] Poison et potion ; on appelle doublets ces mots de forme différente et de souche unique  ; le second est venu doubler le premier soit à une époque assez ancienne, soit au cours des siècles ou tout récemment. […] C’est ainsi que la langue ayant tiré du latin capitale la forme cheptel a fait, avec le même mot, la forme capital.

204. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Aicard, Jean (1848-1921) »

Mais la forme est chez lui souvent exquise, ainsi que dans ses précédents recueils, et l’inspiration délicate. […] Jean Aicard, un poète s’il en fut et de la bonne école… Remarquons que tout le volume est dédié aux cigales si chères aux Provençaux… Il ne me leste plus qu’à engager le lecteur à lire avec recueillement ces poèmes dont chaque vers est ciselé à la façon antique ; il y a dans ce livre un parfum de poésie grecque et une pureté de forme et de langage qui rappellent le charme des bonnes œuvres d’André Chénier. […] Ce livre a pour titre : Jésus, et renferme peut-être, sous la forme simple et châtiée, les meilleures inspirations du poète. Il suit pas à pas l’Évangile, et, sans forcer la forme de son vers, sans lui faire subir de cruelles irrégularités, y fait entrer la prose des Évangiles.

205. (1923) Paul Valéry

Elle ne peut se séparer de ses difficultés propres qui constituent sa forme ; et elle ne prendrait la forme du vers sans perdre son être, ou sans compromettre le vers ». […] Même si le poète emploie la forme dramatique, ou la forme épique, il le fait pour exprimer ses propres états. […] Non, — quelque chose veille, — la forme de son corps, et, si ses yeux sont fermés, des yeux restent ouverts sur cette forme. « Ta forme veille et mes yeux sont ouverts ». […] Brisez, mon corps, cette forme pensive !

206. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Michelet chez nous est le meilleur exemple de cette forme d’intelligence, et Carlyle est un Michelet anglais. […] Il se propage comme eux avec le même fonds et sous plusieurs formes. […] Nous pouvons démêler la forme d’esprit qui le dirige et chercher d’avance vers quelles idées il nous conduit. […] Il considère comme un être mystérieux et sublime le Dieu qu’ils considèrent comme une forme ou comme une loi. […] Son principe est que dans une œuvre d’esprit la forme est peu de chose, le fond seul est important.

207. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

J’ose à peine vous le dire, tant il est fou ; mais je vous en supplie, ne voyez là-dedans qu’une forme de la douleur… ; voyez le mal et non pas son objet. […] Sans doute, pour ceux à qui les idées font défaut, la forme devient le plus clair de l’art. Mais ceci a-t-il empêché Victor Hugo, par exemple, de joindre au culte de la rime riche et rare, de la forme achevée, celui des grandes idées et des hauts sentiments ? […] Nous ne nions pas que la littérature de décadence n’ait parfois sa beauté propre, beauté de forme et de couleur. […] L’idolâtrie de la forme aboutit le plus souvent au mépris pour le fond : tout devient matière à beau style, même le vice, surtout le vice.

208. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

Chacun de ces êtres est une sorte de tourbillon distinct ; sa répétition continue simule la permanence ; de fait, rien n’est permanent en lui, sinon sa forme, c’est-à-dire le groupe des caractères communs à tous ses moments. […] Si en ce moment je cherche ce que cette expérience a laissé en moi, j’y trouve d’abord la représentation sensible d’un araucaria ; en effet, j’ai pu décrire à peu près la forme et la couleur du végétal. […] Ici encore, le procédé qui forme l’idée correspondante est le même. — L’expérience vulgaire a découvert quelque propriété d’un corps, par exemple le pouvoir qu’a l’ambre d’attirer à lui les petits objets très légers. […] Quand nous armons notre œil d’un microscope puissant, nous constatons des inflexions dans les lignes qui nous semblaient les plus droites, des rugosités dans les plans qui nous semblaient les plus unis, des irrégularités dans les formes qui nous semblaient les plus régulières. […] D’ordinaire, cette coïncidence n’est qu’assez lointaine ; mais, même dans les cas les plus favorables, elle manque sur quelque point ; on dirait que la substance réelle essaye de se mouler sur la forme mentale, mais que l’imperfection de son argile l’empêche de copier rigoureusement le contour prescrit.

209. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

« Un troisième signe de forme inquiétante fut le grand épuisement et le caractère de la maladie que de petits refroidissements produisaient en lui. […] « La composition d’un tel ouvrage, s’il aspire à réunir au mérite du fond scientifique celui de la forme littéraire, présente de grandes difficultés. […] On croit que ces nébuleuses subissent graduellement des changements de forme, suivant que la matière, obéissant aux lois de gravitation, se condense autour d’un ou de plusieurs centres. […] Les races humaines sont les formes d’une espèce unique, qui s’accouplent en restant fécondes, et se perpétuent par la génération. […] Ces exemples se rattachent aux trois classes signalées plus haut, au genre descriptif inspiré par une contemplation intelligente de la nature, à la peinture de paysage, enfin à l’observation directe des grandes formes du règne végétal.

210. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Vous l’appelez chrétien parce qu’il a pris à la Bible quelques fleurs, au Christianisme quelques formes, comme il a pris à Horace ses continuelles images de l’incertitude de la vie. […] Mais son idée religieuse avait besoin de revêtir une forme, et, dans son abandon, son isolement, sa nudité, elle a pris le dernier vêtement usé et percé de trous qu’elle avait sous la main. […] L’un ne sait chanter que la vie diffuse dans l’espace et le temps, coulant de forme en forme dans le vaste océan de l’Être. […] Et quant au procédé artistique, il est le même pour tous deux, en ce sens que le symbole et le rythme étant les formes essentielles et uniques de l’art, ces deux grands poètes ne diffèrent que dans l’emploi qu’ils en font. […] Et non seulement son style peindra toujours, mais son rythme même peindra, parce qu’il sera toujours l’enveloppe de son idée ou de son image, pareil à l’argile qui dans les mains du mouleur prend toutes les formes.

211. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

L’illusion, au lieu de se dessiner sous sa forme complète, se présente souvent à l’état d’ébauche. […]   Voyons, en effet, comment se forme le souvenir. […] C’est du passé quant à la forme et du présent quant à la matière. […] Mais ce n’est que l’attitude de la connaissance ; c’en est la forme sans la matière. […] La fausse reconnaissance serait donc enfin la forme la plus inoffensive de l’inattention à la vie.

212. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Les théogonies indienne, persane, égyptienne, biblique même, qui toutes présentent au commencement une sorte de matière confuse et inorganique, nommée chaos, sur laquelle Dieu opère, en apparaissant, la forme, la vie, l’ordre, la lumière, la beauté, ont donné l’exemple de cette erreur. […]  » IX Après ce naïf préambule, on s’entretient de la justice ; cette partie de l’entretien est, dans sa forme, aussi hérissée d’ambages, aussi touffue de vaines paroles, aussi sophistique de forme que les dialogues cités tout à l’heure par nous, en exemple des abus de la dialectique. […] Il montre comment un jeune homme, flatteur du peuple, finit par y devenir l’idole de la multitude et par affecter la tyrannie, troisième forme de cette rotation éternelle des gouvernements humains. […] La question de la forme des gouvernements est cependant bien secondaire, comparée à la forme des sociétés : c’est la philosophie pratique qui décrète des lois ; c’est le lieu, le temps, ce sont les mœurs, les hommes, qui décident du gouvernement. […] L’oligarchie royale ou républicaine était la forme obligée de ce gouvernement.

213. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Hier et tout le passé sont plus forts qu’aujourd’hui, pour donner sa forme à demain. […] La vieillesse, cette hideuse flétrissure d’une forme savoureuse et belle, le navre, le dégoûte, l’effraie. […] Il a la forme administrative du patriotisme. […] Une des formes du génie de la race se dégage en lui avec une singulière netteté. […] Mais il eût fallu qu’il la connût, ne fût-ce que dans la forme déjà remaniée du manuscrit d’Oxford.

214. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

— Le goût du théâtre est-il bien une forme du goût de la littérature ? […] Tandis qu’il faudrait, pour qu’un sentiment se forme, au moins des mois. […] Le goût du Théâtre est donc bien une forme du goût de la Littérature. […] Le goût du théâtre est mieux qu’une forme du goût de la littérature, c’est une forme aussi du goût de la musique, de la peinture décorative, de la danse, de l’esthétique plastique. […] Est-il bien une forme du goût de la Littérature ?

215. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Même, on la dégagerait sous une forme plus précise, en tout cas plus imagée, de la conception courante du temps que de la théorie de la Relativité. […] L’extrémité N de cette ligne décrira dans l’Espace à trois dimensions une courbe qui sera, dans le cas actuel, de forme hélicoïdale. […] Plus généralement, ce qui est donné comme mouvement dans un espace d’un nombre quelconque de dimensions peut être représenté comme forme dans un espace ayant une dimension de plus. […] Serrons donc d’aussi près que nous le pourrons cet Espace-Temps d’une forme particulière. […] C’est ce que nous exprimions sous une autre forme (p. 57 et suiv.) quand nous disions que la science n’a aucun moyen de distinguer entre le temps se déroulant et le temps déroulé.

216. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

La conscience, loin d’avoir la forme linéaire et toute successive que l’école anglaise lui attribue, saisit donc sans cesse des simultanéités, des harmonies. […] L’effort, à son tour, n’est pas quelque chose de désintéressé, d’indifférent et de froid : sous sa forme primitive, dans l’être vivant et sentant, il est appétit. […] Puis, quand la voie est ouverte, la conscience ne sent presque plus que les bords du lit où coule le courant nerveux : la forme intellectuelle tend à remplacer le fond sensible ; c’est le second moment de l’évolution. […] Ribot, que la conscience soit elle-même une forme superficielle, sans efficacité propre ? […] Pour la genèse de ces formes, voir le volume suivant.

217. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Ce n’est plus l’art pour l’art, c’est l’art pour la forme. […] Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. […] Il importe de montrer cette sorte d’évolution, en ce moment de décadence poétique où l’on ne s’attache guère qu’aux jeux de la forme. […] Je franchis chaque temps, je dépasse tout lieu ; Hommes, l’infini seul est la forme de Dieu. […] Lamartine ne connaît que la forme encore trop froide de l’allégorie ou de la fable.

218. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Dans le plan des choses, l’individu disparaît ; la grande forme esquissée par les individus est seule considérable. […] Nous n’envisageons plus ces formes que comme des obstacles, que l’humanité a dû briser. […] L’humanité a vécu dans les formes anciennes jusqu’à ce qu’elles soient devenues trop étroites ; alors elle les a fait éclater ; mais croyez-vous que ce fût par colère contre ces formes ? […] N’importe ; car il est essentiel que, pour bien imprimer ses formes, il soit dur. […] Mais il s’agit de réaliser une forme plus ou moins belle de l’humanité ; pour cela, le sacrifice des individus est permis.

219. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Le vers est pour lui une forme d’art, ayant sa beauté propre, et traduisant d’une certaine façon en sensations de l’oreille le caractère de l’idée. […] N’est-ce pas dans le contraste de l’idée et de la forme ? […] Il n’a pas l’imagination créatrice, qui donne une forme sensible à l’idéal, à l’immatériel, à ce qui n’est plus, n’est pas encore ou ne sera jamais. […] Il l’altéra par l’emploi de la rhétorique, de l’esprit, de toutes les formes et tours qui ne conviennent qu’à l’expression des idées. […] L’idée chasse la sensation, et la notion de vérité ou d’erreur, de bien ou de mal, vient se jeter à la traverse d’une perception de forme et de couleur.

220. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

De cette contradiction aussi bien que de cet accord il résulte un double effet singulièr et comme un double jeu, où tout est calculé, où la pensée se déjoue et se rajuste, où l’on est contrarié par la forme, satisfait par le raisonnement, impatienté et vaincu, et qui a bien de l’originalité dans son artifice. […] Il faut avant tout respecter les formes de l’esprit chez les critiques comme chez les poètes. […] Taine a sa forme à lui, bien arrêtée, bien résolue. […] Ces formes rudes blessent l’œil ; on sent avec accablement la rigidité des masses de granit qui ont crevé la croûte de la planète, et l’invincible âpreté du roc soulevé au-dessus des nuages. […] Depuis, la nature s’est adoucie ; elle arrondit et amollit les formes qu’elle façonne ; elle brode dans les vallées sa robe végétale, et découpe, en artiste industrieux, les feuillages délicats de ses plantes.

221. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Vinrent ensuite les Dolce, les Cinthio. les Ruccellai, les Alamanni302, qui s’essayèrent à calquer de leur mieux les formes de l’art antique. […] Or le « théâtre » peut se passer de forme littéraire ; il n’existe que par et pour l’imitation scénique. […] Les unités n’ont fait que hâter et servir la définition de la forme où tendaient secrètement les auteurs et le public : et ce ne sont pas les érudits, c’est la raison qui a fait triompher Aristote sur notre scène. […] Depuis Hardy, ou, si l’on veut même, depuis les premiers traducteurs de Sophocle et d’Euripide, la forme tragique s’organisait : le Cid décida seul de ce qu’on mettrait dans cette forme. […] Le Menteur contribuera à dégager la forme de la comédie, comme le Cid a fixé celle de la tragédie.

222. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

C’est la plus libre et la plus noble des formes que la Critique puisse revêtir. […] Cette forme élargie et flottante de la Critique moderne, qui, à propos d’un ouvrage à serrer dans son étau, peut embrasser le monde tout entier, cette forme qui n’était plus le livre et qui n’était pas non plus l’article de journal, était née. Tout ce qui écrivait voulut écrire dans cette espèce de rhythme, oserai-je dire, dans cette forme équilibrée et docte où le critique pouvait se montrer aussi grand à sa manière que l’homme qu’il critiquait s’était montré grand à la sienne, et créer à son tour, comme l’homme dont il jugeait l’œuvre avait créé. […] Inventeur ou non de la forme dont il s’est servi, il s’est joué dans cette forme avec tant d’aisance et de grâce, qu’il en a démontré, en s’y jouant, toute la supériorité. […] Il vaut mieux renvoyer au livre lui-même, qui ne nous offre pas seulement le dessin d’une forme littéraire qui a élevé la Critique à une puissance nouvelle, mais qui, de plus, nous fait toucher la personnalité vivante de l’écrivain, si souvent intangible dans les traductions !

223. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Nos Français l’avaient été d’idées, de désir, en théorie : en fait, ils n’ont pas été capables de sortir d’eux-mêmes ; leur cosmopolitisme n’est qu’une prétention de réduire toute l’humanité à leur forme. […] De là vient qu’elle est incapable de prendre ses propres émotions comme matière d’art, de les réaliser directement dans une forme expressive. […] Ne lui demandons ni couleur ni énergie sensible, ni rythme expressif, ni forme en un mot ; mais une parole agile, souple, claire qui forme d’ingénieuses combinaisons de signes, qui dégage avec aisance des idées toujours intéressantes, souvent nouvelles ou fécondes, voilà ce que Mme de Staël nous offre : son style, c’est de l’intelligence parlée. […] On peut dire que ces chapitres de Mme de Staël ont décidé de la forme et des intentions du drame romantique. […] Son esprit se forme à entendre Raynal, Thomas, Grimm.

224. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

La psychologie de l’association est en général plus préoccupée des moyens par lesquels l’esprit ajoute ses idées et les forme en couples ou en amas, que des procédés de décomposition qu’il leur applique. […] En voyant une rose, j’ai la sensation de couleur ; mais j’ai de plus celle de sa distance, de sa figure ou forme. […] Puis notre croyance aux faits est fondée sur notre propre expérience ; et cette forme de croyance a été déjà expliquée40. […] La proposition est la forme de l’affirmation. […] Nous réunissons dans le tableau suivant les diverses formes de la croyance classées et expliquées par l’auteur.

225. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Un écrivain qui se décidera d’instinct à user d’un style coloré, c’est-à-dire d’une série de formes verbales tendant à rendre et à suggérer minutieusement l’aspect sensible des choses et des gens, sera un homme qui percevra parfaitement cet aspect à l’aide de sens aiguisés, à l’aide de résidus de sensations extrêmement aptes à revivre, de souvenirs de sensations tout prêts à renaître en images, et doué de plus d’un catalogue bien complet de mots propres à rendre ses perceptions et ses souvenirs ; par contre, l’activité même de ces formes sensuelles de l’intelligence se sera ordinairement développée aux dépens de son idéation, en sorte qu’il possédera des objets une connaissance plutôt individuelle que générique, qu’il aura une aptitude médiocre aux notions et aux sciences abstraites. […] Ces dispositions sensuelles de l’intelligence auront ailleurs pour effet, d’accroître énormément les facultés d’expression de la couleur et, par suite, de ne faire concevoir les objets que représentés se fondant en certaines formes verbales, en un certain style de peinture. […] Si un auteur, comme Flaubert, par exemple, compose parfaitement ses phrases et ses paragraphes, médiocrement ses chapitres, et mal ses livres, il sera nécessaire d’admettre chez lui un commencement d’incohérence dans les idées contenues par la prépondérance artificielle, d’une forme de phrase type, dans laquelle cet auteur peinait de plus en plus à forcer le désarroi de sa pensée. […] Il y a des formes d’âmes qui correspondent à chacune des préférences que l’artiste marque en ces matières. […] Tout ce que les exemples précédents ont de vague et de général disparaîtra quand l’analyste pourra baser ses conclusions psychologiques sur l’examen des moyens internes et externes, de la forme, du contenu, des émotions qui caractérisent l’œuvre d’un auteur, en assignant, à chacun de ces ordres de données, l’importance et le rang qu’il peut prendre.

226. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Alors l’homme élu. dans les entrailles duquel toutes les souffrances de l’humanité doivent retentir ; qui doit sentir en son sein s’amasser douloureusement un amour immense ; qui doit concevoir en sa tête féconde la forme nouvelle, plus large et plus heureuse, de l’association humaine ; cet homme vraiment divin, ce poëte, cet artiste, ce révélateur fils de Dieu, est déjà né ; que ce soit Moïse, Orphée, Jésus, Confucius ou Mahomet, il grandit, se développe miraculeusement, se perfectionne avant tous ses contemporains ; véritable fruit providentiel, il mûrit et se dore sous un soleil encore voilé pour d’autres, mais dont la chaleur lui arrive déjà, à lui, parce qu’il est au foyer de l’univers, et qu’il ne perd pas un seul des rayons de Dieu. […] Selon les temps, cette inspiration diffère ; la voir invariablement sous certaines formes déjà produites, c’est ne pas aller au fond et en prendre une pauvre idée. […] Bien que ce rapport ne soit point nécessairement un lien de plus de l’homme avec le monde, puisque dans le cas du christianisme c’était du mépris et un complet détachement, toutefois la conception nouvelle qui établit ce rapport tend toujours à se réaliser socialement ; elle s’empare en souveraine de l’existence actuelle de l’homme ; elle le prend et l’enserre de ses plis et replis en cette vie, sans lui donner relâche ni trêve ; elle l’associe sous une forme plus saisissante et plus large à la fois que toutes les formes qui ont précédé ; elle le presse et le soulève tour à tour de tout le poids d’une institution forte et sainte. […] C’était donc pour que l’humanité eût un jour le loisir de s’observer et de s’analyser de la sorte qu’elle s’est tant remuée autrefois ; c’est à cette fin que la nature aura été domptée et civilisée, que l’esclavage et la guerre auront été réprimés sous toutes les formes, et que l’émancipation du plus grand nombre se sera poursuivie par degrés jusqu’à ce jour, quoique trop imparfaitement encore ; enfin ce sera là le prix, le terme glorieux, le caput mortuum de la perfectibilité humaine ! […] Quant à une religion nouvelle, il ne la croit impossible toutefois que par deux motifs : 1° parce que, selon lui, les diverses religions du passé se sont produites à l’origine sous une forme populaire, naïve et accessible à tous, ce qui lui paraît antipathique à notre époque raisonneuse ; 2° parce que les révélations directes de Dieu à l’homme, trait essentiel qui distingue, selon lui, les religions d’avec les philosophies, lui semblent perdues sans retour, en supposant qu’elles aient jamais eu lieu.

227. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

C’était le cas déjà de Marguerite : c’est celui d’Heroet, le subtil, mystique et platonicien poète de la Parfaite Amye, c’est celui de Pelletier, le chercheur de voies ignorées, le curieux ouvrier de formes et de rimes. […] D’autres se groupent autour de ces trois, et Ronsard forme la Brigade, qui bientôt et plus superbement devint la Pléiade : champions d’abord, astres ensuite de la nouvelle poésie française. […] En elles-mêmes ces théories n’ont rien d’aussi extravagant qu’on a dit quelquefois : dans l’ensemble, et pour l’essentiel, elles représentent assez bien ce qui s’est fait, même après Ronsard, ce qui lui a survécu pour être la substance et la forme de notre poésie moderne. […] Mais cela, en soi, était excellent : à la place de formes étroites, maigres et compliquées, telles que la Ballade et le Chant royal, les formes antiques, larges, simples, réceptives, si je puis dire, mettaient l’inspiration à l’aise, et se prêtaient à revêtir une beauté bien supérieure. […] Ce n’est pas un brouillon, c’est un poète qui a l’idée, le sens de la forme : il a travaillé la langue, comme il a travaillé le vers, et il travaillera la phrase.

228. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

La méthode dite des résidus, si tant est d’ailleurs qu’elle constitue une forme du raisonnement expérimental, n’est, pour ainsi dire, d’aucun usage dans l’étude des phénomènes sociaux. […] Il est vrai que les lois établies par ce procédé ne se présentent pas toujours d’emblée sous la forme de rapports de causalité. […] De plus, il existe une multitude de phénomènes sociaux qui se produisent dans toute l’étendue de la société, mais qui prennent des formes diverses selon les régions, les professions, les confessions, etc. […] Par exemple, on déterminera la forme que le fait étudié prend chez ces différentes sociétés au moment où il parvient à son apogée. Comme, tout en appartenant au même type, elles sont pourtant des individualités distinctes, cette forme n’est pas partout la même ; elle est plus ou moins accusée, suivant les cas.

229. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Son âme, simple et profonde, ne put s’enfermer en ces formes créées par son esprit compliqué et puéril : il écrivit des Romances sans paroles. […] Cette dissonance de forme est peut-être l’expression nécessaire d’une pensée étrangement subtile, ou de je ne sais quel sentiment bizarrement pervers, ou encore de quelque imagination funambulesque, de quelque fantaisie extraordinaire. […] Le poète avoue qu’il trouve parfaite la forme parnassienne. Seulement, il s’efforça de mettre cette « perfection de la forme au service de son propre idéal qui différait beaucoup de celui de ses confrères parnassiens ». […] Le Parnasse est fait d’impuissance lyrique et d’application minutieuse à une forme que les adeptes croient absolue.

230. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Nous avons déjà signalé le principe que nous croyons appelé à dominer la psychologie : ubiquité de la conscience et de la volonté sous des formes plus ou moins rudimentaires, mais qui enveloppent toutes un germe de discernement, un germe de bien-être ou de malaise, enfin un germe de préférence, par conséquent le processus fondamental dont l’idée-force est la forme la plus haute. […] Si la sensibilité n’existait pas dans les vertèbres sous une forme rudimentaire, elle n’aurait pu, par une évolution graduelle, se développer dans le cerveau, qui n’est qu’une vertèbre grossie. […] En réalité, le cerveau ou la moelle a senti quelque chose d’indistinct qui n’est pas parvenu à prendre la forme tactile, mais qui a fini par prendre la forme visuelle. […] La main, quoique en apparence insensible, a envoyé au cerveau des impressions extrêmement faibles, qui ont provoqué une réaction machinale extrêmement faible sous forme d’une numération presque inconsciente. […] Il y a entre les diverses parties du cerveau un commerce, un échange de tensions qui fait que l’activité mentale change sans cesse de centre, de forme et d’objet.

231. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales [1830] J’ai imprimé, l’année dernière, une édition à petit nombre de l’Orphée, qui forme le quatrième volume de la présente publication. […] La question traitée dans ce chapitre se présentera encore par la suite ; toutes celles qui viennent d’être exposées se présenteront aussi de nouveau, sous différentes formes ; mais je ne ferai plus ni des unes ni des autres l’objet d’une discussion séparée. […] Aristote avait reconnu que les règles premières de nos jugements étaient données par la logique et par les formes absolues du langage ; Kant a déduit de ces formes absolues les notions a priori de l’entendement. […] Par tout ce qui a été dit plus haut, il est facile de comprendre que l’infini, ou le spontané, ou l’intuition, ou la forme primitive de l’intelligence humaine, ou la parole, sont ce que j’appelais la révélation. […] Mais à mesure que les mots se créent, que les conjugaisons et les déclinaisons s’établissent, enfin que les formes grammaticales s’organisent, les idées, les pensées (liaisons d’idées), passent dans le domaine de la parole, se fixent dans l’ordre des signes vocaux ; « Et la pensée devient, de plus en plus, dépendante de la parole.

232. (1902) La poésie nouvelle

La banqueroute, plutôt, d’une certaine forme de positivisme. […] Au lieu d’adapter la forme à la pensée, c’est la pensée qu’on adapte à la forme, et cela ne peut se faire sans qu’on meurtrisse un peu la pensée. […] Le poème prend ici la forme du drame : des forces déchaînées s’y heurtent. […] Le symbole sera la forme même de sa pensée.‌ […] Ils adoptèrent la seule attitude à laquelle convint la forme d’

233. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Et qu’est ce livre de la Conformité du langage français avec le grec, sinon, sous la forme la plus innocente, car elle est la plus superficielle, la preuve, essayée vainement par un érudit, de cette origine et de cette descendance que les païens de la Renaissance ont toujours cherché à établir entre le monde moderne et l’antiquité ? […] Extrait du tome XVI de l’Encyclopédie moderne, dont Didot est l’âme et la main et dont nous parlerons un jour quand il s’agira de la juger dans son ensemble, cet Essai sur la Typographie, qui forme un volume de près de quatre cents pages sur deux colonnes, est un livre spécial qui embrasse sous toutes ses faces l’art dont il traite. […] La forme de son livre, — et c’est la seule critique que nous nous permettrons, — la forme de son livre ne popularisera pas beaucoup les rares connaissances qu’il révèle. […] Puisqu’il le détachait du travail collectif dans lequel il était placé, l’auteur de l’essai devait, ce nous semble, en modifier les formes premières et répandre dans ce squelette étiqueté de dictionnaire, auquel il ne manque, il est vrai, ni une articulation ni un os, la chair, le mouvement et la chaleur d’un livre intéressant et animé.

234. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Si son livre ne révèle aucune de ces manières éclatantes et familières au public qui disent, dès les premiers mots, les plumes dont elles sont sorties, il n’accuse pas non plus quelque grande manière nouvelle, — une initiative dans le fond ou la forme des choses ; il confirme assez modestement les bruits qui ont couru. […] À cela on aurait gagné, non seulement le fond de son livre, mais la forme, — la forme, qui devient chaque jour dans le roman plus difficile, la forme, plus rare que ce qui est déjà si rare : les idées et les observations ! […] Mais, justement à cause de cette destinée, justement à cause du grand nombre de romans que nous avons déjà, et qui chaque jour vont se multipliant davantage, la forme du roman, sur laquelle on se blase, devient d’une prodigieuse difficulté.

235. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

Le moi ne connaît de lui-même que des formes cadavériques, que des fantômes vagues et multiples évoqués par le souvenir. […] En même temps, il faut constater que s’il se conçoit nécessairement autre qu’il n’est par le fait de sa division avec lui-même, il ne connaît aussi les objets du monde extérieur qu’indirectement par le rapport incomplet dans lequel ils entrent avec la fausse et partielle représentation qu’il se forme de lui-même. […] Au lieu de considérer une conscience individuelle dont on ignore le rapport avec tout le reste, on forme ici l’hypothèse d’un être universel hors duquel rien n’existe et dont toutes les formes individuelles ne sont que des manifestations et des dépendances.

236. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Ces snobs devenus plus nombreux, cela forme le public. […] Je n’ai pas retouché ni comme fond ni comme forme ces études. […] Pourquoi ce titre et cette forme chez le moins anecdotier de nos poètes ? […] Béranger emporte avec lui une forme bourgeoise, sans grand intérêt. […] H. de Régnier et Samain ; ainsi tente, en une forme dérivée du vers libre, M. 

237. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

À ce signe nous reconnaissons que la satire didactique n’est pas la forme la plus élevée, la forme suprême de la satire. […] Cette vérité que nous exprimons sous la forme dogmatique, M.  […] Si la tragédie, la comédie et le drame sont des formes vraies, chacune de ces formes doit se rapporter à un but distinct. […] La tragédie est donc une forme vraie. […] La forme comique n’est donc pas moins légitime que la forme tragique.

238. (1903) La pensée et le mouvant

L’univers matériel, dans son ensemble, forme-t-il un système de ce genre ? […] Comment la règle s’impose-t-elle à l’irrégulier, la forme à la matière ? […] Le temporel n’est alors que la forme confuse du rationnel. […] Il l’a poursuivi, il est vrai, sous une forme assez différente. […] Peu de temps après, il le chargea (pour la forme, car M. 

239. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre V »

Chapitre V Les mots gréco-français jugés d’après leur forme et leur sonorité. — Comment le peuple s’assimile ces mots. — Rejet des principes étymologiques. — L’orthographe et le « fonétisme ». […] Ils ont une forme heureuse, mais par hasard ; et pourtant tout mot grec aurait pu devenir français si l’on avait laissé au peuple le soin de l’amollir et de le vaincre. […] Je ne crois pas qu’il soit possible ni utile de modifier la forme des mots latins anciennement francisés par les érudits, ni, sous prétexte d’alignement, de biffer certaines lettres doubles, de remplacer les g doux et les ge par les j, ni enfin de faire subir à l’orthographe aucune des modifications radicales et maladroites préconisées par les « fonétistes » . […] Le peuple de Paris essaie de donner une forme aux mots grecs ; il prononce : chirurgie et chérugie, panégérique, farmacerie, plurésie, rachétique, rumatisse, cangrène, cataplâsse, cataclisse, etc..

240. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vien » pp. 202-205

C’est l’élégance des formes, la grâce, l’ingénuité, l’innocence, la délicatesse, la simplicité, et tout cela joint à la pureté du dessin, à la belle couleur, à la mollesse et à la vérité des chairs. […] Rien n’est comparable aux fleurs pour la vérité de la couleur et des formes, et pour la légèreté de la touche. […] Ce vase avec son piédestal est d’une belle forme. […] Malgré le bas-relief dont on a décoré le pot de fleurs, on dit qu’il ressemble un peu trop pour la forme à ceux du Quai de la ferraille.

241. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Les trois formes de gouvernement se succédèrent chez eux conformément à l’ordre naturel ; l’aristocratie dura jusqu’aux lois Publilia et Petilia, la liberté populaire jusqu’à Auguste, la monarchie tant qu’il fut humainement possible de résister aux causes intérieures et extérieures qui détruisent un tel état politique. […] Le retour des mêmes besoins politiques y a renouvelé la forme du gouvernement des Achéens et des Étoliens. Les Grecs avaient été amenés à concevoir cette forme de gouvernement par la nécessité de se prémunir contre l’ambition d’une puissance colossale. […] À travers la diversité des formes extérieures, nous saisirons l’identité de substance de cette histoire.

242. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

L’ironie la plus légère, la plus fine, fût-ce celle de Voltaire, est toujours grave au fond, quelque enjouée qu’en soit la forme. […] Cette forme est simple, une, grande, sévère. […] Quelle doit être, par opposition, la forme extérieure de la comédie ? […] La forme de la comédie ancienne est morte, et bien morte ; mais son essence est indestructible comme la poésie même, et elle peut revivre dans les formes nouvelles qu’a faites une autre civilisation. […] Plaute et Térence n’ont d’autre importance à mes yeux que de nous aider à deviner la forme de la comédie de Ménandre.

243. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

En effet, les variétés vives de la parole intérieure, c’est la parole intérieure se rapprochant de la forme hallucinatoire sans l’atteindre ; quoi d’étonnant si elle atteint cette forme chez certains tempéraments prédisposés, surtout quand les circonstances et le milieu intellectuel sont favorables à la croyance au merveilleux ? […] Deux formes du jeu, l’ironie et le mythe, la feinte et la métaphore, étaient dans les habitudes constantes de sa parole ; il dramatisait, il poétisait à sa façon beaucoup des objets sur lesquels il attirait l’attention de ses disciples. […] Dans les deux premiers cas, elle exprime ou elle imite les formes inférieures de la parole intérieure pratique ; dans le dernier seulement, elle exprime ou elle imite la parole intérieure morale, au sens propre et philosophique du mot. […] Plusieurs acceptions des mots parler et dire font allusion à la parole intérieure calme, ou à des degrés intermédiaires entre la forme calme et la forme vive [voir chap.  […] Passage très intéressant quant aux formes de théâtralisation dans le monologue intérieur, par exemple chez Schnitzler dans le Lieutenant Gustel et surtout Mademoiselle Else.

244. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Je vois des couleurs et les reproduis, je décompose des formes géométriques et les recompose. […] Deux principes généraux ont présidé à l’élaboration de cette forme poétique. […] Il sait que dire d’un morceau : « le fond est bon, mais la forme mauvaise » équivaut à un non-sens. […] Chaque pensée créera sa forme et le vers, enfin sensibilisé, nous offrira le minutieux, graphique des convulsions de l’âme. […] « De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes.

245. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Les choses, en pareilles matières, l’emportent trop sur la forme. […] Les formes varient et changent, nous l’avons déjà dit. […] L’auteur manie cette forme avec une maëstria singulière. […] L’erreur, avec cette netteté et cette logique de formes, prend le caractère de la vérité. […] Était-ce là la dernière forme de l’œuvre dramatique en vers ?

246. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Dans la conversation, on le faisait souvent : la critique, sous cette forme, ne cesse pas. […] Et puis l’industrie, qu’on retrouve de nos jours à chaque pas sous une forme ou sous une autre, intervient, se glisse entre chaque article, solliciteuse ou menaçante. […] Dieu me garde de croire, vingt-cinq ans après Napoléon, qu’un nouveau despote, à quelque titre et sous quelque forme que ce fût, pût jamais asservir de nouveau et réduire cette foule émancipée de grands citoyens qui (nous en sommes les témoins édifiés) se précipitent bien loin de toute flatterie et de toute servitude, et qui, en ce moment même, ne flagornent plus aucune puissance !  […] La forme et le style poétique sont encore une fois tombés, en quelque sorte, dans le domaine public ; il coule devant chaque seuil comme un ruisseau de couleurs ; il suffit de sortir et de tremper. […] Les talents surtout sont jamais été plus nombreux ; c’est un devoir de la critique de ne pas se lasser à les compter, et d’en tirer avec soin et plaisir tout ce qui s’y distingue et qui s’en détache… Romantisme, humanitarisme, ce sont là des formes de passions et comme de maladies, que les jeunes talents doivent presque nécessairement traverser ; ils deviennent d’autant plus mûrs qu’ils s’en dégagent plus complétement.

247. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

IV. — Quelques mots sur sa forme. […] Cette forme, rappelons-le, n’est bonne que pour Fort. […] Qui a pu fixer sur de l’espace les formes de la rapidité ? […] La figure du mot détermine la beauté de la forme, ses proportions, son harmonie. […] Or la Vie, cette forme de la Beauté, ne se définit pas.

248. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Après tout, ce sont des formes, les formes les plus rudimentaires, de l’esprit scientifique. […] C’est alors l’ensemble des faits qui est transmis oralement et prend la forme légendaire. […] Quelle est leur forme et leur nature ? […] Leur forme (coutume, ordres, loi, précédents) ? […] Sous quelles formes les œuvres historiques se présentent-elles ?

249. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

On peut donc commencer par déterminer les particularités de forme d’un auteur, et rechercher ensuite à quels effets il les emploie, ou remonter de ces émotions aux artifices qui les causent. […] En littérature même, tous les dehors se réduisent à des formes verbales et à des images, choses sur lesquelles on possède des notions précises. […] Dans ces livres, l’examen des émotions et de la forme extérieure pourra rester le même. […] A ses yeux, les deux formes de beauté « procurent une même émotion » (p. 25), ce qui l’amène à énoncer que l’esthétique ne peut être qu’une branche de la « science de la sensibilité ». […] Les mots de « suggestion » et de « symbole » sont bien évidemment à rattacher au contexte de toute une époque qui médite, en contrepoint du positivisme, sur les formes du langage indirect.

250. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Je ne parle pas seulement de la différence de forme, qui est déjà quelque chose de considérable. […] S’il est vrai en effet que l’univers ne soit que le développement, l’évolution de l’idée, si l’idée, en sortant d’elle-même, devient la nature, et en revenant à elle-même devient l’esprit, si la plus haute forme de l’esprit est la philosophie, et si la plus haute forme de la philosophie est la doctrine hégélienne, on ne voit pas du tout pourquoi l’idée s’arrêterait là, et pourquoi on lui interdirait tout développement ultérieur. […] Par conséquent, son système n’est qu’une forme transitoire qui doit périr comme toutes les autres. […] Ainsi le système de Hegel, pas plus qu’aucun autre système, ne peut enchaîner à jamais dans une forme déterminée le mouvement et l’essor de la pensée. […] Plus scientifique quant à la forme, la philosophie moderne est moins vraie que la philosophie antique : car la vérité ne se mesure pas à la rigueur apparente de la méthode, mais au don naturel qui nous la fait sentir et goûter.

251. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Entre ceux qui possèdent la forme sans la pensée et ceux qui possèdent la pensée sans la forme, il y a place pour le vrai poète qui réunit la forme à la pensée, qui complète l’inspiration par l’expression. […] Cette forme de satire n’a rien de commun avec la forme antique ; elle appartient tout entière au poète lombard. […] Bulwer n’aurait eu aucune forme déterminée ; écrite en vers blancs, elle n’a qu’une forme incomplète. […] Toutes les formes de la pensée humaine ont besoin d’une langue précise. […] Ce défaut n’appartient pas tant à la pensée qu’aux formes du langage.

252. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

L’une entraîne les autres : la forme carrée, la couleur rougeâtre, la faible sonorité, le poli, la dureté s’accompagnent dans ma table ; l’odeur parfumée, la couleur rose, la forme demi-globulaire, la mollesse s’accompagnent dans cette rose. […] Elle forme donc un groupe tranché parmi mes souvenirs et mes prévisions ; elle se distingue des autres par le degré précis d’intensité de la première sensation musculaire composante, par le degré précis de durée de la seconde sensation musculaire composante, et en outre par la nuance particulière de la sensation de tact adjointe ; le pouvoir de provoquer ce groupe est ce que nous nommons la résistance et l’étendue de la table. — D’où l’on voit que toutes les propriétés sensibles des corps, y compris l’étendue, par suite la forme, la situation et le reste des qualités tangibles, ne sont, en dernière analyse, que le pouvoir de provoquer des sensations. […] L’ensemble des sensations comme possibles forme ainsi un arrière-fond permanent à une quelconque ou à plusieurs des sensations qui, à un moment donné, sont actuelles, et les possibilités sont conçues comme étant, par rapport aux sensations actuelles, dans la relation d’une cause à ses effets, ou d’une étoffe aux figures qui sont peintes dessus, ou d’une racine à sa tige, à ses feuilles et à ses fleurs, ou d’un substratum à ce qui est étendu dessus, ou, en langage transcendantal, d’une matière à sa forme. […] On voit que l’idée de forme se ramène à l’idée de position, qui se ramène à l’idée de distance. La géométrie analytique est fondée tout entière sur cette remarque ; elle traduit la forme par le rapport de deux ou trois coordonnées qui sont des distances.

253. (1903) La renaissance classique pp. -

De même le fond, dans une œuvre littéraire, n’est que l’envers de la forme. […] Si le fond est d’importance, la forme sera grande, et réciproquement. […] Et d’abord, ils l’ont rapetissé dans sa forme. […] Il nous dira d’abord qu’il a longtemps ignoré la forme de son sujet. […] La forme la plus apparente de la race, c’est la nation.

254. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

Il a fallu, pour produire cette pauvre forme d’embryon, il a fallu que la population gallo-celtique de la Gaule fût réduite sous la loi de Rome, qu’elle prît les mœurs, la culture, la langue de ses vainqueurs, que l’empire romain et la culture latine, formes vénérables et vermoulues, tombassent en poussière au contact, non hostile, mais brutal, des barbares, et que les Francs, fondus dans la masse gallo-romaine, y déterminassent cet obscur travail, d’où sortirent ces deux choses, une race, une langue française. […] Dans sa forme indigente de langue synthétique dégénérée, l’ancien français enveloppe et manifeste déjà un génie analytique : organisme mixte qui relie les formes extrêmes, et nous aide à passer du latin, si riche des six cas de sa déclinaison, au français moderne qui n’en a pas. […] Les dialectes frères du français fuient peu à peu délaissés, et, ne servant plus à la littérature, descendirent au rang de patois, tellement avilis et dégradés, que souvent on les a pris pour du français corrompu : leur déchéance fut très insuffisamment compensée par la cession qu’ils firent au français d’un certain nombre de formes qui leur étaient propres.

255. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Voilà des mots (et il y en a beaucoup d’autres) sans lesquels il serait difficile de parler français, et auxquels le puriste le plus exigeant n’oserait adresser aucun reproche ; ils sont presque tous entrés anciennement dans la langue, et c’est ce qui explique la parité de leurs formes avec celles des mots français primitifs. […] D’autres avaient été jadis donnés à l’Angleterre par la France ; ils ont repris assez facilement une forme française ; ainsi trousse, substantif verbal de trousser (tortiare), est devenu en anglais truss et nous est revenu drosse (terme de marine). […] Lorsque le mot entre par l’écriture, il se francise à la fois de forme et de prononciation, ou de prononciation seulement. […] Jadis il serait devenu aussitôt beauvindeau 76 ; sa lourdeur aurait pu choquer, mais non sa forme. […] On a signalé récemment à Paris, en la réprouvant, la forme tramevère ; elle serait excellente.

256. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

La forme rationnelle est nécessairement la dernière de toutes. […] Songe-t-elle aux formes ? […] Cette forme est empruntée aux relations humaines les plus touchantes. […] Mais si tout y est, tout y est sous une autre forme. […] Déjà Descartes et ses successeurs inclinaient à la forme géométrique ; cette forme prit un caractère exclusif dans les écrits et dans l’enseignement de Wolf.

257. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Ces deux formes si inégales ont éprouvé chez nous des destinées bien différentes : la dernière, une des plus nobles formes de l’art, une des créations choisies de l’esprit humain, a fourni d’immortels chefs-d’œuvre et a mis pour jamais en lumière les noms les plus glorieux de notre littérature et de notre poésie ; l’autre forme, au contraire, n’a promu à la célébrité (au moins chez nous) aucun nom d’auteur et de poëte, et n’a laissé, quoi qu’on s’efforce de faire aujourd’hui pour être juste, que des œuvres sans élévation, sans action durable et féconde. […] L’Église avait dès longtemps anathématisé le théâtre et l’avait dénoncé comme une école d’indécence et d’impureté : ce n’était pas pour le rétablir aussitôt après son triomphe et le tolérer sous une autre forme. […] Ce petit drame dit des Trois Maries se retrouve à des degrés divers de développement, mais sous forme également liturgique et toute latine, dans des textes qui nous ont été conservés du moyen âge. […] Il y a là une forme transitoire, intermédiaire. […] Puis il revient presque aussitôt sous une autre, forme, sous celle d’un serpent qui monte à l’arbre, et ce n’est qu’après l’avoir écouté de nouveau et avoir fait mine de lui prêter l’oreille qu’Ève présente la pomme à Adam.

258. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Pourquoi changer tes formes perpétuellement ? […] Tout ce qui forme le contentement de la classe moyenne, les gros déjeuners de garçons, les séances au café, les parties fines pour des villageois dans la ville proche, la maîtresse chichement entretenue, les cadeaux que M.  […] Elle s’amusait à les fendre, avec la main   Frédéric la saisissait doucement ; et il contemplait l’entrefac de ses veines, les grains de sa peau, la forme de ses ongles. […] « Quelle forme faut-il prendre pour exprimer parfois son opinion sur les choses de ce monde sans risquer de passer plus tard pour un imbécile ? […] Enfin, les rares passages de passion et de poésie pure qui éclatent çà et là dans son œuvre et que la forme statique ne saurait expliquer, procèdent de son autre type de phrase, le périodique, que nous avons vu alterner avec son style habituel.

259. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Enfin, — et par rapport à la rapidité de succession des idées ou des formes d’art dans nos littératures modernes, dans nos littératures contemporaines surtout, — l’immobilité de la littérature du Moyen Âge en fait un dernier caractère. […] Dans les formes conventionnelles qu’ils empruntent à ces premiers maîtres, et dont ils subissent docilement les exigences, quand encore ils ne les modifient pas pour en rendre la contrainte plus étroite et plus monotone, nos trouvères, — un Quesne de Béthune, le sire de Couci, Thibaut de Champagne, Huon d’Oisi, Charles d’Anjou, — tous de race noble, essaient de faire entrer l’expression de leurs sentiments personnels. […] Mais c’est ce qui n’est point arrivé ; et, en attendant, la Renaissance allait nous donner trois choses qui nous avaient jusqu’alors manqué : un modèle d’art, en nous proposant les grands exemples de l’antiquité ; l’ambition d’en reproduire, d’en imiter les formes ; et, pour remplir ces formes elles-mêmes, si je puis ainsi parler, de nouveaux moyens, une manière nouvelle d’observer la nature et l’homme. […] 2º Les diverses formes de la Poésie lyrique. […] Gaston Paris, La Littérature française au Moyen Âge]. — La matière déborde le cadre ; — l’intérêt général cède le pas à l’intérêt d’actualité pure ; — et comme cette dernière phase coïncide avec celle de la perversion de la langue, — le Moyen Âge, une fois de plus, manque l’occasion de fixer une ingénieuse idée sous la forme d’un chef-d’œuvre.

260. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Avant tout, Bossuet est prêtre ; cette qualité détermine les formes de son esprit et de sa conduite : le service qu’il fait à son roi, à son pays, à son prochain, est celui qu’un prêtre peut faire. […] Ce que ses yeux ne voient pas, ce dont son expérience ne lui fournit pas les formes, les prophètes et les évangélistes lui en donnent les images. […] Car il unit à un fond d’amples ou profondes vérités, de principes universels et transcendants, une forme concrète, colorée, vivante, de fortes et nettes images, des symboles immenses et saisissants. […] Comme catholique il est attaché à la tradition : il aimera donc en chaque pays les formes anciennes de gouvernement. […] Il ne s’agit pour le prédicateur que de marquer des formes d’âmes et de tracer les effets mécaniques des forces morales.

261. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

Comme le mouvement libéré par la dépense nerveuse préexistait sous une autre forme dans la force de tension, ainsi l’acte particulier et le sentiment particulier sont la suite de l’activité préexistante. […] En outre, il est essentiel que l’appétition vitale puisse prendre spontanément conscience de soi sous les deux formes du plaisir et de la douleur ; bref, nous avons besoin des trois moments du processus appétitif. […] Il n’y aura encore aucune sélection, aucun triage de mouvements, car pourquoi tel mouvement particulier se détacherait-il d’un ensemble qui, étant agréable, tend comme tel à continuer sous la même forme confuse et non différenciée ? […] Ceux qui refusent l’activité à la conscience considérée dans sa totalité et dans son unité sont obligés d’attribuer l’activité à ses éléments, de dire que ces éléments « luttent » ensemble, qu’ils agissent et réagissent ; il faut donc toujours, sous une forme ou sous une autre, admettre quelque part une activité. […] C’est pour cette raison que l’existence même de cette activité a pu être niée ; mais l’impossibilité de représenter sous la forme d’un état particulier ce qui est le fond commun de tous nos états, ne prouve nullement que l’activité n’existe point et même n’ait pas conscience de son existence.

262. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Chaque état d’esprit a sa couleur, chaque rêve sa forme. […] Pour un siècle nouveau, nous réclamons une forme nouvelle. […] C’est une forme du jeu français de triomphe. […] Dobson, a produit des pièces absolument classiques dans leur exquise beauté de forme. […] Swinburne possède, que cette forme soit très légitime ou non.

263. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Comment dit-on d’une tête réelle qu’elle est bien dessinée, tandis qu’un des coins de la bouche relève tandis que l’autre tombe, qu’un des yeux est plus petit et plus bas que l’autre, et que toutes les règles conventionnelles du dessin y sont enfreintes dans la position, les longueurs, la forme et la proportion des parties ? […] C’est que celui-ci ne s’est jamais occupé de l’imitation rigoureuse de la nature ; c’est qu’il a l’habitude d’exagérer, d’affaiblir, de corriger son modèle ; c’est qu’il a la tête pleine de règles qui l’assujettissent et qui dirigent son pinceau, sans qu’il s’en apperçoive ; c’est qu’il a toujours altéré les formes d’après ces règles de goût et qu’il continue toujours de les altérer ; c’est qu’il fond, avec les traits qu’il a sous les yeux et qu’il s’efforce en vain de copier rigoureusement, des traits empruntés des antiques qu’il a étudiés, des tableaux qu’il a vus et admirés et de ceux qu’il a faits ; c’est qu’il est savant, c’est qu’il est libre, et qu’il ne peut se réduire à la condition de l’esclave et de l’ignorant ; c’est qu’il a son faire, son tic, sa couleur auxquels il revient sans cesse ; c’est qu’il exécute une caricature en beau, et que le barbouilleur, au contraire, exécute une caricature en laid. […] Il ne s’avise point de chicaner, il ne dit point : cet œil est trop petit, trop grand ; ce muscle est exagéré, ces formes ne sont pas justes ; cette paupière est trop saillante, ces os orbiculaires sont trop élevés : il fait abstraction de ce que la connaissance du beau a introduit dans la copie. […] Il aggrandit, il exagère, il corrige les formes.

264. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Pour nous, qui l’admirons sous ces deux formes et qui espérons que l’une n’a pas irrévocablement remplacé l’autre, nous essayerons de le suivre dans sa belle vie de poëte recouverte et compliquée, de le conduire du point de départ jusqu’à son œuvre nouvelle d’aujourd’hui. […] La nouvelle carrière de M. de Vigny était donc toute tracée et par lui seul ; il s’y voua sans partage, avec toute la fierté d’une haute indépendance, enveloppée sous les formes parfaites de l’élégance et de l’urbanité. […] Forme de composition, forme de style, d’où cela est-il inspiré ? […] Son talent réfléchi et très-intérieur n’est pas de ceux qui épanchent directement par la poésie leurs larmes, leurs impressions, leurs pensées ; il n’est pas de ceux non plus chez qui des formes nombreuses, faciles, vivantes, sortent à tout instant et créent un monde au sein duquel eux-mêmes disparaissent : mais il part de sa sensation profonde, et lentement, douloureusement, à force d’incubation nocturne sous la lampe bleuâtre, et durant le calme adoré des heures noires, il arrive à la revêtir d’une forme dramatique, transparente pourtant, intime encore. […] Dieu seul et le poëte savent comment naît et se forme la pensée.

265. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Franchement, quelques strophes de Malherbe, très belles de formes et d’expressions, quelques odes aussi harmonieuses, mais moins poétiques de J. […] Ils ont raison quand ils veulent que nos anciens chefs-d’œuvre soient étudiés et admirés avec enthousiasme ; ils ont tort quand ils veulent qu’ils soient continués perpétuellement et reproduits sous toutes les formes. […] Chez tous les peuples, les arts, à certaines époques, changent de formes et de moyens, quoique leur but et leurs effets soient toujours les mêmes. […] Les repos réguliers et les formes carrées des autres vers sont insupportables dans un poème de longue haleine ; l’admiration devient bientôt de la fatigue. […] C’est le commun seul qui, dans notre siècle, tue les arts et les lettres, soit qu’il garde la forme classique, soit qu’il affecte la forme romantique ; c’est contre le commun, que toutes les colères de la saine critique doivent être dirigées.

266. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Le serment a commencé par être une sorte d’épreuve judiciaire pour devenir simplement une forme solennelle et imposante du témoignage. […] Les formes les plus complexes de la civilisation ne sont que de la vie psychique développée. […] Seulement ce n’est pas eux qui la suscitent ni qui lui donnent sa forme spéciale ; ils ne font que la rendre possible. […] Puisqu’il n’implique pas une forme sociale plutôt qu’une autre, il ne peut en expliquer aucune. […] Or, seules les formes les plus générales de l’organisation sociale peuvent, à la rigueur, être dérivées de cette origine.

267. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les images, les sentiments et les idées représentent les mêmes vérités à l’homme sous trois formes différentes ; mais le même enchaînement, la même conséquence subsistent dans ces trois règles de l’entendement. […] C’est la gradation des termes, la convenance et le choix des mots, la rapidité des formes, le développement de quelques motifs, le style enfin qui s’insinue dans la persuasion des hommes. […] Lorsque les premiers magistrats d’un pays possèdent cette puissance, elle forme un lien volontaire entre les gouvernants et les gouvernés. Sans doute les actions sont la meilleure garantie de la moralité d’un homme : néanmoins je croirais qu’il existe un accent dans les paroles, et par conséquent un caractère dans les formes du style, qui atteste les qualités de l’âme avec plus de certitude encore que les actions même. […] Les gouvernements libres sont appelés sans cesse, par la forme même de leurs institutions, à développer et à commenter les motifs de leurs résolutions.

268. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Au moi créateur comme à l’être universel de la métaphysique, en l’absence d’une vérité objective qui commande leur activité, on ne saurait attribuer d’autre raison d’agir, de créer la réalité phénoménale et d’en déterminer les formes, qu’un principe d’utilité personnelle dont nous ne saisissons le sens que dans les fins où il semble qu’il aboutit. […] Sous le second aspect, sous la forme du souci moral, la recherche est, à vrai dire, la même, quelques voies tortueuses et détournées où elle s’engage pour atteindre son but. […] L’animal ne fut plus qu’un édifice aux formes diverses construit en grande partie avec de la substance morte pour abriter la vie multiple des cellules. […] Cette interprétation laisse, comme l’autre, subsister dans toute sa rigueur le point de vue de Bovarysme dont l’exposition fait l’objet de cette étude : car ces notions primordiales, et que Kant veut a priori, ne sont autre chose que les formes de toute connaissance possible. […] L’effort des hommes pour se conformer au précepte, s’il échoua sous sa forme absolue, réussit du moins à contenir la volupté dans les limites de la monogamie, resserrant les mailles de la famille, ce milieu le plus propre, dans une société organisée, à faire éclore, à faire vivre et à développer l’enfant.

269. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Le capitaine d’Arpentigny La Chiromancie, science de la main, ou art de reconnaître les tendances de l’inintelligence par les formes de la main. […] Et il le sent si bien, cet esprit positif au fond, qui arrache un si riche lambeau de bon sens à la philosophie contemporaine dont il est féru, que, malgré sa tendance à généraliser, malgré les catégories qu’il dresse des différentes formes de la main correspondant aux différentes spécialités de l’intelligence, il n’ose pas donner à son livre un autre nom que celui d’aperçu, et qu’il dit dans l’introduction, avec une modestie antiphilosophique : « Qui n’a lu Gail et ses adeptes enthousiastes, les phrénologistes ? […] Elle n’a plus à juger que de l’art avec lequel l’auteur de la Chiromancie ou la science de la main 9 a fait un livre d’analogies étincelant de rapprochements ingénieux, inattendus, saisissants, où la forme didactique, cette forme d’un ennui affreux, est sauvée par la qualité de l’esprit de l’auteur, dont l’expression ne faiblit jamais et qui couvre toutes les aridités et tous les pédantismes de la nomenclature avec le luxe des élégances les plus charmantes, les plus cavalières et les plus lestes ! […] Prouvons que la forme de son livre mérite qu’on s’y arrête, et prenons sur elle la mesure d’un esprit que le fond de son ouvrage ne donne pas. […] Cet homme de civilisation raffinée et de littérature volontaire, qui, précisément dans le livre où il a cristallisé laborieusement toutes ses études, toutes ses observations, toutes ses pensées, montre, à dix reprises différentes, le mépris philosophique d’un membre du Congrès de la paix pour cette grande chose qui s’appelle la guerre, a très probablement essayé de donner à sa pensée des formes plus savantes, plus littéraires, plus mandarines ; mais il est resté, quoi qu’il ait pu faire, timbré du casque de soldat.

270. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Mais à la première heure, une nouvelle forme du roman s’épanouira, qui semblera devoir éclipser ou étouffer toutes les autres : c’est le roman historique. […] Les restitutions de mœurs lointaines et de civilisations disparues faisaient souvent éclater l’étroitesse de la forme dramatique : nos romantiques se trouvèrent plus à l’aise dans la forme indéterminée du roman, qui se resserrait ou s’étendait selon la matière ou la fantaisie. […] Elle voit le détail et l’ensemble du paysage ; elle en sent l’âme comme la forme. […] Elle jouit profondément des lignes et des formes, de l’air, de la lumière, de la douceur, de la gaieté, de la mélancolie du paysage. […] La forme, dans Stendhal, est indifférente ; elle n’existe pas comme forme d’art ; elle n’est que la notation analytique des idées.

271. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Recueillir et exprimer le plus grand nombre d’idées dans toutes les matières qui peuvent recevoir la forme littéraire et perfectionner les langues. […] Quoique historien et moraliste, il n’est enchaîné ni aux lois du genre historique, ni à la forme des traités de morale. […] Témoin Rabelais, à la tête duquel il en monte des fumées témoin la puérile adoration des formes de la poésie antique, dans Ronsard et son école. […] La vérité ne lui plaît que là où elle ne se présente pas sous la forme d’une affirmation. […] Voir le remarquable travail qu’il a publié sur les Pensées de Pascal, sous la forme d’un rapport adressé à l’Académie française.

272. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Nous nous figurons ce pied à telle distance de nos yeux, la courbure de la plante, la forme du talon, la série des doigts. […] S’il est piqué, il se figure la forme, la couleur, la distribution des petits filets blanchâtres et mollasses qu’on appelle nerfs et que la piqûre a touchés. […] Aucun de ces aveugles opérés ne sut, du premier coup, interpréter ses nouvelles sensations, décider de la situation, de la forme, de la grandeur des objets, les reconnaître. […] Je n’arrive là qu’en insistant, en me demandant tout bas ce que j’entends par cette distance et par cette forme. […] En effet, parmi les centaines de sons et de formes colorées qui frappaient ses sens, ce sont les timbres de cinq ou six voix et les formes colorées de cinq à six visages qui se sont répétés pour elle le plus souvent et qui, par leur fréquence et leur identité, ont tranché sur le reste. — Vers trois mois, elle a commencé à tâter avec ses mains, à mouvoir les bras pour atteindre les objets, partant à associer aux taches colorées des impressions tactiles et musculaires de distance et de forme.

273. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Travailleurs de la mer » (1866) »

L’homme a affaire à l’obstacle sous la forme superstition, sous la forme préjugé, et sous la forme élément.

274. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Or le diable a le pouvoir de revêtir une forme aimable aux yeux. […] La première de ces sensations est la forme. […] L’une et l’autre forme peuvent et doivent prospérer côte à côte. […] L’une et l’autre forme ont des défauts. […] Il est sans matière, il n’est plus que forme.

275. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Par malheur, la multitude et la variété, dans l’histoire littéraire, ne sont pas, comme dans l’histoire naturelle, des formes sans nombre de la même perfection. […] Il ne se pense rien de général et d’éternel en français, du moins dans cet ordre d’idées qui seul peut susciter le langage littéraire, et recevoir des formes définitives. […] Nous vivons à une époque et sous une forme de gouvernement où la réputation dans les lettres, comme la réputation au barreau chez les Romains, est une sorte de candidature universelle pour tous les emplois de l’État. […] L’art français, dans la plus grande étendue du sens qui appartient à ce mot, c’est l’ensemble des procédés les plus propres à exprimer cet idéal sous des formes durables. […] Dans les littératures du Midi, ce même caractère individuel et de localité se montre sous d’autres formes.

276. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

De la forme que La Fontaine a donnée à la fable. — § IV. […] L’esprit de comparaison se forme insensiblement dans leurs tendres intelligences. […] De la forme que La Fontaine a donnée à la fable. […] C’est par la forme dramatique que La Fontaine plaît si universellement. […] La forme dramatique n’est pas la seule dont se serve La Fontaine.

277. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Cantel n’en est pas à son premier mot poétique, il a déjà publié un volume ; mais il n’en débute pas moins encore, dans un sens plus profond que celui qu’entend le public, car il cherche, avec les souples articulations d’un talent qui doit grandir, une forme arrêtée, une manière définitive. […] Seulement, s’il l’était vis-à-vis des autres, ce qui est toujours une question quand il s’agit de paganisme, l’auteur d’Impressions et Visions 27, nous n’hésitons pas à le dire, reste très coupable vis-à-vis de lui-même, parce qu’il a diminué un talent qu’on n’a point reçu pour qu’on le diminue en lui imposant des formes vieilles qu’il faut laisser là à tout jamais ; car le génie serait impuissant à les raviver, s’il pouvait en avoir l’idée. […] Des deux tendances d’inspiration et de forme qui se croisent et se traversent dans son livre, comme deux veines sur une main, l’une — la chrétienne — n’est qu’un filet presque invisible, tandis que l’autre — la païenne — est la veine qu’a gonflé l’effort de la vie, et où on la voit palpiter ! […] Organisé pour être un poète, qu’il ne revête pas sa poésie de formes épuisées ; qu’il n’enferme pas sa pensée dans ce symbolisme païen, le cercueil de tout un monde fini ! La forme chrétienne a seule la vie.

278. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Mais ces Condé avaient tous quelque chose de supérieur dans l’esprit ; ils avaient de vastes connaissances, un goût exquis ; ils aimaient le talent sous toutes ses formes. […] Or, des maximes et des portraits, c’est tout le livre de La Bruyère : il a repris la forme de La Rochefoucauld ; et il a dégagé, isolé le portrait, en lui donnant sa forme d’art et sa valeur philosophique. […] Les raffinements et les exubérances de sa technique d’écrivain ont permis de dire que parfois la forme chez lui trompait sur le fond. […] Quoiqu’il manie la période excellemment, sa forme préférée, c’est le style aiguisé, incisif, le trait rapide et qui perce : on n’a pas de peine à passer de là à Montesquieu. Qu’on détende cette forme, qu’elle devienne l’expression aisée du mouvement naturel de l’esprit, et l’on aura les petites phrases coulantes et coupantes de Voltaire.

279. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

La forme est d’une symétrie compliquée. […] Surtout il faudrait étudier la forme de M.  […] L’un des sommets a la forme d’un monstre. […] Il ne semble pas devoir revêtir jamais ni une forme précise ni surtout une forme populaire. […] Ça forme un tout.

280. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Sera-ce du moins par une certaine forme d’art, par une certaine lumière vive et juste d’expression qu’il se fera jour et resplendira à travers l’analyse ? […] qu’importe que sous cette forme peut-être tout cela n’ait pas donné ? […] La vie est jusqu’à un certain point indépendante de la forme de l’organe ; mais, une fois l’organe donné dans sa forme générale, elle s’en sert comme d’un point d’appui, elle l’élabore, l’organise au dedans et se l’approprie pour ainsi dire. De même, avant l’œuvre tout à fait entamée et avancée, il y a plus d’une forme, je le crois, plus d’une issue possible à un vif esprit pour se produire et donner tout ce qu’il contient ; mais une fois la forme de l’œuvre prise ou imposée, pour peu qu’elle convienne, l’esprit s’y loge à fond et y passe tout entier. […] Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer la forme et le but des travaux entrepris par ses doctes prédécesseurs.

281. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Il clarifia, affina, allégea le vieil esprit de Renart et de Rutebeuf ; il l’enrichit de finesse, de mesure, de grâce, pour le mettre d’accord avec la forme nouvelle des âmes, et même avec l’aspect des choses. […] Il est tout à la vie, aux formes charmantes et superficielles de la vie. […] Puis il inaugure, avec Marguerite, mais dans une forme plus parfaite, la poésie moderne, dont la loi est vérité et sincérité : cette œuvre toute de circonstance et d’actualité est éminemment vraie et sincère. […] La forme est sèche, plus voisine du xve  siècle que celle de Marot ; la pensée est aussi frivole, et moins sincère. […] Le fond est digne des repues franches : la forme se ressent du voisinage de Jean Crétin et de Jean Lemaire.

282. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Madame Bovary (1837) a chance d’être le chef-d’œuvre du roman contemporain : c’est une œuvre d’observation minutieuse et serrée dans une forme tout à la fois éclatante et sobre. […] Tout l’intérêt va aux manifestations extérieures par lesquelles cette humanité lointaine se représente à nous, formes de meubles ou de palais, formes de sentiments ou d’actes. […] Sa fantaisie effrénée anime toutes les formes inertes ; Paris, une mine, un grand magasin, une locomotive, deviennent des êtres effrayants qui veulent, qui menacent, qui dévorent, qui souffrent ; tout cela danse devant nos yeux comme dans un cauchemar. […] Ferdinand Fabre916 a fait quelques tableaux remarquables de la dévotion rustique et populaire dans les Cévennes méridionales, mais surtout de vigoureuses études des caractères ecclésiastiques, des formes très spéciales que l’Eglise impose aux passions, aux convoitises, aux haines des hommes ; M.  […] Sa carrière de marin lui a fourni le moyen de développer, d’achever son tempérament : elle l’a promené par le monde, à travers toutes les formes de la nature et de la vie ; elle a rendu plus aiguës ses perceptions et ses mélancolies.

283. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Au lieu de rendre des arrêts par prétention, au lieu de se borner à omettre, dans un dictionnaire inconnu du public et déjà démodé quand il paraît, les mots de figure trop étrangère, elle agirait dans le présent, et les formes refusées ou bannies par elle seraient proscrites de l’écriture et du parler. […] Son rôle serait, non pas d’entraver la vie de la langue, mais de la nourrir au contraire, de la fortifier et de la préserver contre tout ce qui tend à diminuer sa forme expansive. […] Epouvantée par psycho-physiologie, par splanchnologie 115, par conchyliologie, elle n’aurait d’objections ni contre gaffe, ni contre écoper, mots très français, très purs, le premier l’une des rares épaves du celtique (gaf, croc), le second, anciennement escope, venu sans doute d’une forme scoppa, doublet latin de scopa 116 . […] Et quand même la vraie origine d’écope serait la forme anglaise scoope, le mot n’en serait pas plus mauvais.

284. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

C’est la forme de nombreux vieux poèmes allemands. […] Wilder a écrit sa Valkyrie dans la forme habituelle des libretti d’opéras quelconques. […] L’accent principal tombe sur le mot ent-sagt (re-nonce), dont la syllabe accentuée forme le point central de la phrase, et qui se chante sur une blanche. […] Richard Wagner avait horreur de ce qu’il nommait les « orgies de musique » : c’est lui qui maintenant forme le principal prétexte d’innombrables orgies de ce genre. […] Forme parfaite du précédent.

285. (1884) Articles. Revue des deux mondes

C’est donc sous cette forme que l’idée du progrès passe du moyen âge à la renaissance et au XVIIe siècle. […] Ces dessins, malheureusement perdus, sont mentionnés, par exemple, à propos de la forme de la matrice et de la sortie des œufs de la seiche. […] Il n’ignore pas non plus ce que Cuvier appellera la corrélation des formes ; il signale un grand nombre de ces corrélations qui depuis sont restées dans la science. […] De même la nature ne saute pas brusquement et par caprice d’une forme vivante à une autre : elle n’ignore pas l’art des transitions. […] Aux yeux du philosophe, la forme, seule intelligible, est, dans l’individu, tout ce qu’il a de réel, et la matière s’évanouissant graduellement, la pensée ne se trouve plus en présence que d’elle-même dans un monde de formes et de fins.

286. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Quel en sera la forme ? […] Le fantastique ne s’y montrait que dans la forme, la gaîté d’un esprit bourgeois et bien portant était au fond. […] Hugo ajoutait aux révoltes de la forme, les révoltes de la pensée. […] Hugo découpait la forme des choses avec un relief puissant et parfois d’une grande beauté plastique. […] Aucune nation ne possède au même degré la réunion des qualités diverses indispensables à la forme dramatique.

287. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Le naturaliste, qui en dissèque un, sait d’avance ce qu’il trouvera dans le reste ; d’après l’apparence extérieure, il prédit la structure intérieure et peut dessiner la forme de l’estomac, du cerveau, du cœur, du squelette, avant de les avoir mis à nu. […] Chacune d’elles a une forme, et, une fois la ligne tracée, nous voyons cette forme en bloc. Mais la ligne est composée de facteurs primitifs ou éléments qui sont ses points, et sa forme n’est qu’un ensemble, l’ensemble de toutes les positions distinctes occupées par tous ses points distincts. Il suit de là qu’il y a une raison, un parce que, un intermédiaire pour expliquer et démontrer toutes les propriétés qu’on peut constater dans la ligne et dans sa forme, et que cet intermédiaire se rencontre dans les éléments de la ligne et de sa forme, c’est-à-dire dans les divers points doués de positions distinctes dont la ligne et sa forme ne sont que le total. — Or comment détermine-t-on la position d’un point ? […] « On aurait tort, dit un mathématicien philosophe, de ne voir dans cette seconde manière qu’une abréviation convenue, une forme de langage, apparemment plus commode parce qu’elle est plus usitée.

288. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Théoriquement, la différence est donc telle, absolue : eussent ils été écrits en la même époque, Lohengrin et Tristan seraient, par leur forme, Wagner l’a dit, plus différents que le Barbier et Lohengrin. […] Quel changement de la matière artistique est recouvert par ce changement des formes et des noms ? […] Ce gain se manifeste, aussitôt, pour toute âme humaine, dans le caractère spécial donné par Beethoven à la forme essentielle de toute musique : la Mélodie. […] Car nous avons vu que, pour être réalisée complètement, l’œuvre d’art formée par cette activité exigeait, aussi, la forme artistique complète, cette forme dans laquelle disparaissent, complètement, et pour le Drame, et pour la Musique, surtout, toutes les conventions adoptées. Ce serait assurément la seule forme artistique répondant à ce génie allemand si fortement individualisé en notre grand Beethoven, ce créateur d’une si générale humanité, et cependant si original ; ce serait cette forme nouvelle de l’art qu’avait, jadis, le monde ancien, et qui manque, jusque maintenant, au Monde nouveau.

289. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

La poésie, comme nous la concevons, n’est en effet rien de ce qu’ils disent ; elle n’est ni le rythme, ni la rime, ni le chant, ni l’image, ni la couleur, ni la figure ou la métaphore dans le style ; elle n’est même pas le vers ; elle est tout cela dans la forme, bien qu’elle soit aussi tout entière sans forme ; mais elle est autre chose encore que tout cela : elle est la poésie. […] L’habitude de n’entendre ou de ne lire jamais la poésie que dans ces formes sonores et symétriques fit confondre la poésie avec le vers, la liqueur avec le vase, la matière avec le moule. […] Il est un prince nommé Nala, semblable aux dieux jumeaux qui habitent le ciel ; c’est le dieu de l’amour lui-même, revêtu d’une forme terrestre. […] Cinq lui apparaissent sous la forme et dans le costume éclatant et majestueux de Nala. […] Nala reparaît sous sa vraie forme et sous sa beauté primitive.

290. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Deux grands faits politiques et sociaux se sont produits : d’abord, le triomphe certain de la République sur les vieilles formes monarchiques et sur les dynasties héréditaires. […] Son symbolisme, dans ses meilleures œuvres (car il faut bien distinguer chez lui, comme chez tout écrivain), se traduit en formes d’action et de sentiment concrètes et vivantes. […] Sardou ; il n’admet plus qu’on change les formes, les procédés, les effets auxquels il est habitué, lit voici la seconde erreur : M.  […] S’il avait entrepris d’en faire l’éducation, de l’apprivoiser aux idées, et aux formes nécessaires pour traduire les idées, il eût pu faciliter l’évolution du théâtre. […] Au reste, en dehors de ces groupes révolutionnaires, il se fait encore de bons vers, des vers délicats et parfois puissants, dans les formes consacrées.

291. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

La strophe était la forme naturelle et nécessaire qu’André Chénier devait adopter. […] Il ne lira rien avant d’avoir donné à sa pensée la forme désirée, avant d’avoir dit ce qu’il veut dire. […] De toutes les formes de la poésie, s’il en est une qui doive atteindre facilement à la vérité, c’est à coup sûr la forme lyrique, car le poète qui écrit une ode, une élégie, trouve en lui-même, en lui seul, tous les éléments de son œuvre. […] Nulle forme poétique n’est donc plus voisine de la vérité que la forme lyrique. […] La pensée qui s’est produite pour la première fois sous la forme du récit, perd, en se montrant sous la forme dramatique, la meilleure partie de sa jeunesse et de sa fraîcheur.

292. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

« Les mots d’une langue bien faite s’appellent l’un l’autre. » C’est ce que disait Laromiguière dans cette forme gracieuse et simple qui était la sienne ; M.  […] Bossuet meurt en combattant en écrasant Richard Simon, c’est-à-dire en repoussant la critique exacte, consciencieuse, qui se présentait sous la forme théologique, et il se flatte d’avoir fermé la porte à l’ennemi : la critique élude la difficulté, elle tourne la position ; elle s’élance à la légère, à la française, à la zouave, sous forme persane et voltairienne, et elle couronne du premier jour les hauteurs du xviiie  siècle. […] L’éducation, le tour d’esprit, la forme de talent de Bossuet, expliquent suffisamment cette manière de penser et d’agir. […] ainsi puissiez-vous…, etc. » On a reconnu la forme latine du vœu : « Sic te Diva potens Cypri, sic fratres Helenæ ! […] L’important, avec Bossuet, est de bien saisir la forme particulière à son esprit, à cette intelligence si vaste d’ailleurs et si complète pour l’ordonnance et pour l’expression ; je voudrais me la représenter mieux que par des aperçus, et la réfléchir dans son plein.

293. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Mais la forme habituelle et facile pour lui, celle à laquelle il revient de préférence et qui se présente d’elle-même, c’est la chanson. […] C’était surprise et joie de voir réalisée à l’improviste une forme de ce qu’il avait lui-même plus confusément rêvé, c’était de rencontrer sous cette forme légère un idéal déjà à demi connu. […] Il se plaisait à traduire pour s’exercer au style ; la forme le préoccupait plus que le fond, et il se sentait même une sorte de prévention contre la pensée et les systèmes. […] Sa politesse, son goût d’homme du monde, lui ont de tout temps interdit les jugements trop directs et qui entrent dans le vif ; mais, sous forme abstraite, il jette bien des choses. […] Le Rapport lu à l’Académie des sciences morales sur la philosophie allemande, et qui forme tout un volume, sort de notre compétence.

294. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Les croyances ne sont elles-mêmes, le plus souvent, que des formes multiples de l’espérance en une amélioration de la vie individuelle et sociale, ou en une autre vie meilleure dans un autre monde ; et comment reprocher à l’espérance d’avoir des formes variées, d’être habile à se transformer sans cesse elle-même, entraînant dans ses transformations tout l’art humain ? […] Les deux formes essentielles de l’esthétique, comme de la morale, sont l’idéalisme et le naturalisme. […] Les laideurs ne sont, elles aussi, qu’une forme extérieure des misères et des limitations inhérentes, à la vie. […] Le peintre voit son passé à travers des couleurs et des formes, des couchers de soleil, des aurores, des teintes de verdure. […] L’admiration d’un Chateaubriand devait remonter du fond à la forme, s’attacher aux procédés esthétiques et tâcher de les reproduire.

295. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Parmi ses nombreuses productions, se trouvent, en dépit d’une forme toujours artificielle (!) […] La forme, la formule nous intéresse autant sinon plus que le fond. […] Aussi diffère-t-elle des autres arts, et particulièrement des arts plastiques, en ce qu’elle est dans un certain sens dégagée complètement de tout rapport avec la forme des phénomènes ; elle constitue elle-même une forme abstraite, absolue et complète. […] Ce sont deux mondes où tout diffère, la forme, la couleur, la composition, l’âme. […] L’expression complète et libre des crises de passion intérieure réclamait des formes nouvelles.

296. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

En tout cas, ce qui maintenant constitue une bête pour lui, c’est une forme beaucoup plus délicate et plus compliquée que celle de la toupie, savoir la forme commune aux insectes, un corps à plusieurs articles et paires d’appendices, tantôt immobile, tantôt en mouvement de soi-même et sans impulsion du dehors. […] Comme sa sœur et aussi pendant des mois entiers, il était charmé de voir la lune sous toutes ses formes et à tous les points du ciel, de la reconnaître et de la nommer. Le sentiment de la forme, déjà manifesté par plusieurs traits, s’est encore révélé chez lui en cette circonstance. […] Les concepts sont-ils possibles, ou du moins y a-t-il jamais des concepts effectués sans une forme extérieure et un corps ? […] La première184 qu’on peut appeler l’époque des racines, « est celle où chaque racine conserve son indépendance, où une racine et un mot ne présentent aucune distinction de forme ».

297. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

En réalité, tout ce qu’il y a d’essentiel dans sa doctrine peut être immédiatement déduit de sa définition de la société et des différentes formes de coopération. […] Cette idée, les uns croient que l’homme la trouve toute faite en lui dès sa naissance ; d’autres, au contraire, qu’elle se forme plus ou moins lentement au cours de l’histoire. […] En zoologie, les formes spéciales aux espèces inférieures ne sont pas regardées comme moins naturelles que celles qui se répètent à tous les degrés de l’échelle animale. […] Il y a plus : alors même que ces actes auraient indûment revêtu le caractère criminologique, néanmoins ils ne devraient pas être séparés radicalement des autres ; car les formes morbides d’un phénomène ne sont pas d’une autre nature que les formes normales et, par conséquent, il est nécessaire d’observer les premières comme les secondes pour déterminer cette nature. […] En dehors des actes individuels qu’elles suscitent, les habitudes collectives s’expriment sous des formes définies, règles juridiques, morales, dictons populaires, faits de structure sociale, etc.

298. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

. — Le fond vivant doit toujours transparaître sous la forme. […] Ni dans l’art ni dans la vie réelle la beauté n’est une pure question de sensation et de forme. […] Ce fond vivant de l’art, qui doit toujours transparaître sous la forme, est fait d’abord d’idées, puis de sentiments et de volontés. […] L’art pour l’art, la contemplation de la pure forme des choses finit toujours par aboutir au sentiment d’une monotone Maya, d’un spectacle sans fin et sans but, d’où on ne retire rien. […] La sincérité est le principe de toute émotion, de toute sympathie, de toute vie, parce qu’elle est la forme projetée par le fond en vertu d’un développement naturel, qui va du dedans au dehors, de l’inconscient au conscient.

299. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Le drame métaphysique est une forme. […] Une belle forme dans l’art est encore un bienfait pour nos intelligences. […] Je dirai seulement quelques mots préliminaires sur la forme qui sert de cadre à cette pensée. […] Son idéal n’a pas encore conçu une forme nouvelle. […] Il n’aima jamais cette forme ; il ne la comprit pas ; il en eut peur.

300. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Hugo, dans cette orientale prodigieuse, n’a fait qu’une énumération de toutes les formes de bâtiments que le vocabulaire lui a fournis : au terme général, flotte, il a substitué les mots particuliers, dont l’inépuisable succession écrase l’esprit et donne la sensation de l’immense désastre des Turcs. […] On peut s’en servir comme moyen d’inspiration, mais rarement comme forme de développement. […] Dans les degrés divers et les mille formes dont elle est susceptible, elle oscille entre deux limites : la recherche du caractère général, qui remet l’objet dans une série, dans un genre, et la recherche du trait particulier, qui l’isole et le pose seul, dans son individualité distincte, en face de tous les objets analogues. […] Une fois qu’on a dit : je suis joyeux, ou triste, ou irrité, j’aime ou je hais, il semble que vraiment on n’ait plus rien à dire, et de fait on voit souvent des écrivains, de fort grands, se tirer de là par la simple rhétorique, par les périphrases et les comparaisons, par le développement à la Sénèque, qui consiste à inventer cent formes de la même pensée. […] La peinture d’une passion, c’est la peinture de la forme que prennent toutes les pensées sous l’influence de cette passion.

301. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Lui s’enivre de la beauté des formes ; mais il aspire à quelque chose par-delà. […] Et c’est là précisément la secrète et pénétrante originalité de ces petits vers, de ces menues ritournelles, de ces rimes caressantes : elles font couler jusqu’à l’âme l’ivresse des couleurs, des formes et des parfums, et l’amour de la vie universelle, toujours un peu triste parce qu’il est toujours inassouvi. […] Il rêve, il adore, il pétrarquise… Et puis… et puis c’est toujours la même chose : vague panthéisme, vague souffrance, vague désespoir, vague ivresse, vague rêverie, vague chasteté, désir quelquefois vague et plus souvent précis, vagues images, amples, indéfinies, forme harmonieuse, mots sonores — quelquefois jargon sublime. […] Enfin, il se plaît souvent à exprimer des choses banales ou grossières sous une forme ultra-lyrique ou à mêler le style du « Parnasse » à celui des estaminets, et de là des contrastes d’un effet sûr. […] Les contes et les sonnets, c’est, à des moments différents, la manifestation du même sentiment originel, le sentiment de la beauté génétique, c’est-à-dire de ce que la nature a mis d’attrayant dans les formes pour amener les hommes à ses fins.

302. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

Le français, tout aussi bien que le grec et certaines langues modernes, se prête volontiers aux mots composés ; on en relève plus de douze cents dans les dictionnaires usuels qui ne les contiennent pas tous, et il s’en forme tous les jours de nouveaux. […] On forme encore beaucoup de nouveaux mots en faisant suivre d’un nom un verbe à l’impératif21 singulier ou un substantif verbal ; cette méthode a enrichi la langue française depuis l’origine : coupe-gorge, tire-laine, pèse-goutte, hache-paille. […] — a échoué sous la forme prothèse chez les dentistes qui bientôt n’en voudront plus. […] Comme la médecine, la botanique, dont les éléments premiers, les noms vrais des plantes, sont pourtant de forme populaire, a été ravagée par le latin et par le grec . […] Les dictionnaires donnent la forme étymologique ; céphalargie est cité par Max Muller, qui le compare à léthargie (Nouvelles leçons, I, p. 225 de l’édition française), à propos des changements de l en r.

303. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Nous voulons donc aujourd’hui que la critique trouve moyen de concilier les lois éternelles du goût, sans lesquelles il n’y a plus de différence entre les bons et les mauvais ouvrages, et cette liberté des formes sans laquelle il n’y a ni création ni spontanéité dans les œuvres d’art. La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit. […] Les erreurs ont disparu, les vérités ont surnagé, et de ces vérités éparses, qui se rassemblent et se concilient comme elles peuvent, se forme peu à peu la raison générale, le sens commun.

304. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Malgré des différences bien plus dans la forme que dans le sens des choses, toutes les législations de la Grèce reçurent l’influence de ces deux législations. […] Si nous nous préoccupions beaucoup de la chimère de ce siècle, de cette liberté dont il est si follement épris, nous citerions encore Lerminier : « La liberté antique — dit-il — était le triomphe de la forme sur le fond des choses humaines. Quand la statue était brisée, il n’y avait plus de Dieu. » Pour les Grecs, même la liberté, c’est-à-dire ce qui tient le moins dans une forme quelconque, tout était dans la forme, et, que disons-nous ? dans une certaine forme précise, circonscrite, définie. Cette forme aimée et poursuivie comme un rêve, et enfin saisie par ces esprits nets et aiguisés, comme la lumière est saisie par les angles du diamant taillé qui la captive, explique la seule supériorité qu’ils eurent, leur force incomparable dans les arts, et surtout dans les arts plastiques, où la conception de l’infini est le moins nécessaire.

305. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

« J’ai eu », dit-il dans une lettre à M. de Montalembert, « le fanatisme de l’expression, le fanatisme de la beauté dans les formes, et ce fanatisme est passé… Je dédaigne plutôt que je n’admire ce talent qui est plus une maladie de nerfs qu’un talent de l’esprit… », ce qui est assez insolent et assez faux, par parenthèse, et au moment même où il écrit cela, sans transition et comme pour se punir, il ajoute ce mot de rhéteur inconséquent, de rhéteur incorrigible, qui tout à coup reparaît « les formes d’une lettre ne sont ni littéraires ni belles », misérable axiome de rhétorique, non moins faux ! […] Le catholicisme, cette source sublime d’inspiration, a donné à Donoso Cortès une assez belle forme pour qu’il ne puisse la dédaigner sans affectation ou sans injustice, et il ne la lui a donnée qu’à la condition d’élever, d’épurer, de grandir toutes les forces de sa pensée, car la pensée et la forme ne se séparent pas. […] Il en a les formes rigides et souples, l’enthymème, l’énumération, le sorite. […] Soit donc qu’il fasse acte d’écrivain à tête reposée ou d’orateur s’exprimant dans un parlement, Donoso Cortès est partout et surtout un formidable logicien, et tellement logicien, qu’il ne craint pas d’être scolastique par la forme, car il a assez d’expression à son service pour ne jamais paraître sec.

306. (1890) Dramaturges et romanciers

Avec lui, pas de sous-entendus ni d’impertinences voilées ; les vérités qu’il exprime revêtent la forme de l’insulte directe, brutale. […] En vérité, il a quelque chose de très sympathique en dépit des formes crues et brutales qu’il affectionne. […] Mais le châtiment ne se fait pas attendre et se présente sous la forme de l’hallucination. […] Les conceptions de l’imagination ne se prêtent pas indifféremment à toutes les formes ; il est impossible qu’une idée qui s’est présentée à la pensée d’un auteur sous la forme d’un roman puisse se retrouver identiquement la même sous la forme d’un drame. […] L’auteur a évité de donner à l’exposition des principes qui régissent les arts une forme pédantesque, et nous l’en félicitons.

307. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

En d’autres termes, nous nous constituons pour un temps dans une forme déterminée et fixe ; les sollicitations en sens contraire, les diverses tendances qui aboutiraient à un autre état, les autres images, idées et sensations qui aspirent à se produire, demeurent à l’état naissant. La forme donnée leur est incompatible et enraye leur développement. […] Quand, à la couleur et à la forme, nous prévoyons le goût d’une gelée de groseille, ou quand, les yeux fermés, sentant le goût de cette gelée, nous imaginons sa teinte rouge et le lustre de sa tranche vacillante, nous avons en nous des images avivées par la répétition. […] Si nous voyons une personne huit ou dix fois, le contour de sa forme et l’expression de son visage se trouvent à la fin bien moins nets dans notre esprit que le lendemain du premier jour. […] En effet, quand l’image de la forme aperçue tend à renaître, elle entraîne avec elle les images de ses différents accompagnements.

308. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Je ne veux pas examiner si cet amour revêtait d’étranges formes d’idolâtrie. […] On s’entendait sur la supériorité de la forme poétique, on en arrivait à préférer M.  […] Catulle Mendès (Justice), c’est la forme littéraire dont il a su la revêtir. […] Or, c’est la forme suprême, incontestablement ; et celle qui prouve son homme. […] Nous ne sommes plus habitués à cette forme de critique ; mais Sainte-Beuve ne manquait pas de perspicacité.

309. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il a prétendu l’un des premiers parmi nous, et il prétendit jusqu’à la fin, que les hommes de génie dans les divers genres ne sauraient avoir pour mission de tarir ou d’immobiliser les sources où l’esprit humain doit puiser après eux, et qu’on est plus près de les imiter dignement en s’adressant comme eux à la grande source directe et inépuisable de la nature et de la vie, qu’en se modelant froidement sur les formes où ils ont coulé une fois leurs chefs-d’œuvre. […] Tableau magnifique encadré par les montagnes plus voisines, il contraste avec elles autant pour la teinte que pour la forme, et semble être un fond de décoration, coloré par un pinceau plus brillant, plus léger, plus magique. […] Souvent c’est par elle seule que l’œil est averti de leur hauteur respectable ; car, trompé dans l’estimation des élévations et des distances, il confondrait ces monts avec tout ce qui, par sa forme et sa situation, copie la grandeur, si cette espèce de lueur céleste n’annonçait que leur cime habite la région de la sérénité. Dix ans plus tard, dans un autre voyage entrepris au Mont-Perdu, voisin du Marboré, abordant par une autre vallée ces hautes enceintes, il en admirera la forme, qui, jointe à la lumière, se traduira sous sa plume comme sous un pinceau : Cependant nous entrions dans la vallée d’Estaubé, et nous contemplions en silence ses tranquilles solitudes. […] Des montagnes qui paraîtraient déjà considérables, quand même on n’aurait pas d’égard à l’élévation de leur base, étonnent encore par une simplicité de formes qu’elles n’affectent communément que sur la lisière des grandes chaînes, et au voisinage des lieux où elles dégénèrent en humbles collines.

310. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Loin de vouloir affliger et décourager la piété, il a eu l’ambition de la semer là où elle n’est pas, de la nourrir, de la relever, de lui donner satisfaction sous une autre forme, nouvelle et inattendue. […] La question religieuse, la question chrétienne ne lui a jamais été présentée sous une forme qui fût d’accord avec cette disposition du XIXe siècle, de ce siècle qui, je le répète, n’est ni croyant, ni incrédule, qui n’est ni à de Maistre, ni à Voltaire. […] Renan, en exposant l’origine première et la naissance du christianisme, pouvait choisir entre diverses méthodes et diverses formes : il a préféré, pour ce premier volume, pour l’histoire du fondateur, le récit, la biographie suivie, en prenant soin d’y fondre et d’y cacher de son mieux la discussion : il n’a pu toutefois l’éviter entièrement. […] Chaque époque désire et appelle la forme d’écrivain philosophe qui lui convient. […] N’est-ce donc rien dans ce naufrage de tant de doctrines, de tant de croyances, dans cet envahissement de tant de passions positives et intéressées, d’éviter la légèreté, de rencontrer une science émue qui vous guide, et de monter la colline avec Celui qu’il n’est interdit d’honorer et d’adorer sous aucune forme ?

311. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

La prose, de toutes parts, sous toutes les formes, vous sourit, vous invite, vous tente, et finalement vous débauche. […] « Mais on n’est pas seul au monde, on n’est pas le type et le modèle unique et universel ; il y a d’autres moules que celui que nous portons en nous, il y a d’autres formes de beauté en dehors de celle que nous adorons comme la plus parente de notre esprit, et elles ont le droit d’exister. […] Mais que de variétés dans ces formes bombées, arrondies, allongées, aplaties, cavées, etc. ! […] Quoiqu’il puisse sembler bien naïf, avec un écrivain dont le récit forme comme un bas-relief ou un panorama continu et où tout est tableau, de prétendre en détacher un et de venir le présenter dans un cadre, je veux le faire pour l’endroit capital de ce voyage d’Espagne, pour le moment décisif qui est l’entrée en Andalousie. […] Il y éprouva des sentiments qu’on lui refuse trop, parce qu’il ne les a pas étalés, et, en dehors du récit, il s’est réservé de les enfermer discrètement dans la forme sculptée des vers.

312. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Il avait conçu, pendant son séjour à Nevers, toute une psychologie nouvelle, une description exacte et approfondie des facultés de l’homme et des formes de l’esprit. […] Sa thèse sur La Fontaine, en 1853, fut très remarquée : la forme, le fond, tout y était original et jusqu’à paraître singulier ; il l’a retouchée depuis, et fort perfectionnée, montrant par là combien il est docile aux critiques, à celles du moins qui concernent la forme et qui n’atteignent pas trop le fond et l’essence de la pensée. […] Il en est ainsi d’un bout à l’autre de l’histoire ; chaque siècle, avec des circonstances qui lui sont propres, produit des sentiments et des beautés qui lui sont propres ; et à mesure que la race humaine avance, elle laisse derrière elle des formes de société et des sortes de perfection qu’elle ne rencontre plus. […] Je parle, bien entendu, dans la supposition, qui est la vraie, que le cadre de la civilisation ne sera pas entièrement changé, que la tradition ne sera pas brisée tout entière, et qu’il y aura lieu, même dans des sociétés assez différentes, aux mêmes formes essentielles des esprits. […] Et en général, il n’est qu’une âme, une forme particulière d’esprit pour faire tel ou tel chef-d’œuvre.

313. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Quelques-uns ont coulé tout doucement leurs remarques personnelles, leurs conceptions de l’homme et de la vie, dans les formes de l’histoire ou de la critique. […] Alfred et Maurice Croiset, modèle de forme sobre et simple autant que de science exacte. […] Des textes et de la sèche érudition, il extrait la vie, vie de Cicéron, ou d’Horace, ou de Virgile, vie de la société romaine aussi en ses divers états, à ses diverses étapes : son style translucide atteint avec une égale aisance les formes sensibles et les invisibles forces, l’être individuel et l’âme collective. […] Je ne veux pas dire qu’il ait tué la religion ; mais il a réduit la question à ses termes essentiels, à sa forme extrême : il faut choisir entre le déterminisme et la révélation. […] Enfin, il a rendu à la critique l’essentiel service de lui donner l’exemple de la sympathie : personne n’a enseigné plus hautement, plus constamment à aimer l’homme, l’effort vers le vrai et vers le bien, même dans les formes qui répugnent le plus à notre particulière nature.

314. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Car tout ce premier développement de l’esprit humain s’opère sous forme religieuse. […] Chose étrange, car la théologie et le sacerdoce étant la forme complète du développement primitif, il semble qu’ils devraient disparaître avec cet état. […] Mais l’univers à son tour n’est pas la forme complète ; l’unité n’y est pas assez sensible. […] La belle science, la science complète et sentie, sera pour l’avenir, si la civilisation n’est pas une fois encore arrêtée dans sa marche par la superstition aveugle et l’invasion de la barbarie, sous une forme ou sous une autre. […] Puis la forme supérieure dans la grande poésie de Gœthe, de Byron, de Lamartine, admettant simultanément tous les genres.

315. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

La vertu apparaît alors comme une autre forme de la beauté. […] L’esthétique, ainsi entendue, est une dépendance nécessaire de la psychologie : elle en forme comme un chapitre qu’on peut à peine détacher, et il semble qu’au moins dans un traité analytique des phénomènes de conscience, on ne peut l’entendre autrement. […] De même aussi pour les formes et les contours. […] La grandeur des masses, l’immensité de l’espace, la longueur infinie du temps sont autant de formes du sublime ; mais c’est surtout l’idée du génie humain — de Newton et d’Aristote, de Shakespeare et d’Homère — qui nous suggère cette émotion. […] « Je maintiens, au contraire, que la conscience est une imitation au dedans de nous-mêmes du gouvernement qui est en dehors. » Elle se forme et se développe par l’éducation182.

316. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Mais, vers cette époque de 1820-1822, un seul nom entre ceux du clergé s’offrait avec éclat et retentissement aux gens du monde : M. de Lamennais, dans sa première forme catholique, forçait l’attention de tous par son Essai sur l’indifférence, et remuait mille pensées au sein même du clergé qu’il étonnait. […] Dans un certain nombre de niches sépulcrales qui ont été ouvertes à diverses époques, on peut suivre, en quelque sorte pas à pas, les formes successives, de plus en plus éloignées de la vie, par lesquelles ce qui est là arrive à toucher d’aussi près qu’il est possible au pur néant. […] Ce dernier calque de l’homme, cette forme si vague, si effacée, à peine empreinte sur une poussière à peu près impalpable, volatile, presque transparente, d’un blanc mat et incertain, est ce qui donne le mieux quelque idée de ce que les anciens appelaient une ombre. […] Cette forme est plus frêle que l’aile d’un papillon, plus prompte à s’évanouir que la goutte de rosée suspendue à un brin d’herbe au soleil ; un peu d’air agité par votre main, un souffle, un son deviennent ici des agents puissants qui peuvent anéantir en une seconde ce que dix-sept siècles, peut-être, de destruction ont épargné. Voyez, vous venez de respirer, et la forme a disparu.

317. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Ces trois romans ne sont rien moins que la mort de Gilbert, la mort de Chatterton et la mort d’André Chénier, répondant toutes les trois à la pensée du romancier, qui est l’hostilité éternelle de tout gouvernement contre les poètes, et représentant vis-à-vis de ces morts illustres, dont ils furent les bourreaux, l’action des trois formes de gouvernements qui dominent le monde et l’enserrent : le Gouvernement Absolu, le Gouvernement Représentatif, et le Gouvernement Républicain. […] Tous les deux, forme à part, spécialité de talent et de vocation à part, sont de la même race d’intelligences, idéales, religieuses, pensives… Il est des têtes glorieusement conformées pour aller se casser inutilement contre le ciel. […] Il fut Pascal, sans Port-Royal, sans cilice, sans conclusion, sans consolation ; — Pascal sous une forme douce, sous cette forme de la résignation qui ne trompe ni Dieu ni personne, et qui est la forme la plus poignante que je sache du désespoir ! […] Il y avait en ces poésies autre chose que des vers, des rhythmes et des mascarades de forme à juger. […] « Si j’étais peintre, je voudrais — dit-il encore dans son journal — être un Raphaël noir : forme angélique, couleur sombre. » Mais en réalité il l’était, un Raphaël noir, ce lumineux !

318. (1908) Après le naturalisme

Belle forme qui ne contient rien. […] L’égoïsme forme le fond de l’homme comme l’essence de la vie organique. […] Aucun esprit ne se forme lui-même et seul. […] Il y a plus de volupté profonde dans le fond que dans la forme. […] Ces deux extrêmes ne sont pour elle que deux formes d’un même état.

319. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Examen du clair-obscur » pp. 34-38

Il est des lointains où les formes de ces objets n’étant plus sensibles, il est ridicule de les y jeter, puisqu’on ne met un objet sur la toile que pour le faire apercevoir et distinguer tel. […] Deux sortes de peintures : l’une qui plaçant l’œil tout aussi près du tableau qu’il est possible sans le priver de sa faculté de voir distinctement, rend les objets dans tous les détails qu’il aperçoit à cette distance, et rend ces détails avec autant de scrupule que les formes principales, en sorte qu’à mesure que le spectateur s’éloigne du tableau, à mesure il perd de ces détails, jusqu’à ce qu’enfin il arrive à une distance où tout disparaisse ; en sorte qu’en s’approchant de cette distance où tout est confondu, les formes commencent peu à peu à se faire discerner et successivement les détails à se recouvrer, jusqu’à ce que l’œil replacé en son premier et moindre éloignement, il voit dans les objets du tableau les variétés les plus légères et les plus minutieuses. […] Outre ce que le peintre perdrait du côté de la variété des formes et des lumières qui naissent des plis et du chiffonnage des vieux habits, il y a encore une raison qui agit en nous sans que nous nous en apercevions, c’est qu’un habit n’est neuf que pendant quelques jours et qu’il est vieux pendant longtemps, et qu’il faut prendre les choses dans l’état qu’elles ont d’une manière la plus durable.

320. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VI. L’antinomie religieuse » pp. 131-133

C’est ici que la seconde forme de la pensée religieuse entre en conflit avec la première. La forme sociale de la pensée religieuse est l’orthodoxie ; sa forme individualisée est l’hérésie.

321. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Ballanche, elle trouva donc toutes ces belles formes éparses, ces antiques images déjà préparées ; quand le Dieu parut, il y avait des marbres et des statues pour un temple. […] Mais rien de tout cela n’a la composition ni la forme, ni même l’originalité de détail, et M. […] Ballanche qui n’ont pas revêtu la forme poétique, la composition n’est pas très-distinctement établie. […] Il n’a pas été d’abord philosophe et métaphysicien, et ensuite poëte ; sa conception et sa forme se tiennent de plus près et ont une bien réelle harmonie. […] Ballanche ce qu’il a dit de la pensée humaine en général ; son idée s’émancipa de cette forme de la Restauration où elle avait voulu trouver asile, et, devenue plus libre, elle plana dans des cercles indéfinis.

322. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Il ignora l’homme en tant qu’individualité physique, active, passionnelle et pensante, et ne vit en lui qu’une forme plus ou moins esthétique de la substance universelle, forme transitoire et infime d’ailleurs, comparée à ce que notre esprit peut concevoir d’éternel et d’illimité. […] Dans leur organisme social, l’individu n’est rien : il se perd dans la caste, entité vague qui représente un des aspects, une des formes de l’humanité. […] Faut-il chercher à établir un rapport quelconque entre ces poètes déjà anciens qui présidaient à l’éclosion d’une forme artistique nouvelle, le drame anglais, et cet autre poète moderne qui devançait la création d’une autre forme de l’art également inédite, le roman contemporain ? […] Tel que nous le connaissons, il fut d’ailleurs prodigieux par la pensée, prodigieux aussi par la forme impeccable du langage. […] Dans les questions de forme même, en ce qui concerne la science de la versification, où M. 

323. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Bien qu’il les exprime toujours sous la forme la plus resserrée, il n’en écarte aucune, et souvent les jette pêle-mêle, à mesure qu’elles s’offrent à lui, en sorte que sa pensée, qui d’abord avait été rendue avec énergie, s’affaiblit en se reproduisant sous une forme moins frappante et avec un tour moins heureux. […] Au contraire, Pouchkine n’est pas moins concis pour le fond que pour la forme, et chacun de ses vers est le fruit d’une réflexion approfondie. […] Aussi toutes les formes de vers sont possibles en russe et ont été essayées. […] Je n’ose avoir une opinion, moi profane ; mais il me semble que le poète sera trop souvent tenté de sacrifier le fond à la forme. […] Sauf la forme des vers et le ton général de la composition, Pouchkine n’a rien dérobé à lord Byron.

324. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

On demandait où le Saint-Esprit avait marqué dans l’Écriture la forme des coiffes de femme ; si la barbe rousse coupée à un bouc, et que portait Farel, ressemblait à celle d’Aaron ; si Lazare sortant du tombeau était plus blême que Calvin. […] Que de vérités, que de rapports généraux, qui n’avaient point encore pris place dans l’esprit français ; et quelle nouveauté que cette forme sérieuse forte, proportionnée sous laquelle les présentait Calvin ! […] Une manière simple et naturelle de raisonner y remplace les formes captieuses et monotones de la scolastique. […] Les principes, c’est à savoir les paroles mêmes des livres saints, sont d’abord exposés et interprétés ; puis viennent les témoignages tirés des Pères, dont la suite forme la tradition consacrée dans la matière ; la réfutation des objections suit en dernier lieu. […] Le premier traite de Dieu ; le second, de Jésus-Christ, médiateur ; le troisième, des effets de la médiation de Jésus-Christ ; le quatrième, de la forme extérieure de l’Église.

325. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Ils savent l’admirable, l’immortel, l’inévitable rapport entre la forme et la fonction. […] Si, au lieu d’un pédagogue, je prends un homme du monde, un intelligent, et si je le transporte dans une contrée lointaine, je suis sûr que, si les étonnements du débarquement sont grands, si l’accoutumance est plus ou moins longue, plus ou moins laborieuse, la sympathie sera tôt ou tard si vive, si pénétrante, qu’elle créera en lui un monde nouveau d’idées, monde qui fera partie intégrante de lui-même, et qui l’accompagnera, sous la forme de souvenirs, jusqu’à la mort. […] Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l’entendent ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d’une série indéfinie. […] Ici nous trouverons un nombril qui s’égare vers les côtes, là un sein qui pointe trop vers l’aisselle ; ici, — chose moins excusable (car généralement ces différentes tricheries ont une excuse plus ou moins plausible et toujours facilement devinable dans le goût immodéré du style), — ici, dis-je, nous sommes tout à fait déconcertés par une jambe sans nom, toute maigre, sans muscles, sans formes, et sans pli au jarret (Jupiter et Antiope). Remarquons aussi qu’emporté par cette préoccupation presque maladive du style, le peintre supprime souvent le modelé ou l’amoindrit jusqu’à l’invisible, espérant ainsi donner plus de valeur au contour, si bien que ses figures ont l’air de patrons d’une forme très-correcte, gonflés d’une matière molle et non vivante, étrangère à l’organisme humain.

326. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Dans le silence du philosophe sur une telle révélation, quelques rencontres de génie, quelques formes d’imagination, ne suffisent pas pour affirmer ce commerce d’intelligence. […] Aujourd’hui nulle érudition n’oserait déterminer la vraie forme du vers hébreu et le rhythme, non plus que le chant de cette poésie sublime. […] Oui, pour la poésie de David et pour tout le lyrisme hébraïque, encore plus que pour Pindare, si témérairement reconstruit de nos jours, la science moderne ne peut rien démontrer en ce qui touche la forme du mètre, l’exacte mesure des strophes, le mécanisme enfin et l’ensemble de la mélodie. […] Il est une autre forme encore du cantique hébreu, celle même que le docteur Lowth, dans son admiration un peu scolastique, rapporte au genre sublime, où le parallèle est plus acceptable, quoique la supériorité ne soit point douteuse. […] L’érudition critique peut rapprocher et finement approfondir ce qui nous reste de notions appréciables sur les diverses formes de pouvoir théocratique établies chez les différents peuples.

327. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Les autres principes ont cette même forme axiomatique. […] Ils traitent abondamment l’un et l’autre des principes universels et nécessaires dans la forme qu’ils ont aujourd’hui, sans se demander quelle a été leur forme primitive. […] La forme ne peut être une forme toute seule, elle doit être la forme de quelque chose. […] L’art le dégage, et lui donne des formes plus transparentes. […] Émeric David, une forme vue par l’œil.

328. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Là, tout doit être subordonné à la conclusion ; tout doit y mener ; tout ce que vous apportez, fût-ce de forme pittoresque ou dramatique, doit être par essence raisonnement. […] De ce qu’elles sont encore enfoncées dans les images, de ce que l’enfant les prend en bloc, dans leur forme concrète, sans les extraire de leurs circonstances locales et particulières. Sa mère, dont le nom fait battre tout son cœur, dont l’image emplit son cerveau, qui est présente dans tous ses souvenirs et dans toutes ses espérances, lui a recommandé, dans des termes qu’il sait par cœur, dans une lettre écrite sur certain papier, qu’il a dans sa poche, et dont son esprit aperçoit sans cesse la dimension, la forme et la couleur, de ne pas dire ni à tel et tel, qu’elle nomme, ni à personne, qu’elle lui a envoyé cinq louis d’or, qu’il a tenus entre ses doigts et qu’il a fait rouler un peu vite : tout cela forme un ensemble unique et compact d’idées et d’images. Comment le comparer à cet autre ensemble également unique et compact, que forme l’arrestation, l’interrogatoire, le juge sévère, le gendarme imposant, les visages indignés, les paroles menaçantes ?

329. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

La gazelle et la casside étaient ses formes favorites. […] L’une de ses formes, c’est le chant funèbre et la perte d’un guerrier. […] Il y a plusieurs pièces dans cette forme singulière. […] Tout à coup ils abondent, et se multiplient sous toutes les formes. […] L’histoire y paraît déjà politique, sous des formes très naïves.

330. (1895) Hommes et livres

Elle eût été plus nationale et plus populaire, sinon d’esprit, au moins de forme. […] Ici, forme et fond, pensée et langue, tout est à lui. […] Rigal, les causes réelles qui ont imposé à notre tragédie sa forme originale. […] Il marque la prose comme la forme naturelle et convenable de la comédie vraie. […] À vrai dire, il n’y a que Figaro qui compte à cet égard ; et là même tout est dans la forme et non dans la pensée ; mais cette fois la forme emportait le fond.

331. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

En traversant la matière, la conscience prit cette fois, comme dans un moule, la forme de l’intelligence fabricatrice. […] Des autres formes du génie on en dirait d’ailleurs autant : toutes sont également rares. […] Laissons de côté, pour le moment, leur christianisme, et considérons chez eux la forme sans la matière. […] Il y a des exceptions cependant, et le cas de Jeanne d’Arc suffirait à montrer que la forme est séparable de la matière. […] S’il avait des visions, elles lui présentaient en images ce que sa religion lui avait inculqué sous forme d’idées.

332. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Et quel gouvernement, quelle forme politique laissera librement ses adversaires organiser des complots contre elle et chercher à la renverser ? […] Les nouveaux facteurs que l’on étudierait sont des formes ou des produits de l’instinct social, de l’âme sociale telle que je l’ai comprise ici. […] C’est lorsqu’il s’oppose, sous quelque forme abstraite, à un instinct égoïste qui nous pousse à un acte trop personnel. […] C’est une des formes abstraites et générales de l’action de l’instinct social. Il s’en faut qu’il existe toujours sous cette forme.

333. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Une lumière magique caresse et moule les formes luxuriantes de son corps de neige. […] Mais le magicien lui montre en perspective une victime attrayante sous forme d’un jeune homme vierge. […] De même que Wagner est en progrès sur ses contemporains, il dépasse et renouvelle la forme artistique qui représente le dernier développement du génie grec. […] Nous ne pouvons concevoir que dans des formes déterminées : nous ne connaissons donc que les phénomènes, jamais les choses, ou plutôt (puisque nous devons faire abstraction de toute forme donnée de perception, donc, aussi, abstraction de la pluralité), la Chose. […] Buddha, l’Hindou qui se jette sous les roues du char sacré, saint François, Eckhart, le trappiste Rancé nous montrent, sous les formes les plus diverses, la Négation de la Volonté.

334. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Mais en même temps l’auteur, sur quelques détails de forme, affectait de se séparer : par exemple, il appelait roman ce volume qui n’était qu’un recueil de pièces détachées ; il intitulait dix vers alexandrins chanson. […] Marie enfin, dans sa troisième forme, n’a plus qu’à rester comme cela, sans une épingle de plus ni de moins, et à vivre. […] Il ne s’est pas contenté de saisir cet aperçu à l’état moral, il l’a voulu suivre sous forme théologique : il a chanté le sacré triangle, c’est trop. […] Dans le rhythme, il a introduit une forme de tercet, à lui particulière, afin qu’il y eût, jusqu’au courant du flot, une réverbération et un reflet du chiffre mystérieux. […] La forme du tercet, tel qu’il l’a pratiqué dans le Livre des Conseils, s’adapte très-bien d’ailleurs à la poésie gnomique, et il a eu le soin encore d’y trouver une autorité locale dans quelque forme analogue des anciens bardes.

335. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Il faut donc que le lecteur veuille bien examiner et vérifier lui-même les théories présentées ici sur les illusions naturelles de la conscience, sur les signes et la substitution, sur les images et leurs réducteurs, sur les sensations totales et élémentaires, sur les formes rudimentaires de la sensation, sur l’échelonnement des centres sensitifs, sur les lobes cérébraux considérés comme répétiteurs et multiplicateurs, sur le mécanisme cérébral de la persistance, de l’association et de la réviviscence des images, sur la sensation et le mouvement moléculaire des cellules considérés comme un seul événement à double aspect, sur les facultés, les forces et les substances considérées comme des illusions métaphysiques2, sur le mécanisme général de la connaissance, sur la perception extérieure envisagée comme une hallucination véridique, sur la mémoire envisagée comme une illusion véridique, sur la conscience envisagée comme le second moment d’une illusion réprimée, sur la manière dont se forme la notion du moi, sur la construction et l’emploi des cadres préalables, sur la nature et la valeur des axiomes, sur les caractères et la position de l’intermédiaire explicatif, sur la valeur et la portée de l’axiome de raison explicative. — En de pareils sujets, une théorie, surtout lorsqu’elle est fort éloignée des doctrines régnantes, ne devient claire que par des exemples ; je les ai donnés nombreux et détaillés ; que le lecteur prenne la peine de les peser un à un ; peut-être alors ce qu’au premier regard il trouvait obscur et paradoxal lui semblera clair ou même prouvé. […] Ainsi les événements physiques ne sont qu’une forme rudimentaire des événements moraux, et nous arrivons à concevoir le corps sur le modèle de l’esprit. […] Une infinité de fusées, toutes de même espèce, qui, à divers degrés de complication et de hauteur, s’élancent et redescendent incessamment et éternellement dans la noirceur du vide, voilà les êtres physiques et moraux ; chacun d’eux n’est qu’une ligne d’événements dont rien ne dure que la forme, et l’on peut se représenter la nature comme une grande aurore boréale. […] Par l’abstraction et le langage, nous isolons des formes persistantes, des lois fixes, c’est-à-dire des couples d’universaux soudés deux à deux, non par accident, mais par nature, et qui, en vertu de leur liaison stable, résument une multitude indéfinie de rencontres. […] Plus précisément encore, si l’on considère la force en général et dans ses deux états, le premier dans lequel elle est en exercice et se dépense, par exemple lorsqu’elle fait remonter une masse pesante, le second dans lequel elle reste disponible et ne se dépense pas, par exemple lorsque la masse pesante est immobile au terme de sa course, on découvre que toutes les diminutions ou tous les accroissements que la force reçoit sous l’une de ces deux formes sont exactement compensés par les accroissements ou par les diminutions qu’elle reçoit en même temps sous l’autre forme, partant que la somme de la force disponible et de la force en exercice, en d’autres termes, l’énergie, comme on l’appelle aujourd’hui, est dans la nature une quantité constante.

336. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1823 »

Il a adopté, pour consacrer ces événements, la forme de l’Ode, parce que c’était sous cette forme que les inspirations des premiers poëtes apparaissaient jadis aux premiers peuples. […] L’auteur de ce recueil, en réfléchissant sur cet obstacle, a cru découvrir que cette froideur n’était point dans l’essence de l’Ode, mais seulement dans la forme que lui ont jusqu’ici donnée les poètes lyriques.

337. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

C’est à lui, en effet, qu’il faut faire honneur d’avoir su le premier présenter la morale sous la forme d’un genre ou d’un art. […] La première édition forme à peine le quart de la dernière, qui est l’édition usuelle. […] Ainsi, pour La Bruyère, moraliste et peintre de portraits, cette variété, cette finesse, cette originalité des formes, dont parle Suard, seront, si je puis parler ainsi, les qualités du genre. […] La matière fournit d’elle-même ses formes et ses couleurs à l’écrivain qui y est propre. […] Au reste, ces défauts de La Bruyère sont inhérents à la forme même de son ouvrage.

338. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Les phénomènes lumineux, caloriques, électriques, tout aussi bien que les actions nerveuses, sont produits par des corps qui vibrent. « Les objets extérieurs, par leurs impressions sur nos sens, causent d’abord dans les nerfs, ensuite dans le cerveau, des vibrations de parties médullaires16 très petites et, pour ainsi dire, infinitésimales. » Ces vibrations « consistent en ondulations de particules très ténues, analogues aux oscillations du pendule ou aux tremblements des molécules d’un corps sonore. » C’est donc sous la forme purement mécanique d’une ondulation que les impressions cheminent le long des nerfs. […] Les formes les plus complexes sortent de ces données toutes simples en vertu d’une association formulée dans les deux propositions suivantes : Lorsque des vibrations A, B, C, etc., ont été associées un nombre de fois suffisant, elles se lient aux vibrationcules correspondantes a, b, c, etc., de telle façon qu’une vibration A toute seule suscitera b, c, etc., formant le reste de la série. […] Ainsi se forme cet état mental que nous appelons volonté et qui est en réalité « une somme de vibrationcules composées. » Si l’on chatouille la main d’un enfant, il réagit, sans pouvoir rien de plus, puis après un certain nombre d’essais infructueux, il devient maître de ses mouvements ; l’automatisme se transforme en volonté. […] Les successeurs de Hartley, dont nous allons parler, ont repris cette embryologie physiologique, sous une forme tellement supérieure à la sienne, qu’il serait oiseux de nous y attarder.

339. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1826 »

Comparez un moment au jardin royal de Versailles, bien nivelé, bien taillé, bien nettoyé, bien ratissé, bien sablé, tout plein de petites cascades, de petits bassins, de petits bosquets, de tritons de bronze folâtrant en cérémonie sur des océans pompés à grands frais dans la Seine, de faunes de marbre courtisant les dryades allégoriquement renfermées dans une multitude d’ifs coniques, de lauriers cylindriques, d’orangers sphériques, de myrtes elliptiques, et d’autres arbres dont la forme naturelle, trop triviale sans doute, a été gracieusement corrigée par la serpette du jardinier ; comparez ce jardin si vanté à une forêt primitive du Nouveau-Monde, avec ses arbres géants, ses hautes herbes, sa végétation profonde, ses mille oiseaux de mille couleurs, ses larges avenues où l’ombre et la lumière ne se jouent que sur de la verdure, ses sauvages harmonies, ses grands fleuves qui charrient des îles de fleurs, ses immenses cataractes qui balancent des arcs-en-ciel ! […] Là, des eaux captives ou détournées de leur cours, ne jaillissant que pour croupir ; des dieux pétrifiés ; des arbres transplantés de leur sol natal, arrachés de leur climat, privés même de leur forme, de leurs fruits, et forcés de subir les grotesques caprices de la serpe et du cordeau ; partout enfin l’ordre naturel contrarié, interverti, bouleversé, détruit. […] La régularité ne s’attache qu’à la forme extérieure ; l’ordre résulte du fond même des choses, de la disposition intelligente des éléments intimes d’un sujet. […] Il existe certaines eaux qui, si vous y plongez une fleur, un fruit, un oiseau, ne vous les rendent, au bout de quelque temps, que revêtus d’une épaisse croûte de pierre, sous laquelle on devine encore, il est vrai, leur forme primitive, mais le parfum, la saveur, la vie, ont disparu.

340. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Nous ne pouvons nullement, ni dire quelle est la forme la plus haute que l’humanité puisse atteindre et en préciser les lois et les conditions, ni, bien moins encore, savoir quelle est la plus haute forme de l’existence, dont nous pouvons seulement affirmer qu’elle est imparfaite. […] Encore la voyons-nous ici sous sa forme la plus haute. […] Tout en acceptant de celui-ci les formes de la morale, le devoir et l’obligation, il s’est arrangé pour les remplir à sa fantaisie. […] Nous ne pouvons guère appliquer d’avance nos théories à ces formes sociales nouvelles, inusitées et inconnues. […] Si j’ai indiqué quelques-uns des mensonges et des illusions de la morale actuelle, je ne puis laisser croire qu’aucune forme d’idéal social en puisse être exempte.

341. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

Albert Giraud Le meilleur poète français de la Wallonie, le seul qui eût exprimé dans une forme classique la sensibilité de sa race et l’âme de son pays. […] Cet écrivain s’est révélé maître de sa forme dans son livre de début : Le Lis. […] L’auteur du Don d’enfance a le sens délicat de l’idylle et de l’églogue ; sa forme, d’une pureté limpide, s’harmonise étroitement avec ces genres virgiliens, et il sait en tirer de mélodieuses gammes claires.

342. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

C’était la volonté sous forme d’idée fixe. […] On persuade à une hypnotisée qu’on lui a mis un sinapisme ayant la forme d’une S ou celle d’une étoile ; on lui applique sur la peau un papier ordinaire, et le résultat final est une rougeur en forme d’S ou d’étoile. C’est donc bien ici une idée qui s’est réalisée, une forme de rougeur représentée qui est devenue une rougeur réelle. […] Au-dessus des images particulières, une sorte d’image générale se forme, but de toutes les autres, centre de leur commune orientation. […] En réalité, ce sont des mémoires alternantes, qui tendent chacune à prendre la forme d’une personnalité particulière.

343. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Il faudrait savoir d’abord si la première de ces sensibilités ne suppose pas la seconde, et à un degré éminent, et n’en est pas la forme supérieure et l’expression souveraine. […] C’est peut-être vrai si l’on considère l’effet produit sur certains auditeurs et si l’on fait abstraction de la forme ; mais ici justement la forme est tout, presque tout, et l’on ne saurait baptiser « romantiques » les œuvres de nos classiques qui peuvent prêter à ces remarques ; car ni le degré inférieur du tragique n’équivaut au comique, ni le degré supérieur du comique n’équivaut au tragique. […] Deschanel, et même ne l’est pas du tout, c’est que, dans une page fort intéressante, il essaye d’imaginer ce que deviendrait le même sujet traité dans la forme romantique : on assisterait aux expériences de Locuste, au banquet où Britannicus est empoisonné. […] Ainsi, tandis qu’ailleurs il voit dans le romantisme l’originalité suprême et l’exalte à ce titre, il le prend ici pour une des formes du théâtre au XIXe siècle et n’en fait pas grand état. […] On y sent sous la forme élégante la violence des passions irrésistibles.

344. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Est-ce parce que leur forme est supérieure à celle de nos poètes et de nos romanciers ? […] L’espèce de volupté que nous cause la forme chez nos grands artistes, il est certain que ni Eliot, ni Tolstoï, ni Ibsen, ne nous la procureront jamais. […] Il est évident que, dans ces moments-là, le fond chez eux ne se distingue plus de la forme : je sens, même dans la traduction, que tous les mots sont nécessaires, qu’on ne pouvait en employer d’autres. […] Les jeunes gens sont moins sensibles à la belle forme latine, moins choqués de l’absence de cette forme chez les étrangers. […] Chaque peuple leur impose sa forme, et chacune de ces formes semble successivement la plus originale et la meilleure.

345. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Nous ne pouvons énumérer et préciser ses éléments comme lorsqu’il s’agit de deux espèces minérales ou végétales ; nous n’avons pas ici d’éléments comparables, capables de s’additionner ou de s’orienter les uns par rapport aux autres, comme la grandeur, la forme, la position, le nombre ; les qualités mathématiques et géométriques, qui servent de fondement aux sciences physiques, nous manquent. — Et, d’autre part, les points de vue d’après lesquels on construit les sciences morales nous manquent aussi. […] Nous pouvons montrer comment avec elles nous formons les images, les représentations, les idées générales, comment avec elles nous formons les notions de grandeur, de position, de forme, de nombre ; mais, de quoi elles-mêmes elles se forment, nous ne le savons pas. […] Tout au plus trouverai-je peut-être quelque loi qui relie l’accroissement de l’amertume au développement de telle forme du mouvement moléculaire, pareille à la loi qui fait croître l’acuité des sons avec le nombre des vibrations transmises au nerf auditif. […] Dans le bruit qui précède le son musical74, elle est unie avec des sensations élémentaires de durée inégale et forme avec elles un composé hétérogène. Dans le son musical qui naît des bruits accélérés et rapprochés, elle s’unit avec des sensations élémentaires de durée égale à la sienne, et forme avec elles un composé homogène.

346. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Néanmoins nous avons à tenir compte de ce que Boileau fut en effet cartésien, comme son Arrêt burlesque suffit à le montrer, et son cartésianisme, manifestement, n’a pas été étranger à la forme définitive qu’il a donnée à la doctrine classique. […] L’une, c’est le naturalisme, et l’autre, son idée de la forme artistique. […] Supprimer la forme dans l’éloquence et dans la poésie, c’était hardi pour un homme qui prétendait se connaître aux arts. Non moins habilement, Perrault choisit la forme du dialogue : c’est la plus commode, quand il faut plaire à un public léger ; elle a de plus cet avantage, qu’elle permet à l’auteur aussi d’être léger et superficiel, et que le décousu, le paradoxe, l’affirmation téméraire et sans preuves, tout ce qui invaliderait une exposition dogmatique, se tourne ici facilement en grâces. […] Il fit parler spirituellement et même raisonnablement son abbé sur la technique des beaux-arts ; il y distingua des beautés universelles et des beautés relatives ; il fit voir que les formes, le style et le goût sont choses infiniment variables, qui enveloppent et déguisent certaines conditions générales et permanentes.

347. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

La forme la plus achevée de la doctrine qui explique les sentiments par des phénomènes intellectuels est celle de Herbart. […] D’ailleurs, ce n’est pas la douleur du froid de l’acier ou de sa forme tranchante que nous sentons ; c’est la douleur de la blessure ou plutôt des ébranlements produits par la blessure de proche en proche. […] C’est aussi en ce sens qu’on peut dire que tout sentiment de plaisir ou de peine enveloppe des idées ; ces idées lui donnent une forme et une direction ; à son tour il leur donne une force de réalisation. […] Or, nous avons vu que le plaisir et la douleur distincts sont liés à la désintégration de la substance nerveuse ; ils présupposent donc une intégration et organisation antérieure qui, par cela même qu’elle existe, impose d’avance au mouvement certaines formes déterminées, et à la sensibilité des formes corrélatives. […] Ajoutons que la peine et le plaisir apparaissent sous des formes de plus en plus nettes chez les animaux, à mesure que leur organisation même se perfectionne.

348. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Peut-être avec de nouvelles connaissances acquises, d’autres secours, le choix d’une forme originale, réussirais-je à conserver le charme de l’intérêt à une matière usée : mais je n’ai rien acquis ; j’ai perdu Falconnet, et la forme originale dépend d’un moment qui n’est pas venu. […] Ce type, cette vérité existait, suivant lui, dans l’entendement de Dieu, et les (…), les formes, ce que notre philosophe appelle la chose individuelle, étaient autant d’émanations de ces premiers types, de ces vérités existantes dans l’entendement de Dieu. […] Ne convenez-vous pas encore que les parties molles intérieures de l’animal, les premières dévelopées, disposent de la forme des parties dures ? […] Entre la beauté d’une forme et sa difformité, il n’y a que l’épaisseur d’un cheveux ; comment avoient-ils acquis ce tact, qu’il faut avoir avant que de rechercher les formes les plus belles éparses, pour en composer un tout. […] Et quand ils eurent rencontré ces formes, par quel moyen incompréhensible les réunirent-ils ?

349. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Il y a lieu de les distinguer de ceux qui ne prennent cette forme qu’accidentellement et en vue d’un but à réaliser. […] Ce sont donc en réalité des guinné sous forme animale et non des animaux ayant la puissance surnaturelle des guinné. […] — L’aspect véritable des guinné n’est pas connu et ne saurait l’être car — disent les Peulh — ils prennent toutes les formes qu’il leur plaît. […] Quant à sa couleur, elle est infiniment variable ainsi que les formes qu’il prend. […] Lorsqu’ils se sont dépouillés de leur peau pour aller rôder dans la nuit sous une autre forme que leur forme naturelle, il faut saupoudrer la face interne de cette peau soit avec du sel soit avec du piment.

350. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Ce livre intérieur Baudelaire l’écrit sous la forme de poèmes, Fromentin sous la forme d’un roman, Amiel sous la forme du Journal. […] Il est bon que la critique la voie et la pense parfois sous cette forme, sous cette figure de société. […] Cette ville, comme l’âme du poète, elle est une durée, une forme invétérée de la vie, une mémoire. […] « Il y a des formes pour l’esprit, comme il y a des formes pour les yeux ; la langue qui parle aux yeux n’est pas celle qui parle à l’esprit. […] Mais le métier de peintre figure ici une matière tandis que le métier d’écrivain figure une forme.

351. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Les formes que nous aurons fondées exposeront d’immortels modèles. […] Platon vantait la gymnastique comme l’art des formes par excellence. […] L’exactitude des cadences, la justesse des expressions, l’ordre et la noblesse des rapports, l’inflexible innocence des lignes, la riche vitalité des formes sont les résultats, en art, de l’obéissance aux principes du monde. […] Ainsi, le noble éclat des formes, le groupement des strophes et des sons, la rectitude et la netteté de l’harmonie, tout dépend d’une constante et efficace étude. […] Il nous faut agir sur nous-mêmes, comme le sculpteur sur le marbre, réparer nos formes spirituelles, tailler bloc par bloc notre intime statue.

352. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

, pouvait subsister et respirer tout aussi bien sous une forme didactique ou logique que sous la forme d’un roman, d’un poème ou d’un drame. […] Ouvrez au hasard ce charmant petit livre, à l’encre rouge, et voyez si à toute page vous ne trouvez pas cet amour sensuel de la forme, cette exagération violente du pittoresque, ce mépris du bourgeois qui appartient à Gautier comme le mépris du philistin appartient à Heine, ce mutisme religieux, cette sombre et voluptueuse étreinte des choses finies, cette conception brute et blême de l’amour sans idéal et de la mort sans immortalité, et enfin, pour parachever le tout, l’éternelle assomption des Clorindes du bal Mabille et de la Maison-d’Or, qui meurent, dit le poète (dans Les Vignes du Seigneur) : L’estomac ruiné de champagne Et le cœur abîmé d’amour ! […] Grâce à Walter Scott, grâce à notre illustre et glorieux Balzac, le roman, cette épopée des vieilles civilisations, a tellement varié et élevé ses formes au xixe  siècle, que les procédés du xviiie nous paraissent effroyablement surannés et presque toujours inférieurs. […] Monsieur de Cupidon — comme dit la vieille petite nudité de ce nom — est, on s’en doute bien, cet Amour que le xviiie  siècle avait conçu et réalisé, dont la monographie est depuis longtemps trop connue pour que nous la recommencions, et qui, revenu après sa mort sous la forme d’un dandy moderne, traverse le monde et retrouve tous les personnages de sa vie antérieure, affublés comme lui de formes nouvelles : Voici monsieur Dubois plaisamment fagoté !

353. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Il a trouvé sa forme, qu’il n’emprunte à personne, dans ce genre sobre et fin de la notice littéraire. […] Il s’est voué au sonnet, cette forme difficile, que Boileau avait presque interdite à force de l’exalter, et il y excelle. […] Avec art maintenant dessinons sous ces plis La forme bondissante et les contours polis. […] Je me flatte d’être le premier, chez nous, qui ait renouvelé l’exemple du sonnet en 1828 ; mais je n’en ai jamais fait que de temps à autre, par-ci par-là, et en entremêlant cette forme aux autres rythmes plus modernes. […] M. de Belloy est aussi un poëte de l’art ; il ne prodigue pas ses impressions et ses émotions, il ne les exhale pas au hasard ; il les enferme dans une forme exacte et pure.

354. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

L’antinomie juridique Le droit est en corrélation étroite avec les formes économiques et politiques. […] Mais serait-elle injuste et entachée et contaminée d’ignorance et d’iniquité (ce qu’à Dieu ne plaise), il te conviendrait encore de l’approuver… Car une sentence injuste, quand elle est prononcée dans les formes de la justice, participe de la vertu de ces formes et demeure par elles auguste, efficace, et de grande vertu. […] Prise isolément, la loi du divorce est une loi émancipatrice de l’individu ; mais elle forme bloc en réalité avec l’ensemble des dispositions légales qui constituent une contrainte plus générale : le mariage civil. […] La revendication individualiste qui se dresse contre les contraintes légales peut revêtir deux formes : Il y a un individualisme négatif, individualisme à la Stirner ; individualisme de la révolte pure et simple, de la pure désobéissance aux lois.

355. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Hugo n’avait vu que la forme : le grotesque et l’horrible. […] Ils restreignaient l’Art à n’être guère que l’Expression et pour plus d’un il ne s’est agi que de la forme pour la forme. […] Je ne crois pas qu’il ignore les destinées de l’Art : il sait toute la Forme et la Forme, qui sait tout, a dû les lui dire. […] gros de forme et grêle de fond, mais mystique ! […] Son mal est, par excellence, la forme élégante de l’Ennui.

356. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Gardons-nous des apparences et défions-nous des catégories où, d’après leur forme, on enferme les œuvres de l’art. […] Les formes du buste lui parurent plus pleines, mais encore d’une minceur élancée. […] Je reviens à cette forme particulière de la lutte pour la vie qu’est un livre imprimé. […] De toutes les formes de pensée, la forme religieuse est la plus incommunicable, celle qui exige le plus de don pour être entendue dans son sens intime, et quand le jeune homme exalte devant sa bien-aimée les délices de la communion en Dieu, comment toucherait-il de son idéal supra-terrestre une âme dont les appétitions se restreignent toutes à la terre. […] comme elle en dut rabattre, celle qui, dans l’horreur du présent, poursuit les images du passé, et tente de les fixer sous la forme harmonieuse du rythme !

357. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. L’Angleterre en 1688 et la France en 1830 »

Et d’abord, bien que l’esprit des deux Révolutions ait été le même au fond, et que les Parlements de Charles Ier, comme l’Assemblée nationale, aient voulu la liberté, cette liberté, de part et d’autre, s’est attaquée à des points divers et a revêtu des formes toutes différentes. En Angleterre, c’est presque exclusivement sous la forme religieuse qu’elle s’est montrée, et, en France, c’est sous la forme politique pure. […] En Angleterre, les partis politiques qui avaient conservé leurs formes religieuses même sous la Restauration, et qui s’étaient successivement brouillés ou réunis, selon leurs intérêts, finirent par s’entendre, en haine du papisme qui les opprimait, et la Révolution de 1688 aboutit au triomphe complet de l’anglicanisme, à la tolérance pour les non-conformistes protestants, à la proscription contre les catholiques.

358. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

Voilà la forme idéale de la loi physique ; eh bien, c’est la loi de Newton qui l’a revêtue la première. Si ensuite on a acclimaté cette forme en physique, c’est précisément en copiant autant que possible cette loi de Newton, c’est en imitant la Mécanique Céleste. […] Plus ils sont généraux, en effet, plus on a fréquemment l’occasion de les contrôler et les vérifications, en se multipliant, en prenant les formes les plus variées et les plus inattendues, finissent par ne plus laisser de place au doute. […] L’hypothèse des forces centrales contenait tous les principes ; elle les entraînait comme des conséquences nécessaires ; elle entraînait et la conservation de l’énergie, et celle des masses, et l’égalité de l’action et de la réaction, et la loi de moindre action, qui apparaissaient, il est vrai, non comme des vérités expérimentales, mais comme des théorèmes ; et dont l’énoncé avait en même temps je ne sais quoi de plus précis et de moins général que sous leur forme actuelle.

359. (1915) La philosophie française « II »

Le trait qui frappe d’abord, quand on parcourt un de leurs livres, est la simplicité de la forme. […] Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord. […] Par là même, elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un système. […] Mais, si la philosophie française a pu se revivifier indéfiniment ainsi en utilisant toutes les manifestations de l’esprit français, n’est-ce pas parce que ces manifestations tendaient elles-mêmes à prendre la forme philosophique ?

360. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

Tel est précisément le cas de la critique ; et nous essaierions en vain de nous dissimuler qu’elle n’a d’abord été qu’une forme de l’envie littéraire ! […] Mais quant à la forme, aucun livre n’est beau, dans sa sévérité monumentale, d’une beauté moins « esthétique », pour ainsi dire, ou plus logique que le sien. […] Ils éprouvent en même temps le besoin d’égaler à la perfection de la forme, qu’ils croient avoir atteinte [Cf.  […] Montaigne va nous le dire : c’est « que tout homme porte en soi la forme de l’humaine condition ». […] Et enfin cette littérature ne pourra manquer d’attacher une grande importance aux agréments de la forme, en premier lieu parce qu’il faudra qu’elle plaise pour persuader ; en second lieu, parce que la forme seule est capable de sauver les généralités du « lieu commun », qui en est l’écueil ; et en troisième lieu, parce qu’elle a déjà refait sa « Poétique » et sa « Rhétorique » sur le modèle du latin.

361. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Tous les personnages qui l’entourent, se meuvent selon cette carrière, en courbes particulières ; conduits par le temps, soumis à la dure pression des faits, déformant peu à peu chaque forme de leur être, sans fixité, une pure fuite, qui ne vit que parce qu’il cesse à tout instant d’être lui-même. […] Ce contenu essentiel détermine les caractères de sa forme. […] Sur la foule de nos frères et de nos ennemis, Tolstoï a attaché le regard limpide et tranquille le plus aigûment pénétrant qu’ils aient souffert, et y portant ses larges et calmes mains, il a jeté dans son œuvre le groupe d’êtres d’âmes et de chairs dont elles étaient pleines, un morceau de création soustrait en sa forme mentale à la ruine du transitoire, tel quel, moite encore de la vie surprise, mou, ductile, coloré et bruissant ; tendrement saisie, conservée toute comme le commandait son prix, et laissée emmêlée comme le commandait sa mollesse, cette pêche miraculeuse d’êtres vivants a déterminé la beauté même et la forme de l’œuvre dans laquelle expire leur souple animation. […] Cessant graduellement d’être comme le voyant, le miroir, l’intelligence de toutes les formes de l’âme humaine, se réduisant à n’en concevoir qu’une, la sienne propre, comme exemplaire, manifestant ce prosélytisme par des indications, des insistances, des exclusions arbitraires, puis par des opinions expresses. […] Encore une fois, et pour un des grands hommes de ce temps, la sensibilité, cette forme primaire de la relation entre les choses et nous, l’avait emporté sur la forme seconde de la connaissance, l’intelligence, et en avait suspendu l’exercice.

362. (1886) Le naturalisme

Ce genre favori de notre siècle se substitue aux autres, adopte toutes les formes, se plie à tous les besoins intellectuels, justifie son titre d’épopée moderne. […] Ses formes ne sont pas belles, ni sa démarche agile. […] Cette famille est atteinte dans son tronc même par la névrose, et la lésion se communique à toutes les branches de l’arbre, en adoptant différentes formes. […] Ainsi le meilleur titre de gloire de Valera sera la forme, cette forme plus admirable isolée, que rattachée aux sujets de quelques-uns de ses romans. […] Fixons un délai de six mois pour tracer le plan, mûrir, écrire et limer un roman, soigné dans la forme et médité dans le fond.

363. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Le poison américain nous parvient en Europe sous ces trois formes. […] Ainsi dire que l’amour fait palpiter le cœur n’est pas seulement une forme poétique ; c’est aussi une réalité physiologique. […] L’emblème antique représenté par un serpent qui forme un cercle en se mordant la queue donne une image assez juste de la vie. […] Les éléments anatomiques qui le composent sont des éléments nerveux sous la forme de tubes et de cellules combinés et unis entre eux. […] Tantôt la synthèse assimile la substance ambiante pour en faire des principes nutritifs, tantôt elle en forme directement les éléments des tissus.

364. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

ils refusent la damnation sous la forme d’apoplexie et de mort subite ! […] Vos anathèmes, je le sais, ne tombent après tout que sur la forme qu’a revêtue la musique moderne, forme que vous condamnez en la flétrissant des noms de profane et de diabolique ; mais même sous cette forme, que, moins sévère, je me contente d’appeler mondaine, elle n’a pas démérité de son antique origine, et elle accomplit encore, mieux que jamais peut-être, sa divine mission. […] Plutôt que de périr, il prendra les formes odieuses du duel et de la guerre civile. […] Est-ce dans le fait psychologique du remords, ou dans la forme que prend ce fait ? […] Est-ce l’idée de destinée en elle-même ou la forme qu’elle revêt ?

365. (1888) Poètes et romanciers

Elles l’expriment sous sa forme la plus complète et la plus achevée. […] J’appelle procédé toute recherche excessive ou singulière de la forme. […] Le poids prit une forme, et la matière fut. […] Elle a l’égalité pour principe, et la démocratie pour forme. […] La poésie doit croire à quelque chose, ou bien, si elle doute, il faut que ce soit sous la forme de la passion, non sous la forme d’un dilemme.

366. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bonnières, Robert de (1850-1905) »

Lui-même ne considère-t-il pas un peu comme des distractions et des haltes légères les histoires d’amour où il s’est un instant complu et les jolis Contes dorés d’où nous tirons des vers d’une forme si précise et d’une fermeté d’acier. […] Les devinettes de M. de Bonnières sont très ingénieuses et fraîches dans leur forme jadis. […] Robert de Bonnières use plutôt de la forme narrative que de la lyrique.

367. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Préface »

Ce sont en effet tous les grands problèmes de notre siècle que nous avons été amenés à traiter successivement sous forme d’examen critique. […] Tandis que le torrent des publicistes vulgaires ne voyait dans la démocratie que l’anarchie, qui ne peut jamais durer longtemps, Tocqueville y voyait une forme nouvelle de despotisme. […] En un mot, sous des formes très-diverses, nous avons presque partout rencontré le même problème : comment l’esprit de critique et d’examen, l’esprit de nouveauté et de changement peut-il se concilier avec les principes de l’éternelle vérité ?

368. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Jamais, je crois, la bonté ne s’est produite sous une forme plus intelligente. […] Si M. de Lamartine, pour continuer ses Confidences, a changé la forme du récit, c’est qu’il espérait sans doute trouver dans cette forme nouvelle une plus grande liberté. […] La nature de la pensée n’étant pas la même, comment la forme serait-elle pareille ? […] Pourquoi la forme ne s’est-elle pas épurée en même temps que la pensée s’agrandissait ? […] L’avilissement n’est, chez lui, qu’une nouvelle forme de l’orgueil.

369. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

On a souvent répété oiseusement que toutes nos races de Chiens ont été produites par le croisement de quelques formes originales ; mais par le croisement on peut obtenir seulement des formes, en quelque degré intermédiaires entre leurs parents ; et, si nous avons recours à un pareil procédé pour expliquer l’origine de nos diverses races domestiques, il faut admettre alors l’existence préalable des formes les plus extrêmes, telles que le Lévrier italien, le Limier, le Bouledogue, etc., à l’état sauvage. […] La forme et les proportions de la mâchoire inférieure varient d’une manière très remarquable. […] La largeur et la forme des ouvertures du sternum sont très variables, de même que l’angle et la longueur des deux branches de la fourchette. […] La forme et la grandeur des œufs sont aussi variables. […] combien les fruits des différentes espèces de Groseilliers sont variés en grosseur, en couleur, en forme, en villosité !

/ 3038