Alors il y aura de nouveau des Orphées et des Trismégiste, non plus pour chanter à des peuples enfants leurs rêves ingénieux, mais pour enseigner à l’humanité devenue sage les merveilles de la réalité.
Mais transportez sur le théâtre cette physiologie crue et saignante, animez-la du mouvement de la scène, de la réalité des acteurs ; multipliez son impression par la diversité des mille spectateurs qui s’en remplissent l’esprit et les yeux ; servez, pêle-mêle, les fruits de l’Arbre du bien et du mal à cette foule souvent incapable de les discerner : qui peut affirmer la moralité d’un pareil spectacle ?
Des poètes, des romanciers en ont tiré des sujets ; mais ni le roman de Walter Scott, ni la chanson de Béranger, ne rendent la réalité dans toute sa justesse, et avec la parfaite mesure qu’elle nous offre sous cette plume de Commynes, curieuse, attentive, fidèle, et si étrangère à un but littéraire, à un effet dramatique.
La manière dont elle conçut et dirigea, dès le premier jour, l’éducation des enfants d’Orléans, est extrêmement remarquable, et dénote chez l’institutrice un sens de la réalité plus pratique que ses livres seuls ne sembleraient l’indiquer.
Elle le mit aux prises avec la réalité tout entière ; il y garda ses qualités pures, claires, limpides ; il y développa l’expression d’une probité plus mâle, et, dans cet ouvrage final et si longtemps médité, il put donner enfin toute sa mesure.
Un jeune homme de dix-neuf ans, qui, passant par Florence, y aurait rencontré l’harmonieux poète, et aurait brûlé de l’interroger sur la réalité de ces tendres sentiments, si voilés de mysticité et de mélodie, peut nous donner quelque idée de ce qu’était Patru dans son pèlerinage auprès de d’Urfé : Lorsqu’en mon voyage d’Italie, raconte-t-il, je passai par le Piémont, je vis l’illustre d’Urfé, et je le vis avec tant de joie qu’encore aujourd’hui je ne puis penser sans plaisir à des heures si heureuses.
Il croit à la réalité suffisante des impressions des sens et à la justesse des notions qui en dérivent.
Il ne dit pas seulement cela du type de beauté à la mode, mais de la réalité même.
C’est là que, dans les loisirs d’une vie toute pieuse, toute studieuse, et où les plus nobles amitiés avaient leur part, il composa les deux premiers volumes de l’ouvrage intitulé Esquisse de Rome chrétienne, destiné à faire comprendre à toutes les âmes élevées le sens et l’idée de la Ville éternelle : « La pensée fondamentale de ce livre, dit-il, est de recueillir dans les réalités visibles de Rome chrétienne l’empreinte et, pour ainsi dire, le portrait de son essence spirituelle. » Interprète excellent dans cette voie qu’il s’est choisie, il se met à considérer les monuments, non avec la science sèche de l’antiquaire moderne, non avec l’enthousiasme naïf d’un fidèle du Moyen Âge, mais avec une admiration réfléchie, qui unit la philosophie et la piété : L’étude de Rome dans Rome, dit-il encore, fait pénétrer jusqu’aux sources vives du christianisme.
Je ferai remarquer encore qu’il y a sous l’idéal de Bernardin de Saint-Pierre un arrière-fond de réalité, comme il convient à un homme qui a beaucoup vécu de la vie pauvre et naturelle.
Permettez-moi seulement de défendre contre vous le répertoire comique que vous invoquez ici un peu à contre-sens, car c’est justement dans les tableaux qu’Arsinoé n’aime pas les nudités, Elle fait des tableaux couvrir les nudités, Mais elle a de l’amour pour les réalités.
Moreau (de Tours) a pris l’apparence pour la réalité, l’accident pour la substance, les symptômes plus ou moins variables pour le fond et pour l’essence.
En outre, les choses ne se développent jamais dans la réalité telles que la spéculation pure les a conçues à priori.
un amour et une recherche de l’idéal, poursuivi jusque dans ces réalités pathétiques qui se vantent maintenant de pouvoir se passer d’idéal !
« C’étaient des journées, des nuits entières de méditations dans ma chambre ; c’était une concentration d’attention si exclusive et si prolongée sur les faits intérieurs, où je cherchais, la solution des questions, que je perdais tout sentiment des choses du dehors, et que, quand j’y rentrais pour boire et manger, il me semblait que je sortais du monde des réalités et passais dans celui des illusions et des fantômes. » Personne n’est plus capable de passion que les hommes intérieurs ; on l’a bien vu chez les puritains d’Angleterre.
Aussi bien le roi n’était-il plus lui-même alors, et devait-il vivre comme dans un rêve, inconscient des réalités de la vie, entre le jour du départ de Versailles et celui où il monta sur l’échafaud que sa faiblesse avait dressé. […] Rêve merveilleux qui n’est peut-être que la réalité, et dans lequel Hermès voit les sept rayons du Verbe-Lumière, du Dieu unique qui les traverse et les gouverne par eux, et qui sont la Sagesse, l’Amour, la Justice, la Beauté, la Splendeur, la Science et l’Immortalité. […] Et voilà pourquoi le jeune Platon sans avoir formulé sa doctrine, ne sachant même pas qu’il serait philosophe un jour, avait déjà conscience de la réalité divine de l’Idéal et de son omniprésence. […] Il est certain qu’elles eurent pour les Apôtres le caractère d’une réalité suprême. […] Dans notre état corporel présent, nous avons peine à croire et même à concevoir la réalité de l’impalpable : dans l’état spirituel, c’est la matière qui nous paraîtra l’irréel et le non-existant.
Manet et Legros unissent à un goût décidé pour la réalité, la réalité moderne, — ce qui est déjà un bon symptôme, — cette imagination vive et ample, sensible, audacieuse, sans laquelle, il faut bien le dire, toutes les meilleures facultés ne sont que des serviteurs sans maître, des agents sans gouvernement. […] Legros, qu’il vient de rassembler en un album : cérémonies de l’Église, magnifiques comme des rêves ou plutôt comme la réalité ; processions, offices nocturnes, grandeurs sacerdotales, austérités du cloître ; et ces quelques pages où Edgar Poe se trouve traduit avec une âpre et simple majesté. […] Se débarrassant ainsi du tracas ordinaire des réalités présentes, elle poursuit plus librement son rêve de Beauté ; mais aussi elle risquerait fort, si elle n’était pas si souple et si obéissante, et fille d’un maître qui sait douer de vie tout ce qu’il veut regarder, de n’être pas assez visible et tangible. Enfin, pour laisser de côté la métaphore, la nouvelle du genre poétique gagne immensément en dignité ; elle a un ton plus noble, plus général ; mais elle est sujette à un grand danger, c’est de perdre beaucoup du côté de la réalité, ou magie de la vraisemblance. […] L’imagination du lecteur se sent transportée dans le vrai ; elle respire le vrai ; elle s’enivre d’une seconde réalité créée par la sorcellerie de la Muse.
Ses tragédies, malgré quelques taches, sont du premier ordre ; mais son comique n’est pas pris au cœur de la réalité. […] Je crois qu’un poète dramatique peut se proposer de donner à ses personnages les paroles, l’accent, les gestes et toutes les franchises naturelles de la réalité. […] Il se jette au cœur des réalités qu’il veut connaître, sort de lui-même pour mieux éprouver la puissance de l’objet, ne juge rien à un point de vue absolu, parce que les jugements absolus isolent ce qui n’est pas isolé, fixent ce qui est mobile dans un monde où tout se touche et s’enchaîne, se limite et se prolonge ; il conserve toujours, partout, ce calme et ferme esprit d’observation que rien n’étonne, qui sait rendre instructives jusqu’aux folies de nos semblables, jusqu’à leurs apparentes déviations de l’ordre et de la loi394.
L’esprit humain ne peut pas concevoir la réalité sans idéal : donc il reviendra à l’idéal. […] Rêvera-t-elle encore un paradis, un enfer, et un purgatoire, en dehors de la réalité ? […] Quant à la politique, elle est nulle évidemment, puisque sa fonction était de présider à cette unité qui n’existe plus, puisque c’était elle qui établissait dans la réalité vivante ces relations, ce concours qui ne sont plus.
Mais, d’un autre côté, toute cette antiquité qui flottait avant lui dans une espèce de brouillard mythologique ou légendaire, c’est vraiment dans ses Vies parallèles que les grandes figures en ont pris comme un air de réalité et de vie. […] Satire viii] ; — l’apparence au moins, sinon toujours la réalité de l’aisance et du naturel [Cf. […] 2º Les Origines de l’Astrée. — Biographie d’Honoré d’Urfé : — Son premier écrit : Les Epistres morales, 1598 ; — son mariage avec Diane de Châteaumorand ; — ses malheurs conjugaux ; — son poème du Sireine, 1606. — La composition de l’Astrée. — Le mélange de la fiction et de la réalité [Cf.
Parmi ceux qui croient que la réalité subsiste surtout dans les rêves, peut-être uniquement dans les rêves, et que les choses et les êtres seraient création nulle et tout au plus mauvaise sans un large instinct de solidarité, M. […] Daudet une préoccupation de faire un ensemble en tradition avec les habitudes des lettrés de son temps varie sa transposition de la réalité ; que chez M. […] Laforgue choisit des personnages, et c’est Salomé, Andromède, Ophélie, le prince Hamlet, Pan, le socialiste Jean-Baptiste qui se jouent dans les événements, parmi les décors de rêves ou de réalité transposée. […] Efflux et assises de la nécessité divine, les anges ne sont, en substance, que dans la libre sublimité des cieux absolus, où la réalité s’unifie avec l’Idéal. […] Sur le seuil de l’enfer, il y a des clartés spirituelles vers où tendre ; armé d’une ardente patience, absorber des réalités ; être soi totalement, âme et corps, penseur indépendant et chaste.
S’il était vrai que Boileau et l’école de 1660 eussent été si soucieux d’art rationaliste et idéologique, ils en fussent certainement venus à éliminer de leurs œuvres la nature, la réalité, la vie, l’observation exacte et la vue pénétrante des choses et des hommes. […] L’humanisme est toujours troublé par quelque chose, à savoir par la réalité qu’on aime et par la réalité qu’on n’aime point. […] Nous nous en voulons de ce qu’on fasse et de ce que nous nous fassions à nous-mêmes, avec des réalités pleines de douleurs et pleines de larmes, une matière d’art et de passe-temps voluptueux, rem fruendam oculis , sans, du reste, chercher aucunement le remède à tous ces maux. […] Plus de réalité là-dedans et plus de vie, ou une vie factice. […] De « l’image générique » qui est sa première ébauche, l’abstraction, en se subtilisant toujours davantage, devient un simple signe qui ne contient plus de réalité, ou qui ne rappelle plus à l’esprit assez de réalité, ou qui ne lui rappelle plus suffisamment la réalité.
Pendant que la réalité travaille, la fiction dort. […] Jamais l’amour de l’or, qui inspire aujourd’hui tant de fièvres malsaines, ne troubla cette âme pure qui voltigea toujours comme un oiseau sur les réalités de la vie sans s’y poser jamais. […] Rembrandt, comme Delacroix, a son architecture, son vestiaire, son arsenal, son musée d’antiques, ses types et ses formes, sa lumière et sa nuit, ses gammes de ton qui n’existent pas ailleurs et dont il sait tirer des effets merveilleux, rendant le fantastique plus vrai que la réalité. […] La couleur s’entasse à l’endroit qui est le point central de l’action, car, avant tout, Delacroix veut donner la sensation de la chose qu’il représente dans son essence même, et non dans sa réalité photographique. […] La scène d’histoire n’était pas moins bizarre et fantastique que la scène légendaire, mais dans l’une et l’autre il y avait cette transformation de la réalité en chimère et cette entente des terreurs nocturnes qu’on ne rencontre que dans les Caprices de Goya.
On s’étonne parfois des subtilités bizarres que nos jeunes avocats débattent dans leurs conférences ; et leurs anciens répondent pour eux que, fussent-elles plus bizarres encore, les subtilités qu’ils agitent ne le seront jamais tant, que la réalité ne les surpasse toujours. […] La réalité se joue de nos efforts pour enfermer dans nos formules, et pour borner en quelque sorte la fécondité de ses combinaisons. […] Pellissier, c’est l’amère contradiction qu’il surprend entre l’idéal et la réalité. […] Et n’est-ce pas aussi bien ce que constatent tous les jours, sans le savoir, les moins philosophes d’entre nous, quand ils observent que, si fertile que l’imagination de l’homme puisse être en combinaisons extraordinaires, la réalité et la vie le sont encore davantage ? Jamais peintre naturaliste, impressionniste, ou « tachiste » n’a fixé sur sa toile un coucher de soleil ou un effet de neige tel et si surprenant, que nous n’en puissions contempler dans la réalité un plus bizarre ou un plus invraisemblable à l’œil.
Dans cette masse indigeste et presque insupportable d’ensemble, il y a toujours des détails fort beaux, des chapitres du premier ordre pour l’intérêt et la réalité historique.
Toutefois, il n’a pas complètement accepté non plus le soin de peindre la réalité avec détail et dans la vérité la plus rigoureuse : je n’en veux pour preuve qu’une tempête qu’il a pu déplacer dans les éditions successives de ses lettres, et qui figure tantôt avant l’entrée à Rio de Janeirod, tantôt après la sortie.
voulez-vous démentir le chagrin naturel de ceux dont elle s’éloigne, qui témoigne si bien pour sa réalité ?
De crainte que le passage subit de l’air doux et tempéré de la vie religieuse et solitaire à la zone torride du monde n’éprouvât trop mon âme, elle m’a amené, au sortir du saint asile, dans une maison élevée sur les confins des deux régions, où, sans être de la solitude, on n’appartient pas encore au monde ; une maison dont les croisées s’ouvrent d’un côté sur la plaine où s’agite le tumulte des hommes, et de l’autre sur le désert où chantent les serviteurs de Dieu ; d’un côté sur l’océan, et de l’autre sur les bois ; et cette figure est une réalité, car elle est bâtie sur le bord de la mer.
Plongé dans la réalité, il est l’opposé du dilettante, et ne donnera jamais trente sous du plus magnifique tableau de paysage.
Non, ce ne fut pas, comme l’ont dit et répété depuis des écrivains de parti, un pur fantôme et un épouvantail ; ce fut une réalité.
malgré la vraisemblance apparente, il en est rarement ainsi ; la réalité dément la conjecture : ces fats célèbres, ces hommes à bonnes fortunes, une fois mariés, — à commencer par ce libertin d’Ovide, — trouvent le plus souvent des femmes sages, dociles, modestes, des modèles de mérite et de vertu, qui les adorent et dont ils sont sûrs.
Pope nous résume toute sa théorie, qui est celle des Virgile, des Racine, des Raphaël, de tous ceux qui, dans l’art, ne sont pas pour la réalité pure, pour la franchise à tout prix, fût-ce la crudité !
franchement, si ami que je sois de la réalité, je regrette que Mme Roland n’ait pas obéi jusqu’à la fin au sentiment de répulsion instinctive qui lui avait fait ensevelir en elle ce triste détail, et qu’elle ait cru devoir consigner si au long un incident plus que désagréable ; pour l’excuser, pour m’expliquer cette franchise que personne au monde ne lui demandait à ce degré, j’ai besoin de me représenter l’autorité suprême et l’ascendant prestigieux que l’exemple de Rousseau avait pris sur elle et sur les personnes de sa génération.
La nuit du 4 août racontée par elle est d’une vivacité pittoresque ; quelques jours après, elle écrit ; « Samedi au soir, il a été décidé que l’on porterait au roi l’arrêté du 4 août, pour qu’il y campât sa sanction. » Les journées des 5 et 6 octobre sous sa plume se dessinent en traits d’une exacte et parlante réalité : ce qu’elles ont d’atroce y est montré, mais sans rien de chargé ; ce qu’il y a eu de bien s’y entremêle ; tout se succède et court.
Il se rapporte à l’année 1776 : nous en donnerons les parties principales ; de telles esquisses d’après nature dispensent de bien des imaginations et des songes plus conformes à la poésie qu’à la réalité, et elles viennent à propos pour rompre de temps en temps la légende toujours prête à empiéter sur l’histoire : « La reine est très-bien de figure, et quoiqu’elle ait pris assez d’embonpoint, il n’y a néanmoins pas encore d’excès.
Il faut bien se figurer ceci pour être dans le vrai de la réalité historique : de tout temps, les facultés diverses de l’esprit humain ont été représentées au complet, bien qu’en des proportions variables, et, de même que, dans les plus saintes âmes, il y a des moments d’éclipse, de doute, d’angoisse, enfin des combats, de même, dans les siècles réputés les plus orthodoxes, le gros bon sens ou la moquerie ont eu leur voix, leurs échos, pour protester contre ce qui semblait une folie sainte.
C’est une biographie poétique, composée, distribuée avec art en petits tableaux, mais d’une réalité approchante qui va nous suffire.
Adèle de Sénange en effet, dans l’ordre des conceptions romanesques qui ont atteint à la réalité vivante, est bien sœur de Valérie, comme elle l’est aussi de Virginie, de mademoiselle de Clermont, de la princesse de Clèves, comme Eugène de Rothelin est un noble frère d’Adolphe, d’Édouard, du Lépreux, de ce chevalier des Grieux si fragile et si pardonné : je laisse à part le grand René dans sa solitude et sa prédominance.
Le jugement est le quatrième, parce qu’il nous enseigne seul dans quel ordre, dans quelle proportion, dans quels rapports, dans quelle juste harmonie nous devons combiner et coordonner entre eux ces souvenirs, ces fantômes, ces drames, ces sentiments imaginaires ou historiques, pour les rendre le plus conformes possible à la réalité, à la nature, à la vraisemblance, afin qu’ils produisent sur nous-mêmes et sur les autres une impression aussi entière que si l’art était vérité.
La liberté de prendre ses métaphores dans la réalité familière, triviale même, a été reconquise avec le droit d’employer le mot propre, et nul ne s’étonne plus, quand V.
Marion et Robin sont des figures d’opéra-comique, dans l’action traditionnelle qui les oppose au chevalier : dans la description, qui échappe à l’action tyrannique du lyrisme, ce même couple, et surtout les paysans qui viennent se grouper autour de lui, sont dessinés avec une verve énergique et une sensible recherche de réalité.
La réalité, même celle où il est engagé le plus profondément, lui est, quoi qu’il fasse, matière d’art.
Elle crut avoir les promesses divines d’un avenir sans bornes, et comme l’amère réalité qui, à partir du IXe siècle avant notre ère, donnait de plus en plus le royaume du monde à la force, refoulait brutalement ces aspirations, elle se rejeta sur les alliances d’idées les plus impossibles, essaya les volte-face les plus étranges.
Écoutons, sur ce passage du Saint-Bernard, Napoléon lui-même : « Le Premier consul montait, dans les plus mauvais pas, le mulet d’un habitant de Saint-Pierre, désigné par le prieur du couvent comme le mulet le plus sûr de tout le pays. » Voilà bien la différence de la réalité au tableau, ou plutôt de la déclamation à la vérité.
Florian, pour réussir dans le monde et saisir la veine du moment, avait eu à choisir dans ses propres goûts ; il y avait en lui un coin de pastoureau et de troubadour langoureux, qu’il s’était plu à développer exclusivement, plume en main : sa réalité, plus mêlée et plus vive, valait mieux que cet idéal-là.
Quand les partis n’ont pas de chef ni de tête, quand ils se présentent par leur corps seul, c’est-à-dire par leur réalité la plus hideuse et la plus brutale, il est plus difficile et aussi plus hasardeux de se montrer envers eux si équitable et de faire à chacun sa part jusqu’au milieu de l’action.
C’était là comme en toutes choses ce mélange de gloire et de modestie, de réalité et de sacrifice qui lui agréait tant, et qui composait son idéal le plus cher.
Il leur prête des discours qui rappellent avec talent ceux des anciens dans les assemblées publiques, mais j’aimerais mieux quelques-uns de ces mots vrais et qui transportent dans la réalité.
Ou bien, si vous voulez braver la sécheresse et le terne des couleurs comme Crabbe, sondez alors l’âme humaine à fond, et ne reculez pas devant la réalité creusée des sentiments.
Cette petite scène, fort bien racontée par Mme de Maintenon, et que j’abrège un peu, va frapper à son tour l’imagination émue de Mme des Ursins et s’y réfléchir avec une réverbération qui la rendra plus vive : vu dans ce miroir, l’objet prendra plus de mouvement et de relief que dans la réalité même.
Il fait plus, il remonte aux heures qui ont précédé ; il suit le malheureux dans ses derniers instants, dans ses lents préparatifs ; il nous fait assister à la lutte et à l’agonie qui a dû précéder l’acte désespéré ; il y a là une scène de réalité secrète, admirablement ressaisie : Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à sa dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre.
Athènes par-delà l’appelle ; il y aspire comme le dévot musulman au pèlerinage de La Mecque ; mais, en attendant, Rome et Naples, avec leurs monuments, leur ciel et leur petite société d’élite, lui suffisent, le possèdent et lui tiennent lieu de tout ; grands souvenirs, beautés naturelles, c’est pour lui tout ensemble « ce qu’il y a de mieux dans le rêve et dans la réalité ».
Rien n’éveille et ne prolonge le saisissement du songeur comme ces exfoliations mystérieuses de l’abstraction en réalités dans la double région, l’une exacte, l’autre infinie, de la pensée humaine.
Si l’association produit ses effets utiles quelquefois, c’est dans des contes où l’imagination cherche moins à serrer la réalité que dans les fables123 (au point de vue de l’action, sinon des personnages).
Mais laissons cette fatigante logomachie, et continuons d’examiner s’il y a quelque réalité au fond des fières prétentions du romantisme, toujours accompagnées de reproches non moins superbes.
Ce serait là plutôt une œuvre de moraliste, qui veut donner envie de la vertu en la peignant charmante, qu’une œuvre d’observation et de réalité ressouvenue.
En d’autres termes, le sentiment est la seule réalité. […] Mais, dans la réalité, vous ne pouvez refuser votre pitié aux malheureuses pour qui ce troc est une nécessité. […] Enfin, à ne jamais considérer la réalité que comme une matière à article, à transformer ainsi en chronique toute sa vie et celle des autres, on risque fort de perdre le sens même de la vie. […] Mais, tout à coup, il se ressouvient de la réalité et reprend son air de circonstance : c’est qu’il sait qu’il y a des choses qu’on ne dit pas et qu’on n’a même pas le droit de penser. […] Agnès est trop inquiétante par ce qu’il y a en elle d’involontaire et d’inconnu ; et quant à Henriette… Eh bien, il me semble qu’elle a, sur les réalités du mariage, des notions par trop précises, et qu’elle en parle avec trop de tranquillité.
Rien que la réalité, mais nullement toute la réalité. Bien plutôt une réalité choisie. » — On trouverait une théorie à peu près complète de l’art classique, et particulièrement de l’art classique français, éparse dans les œuvres de Nietzsche. […] C’est un idéalisme doux, bonasse, avec des reflets argentés, qui veut avant tout avoir des attitudes et des accents noblement travestis, quelque chose de prétentieux autant qu’inoffensif, animé d’une cordiale aversion contre la réalité « froide » ou « sèche »… mais surtout contre la connaissance de la nature, pour peu qu’elle ne puisse pas servir à un symbolisme religieux. […] Il s’attache à la réalité autant que l’art proprement et uniquement rêveur s’en éloigne comme avec répulsion ; mais il ne doit pas oublier que tout art est choix et il devra bien se garder d’aimer tout le réel et de vouloir saisir et imiter et reproduire tout le réel. […] Rien que la réalité ; mais nullement toute la réalité !
Nous pouvons même ajouter que la fiction est restée ici au-dessous de la réalité. […] Or la science physiologique nous apprend que, d’une part, le cœur reçoit réellement l’impression de tous nos sentiments, et que, d’autre part, le cœur réagit pour renvoyer au cerveau les conditions nécessaires de la manifestation de ces sentiments, d’où il résulte que le poëte et le romancier qui, pour nous émouvoir, s’adressent à notre cœur, que l’homme du monde qui à tout instant exprime ses sentiments en invoquant son cœur, font des métaphores qui correspondent à des réalités physiologiques. […] Ainsi dire que l’amour fait palpiter le cœur n’est pas seulement une forme poétique ; c’est aussi une réalité physiologique. […] Ce sont seulement nos guides indispensables ; mais pour atteindre ces vérités il faut nécessairement descendre dans la réalité objective des faits, où elles se trouvent sous la forme de relations phénoménales. […] Avant lui, les doctrines philosophiques, animistes ou vitalistes, planaient de trop haut et de trop loin sur la réalité pour pouvoir devenir les initiatrices fécondes de la science de la vie ; elles n’étaient capables que de l’engourdir en jouant le rôle de ces sophismes paresseux qui régnaient jadis dans l’école.
Elles satisfont la raison ; l’expérience, la réalité, le tangible, les yeux ouverts les démentent à chaque mot. […] L’homme est partout dans les fers ; cela, ce n’est que la réalité ; — et c’est la réalité qu’il faut changer. […] A s’y laisser conduire quand il est aux prises avec le réel, il méconnaît la nature même de la matière sur laquelle il travaille ; car la réalité n’est pas rationnelle et se moque de l’ouvrier maladroit. […] Ils ont cru à la logique, à la réalité objective d’une construction dialectique, autant qu’un scolastique du moyen âge a pu croire à la « parole » et au dixit du Maître. […] Mme de Staël prit une prétention d’école pour une réalité, comme Chateaubriand une tactique de guerre pour une doctrine juste.
Celui-ci partait pour la vie avec toutes les illusions sentimentales, souffrant à chaque minute des platitudes de l’existence ; Émile Boucard part, lui, pour vivre avec un stock d’illusions positives, se débat au milieu des fantaisies et des illogismes de la réalité. […] Il émane du beau, de la réalité, et la nature est réelle et belle. […] Sa douleur est racontée avec une poignante réalité. […] Dupin, le président de l’Assemblée, à côté duquel j’étais assis dans le wagon-salon du Prince, comme je le fus, bien plus tard, dans le Sénat de l’Empire, au banc des Grands-Croix, grommela tout à coup, de son air bourru : « Mais il y a loin du rêve à la réalité ! » — « Monsieur le président », dis-je en me tournant vers lui, « j’ai vu des réalités qui dépassaient tous les rêves ; témoin, le Dix-Décembre !
Durantin un sujet vrai et original, mais qui, dans la réalité, n’avait pas eu la solution définitive qu’on exige au théâtre, après une situation aussi tendue que celle-là. […] « Il y a de même en littérature des héros, des auteurs, des textes, idéalisés par l’imagination de plusieurs générations de lecteurs au point de n’avoir plus qu’un rapport très vague et très lointain avec la réalité. […] Condamné désormais à voir juste, et voulant retrouver l’amour, il vivra dans la réalité, et les femmes ne seront plus pour lui que ce qu’elles sont réellement ; s’il était sage, il pourrait se trouver encore fort heureux avec cette réalité, mais allez dire à un homme qui a été millionnaire qu’il lui est permis de se tirer d’affaire avec une douzaine de mille francs de rentes, à un mangeur d’opium qu’il est facile de renoncer à ses rêves et qu’il doit se contenter de sa demi-tasse de café ! […] Zola, je n’ai pas le courage de reprocher leur crédulité à tous ces déshérités pour qui la réalité est si abominable, qu’il leur vient un immense besoin d’illusion et de mensonge. […] Claretie le reconnaît dans sa conclusion en disant : « Oui, c’est la folie du drapeau qui entraîne mon héros — comme dans la réalité, au haut de ces sommets et au bord de ces gouffres, elle en a poussé bien d’autres.
À vivre perpétuellement au café, ou à l’hôpital, on perd tout contact avec la réalité. […] Sa vision est souvent complexe, embrouillée, baignée de mystère, comme la réalité vivante. […] Il a partagé son âme entre la réalité ainsi transposée, et l’art éternel. […] La première consiste à suivre le torrent des choses, à calquer la réalité prochaine et accidentelle, à prêter son âme à tous les remous des phénomènes, à constater sans passion, comme un témoin, à cataloguer sans émoi, comme un commissaire-priseur. […] Il éprouva je ne sais quelle joie fraîche et conquérante à quitter le monde des réalités précises et des notions claires, pour cheminer à tâtons, dans l’ombre, sur un sol mouvant où les plus habiles marcheurs peuvent s’enliser.
Soit illusion, soit réalité, il me semble que ce bonheur et ce calme se font sentir à une lecture intime et approfondie du plus grand nombre des pièces du nouveau recueil. […] Ou bien les objets sont si gigantesques, qu’on ne peut les voir tout entiers, et qu’il en reste des parties dans l’ombre ; ou bien ils sont si parés, que leur parure les écrase ; ou bien, si ténus et si vaporeux, qu’ils n’ont de réalité que dans l’imagination du poète. […] Pour le fond des idées, les Feuilles d’automne représentent l’une des réalités de notre époque. […] Victor Hugo ; des mots empruntés aux sciences spéciales, aux professions mécaniques ; une langue tirée des laboratoires de chimie et des échoppes de l’artisan, langue qui, pour vouloir tout peindre, substitue des images aux réalités, des couleurs aux pensées ; langue bariolée, éblouissante, qu’on voit avec les yeux du corps ; une palette versée sur une toile, mais non pas un tableau. […] Loin de s’y laisser entraîner, l’écrivain s’en défie ; il l’appelle à son aide toutes les fois qu’il faut faire entrer plus profondément dans les esprits une vérité qui glisserait sur eux, présentée dans sa nudité ; mais il la repousse toutes les fois que, profitant de la paresse ou de la fatigue de la raison, elle veut mettre des couleurs à la place des idées, et des images à la place des réalités.
« Si Votre Excellence soutient, dis-je alors, que le monde est inné dans le poète, elle ne parle sans doute que du monde intérieur, et non du monde des phénomènes et des rapports ; par conséquent, pour que le poète puisse tracer une peinture vraie, il a besoin d’observer la réalité. […] Ce que je loue dans les Français, c’est que leur poésie ne quitte jamais le terrain solide de la réalité.
C’est pour ainsi dire une impossibilité, qui tout à coup devient une réalité. […] Fénelon était aussi politique, mais moins pratique ; il transportait ses rêves dans la réalité ; son chef-d’œuvre n’est qu’une utopie ; il n’a rien à comparer à Goethe.
L’intempérante exaltation de Jacques, ses longues prières, sa brutalité, sa recherche affectée de la persécution, l’abus qu’il fait du testament de son père, sans cesse appliqué aux plus vils usages et employé comme une panacée universelle, enfin son alliance désespérée avec Pierre contre Martin, donnent au type des Dissidents une vie et une réalité admirables. […] Ce que Lucrèce appelle les Postscenia vitæ, voilà le théâtre où Swift nous conduit et nous enferme, et la vue prolongée de cette moitié de la réalité nous remplit d’horreur et de pitié sur nous-mêmes.
Cette impression peut être fournie par la musique et la peinture, mais seulement fécondées par le drame, qui, seul, a une prise directe sur la réalité de la vie. […] Mais il semble qu’ici le Maître, surpris de l’injustice montrée envers lui par ses compatriotes, ait eu un doute sur la réalité de cette rénovation. « L’esprit allemand serait-il donc mort ?
Mais chacun m’excusera certainement d’avoir douté d’abord de la réalité d’un instinct aussi étrange et aussi odieux que l’instinct esclavagiste. […] Du reste, il n’était pas besoin que je vinsse confirmer de nouveau la réalité de l’instinct esclavagiste dans la nature ; assez d’autres l’avaient fait avant moi.
Cet homme d’imagination romanesque s’est jeté dans la réalité historique avec un incroyable élan, et de toutes les histoires qu’il pouvait écrire il a choisi la plus troublée, la plus méconnue, la plus travestie, la plus insultée et la plus dangereuse au talent qui la touche, si le talent a la malheureuse ambition de cette sottise qu’on appelle la gloire… L’impopularité tente les esprits héroïques. […] Commencée en 709, — entre Clovis et Charlemagne, par la révélation de saint Aubert, évêque d’Avranches, auquel l’archange Michel ordonna de bâtir sur le roc escarpé, au péril de la mer, qui allait devenir tous les genres de périls, un monastère impossible, et qui, pour preuve de la réalité de son apparition, laissa l’empreinte de son doigt dans la tête du saint à une telle profondeur qu’on retrouve le trou dans l’ossature du crâne qui nous reste, — traversant tout le Moyen Âge, et ne finissant qu’en 1594, après les terribles guerres protestantes, cette histoire du Mont Saint-Michel, qui recommencera peut-être dans l’avenir, a laissé là, écrite entre le ciel et l’eau, comme une immense lettre cunéiforme de granit devant laquelle nos pattes de mouche humiliées paraîtraient bien petites, si un esprit venant de Dieu ne les animait et ne les grandissait, en les animant… Or, c’est cet esprit-là, allumé dans le romancier devenu chrétien, qui lui a fait écrire une histoire qui, sans cet esprit, n’aurait que l’intérêt d’un roman, quoique ce soit certainement le plus magnifique de ses romans.
Brunetière lui-même, le chantre attitré de Bossuet, est contraint à cet aveu : « … De n’avoir point senti ce qu’il y avait de force ou de vertu morale dans le protestantisme, d’avoir sacrifié, si je puis ainsi dire, au rêve d’une unité toute extérieure, purement apparente et décorative, la plus substantielle des réalités, voilà ce que l’on ne saurait trop reprocher à Louis XIV…88 » Alors que les protestants, poursuivis l’épée dans les reins, s’enfuient par toutes les frontières, pour échapper au sort commun, Louis XIV écrit en Hollande et en Angleterre « qu’il n’y à point de persécution, que les protestants émigrent par caprice d’une imagination blessée 89. » La Maintenon spécule sur les terrains que les persécutés étaient contraints, pour s’enfuir plus vite, de vendre à vil prix. […] C’est une lourde réalité, matériellement immense (effroyable moralement). » L’ouvrage de Weiss nous permet de suivre pas à pas la fortune de nos proscrits.
Prêter la vie aux êtres inanimés, prêter un corps aux choses immatérielles, composer des êtres qui n’existent complètement dans aucune réalité, voilà la triple création du monde fantastique de l’idolâtrie. […] Par un effet de notre amour instinctif de l’uniformité, ils ajoutèrent à ces premières idées des fictions singulièrement en harmonie avec les réalités, et peu à peu les noms de héros, de poète, qui d’abord désignaient tel individu, comprirent tous les caractères de perfection qui pouvaient entrer dans le type idéal de l’héroïsme, de la poésie.
En présence de ce monde qu’elle connaissait si bien, ne croyez pas que Mme de Maintenon voulût former des plantes trop tendres, des femmes frêles, ingénument ignorantes et d’une morale de novices, elle avait plus que personne un sentiment profond de la réalité.
Madame, mariée d’une manière si triste et si ingrate, et avec qui il ne fallait que causer, disait-on, quand on voulait se dégoûter à l’avance de cette condition pénible du mariage, n’était pas femme à se rejeter sur le roman pour se consoler de la réalité.
Il se joue cependant avec Catulle ; il s’applique déjà à Horace ; puis une bien autre ambition le tente, l’épopée elle-même, l’épopée moderne avec toutes ses difficultés et ses réalités positives, ennemies du merveilleux ; âgé de vingt ans, il ne voit là rien d’impossible : il compose donc son Washington ou la Liberté de l’Amérique septentrionale, et, choisissant le siège de Boston comme fait principal et comme centre de l’action, il achève un poème en douze chants dont on pourrait citer des vers honorables, et qu’il accompagne d’une préface modeste et judicieuse.
On sait du reste que Frédéric n’était pas le philosophe tout idéal et tout à la Marc Aurèle que les gens de lettres ses amis se hâtèrent de promettre un peu témérairement au monde quand il monta sur le trône ; mais il était réellement philosophe par goût, par bon sens, parce qu’il réduisait chaque chose à la juste réalité, et que, tout en faisant vaillamment son rôle et son métier de souverain, il se séparait à tout instant de cette destinée d’exception pour se juger, pour se regarder soi-même et les autres.
Ce n’est pas seulement un caractère de vérité et de réalité, le vrai est ce qu’il peut ; c’est subalterne et bas.
Il fallait, à l’exemple de Montesquieu, considérer les révolutions qui sont arrivées dans les mœurs, dans la politique, dans la religion et dans les arts, en établir la réalité, en chercher les causes, en marquer les moments, en un mot, peindre les hommes comme vous l’aviez promis, et non peindre quelques hommes, comme vous l’avez fait.
— Telle est la personne qui, pour avoir lié Jean-Jacques avec Hume, l’avoir constamment prévenu d’offres et de réalités de bons offices, l’avoir fait accueillir à son passage à Paris (décembre 1765) par le prince de Conti dans l’enceinte privilégiée et inviolable du Temple, et l’avoir suivi de tous ses vœux en Angleterre, fut accusée par lui de l’avoir livré et trahi avec préméditation.
Voyons donc les choses humaines comme elles sont ; considérons la réalité morale sans verre grossissant et sans prisme.
Il s’agit des confidents de tragédie : « On fait encore, dit Schlegel, un grand mérite à Alfieri d’avoir su se passer de confidents, et c’est en cela surtout qu’on trouve qu’il a perfectionné le système français ; peut-être ne pouvait-il pas mieux souffrir les chambellans et les dames d’honneur sur la scène que dans la réalité. » Il est difficile de ne pas voir là une allusion plus ou moins directe à la petite Cour de la comtesse d’Albany et de Charles-Édouard.
Le futur Louis XVIIl est même raillé dans ces lettres de la reine sur un article ou il eut toute sa vie plus de prétention et de fatuité que de réalité ; on avait dit que Madame était grosse et que Monsieur allait être père.
Sa vie est sans doute exprimée dans ses vers ; elle s’y reflète en éclairs lumineux et brûlants ; elle y éclate en cris d’amour ou de douleur ; mais il m’a semblé, après un premier coup d’œil sur ces autres témoignages manuscrits, qu’il y avait lieu à faire connaître plus en détail non plus le poète, mais la femme, et qu’elle ne perdrait pas à être suivie de près dans ses traverses, dans ses labeurs de chaque jour, et jusque dans les plus touchantes misères de la réalité.
C’est à la fois un psychologiste ardent, un lamentable élégiaque des douleurs humaines et un peintre magnifique de la réalité.
Six jours plus tard, au-delà du Puy, et malgré son passe-port, la garde bourgeoise vient à onze heures du soir le saisir au lit ; on lui déclare « qu’il est sûrement de la conspiration tramée par la reine, le comte d’Artois et le comte d’Entragues, grand propriétaire du pays ; qu’ils l’ont envoyé comme arpenteur pour mesurer les champs, afin de doubler les taxes » Ici nous saisissons sur le fait le travail involontaire et redoutable de l’imagination populaire : sur un indice, sur un mot, elle construit en l’air ses châteaux ou ses cachots fantastiques, et sa vision lui semble aussi solide que la réalité.
« Ainsi, nous ne sommes pas juges compétents du bon et du mauvais pour les autres : il ne s’agit pas de l’apparence, mais de la réalité.
Il imite souvent : soyez sûr que s’il imite, c’est qu’il a reconnu dans la nature l’objet que son modèle lui offrait, et que son imitation, tout spontanément, rectifiera le modèle littéraire sur la réalité vivante.
Aussi le néglige-t-il tout à fait par la suite, et rien ne donne plus à son ouvrage le caractère d’un système abstrait, qu’aucune réalité vivante ne soutient.
Là encore, dans ces préférences singulières, l’influence des découvertes ou des spéculations scientifiques est aisée à saisir et aussi ce goût de la réalité qui domine depuis trente ans dans la littérature.
Bourget finit par atteindre tout au fond des âmes qu’il étudie, c’est toujours (quelque forme qu’il revête et de quelques nuances qu’il s’enrichisse en affleurant à la surface) le sentiment de la nécessité des choses — ou de la disproportion entre l’idéal et la réalité, entre notre rêve et notre destinée.
Et, d’autre part, historien averti par l’étude des réalités, il comprit que l’enseignement doit être quelque chose de souple et de varié dans ses formes et qui s’applique aux catégories les plus diverses d’aptitudes, de besoins ou de conditions.
L’idée particulière n’embrasse que le relatif, ce qui est éternel lui échappe ; elle ne peut s’envelopper de songe, elle ne nous conduit pas au-delà de nous-mêmes et rapetisse l’œuvre d’art à une réalité immédiate et tangible, lorsque la fonction même de cette œuvre est de nous suggérer l’infini.
La matière de son œuvre est forcément prise au monde extérieur (les chimériques fictions d’un Poe ou d’un Rops sont faites avec des morceaux de réalité), mais il est génial, c’est-à-dire créateur, parce que : 1º Sa sensibilité exceptionnelle (supériorité nerveuse) le fait descendre à des profondeurs encore vierges, où il sent les harmonies cachées et les beautés inconnues ; 2º Son intellectualité exceptionnelle (supériorité cérébrale) lui découvre, après des analyses plus subtiles ou des synthèses plus générales, les expressions neuves et les formules définitives.
La matière de son œuvre est forcément prise au monde extérieur (les chimériques fictions d’un Poë où d’un Rops sont faites avec des morceaux de réalité), mais il est génial, c’est-à-dire créateur, parce que : 1º Sa sensibilité exceptionnelle (supériorité nerveuse) le fait descendre à des profondeurs encore vierges, où il sent les harmonies cachées et les beautés inconnues ; 2º Son intellectualité exceptionnelle (supériorité cérébrale) lui découvre, après des analyses plus subtiles ou des synthèses plus générales, les expressions neuves et les formules définitives.
Ainsi, je suis persuadé que les naturalistes tireraient de grandes lumières, pour le problème si philosophique de la classification et de la réalité des espèces, de l’étude de la méthode des linguistes et des caractères naturels qui leur servent à former les familles et les groupes, d’après la dégradation insensible des procédés grammaticaux.
On sait ce que nous a coûté cette méconnaissance de la réalité, cette illusion d’optique qui prêtait une persistance imaginaire à l’Allemagne romantique dès longtemps disparue176.
Ce procédé prend l’ombre pour la réalité.
C’est de l’idéal, mais un idéal dont la réalité offre trop d’exemples pour qu’on s’avise de le contester.
L’invraisemblance excessive des situations où l’auteur le place, son intrusion fantastique dans la vie intime de tous et de toutes, ce droit de visite, aussi outrageant que le droit de jambage des temps féodaux, qu’il s’arroge sur le cœur des autres, font de lui un être de raison, sans réalité, sans modèle, créé ou plutôt forgé pour les besoins de la pièce.
Au sortir de cet élan romanesque, Rousseau rentre dans la réalité plus qu’il ne faudrait, en étalant à ces deux jeunes femmes, qu’il ne connaît pas, le détail de ses maux physiques, de ses infirmités : Vous parlez de faire connaissance avec moi ; vous ignorez sans doute que l’homme à qui vous écrivez, affligé d’une maladie incurable et cruelle, lutte tous les jours de sa vie entre la douleur et la mort, et que la lettre même qu’il vous écrit est souvent interrompue par des distractions d’un genre bien différent.
Elle croyait fermement à la réalité et à la divinité de ses voix ; comme tous les voyants, elle croyait tenir l’esprit à sa source et jaillissant du sein de Dieu même.
Il suppose qu’au moment de commencer l’analyse de ces vues et marines de Vernet, il est obligé de partir pour la campagne, pour une campagne voisine de la mer, et que là il se dédommage de ce qu’il n’a pu voir au Salon, en contemplant plusieurs scènes de la réalité.
Le héros de roman s’était heurté contre la réalité et s’y était brisé : il va essayer, dans la seconde partie de sa vie, d’être un héros d’histoire, mais la fortune lui en refusera l’occasion, et, en la lui refusant, elle ne sera que juste.
Cette précaution une fois prise, il raconte avec une suite, une précision et un sentiment de réalité qui étonne et fait illusion à la fois, ces scènes immenses et terribles de débrouillement, ces spectacles effroyables, et qui n’eurent point de spectateur humain.
Rien n’est moins convaincant que toute cette plaidoirie de l’auteur en faveur des Templiers : il veut tout rejeter sur les accusateurs, sur l’esprit d’un siècle ignorant, et il ne nous peint en rien ni ce siècle même, ni cet ordre orgueilleux et scandaleux, qui devait en tenir par plus d’une grossièreté et d’un abus ; il n’aborde en rien la réalité des accusations, il s’en prend toujours à la manière injuste, illégale et cruelle dont on s’est servi pour arracher aux membres certains aveux.
Il sera toujours difficile de répondre à ce genre de plaisanterie, et même de n’y pas prendre part, lorsqu’on relit de sang-froid les odes, même célèbres, des modernes, où il entre tant d’emphase, de grands mots, d’images fastueuses, eu disproportion avec la réalité, et où il faut, pour se mettre au ton, imiter tout d’abord, en les récitant, ce qu’on a appelé le mugissement lyrique.
La reine d’Angleterre, si magnifiquement célébrée par Bossuet, nous a été peinte plus familièrement par Mme de Motteville, qui l’avait beaucoup connue ; et, cette fois, c’est elle qui met à cette figure, solennisée dans l’oraison funèbre, le grain de réalité : Cette princesse était fort défigurée par la grandeur de sa maladie et de ses malheurs, et n’avait plus guère de marques de sa beauté passée.
On a remarqué que ce fut là une apparence plus qu’une réalité, et que bientôt, à défaut de Premier ministre, il eut des premiers commis qui, par art et flatterie, surent lui faire adopter comme de sa propre impulsion ce qu’eux-mêmes ils désiraient.
Il aurait eu besoin, je le répète, d’une révolution (ne fût-ce que d’une Fronde comme en vit Pascal) pour lui rafraîchir l’idée de la réalité humaine, cette idée qui se recouvre si aisément durant les temps calmes et civilisés.
Grimm doutait, et rappelait l’enthousiaste à la réalité : Nous vantons sans cesse notre siècle, lui disait-il, et nous ne faisons en cela rien de nouveau.
Arnault et qui servais alors sous des drapeaux littéraires tout différents, j’ai pu me convaincre de la réalité de l’éloge en ce qui touche le caractère.
Il a le cerveau rompu par une métaphysique vertigineuse qui diversifie la pensée, la jette dans des conflits interminables, et équilibrant tous les contraires, accoutume si bien l’esprit à la joie de vivre au-delà de la réalité, dans la sphère des entités logiques, qu’aucune impulsion motrice ne l’affecte plus ; l’habitude excessive de la ratiocination annule et absorbe toute l’activité volontaire.
Au contraire, il est tout dans le système anglais ; de là la réalité du lieu et du temps dans les drames de Shakespeare, et de là, comme conséquence, la diversité des lieux et des temps.
C’est une tête d’histoire et de réalité.
Il a peut-être serré la réalité de plus près… « Bonaparte — écrit-il — fit réellement au 30 vendémiaire ce que Louis XVI fut accusé faussement d’avoir fait le 10 août.
Goethe, comme Hegel, ces deux idoles de l’Allemagne, ont pâli tous deux dans l’imagination et dans l’amour de Heine à mesure que son imagination s’est passionnée, à mesure qu’elle a plongé davantage dans les réalités et les intensités de la vie.
Et ce n’est là que la première brume d’hypothèses que l’auteur de l’Essai sur le langage oppose à la réalité sévère de la métaphysique de M. de Bonald, en si magnifique conformité avec le récit de Moïse.
Aussi, avec le talent spécial des acteurs anglais pour l’hyperbole, toutes ces monstrueuses farces prenaient-elles une réalité singulièrement saisissante.
L’imposture alors paroît dans tout son jour : on voit bientôt qu’il n’y a point de réalité dans ces Tragédies qui se ressemblent toutes. […] Il est plus naturel à ma pensée de faire le chemin : il suffit qu’elle soit avertie ; elle part, bondit & s’élance, & la vraisemblance n’est point alterée : au-lieu que, quand le Poète entasse les évènemens dans l’espace de vingt-quatre heures, qu’il traîne de force tous les personnages au même lieu, & qu’il veut me rendre complice de son grossier mensonge, je me révolte, & j’aurois mieux aimé qu’il m’eût montré des scènes successives, isolées, qui n’excédassent point la mesure de la réalité, que de sentir l’effort continuel & mal-à-droit du Poète qui tyrannise violemment ses personnages, pour les emprisonner dans une courte durée & dans un point donné. […] Mais, il n’y a que le tems qui donne la réalité aux conjectures & qui amène les découvertes transcendantes. […] L’idée de la réalité n’est que passagère, & le tableau, par les touches vives qu’il reçoit des mots, affecte d’avantage.
La Cagnotte, c’est bien toujours le Chapeau, mais teinté de réalité. […] La réalité abonde en extravagances. […] Dans la réalité, nous savons comment les choses se passent : ou le secrétaire n’épouse point ; ou, s’il épouse, nous gardons des doutes invincibles sur la beauté de son âme. […] Nous avons tous cette impression que, dans la réalité, ou Lanspessade laisserait racheter son âme, — très cher, — par l’Américaine emballée, ou il accepterait les millions de Catherine, quitte à tricher, comme il pourrait, sur les conditions du pacte, et qu’enfin il n’est pas assez « perdu » pour retrouver une conscience, puisqu’aussi bien tout lui sourit de nouveau, et qu’il doit à sa prison même d’avoir maintenant le choix entre deux sacs. […] On peut dire cependant qu’il n’a peut-être pas assez pris le temps ou la peine de généraliser ses notules et de transformer la réalité en vérité, ce qui est presque le tout de l’art.
Il ne déclame pas : il note la réalité et il la rend telle qu’elle est, toute simple, tout héroïque. […] Leur tour d’esprit, leur éducation les poussent à situer les auteurs, les écrits, dans des catégories qui les encadrent de manière à prêter aux faits, aux paroles, aux physionomies, une apparence inattendue et quelquefois un air d’originalité ; mais, le plus ordinairement, tout ce système préconçu, échafaudé sur des préventions, déforme les aspects de la réalité ou nous la fait perdre de vue. […] Je t’avouerai que j’ai trouvé les choses plus belles dans les gravures que dans la réalité. » Cette sincérité est d’une espèce rare, on doit le reconnaître, mais quel aveu pour un auteur qui, par devoir professionnel, va consacrer des années de sa vie à la critique d’art ! […] Il avait été bien portant ; et puis sa santé aussi s’en était allée, un jour, avec tant de soudaineté qu’à peine s’en aperçut-il…… Son allégresse était la flamme de son intelligence ; et les défaillances de la réalité n’y portèrent pas atteinte ». […] et leurs pauvres souliers Font un bruit sec, Humiliés, La pipe au bec. — Pas un mot ou bien le cachot, Pas un soupir, Il fait si chaud Qu’on croit mourir… Ce tableau ne fait qu’exprimer l’humble réalité et toutefois, pour retrouver la même intensité de sentiment, il faudrait remonter à la Maison des morts ou arriver jusqu’à Résurrection.
CXXIX Venir nous dire que tout poète de talent est, par essence, un grand penseur, et que tout vrai penseur est nécessairement artiste et poète, c’est une prétention insoutenable et que dément à chaque instant la réalité. […] Tout d’un coup, Talma, se levant et sortant sans dire adieu, se retourna au seuil de la porte et lança de son verbe le plus tragique ces admirables vers du rôle d’Auguste qu’il étudiait pour le moment et qu’il s’apprêtait à représenter : il y donna l’accent le plus actuel, le plus pénétré, s’inspirant du sentiment de la situation même et faisant de cette noble emphase cornélienne la plus saisissante des réalités : Mais quoi ! […] dans nos petites monades intérieures, nous réfléchissons à souhait selon nos vœux, selon nos rêves, selon nos raisonnements les plus chers, des perspectives infinies : elles n’ont de réalité qu’en nous, elles s’évanouissent avec nous.
À son avis, les grands hommes, rois, écrivains, prophètes et poëtes, ne sont grands que par là. « Le caractère de tout héros, en tout temps, en tout lieu, en toute situation, est de revenir aux réalités, de prendre son point d’appui sur les choses, non sur les apparences des choses1414. » Le grand homme découvre quelque fait inconnu ou méconnu, le proclame ; on l’écoute, on le suit, et voilà toute l’histoire. […] Il parle comme Fichte « de l’idée divine du monde, de la réalité qui gît au fond de toute apparence. » Il parle comme Gœthe « de l’esprit qui tisse éternellement la robe vivante de la Divinité. » Il emprunte leurs métaphores, seulement il les prend au pied de la lettre. […] Il y vit et il y doit vivre en communion quotidienne… Il vient du cœur du monde, de la réalité primordiale des choses ; l’inspiration du Tout-Puissant lui donne l’intelligence, et véritablement ce qu’il prononce est une sorte de révélation1454. » En vain l’ignorance de son siècle et ses propres imperfections altèrent la pureté de sa vision originale ; il atteint toujours quelque vérité immuable et vivifiante ; c’est pour cette vérité qu’il est écouté, et c’est par cette vérité qu’il est puissant.
Saint-Martin y apporta un zèle pur et candide, aucun esprit de critique, la docilité de l’agneau ; il ne douta point de la réalité des opérations plus ou moins magnétiques dont il fut témoin.
Il était en 89 à Strasbourg, dans un petit monde mystique comme cette ville en a eu à diverses époques ; il voyait tous les jours celle qu’il appelle sa meilleure amie, Mme Boechlin ; il formait le projet de se réunir encore plus entièrement à elle en logeant dans la même maison ; il venait même de réaliser ce projet depuis deux mois, en 1791 ; il allait entamer la lecture de Jacob Boehm et suivait tout un roman idéal, tout un rêve de vie intérieure accomplie, lorsqu’une maladie de son père l’appela à Amboise et le rejeta dans la réalité : Au bout de deux mois (de cette réunion dans un même logement), il fallut, dit-il, quitter mon paradis pour aller soigner mon père.
Leur roman de Sœur Philomène est une étude de cœur et de mœurs, qui semble prise sur la réalité.
Il n’y aurait qu’un moyen, ce serait de produire, à l’appui, des tableaux conçus dans ce nouveau système de vérité et de réalité, mais des tableaux chefs-d’œuvre qui fissent reculer et pâlir les anciens et qui les remplaçassent en définitive dans l’imagination des hommes.
et que rien n’y ressemble moins que d’être toujours sur les épines comme aujourd’hui en lisant, que de prendre garde à chaque pas, de se questionner sans cesse, de se demander si c’est le bon texte, s’il n’y a pas altération, si l’auteur qu’on goûte n’a pas pris cela ailleurs, s’il a copié la réalité ou s’il a inventé, s’il est bien original et comment, s’il a été fidèle à sa nature, à sa race… et mille autres questions qui gâtent le plaisir, engendrent le doute, vous font gratter votre front, vous obligent à monter à votre bibliothèque, à grimper aux plus hauts rayons, à remuer tous vos livres, à consulter, à compulser, à redevenir un travailleur et un ouvrier enfin, au lieu d’un voluptueux et d’un délicat qui respirait l’esprit des choses et n’en prenait que ce qu’il en faut pour s’y délecter et s’y complaire !
Les sentiments d’un auteur ne vont pas jusque-là : ils se familiarisent trop avec la fiction pour aimer à ce point la réalité. » 14.
M. de Saint-Joseph, qui avait lu le Gonzalve de Florian, compare les rêves de ses jeunes années à la réalité qui, même en en rabattant, lui paraît encore belle.
Les détails dans lesquels M. de Fezensac est entré dans ses Souvenirs militaires, sans rien ôter à la grandeur de l’ensemble, font assister toutefois aux misères de la réalité.
Et pourtant les âmes tendres, élevées, croyant à l’exil de la vie et à la réalité de l’invisible, n’avaient pas disparu : la religion, sous ses formes rétrécies, en abritait encore beaucoup ; la philosophie dominante en détournait quelques-unes, sans les opprimer entièrement ; mais toutes manquaient d’organe général et harmonieux, d’interprète à leurs vœux et à leurs soupirs, de poëte selon le sens animé du mot.
L’histoire de Julie, de la femme de chambre, en rappelant à ceux qui l’ont lu le joli et pathétique roman d’Adèle, de Nodier, s’en distingue par cette réalité, cette clairvoyance constante d’observation et de récit, que la passion traverse, mais ne rompt pas.
Quelques inconvénients achètent tant d’avantages ; du moment qu’on ne choisit plus une seule route rapide et déjà ouverte, mais qu’on veut occuper l’ensemble du pays et se conformer à l’entière réalité du sujet, on a des intervalles pénibles et qui ne se peuvent supprimer.
Son Louis XI, pour la réalité et la vie, a soutenu la concurrence avec Quentin Durward.
Son âme héroïque semblait se taire alors et laisser son cœur de femme s’affaisser et se briser en tombant de l’enthousiasme sur la réalité.
On a parfois trop insisté sur la vérité des fabliaux, on y a vu la vivante image de la réalité familière, le miroir de la vie du peuple au xiiie siècle.
Bientôt l’implacable Réalité se plut à démolir le palais de songe où nous voulions asseoir notre idole.
La science seule fournit le fond de réalité nécessaire à la vie.
On dirait, en lisant les œuvres d’imagination de nos jours, qu’il n’y a que le mal et le laid qui soient des réalités.
Trissotin et Vadius sont alors battus dans la réalité comme dans la comédie.
On le sentait, aux paroles qui coulaient de lui comme un torrent de lave, qu’il mènerait à bonne fin la tâche qu’il s’était proposée, qu’il avait cette consécration du génie, par laquelle l’idéal se transforme en une tangible réalité.
L’homme, dans la réalité, discute, en même temps qu’il agit.
En les proposant, M. de Broglie faisait évidemment violence à ses théories antérieures, à ses combinaisons constitutionnelles les plus chères, à ses vues bienveillantes de morale sociale et humaine ; mais cette fois, en face d’un forfait immense, il vit la réalité à nu, et, en homme de bien courageux, il n’hésita pas.
Vue de près et dans la réalité, sa vie répond bien à l’idée qu’on s’en fait de loin et à travers l’auréole ; la personne ressemble de tout point à la réputation charmante qu’elle a laissée.
Cela dit, détournons vite le regard et attachons-nous à la réalité des choses, à l’élévation du but et des idées.
Elle recommande constamment à son fils de viser haut en toute chose, et en même temps de s’attacher à la réalité et non à l’apparence : « Que vos liaisons soient avec des personnes au-dessus de vous : par là vous vous accoutumez au respect et à la politesse.
Marmontel aime assez ce genre de locutions dramatiques, même quand il ne fait que raconter des scènes de la réalité.
Volney n’est pas un peintre, c’est un grand dessinateur ; dans ses descriptions de l’Égypte à laquelle il se montre sévère, il lui refuse absolument d’être pittoresque ; après l’avoir tant étudiée, il l’aime peu ; il l’exprime dans tous ses contours et dans sa réalité visible, sans en embrasser la grandeur profonde et sans en pénétrer peut-être le génie ; il n’a pas l’amour de son sujet.
Ce sont toutes ces choses et d’autres encore qui manquaient à ce livre, lors de sa première apparition, que j’ai tâché d’introduire dans cette nouvelle édition, m’appliquant à apporter dans la résurrection de mes personnages, la réalité cruelle que mon frère et moi avons essayé d’introduire dans le roman, m’appliquant à les dépouiller de cette couleur épique que l’Histoire a été jusqu’ici toujours disposée à leur attribuer, même aux époques les plus décadentes.
Dans l’autre cas, au contraire, le paysage écrit n’est pas une description, mais une construction de logique élémentaire ; les mots échouent à prendre des postures nouvelles, qu’aucune réalité intérieure ne détermine ; ils se présentent nécessairement dans l’ordre familier où la mémoire les a reçus : ainsi depuis cinq siècles les poètes français inférieurs chantent, avec les mêmes phrases nulles, le printemps virgilien.
Ces apparences qu’on prenait pour des réalités, ces princes, ces rois, se dissipent ; il ne demeure que ce qui doit demeurer : l’esprit humain d’un côté, les esprits divins de l’autre ; la vraie œuvre et les vrais ouvriers ; la sociabilité à compléter et à féconder, la science cherchant le vrai, l’art créant le beau, la soif de pensée, tourment et bonheur de l’homme, la vie inférieure aspirant à la vie supérieure.
Autant on doit être sévère pour les philosophes qui nient la philosophie, autant nous trouvons naturel et excusable l’orgueil du savant qui, marchant d’un pied ferme sur le terrain solide de la réalité, ne peut s’empêcher de contempler avec quelque pitié nos fragiles systèmes et nos éternelles controverses.
L’inspiré est lui-même incertain quelquefois si la chose qu’il annonce est une réalité ou une chimère, si elle exista jamais hors de lui ; il est alors sur la dernière limite de l’énergie de la nature de l’homme et à l’extrémité des ressources de l’art.
Trelawney, ni celui d’une lady comme madame Blessington, ni celui d’un poète comme Lamartine, ni celui d’un poltron comme Thomas Moore, mais le Byron de la réalité jusqu’à présent si peu aperçue… M.
Il ne se soucie pas d’entrer dans ces réalités terribles !
douce illusion à laquelle un simple compte rendu de journal donne presque le charme saisissant de la réalité ! […] Fielding, Daniel de Foë, l’abbé Prévost et longtemps après Bernardin de Saint-Pierre, tous ceux qui restent vivants vivent par la réalité. […] Dans l’art comme dans la réalité, on est toujours fils de quelqu’un, même quand le père est renié par l’enfant, et il nous fallait bien faire la généalogie des talents dont nous allons avoir à nous occuper. […] Elle a mérité une couronne académique pour son premier recueil Rêves et réalités. […] Nous avons vu la comédie épuiser la veine des exemples imprudents et des réalités audacieuses.
Si, au contraire, notre société a été calomniée par la littérature, si elle n’est en réalité ni aussi laide, ni aussi pervertie que l’ont faite nos romanciers et nos dramaturges, — alors j’ai raison, et mon acte d’accusation (comme on l’a appelé) subsiste : nos prétendus peintres de mœurs ne sont que des peintres de fantaisie ; à la place de la réalité, ils ont mis des rêves de cerveaux malades ; leurs tableaux ne sont que d’abominables fictions et leurs héros des monstres qui n’ont rien d’humain. […] Mais comme elle avait des aspirations plutôt que des croyances, des tendances plutôt que des principes, il est arrivé souvent que, dans les écarts d’une pensée mal réglée et les emportements d’une imagination sans frein, elle est tombée en d’étranges contradictions ; elle a révoqué en doute ses propres dogmes, elle a nié ce qu’elle avait affirmé, elle a mis des fantômes à la place des réalités : si bien que, quand on cherche attentivement ce qu’il y a au fond de ce spiritualisme, on trouve quoi ? […] La réalité même ne lui a pas suffi, et aux monstruosités réelles il a ajouté des monstruosités imaginaires. […] Son effet direct fut d’y développer, sous le nom de poésie intime, de mélancolie ou de contemplation, ce goût malsain de la rêverie qui, à la longue, énerve la pensée, endort la volonté, et à force de mettre des fantômes à la place de la réalité, conduit à l’oubli du devoir et au dégoût de la vie281.
Le bon sens du maraud quelquefois m’épouvante… C’est une très-jolie situation et fort comique, que celle de l’oncle et du neveu mis nez à nez, à l’improviste, pour répéter un rôle qui se trouve être précisément celui de leur condition véritable, et que cette première confusion involontaire de la réalité et de la feinte. […] Le port de la tête est hardi ; chaque muscle de la face remue et joue ; la double fossette, creusée par l’habitude du sourire, est légèrement indiquée ; la lèvre est parlante, comme impatiente, et ne cesse de railler ; les yeux sont petits et ne regardent pas ; la peau du cou pend et flotte sans maigreur, sans mollesse, et dans la réalité de la vie ; les draperies sont largement jetées.
Si, à l’ouverture du volume nouveau, ces personnes pouvaient croire que j’ai voulu quitter ma première route, je leur ferai observer par avance que tel n’a pas été mon dessein ; qu’ici encore c’est presque toujours de la vie privée, c’est-à-dire, d’un incident domestique, d’une conversation, d’une promenade, d’une lecture, que je pars, et que, si je ne me tiens pas à ces détails comme par le passé, si même je ne me borne pas à en dégager les sentiments moyens de cœur et d’amour humain qu’ils recèlent, et si je passe outre, aspirant d’ordinaire à plus de sublimité dans les conclusions, je ne fais que mener à fin mon procédé sans en changer le moins du monde ; que je ne cesse pas d’agir sur le fond de la réalité la plus vulgaire, et qu’en supposant le but atteint (ce qu’on jugera), j’aurai seulement élevé cette réalité à une plus haute puissance de poésie.
Le sentiment de la réalité des choses d’art s’infiltre peu à peu en moi. « Enfin je respire », disons-nous lorsqu’arrivés aux dernières dunes de sable, la mer, bonne grondeuse, s’épand devant nous. « Ici je respire », dit mon âme. […] On dirait presque que, pour des natures sensuelles comme celle de Verlaine, l’Église catholique incarne le mieux l’idéal de la vie païenne, si elle n’a\ ait un petit défaut : son manque de réalité. […] La réalité sera différente, à coup sûr, de l’image que je me suis faite, mais c’est seulement en corrigeant continuellement ses impressions que l’on se rapproche de quelque chose qui ressemble à la vérité. […] Il a rendu au verbe son pouvoir antique d’évoquer la vision des choses et la réalité des sentiments. […] Mais c’est cette hésitation même du début qui pour moi est une preuve de sincérité et de réalité.
Diafoirus dit en parlant de son fils : « Mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine. » Les créations comiques de Molière sont immortelles en ce qu’elles ont pied à tout moment dans la réalité.
Il me semble que nous ne sommes que des ombres jusqu’au moment où nous aimons ; là commence la réalité.
Avec les légers défauts qu’une critique minutieuse y peut relever, les Épilogues de Virgile restent charmantes ; il ne faut point leur demander sans doute l’entière et expressive rusticité des Idylles de Théocrite, ni la réalité du cadre et de la composition ; mais ce serait une autre erreur que de les considérer comme un genre factice, allégorique, parce qu’il s’y mêle de l’allégorie et de l’allusion.
Entre les pièces officielles émanées d’en haut que nous possédons et la réalité du détail, il s’est passé plus de choses que n’en laisse à soupçonner l’histoire s c’est à la biographie, toutes les fois qu’il y a jour, de les recueillir et de les noter. — Et pour revenir à l’histoire, l’opinion résumée de Jomini sur Ney, qu’il connaissait si bien par son fort et par son faible, est à rechercher.
Tout en continuant de peindre les tristes réalités qu’il sait, il évitera de les forcer, de les trancher outre mesure ; sa manière, dans le détail même, y devra gagner en fusion.
C’est pour n’avoir pas senti, pour avoir insensiblement oublié à quel point et à quel degré de réalité Pascal croyait à Jésus-Christ, au Dieu-homme et sauveur, qu’on a voulu faire de lui un sceptique.
Euripide lui-même laisse beaucoup sans doute à désirer pour la vérité ; il a déjà perdu le sens supérieur des traditions mythologiques que possédaient si profondément Eschyle et Sophocle ; mais du moins chez lui on embrasse tout un ordre de choses ; le paysage, la religion, les rites, les souvenirs de famille, constituent un fond de réalité qui fixe et repose l’esprit.
Mme Dubarry, qui connaissait le roi comme Lemonnier, pensait comme lui sur la réalité des douleurs dont le roi se plaignait et s’inquiétait, mais regardait comme un avantage pour elle les soins qu’elle pourrait lui rendre, et l’occupation qu’elle pourrait lui montrer avoir de lui.
Ce sont là les propres paroles de Siéyès Ailleurs il ajoute : « Les prétendues vérités historiques n’ont pas plus de réalité que les prétendues vérités religieuses. » (Papiers de Siéyès, année 1772, d’après Sainte-Beuve, Causeries du lundi, V, 194.) — Descartes et Malebranche avaient déjà ce mépris pour l’histoire.
Son sortilège, à lui, si ce n’est libérer, hors d’une poignée de poussière ou réalité sans l’enclore, au livre, même comme texte, la dispersion volatile soit l’esprit, qui n’a que faire de rien outre la musicalité de tout.
Le nôtre serait supérieur à son maître, parce qu’il sentirait mieux le divin et échapperait par l’amour à l’affreuse réalité.
« La réalité des distinctions morales et la liberté de nos volitions sont des questions indépendantes l’une de l’autre.
Et l’art est justement fait pour en offrir de pareils, son rôle étant d’opposer aux réalités iniques de la vie l’idéal de la bonté et de la vertu.
Ce même amour de la vérité, de la réalité historique et humaine ; lui fait retrancher toutes ces exagérations auxquelles on se laisse emporter si aisément en racontant les grandes actions où l’on a été témoin ou acteur.
et je n’y comprends rien, mais c’était comme ça… Il y a un moment dans le galop, où le pied gauche ne laissait plus de trace, ne laissait que cette petite marque presque invisible. » Et voilà l’original garçon, qui se met à parler du galop du cheval, avec une grande science, des aperçus nouveaux, des divagations amusantes, tout en me faisant passer sous les yeux des croquetons, où il s’est essayé à saisir la réalité du galop : « C’est le diable, vois-tu, cette jambe est vraie, et elle paraît bête, c’est juste et ça semble faux.
VIII, Bonald, reprenant cette description, se rapproche davantage de la réalité : « L’idée dont j’attends l’expression… ne se montre pas encore pleinement à mon esprit.
J’étais d’abord assez sceptique sur la réalité de leur existence et les ai tenues longtemps pour une fantaisie de traducteurs qui auraient voulu imiter la forme des contes de Perrault ou de Mme d’Aulnoy.
Ceci serait un conte philosophique très intéressant, qui pourrait être plus ou moins sentimental, ou plus ou moins moral, ou plus ou moins amer, et qui, en tout cas, se terminerait comme moralité, par les vers de Musset, par les vers de Rodolphe dans l’Idylle, de Musset : Quand la réalité ne serait qu’une image Et le contour léger des choses d’ici-bas, Me préserve le ciel d’en savoir davantage !
Si j’avais à juger l’école naturaliste française, non dans sa formule, où il entre beaucoup de vérité, non pas même dans l’œuvre de tel ou tel auteur, mais dans l’ensemble des livres qui se réclament du naturalisme, je dirais que son principal défaut littéraire a été de méconnaître la réalité ; je montrerais ce qu’il y a de contraire aux règles de l’observation et de la sincérité, dans le procédé qui consiste à ne peindre de l’homme que les instincts, à supprimer les âmes, à expliquer le monde moral par des causes inégales aux effets, à murer toutes les fenêtres que l’homme, accablé tant qu’on le voudra par la misère, le travail, la maladie, l’influence du milieu, continue et continuera d’ouvrir sur le ciel.
La forme sociale dont nous venons d’établir la réalité peut, d’abord, exercer sur le mouvement des idées une influence indirecte, par l’intermédiaire d’autres formes sociales qu’elle provoque et dont l’influence nous est déjà connue.
Sa pensée poétique est empreinte d’une gravité sainte, qui annonce presque cette foi pieuse que l’apôtre a définie « la réalité des choses qu’on espère et l’évidence des choses qu’on ne voit pas ».
L’écrivain dramatique qui est un peintre de mœurs, qui s’ingénie à reproduire la réalité, ne se fait pas faute, lui non plus, de ces répétitions qui sont dans la nature. […] Ce « tu l’as vu » permet de prendre haleine un instant ; c’est une note familière qui ramène aux proportions de la réalité cette narration épique. […] Il met en présence, sur la scène, Charlotte et Mathurine, parce qu’elles sont en effet dans son imagination, et il rend visible un antagonisme que la réalité s’étudie toujours à cacher. […] L’auteur, poursuivant la vraisemblance, ne doit point s’occuper de ce qui serait vrai dans la réalité, sans paraître tel aux douze cents personnes à qui il s’adresse. […] Je suis bien aise de saisir cette nouvelle occasion qui m’est offerte de montrer, par un exemple plus frappant peut-être que beaucoup d’autres, combien est inutile et dangereuse au théâtre la recherche de la vérité matérielle, de la vérité de fait, de la réalité comme disent les naturalistes.
Ces conditions de leurs poèmes ont obtenu l’approbation de tous les temps, de toutes les nations éclairées : l’expérience en est faite ; elles se sont donc converties en lois, d’après cette preuve constante de leur réalité. […] Tout l’imaginaire que nous supposions en ces tableaux a reçu l’empreinte de la réalité. […] J’hésite encore à vous les dénombrer, et ne voudrais pas vous répéter les raisons dont j’appuyai mes subdivisions élémentaires, de peur de lasser la patience des personnes qui en ont reconnu la réalité dans l’application scrupuleuse que j’en fis sur les chefs-d’œuvre du genre théâtral. […] Veut-il donner à croire que ce sont des réalités qu’il a peintes ? […] c’est surtout en songeant aux êtres précieux que nous enleva la mort, qu’on a besoin de se déguiser les réalités de ses pertes par ces rêves fictifs de l’imagination, dont le merveilleux trompe l’absence, et nous transporte dans un autre monde !
Après cette lecture commença le singulier débat de servitude et d’hypocrisie si énergiquement dépeint par Tacite, et où Tibère, qui possédait la réalité du pouvoir, le palais, la garde, le trésor, se fit supplier d’accepter l’empire. […] L’illusion me donne une telle réalité, que dans ta richesse je trouve ce qui me suffit, et que d’une part de ta gloire je vis. » Un mot pris à la lettre, dans ces vers, a fait croire que le poète était boiteux, et se plaignait d’une infirmité naturelle ajoutée pour lui aux maux de la fortune et de l’opinion. […] Le théâtre de Shakspeare, malgré ses défauts, est le travail d’une imagination vigoureuse, qui laisse d’ineffaçables empreintes, et donne la réalité et la vie même à ses plus bizarres caprices. […] J’imagine que le génie de Plutarque avait fortement saisi Shakspeare, et lui avait mis devant les yeux cette réalité que, pour les temps modernes, Shakspeare prenait autour de lui. […] Il y a jeté du moins beaucoup de feu, de verve et de gaieté ; il s’est rapproché de l’heureux prosaïsme de Molière, en peignant de couleurs expressives les mœurs, les habitudes et la réalité de la vie.
Vous avez assoupli votre langue aux exigences complexes de la peinture des réalités observées, aux nécessités changeantes des traductions d’une âme, au caprice même des impressions les plus fugitives. […] C’est lui qui éveille en eux les sentiments engendreurs des idées, dont ils vivent, et qu’ils s’efforcent de fixer en réalités sociales.
C’est une vue romanesque dont on suppose la réalité quelque part. […] Il peut arriver que cette dernière action soit plus forte que la précédente ne l’a été et a pu l’être, alors le rêve nous affecte plus vivement que la réalité.
Si nous avions conservé quelque doute sur le caractère général de ces odes, ce mot seul suffirait à le résoudre ; pour traiter un homme comme un plafond, il faut porter à la réalité visible un amour effréné ; et nous craignons fort que cet amour chez M. […] Engagée à la poursuite de son idéal qui fuit toujours devant elle, comme Ithaque devant Ulysse, elle donne tête baissée sur les écueils de la réalité, et tantôt se relève comme Ajax, superbe et blasphémant, pour reprendre sa course, et tantôt pleure et gémit comme une femme, et se roule si elle ne peut plus marcher.
Le Professeur Veitch nous apprend gravement qu’une des descriptions, dans Kilmatroe « n’a pas d’égale dans la langue pour la réalité de peinture, l’heureux choix des épithètes, la pureté de la reproduction ». […] On y voit que c’est le songeur lui-même qui est le plus surpris quand son rêve devient réalité. […] Blunt, est une réalité de discipline fort utile pour l’âme moderne, bercée qu’elle est par la paresse et le laisser-aller physique. […] « L’Irlandais, nous dit-il, a répudié les réalités de la vie, et les réalités de la vie se sont montrées les plus fortes ».
Le rêve était très loin de la réalité, — très loin au-dessous, il faut bien le dire. […] dans la réalité de la vie, de si sanglantes applications, cette théorie qui n’est que l’expression déformée d’une des plus grandes merveilles de la Providence, il est heureux qu’un poète, comme Louis Tridon, s’en soit emparé, l’ait faite sienne — par droit de conquête et de priorité, — en lui donnant une forme si bien adaptée à la pensée, — bien qu’il la repousse de toutes les forces de son âme, souhaitant un monde où nul ne tue, une étoile où nul n’est dévoré. […] Comme si vraiment, il était rien de plus enivrant que la réalité récréée par un tempérament d’artiste ! […] Pereda observe avec une grande lucidité, quand la réalité qu’il a devant les yeux ne lui soulève pas le cœur, qu’elle le divertit par le spectacle de ridicules et de manies profondément comiques.
Le génie lyrique et élégiaque les reprend, si tant est qu’ils n’aient pas jeté le coup d’œil rapide sur la réalité, seulement pour y puiser un motif de développement lyrique ou élégiaque. […] Il se laisse aller quelquefois à des visions qui n’ont dans la réalité qu’un point de départ très insaisissable et qui, en déconcertant un peu le lecteur, compromettent ce qu’il y a de solide et dans les faits et dans les raisonnements précis dont, d’ailleurs, son livre abonde. […] L’idéaliste incurable s’est blessée au contact d’une réalité qu’elle avait trouvée douce, pour l’avoir elle-même revêtue d’idéal. […] Celui-ci par exemple : « Ce qu’on appelle différenciation, ce qui fait croire à la réalité du progrès des choses par la substitution d’une hétérogénéité relative à une homogénéité relative, quand il n’y a, comme nous l’avons dit, que la substitution d’une diversité logique à une diversité illogique, c’est le plus souvent le passage d’une différence invisible à une différence apparente. » J’affirme qu’il est absolument inutile d’écrire ainsi et que tout cela pourrait être dit, — un peu plus longuement, il est vrai, — en termes de la langue commune ; et à être dit plus longuement, cela serait plus court, puisque cela n’aurait pas besoin d’être relu. […] Les sentiments aristocratiques que pouvait avoir Bismarck à cette époque furent peut-être pour une petite part dans ses idées ; mais surtout il dut comprendre que l’intronisation de la Prusse, résultant d’un mouvement révolutionnaire, serait quelque chose de caduc et de fragile ; que l’intronisation de la Prusse avant l’abaissement réel de l’Autriche serait quelque chose de factice et d’officiel, sans essentielle réalité ; que la vraie autocratie prussienne devait être, un jour, la Prusse s’imposant à l’Allemagne et non l’Allemagne se groupant autour de la Prusse, ce qui n’était pas du tout la même chose.
C’est par l’imagination que l’esprit échappe par instants à la réalité si souvent odieuse, et que tout ce que l’espèce humaine a conquis de beau et de consolant lui est venu. La réalité seule remplaçant complètement l’art, ce serait la mort de tout ce qui a élevé l’esprit de l’homme, l’a fait sociable et, en lui donnant un légitime orgueil, l’a rendu capable de dévouement, d’abnégation et d’héroïsme. […] Le pessimisme moderne, sous prétexte de nous ouvrir les yeux sur la vanité de ce qu’il appelle des songes, a d’abord combattu le beau partout où il se trouvait, assurant que le beau n’existait pas ; il ajoutait, invoquant comme exemple, la réalité de nos désastres nationaux, que notre imagination, nos rêves héroïques, nous avaient perdus, et que la précision de nos ennemis, qui, eux, n’étaient pas des rêveurs, leur avait rendu le triomphe facile. […] La Réalité, de son poing, Culbute Platon dans un coin !
On les écrit pour donner à la liberté de l’imagination une pleine carrière ; et c’est pour sortir par eux de la réalité, c’est pour courir en pensée les grandes aventures, c’est pour chevaucher avec eux l’hippogriffe et la Chimère qu’on les lit. […] Mais, pour que cette recherche ne s’égare pas, pour que nous soyons assurés que les conclusions n’en demeurent pas suspendues dans le vide, qu’elles tombent au contraire dans la réalité, il faudra les vérifier. […] 1° Pour nous convaincre de la réalité de la transformation, nous étudierons l’éloquence de la chaire au xviie siècle, c’est-à-dire à l’époque de sa perfection, premièrement dans sa matière, et secondement dans sa forme. […] Aussi n’ai-je pas ici l’idée de le réhabiliter ; et, plutôt, je protesterais contre l’étrange éloge que Victor Cousin, dans ses études sur la Société française au xviie siècle — s’il n’a pas osé se donner le ridicule d’en accabler l’auteur de la Pucelle, —-a cru pouvoir faire, par compensation, du prosateur et du critique, lin réalité, la prose de Chapelain vaut ses vers. […] La méthode se précise encore dans un article sur Diderot, daté de 1831, dont voici le début : J’ai toujours aimé les correspondances, les conversations, les pensées, tous les détails du caractère, des mœurs, de la biographie, en un mot, des grands écrivains… On s’enferme pendant une quinzaine de jours avec les écrits d’un mort célèbre, poète ou philosophe ; on l’étudie, on le retourne, on l’interroge à loisir, on le fait poser devant soi… Chaque trait s’ajoute à son tour, et prend place de lui-même dans cette physionomie qu’on essaye de reproduire… Au type vague, abstrait, général qu’une première vue avait embrassé, se mêle et s’incorpore par degrés une réalité individuelle, précise, de plus en plus accentuée… On sent naître, on voit venir la ressemblance ; et le jour, le moment où l’on a saisi le tic familier, le sourire révélateur, la gerçure indéfinissable, la ride intime et douloureuse qui se cache en vain sous les cheveux déjà clairsemés, à ce moment l’analyse disparaît dans la création, le portrait parle et vit, on a trouvé l’homme.
Mais si cet homme a les défauts du poète (genus irritabile), il en a les qualités ; il aime la nature, il sait la comprendre et la décrire, il chérit l’héroïsme, les grands sentiments, son âme déborde d’enthousiasme et plane bien haut dans les nuages, au-dessus des méprisables réalités de la vie. […] La réalité a toujours pour lui le décousu et l’inexpliqué d’un songe. » En d’autres termes, M. […] L’histoire et la légende dans les romans d’Alexandre Dumas père Pour démêler les procédés de développement d’Alexandre Dumas, le plus simple est de prendre un de ses romans dits historiques, de comparer ce roman à l’histoire et d’examiner comment la réalité s’est déformée en passant par le cerveau de l’écrivain. […] Jules Lemaître est philosophe, qu’il n’est pas assez riche pour se sentir menacé dans son patrimoine, et pas assez pauvre pour envier le patrimoine d’autrui, il s’est efforcé de porter sur ces obscurs problèmes un jugement modéré, de les examiner sans colère, de dégager ce qu’ils renferment de réalité et d’utopie.
Il est obligé de nier la réalité de ses portraits, de rejeter au visage des fabricateurs ces insolentes clefs comme il les appelle : Martial avait déjà dit excellemment : Improbe facit qui in alieno libro ingeniosus est.
Mais trouver le moyen de les corriger sans détruire du même coup, par l’impraticable utopie, toutes les réalités nécessaires à la vie sociale, l’abbé de Lamennais n’y avait jamais pensé, et le Livre du peuple en était la preuve.
Faire du rêve une réalité par le succès, c’est mieux encore ; et je ne cache pas la joie que j’éprouve à entendre applaudir un drame qui ne cherche pas à réussir en offrant à la foule incertaine et qu’il faut chercher à ramener vers les sommets, l’appât de quelque curiosité vulgaire.
Jamais on n’aura mieux vu combien l’esprit humain est incompressible, et combien il est chimérique de prétendre l’enfermer dans les règles étroites d’un système qu’à notre époque, où à côté d’une brillante école de romanciers uniquement épris de réalités, s’est formée une école de poètes réfugiés, comme le savant de Hawthorne en sa serre, dans un monde absolument artificiel.
— Il avait compris que l’œuvre d’art doit être complète et vraie, c’est à dire le drame, mais un drame d’art complet, non de musique seule, et un drame d’action vraie, non de virtuosité conventionnelle ; il avait compris, encore, que cette œuvre d’art, complète et vraie, n’est point une frivole distraction, qu’elle est la création suprême de l’esprit, et que cette création, faite, d’abord, par l’auteur, et devant être, en suite, refaite, entièrement, par les auditeurs, peut par eux être connue, seulement dans l’oubli des soucis temporels et dans la paix, non troublée, de la contemplation intérieure, aux jours, très rares, de la sérénité ; enfin, il avait compris que l’art, demeurant complet et vrai, doit, aussi, donner à l’homme une révélation religieuse de la Réalité transcendante, être un culte offert à l’intelligence du Peuple, — de ce peuple idéal, qui est la Communion universelle des Voyants.
Il est plus juste de juger le passé sur le présent, et de convenir que les prétendues vérités historiques n’ont pas plus de réalité que les prétendues vérités religieuses.
* * * En dépit de tout ce que mes yeux voient, de tout ce que mes sens touchent de l’affreuse réalité, l’idée de la séparation éternelle ne peut s’asseoir dans ma cervelle.
… Oui, quoi qu’on dise, je crois que mon talent a grandi dans le malheur, dans le chagrin… Et oui, mon frère et moi, avons mené, les premiers, un mouvement littéraire qui emportera tout, un mouvement, qui sera peut-être aussi grand que le mouvement romantique… et si je vis encore quelques années, et que des milieux bas, des sujets canailles, je puisse monter aux réalités distinguées, c’est alors que le vieux jeu sera enterré, et que ni ni, ce sera fini du conventionnel, de l’imbécile conventionnel.
On se demande ce que seraient les héros qu’on voit, s’ils n’étaient dominés par la passion qui les agite, et l’on trouve qu’il ne resterait dans leur existence que peu de réalité.
Sainte-Beuve a fait Joseph Delorme, la poésie la plus profonde du siècle, la plus malade, la plus saignante, la plus magnifique de laideur et de réalité.
En la peignant comme Boucher l’aurait peinte, il a cessé d’être grave ; il a été passionné, tendre, approbateur, courtisan, justaucorps bleu ; il a trouvé tout exquis ou à peu près… Et quand (ce qui est rare) le vieux instinct de l’écrivain politique ou du moraliste chrétien s’est réveillé, et qu’il a fallu, sous peine de se renier soi-même, blâmer quelque chose dans cette société qui, après tout, a quelquefois de de grisantes odeurs de cloaque et d’effroyables réalités, il n’a pas appuyé, il a glissé, un mot a suffi, et il est retourné vite au bonheur de ses admirations.
Déjà nous avons fait la part de la noble ténacité anglaise qui s’obstine si fièrement dans ses coutumes, du génie traditionnel qui respire partout en Angleterre ; ajoutons à cela l’influence du gouvernement sur ces têtes si naturellement politiques, et cette double déduction introduite dans l’appréciation à vol de pensée que nous hasardons ici, il restera, pour qui va nettement au fond des réalités, une religion insuffisante, une formule vaine pour l’esprit religieux de l’Angleterre et ses exigences actuelles.
Il y a cinquante-sept ans que ces souvenirs étaient des réalités : oh ! […] Ce n’est pas seulement en charmant les yeux que les monuments des arts ont atteint le but, c’est en pénétrant l’âme, c’est en faisant sur l’esprit, une impression profonde, semblable à la réalité.
Peut-être vaut-il mieux croire à la réalité de l’être et à la bonté divine, puisque, si c’est là une illusion, c’est une illusion que la mort indulgente ne dissipera point. […] Au sortir de ces banquets du savoir et de la beauté, quand tombent les couronnes imaginaires, on s’aperçoit que la réalité est étroite et triste. […] Elle est l’abstraction et elle est la réalité. […] Maurice Barrès nous répond encore : « Il n’y a de réalité pour moi que la pensée pure. […] Je suis bien assez occupé d’entretenir la réalité de mon moi, qui tente sans cesse à se dissoudre.
L’art n’est point fait pour nous apprendre quelque chose ; il est fait pour nous émouvoir, pour nous bercer, pour nous charmer, pour nous faire oublier les réalités brutales et les dégoûts de tous les jours, pour remuer dans l’homme ce qu’il y a de meilleur en lui, ce qu’il y a d’étouffé par la vie, et de délaissé et d’endormi au fond de son être. […] Toute sa vie fut bercée par de doux fantômes, que son imagination créait, que la solitude lui rendait, en quelque sorte, tangibles, et qui lui furent plus heureux que les réalités qui, même sous l’or et sous la pourpre, montrent des plaies hideuses saignantes. […] Je voudrais pouvoir citer, pour la joie d’un lecteur lointain et inconnu, beaucoup de poèmes de ces Serres chaudes, car l’impression de trouble et de délices où ils laissent l’esprit se ressent mieux qu’elle ne s’exprime en vaines phrases. « L’Hôpital », où la réalité est décrite, évoquée, ressuscitée — avec quel mystère, avec quelle précision mélancolique et tragique — par les cauchemars vagabonds d’un malade ; ou bien cet autre poème, « Cloche à plongeur », qui est, en ses analogies choisies et douloureuses, le plus poignant cri de désespérance de l’homme enfermé dans la prison de sa matérialité, alors qu’autour de lui passent les rêves qu’il n’atteindra jamais. […] Il paraît que j’ai été dupe de grossiers mirages géographiques, et que j’ai pris des ombres mortes, des apparences évanouies, pour des réalités vivantes. […] Comme toutes ces physionomies diverses sont restituées dans leur intégralité et profonde réalité !
A-t-elle jamais voulu, même en ses premiers récits, attaquer le mariage, le mariage digne de ce nom, cette forme définitive et sacrée de l’amour, cette réalité du plus noble idéal qui s’atteste par une constance, un dévouement, une fusion de deux êtres que ne peut produire cette lutte sourde, cet égoïsme en réserve, qui, sous le nom menteur d’union libre, n’est que le pire des esclavages. […] Elles sont bonnes comme dans la réalité tant de femmes aimantes, dévouées, exquises, dont quelques romanciers à peine daignent idéaliser les calmes figures. […] L’ode éloquente : contre le Repos, le Baptême de la Cloche, prouvaient d’une part que Laprade savait ramener sa muse sur le terrain de la réalité et dans le domaine de l’action, et d’autre part que la conscience d’une vie spirituelle circulant à travers les mondes ne dérobait pas au poète la notion d’un dieu personnel et distinct. […] C’est le Discours sur l’histoire universelle refait avec une érudition plus ample, un génie plus compréhensif ; c’est le Bossuet du xixe siècle, parlant aussi de haut à la jeunesse française qu’il convient d’instruire, tout comme le Dauphin d’autrefois, et qu’il sera toujours opportun d’enlever sur les cimes de l’histoire au-dessus des réalités vulgaires, au-dessus de l’existence au jour le jour, prosaïque et mesquine comme la Nécessité. […] Ce n’est pas le réalisme artistique de certains contemporains ; c’est l’idéalisme transporté dans la réalité quotidienne : page consolante qui du moins atteste la bonté chez les humbles, le maintien des fortes vertus.
Car incontestablement, c’est la même littérature ; la réalité des choses humaines vue par le côté triste, non lyrique, le côté humain, — et non par le côté poétique, fantastique, polaire, de Gogol, le représentant le plus typique de la littérature russe. […] Mais la réalité du décor dans les pièces modernes, semble aux directeurs de théâtre, sans grande importance.
À ce sujet Daudet racontait, que Morny ne voulait jamais recevoir, un malheureux, une femme vieille ou laide, faisant tout, dans sa fuite de la réalité, pour n’être pas ramené à cette réalité.
Et ce fut peut-être l’excès d’enfantillage et d’invraisemblance des autres, qui la mena si droitement à la simple réalité, à l’action véritable. […] Mais Rossetti veut qu’elle soit la personnification de la monarchie impériale ; tandis que pour Ancona elle est une vérité mêlée de rêve, une réalité qui s’élève à l’allégorie. […] Ceux qui croient à la réalité de Béatrice disent qu’elle naquit à Florence en 1266 et qu’elle mourut dans cette ville en 1290, âgée de 24 ans. […] Ainsi Jean Carrère laissait ses yeux s’emplir d’une réalité affreuse ; et sans rien quitter de la douleur et de la pitié qui poignaient son âme, il revolait aux souvenirs de l’Odyssée.
Le mot (…), empereur, ne fut d’abord qu’un titre d’honeur que les soldats donoient dans le camp à leur général, quand il s’étoit distingué par quelque expédition mémorable : on n’avoit ataché à ce mot aucune idée de souveraineté, du tems même de Jules César, qui avoit bien la réalité de souverain, mais qui gouvernoit sous la forme de l’anciène république. […] La traduction est l’écueil de ces sortes de pensées : quand une pensée est solide, tout ce qu’elle a de réalité se conserve dans la traduction ; mais quand toute sa valeur ne consiste que dans un jeu de mots, ce faux brillant se dissipe par la traduction. […] On aime mieux aujourd’hui la réalité du sens litéral. […] Dans le langage ordinaire on parle des abstractions de l’esprit come on parle des réalités, les termes abstraits n’ont même été inventés qu’à l’imitation des mots qui expriment des êtres physiques.
Peut-être a-t-il bien fait, et son goût supérieur l’a-t-il mieux guidé, après tout, que ne l’eût fait un amour insatiable de la réalité, lequel a aussi ses illusions et ses subtilités plus trompeuses que des explications simples.
Son stoïcisme se serait réfugié encore plus avant dans la contemplation silencieuse des choses ; la réalité pratique, indigne de le passionner, ne lui apparaîtrait de jour en jour davantage que sous le côté médiocre des intérêts et du bien-être ; il s’y accommoderait en sage, avec modération ; mais cela seul est déjà trop : la tiédeur s’ensuit à la longue ; fatigué d’enthousiasme, une sorte d’ironie involontaire, comme chez beaucoup d’esprits supérieurs, l’aurait peut-être gagné avec l’âge : il a mieux fait de bien mourir !
Moi qui connais l’aïeul, l’épouse et les enfants , je puis attester que l’idéal apparent de ces doux vers n’est que la plus exacte réalité.
Burrhus et Sénèque, ses deux précepteurs, le faisaient rougir de sa subordination à cette mère, qui lui disputait la réalité du pouvoir impérial.
« Bessancourt, le 9 juillet 1861. » XII Voilà donc quatre témoignages d’hommes encore vivants qui, indépendamment des témoignages écrits, ne laissent aucun doute sur la réalité des scènes solennelles et des paroles mémorables qui précédèrent le supplice des Girondins ; sauf ces légendes plus ou moins exactes, plus ou moins amplifiées, qui ne sont point du fait de l’historien, mais du peuple, espèce d’atmosphère ambiante de l’imagination populaire qui enveloppe toujours les grands événements, comme elle enveloppe dans la nature les grands horizons.
S’il n’avait pas la vertu de la probité politique, il avait le génie des réalités.
Comment pourrais-je oublier jamais cette ode de 1825, à Lamartine, qui éleva mon nom plus haut cent fois que la réalité, sur le souffle d’un tourbillon d’amitié, vent d’équinoxe du printemps, qui prend une feuille et qui la porte aussi haut qu’un astre ?
Il y a là-dedans illusion et réalité, consolation et tristesse : Maurice partout.
Et puis nous avons depuis Rousseau et Chateaubriand des besoins d’imagination et de sensibilité que nos pères ignoraient : moins suspendus que nous aux formes fugitives de l’être, moins frémissants de sympathie avec la vie universelle, méprisant dans la nature la matière, et ne faisant des sens que les instruments de l’utilité pratique et des plaisirs inférieurs, ils ne sentaient pas comme nous la sécheresse des pures conceptions intellectuelles : ils se satisfaisaient de posséder la vérité abstraite sans aspirer à toucher la réalité concrète.
» …… Byron dans tous ses ouvrages et dans toute sa vie, Goethe dans Werther et Faust, Schiller dans les drames de sa jeunesse et dans ses poésies, Chateaubriand dans René, Benjamin Constant dans Adolphe, Senancourc dans Oberman d, Sainte-Beuve dans Joseph Delorme, une innombrable foule d’écrivains anglais et allemands, et toute cette littérature de verve délirante, d’audacieuse impiété et d’affreux désespoir, qui remplit aujourd’hui nos romans, nos drames et tous nos livres, voilà l’école ou plutôt la famille de poètes que nous appelons Byronienne : poésie inspirée par le sentiment vif et profond de la réalité actuelle, c’est-à-dire de l’état d’anarchie, de doute et de désordre où l’esprit humain est aujourd’hui plongé par suite de la destruction de l’ancien ordre social et religieux (l’ordre théologique-féodal), et de la proclamation de principes nouveaux qui doivent engendrer une société nouvelle.
L’une reconnaît plus vite la réalité du mérite dans un ouvrage, l’autre en découvre plus aisément la fausseté.
Comme le public imagine toujours le contraire de la réalité, M. de Goncourt et Alphonse Daudet passaient auprès de lui pour des amis intimes ; et il avait fini par le leur faire croire.
Mais il n’est point en elle impliqué, — en contre-sens, — ainsi que l’ont vu Darwin et Spencer, que cette nécessité vitale soit pour l’évolution, une Fin : tandis qu’en essentielle réalité elle s’en dénonce, pour parvenir à plus d’harmonie et d’équilibre — un moyen.
Léon Daudet a voulu montrer comment le puissant dramaturge de Macbeth et du Songe d’une nuit d’été avait pu acquérir, au contact de la réalité, sa psychologie pessimiste et son lyrisme éperdu. […] Elle donne de l’assiette, crée des relations fortes et sûres, apprend à connaître le détail étroit et précis des intérêts humains, rapproche de la réalité. » Mais, lorsqu’on est stimulé par l’ambition, fût-on évêque, colonel, avocat général, préfet ou recteur, on ne quitte jamais Paris sans esprit de retour. […] Le sacrifice des inclinations individuelles à l’intérêt général, le respect des supériorités évidentes, l’habitude de la discipline et de l’abnégation, l’idéalisme obstiné, uni au sentiment des réalités pratiques sont les conditions essentielles du progrès et de la gloire. […] Albert Sorel a narré les aventures du Docteur Egra, et l’on s’explique, après avoir lu ce conte, pourquoi l’auteur de l’Europe et la Révolution française aperçoit si bien des formes vivantes et des réalités précises derrière les dossiers et les protocoles dont il excelle à débrouiller le chaos. […] La vue de la réalité leur ferait prendre en dégoût les « cahiers d’expressions » qui surchargent leur mémoire.
Armande, distinguée, fine, élégante, mais précieuse, et croyant, quoiqu’elle aime Clitandre, qu’il y va de sa gloire de faire une belle défense et de mépriser les réalités de l’amour, se refuse longtemps. […] Aussi le contraste entre son illusion et la réalité le conduit-il à exagérer leurs défauts ; il les morigène, ce qui, faussement, fait croire qu’il les hait. […] — Oui, je l’aimais, avec autant de volupté Que le vulgaire en trouve en la réalité ! La réalité même est moins satisfaisante : Sous une même forme elle se représente ; Mais une Iris en l’air en prend mille en un jour. […] Dansces conditions, tout ce qui est de comédie disparaît et le rôle de La Musardière est précisément celui où il y a le plus de comédie, c’est-à-dire de réalité poussée à la charge, mais enfin de réalité.
Il n’a fait qu’effleurer la Laponie, mais l’aperçu qu’il en a tracé est vivant et s’anime, jusque dans sa réalité, d’un souffle de sympathie humaine. […] Le Voyage dantesque, c’est-à-dire le pèlerinage à tous les lieux consacrés par les vers du poète florentin, la Poésie grecque en Grèce, et une Course dans l’Asie Mineure, qui n’en est qu’un chapitre détaché, sont des essais d’un genre composite, un mélange de réalité, de souvenirs, de lectures et d’observations, le tout vivement présenté et des mieux assortis.
Emporté rapidement dans un traîneau découvert, il voyait ces êtres fantastiques s’agiter autour de lui, et il avait peine à ne pas croire à leur réalité. […] On n’y vit que les rêves d’une âme pieuse ; on ne lui demanda pas compte des réalités.
Certes, nous avons galvanisé, autant qu’il est possible, l’histoire, et galvanisé avec du vrai, plus vrai que celui des autres, et dans une réalité retrouvée. […] Dans cette fatigue d’émotions perpétuelles, assis sur une chaise du boulevard, après dîner, la réalité des passants, des choses, du boulevard, perd de son relief, et tout prend à nos yeux des effacements de rêve.
Jamais la Vérité, dans sa réalité ou dans son fantôme, n’a été recherchée avec plus de zèle, embrassée avec plus d’ardeur, possédée avec plus d’amour. […] Malgré tout, l’art l’emportera sur l’histoire, les marbres prévaudront sur les textes, les tableaux recouvriront la réalité. […] L’exagération même des caricatures atteste l’horreur des réalités. […] Entre lui et son peuple tous les liens se brisent, toutes les voies se rompent : il devient aussi étranger à la réalité des choses et des hommes que s’il habitait une autre planète. […] Il n’a pas d’histoire : arrivé au milieu de nous dans un nuage de contes, il s’est habitué à y vivre, et il en a si bien épaissi les ombres, qu’il ne pourrait aujourd’hui distinguer sa réalité de sa fable.
Les plaisirs de l’intelligence seuls ne lui suffisent pas ; il lui faut ceux de l’imagination, le rêve après la réalité. […] Le dédain de l’argent lui a été enseigné par sa bonne petite ville de Tréguier, ville tout ecclésiastique, demeurant étrangère au commerce et à l’industrie, un vaste monastère où l’on appelait vanité ce que les autres hommes poursuivent, et où ce que les laïques appellent chimères passait pour la seule réalité. […] Encore une fois, c’est peut-être un roman que je bâtis là ; je ne garantis rien : et cependant, je serais bien étonné que ce roman fût très éloigné de la réalité. […] Pour le milieu où s’agiteront ses personnages, rien de plus simple : une enquête, un inventaire exact, l’observation minutieuse de la réalité. […] Il n’a eu qu’à ouvrir les yeux pour rencontrer une réalité pittoresque et poétique.
Je ne citerai pas ces résumés qui ont l’intensité d’intérêt de la réalité, mais une page de la préface qu’il leur a faite, pour donner idée de la façon dont M. […] C’est dans cet état moyen qui n’est pas encore le rêve, qui n’est déjà plus la réalité du moment, que renaissent tour à tour des images que l’on croyait très effacées et qui reprennent, pour un instant, toute leur netteté de forme, toute leur vivacité de coloris ; puis elles pâlissent, s’estompent, s’effacent, et font place à d’autres qui leur succèdent comme ces tableaux fondants que l’on nous montre par je ne sais quels artifices d’optique. […] Et certes, il y en a de la belle humeur dans ces pages écrites d’entrain, faites de réalités grotesques du jour et de souvenirs antiques, exhalant les parfums des lauriers roses de l’Attique et d’autres aussi qui ne les rappellent ni ne les font oublier. […] Il faut ajouter, sans rien retirer de son mérite au conteur, que les scènes terrifiantes qu’il met sous nos yeux ont été, pour la plupart, la réalité.
Voici le peintre qui a victorieusement enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises et qui, par une étude pour ainsi dire religieuse de la nature, l’a rajeunie, l’a renouvelée, l’a faite vraiment toute japonaise ; voici le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l’homme, la femme, l’oiseau, le poisson, l’arbre, la fleur, le brin d’herbe ; voici le peintre qui aurait exécuté 30 000 dessins ou peintures7 ; voici le peintre qui est le vrai créateur de l’Oukiyô yé 8, le fondateur de « l’école vulgaire », c’est-à-dire l’homme qui ne se contentant pas, à l’imitation des peintres académiques de l’école de Tosa, de représenter, dans une convention précieuse, les fastes de la cour, la vie officielle des hauts dignitaires, l’artificiel pompeux des existences aristocratiques, a fait entrer, en son œuvre, l’humanité entière de son pays, dans une réalité échappant aux exigences nobles de la peinture de là-bas ; voici enfin le passionné, l’affolé de son art, qui signe ses productions : « fou de dessin »… Eh ! […] Un roman illustré par nombre de dessins d’un grand intérêt pour l’histoire des mœurs du Japon, dessins de la réalité la plus absolue, entremêlés de dessins fantastiques, comme l’apparition d’un esprit à une mariée, la nuit de ses noces, apparition la faisant accoucher d’un monstre que le mari étrangle ; comme l’étrange vision, en un paysage, la nuit, de milliers de renards dans la lumière d’un clair de lune : roman dont le dénouement montre, au milieu d’un noir ciel sillonné d’éclairs, le prince agenouillé devant la tombe de son père, la tête de son assassin posée sur un présentoir. […] À côté de ces bêtes sorties d’une réalité imaginative, des dessins de femmes, tantôt d’une délicatesse de rêve, comme cette longue femme dans sa robe blanche, avec le flottement autour d’elle de sa noire chevelure, tantôt d’une originalité gracieuse, comme ces deux femmes dans un coup de vent qui les courbe presque à terre, avec l’envolée derrière elles de leurs cheveux et de leurs robes. […] Au fond la réalité c’est le néant, et le néant c’est la réalité.
Mais la réalité, nous la voyons, et la beauté morale de sa nature s’y montre à nu en toute sincérité.
On voit une personne qui connaît le cœur, qui possède à fond la réalité des cours, et qui ne dit pas tout.
Je n’oserais affirmer que toutes ces vues soient parfaitement exactes et conformes à la réalité : en général, on est tenté de s’exagérer les angoisses des philosophes qui se passent des croyances que nous avons ; on les plaint souvent bien plus qu’ils ne sont malheureux.
« Sur les croupes des destriers gris de fer reposent les têtes de ceux qui suivent. » — Il faudrait voir dans l’Iliade (chant xvi, vers 212 et suivants) la manière, également admirable, dont Homère exprime la jointure serrée des rangs des guerriers ; et, dans la course des chars ([Iliade, xxiii, 380), comment l’un des coureurs presse si fort son devancier, que les chevaux de l’un ont l’air à tout moment de monter dans le char de l’autre : « Et le dos et les larges épaules d’Eumèle sont toutes moites de l’haleine de ces coursiers, qui posent sur lui leur tête envolant. » La même réalité, rendue avec une vérité expresse, a donné les mêmes images.
. — Une pareille distinction est véritablement surprenante ; à cet âge, avec si peu de mots généraux et des notions si restreintes, distinguer l’apparence de la réalité, l’imitation visible de l’imitation tactile, la forme pure de la substance corporelle, cela est inattendu et donne la plus haute idée de la délicatesse et de la précocité de l’intelligence humaine.
Un corps politique, la Convention, qui statuait un tel droit public, n’était donc qu’une assemblée d’utopistes métaphysiciens, qui donnait pour base à la politique des sophismes au lieu de réalités pratiques.
Ces huit mois furent certainement l’extase la plus prolongée et la plus féconde qui ait jamais transporté l’imagination du poète et de l’amant au-dessus des tristes réalités de la vie.
Et cependant cette légère exagération de la stature étrusque n’altère ni la réalité ni la beauté, elle les dépasse.
Il a le plus inépuisable vocabulaire pour traduire tous les aspects des réalités concrètes : mais son invention verbale s’arrête, comme sa capacité de penser, à la frontière de l’abstraction.
Car non seulement on n’arrive pas à établir que la religion chrétienne soit plus particulièrement que les autres divine et révélée, mais on ne réussit pas à prouver que, dans le champ de la réalité attingible à nos observations, il se soit passé un événement surnaturel, un miracle.
Étant ce qu’il est, il ne pouvait pas ne pas voir, sous les surfaces peintes ou arrangées dont on la couvre, la réalité révolutionnaire.
Tout le monde moral de l’art y passait dans la simple représentation physique, et plus tard, dans Salammbô, ce fut bien pis… Mais si déjà Flaubert abusait alors de son unique procédé, la description, la plus minutieuse description, le calque à la vitre de toute réalité, qui, pour faire trop réel, supprime la vie, il l’appliquait du moins encore comme un être raisonnable ; il était encore maître de son procédé ; mais, à présent, c’est son procédé qui est son maître.
Son génie a reçu de la réalité les plus beaux ébranlements. […] Nous n’apercevons presque jamais la réalité des choses, mais leurs images réfléchies faussement par nos désirs… Tandis que nous nous berçons ainsi de chimères, le temps vole et la tombe se ferme tout à coup sur nous. […] Dans les deux cas, nous pouvons croire que notre imagination et notre désir dépassent la réalité. […] La communion, c’est « l’union entre une réalité éternelle et le songe de notre vie ». […] Sa vanité nous choque dans ses Mémoires, où elle s’étale sans pudeur et presque sans interruption : mais, dans la réalité, elle admettait des trêves.
— Précautions à prendre dans l’application de nos cadres à la réalité. — Différence possible entre l’espace géométrique et l’espace physique. — Tous les axiomes examinés sont des propositions analytiques plus ou moins déguisées. […] Nous n’en savons rien ; nous ne pouvons rien préjuger ; là-dessus, toute assertion ou négation serait gratuite ; le champ est libre pour les hypothèses, et il appartient à l’hypothèse qui s’accordera le mieux avec les faits observables. — En somme, entre le réceptacle préconçu et le réceptacle observé, la coïncidence est grande ; il y a même des chances pour qu’elle soit complète : car, si nous avons créé le fantôme interne, nous l’avons créé avec des éléments empruntés à la réalité externe, avec les éléments les plus simples et combinés de la façon la plus simple.
Ce parti républicain, qui, plein des funestes erreurs qu’on répand depuis un demi-siècle sur l’histoire de la Révolution, s’est cru capable de répéter une partie qui ne fut gagnée il y a quatre-vingts ans que par suite de circonstances tout à fait différentes de celles d’aujourd’hui, s’est trouvée n’être qu’un halluciné, prenant ses rêves pour des réalités. […] L ‘enseignement doit surtout être scientifique ; le résultat de l’éducation doit être que le jeune homme sache le plus possible de ce que l’esprit humain a découvert sur la réalité de l’univers.
Samedi 18 mai Les architectures exotiques de cette Exposition en tuent un peu la réalité ; il semble qu’on processionne dans les praticables d’une pièce orientale. […] Enfin de la réalité rigoureuse, exécutée dans un état d’hallucination mystique, et à laquelle une maladresse naïve ne fait qu’ajouter un charme : de l’art qui a une certaine ressemblance avec l’art de Mantegna.
Nous n’aimons pas l’imaginé du livre, le suicide de la femme, mais nous trouvons bien, très bien toute la reproduction de la réalité, que Rosny a rencontrée dans la vie, et nous le reconnaissons comme un grand et puissant analyste de la souffrance humaine. […] Jeudi 3 mai Aujourd’hui, dans le brisement du corps, qu’a amené chez moi la crise d’avant-hier, et où je me suis couché dans la journée, j’ai mon éternel cauchemar, mais dans une apparence de réalité, qu’on pourrait qualifier de douloureusement lancinante.
Ses vêtements ne la cachent pas sans mouler sur elle leurs contours ; elle est visible et claire dans les expressions qu’elle s’est données et dont elle est le lien, la cause, la raison d’être ; comme un monarque asiatique, la pensée reste invisible ; elle agit par des représentants qui ont reçu d’elle mandat et puissance et dont l’accord révèle sa réalité. […] Le sens commun conçoit les genres un peu autrement que ne fait l’histoire naturelle, et les descriptions du psychologue ne peuvent concorder exactement ici avec les définitions du logicien ; pour le psychologue et pour le sens commun, les espèces font partie du genre à des degrés divers, les unes plus les autres moins ; ces degrés disparaissent si l’on envisage les genres et les espèces du point de vue du naturaliste et du logicien ; tous deux introduisent arbitrairement dans la réalité psychique ou naturelle une rigueur mathématique étrangère aux données de l’observation.
Samedi 23 juillet Je voudrais rêver de lui ; ma pensée, toute la journée occupée de lui, l’espère la nuit, appelle, sollicite sa douce résurrection dans la trompeuse réalité du songe. […] Le catholicisme est une crétinisation de l’individu : l’éducation par les Jésuites ou les frères de l’école chrétienne arrête et comprime toute vertu summative, tandis que le protestantisme la développe. » La douce et maladive voix de Berthelot rappelle les esprits des hauteurs sophistiques aux menaçantes réalités : « Messieurs, vous ne savez peut-être pas, que nous sommes entourés de quantités énormes de pétrole, déposées aux portes de Paris, et qui n’entrent pas à cause de l’octroi, que les Prussiens s’en emparent et les jettent dans la Seine, ils en feront un fleuve de feu qui brûlera les deux rives ! […] Alors, cette femme, lente à revenir de sa rêvasserie à la réalité, d’une voix, qui est comme une plainte de malade, me dit : « Je vous remercie de votre bon cœur ; je n’ai pas besoin, je suis seulement chagrine !
Il n’y eut là aucun phénomène de dédoublement ou de rénovation : une intelligence naturellement réaliste s’adaptait à des fonctions réalistes, comme d’abord, elle s’était adaptée, en littérature, à l’analyse logique et minutieuse de la réalité. […] Le Nazaréen, le Khalife de Carthage sont de larges tableaux d’une civilisation ; l’action humaine en des décors fictifs prend quelquefois un air plus humain que dans le cadre de la réalité ; il y a des époques du monde qu’un dialogue entre des personnages imaginaires, mais logiques, simples, tout émus par l’unique idée qui est leur vie, nous rend mieux que des chroniques ou des annales. […] La vie de l’homme est un acte de foi et un acte de confiance (ces deux mots sont presque des doublets) ; il faut que l’homme croie, sinon à la réalité, du moins à la véracité de sa vie et de la vie ; il faut qu’il ait foi dans la floraison, aux heures où il plante son verger, et foi dans la fructification aux heures où il se promène sous les fleurs.
C’est à elle que je dois l’esprit de philosophie, l’amour de l’exactitude et de la réalité physiologique, le peu de bonne méthode qui a pu passer dans mes écrits, même littéraires.
Ce qui dépopularisait, en effet, la poésie épique dans nos siècles nouveaux, c’était l’absence de réalité dans l’épopée.
Je les renvoyai de là, et je repris lentement le chemin qui conduit à Saïde. » XXXIX Je reprends : Et maintenant que j’ai vécu, et que j’ai connu le néant et l’ironie de la vie dans le monde des réalités politiques, j’ai pris de lady Esther Stanhope une tout autre idée que celle que j’en ai eue à Djoum dans la nuit que je passai avec elle dans son ermitage du Liban.
Quand on a tant promis l’idéal, il faut détromper avec la réalité.
On craignait que cette consécration poétique, cette transfiguration merveilleuse de la réalité ne souffrît quelque atteinte dans l’esprit du brillant écrivain, s’il prêtait l’oreille à des confidences indiscrètes.
Je ne pense pas qu’aucun poète romain ait reçu plus de marques de sympathie, plus de signes d’intelligence et d’amitié de la jeunesse de son temps que je n’en ai reçu moi-même ; moi si incomplet, si inégal, si peu digne de ce nom de poète ; ce sont des espérances et non des réalités que l’on a saluées et caressées en moi.
La vision se substitue par degrés à la réalité.
Si les rémunérations et les châtiments futurs ont quelque réalité, il est clair que ces rémunérations et ces châtiments doivent être proportionnés à une vie entière de vertu ou de vice.
Le regret de ma vie est d’avoir choisi pour mes études un genre de recherches qui ne s’imposera jamais et restera toujours à l’état d’intéressantes considérations sur une réalité à jamais disparue.
Quel filet jeter sur ce dieu fugace qui tantôt se joue à la claire surface des réalités, et tantôt plonge dans l’abîme obscur des symboles ?
Il ajoutait qu’au contraire, le peuple russe, qui est un peuple menteur, comme un peuple qui a été longtemps esclave, aimait dans l’art la vérité et la réalité.
Victor Hugo, qui a toujours le coup de vent lyrique dans les cheveux, même quand il écrit en prose, nous dit, dans deux mots napoléoniens de préface, que « ce sont là les réalités et les fantômes vagues, riants ou funèbres que peut contenir une conscience, revenus, rayon à rayon, soupir à soupir et mêlés dans la même nuée sombre. » Cette conscience, qui se divise en deux tomes, porte deux noms différents : « Autrefois », — « Aujourd’hui ».
S’il est vrai que la réalité ne lui suffise point, il faut donc que l’imagination y supplée et le satisfasse dans sa tendance à s’occuper de l’idéal. […] Au contraire, les fictions chez les Grecs leur paraissaient identiques à leurs propres usages : ils jugeaient avec certitude l’imitation plus ou moins fidèle des réalités qui se rapportaient à leur histoire : leur goût dut aussi se perfectionner plus vite, et leurs auteurs durent plus promptement se former sur lui. […] L’illusion s’accroît, il est vrai, par l’éloignement des temps et des lieux ; et nulle réalité connue ne dément dans l’esprit l’attachante erreur que fait naître l’imitation poétique. […] Le parricide, l’inceste, le meurtre, l’empoisonnement, les ordres dictés pour le carnage, sont de tristes réalités que l’instinct de nos cœurs nous porte toujours à démentir, et dont la multitude s’efforce, autant qu’elle le peut, à repousser l’idée.
Chénier ; elle ne nous laisse que malaisément démêler, au milieu des règles qui la contraignent, sous un langage et des sentiments d’exception, la réalité de la vie quotidienne. […] Flaubert, qui bâtit les gens d’une seule pièce et qui ne relève si soigneusement les défauts de la tenue, la graisse, le tabac, les macules jaunes, que pour savourer le contraste ironique de la réalité ainsi accommodée avec la grandeur idéale des fonctions. […] C’est qu’il nous ramène par d’autres chemins au bord des mêmes précipices ; il nous dégoûte de la réalité aussi profondément que le pourraient faire les poètes les plus idéalistes, et il nous enlève, hélas ! […] Avisez-vous de la société comme elle va ; opposez à certains de ses personnages la réalité fâcheuse ; leurs exploits s’arrêteront court. […] Il y a dans son théâtre une partie de réalité qui prouverait avec surabondance que la délicatesse du goût dans la société polie n’exclut point la parfaite grossièreté des sentiments, et la fantaisie même n’a pas assez de perles à son corsage pour en couvrir certaines nudités.
Verhaeren est l’évocateur d’une réalité idéalement déformée, où l’apport du réel est amplifié par une optique imaginative d’une rare et magnifique puissance. […] Une fois pour toutes, durant ces années de début, il avait aiguisé, au contact de la réalité, son terrible esprit dont il tira l’âpre plaisir de toujours frapper juste, au point sensible, les ridicules, les vanités ou les vilenies qu’il dénonçait de l’un ou l’autre de ses « mois » célèbres, que tantôt il inscrivait en légende à ses dessins, que tantôt il laissait se répéter de bouche en bouche et qui sont le commentaire vivant des mœurs et de l’histoire d’un temps dont il fut le grand satiriste et l’impitoyable témoin.
Les anciens chroniqueurs, qui ne notèrent souvent qu’avec un sens bien vague de la réalité les grands événements de leur époque, ne manquent jamais de renseigner la postérité sur le temps qu’il faisait. […] Quand on se les rappelle, il semble qu’on commence à être très vieux, beaucoup plus vieux que la réalité.
Il croyait davantage aux mots qu’aux réalités, qui ne sont, d’ailleurs, que l’ombre tangible des mots, car il est bien évident, et par un très simple syllogisme, que, s’il n’y a pas de pensée en absence de verbe, il n’y a pas, non plus, de matière en absence de pensée. […] « Le seul contrôle que nous ayons de la réalité, c’est l’idée. » Encore : « … Et sur le sommet d’un pin éloigné, isolé au milieu d’une clairière lointaine, j’entendis le rossignol, — unique voix de ce silence… Les sites « poétiques » me laissent presque toujours assez froid, — attendu que, pour tout homme sérieux, le milieu le plus suggestif d’idées réellement « poétiques » n’est autre que quatre murs, une table et de la paix.
Non, sans doute : autant de peintres, autant de tableaux ; autant d’imaginations, autant de miroirs ; mais l’essentiel est qu’au moins il y ait par époque un de ces grands peintres, un de ces immenses miroirs réfléchissants ; car, lui absent, il n’y aura plus de tableaux du tout ; la vie de cette époque, avec le sentiment de la réalité, aura disparu, et vous pourrez ensuite faire et composer à loisir toutes vos belles narrations avec vos pièces dites positives, et même avec vos tableaux d’histoire arrangés après coup et symétriquement, et peignés comme on en voit, ces histoires, si vraies qu’elles soient quant aux résultats politiques, seront artificielles, et on le sentira ; et vous aurez beau faire, vous ne ferez pas qu’on ait vécu dans ce temps que vous racontez.
De plus, elle a ajouté que la dame Germaine, quelque temps avant sa mort, lui avait confessé n’être pas l’auteur de ses jours, mais qu’ayant eu pour elle les soins d’une mère, elle lui demandait, avec le secret de cet aveu, l’amitié et les sentiments d’une sœur pour ses enfants, en retour de ce qu’elle avait eu pour elle de tendresse et d’affection. » Après ce tribut largement payé au chapitre des informations personnelles, je me hâte de revenir à l’élégie ; notez bien que, chez Parny, elle serre toujours d’assez près la réalité pour qu’on puisse passer, sans trop d’indiscrétion, de l’une à l’autre.
XVII À l’époque où madame Récamier le connut et lui permit de l’aimer, il avait déjà écrit une espèce de poème en prose, Antigone, sorte de Séthos ou de Télémaque dans le style de M. de Chateaubriand ; on parlait de lui à voix basse comme d’un génie inconnu et mystérieux qui couvait quelque grand dessein dans sa pensée ; il couvait, en effet, de beaux rêves, des rêves de Platon chrétien, rêves qui ne devaient jamais prendre assez de corps pour former des réalités ou pour organiser des doctrines.
Rousseau écrivaient de plus beaux rêves ; mais c’étaient des rêves plus dangereux que des réalités.
Le symbolisme de la donnée acquiert d’autant plus de puissance qu’il a pour base plus de réalité.
Ce sont là de belles théories qui frisent l’idéal, mais la réalité nous montre l’humanité faite de passions, et plus elles sont injustes, moins il est facile de les détruire.
Daudet me disait, ce soir, qu’on était venu le chercher, pour la mort de sa mère, au moment où il était en train de faire le premier feuilleton de L’Évangéliste, et qu’il avait été pour lui très douloureux, de reprendre ce feuilleton, où la fiction de son roman se mêlait à la réalité du triste spectacle, qu’il venait d’avoir sous les yeux.
La vie, dans ma situation, et après les épreuves que j’ai traversées ou que je traverse, ressemble à ces spectacles dont on sort le dernier et où l’on stationne malgré soi, en attendant que la foule s’écoule, quand la salle est déjà vide, que les lustres s’éteignent, que les lampes fument, que la scène se dénude avec un lugubre fracas de ses décorations, et que les ombres et les silences, réalités sinistres, rentrent sur cette scène tout à l’heure illuminée et retentissante d’illusions.
Je ne crus bien moi-même à la réalité des motifs de mon enthousiasme qu’en le voyant répercuté dans le cœur d’un homme de science.
un autre inconnu, plus terrible que le premier, au-delà de l’inconnu de la tombe, et qu’il tremble de n’embrasser qu’un rêve fugitif dans ses bras désespérés, en croyant embrasser enfin l’éternelle réalité d’où il émane et à laquelle il retourne !
L’affinité, quelque faible qu’elle soit, qui existe entre le sud-ouest de l’Australie et le cap de Bonne-Espérance, et dont Hooker m’a bien affirmé la réalité, est encore plus étonnante, mais cette affinité reste bornée au règne végétal et s’expliquera sans nul doute quelque jour165.
Nul récit moderne n’atteindrait à la réalité pour peindre cette puissance irrésistible de la chaire apostolique : il faut recueillir quelques paroles d’Innocent III. […] Au risque de faire une division symétrique ou systématique, je continue, et je trouve encore dans une troisième classe de romans l’influence de la réalité sur la fiction. […] On l’admire, quand elle renouvelle la réalité. […] Nulle part on ne sentira mieux l’alliance entre la réalité des événements et les fictions de cette époque. […] L’historien de ce livre, qui en est aussi un des principaux personnages, nous offre dans ses actions la réalité de cette chevalerie, dont les romans du moyen âge ont tracé la peinture idéale.
e Rémusat proclamait récemment la première des femmes, en est atteinte ; et, sans sortir de notre connaissance et de notre littérature, je retrouve quelques traits irrécusables chez un certain nombre de personnages de la réalité ou du roman (j’aime à les confondre), chez Louise Labé, chez la Religieuse portugaise, la princesse de Clèves, Des Grieux, le chevalier d’Aydie, mademoiselle de Lespinasse, Virginie, Velléda, Amélie.
Il en était fier, comme on voit, mais nullement satisfait : il lui fallait la réalité autant que la dignité du pouvoir.
Thiers raconte ensuite, avec la verve d’un Molière politique, les rôles divers joués par le premier Consul, par sa femme, par ses frères, par ses sœurs, par le sénat, par le conseil d’État, par Fouché, par Cambacérès, ses confidents, chargés de risquer les indiscrétions et de subir les désaveux pour se faire offrir sous un nom ou sous un autre le titre du pouvoir monarchique dont il avait déjà la réalité.
Tout cet édifice, tous ces jardins, toutes ces eaux, tous ces murmures, rappelaient tellement les demeures enchantées où l’Arioste avait égaré nos imaginations depuis un mois de merveille en merveille, d’amour en amour, qu’en vérité je ne savais pas bien si j’étais dans le songe ou dans la réalité. « Adieu !
La pratique des hommes et des affaires donnait au consul un sens des réalités qui manquait totalement au Platon de Genève.
Rousseau d’Athènes, possédant un style admirable pour les chimères, mais n’ayant pas la moindre connaissance des hommes, ni le moindre tact des réalités, et donnant à sa république idéale des lois en perpétuelle contradiction avec la nature humaine et avec la fondation, la conservation et le but des sociétés.
Voilà la philosophie de la réalité, en opposition avec la philosophie des rêves.
De toutes les conventions elle est la plus près de la réalité : ce sont nos mœurs, nos scènes de famille, nos travers ; c’est nous.
Vous avez là sous une forme plaisante l’image de ce qui se passe dans ces jeunes esprits, quand, au sortir du collège, ils se trouvent aux prises avec la réalité.
La remarque de Dujardin rappelle le lecteur d’aujourd’hui à la réalité d’alors : « attendons qu’un des drames wagnériens ait été représenté ».
Là-dedans, la pensée s’engourdit, le sentiment de la réalité des personnes et des choses s’en va, et l’on reste somnolent, les yeux ouverts, pendant que vos doigts tripotent machinalement toutes les choses de la toilette et du maquillage.
Cela fait entrer en vous des espérances déraisonnables, et la griserie de vos espérances s’évanouit devant la décevante réalité. « Vous savez, on a retiré… oui, à 4 000 !
Elle apprend à connaître le prix et la réalité des deux mondes terrestre et céleste.
Si la jeunesse reste éternellement grâce, elle ne sera jamais force ; si elle reste éternellement espérance, elle ne sera jamais réalité ; si elle reste éternellement promesse, elle ne sera jamais fructification.
Le seul changement qu’il se permette de faire à la réalité, c’est de leur donner toutes les vertus, ce qui est moralement très édifiant, mais poétiquement très sec et très pauvre ; car tout le monde se ressemble de la façon la plus ennuyeuse et la plus monotone, quand tout le monde est parfait. […] Je ne sais si la postérité, à la faveur de l’éloignement, pourra confondre dans une sorte de brouillard poétique les réalités de 1870 avec la légende de 1792, et admirer cet appel aux fourches. […] C’est cette réalité trop historique, cette certitude, cette dure et présente expérience qui nous rend indigestible une pareille poésie, lors même qu’elle serait meilleure. […] On a beaucoup dit, vous entendrez probablement dire, mes enfants, que c’était là uniquement de la poésie, une belle chimère sans rapport avec la réalité… Le moyen âge est, en effet, une des plus brutales, des plus grossières époques de notre histoire, une de celles où l’on rencontre le plus de crimes et de violences, où la paix publique était le plus incessamment troublée, où la plus grande licence régnait dans les mœurs.
Il y a lieu, en effet, de la part des réalités de chaque jour, à trop d’exceptions et de démentis.
Paul Je le crois en ce sens que nos rêves sont faits de la même étoffe que nous-mêmes, L’œuvre ressemble forcément à l’imagination et à l’intelligence de l’écrivain sinon à la réalité de sa vie.
« Ces apparitions nocturnes que, le jour, je nommais de sottes illusions, le soir redevenaient pour moi d’effrayantes réalités. » 242.
L’œuvre, c’est toujours l’homme : creusez bien, vous trouverez toujours une réalité sous une fiction.