Les temps où régna la parole furent les temps de l’imagination ; ceux où régna la pensée indépendante doivent être ceux de la raison. […] L’architecture nous a donné le style gothique ; mais les terribles inondations des Sarrasins et des hommes du nord, mais les croisades n’ont pu féconder notre imagination. […] Souvenons-nous que cette race éclatante des Homérides a cessé de régner sur nous, et qu’une nouvelle dynastie va se placer sur le trône de l’imagination, qui est vacant. […] Il a jeté dans l’empire de l’imagination toutes les idées et tous les sentiments qu’il devait y jeter. […] Les arts de l’imagination doivent rester la noble décoration de la société.
Là, ce n’est plus la mémoire seulement, c’est l’intelligence, l’imagination et le goût qui entrent en jeu. Je commençai à trouver du charme dans ces leçons, parce que j’y trouvais l’exercice de ma propre imagination et de mon propre discernement. […] Je devais retrouver avec délices, dans les descriptions de Théocrite, de Virgile, de Gessner, les images connues et embellies par l’imagination de ces poètes. […] On pourrait dire que l’homme est la pensée manifestée de Dieu, et que l’univers est son imagination rendue sensible. […] Ces vers avaient coulé, non plus de son imagination, mais de son cœur, avec ses larmes.
C’était donc une expérience déjà faite, que toutes les fois que l’imagination asiatique venait toucher l’imagination méridionale de l’Europe, elle lui communiquait quelque chose de fastueux et de désordonné. […] Ce sont de curieux éléments pour l’histoire, et non des spectacles pour l’imagination. […] Je ne puis séparer les recherches techniques des souvenirs qui flatteraient votre imagination. […] Tout ce que l’imagination peut réunir, peut supposer de plus grand, se retrouve en lui. […] Il en est ainsi de Joinville ; la vive imagination et en même temps l’imagination ignorante de cet ingénieux chevalier lui a donné des paroles qui ne peuvent s’oublier.
Est-ce à la froide raison à guider l’imagination dans son ivresse ? […] Et comment Boileau qui a si peu imaginé, auroit-il été un bon juge dans la partie de l’imagination ? […] Le sentiment & l’imagination favent bien s’épancher quand ils abondent dans l’ame. […] Les livres ne présentent point de modele aux yeux, mais ils en offrent à l’esprit : ils donnent le ton à l’imagination & au sentiment ; l’imagination & le sentiment le donnent aux organes. […] Ainsi le poëte qui n’avoit autrefois que l’imagination à séduire, a de plus aujourd’hui la réflexion à surprendre.
Il résultait de cette séparation presque absolue, entre les études philosophiques et les occupations de l’homme d’état, que les écrivains grecs cédaient davantage à leur imagination, et que les écrivains latins prenaient pour règle de leurs pensées la réalité des choses humaines. La littérature latine est la seule qui ait débuté par la philosophie ; dans toutes les autres, et surtout dans la littérature grecque, les premiers essais de l’esprit humain ont appartenu à l’imagination. […] L’art d’écrire ne s’était développé que longtemps après le talent d’agir ; la littérature eut donc, chez les Romains, un tout autre caractère, un tout autre objet, que dans les pays où l’imagination se réveille la première. […] La littérature d’imagination a suivi une marche inégale ; mais la connaissance du cœur humain et de la morale qui lui est propre, s’est toujours perfectionnée progressivement. […] Ennius, le meilleur des trois, est un poète incorrect, obscur, et d’une imagination peu poétique.
L’imagination, fécondée par une grande mémoire, c’est là tout le talent de M. […] Chez lui, nous le répétons, l’imagination tient lieu de tout ; l’imagination seule conçoit et exécute : c’est une reine qui gouverne sans contrôle. […] Les muses de l’ode ne sont-elles pas la mémoire et l’imagination ? […] La mémoire et l’imagination en ont fait tous les frais. […] Victor Hugo ; la description, fille de la mémoire et de l’imagination ; de la mémoire, qui dispose les objets par plans, et de l’imagination, qui les colore.
Il a plus d’imagination que de sensibilité. Enfin sa sensibilité est égoïste et son imagination est expansive. […] Une idée poétique est une idée qui parle à l’imagination, et qui fait que la raison devient l’auxiliaire de l’imagination, ou sa complice, ou sa dupe. […] Il est la gaîté de l’imagination, comme l’autre est la gaîté de la raison. […] Hugo en sort encore par son imagination.
De tempérament, et je n’entends pas uniquement le tempérament physiologique, mais le tempérament moral, de tempérament l’auteur des Soixante ans est un écrivain d’imagination, qui est peut-être entré dans l’histoire encore plus pour faire des tableaux que pour faire de la politique ; car l’histoire a cela de bon qu’elle fournit l’occasion de peindre quand on ne sait pas inventer. Eh bien, en sa qualité d’écrivain d’imagination, Hippolyte Castille adore la force et voudrait bien en avoir ! […] Castille a les opinions politiques de son genre d’imagination, et cette imagination, sauf erreur, doit être du midi, du pays où l’on aime le rouge et les combats de taureau. […] Les splendeurs de cette salle étincelante, que la musique du roi remplissait d’harmonie, exaltèrent l’imagination des jeunes militaires, déjà disposés à l’enthousiasme. […] Nous aurions mieux aimé, pour notre compte, ceux que Castille aurait pu nous donner en restant dans la littérature non politique et dans le domaine de l’imagination avouée.
L’imagination n’est pas éteinte, ni le don de sentir paralysé chez nos jeunes contemporains. […] Feuillet qu’il ne s’est peut-être pas suffisamment préoccupé des exigences légitimes de l’imagination. […] L’orage qui foudroie a des beautés contre lesquelles l’imagination voudrait en vain se défendre ; M. […] Critique, c’est l’imagination qu’il a choisie pour conseillère et pour guide. […] La critique a rendu à son heure à l’imagination les secours que celle-ci lui avait d’abord prêtés.
Est-ce que Phidias ou Michel-Ange ne vous sculptent pas des images éternelles qui restent debout dans votre imagination comme sur leur piédestal ? […] Le beau, en un mot, c’est le rêve de l’artiste achevant par l’imagination l’œuvre de Dieu. […] Le lieu de sa naissance se représente souvent à mon imagination : l’âme des lieux se retrouve toujours plus ou moins dans l’âme de l’homme. […] Les catastrophes des femmes sont dans leurs cœurs ; Léopold ne pouvait transporter dans leur imagination ce qu’il ne voyait que dans leur âme. […] Comme il s’agit, pour ces auditeurs, d’un plaisir oisif d’imagination et de cœur, le peintre les a tous choisis dans l’âge de l’imagination ou de l’amour.
Parce qu’au lieu d’écrire comme Platon, avec l’imagination seule ; comme Morus et Vico, avec l’érudition seule ; comme Fénelon, avec la charité seule, J. […] La nature donne l’imagination, mais les hommes seuls donnent le bon sens. […] Ces tripotages d’amour, de jalousie, de curiosité, d’humeur, bagatelles prenant l’importance de crimes devant une imagination ombrageuse et grossissante, dégénérèrent en inimitiés acharnées entre Rousseau et madame d’Épinay. […] Énigme vivante, dont le seul mot est imagination malade. […] Le prestige du style, l’éloquence des sophismes, la rêverie de l’imagination, l’orgueil du paradoxe, la prétention à la nouveauté, n’y sont-ils pas pour tout, la raison et l’expérience pour rien ?
L’auteur du Génie du christianisme, obligé de faire entrer dans le cadre de son apologie quelques tableaux pour l’imagination, a voulu dénoncer cette espèce de vice nouveau, et peindre les funestes conséquences de l’amour outré de la solitude. […] Mais il faudrait, pour cela, se dépouiller de toute affectation personnelle, de toute prétention, et n’avoir point en partage une de ces imaginations impérieuses, toutes-puissantes, qui, bon gré mal gré, se substituent, dans bien des cas, à la sensibilité, au jugement, et même à la mémoire. […] Mais bientôt une des deux choses vient barrer le plaisir : ou une imagination bizarre et sans goût, ou une énorme et puérile vanité. […] L’imagination aussi vient trop fréquemment chez lui gâter le plaisir, celui même qu’elle nous a fait ; une imagination imprévue, bizarre, exorbitante, grandiose certes et enchanteresse souvent, retrouvant à souhait jeunesse et fraîcheur, mais inégale, saccadée, pleine de brusqueries et de cahotements : le vent tout à coup saute, et l’on est à l’autre bout de l’horizon. […] M. de Chateaubriand est seulement le premier écrivain d’imagination qui ouvre le xixe siècle ; à ce titre, il reste jusqu’ici le plus original de tous ceux qui ont suivi, et, je le crois, le plus grand.
Il faut avouer d’abord que le tour des imaginations est plus favorable en ce qui concerne Napoléon qu’il ne l’a jamais été par rapport à César et à Louis XIV. […] Mais la France, depuis les ébranlements de la Révolution et de l’Empire, a semblé acquérir, du côté de l’imagination et du penchant au merveilleux, une faculté nouvelle. […] Du reste, dans cette épopée, la partie d’imagination populaire serait remise à sa place ; elle pourrait se faire jour par endroits, ou circuler dans le tout avec art, mais sans masquer jamais les événements réels et les situations historiques. […] Quinet est de tous les hommes celui chez lequel le système que nous avons en partie critiqué nous apparaît le plus identifié avec la nature intime, avec la vie habituelle, avec le tour de la pensée et de l’imagination. Une individualité qui se peint dans ce poëme, peut-être à l’égal de celle de Napoléon, ne serait-elle pas celle même du poëte : poëte généreux, ingénu, au front éclairé et noyé de nobles lueurs, à la poitrine palpitante, à l’imagination inépuisable ?
Cet oratorien aimoit les sciences & les arts ; mais il n’aimoit que les sciences abstraites, quoiqu’il eût beaucoup d’imagination. […] On les jugeoit tous par l’imagination déréglée de quelques-uns. […] Les imaginations fabuleuses, ce merveilleux répandu dans la poësie Grecque & Romaine, ne trouvèrent pas plus de grace auprès de M. […] Enchanté de ce merveilleux qu’elles offroient à son imagination échauffée, il écrivit & combattit pour elles, comme un preux chevalier. […] Sa frivolité, son amour pour le plaisir, le feu de son imagination, le rendoient incapable de toute étude serieuse & suivie.
Il semble que cette nation spirituelle et vive, dans un climat doux et voluptueux, livrée à tout ce qui peut amuser l’imagination et enchanter les sens, s’occupe plutôt à jouir des impressions qu’elle reçoit qu’à les transmettre, et dans l’expression des arts même, cherche encore plus à intéresser les sens que l’âme et l’esprit. […] Enfin, dans leur conversation même, si souvent ingénieuse et piquante, par la vivacité des images et la force de la pantomime qui anime tous leurs discours, ils semblent surtout parler à l’imagination et aux sens. […] En Angleterre, rarement le pouvoir impose à l’imagination ; souvent il est suspect, et ceux qui l’exercent, perdent, par leur pouvoir même, une partie des hommages qu’auraient mérités, ou des talents, ou des vertus. […] Leur imagination solitaire et forte agrandit les hommes et les choses. […] On a de lui un éloge funèbre de Cromwell, plein d’imagination et de grandeur : le même homme loua ensuite Charles II.
C’est avec des faiblesses traînardes ce qu’a essayé Vigny, avec une finesse un peu courte Mérimée, avec sa verve et son imagination sans loisir de regarder Victor Hugo, l’Hugo charmant de Notre-Dame de Paris, pas le feuilletonnier ténor de Quatre-vingt-treize. […] Or la pensée impérieuse et presque accablante du travail historique, c’est le scrupule de l’exactitude, la crainte de l’imagination sacrilège de la vérité. Dès lors, quelle meilleure détente que de laisser courir cette imagination, avec la sécurité que les paysages et les figures qu’elle s’amusera à combiner seront tout de même de bon aloi historique, puisque cette imagination vagabonde est encore une imagination de savant. […] Lemaître est fâcheusement dépourvu d’imagination. […] Que vous appreniez comment Hermann, prince régent d’Alfanie de par l’abdication provisoire de son père le vieux roi Christian, et son frère Otto sont tués dans la même nuit, en chapitre final, le premier par sa femme Wilhelmine, le second par un garde-chasse, cela nous intéressera moins que le tragique fait-divers dont l’histoire d’une des grandes monarchies de l’Europe centrale a été éclaboussée l’autre année ; et j’aime mieux les imaginations successives qui m’expliquent, suivant le gré de l’heure, ce drame princier que l’affabulation de livraison populaire qu’y a, dans une préface qui est tout le roman, ajustée M.
Seulement, voici qui est particulier et par où le philosophe se distingue du pur artiste : si Taine considère que tous ces gens qu’il croise dans ses tournées sont asservis à une telle conception de la vie qu’il ne peut collaborer avec eux, il ne peut pourtant pas en prendre son parti et, comme un Gautier, un Flaubert, un Leconte de Lisle, déclarer : « Je ne connais pas ces bourgeois ; je me désintéresse de tout ce qui les préoccupe » ; en tant que sociologue, il faut bien qu’il envisage les destinées de son pays, et dans cet esprit doué si merveilleusement d’imagination philosophique et historique, cette horreur du « bourgeois », du « philistin », aboutira à cette déclaration que le type du fonctionnaire français, que l’esprit fonctionnaire (qui ne se trouve pas seulement dans les administrations, mais qui a peu à peu pénétré même les professions libres) doit déterminer la mort de l’énergie française et, par conséquent, la décadence de notre patrie. […] Taine, qui exècre le philistin et qui croit le retrouver dans tous les fonctionnaires et dans tous les administrés qu’il rencontre, s’est pris en revanche d’une amitié d’imagination pour un certain type d’Anglo-Saxon qu’il s’est construit et qu’il voit riche, grand consommateur, puissant au travail, ne relevant que de soi-même. Cette espèce d’homme, dans l’imagination du philosophe, joue le même rôle que joue l’artiste dans l’imagination d’Emma Bovary, ou l’Oriental noble et rêveur dans l’imagination d’un Lamartine.
Homme d’imagination plus savante que dévorante, il aimait les choses d’art, les belles étoffes, les armes, les camées, les urnes antiques, tout le bric-à-brac des civilisations lointaines et disparues, qui donnaient à son imagination l’élan fécond qu’elle n’avait pas naturellement. […] Il a de la poussière d’eux tous sur l’imagination. […] Il s’associait encore par le souvenir, et son imagination était surtout de la mémoire. Prenez ses œuvres d’imagination : Les Filles de feu, Loreley, La Bohème galante, et comptez les réminiscences ! […] Cette érudition si particulière et si malsaine, Edgar Poe, le tempérament américain, le puffiste immense dans l’ordre de l’imagination, le visionnaire qui fit entrer dans les constructions de la plus idéale ou de la plus sombre fantaisie une force de calcul digne de Pascal, en fut certainement moins victime que de l’ivrognerie, son vice favori, qui le tua !
De là vient que la même idée peut être traduite par une infinité de phrases métaphoriques, dont chacune lui donnera une nuance particulière, et affectera différemment la sensibilité ou l’imagination. […] En effet, si l’on sent vivement, la conception peut être en retard sur l’émotion ; l’intelligence n’arrive pas à se mettre au même pas que la sensibilité et l’imagination : alors la figure qui traduira le désir ou la passion sera vague et n’offrira point une idée claire à l’esprit. […] Cela n’a point d’inconvénient toutes les fois que la fin dernière du discours est la représentation d’un état de l’imagination ou de l’âme : toutes les métaphores alors, toutes les hyperboles, toutes les figures naturelles sont bonnes, du moment qu’elles font connaître cet état d’âme ou d’imagination au lecteur ou le suscitent en lui. […] Mais il menace toujours de détrôner Jupiter ou d’enflammer le monde aux éclairs de son épée, et, par ces hyperboles que son imagination enfante, il conserve son amour-propre dans la douce persuasion de son invincible vaillance : il ne peut être mis à l’épreuve sur de tels desseins ; s’il parlait terre à terre, il perdrait l’illusion de son héroïsme au premier choc de la réalité.
Le nombre et la cadence chatouillent l’oreille ; la fiction flate l’imagination ; et les passions sont excitées par les figures. […] Il est vrai que comme cet art demande beaucoup d’imagination, et que c’est ce caractére d’esprit qui détermine le plus souvent à s’y appliquer, on ne suppose point aux poëtes un jugement sûr, qui ne se rencontre gueres avec une imagination dominante. […] Les imaginations tranquilles et touchées des agrémens de la vie champêtre, ont inventé la poësie pastorale. Les imaginations vives et turbulentes qui ont trouvé de la grandeur dans les exploits militaires et dans la fortune des etats, ont donné naissance au poëme épique. […] Voilà pourtant tout le mystére, une imagination échauffée.
Il a l’imagination du mot plus que de la chose, et ce qui le prouve, ce sont les redites de ces seconds volumes, échos des premiers. […] Mais je l’ai dit, la distinction entre les deux imaginations devait être faite : Hugo n’a presque exclusivement que celle des mots. […] Seulement, cette imagination verbale, qu’il possède à un si étonnant degré, est comme toutes les grandes puissances, qui tournent à mal et à vice. […] C’est cette imagination, devenue funeste, qui lui fait, à toute page, entasser les mots sur les mots et sur les idées que ces mots étouffent. […] l’imagination se bercera voluptueusement dans l’idée d’un chef-d’œuvre.
Ils ont une imagination colorée et émue. Ils la plaquent de rouge, cette pauvre imagination, qui est née très-fraîche, et ils la flétriront, s’ils continuent, car il n’y a pas de mensonge innocent, et on porte la peine de son fard comme de ses autres menteries, mais enfin ils en ont ! […] De l’imagination et de la sensibilité, c’est la moitié d’un romancier ! […] Comparez-les à toute cette société puissante, idéale et réelle de Balzac, et réelle au même degré qu’idéale, quoique l’idéal dans Balzac atteigne à une telle élévation ou à une telle profondeur que les imaginations qui ne peuvent le suivre l’accusent de manquer de réalité ! […] Il est vrai qu’à côté des quelques misérables de lettres dont MM. de Goncourt ont fait « Les Hommes de lettres », il y a deux ou trois opulents portraits, très-ressemblants, dans lesquels on reconnaît quelques littérateurs de ce temps qu’on aime à rencontrer partout, mais surtout là, où ils nous lavent et nous essuyent l’imagination des figures inventées par MM. de Goncourt, en mépris de la littérature.
L’imagination, de son côté, est toujours soumise, dans la nouvelle comédie, aux lois de la vraisemblance théâtrale. […] L’imagination et la gaieté d’Aristophane sont libres de toute contrainte de la raison. […] L’imagination a ses lois propres. Une œuvre d’imagination a sa raison et sa logique intérieure qui ne lui est pas imposée du dehors, mais qui se développe en elle naturellement par une nécessité d’harmonie. […] C’est une fantaisie poétique qui passe devant notre imagination et disparaît, nous laissant le souvenir d’une brillante vision.
La chute et les légendes héroïques de l’Empire ouvrirent une source nouvelle aux imaginations françaises ; et, sans partialité contemporaine, il faut, dans l’époque qui suivit, reconnaître un âge poétique. […] Un des caractères éminents de sa gloire, un des privilèges de son inspiration sera d’avoir échappé à la loi du temps, à ce raffinement du goût, à ce travail artificiel qui marque les époques un peu tardives de l’imagination, les retours et les arrière-saisons des lettres. […] À ces impressions du premier âge et de la guerre, aux vicissitudes de la vie privée, allaient se mêler, pour cette forte imagination, les grands spectacles de la fortune et les dernières convulsions de la gloire. […] L’imagination sait rarement se modérer dans sa confiance ou dans son effroi : elle espère trop de la liberté, et elle en a trop peur ; elle invoque alors la dictature, et retrouve parfois les mêmes orages sous un autre nom. […] J’aime à le dire aujourd’hui : Lamartine, Victor Hugo, disputent aux cieux de la Havane, à la lumière de l’Andalousie, l’honneur d’avoir éveillé cette vive imagination et suscité une seconde gloire digne de la leur.
De la comédie grecque Les tragédies (si l’on en excepte quelques chefs-d’œuvre) exigent moins de connaissance du cœur humain que les comédies, l’imagination suffit pour peindre ce qui s’offre naturellement aux regards, l’expression de la douleur. […] C’est qu’ils avaient le bon goût qui appartient à l’imagination, et non celui qui naît de la moralité des sentiments. […] Le malheur, la puissance, la religion, le génie, tout ce qui frappait l’imagination des Athéniens excitait en eux une sorte de fanatisme ; mais cette impression se détruisait avec la même facilité, dès qu’on en substituait une autre également vive. […] L’émotion fait tout adopter, tout concevoir ; mais à la comédie l’imagination du spectateur est tranquille ; elle ne prête point son secours à l’auteur : l’impression de la gaieté est tellement légère et spontanée, que le plus faible effort, que la plus faible distraction pourrait en détourner.
Il faut ensuite que ces idées s’arrangent dans l’imagination, et qu’elles y forment ces tableaux qui nous touchent et ces peintures qui nous interessent. […] Quand nous lisons dans Horace la description de l’amour qui aiguise ses traits enflammez sur une pierre arrosée de sang ; les mots dont le poëte se sert pour faire sa peinture réveillent en nous les idées, et ces idées forment ensuite dans notre imagination le tableau où nous voïons l’amour dépêcher ce travail. […] Les phrases les plus nettes suppléent mal aux desseins, et il est rare que l’idée d’un bâtiment que notre imagination aura formée, même sur le rapport des gens du métier, se trouve conforme au bâtiment. Il nous arrive souvent, quand nous voïons ce bâtiment dans la suite, de reconnoître que notre imagination avoit conçu une chimere. […] L’imagination la plus sage forge souvent des fantômes lorsqu’elle veut réduire en images les descriptions, principalement quand l’homme qui prétend imaginer, n’a jamais vû des choses pareilles à celles dont il lit ou dont il entend la description.
) — Mais, là même encore, on sent le thème traité et caressé à tête reposée par une plume habile et polie, plutôt qu’un tableau embrassé par l’imagination, ou vivement saisi d’après nature. […] Il faut, a-t-on dit, une part d’imagination et de création même pour le souvenir. […] Chez Barthélemy, l’imagination (s’il en avait) est toujours « tenue en lisière par l’érudition ». […] Il n’y a pas là d’imagination véritable ; la métaphore, chez lui, ne naît jamais tout armée ni avec des ailes. […] Il n’a pas assez d’imagination pour revenir, par une évocation heureuse, à la vérité historique vivante.
C’était donc à la Grèce qu’il appartenait de donner le code des lois qui régissent encore l’empire de l’imagination. […] Les uns lèguent au monde les arts de l’imagination, les autres lui donnent les sciences exactes, d’autres sont établis gardiens des traditions, dépositaires des doctrines primitives. […] Cette pensée, trop grande pour germer toute seule dans l’imagination de l’homme, ne put qu’être inspirée d’en haut. […] Ne dirait-on pas encore qu’il y a des dynasties dans le monde intellectuel et dans celui de l’imagination, aussi bien que dans le gouvernement des sociétés humaines ? […] Expliquez, si vous le pouvez, l’inspiration par laquelle ces chefs de dynasties ont saisi le sceptre des imaginations et des esprits.
Ainsi qu’on fait l’éducation de l’imagination publique à peu près comme on fait l’éducation d’un organe, les romans de feuilleton ont créé dans la masse des lecteurs de véritables appétits de Gargantua. […] Nous venons de le dire plus haut, il appartient à ce groupe d’esprits qui se sont pris pour la Renaissance d’un goût rétrospectif et passionné, et qui ont relevé et réchauffé dans leur imagination le symbolisme tombé et refroidi de cette mythologie que le xviiie siècle — ce siècle aimé de Babou pourtant — a flétrie et déshonorée. […] Écrivain d’imagination, romancier qui a fait plus que de nous donner des romans, car il nous a donné des nouvelles qui sont des romans concentrés, l’auteur des Païens innocents a parfois interprété et illuminé même l’Histoire avec cette fantaisie qui touche le vrai, souvent, dans les délicieux colins-maillards qu’elle joue ; mais cette devineresse par éclairs n’est point l’imagination du critique, qui, comme une lampe entretenue d’huile, verse sur des œuvres qu’il faut pénétrer une clarté égale et continue. […] Ce n’est pas tout, enfin, que d’avoir expliqué Balzac par une faculté unique, l’imagination, — comme on pourrait expliquer Shakespeare, — et montré avec une ingéniosité profonde que le monde qu’il a créé n’a été le vrai qu’après coup ; que quand le monde réel a été frappé et façonné par cette invention toute-puissante ! […] C’est un écrivain d’imagination pénétrante et inventive qui vient d’écrire ces Lettres, satiriques parce qu’il y a plus, dans la satire, du genre d’imagination qui invente que de celui qui simplement réverbère.
La primauté de l’Orient pour les choses d’imagination semble si naturelle qu’elle fut longtemps exclusive, et qu’on ne songeait pas même à en faire la remarque. […] Puis, à part ce souffle méridional, nous savons combien, par l’esprit de secte et de méditation, par la controverse et la lecture de la Bible, l’Orient a possédé l’imagination anglaise, mais tout cela, sous une première loi de formation du langage et des mœurs, très marquée dans le type anglais. […] Ce fut bien pis après Dryden, lorsque le lyrisme ne parut plus qu’une forme de poésie affectée de droit à l’imagination anglaise. […] Il n’aura pas à plaisir désordonné sa vie pour la rendre poétique, et tiré des nuits de Venise, des conciliabules de Ravenne ou des orages de l’Épire quelque rajeunissement pour l’imagination. […] Cette forme admirable de l’imagination, l’enthousiasme mêlé au récit, la brièveté tout à la fois dans le sublime et dans le pathétique, la poésie passant comme un météore sur un lieu, sur un nom qu’elle illustre à jamais, cette ambition ne pouvait manquer dans les rares et studieux efforts du poëte anglais.
Ces opinions pouvaient avoir leur utilité politique ; mais comme l’idée de la mort fait éprouver à l’imagination des modernes une impression plus forte et plus sensible, elle est parmi nous d’un plus grand effet tragique. […] Ils ont transporté sur leur théâtre tout ce qu’il y avait de beau dans l’imagination des poètes, dans les caractères antiques, dans le culte du paganisme ; et le siècle de Périclès étant beaucoup plus avancé en philosophie que le siècle d’Homère, les pièces de théâtre ont aussi dans ce genre acquis plus de profondeur. […] L’esprit philosophique rend plus sévère sur l’emploi du temps ; et loin que les peuples à imagination exigent de la rapidité dans les tableaux qu’on leur présente, ils se plaisent dans les détails, et se fatigueraient bien plus tôt des abrégés. […] L’histoire, les mœurs, les contes populaires même aident l’imagination des écrivains. […] Les grands désastres sont dramatiques ; ils ébranlent fortement l’imagination : or ce n’est pas ainsi qu’on détruit un préjugé, quel qu’il soit.
Dans un temps où l’inétanchable besoin de merveilleux fait accepter à la pauvre imagination publique, qui semble tombée en enfance, les abjectes et les bêtes inventions des Esprits frappeurs et des tables tournantes, Swedenborg, l’illuminé Swedenborg est-il donc un sujet trop élevé pour elle ? […] il n’est pas vrai que Swedenborg ait l’éclat et la beauté fulgurante d’imagination qu’on lui reconnaît à distance et M. […] Toute cette plastiqué connue suffit aux exigences d’une imagination bien sage, qui se contente de peu, comme les sages. […] — l’imagination la plus échevelée et la plus lyrique. […] Mais que ce juge vienne bientôt ou tarde, nous aurons fait ce pas, nous, que quelle que soit la réalité du mysticisme de Swedenborg, ce mysticisme n’est pas, après tout, si magnifique et si grandi Nous qui pensons que l’Église seule s’entend aux questions du surnaturel et doit seule en connaître, nous ne trouvons pas moins dans le surnaturel de Swedenborg quelque chose qui est de notre ressort, — c’est sa valeur poétique, sa valeur d’effet sur les imaginations littéraires.
Il ne faut jamais tromper l’imagination, car elle s’en venge toujours d’une manière cruelle. […] elle y a attrapé son génie et sa gloire, et l’imagination qu’elle a trompée ne lui a jamais pardonné ! […] Armand Pommier, qui a du conteur fantastique dans sa manière, n’est pas uniquement un conteur fantastique qui veut à tout prix impressionner l’imagination par le Surnaturel et par le Mystère. […] Cette grande Inconnue à nos pères a versé, en ces derniers temps, tant de notions dans la connaissance humaine, qu’elle est certainement une formidable acquisition et un magnifique enrichissement pour toutes les facultés de l’esprit ; et l’imagination, comme les autres, a le droit, et je dirais presque le devoir, de se servir de ces notions qui tantôt ont leur certitude et tantôt leur mystère pour arriver à des effets de pathétique absolument nouveaux. […] Évidemment, au dix-neuvième siècle, avec l’influence physiologique qui pleut sur nos têtes, avec l’empoignement de l’Imagination publique par ces questions de magnétisme contre lesquelles les plus forts d’entre nous vont à chaque instant se cogner, évidemment les romanciers et les poëtes (dramatiques ou non dramatiques) devaient avoir une autre manière de toucher à cette corde mystérieuse du système nerveux humain, dont le génie de Shakespeare a tiré une vibration si déchirante, rien que pour l’avoir effleurée !
. — Son imagination, ses enthousiasmes. — Ses crudités, ses bouffonneries. […] Les deux imaginations ont la même grandeur douloureuse, les mêmes rayonnements et les mêmes angoisses. […] Il est presque Allemand par sa force d’imagination, par sa perspicacité d’antiquaire, par ses larges vues générales. […] Les faits saisis par cette imagination véhémente s’y fondent comme dans une flamme. […] Partout le même état de l’imagination a produit la même doctrine.
L’imagination et l’esprit ne peuvent ici remplacer l’étude et la réflexion. […] La variété de leurs récits favorise singulièrement l’essor et l’indépendance de l’imagination. […] Ses écrits portent à la fois l’empreinte d’une âme fière et d’une imagination élevée. […] Il me semble que l’imagination de l’orateur est bien moins riche que le sujet. […] L’une ne choque jamais le goût, l’autre ne laisse jamais reposer l’imagination.
Cet art était né dans les plus beaux siècles de la Grèce, et convenait à l’imagination ardente et légère d’un peuple que le sentiment et la pensée frappaient rapidement, et dont la langue féconde et facile semblait courir au-devant des idées. […] On conçoit que la plupart de ces orateurs ou sophistes, dont l’art et le talent était de s’affecter avec rapidité de tous les sujets, devaient avoir une imagination vive et un esprit enthousiaste ; l’un, nommé par la ville de Smyrne pour aller en ambassade vers un empereur, adresse sur-le-champ une prière aux dieux, pour qu’ils lui accordent l’éloquence d’un de ses rivaux ; un autre ne méditait jamais que la nuit. […] Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. […] Cependant sa légèreté qui autrefois se mêlait à de grandes choses, s’amusait des petites, et l’imagination de ses citoyens, impuissante et active, leur donnait cette espèce d’inquiétude et de mouvement qui naît de la faiblesse jointe au souvenir de la force.
Il n’eut ni verve ni imagination comme poète, et point d’invention comme savant. […] Elle est moins dramatique, et parle moins à l’imagination. […] L’imagination poétique a rarement produit quelque chose de plus noble. […] Jamais peintre ne montra plus d’imagination que Buffon. […] Cette peinture est aussi animée que si elle était le fruit de la seule imagination.
Il y avait dans la philosophie des anciens plus d’imagination et moins de méthode que dans la philosophie des modernes. […] Locke et Condillac ont beaucoup moins d’imagination que Platon ; mais ils sont entrés dans la route de la démonstration géométrique ; et cette méthode présente seule des progrès réguliers et sans bornes. […] Il en est de même de tous les fanatismes ; l’imagination a peur du réveil de la raison, comme d’un ennemi étranger qui pourrait venir troubler le bon accord de ses chimères et de ses faiblesses. […] Ces hommes atroces, en retranchant de leur calcul les souffrances, les sentiments, l’imagination, croyaient le simplifier ; ils ne se faisaient nulle idée de la nature des vérités générales. […] C’est l’imagination, pourrait-on dire, qui fait préférer ce genre d’expressions, et le véritable sens de cette idée, comme de toutes, est soumis au raisonnement.
Nul n’ignore de quelle épouvante l’approche de l’an 1000 frappa les imaginations. […] Partout où l’homme domine la nature, la raison prend le pas sur l’imagination, la science sur la fantaisie exaltée. […] Sentez-vous quel choc donné aux imaginations, quel élan imprimé à la poésie, quel champ ouvert aux savants, aux historiens, peut-être aux psychologues ? […] Elle en a répandu le goût en éveillant les imaginations, en faisant briller devant, elles le mirage de l’inconnu. […] Un romancier de notre siècle a marqué fortement l’action des récits de voyages sur une imagination vive de femme qui s’ennuie.
Quoiqu’il soit toujours dangereux de dire à l’Imagination : « Écoute-moi, je vais t’étonner ! […] Ce qu’après une pareille entrée en matière l’imagination était impatiente de connaître, c’était le poète d’Eureka et du Corbeau, et il n’est pas dans ces Histoires ! […] Métempsycose, somnambulisme et ballons vainqueurs de l’espace, ne sont-ce pas là les trois coups de tambour idiot et donnant la même note que nous rebat incessamment l’imagination contemporaine ? […] S’il avait plus d’imagination, il ne chausserait pas l’appareil de la technologie ; mais il s’en sert pour produire un effet dont il n’est pas dupe, et dans lequel au besoin d’art se mêle la mystification féroce de la race anglo-saxonne dont il descend. […] Tout cela — des contes d’ogre pour des enfants qui se croient des hommes — n’a qu’une prise d’un moment sur l’imagination du lecteur, et manque, comme impression d’Art, de profondeur et de vraie beauté.
Il n’en est pas de même des beautés poétiques qui appartiennent uniquement à l’imagination. […] Les bizarreries, inventées ou naturelles, étonnent un moment l’imagination ; mais la pensée ne se repose que dans l’ordre. […] L’opinion, si vacillante sur les événements réels de la vie, prend un caractère de fixité quand on lui présente à juger des tableaux d’imagination. […] Ce qui frappe l’imagination, c’est la décision de la fortune, c’est le succès de la valeur. […] Un caractère élevé redevient content de lui-même, s’il se trouve d’accord avec ces nobles sentiments, avec les vertus que l’imagination même a choisies, lorsqu’elle a voulu tracer un modèle à tous les siècles.
On y voit l’imagination la plus vive & la plus féconde, un esprit flexible pour prendre toutes ses formes, intrépide dans toutes ses idées, un cœur pétri de la liberté Républicaine, & sensible jusqu'à l’excès, une mémoire enrichie de tout ce que la lecture des Philosophes Grecs & Latins peut offrir de plus réfléchi & de plus étendu ; enfin une force de pensées, une vivacité de coloris, une profondeur de morale, une richesse d’expressions, une abondance, une rapidité de style, & par-dessus tout une misanthropie qu’on peut regarder comme le ressort principal qui a mis en jeu ses sentimens & ses idées. […] Il semble s’être dit à lui-même : « J'ai des connoissances, de la facilité ; mon ame s’enflamme avec promptitude, & mon esprit se plie aisément à tout ; mon imagination abonde en ressources, & les argumens se présentent en foule pour appuyer toutes mes conceptions ; je puis donc m’écarter des routes ordinaires. […] Du côté du style, un tissu séduisant de tout ce que l’imagination a de plus brillant & de plus riche, de tout ce que le sentiment a de plus chaud & de plus énergique, de tout ce que l’expression a de plus mâle, de plus tendre, de plus pittoresque, & de plus élégant. […] Rousseau, un Auteur doué d’un génie fécond, mais versatil ; d’une imagination brillante, mais exaltée ; d’une ame sensible, mais trop sévere ; d’un esprit judicieux, mais bizarre. […] Sous le hautain prétexte qu’eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, & prétendent nous donner, pour les vrais principes des choses, les inintelligibles systêmes qu’ils ont bâtis dans leur imagination.
Aussi les auteurs les plus vantez pour la fecondité de leur génie, n’ont-ils pas dédaigné d’ajoûter quelquefois cette espece d’agrément à leurs ouvrages. étoit ce la stérilité d’imagination qui contraignoit Corneille et La Fontaine d’emprunter tant de choses des anciens ? […] Il le voit travailler, pour ainsi dire, en regardant son ouvrage et saisissant sa maniere, c’est dans l’imagination qu’il remporte son butin. […] Mais comme leur génie ne se connoît pas bien lui-même, comme ils n’ont pas encore un stile formé, qui soit propre au caractere de leur génie, et convenable pour exprimer les idées de leur imagination, ils s’égarent en choisissant des sujets qui ne conviennent pas à leurs talens, et en imitant dans leurs premieres productions, le stile, le tour et la maniere de penser des autres. […] Enfin, son mérite parvenu où il peut atteindre, se soûtient toûjours jusques à ce que la vieillesse affoiblissant les organes, sa main tremblante se refuse à l’imagination encore vigoureuse. […] Plusieurs témoins oculaires m’ont raconté, que Le Poussin avoit été jusques à la fin de sa vie un jeune peintre du côté de l’imagination.
L’on ne cesse point de mesurer ce qui se rapporte à soi ; mais les qualités, les charmes, les jouissances, les intérêts de ce qu’on aime, n’ont de terme que dans notre imagination. […] Il n’est pas vrai, malheureusement, qu’on ne soit jamais entraîné que par les qualités qui promettent une ressemblance certaine entre les caractères et les sentiments : l’attrait d’une figure séduisante, cette espèce d’avantage qui permet à l’imagination de supposer à tous les traits qui la captivent, l’expression qu’elle souhaite, agit fortement sur un attachement, qui ne peut se passer d’enthousiasme ; la grâce des manières, de l’esprit, de la parole, la grâce, enfin, comme plus indéfinissable que tout autre charme, inspire ce sentiment qui, d’abord, ne se rendant pas compte de lui-même, naît souvent de ce qu’il ne peut s’expliquer. […] Il n’est pas vrai du tout, que dans la moralité du cœur humain, un lien ne confirme pas un penchant ; il n’est pas vrai, qu’il n’existe pas plusieurs époques dans le cours d’un attachement, où la moralité ne resserre pas les nœuds qu’un écart de l’imagination pouvait relâcher ; les liens indissolubles s’opposent au libre attrait du cœur : mais un complet degré d’indépendance rend presque impossible une tendresse durable ; il faut des souvenirs pour ébranler le cœur, et il n’y a point de souvenirs profonds, si l’on ne croit pas aux droits du passé sur l’avenir, si quelque idée de reconnaissance n’est pas la base immuable du goût qui se renouvelle : il y a des intervalles dans tout ce qui appartient à l’imagination, et si la moralité ne les remplit pas, dans l’un de ces intervalles passagers, on se séparera pour toujours. Enfin, les femmes sont liées par les relations du cœur, et les hommes ne le sont pas : cette idée même est encore un obstacle à la durée de l’attachement des hommes ; car là où le cœur ne s’est point fait de devoir, il faut que l’imagination soit excitée par l’inquiétude, et les hommes sont sûrs des femmes, par des raisons même étrangères, à l’opinion qu’ils ont de leur plus grande sensibilité ; ils en sont sûrs, parce qu’ils les estiment ; ils en sont sûrs, parce que le besoin qu’elles ont de l’appui de l’homme qu’elles aiment, se compose de motifs indépendants de l’attrait même. […] Une sorte de trouble sans fin, sans but, sans repos, s’empare de leur existence, les unes se dégradent, les autres sont plus près d’une dévotion exaltée que d’une vertu calme ; toutes au moins sont marquées du sceau fatal de la douleur : et pendant ce temps, les hommes commandent les armées, dirigent les Empires, et se rappellent à peine le nom de celles dont ils ont fait la destinée ; un seul mouvement d’amitié laisse plus de traces dans leur cœur que la passion la plus ardente ; toute leur vie est étrangère à cette époque, chaque instant y rattache le souvenir des femmes ; l’imagination des hommes a tout conquis en étant aimé ; le cœur des femmes est inépuisable en regrets, les hommes ont un but dans l’amour, la durée de ce sentiment est le seul bonheur des femmes.
Et cette imagination, c’est Lawrence Sterne, l’auteur du Tristram Shandy et du Sentimental Journey, deux chefs-d’œuvre de sentiment et de grâce pour les uns, et de déraison et d’absurdité pour les autres ! […] Stapfer, sans diminuer le côté frivole ou passionné d’un homme emporté par l’imagination qui « gouvernait sa plume » et sa vie, a vengé Sterne des incroyables attaques de Lord Byron, qui lui ressemblait tant, sinon par le génie, au moins par le plus noble des sentiments de son cœur. […] Johnson, l’affreux docteur Johnson, l’hippopotame de la lourde Critique anglaise, fut en Angleterre un de ceux qui se moquèrent le plus de Sterne et qui ne durent rien comprendre à l’imagination de l’auteur du Tristram Shandy et du Voyage sentimental. […] Il donne à Don Quichotte une ampleur et une force d’imagination qu’assurément il exagère ; Cervantes est comme sa race, monotone et pompeux. […] Et c’est de là, c’est de cette hauteur de mosquée, que l’Imagination, enlevée par un mot, culbute et retombe dans les vulgaires détails de la vie et de la pensée d’un petit ministre anglican « en culottes de soie noire », et qui a mal à la poitrine !
Ce piége, il le portait en lui-même : c’était sa belle âme et sa poétique imagination. […] L’imagination enflammée de la femme avait bientôt dépassé celle du religieux. […] Ce fut en peu de mois l’évangile de l’imagination moderne : il fut classique en naissant. […] La témérité, la noirceur et l’ingratitude furent imputées à l’imagination d’un poëte, qui n’avait d’autre tort que d’avoir rêvé et peint plus beau que nature. […] Il mourut en saint et en poëte, en se faisant lire, dans les cantiques sacrés, les hymnes les plus sublimes et les plus douces qui emportaient à la fois son âme et son imagination.
L’imagination de Joinville ; le don de sympathie. […] Si peu chimérique et romanesque qu’il soit, Villehardouin est contemporain de Chrétien de Troyes : aussi a-t-il son grain d’imagination. […] Il a l’imagination vive et les sens éveillés : tout ce qu’on lui dit, il le voit, et le fait voir. […] C’est cette puissance naturelle de vision et d’imagination qui fait le charme de Joinville. […] C’est qu’à ce don de l’imagination, Joinville joint celui de la sympathie : il sent comme il voit, et avec les images amassées dans son souvenir se réveillent en foule les émotions qu’il a ressenties.
La sagesse poétique, la première sagesse du paganisme, dut commencer par une métaphysique, non point de raisonnement et d’abstraction, comme celle des esprits cultivés de nos jours, mais de sentiment et d’imagination, telle que pouvaient la concevoir ces premiers hommes, qui n’étaient que sens et imagination sans raisonnement. […] Mais cette création différait infiniment de celle de Dieu : Dieu dans sa pure intelligence connaît les êtres, et les crée par cela même qu’il les connaît ; les premiers hommes, puissants de leur ignorance, créaient à leur manière par la force d’une imagination, si je puis dire, toute matérielle. […] Comment pourrions-nous nous replacer dans la vaste imagination de ces premiers hommes dont l’esprit étranger à toute abstraction, à toute subtilité, était tout émoussé par les passions, plongé dans les sens, et comme enseveli dans la matière. […] Originairement Jupiter fut en poésie un caractère divin, un genre créé par l’imagination plutôt que par l’intelligence (universale fantastico), auquel tous les peuples païens rapportaient les choses relatives aux auspices. […] Tout ce qui vient d’être dit s’accorde donc avec le mot célèbre, … La crainte seule a fait les premiers dieux ; mais les hommes ne s’inspirèrent pas cette crainte les uns aux autres ; ils la durent à leur propre imagination (ce qui répond à l’axiome : les fausses religions sont nées de la crédulité et non de l’imposture).
Une ombre l’intimide, un souffle la glace, une vaine imagination la paralyse et la tarit. […] Il a oublié de choisir parmi les représentations diverses que son imagination s’est créées de la personne de don Quichotte. […] Cela est probable ; il l’aura fidèlement reproduit, car il est impossible que l’imagination arrive d’elle seule à cette perfection dans l’inachevé ; l’imagination, comme la logique, veut conclure, et le personnage de Polonius n’a ni commencement ni fin. […] Les héros de Byron n’ont jamais plu qu’à mon imagination. […] Est-il un caractère plus sympathique à l’imagination du lecteur ?
Un jeune homme ne sçauroit faire dans l’art de la peinture tout le progrès dont il est capable, si sa main ne se perfectionne pas en même-temps que son imagination. Il ne suffit pas aux peintres de concevoir des idées nobles, d’imaginer les compositions les plus élegantes, et de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l’imagination lui demande. […] Si l’imagination n’a pas à sa disposition une main et un oeil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu’enfante l’imagination, qu’un tableau grossier, et que dédaigne l’artisan même qui l’a peint, tant il trouve l’oeuvre de sa main au-dessous de l’oeuvre de son esprit. […] L’ame livrée toute entiere aux idées qui s’excitent dans l’imagination échauffée, ne sent pas les efforts qu’elle fait pour les produire : elle ne s’apperçoit de sa peine que par cette lassitude et par cet épuisement qui suivent la composition.
« Il avait — dit excellemment Feuillet — du pittoresque dans l’imagination et dans la pensée ; il ne lui en resta pas pour l’exécution. » En d’autres termes, il eut l’invention, et non l’expression, tandis que lui, Feuillet, a une expression prodigieuse, mais n’a pas cette invention qu’avait Perrault. […] Mais qui oserait dire que les traductions de La Fontaine, cet Homère naïf d’une civilisation qui ne l’était pas, cette seule imagination capricieuse de toute une littérature tracée au cordeau comme les allées de Le Nôtre, ne soient pas de l’invention au premier chef, de la création bel et bien, dans tout son pur et intime jet de source ? […] III Ainsi, voilà le reproche à faire à ces Contes d’un vieil enfant, que les enfants sentiront peut-être, avec leur imagination vierge et le velouté sensible de leur ignorance, mais qui doivent être, en définitive, jugés par des hommes. Intéressants pour ces derniers, mais d’un intérêt qui n’a pas le poignant de la nouveauté, ce sont des créations de deuxième et de troisième main, ressemblant à tous ces contes dans le surnaturel et le merveilleux dont le monde féerique est la base, ce monde qui n’existe que pour les imaginations à leur aurore, que ce soient des enfants de peuples ou des marmots d’enfants. […] Désormais les enfants qui liront cet Arioste du coin du feu et à leur usage garderont, dans cette imagination qui se souvient toujours des premiers baisers qu’on lui donne, la trace des deux lèvres paternelles qui s’y seront appuyées et y auront laissé leur phosphore.
Si quelque chose pouvoit justifier M. l’Abbé Prévot, de s’être abaissé à des Ouvrages, qui, pour le plus grand nombre, captivent l’imagination pour l’égarer, parlent à l’esprit sans le rendre plus éclairé, agirent le cœur sans le corriger & le former ; ce seroient l’art singulier, l’imagination vive & féconde, le sentiment tendre & profond, la touche mâle & vigoureuse, qui dominent avec tant de richesse dans tout ce qu’il a écrit. […] On peut assurer néanmoins que les Mémoires d’un Homme de qualité, l’Histoire de Cléveland, le Doyen de Killerine, seront toujours regardés, par les Connoisseurs, comme les fruits d’une imagination étonnante par la diversité des tableaux qu’elle y présente, par les contrastes qu’elle y ménage, par la chaleur qu’elle y souffle, par les passions qu’elle y remue, & par les mouvemens que ces passions produisent.
Nos temps n’ont pas d’exemple d’une commotion pareille imprimée par quelques pages à l’imagination du monde. […] Son imagination seule s’était échauffée en le composant ; son cœur était resté tiède et dans ce parfait équilibre qui permet à l’écrivain de juger son ouvrage. […] Le suprême et impassible bon sens siégeait ainsi dans sa tête au-dessus de la féconde imagination, comme dans l’œuvre de la Providence l’homme travaillait et le dieu regardait. […] C’est un magnifique thème pour une imagination à la fois passionnée et métaphysique. […] Les esprits sérieux se détournent de ces débauches d’imagination, qui ne servent qu’à détruire la belle illusion du drame pathétique dans lequel nous allons enfin entrer.
Son imagination s’exalte. […] L’imagination entre en branle, partant l’arrière-fond du tempérament dont cette imagination est le raccourci. […] Il eut peu d’imaginations, mais ces imaginations, il les porta, il les roula en lui toute sa vie. […] A les poursuivre, son imagination entre en branle. […] Le caractère volontiers sombre de l’imagination de M.
Son imagination, plus libre que hardie, ne s’évertue jamais hors du possible, et sa raison se complaît surtout dans les variétés et les contradictions de la conduite. […] Or, dans le doute, la raison, trop souvent découragée, laisse le champ libre à l’imagination. De là, dans les écrivains des deux époques, tant de choses données à l’imagination tournée vers l’étude de l’homme intérieur, et je ne sais quels romans psychologiques sur notre nature morale. […] Le goût est un fruit de l’âge mûr des nations, alors que l’imagination et la sensibilité, après avoir été maîtresses, se subordonnent, sans abdiquer, à l’empire de la raison. […] La faveur des imaginations n’y a été pour rien.
C’est l’ordinaire effet de l’imagination. […] Le talent a baissé dans les œuvres qui relèvent de l’imagination et de l’art. […] Avec son imagination savante, quels riches tableaux il aurait pu tracer ! […] L’imagination et le cœur des femmes ont été les complices de cet aimable succès. […] L’auteur ne surmène ni son imagination, ni ses lecteurs.
De quelles ressources d'imagination n'ont-ils pas eu besoin pour lui intéresser au sort de leur Héros, pour lui concilier successivement l'admiration, l'amour, tous les sentimens dont une ame sensible est capable ! […] ce n'est pas le Poëte qui raconte : il rapproche les objets, il les rend présens, le Lecteur devient un témoin qui voit & écoute ; l'imagination d'Homere entraîne la sienne, toutes les fois qu'il lui présente de nouveaux tableaux, & ces tableaux varient à l'infini. […] Pourquoi a-t-elle immolé avec si peu d'égards, la vérité, la décence, à l'essor de son imagination déréglée, & au désir de plaire à quelque prix que ce fût ? […] Jamais Homme fut-il plus le jouer de son amour-propre, de son esprit, de son imagination, de son cœur, & de sa fausse raison ! […] Son imagination en a suivi tous les mouvemens, & porté toutes les empreintes.
Son activité s’imprime sans ménagement à tout ce qui tombe sous sa prise ; sa brusque imagination, pour une ou deux fois qu’elle rencontre avec bonheur, est vingt fois en défaut, froissant ce qu’elle ne devait que toucher, dépassant ce qu’il lui suffisait d’atteindre. […] Hugo l’avait conçu de la sorte ; mais en approchant de la scène, son imagination l’a entraîné ; il s’est fait involontairement spectateur, et la pompe de l’incendie l’a bien plus occupé que le cœur de Néron. […] Vague et sans limites, cette région lui convient à merveille : l’imagination y vit à l’aise, et peut s’y ébattre comme en son logis. […] Si, dans l’abus de décrire, dont cette ballade offre un exemple, l’auteur a porté de la combinaison et du calcul, le plus ordinairement néanmoins la faute n’appartient qu’à son imagination. Cette imagination est si rapide en effet qu’elle se meut sur chaque point à la fois, et qu’elle met la main à tout ; elle devient analytique à force d’être alerte et perçante.
C’est l’imagination étendue, l’imagination perspective. Le fantastique symboliste serait l’imagination introspective. […] À leur occasion l’imagination peut s’emballer en un délire de complications et de substitutions. Après des recherches variées, subtiles et infructueuses, je retrouve sur ma cheminée, bien en vue, un papier égaré, et, si j’ai l’imagination d’Allan Poë je combine La Lettre volée.
On se flattoit qu'en se formant sur les vrais modeles, son goût acquerroit les qualités nécessaires à un bon Ecrivain ; que son imagination renonceroit aux idées gigantesques ; qu'il perdroit l'habitude de peser sur les mots ; qu'il mettroit plus de liaison dans ses phrases, moins d'appareil dans ses réflexions, plus de nombre, d'aisance & de naturel dans son style ; qu'il se déferoit enfin d'un ton de prétention & de pédantisme, qui sentoit trop le nouveau venu de l'Université *. […] Il seroit aisé de donner une idée de son travail, en se le représentant dans son Cabinet solitaire, occupé à se monter méthodiquement l'imagination, à bander avec fatigue les ressorts de son esprit, à s'essoufler jusqu'à perdre haleine pour enfanter, selon Horace, des Sesquipedalia verba, qui se perdent en fumée, quoiqu'il ait la Patrie à ses côtés, la Justice & l'Humanité devant lui, qu'il soit environné des fantômes des malheureux, agité par la pitié, que les larmes coulent de ses yeux, que les idées se précipitent en foule, & que son ame se répande au dehors *. […] Thomas, on y rencontrera à chaque page des masses, des calculs, des chocs, des résultats, des machines, des points, des centres, des réactions, des secousses, des étendues, des limites, des plans, des ressorts… On y verra éternellement revenir ces expressions merveilleuses, forces de l'ame, forces du génie, forces humaines, forces réunies ; vastes édifices, vastes fondemens, vastes desseins, imagination vaste, génie vaste… Par-tout ce sont des Ouvrages immenses, des étendues immenses, des génies immenses, des ames immenses…. […] Tant de difficultés n'effrayerent point Descartes ; il examine tous les tableaux de son imagination, & les compare avec les objets réels ; il descend dans l'intérieur de ses perceptions qu'il analyse…… Son entendement, peuplé auparavant d'opinions & d'idées, devient un désert immense **. […] Puisqu'il paroît si disposé à profiter des leçons qu'on lui donne, nous l'inviterons à porter les derniers coups au vice radical, qui sera toujours l'ennemi de ses talens, c'est-à-dire, à se défaire de cette morgue philosophique dont il ne paroît pas encore sentir assez les travers ; à se persuader qu'il ne saura jamais bien écrire, que quand sa diction sera pleinement modeste & naturelle ; que ce n'est pas être lumineux, que de s'attacher à des pensées plus compliquées que nettes & animées ; que ce n'est pas être élégant, que d'employer des tours pénibles & des expressions étrangeres aux idées ; que c'est être bien loin de l'éloquence, que de n'avoir que cette espece de sentiment qui naît de l'imagination, & non celui dont la source est dans le cœur.
Et comme l’animal ne peut placer en imagination sa propre volonté devant la morsure qu’il éprouve, il en résulte la conséquence suivante : Troisième moment : autres modifications ; autre volonté. […] Le reste n’est plus qu’affaire de groupement et de classification : il n’y a plus qu’à construire dans l’imagination, par le procédé que nous avons décrit, des centres d’images divers : la conscience se polarise spontanément, et ses deux pôles sont le voulu, le non-voulu, derrière lequel, nécessairement, nous replaçons une volonté ou activité, mais non plus la volonté autour de laquelle nous groupons tout ce qui provient de notre propre appétition. […] Il y a toujours là un simple effet de déduction, de projection et, en définitive, d’imagination. Je puis me figurer très aisément des sensations, des émotions, des appétitions comme les miennes ; l’imagination n’a pas pour unique objet des phénomènes dans l’espace : elle roule aussi sur les phénomènes dans le temps et sur les sujets conscients de ces phénomènes. Vous concevoir, pour moi, c’est simplement vous construire par cette imagination psychologique qui, chez les romanciers, devient la faculté dominante.
Enfin, il y a ici la question même du génie, c’est-à-dire de l’espèce d’imagination du dessinateur. Cette imagination est, selon moi, dans Doré, beaucoup plus biblique que chrétienne. […] Je ne sais rien des croyances de Gustave Doré ni des conseils qu’il peut recevoir ou demander, mais je ne crois pas que le génie, sans une foi complète, puisse se tirer de l’interprétation de l’Évangile, tandis que pour l’Ancien Testament il ne s’agit pas d’être Juif pour en comprendre, au moins, la beauté tonitruante et l’effroyable sublime : il ne s’agit que d’avoir l’électrique organisation de l’artiste, et cette colonne vertébrale le long de laquelle court le frisson de l’imagination épouvantée, qui met debout tout ce que nous avons de génie et nous cabre sans nous renverser ! […] En un mot, je ne peux et je n’ai voulu que signaler l’impression qui se fixe dans l’esprit, comme une acquisition nouvelle, quand, le livre immense feuilleté et parcouru comme une longue galerie, on se replie sur soi et on se demande ce qui reste sur l’imagination frappée de tout ce qu’on vient de traverser et de contempler. […] les pierres qui tombent ne vous fassent pas peur et qu’en fermant les yeux l’imagination les voie terribles ; Jonathas devant l’armée de Nicanor, où la ligne des éléphants est d’une originalité si formidable ; les Plaies d’Egypte, entre autres la Plaie des ténèbres, où les bêtes rampantes qui se coulent, dans le noir de la nuit, le long des escaliers, où gisent tant d’êtres humains aveuglés de ténèbres et de désespoir, sont du Martynn heureusement retrouvé ; etc.
L’auteur avoit de l’imagination ; mais lorsqu’elle l’inspiroit, elle le jettoit dans l’emphase, & lorsque cette imagination lui manquoit, il étoit dur & monotone. […] Il a le mérite d’avoir créé les sujets de la plûpart de ses piéces, qu’il n’a puisées que dans son imagination. […] Il parle à l’imagination autant qu’à la raison, & sa philosophie est toujours ingénieuse. […] Dorat, & plein de cette effervescence enfantine, qu’il nomme imagination, choisit un sujet quelconque. […] Il avoit l’imagination brillante & l’ame sensible.
Quoi qu’il en soit, il fallait être sobre au milieu de tant d’abondance, n’user qu’avec circonspection de ces hommes empruntés et non inventés, et ne pas surcharger leur conduite ni leur caractère au gré de son imagination. […] M. de Vigny a fait essentiellement une œuvre de mémoire qu’il a revêtue de formes dramatiques à l’aide de son imagination. […] M. de Vigny a une imagination de poète, et c’est une arrangeuse systématique à sa manière que l’imagination ; elle symétrise en se jouant, et de la vie elle a bientôt fait un drame.
Milton est un génie unique, un prodige d’imagination. […] Il est bien singulier que les climats froids d’Angleterre aient produit une imagination aussi vive que les plus ardentes qui soient jamais sorties de l’Italie ou de la Grèce. […] Il fut frappé de tout ce qu’il y trouva ; des images grandes & sublimes ; des idées neuves, hardies, effrayantes, & faites pour l’imagination Angloise ; des coups de lumière avec d’épaisses ténèbres, & des écarts de génie & de raison. […] Son imagination étoit dans sa plus grande vivacité depuis le mois de septembre jusqu’à l’équinoxe du printemps.
Dans le premier, il examine le cercle des sciences, classant chaque objet sous sa faculté ; facultés dont il reconnaît quatre : l’âme ou la sensation, la mémoire, l’imagination, l’entendement. […] Au reste, la métaphysique du jour diffère de celle de l’antiquité, en ce qu’elle sépare, autant qu’il est possible, l’imagination des perceptions abstraites. […] On lit encore la métaphysique de Platon, parce qu’elle est colorée par une imagination brillante.
Le doute de Descartes est l’état le plus actif : c’est une démolition, pièce à pièce, de tout ce qui est venu en son intelligence par l’imagination et les sens, sans l’assentiment de sa raison. […] Il est vrai que Montaigne nous fait goûter une autre sorte d’originalité, qui n’est ni ce dérèglement d’imagination où la raison brille par éclairs, ni la plus grande liberté de la pensée unie à la plus grande justesse. […] Son traité de l’Existence de Dieu reproduit les principales vérités de la métaphysique cartésienne, à laquelle il mêle des ornements agréables, afin d’intéresser l’imagination à des vérités de raison. […] Si le lecteur n’arrive pas jusqu’à la force du mot, c’est par trop peu d’attention ; s’il la dépasse, c’est que son imagination s’est ingérée dans le travail de sa raison. […] La raison devant être souveraine dans tous les ordres d’idées et dans tous les genres d’écrire, il n’est d’expression juste, même dans les sujets d’imagination, que celle que la raison approuve.
Le cadre dramatique a contenu son imagination, ailleurs portée à multiplier la copie : elle a obligé ce grand délayeur à faire (relativement) court, serré, nerveux. […] Songeons, pour en comprendre l’effet, qu’elles s’adressaient à des gens qui n’avaient lu qu’Anquetil et Velly : de sèches, froides et décolorées annales, où rien ne parlait à l’imagination. […] Encore y a-t-il plus de bon sens à montrer un Antony dans la vie contemporaine, parce qu’Antony représente au moins un état de l’imagination française en 1830. […] Hugo, s’il se rencontrait déjà dans Notre-Dame de Paris : un comique d’imagination, sans esprit, sans finesse et sans idées, robuste, vulgaire, un peu lourd, tout renfermé dans les éléments sensibles du style et du vers, dans l’image et dans la rime, quelque chose de copieux et de coloré dont on ne saurait nier la puissance. […] L’absence d’imagination a laissé aux scènes historiques une apparence d’exacte vérité, dont la vibration oratoire du discours a doublé l’effet.
Ils ont l’un & l’autre donné carriere à leur imagination qu’ils avoient également vive & brillante. […] On y trouve beaucoup de feu, d’imagination & de gaieté. […] Glover, plus Philosophe que Poëte, a préféré à ce merveilleux qui saisit l’imagination, les idées & les sentimens qui instruisent & qui touchent. […] On y trouve de l’enthousiasme, de l’imagination, de l’allégorie, des figures qui rendent le style plus animé ; mais y trouve-t’on de la majesté, de la régularité, de la bienséance ? […] L’imagination chinoise ressemble beaucoup à celle des orientaux & n’en vaut pas mieux.
Maintenant ces deux points de l’Asie, ces deux foyers de l’idolâtrie et du monothéisme, agissaient-ils au loin sur la croyance et l’imagination des hommes ? […] Dans le silence du philosophe sur une telle révélation, quelques rencontres de génie, quelques formes d’imagination, ne suffisent pas pour affirmer ce commerce d’intelligence. […] C’est ainsi que cette poésie sacrée des Hébreux, demi-voilée dans les obscures ellipses de sa langue antique, ignorée dans ses mètres, dépouillée de son harmonie, souvent transmise dans des versions informes ou faibles, n’en a pas moins, depuis quinze siècles, défrayé de sublime l’imagination des hommes. […] Elle voyait Dieu en imagination ; elle l’associait à ses douleurs par la prière, et ne descendait pas de cette région d’amour et d’espérance dont l’ardeur satisfait seule certaines âmes, mais dévore promptement cette vie mortelle qui les entoure et qui les gêne. […] Les terribles guerres civiles d’où sortirent la réforme et la grandeur de l’Europe, s’entretenaient aux sources de cette parole biblique dont le Psalmiste et les prophètes sont les coryphées ; et l’imagination des chrétiens d’Europe et d’Amérique en garda longtemps le rayon et l’empreinte.
Longtemps les objets dont s’occupent les mathématiciens étaient pour la plupart mal définis ; on croyait les connaître, parce qu’on se les représentait avec les sens ou l’imagination ; mais on n’en avait qu’une image grossière et non une idée précise sur laquelle le raisonnement pût avoir prise. […] Tous quatre doivent être attribués à l’intuition, et cependant le premier est l’énoncé d’une des règles de la logique formelle ; le second est un véritable jugement synthétique a priori, c’est le fondement de l’induction mathématique rigoureuse ; le troisième est un appel à l’imagination ; le quatrième est une définition déguisée. […] Les analystes, pour ne pas laisser échapper ces analogies cachées, c’est-à-dire pour pouvoir être inventeurs, doivent, sans le secours des sens et de l’imagination, avoir le sentiment direct de ce qui fait l’unité d’un raisonnement, de ce qui en fait pour ainsi dire l’âme et la vie intime. […] J’ai dit combien l’intuition du nombre pur, celle d’où peut sortir l’induction mathématique rigoureuse, diffère de l’intuition sensible dont l’imagination proprement dite fait tous les frais. […] En rejetant le secours de l’imagination, qui, nous l’avons vu, n’est pas toujours infaillible, ils peuvent avancer sans crainte de se tromper.
Or, Jules Janin, tête sans métaphysique supérieure, ayant le bon sens et le discernement mais sans haute portée et sans grande profondeur, se vengeant de cette médiocrité par une imagination adorablement colorée et par la plus vive sensibilité d’écrivain, n’avait ni cette fermeté de jugement, ni cette connaissance des lois de l’esprit, ni ces principes qui constituent la Critique et son mâle génie. […] C’était suprêmement un talent d’imagination, de la fantaisie la plus entraînante, mais aussi la plus aisément entraînée, car il n’y a pas de mors possible — si moelleux qu’il soit — pour ces filles de l’air ! Cette imagination fut, du reste, la cause de son succès si instantané, si rapide au Journal des Débats, où on l’avait pris pour rendre compte des pièces de théâtre et continuer les traditions dogmatiques de la Critique d’alors, dans la rectitude de son enseignement. […] Avant ce nouveau venu qui arrivait sans se débotter, Diderot était peut-être le seul écrivain qui eût porté dans la Critique autant d’imagination qu’on en pouvait montrer avec les habitudes didactiques du xviiie siècle ; mais il y avait, dans l’imagination de Diderot, quelque chose d’exagéré et de déclamatoire qui sentait son bourgeois et son pédant, tandis que l’imagination qu’y porta Janin était naturelle et légère.
Quant aux deux doubles lignes de lumière, primitivement égales, je les vois, en imagination, devenir inégales lorsqu’elles se dissocient par l’effet du mouvement que ma pensée imprime au système. […] Mais n’oublions pas que tout se passe dans notre imagination, ou mieux dans notre entendement. […] Comme les horloges restent ce qu’elles étaient, marchent comme elles marchaient, conservent par conséquent le même rapport entre elles et demeurent réglées les unes sur les autres ainsi qu’elles l’étaient primitivement, elles se trouvent, dans l’esprit de notre observateur, retarder de plus en plus les unes sur les autres à mesure que son imagination accélère le mouvement du système. […] Et c’est justement parce que la durée psychologique subsiste, inchangée, au cours de toutes les imaginations successives de l’observateur, qu’il peut considérer comme équivalents tous les Temps conventionnels par lui imaginés. […] Voici que, sans cesser de regarder, percevant donc toujours cette même durée, il voit, en imagination, les lignes doubles de lumière se dissocier en s’allongeant, la double ligne de lumière longitudinale se scinder en deux lignes de longueur inégale, l’inégalité croître avec la vitesse.
À l’égard de son éloquence, elle a souvent de l’éclat, et est presque toujours animée des couleurs brillantes de l’imagination. […] Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; né avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite. […] qu’il fut beaucoup plus philosophe dans son gouvernement, et sa conduite que dans ses idées ; que son imagination fut extrême, et que cette imagination égara souvent ses lumières ; qu’ayant renoncé à croire une révélation générale et unique, il cherchait à chaque instant une foule de petites révélations de détail ; que, fixé sur la morale par ses principes, il avait, sur tout le reste, l’inquiétude d’un homme qui manque d’un point d’appui ; qu’il porta, sans y penser, dans le paganisme même, une teinte de l’austérité chrétienne où il avait été élevé ; qu’il fut chrétien par les mœurs, platonicien par les idées, superstitieux par l’imagination, païen par le culte, grand sur le trône et à la tête des armées, faible et petit dans ses temples et dans ses mystères ; qu’il eut, en un mot, le courage d’agir, de penser, de gouverner et de combattre, mais qu’il lui manqua le courage d’ignorer ; que, malgré ses défauts, car il en eut plusieurs, les païens durent l’admirer, les chrétiens durent le plaindre ; et que, dans tout pays où la religion, cette grande base de la société et de la paix publique, sera affermie ; ses talents et ses vertus se trouvant séparés de ses erreurs, les peuples et les gens de guerre feront des vœux pour avoir à leur tête un prince qui lui ressemble.
Thalès, Phérécyde, Épiménide, Xénophane, Parménide, Empédocle, appartiennent à cet âge de la philosophie unie à l’imagination. […] Né à Samos, voyageur en Orient et législateur de villes grecques en Italie, sa science des nombres, sa théorie morale de la musique, et la part qu’il lui donnait dans l’ordre même du monde céleste, attestent dès l’origine quelle influence l’imagination devait prendre sur la civilisation des Grecs. […] Séparé de Pythagore à peine par un demi-siècle, Eschyle reçut cette doctrine de ses premiers disciples ; et sans doute il avait pratiqué comme eux cette vie pure, solitaire, rigoureuse, si favorable à la force d’âme et à l’imagination poétique. […] Très grande de son vivant, sa célébrité s’accrut avec le temps dans l’imagination des Grecs ; et, après le grand siècle des arts et de la science, lorsque le monde polythéiste fut troublé et divisé par une lumière nouvelle, le nom d’Empédocle, les légendes sur sa vie, les prodiges attribués à sa science magique, furent un des secours dont s’étayait l’ancienne croyance. […] Sans doute, dans quelques vers épars d’Empédocle sur les premières ébauches de création fortuite, on pourrait voir ce panthéisme où, depuis tant de siècles, ont abouti souvent la fausse imagination et la fausse science ; mais il semble, au contraire, malgré les éloges de Lucrèce, que le poëte d’Agrigente était spiritualiste au plus haut degré dans sa Cosmogonie comme dans sa morale.
Celle qui a pour titre les Ecarts de l’imagination, est un délire perpétuel. […] d’Alembert, qu’il passe à la description du Temple de l’imagination. […] le Clerc de Montmercy, nous conviendrons qu’il auroit pu rendre ses Productions plus estimables, si, au lieu de peindre les écarts de l’imagination, il se fût attaché à réprimer la sienne ; si son excessive fécondité eût été resserrée dans les bornes d’une juste modération, & s’il se fût toujours souvenu que la quantité des vers ajoute au ridicule, parce qu’il n’y a que ceux qui sont bons, fussent-ils en petit nombre, qui puissent faire une bonne réputation.
Dans un ouvrage de poésie, par exemple, on doit parler tantôt à l’imagination, tantôt au sentiment, tantôt à la raison, mais toujours à l’organe ; les vers sont une espèce de chant, sur lequel l’oreille est si inexorable, que la raison même est quelquefois contrainte de lui faire de légers sacrifices. […] Malebranche ne pouvait lire sans ennui les meilleurs vers, quoiqu’on remarque dans son style les grandes qualités du poète, l’imagination, le sentiment et l’harmonie. Mais trop exclusivement appliqué à ce qui est l’objet de la raison, ou plutôt du raisonnement, son imagination se bornait à enfanter des hypothèses philosophiques, et le degré de sentiment dont il était pourvu, à les embrasser avec ardeur comme des vérités. Quelque harmonieuse que soit sa prose, l’harmonie poétique était sans charmes pour lui, soit qu’en effet la sensibilité de son oreille fut bornée à l’harmonie de la prose, soit qu’un talent naturel lui fit produire de la prose harmonieuse sans qu’il s’en aperçût, comme son imagination le servait sans qu’il s’en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir. […] Faute de suivre cette méthode, l’imagination échauffée par quelques beautés du premier ordre dans un ouvrage, monstrueux d’ailleurs, fermera bientôt les yeux sur les endroits faibles, transformera les défauts même en beautés, et nous conduira par degrés à cet enthousiasme froid et stupide qui ne sent rien à force d’admirer tout ; espèce de paralysie de l’esprit, qui nous rend indignes et incapables de goûter les beautés réelles.
Plus vrai qu’Edgar Poe, le chasseur américain au succès21, dont le but caché est de terrasser l’imagination de son temps à l’aide de combinaisons enragées et d’excentricités réfléchies, Hoffmann n’a pas cette puissance terrible qu’avait Edgar Poe, et que du fond de ses ivresses il pensait encore à exercer ; Hoffmann, lui, perdait de vue son public comme on perd de vue les convives lorsque l’on glisse sous la table. […] En descendant des idées religieuses aux idées littéraires, Cazotte avait publié son Diable amoureux et mouillé la lèvre de l’imagination contemporaine d’un philtre qui n’avait pas, dans la coupe de l’enchanteur français, une bien grande magie, mais dont la saveur excitait et préparait à des saveurs plus pénétrantes… Au Nord comme au Midi, l’Europe, dégoûtée de matérialisme et de littérature positive, avait soif de surnaturel, la vraie poésie. […] Des génies qui se portent bien, et non des malades comme Hoffmann, ont touché à ce côté mystérieux et profond de l’imagination et de la sensibilité. […] La littérature tombant dans le logogriphe est-elle dans les conditions vraies et normales de toute littérature, dont les premières conditions, les conditions élémentaires, sont la logique, — car l’imagination a sa logique comme l’intelligence, — le sens humain et la clarté ? […] Pour nous, nous les avons relues dernièrement, ces œuvres, et nous assurons, au rebours de l’éditeur de ces tronçons et de ces miettes, qu’elle ne dureront dans l’imagination des hommes qu’à la condition qu’on respectera au fond de soi les lointaines impressions qu’elle nous ont laissées, et qu’on ne reviendra pas sur leurs débris.
Et cette force, qui fait trembler, mourant comme meurent ici-bas la fidélité et la tendresse, quand on les a une fois blessées, a suffi pour l’intérêt du livre de Lawrence et pour lui amener, captivées, toutes les imaginations. […] aussi bien dans les peintures que sait oser une imagination si sauvagement amoureuse de l’énergie que dans la conception des autres personnages de ce roman, de si grande proportion humaine, et qui mêlent leur destinée à celle de Guy Livingstone. […] La Bible, — cette éducation de l’Angleterre, ce livre grand et terrible où le Dieu jaloux frappe Satan, l’autre jaloux, — la Bible a empreint pour jamais l’imagination anglaise de sa grandeur et de sa terribilité, et c’est elle que je vois rayonner de son feu sombre et âpre aussi bien dans Richardson, qui a fait Lovelace, que dans Milton, qui a fait Satan ; aussi bien dans ce nouvel écrivain qui ajoute dans Livingstone une grande figure à ces grandes figures aimées et hantées par l’imagination de son pays, que dans ce Byron dont il est l’enfant intellectuel. […] le byronien s’est brisé tout à coup, et le biblique, le Juif à la tête dure qu’il y a toujours plus ou moins au fond de tout Anglais, a disparu entièrement pour faire place au chrétien qui se trouve si peu dans l’imagination anglaise ; car, après tout, le génie du chrétien, c’est l’humilité !
Lawrence, et pour lui amener, captivées, toutes les imaginations. […] aussi bien dans les peintures que sait oser une imagination si sauvagement amoureuse de l’énergie que dans la conception des autres personnages de ce roman, de si grande proportion humaine, et qui mêlent leur destinée à celle de Guy Livingstone. […] La Bible, — cette éducation de l’Angleterre, ce livre grand et terrible où le Dieu jaloux frappe Satan, l’autre jaloux, — la Bible a empreint pour jamais l’imagination anglaise de sa grandeur et de sa terribilité, et c’est elle que je vois rayonner de son feu sombre et âpre aussi bien dans Richardson, qui a fait Lovelace, que dans Milton qui a fait Satan, aussi bien dans ce nouvel écrivain d’aujourd’hui qui vient d’ajouter dans Livingstone une grande figure à ces grandes figures aimées et hantées par l’imagination de son pays, que dans ce Byron dont il est l’enfant intellectuel. […] le byronien s’est brisé tout à coup, et le biblique, le juif à la tête dure qu’il y a toujours plus ou moins au fond de tout Anglais, a disparu entièrement pour faire place au chrétien qui se trouve si peu dans l’imagination anglaise, car, après tout, le génie du chrétien, c’est l’humilité !
Il transmit à son fils l’imagination rêveuse de sa race, son esprit de simplicité désintéressée. […] Mais cette aptitude calculatrice était associée à un don remarquable d’imagination visuelle. […] L’imagination même de Taine est d’un genre particulier. […] Son imagination n’est que le vêtement somptueux de sa dialectique. […] Son imagination prit des ailes : il créa.
Il faut, pour créer, qu’ils aient plus d’imagination que de raison ; il faut qu’ils aient une certaine vigueur d’âme qui les emporte et les entraîne loin de ce qui est ordinaire. […] Nous agissons, nous parlons, nous nous conduisons par une espèce d’imagination rapide qui nous entraîne, et qui est peut-être l’effet de la foule des petites passions qui nous dominent et se succèdent. […] Qu’on ne s’en étonne pas ; de toutes les facultés de l’homme, l’imagination est la première qui s’éveille. […] L’imagination a levé le plan de la nature ; la poésie l’offre en relief, ou le met en couleurs. […] Les grands modèles étaient approfondis ; le goût général était épuré ; l’imagination des peuples s’était montée ; la véritable grandeur avait fait disparaître la fausse.
Les beaux vers, ces perles du collier des nations jeunes, qu’elles ne mettent plus dans leur vieillesse, les beaux vers deviennent de plus en plus rares ; les âmes tarissent, les imaginations se décolorent, et ce douloureux et magnifique oiseau, au bec lumineux, à la gorge teinte de la pourpre éclatante de son cœur : la Poésie, meurt, étouffé sous le large pouce de ces intérêts matériels dont la main brutalise à cette heure les plus pures et les plus fortes intelligences… Seulement, s’il y avait à faire une exception en faveur des poésies sur lesquelles les reflets d’un enthousiasme sincère se voyaient encore, n’était-ce pas en faveur de celles qui s’étoilent d’un nom glorieux et s’appellent Poésies de l’Empire 57? […] Les Poésies de l’Empire, qu’est-ce à dire, sinon les poésies d’un temps qui fut tout poésie, d’un temps que la raison sans doute peut juger plus ou moins sévèrement dans ses excès ou dans ses fautes, mais que l’imagination subjuguée amnistiera toujours en l’admirant ! […] Charlemagne et Napoléon sont deux noms qui frappent le même accord dans l’imagination des hommes, soit par la grandeur de leur fortune, soit par le pathétique éclat qui s’est attaché à quelques-uns de leurs revers. […] Et, cependant, comme Lamartine et comme Victor Hugo, il doit les meilleurs de ses chants à cette poésie toute faite de l’Empire, qui s’est imposée à sa pensée pour la féconder et pour la grandir, et qui dominera longtemps encore les plus fortes imaginations !
Ce qui est dangereux pour ces jeunes âmes, ce ne sont pas les beautés de l’imagination, ce sont ses laideurs. […] Ces images trop licencieuses ne pouvaient effleurer seulement l’imagination de Thérésina, ni même de sa mère. […] Ils en rencontrent d’aussi merveilleuses qu’elles sont pathétiques ; mais on s’épuiserait à relever tout ce qu’il y a d’inépuisable dans cette féconde imagination. […] Mais on sort de cette lecture comme d’un long bal masqué avec le tourbillon dans la tête, la confusion dans l’esprit, l’ivresse dans l’imagination , le vide dans le cœur. […] Quand on est à votre âge, on ne se moque ni de ses passions ni de son imagination : on en est le jouet ou la victime.
Elle méditait dès ce moment Corinne, son œuvre la plus lyrique, où elle voulait fondre ensemble l’émotion et l’enthousiasme pour éblouir à la fois l’imagination par le génie et pénétrer le cœur par l’amour. […] « L’énigme de la destinée humaine n’est de rien pour la plupart des hommes ; le poëte l’a toujours présente à l’imagination. […] « Les Allemands réunissant tout à la fois, ce qui est très-rare, l’imagination et le recueillement contemplatif, sont plus capables que la plupart des autres nations de la poésie lyrique. […] Dans le moyen âge, l’imagination était forte, mais le langage imparfait ; de nos jours le langage est pur, mais l’imagination est en défaut. […] Il exige des beautés absolues, des beautés qui frappent le lecteur solitaire, lorsque ses sentiments sont plus naturels et son imagination plus hardie.
Ainsi, dans des hymnes sans exemple, rêveurs et dogmatiques, pleins d’imagination et de foi, le christianisme était chanté par le solitaire, comme il était fixé par les conciles et consacré sur les autels. […] On peut le croire : l’âme contemplative, la noble imagination si charmée des arts de la Grèce avait encore pénétré bien peu dans la sévérité du dogme chrétien, lorsque lui échappaient ces vers. […] Son imagination est moins convertie que son cœur. […] Et, quant à cette puissance de création transmise directement au Fils, pour mieux marquer, sans doute, l’inséparable identité des Personnes divines, l’orthodoxie chrétienne est encore là d’accord avec l’imagination du poëte. […] L’auteur était un sage, avec une imagination élevée et gracieuse ; et il montra, dans les dernières épreuves, un dévouement héroïque à ses concitoyens.
Je me déclare incapable d’exprimer avec convenance l’admiration que m’inspire cette incomparable imagination philosophique, et surtout de retracer avec l’ordonnance nécessaire le développement de cet esprit volontaire qui voua un culte si fiévreux à la logique. L’imagination philosophique, le don de rendre émouvantes les idées, de dramatiser les abstractions, voilà, en effet, le trait essentiel qu’il faut souligner, et souligner encore, chez M. […] Nous l’admirons comme un type, parce qu’il a manifesté, plus qu’aucun homme de notre connaissance, ce don singulier qu’on appelle l’imagination philosophique.
Un grand calme, un sourire d’imagination y règne. […] L’imagination s’en accommode fort, si l’équité en murmure un peu. […] Son imagination se passionnait en ces moments extrêmes ; il ressaisissait en idée la gloire. […] Son imagination, grandement séduite par le glorieux triomphateur, y comptait déjà. […] Son imagination l’avait fait, avant tout, poëte, c’est-à-dire volage.
Les croisades, dernier grand choc religieux entre l’Occident et l’Orient, avaient rempli l’imagination des peuples de combats, de miracles, de héros, auxquels la distance ajoutait encore son prestige. […] Quand la crédulité manque, le prophète ne prophétise plus ; or le poète est le prophète de l’imagination des hommes. […] Le Tasse restera à jamais aussi le poète des beaux jours de la vie où l’imagination sourit à ses premiers songes. […] « Homère semble avoir été particulièrement doué de génie, Virgile de sentiment, le Tasse d’imagination. […] Les premiers chants seuls existent ; le charme musical des stances rimées y manque, et la sévérité métaphysique du sujet y contraste péniblement avec l’amoureuse imagination du poète.
Le jeune panégyriste de Montaigne, disions-nous, débuta sans témoigner de passion dominante ; je me trompe, il avait celle de la belle littérature, le culte de l’imagination, l’amour des grands écrivains et de leurs formes immortelles. […] Ces discours, par leur façon nette, leste, piquante, et leur tour d’imagination dans la louange, rappelleraient assez le genre de Chamfort, n’était ce sentiment exquis d’admiration littéraire que le xviiie siècle n’eut jamais. […] Si dans Tycho-Brahé qu’il effleure, dans Leibnitz, dans Gibbon, n’importe où, à côté de lui, il y a un mot, un détail qui prête à l’imagination, à l’émotion du critique, soyez sûr qu’il ne le manque pas ; il le dégage comme le point à faire saillir et à éclairer. […] L’histoire, chez lui, prête sa lumière à l’imagination, le précepte se fond dans la peinture. […] Tout ce culte de l’imagination, qui est la vertu, la foi, l’éloquence du critique, il le transporte, parmi les contemporains, sur M. de Chateaubriand.
Il y a un mot heureux de Guizot, et que je souligne parce que Guizot, que je voudrais entraîner, ne se permet guère l’imagination : « Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, même l’esprit de Shakespeare nous apparaît dans ses œuvres, isolé de sa personne. » Mais c’est justement à cause de la difficulté de saisir la vie de Shakespeare, d’empoigner le pied du fanal caché sous sa lumière, que la pensée la veut, cette vie, et qu’elle s’y obstine. […] Or, en supposant qu’il ne vint jamais, ce Cuvier de Shakespeare, ou qu’il fût simplement impossible, — par la raison que l’histoire humaine, faite avec des circonstances et du libre arbitre, déconcerte la logique de l’observateur et ne ressemble pas à l’histoire naturelle, faite avec de la pure organisation qui permet toujours de conclure, — il y aurait au moins les faits connus — si peu nombreux qu’ils soient et même si incertains qu’ils puissent être — pour intéresser l’imagination captive, cette imagination humaine qui n’est pas de l’avis d’Emerson non plus, et qui ne prendra jamais son parti de ne pas savoir l’histoire vraie et détaillée du tous les jours de Shakespeare, comme elle sait, par exemple, celle de Goethe et de lord Byron ! […] L’imagination pourra donc continuer à rêver en s’impatientant devant le mystère qui enveloppe la vie de l’homme qui l’a le plus remuée. […] Parce que Guizot n’a pas d’imagination dans le style et qu’il a souvent des raideurs dans la pensée, il ne faut pas croire qu’il manque de coup d’œil littéraire.
Est-ce un homme d’imagination qui s’amuse ou qui s’est grisé ? […] Nous en avons rencontré plus d’un de ces fiers penseurs, crevant d’imaginations qu’ils ne pouvaient faire sortir, ayant trop d’idées pour pouvoir en exprimer une seule. […] III En effet, le livre d’Auguste Vacquerie est, sous prétexte de critique dramatique, un de ces ouvrages qui mènent à toute sorte d’imaginations capricantes, — aux points de vue les plus renversés, les plus brisés et les plus divers. […] car l’imagination de Vacquerie est cordonnière. […] l’imagination, disait Schiller, est le singe de l’intelligence.
avec la réputation de l’auteur, ses précédents, sa vie extérieure, son imagination, brillante et bruyante, et toute cette nature alcibiadesque qui est la sienne et qui semble avoir, comme le caméléon amoureux de la Légende, des reflets plus séduisants que des couleurs, on se serait attendu, en pensant à cette plume chaude et passionnée, bien plus à une œuvre d’imagination, de rythme ouvragé, de grande broderie, qu’à un livre de sentiment. […] On dirait que ce sont les couleurs du livre de M. de Beauvoir, livre de deuil, puisqu’il reflète une vie, mais qu’une imagination restée virginale, on ne sait trop par quel procédé, éclaire des teintes d’une rose de Bengale immortelle. […] Et, malgré la mélancolie des années, qui met ses safrans sur le front du poète, il y boira toujours, dans cette « coupe rose », même les neiges de la vieillesse que l’Imagination saura bien changer en sorbets. […] , il y en a quatre qui nuisent à la perfection d’un ensemble que l’imagination entrevoit et regrette… En ceci, M.
L’inachevé, même, parle d’autant plus à l’imagination ravie que l’imagination caresse l’ébauche et rêve sur le rêve du poète. […] Nous savions de lui tout ce qu’il importait d’en connaître dans l’intérêt de sa physionomie, il n’était nullement besoin d’éclairer davantage le coin de musée dans lequel l’imagination contemple son buste. […] André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu ! […] Cette flûte d’Alcibiade dont avait joué Chénier, qui, comme Alcibiade, ne l’avait par jetée aux fontaines, mais dans le sang qui noyait la France ; cette flûte, plus enchantée que celle de Mozart, avait tellement pris les oreilles et l’imagination charmées, que de ce ravissant Chénier on n’avait pas, tout d’abord, entendu autre chose… et que Barbier fut regardé par tous comme le seul Archiloque de la France, tandis qu’il y en avait deux, et qu’il n’était que le second.
Il amuse dans le sens que l’imagination, qui n’est pas très-exigeante, que l’imagination, bonne fille, donne à ce mot-là. […] Seulement, est-ce à une gloire de journal, c’est-à-dire de journée ; est-ce à cette fonction littéraire de Conteur pour le plaisir de l’imagination du plus grand nombre, qui est toujours une imagination vulgaire ; est-ce au rôle de Perrault pour les grandes personnes que M. […] Ce succès, comme on n’en a pas revu depuis pour des livres bien supérieurs, dut être un de ces faits décisifs dont l’influence reste sur l’imagination d’un jeune homme qui débutait, comme tout jeune homme débute, par l’imitation, mais qui, dans son imitation cependant, en donnant la patte, comme M.
Nous croyons plus profitable de considérer le milieu dramatique dans ses rapports avec l’imagination, le sentiment et la fantaisie. […] Une première difficulté se présente, c’est de définir la fantaisie et de la distinguer de l’imagination. […] En un mot, on pourrait dire que la fantaisie, c’est de l’esprit dans l’imagination. […] Eh bien, on peut affirmer que ce modèle n’existe et n’a jamais existé que dans notre imagination. […] Un pareil effet est toujours aléatoire, puisqu’il dépend des dispositions du public et de l’imagination des spectateurs.
Sa vie littéraire commence à ce moment ; il avait trente-sept ans ; marié, sans fortune, homme d’imagination, n’ayant gagné à sa première vie militaire que de l’estime et des blessures, il se dit, après son début de Galatée, qu’il y avait à faire de belles choses dans les lettres, et particulièrement à entreprendre pour le théâtre qui était resté comme dans l’enfance. […] Je montrai, ou pour mieux dire je fus le premier à personnifier les imaginations et les pensers cachés au fond de l’âme, produisant des êtres moraux au théâtre au grand applaudissement des auditeurs. […] Mais la probité, chez les gens de lettres, les artistes et les hommes d’imagination, comme chez les anciens soldats (et Cervantes réunissait tous ces titres), est certes compatible avec quelque négligence. […] qu’il fallait donc à ce Cervantes âgé pour lors de cinquante-huit ans, touchant au soir de la vie, et dont nous venons d’indiquer, bien légèrement encore, les opiniâtres infortunes, qu’il lui fallait d’imagination puissante et flexible, de ressort de caractère, de bonne humeur toujours prête et inaltérable, d’expérience variée, amassée de toutes parts naïvement et sans calcul, richement diversifiée et abondante, pour savoir ainsi instruire en se jouant et railler sans amertume ! […] Tout y naît de soi, tout y est amené naturellement et comme fondu sans dessein dans une composition aisée et enjouée ; l’humanité y est raillée d’un bout à l’autre, sans être offensée jamais ; la foi à la vertu, à la bonté, subsiste au milieu des mécomptes et jusque dans les éclats d’une risée immodérée, toujours innocente : mélange le plus heureusement tempéré que l’on connaisse, comme aussi le plus vivement contrasté, de bon sens et d’imagination, d’expérience et d’hilarité, de maturité et de jeunesse.
L’imagination, échauffée par les grands traits de l’éloquence, se livre toute entière à l’admiration du talent ne goûte que les images sensibles, & se refroidit sur les choses invisibles & de pure spéculation. […] On se moque, dans presque tous les pays protestans, d’un prédicateur qui se livre à son imagination. […] L’imagination est refroidie ; l’attention nécessaire, détruite ; un plan, quelque beau, quelque grand qu’il puisse être défiguré. […] La Rue est élevé, sublime, éloquent, unique même dans quelques sermons, comme dans celui des calamités publiques : il anime tout ; mais son imagination le rend quelquefois plus poëte que prédicateur. […] quelle imagination à la fois vive & sage !
Quand l’imagination est forte et capable de suivre dans leur développement parallèle une double série d’images successives, sans jamais en perdre de vue le rapport, la comparaison initiale aide puissamment à l’invention. Chaque image d’une série évoque une image correspondante de l’autre série ; si l’imagination est à bout d’un côté, elle se soutient de l’autre. […] Les esprits jeunes ne savent guère opérer sur des abstractions : elles manquent de corps et échappent à la prise de l’imagination.
Le roi fait concourir à leur éclat et à leur charme, la magie des arts de l’imagination, la puissance des talents. […] La duchesse de Bouillon, Marie-Anne Mancini, habitait Château-Thierry : c’était une femme douée ou affligée, comme ses sœurs et ses cousines, d’une imagination vive et sans frein, et de mœurs très libres. […] La Fontaine et Racine avaient besoin, l’un de l’imagination des femmes de la cour pour faire passer ses contes, l’autre de leur âme pour faire sentir plus vivement le pathétique dont la sienne renfermait le secret ; tous avaient besoin du roi pour obtenir la vogue, objet ordinaire de l’ambition des talents, et souvent leur unique récompense.
Son éloquence y est soutenue, mâle, abondante & naturelle ; elle dédaigne le faux brillant des antitheses, ces tours emphatiques qui ne prouvent que la sécheresse de l’imagination & la disette de l’esprit, ces details recherchés, ces portraits fantastiques, plus faits pour plaire que pour corriger ; elle s’abandonne à la chaleur qui l’enfante, & n’emprunte de l’art que ce qu’il faut pour l’embellir, ou plutôt elle embellit l’art même. Du feu, de la vie dans les tableaux, de grandes idées dans les images, des mouvemens rapides dans les sentimens, des élans d’imagination qui étonnent, des traits sublimes dans le langage, qui séduisent, sont pour lui des ressorts familiers qui font éprouver à l’ame des secousses qui la maîtrisent, la captivent, l’arrachent à elle-même, & la remplissent de cet enthousiasme que le vrai génie peut seul communiquer. […] Les sentimens que l’Ecrivain leur inspire, surtout dans ses Elévations & ses Méditations, semblent agrandir & multiplier leur existence, & sont bien supérieurs aux, froids mouvemens que peut exciter une imagination péniblement exaltée, ou une vaine fermentation philosophique.
Linguet se montre dans tout ce qu’il a écrit, par une richesse d’imagination, une chaleur & une vivacité d’images, une flexibilité & un coloris de style, qui le séparent avantageusement de la foule de nos Littérateurs, même célebres. Doué d’une intelligence prompte, d’une imagination vive & féconde, d’une mémoire facile & solide, ses premiers pas, dans la carriere littéraire, ont annoncé un athlete singuliérement favorisé de la Nature, & destiné à surpasser les rivaux les plus renommés. […] Cet Auteur seroit-il moins estimable, en se montrant plus attentif à rejeter l’esprit de systême, qui lui fait envisager les choses du côté le plus singulier ; à éviter de certaines discussions, propres à faire briller l’éloquence, à la vérité, mais rarement d’accord avec l’exactitude & la solidité du jugement ; à interdire à son imagination quelques essors un peu trop libres ; & à retrancher de sa maniere d’écrire, des expressions, qui, pour être pittoresques & supposer la facilité la plus heureuse, n’en sont pas toujours, pour cela, conformes à la dignité du style & à la sévérité du goût ?
C’est une des facultés les plus naturelles et les plus universelles de l’homme que de reproduire en lui par l’imagination et la pensée, et en dehors de lui par l’art et par la parole, l’univers matériel et l’univers moral au sein duquel il a été placé par la Providence. […] L’imagination est le second, parce qu’elle colore ces choses dans le souvenir et qu’elle les vivifie. […] Les hautes montagnes du Taurus qui meurent derrière Smyrne, la mer étincelante qui écume dans toutes ses anses, le ciel serein qui encadre les flots, les cimes, les îles, les tièdes haleines qui soufflent de tous les golfes, font de ce beau lieu l’Éden d’une imagination poétique. […] On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint à l’imagination, au cœur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l’écriture, les lettres, l’éloquence, les vers, la musique ; car ce que les anciens entendaient par musique s’appliquait à l’âme autant qu’aux oreilles. […] c’est renvoyer à Dieu ses plus souveraines facultés, de peur qu’elles n’offusquent les yeux jaloux et qu’elles ne fassent paraître le monde réel trop obscur et trop petit, comparé à la splendeur de l’imagination et à la grandeur de la nature !
C’est ce qu’on appelle les figures de pensées, figures de passion, d’imagination ou de raisonnement. […] Pareillement nous ne croyons pas prendre dans la trappe celui que nous attrapons, ni attirer avec le leurre celui que nous leurrons ; les gens délurés, hagards, niais, ne représentent guère des faucons à notre imagination, et quand nous dessillons les yeux de quelqu’un, nous ne nous figurons point être un fauconnier qui découvre les paupières de l’animal enfin dompté. […] « Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure, contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser. » La véritable métaphore présente à la fois deux objets à l’imagination, l’un qui est dans le sens propre du mot, l’autre qui par le moyen du premier s’éveille dans la pensée. […] Mais il ne faut pas les prendre comme usitées et traditionnelles ; il ne faut pas y être conduit par l’opération mécanique de la mémoire : il faut qu’elles jaillissent, créées à nouveau pour un besoin nouveau, du sentiment intime et de l’imagination personnelle. […] Le charme s’évanouit, si le développement de la métaphore emprisonne l’imagination : il ne faut pas tracer des sentiers, ni planter des jalons et des piquets dans le champ où on l’introduit.
Joanne ou lui faisant panache, pour traduire Macaulay, cette imagination savante, cet écrivain d’abondance et d’éclat, surtout dans la partie des œuvres dont il s’agit ; car il y a deux hommes qu’il ne faut pas confondre dans Lord Macaulay. […] Dès ses premières compositions, qui furent des vers (The last Lays of anciens Rome), Macaulay montra cette imagination docte qui est la vraie imagination du critique, laquelle s’embrase en se ressouvenant et diffère si profondément de l’imagination créatrice du poète. […] Doué de l’imagination la plus opulente, qui saisit et reproduit avec éclat toutes les analogies et toutes les différences, puissant par la vaste étendue de l’esprit et par une étendue non moins vaste de connaissances, Macaulay pourrait être regardé comme un critique complet s’il avait le jugement souverain, qui est le coup de hache définitif et mérité par lequel le critique ressemble à l’homme d’État, et dont l’un ne peut pas plus se passer que l’autre. […] Le critique peut se tromper et défaillir, mais l’écrivain, lui, ne défaille jamais et rend toujours notre imagination heureuse. […] On dira : « C’était un critique » ; et je le sais bien. « Ce n’était pas un romancier, un poète, un homme d’imagination pure » ; et je le sais bien encore.
L’écho de ces stances est un perpétuel applaudissement de l’âme et de l’imagination qui vous suit de la première à la dernière stance, comme, en marchant dans la grotte sonore de Vaucluse, chaque pas est renvoyé par un écho, chaque goutte d’eau qui tombe est une mélodie. […] Bien des génies littéraires morts ou vivants ont évoqué, dans leurs œuvres, leur âme ou leur imagination devant nos yeux pendant des nuits de pensive insomnie sur leurs livres ; nous avons ressenti, en les lisant, des voluptés inénarrables, bien des fêtes solitaires de l’imagination. […] Il ne renonce pas à l’élégance, mais quel sentiment hardi de la réalité, quelle énergie redoutable dans ses peintures, soit qu’il chante la Belle d’août et qu’avec une grâce funèbre il associe toute la nature éplorée aux malheurs de son héroïne ; — soit que, dans l’étrange pièce intitulée : Amarum, il attaque le débauché, le secoue, le flagelle, et l’enferme, épouvanté, au fond du sépulcre infect ; — soit que, devant un épi de folle avoine, son ironie vengeresse châtie l’oisiveté insolente, toujours il y a chez lui une pensée généreuse, une imagination agreste, un langage imprégné des plus franches odeurs du terroir.
La substance des choses, tant de fois et si vainement cherchée par la métaphysique matérialiste dans ce substratum de l’imagination qui s’appelle l’étendue, est ailleurs. […] Aussi la spéculation idéaliste n’a-t-elle jamais réussi à ébranler ce qu’elle appelle une illusion de la conscience et de l’imagination que chez un très-petit nombre d’esprits supérieurs. […] Ni l’expérience sensible ni l’imagination ne résistent à l’absorption des êtres dans l’être absolu, par la raison que l’expérience sensible et l’imagination ne pénètrent pas dans l’individualité même des êtres, et ne nous laissent qu’une représentation tout extérieure. […] Si c’est le Dieu de l’imagination, le mysticisme fait descendre l’âme aux pratiques de la théurgie. […] La nature n’a jamais donné qu’un être d’imagination, de même que la pensée métaphysique n’a jamais donné qu’un être de raison.
Bossuet ne s’étourdit pas à en creuser le mystère : il l’envisage sous l’aspect qui frappe l’imagination de la foule. […] Vainement on ouvre à cette imagination si puissante des horizons infinis ; l’aigle ne pousse pas son vol jusqu’à la sphère où l’air manque. […] Nullement : c’est quelque définition du quatrième ou du cinquième amour, une chimère, une subtilité dont son imagination a fait un dogme. […] Si l’évêque de Meaux resta maître des intelligences, l’archevêque de Cambrai resta maître des imaginations. […] Son imagination si puissante ne lui sert qu’à se rendre plus auguste l’obscurité de ces mystères.
Ils la façonnaient dans leur imagination avant d’en connaître les éléments. Malheur à l’imagination, qui se sépare de la nature ! […] Marmier, l’importateur des poésies du Nord dans notre langue, poète lui-même par l’imagination et le sentiment. […] Une correspondance assidue entre la jeune fille et le majestueux poète nourrit ces deux imaginations de rêves brûlants d’un côté, tièdes de l’autre. […] Une palpitation du cœur a plus de passion que mille élans d’imagination.
Elle se sentait à l’unisson avec lui, soit par la gaieté avec sa jovialité, soit par le sérieux avec sa tristesse, soit par l’imagination avec son talent. […] Ce séjour à Paris servit longtemps d’aliment à son imagination. […] Je me souviens néanmoins qu’il montrait déjà son imagination dans ces jeux de l’enfance que George Sand a si bien décrits dans ses Mémoires. […] Une jeune et aimable étrangère, une de ces femmes dont l’imagination est une puissance, conçut pour lui une ardente passion. […] Homme d’imagination, récompensé en imagination.
Quand Pascal s’abîme dans la méditation de l’immensité des espaces, quand son imagination est lasse et sa pensée impuissante, la langue lui fournit encore des signes capables de représenter l’inconcevable : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Formule vide de sens littéral, mais évidente et substantielle pourtant : sorte d’expression algébrique qui soumet l’infini à la même notation que le fini, et qui, par une combinaison de termes positifs et négatifs, arrive à donner la mesure de l’incommensurable. […] Est-ce le même soldat que notre imagination se figure dans les deux vers ? […] Mais aussi, quand on s’en sert pour la pensée, quand l’imagination ou le sentiment les assemblent, ils s’allument, et leur contact mutuel fait jaillir la lumière et sortir de fines nuances.
Ou l’imagination trop allumée ne présente plus distinctement aucun objet, et une infinité d’idées sans liaison et sans rapport s’y succedent tumultueusement l’une à l’autre ; ou l’esprit las d’être tendu se relâche ; et une rêverie morne et languissante, durant laquelle il ne joüit précisement d’aucun objet, est l’unique fruit des efforts qu’il a faits pour s’occuper lui-même. […] Mais à force d’exercer son imagination on la dompte, et cette faculté renduë docile fait ce qu’on lui demande. […] Le changement de travail et de plaisir remet en mouvement les esprits qui commencent à s’appesantir : ce changement semble rendre à l’imagination épuisée une nouvelle vigueur.
Son imagination, acharnée à se torturer, a déjà couché sa génération dans le tombeau. […] C’est exactement le contraire de la destinée des poètes chez lesquels l’imagination des objets fut aussi forte que l’imagination de leur propre sensibilité : Shakespeare et Gœthe. […] C’est la constatation d’un trait essentiel de cette imagination. […] L’imagination est écrasée, mais cet écrasement n’est pas une poésie. […] Décidément, mon imagination est comme les belles-de-nuit, elle s’ouvre à la lune.
L’imagination agit autant sur le passé que sur l’avenir, et l’on fait avec les biens qu’on possède une alliance, dont la rupture est cruelle ; mais après un certain temps, une situation nouvelle présente une nouvelle perspective à presque tous les hommes. Le bonheur est tellement composé de sensations relatives, que ce ne sont pas les choses en elles-mêmes, mais leur rapport avec la veille ou le lendemain, qui agit sur l’imagination. […] La moitié de la vie est du déclin ; quelle a donc été l’intention du Créateur en imposant cette triste perspective à l’homme, à l’homme dont l’imagination a besoin d’espoir et qui ne compte jamais ce qu’il a que comme un moyen d’obtenir plus encore ? […] Il n’en est pas ainsi de l’esprit exalté ou de l’imagination travaillée : ceux qui se tourmentent pour attirer l’attention du public, pour l’emporter sur leur semblables, croient avoir fait des découvertes dans des contrées inconnues du cœur humain. […] Certes, notre imagination même peut concevoir mieux que cette terre, mais quand elle n’y parviendrait pas, est-ce à nous de considérer la Divinité comme un poète qui ne saurait créer une seconde œuvre plus belle que la première ?
. — Son imagination et sa fantaisie. — L’Entrepôt de nouvelles et la Fête de Cynthia […] On n’est guère capable d’en former, à moins d’avoir comme Shakspeare l’imagination d’un voyant. […] » C’est avec ces paroles précises, avec ces détails sensibles qu’on allume les imaginations. […] Il a beau vieillir, son imagination, comme celle du Titien, reste abondante et fraîche. […] Il avait l’imagination complète ; tout son génie est dans ce seul mot.
Sans ce monde de l’esprit superposé au monde de la matière, l’imagination ou la piété de l’homme n’est pas satisfaite. […] L’imagination vieillit et tarit, le bon sens et le bon goût ne vieillissent pas ; ils se perfectionnent avec les siècles. […] Boccace, son maître, a mille fois plus d’imagination, plus de souplesse, plus de pittoresque, plus de sourire fin dans le récit. […] Nous avons été injuste quelquefois envers cette langue dans notre jeunesse, en l’accusant d’être trop rebelle à la poésie et trop avare pour l’imagination. […] L’imagination ne saurait se représenter Bossuet sous l’habit laïque.
Et puis sa main docile à la variété, à la rapidité de son imagination, vous dérobe toujours la fatigue. […] D’abord l’étendue que notre imagination donne aux objets est toujours proportionnée à l’énumération des parties. […] Je crois que l’œil et l’imagination ont à peu près le même champ, ou peut-être au contraire que le champ de l’imagination est en raison inverse du champ de l’œil. […] Cet homme n’a pas, je crois, beaucoup d’imagination. […] Le mouvement, l’action, la passion même sont indiqués par quelques traits caractéristiques, et mon imagination fait le reste.
C’est d’un sépulcre en effet que naquit en nous ce premier culte de mon imagination et de mon cœur pour le chantre de à Jérusalem délivrée. […] Celui-là n’avait porté son imagination que dans ses poèmes ; sa vie avait eu la médiocrité et la régularité du bon sens. […] Nous ne les rapporterons pas ; c’est l’atmosphère fabuleuse des grands hommes, l’imagination frappée voit plus beau que nature ce que la nature ordinaire ne peut expliquer. […] J’y trouve toute la grande poésie d’Homère avec plus de variété, toute l’imagination des Mille et une Nuits, la sensibilité de Tibulle, les plaisanteries de Plaute, toujours le merveilleux et le simple. […] Ces huit mois furent certainement l’extase la plus prolongée et la plus féconde qui ait jamais transporté l’imagination du poète et de l’amant au-dessus des tristes réalités de la vie.
Victor Hugo a non seulement composé un grand nombre de magnifiques odes, mais on peut dire qu’il a créé l’ode moderne ; cette ode, d’où il a banni les faux ornements, les froides exclamations, l’enthousiasme symétrique, et où il fait entrer, comme dans un moule sonore, tous les secrets du cœur, tous les rêves de l’imagination, et toutes les sublimités de la philosophie. […] n’avez-vous pas vous-mêmes dans vos rangs classiques, des gens dont le style et les compositions ressemblent à tout, qui ont des idées… et une imagination… c’est-à-dire, qui n’ont point d’idées ni d’imagination ? […] C’est que pour juger la prose, il faut de l’esprit, de la raison et de l’érudition, et qu’il y a beaucoup de tout cela en France ; tandis que pour juger la poésie il faut le sentiment des arts et l’imagination, et ce sont deux qualités aussi rares dans les lecteurs que dans les auteurs français. […] Or, la poésie n’est pas seulement un genre de littérature, elle est aussi un art, par son harmonie ses couleurs et ses images, et comme telle c’est sur les sens et l’imagination qu’elle doit d’abord agir, c’est par cette double route qu’elle doit arriver au cœur et à l’entendement. […] Pour très bien rendre l’allemand ou l’anglais en français, il faut une grande flexibilité de talent et beaucoup d’imagination de style.
Il a heureusement rencontré, pour s’insinuer avec ses contes et ses romans auprès de la femme, le moment où l’imagination de celle-ci était le plus éveillée, après l’émancipation de Juillet, par les peintures et les promesses saint-simoniennes. […] Crébillon fils en son temps eut aussi une telle prise sur l’imagination de certaines femmes, qu’une jeune dame anglaise, dit-on, s’affolant de lui après une lecture de je ne sais quel roman, accourut tout exprès pour l’épouser. […] A ces reproches plus ou moins fondés, à ces dégoûts ou à ces dédains, trop souvent justifiables, M. de Balzac n’a répondu que par une confiance croissante en son imagination et une exubérance d’œuvres dont quelques-unes ont trouvé grâce aux yeux de tous, et ont mérité de triompher. […] Études ou non, défroque plus ou moins pastorale, il aurait tort d’en trop rougir, puisque c’est pour lui un subsistant témoignage de ce que peuvent la constance, le travail et une opiniâtre confiance aux ressources de sa propre imagination. […] Il a une multitude de remarques rapides sur les vieilles filles, les vieilles femmes, les filles disgraciées ou contrefaites, les jeunes femmes étiolées et malades, les amantes sacrifiées et dévouées, les célibataires, les avares : on se demande où il a pu, avec son train d’imagination pétulante, discerner, amasser tout cela.
Mais sa qualité essentielle et dominante, c’est l’imagination ; et ce qui fait de ses lettres une chose unique, c’est cela : une imagination puissante, une riche faculté d’invention verbale, deux dons de grand artiste, dans un esprit de femme plus distingué qu’original, et appliqué à réfléchir les plus légères impressions d’une vie assez commune, ou les événements journaliers du monde environnant. […] Au lieu de s’émousser, l’impression s’avive en elle, parce que lentement, à mesure que les circonstances lui parviennent, son imagination en élabore une représentation complète : et c’est de cette vision que jaillit le récit définitif, simple, objectif, et saisissant comme la réalité même. […] De là encore dérive ce don rare par lequel elle fait sortir le pathétique des idées abstraites : elle a cette forme supérieure de l’imagination qui érige en symboles les objets sensibles, et fait transparaître l’universel dans l’expression du particulier. […] Cette force d’imagination dans un tempérament froid fait la valeur de la peinture que Mme de Sévigné a tracée de la société de son temps. […] Mme de Maintenon360 a l’air d’être la raison même : elle l’est devenue en effet ; mais il y avait en elle une imagination hardie, une ardente sensibilité, qu’elle a lentement, douloureusement domptées.
Pour avoir dit que, si nul poète ne parlait plus haut à mon imagination, deux ou trois autres disaient peut-être des choses plus rares à ma pensée et à mon cœur. […] On peut affirmer, je crois, que nul poète, ni dans les temps anciens, ni dans les temps modernes, n’a eu à ce degré, avec cette abondance, cette force, cette précision, cet éclat, cette grandeur, l’imagination de la forme. […] S’il ne l’est pas par la pensée, il y a cependant en lui plus de substance que je n’ai affecté d’en voir ; seulement c’est, si je puis dire, son imagination et sa rhétorique qui lui ont créé sa pensée. […] A cause de cela, ce songeur si peu philosophe a quelquefois des vers profonds ; et ce poète, de beaucoup plus d’imagination que de tendresse, a des vers délicats et tendres. […] Il a donné à notre imagination d’incomparables fêtes ; mais pour qui est-il l’ami, le confident, le consolateur, celui qu’on aime avec ce qu’on a de plus intime en soi, celui à qui on demande le mot qui éclaire ou qui pénètre ?
Il en est de même des nations qui cultivent les arts de l’imagination avec joie et succès. […] L’imagination qui soutenait ces grands maîtres, dévoyés dans leur gymnastique académique, l’imagination, cette reine des facultés, a disparu. Plus d’imagination, partant plus de mouvement. […] Dans leur guerre à l’imagination, ils obéissent à des mobiles différents ; et deux fanatismes inverses les conduisent à la même immolation. […] Delacroix a traité tous les genres ; son imagination et son savoir se sont promenés dans toutes les parties du domaine pittoresque.
— un panthéiste aussi comme les autres, mais un panthéiste auquel les Imaginations puissantes sont tentées de tout pardonner. […] Deux négations valent une affirmation en grammaire, mais, métaphysiquement parlant, une affirmation et une négation combinées ne peuvent guère donner pour résultat que du scepticisme, et effectivement, sous les girandoles allumées de la brillante imagination de Heine et sous les sensations très vives qu’il exprime, on n’a conscience que d’un scepticisme de poète qui s’agite dans l’image et ne creuse pas jusqu’à l’idée. […] Il est des esprits dont tout intéresse, des imaginations dont les moindres miettes sont précieuses. […] Mais quelle imagination supérieure ! […] Goethe, comme Hegel, ces deux idoles de l’Allemagne, ont pâli tous deux dans l’imagination et dans l’amour de Heine à mesure que son imagination s’est passionnée, à mesure qu’elle a plongé davantage dans les réalités et les intensités de la vie.
C’est qu’en dépit de la division systématique soutenue dans quelques ouvrages célèbres, il n’y a pas deux mondes distincts pour l’imagination, il n’y a pas deux grandes écoles égales et contraires ; il y a moins et plus. […] Protée du moyen âge, revêtant toutes les formes du monde civilisé et du monde barbare, prodiguant tour à tour le raisonnement, l’imagination, la subtilité des allégories, l’invective et la plaisanterie, Dante n’aura que rarement, dans la première partie de son poëme, la pureté de l’accent lyrique. […] Le Purgatoire du Dante est une aspiration vers le ciel ; le Paradis est l’hymne de reconnaissance de l’imagination, pour un bonheur infini comme son espérance. […] Quels que soient les spectacles dont son imagination nous éblouit, c’est à la pensée pure qu’il emprunte son dernier coup de pinceau. […] Et toutefois de cette éclatante uniformité la mémoire peut détacher des beautés qu’on n’oublie pas, les plus neuves de la poésie moderne, bien que toutes remplies encore de l’imagination antique.
Montesquieu écrit peu (autant du moins qu’on en peut juger par ce qu’on a), et il écrit sans prétention : son grand esprit, sa forte et haute imagination, sa faculté élevée de concevoir et son talent de frapper médaille ou de graver, sont tout entiers tournés et employés à ses compositions savantes et rares. […] Entre les faits et lui, pour peu qu’il y eût retard, son imagination était sujette à projeter des systèmes : combien de fois à ses débuts, quand il voulait découvrir trop de choses, et trop vite, avec les seuls yeux de l’esprit, le sourire fin de Daubenton, l’homme du scalpel, l’avertit et l’arrêta ! […] Cuvier qui nous le dit et nous le croyons sans peine. — « Corvisart, pourquoi n’avez-vous pas d’imagination ? » demandait brusquement Napoléon, un jour qu’il sortait de causer avec Mascagni, un de ces savants italiens à qui l’imagination ne faisait pas faute. — « Sire, répondit Corvisart, c’est que l’imagination tue l’observation. » — L’imagination ne tue pas toujours l’observation ; bien souvent aussi elle l’éveille, elle la provoque et la stimule ; elle la devance.
Ils avaient de l’imagination, de la mélancolie, du penchant à la mysticité, mais un profond mépris pour les lumières, comme affaiblissant l’esprit guerrier : les femmes étaient plus instruites que les hommes, parce qu’elles avaient plus de loisir qu’eux. […] Leur climat sombre n’offrait à leur imagination que des orages et des ténèbres ; ils désignaient la révolution des jours par le calcul des nuits, celle des années par les hivers. […] La sensibilité, l’imagination, la faiblesse disposent à la dévotion. […] Si l’on ne juge le résultat d’un tel travail que dans ses rapports avec les arts d’imagination, rien ne peut en donner une idée plus défavorable. […] L’imagination, les talents qui en dérivent ne raniment que les souvenirs ; mais c’est uniquement par la méthode métaphysique qu’on peut atteindre aux idées vraiment nouvelles.
Tant d’esprit, de verve, d’imagination drolatique ! […] Il a dans ses caprices d’imagination une sagacité qui voit loin, et de ses feux d’artifice il reste toujours autre chose que du papier brûlé. […] Et il a les deux sortes d’esprit : celui qui est comme la fleur du bon sens et celui qui est comme la fleur de l’imagination ; celui qui consiste à saisir des rapports inattendus entre les idées, et celui qui réside dans l’imprévu abondant des images. […] cela n’est pas d’une imagination anémiée. […] Écoute ceci, et dis-moi si l’esprit, le pur esprit, l’esprit tempéré et fin, l’esprit qui se contient et se gouverne, la plus intime essence de nous-mêmes enfin, gens de Paris, de Gascogne et de Champagne, ne peut pas être une source de poésie tout aussi bien que l’imagination exaltée, les passions furieuses, le cœur qui se ronge et l’hypocondrie !
Alors il ne s’agissait plus des excentricités de la pensée d’un homme plus ou moins doué d’imagination ou de génie, il s’agissait du génie même ou de l’imagination de son époque, dont un homme, quels que soient sa force et son parti pris, dépend des jours. […] Gasner, Cagliostro, Mesmer, ces puissants jongleurs, se jouaient de l’imagination et des passions de l’Europe incrédule… folle d’un besoin de croire qu’elle avait voulu supprimer. En Angleterre, il n’y avait pas, il est vrai, d’associations comme en Allemagne, mais une vogue immense entourait William Law qui commentait ce vieux Boëhm, si cher aux imaginations des races germaniques. […] En effet, pour nous dégoûter de l’erreur de son principe et de sa doctrine, le protestant a la sécheresse de sa raison et la superbe de son orgueil, mais Saint-Martin a l’imagination du poëte, l’amour du croyant ; et son orgueil est si doux (car il y a toujours de l’orgueil dans un chef de secte), qu’on le prendrait presque pour cette vertu qui est un charme et qu’on appelle l’humilité.
. — l’admiration ou la mystification de leurs contemporains, — ils laissent sur l’imagination publique des teintes dont elle reste colorée. Or, pour l’imagination du xixe siècle, il faut bien en convenir, ces teintes s’appellent encore jusqu’ici Hugo, Musset, Lamartine. […] Imagination qu’aurait préservée l’ignorance et qui n’était pas assez forte pour résister à la culture, M. de Gères ne sait pas ou peut-être a-t-il oublié que la fraternité tue les poètes autant que les peuples, et qu’ils doivent ressembler, pour être aussi impressifs qu’elle, à cette Tour seule qu’il a si bien peinte et chantée dans une de ses poésies le plus genuines par la rêverie et par le rythme : Au faîte où le sentier se plie Et plonge vers l’autre vallon, Droite sur son dur mamelon, Qu’au paysage rien ne lie, Sans arbre, sans maison autour, Sans voisinage qu’une meule, S’élève, muette, la tour Seule ! […] Lire peu les livres contemporains, qui ont déteint sur l’imagination publique et qui l’ont imprégnée, fermer ses livres, se faire un lazaret contre eux et leurs influences, enfin reconquérir cette originalité première, cette hermine bien tachée, mais qui n’en mourra pas, voilà quels doivent être la tactique et le but de M.
« Mon dessein n’est pas d’entrer dans une discussion, dit-il ; mais il me suffira d’affirmer que j’ai vu, en assistant à un grand nombre d’expériences, des impressions et des effets très réels, très extraordinaires, dont la cause seulement ne m’a jamais été expliquée. » Sans nier que ces impressions et ces effets puissent être les résultats d’une imagination frappée, il demande si ce mot imagination est une réfutation bien péremptoire, et si au moins les savants et les philosophes ne devraient pas, par amour pour la vérité, méditer sur les causes de cette nouvelle et étrange propriété de l’imagination.
Elle n’anime pas toutes choses uniquement pour satisfaire l’imagination et l’instinct sympathique de sociabilité universelle ; elle anime tout, 1° pour expliquer les grands phénomènes terribles ou sublimes de la nature, ou même la nature entière, 2° pour nous exciter à vouloir et à agir avec l’aide supposée d’êtres supérieurs et conformément à leurs volontés. […] Le but de l’art, au contraire, est la réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale, de vie intense et expansive, de vie bonne, passionnée, heureuse, sans autre loi ou règle que l’intensité même et l’harmonie nécessaires pour nous donner l’actuel sentiment de la plénitude dans l’existence. […] Le grand art, l’art sérieux est celui où se maintient et se manifeste cette unité ; l’art des « décadents « et des « déséquilibrés », dont notre époque nous fournira plus d’un exemple, est celui où cette unité disparaît au profit des jeux d’imagination et de style, du culte exclusif de la forme.
Cette mort fut poétique, en effet, dans un temps où la vie ne l’est plus, et elle parle plus haut à l’imagination que les œuvres de celui-là qui s’appellera Gabriel Ferry dans l’histoire littéraire du xixe siècle. […] N’avoir pas senti cela, après avoir pris pour le multiple personnage d’un livre d’imagination un peuple pareil, un peuple de puritains à l’ouvrage, de Turn Penny capables de tout par suite d’affaires, voilà le grand tort de Gabriel Ferry. […] L’auteur semble avoir oublié, ou n’avoir jamais su, que le véritable génie dramatique ne procède pas plus par des événements que par des chiffres, et qu’on peut en ajouter beaucoup les uns aux autres sans avoir plus d’imagination pour cela… Comme inventeur, donc, Gabriel Ferry ne nous paraît pas une grande perte.
Chez lui, ce n’était plus l’esprit, la réflexion, ce n’était plus même l’enthousiasme qui dominait ; c’était avant tout l’imagination, et une imagination plus brillante que créatrice. […] Sous ce rapport, c’est la femme qui fut homme, et l’homme qui céda souvent aux caprices d’une imagination féminine. […] Lerminier par le style et l’imagination, M. […] Mais ils étaient plus amusants, plus attrayants pour les imaginations avides d’émotions nouvelles et de merveilleux. […] Vous n’en créerez pas moins des fantômes dans l’imagination de la
L’Anglais ne sait mentir d’aucune manière, ni par égoïsme, ni par imagination, ni par politique. […] Que dites-vous de la petite scène que voici, et à quelle époque de l’histoire votre imagination la placerait-elle de préférence ? […] On conçoit vraiment, sans beaucoup d’imagination, qu’elle lui fit mal la vue de cet acier qui avait été si cruel à sa famille. […] Don Quichotte n’est pas un personnage sorti entièrement de l’imagination de Cervantes. […] Si vous voulez m’honorer, que ce soit par les lectures assidues, par les méditations fréquentes, par les longues rêveries, par les extases de l’imagination.
Le siège de ce mal n’est pas dans le cœur, il est dans l’imagination. […] On comprend que sa raison, moins forte que son imagination, n’ait pu résister à tant d’assauts. […] Sainte-Beuve s’était contenté de faire passer les rayons tièdes ou chauds qui troublaient l’imagination du lecteur. […] C’est par ménagement pour la sensibilité nerveuse de ses lectrices et pour la délicatesse de leur imagination que M. […] Feuillet a déployé beaucoup de talent, d’imagination, de grâce, de finesse, de poésie.
C’est là le fond de l’imagination ; mais l’imagination est plus encore. […] Nous ne disons pas que le sentiment soit l’imagination, nous disons qu’il est la source où l’imagination puise ses inspirations et devient féconde. […] Le vrai musicien ne possède pas moins d’imagination que le peintre. […] Si le sentiment agit sur l’imagination, on le voit, l’imagination le lui rend avec usure. […] Mais si Corneille a moins d’imagination, il a plus d’âme.
Au tour d’imagination et de poésie figurative qui est particulier à son pays, il unit une prestesse et une pointe de raillerie véritablement françaises, qu’il semble avoir acquises dans le commerce assidu de Voltaire. […] Bœrne de comparer cette nature d’imagination à une alouette qui, dans le crépuscule du soir, s’élève en cercles joyeux, autour de vertes moissons. […] Le roi de Bavière a, près de son trône, une confidente, la plus aveuglée quand elle conseille elle même, la plus corruptible quand il se trouve quelqu’un qui la dirige pour diriger son maître, son imagination.
L’imagination de George Sand. […] La faculté la plus forte de George Sand, c’est l’imagination, et elle en a toutes les formes, toutes les qualités, de la plus vulgaire à la plus fine. […] Ses jeunes filles sont plus nuancées, plus compliquées, et — malgré leur idéale perfection — plus finement vivantes que les imaginations d’hommes ne savent les faire. […] Il a l’imagination des affaires : il passe son temps à inventer des combinaisons qui contiennent des fortunes. […] Cette imagination, périlleuse dans la réalité, devint une grande qualité littéraire pour représenter par le roman une société où les affaires et l’argent tenaient tant de place.
Les habitudes de la confession catholique, si belles, mais si périlleuses, excitaient étrangement son imagination. […] Cette chasteté admirable ne faisait qu’exciter l’imagination de la pauvre enfant. […] Son imagination se portait vers des jeux inoffensifs ; elle voulait se dire qu’elle travaillait pour lui, qu’elle était occupée à faire quelque chose pour lui. […] Durant un an, elle savoura ainsi en imagination son pauvre petit bonheur. […] Les heures coulaient d’un mouvement lent comme son aiguille ; sa pauvre imagination était soulagée.
Jean-Jacques apportait aux imaginations de ses contemporains des plaisirs nouveaux. […] L’âme la plus solide ne défaille-t-elle pas, au souvenir des journées perdues, à l’imagination de ce qui aurait pu être ? […] Sous une imagination aussi luxuriante que celle d’Adolphe est aride, René cacherait un cœur frappé de la même stérilité. […] Penser, vivre et agir par imagination, c’est ne pas sortir de soi. […] — à une malchance qu’aurait eue l’époque de 1830 d’abonder en imaginations dévergondées et en esprits nés chimériques.
L’imagination n’a plus une seconde de liberté. […] D’abord, il a cru que l’imagination donnait la liberté. […] Les faits dépassaient chaque jour les imaginations. […] Ils joignent à l’ardente imagination un jugement net. […] La raison ne comprend rien aux actes de l’imagination.
Jamais (…) n’a eu la signification de retenir, d’arêter, d’écrire dans l’imagination d’un home qui parloit latin. […] Le terme de matière générale n’est qu’une idée abstraite qui n’exprime rien de réel, c’est-à-dire, rien qui existe hors de notre imagination. […] Les auteurs de ces productions sont coupables d’une infinité de pensées dont ils salissent l’imagination ; et d’ailleurs ils se deshonorent dans l’esprit des honètes gens. […] Les autres espèces de métaphores se font par d’autres mouvemens de l’imagination qui ont toujours la ressemblance pour fondement. […] Mais ce que j’entens ici par termes abstraits, ce sont les mots qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination.
Ils environnaient la recherche de la vérité de tout ce qui pouvait frapper l’imagination ; ces promenades où de jeunes disciples se réunissaient autour de leur maître, pour écouter de nobles pensées en présence d’un beau ciel ; cette langue harmonieuse qui exaltait l’âme par les sens, avant même que les idées eussent agi sur elle ; le mystère qu’on apportait à Éleusis dans la découverte, dans la communication de certains principes de morale ; toutes ces choses ajoutaient à l’effet des leçons des philosophes. […] Platon, cet écrivain si brillant d’imagination, revient sans cesse à une métaphysique bizarre du monde, de l’homme et de l’amour, où les lois physiques de l’univers et la vérité des sentiments ne sont jamais observées. […] Ils avaient besoin de recourir au mouvement et à l’exaltation produite par le langage animé de la conversation ; ils cherchaient ce qui pouvait agir sur l’imagination, avec autant de soin que les métaphysiciens exacts et les moralistes sévères en mettent, de nos jours, à se garantir de toute parure poétique. […] Tous ses tableaux sont pleins d’imagination ; et ses harangues sont, comme celles de Tite-Live, de la plus belle éloquence : lorsqu’il raconte les malheurs attachés aux troubles civils, il jette de grandes lumières sur les passions politiques, et doit paraître supérieur aux écrivains modernes qui n’ont que l’histoire des guerres et des rois à raconter.
Tel est le caractere général de ses Satires, où la simplicité, le naturel, la fécondité, l’imagination, la variété des pensées & des tours, prêtent un secours mutuel, & procurent à l’esprit de nouvelles lumieres & de nouveaux plaisirs. […] N’en trouve t-on pas mille traits dans son Art poétique, où il a eu le talent de répandre les fleurs de l’imagination sur l’aridité des préceptes, d’enrichir les détails de quantité de traits, dont le moindre annonce l’Homme de génie ? […] Finissons cet article, en déclarant encore à tous les Aristarques du nouveau Monde Littéraire, que, malgré leurs efforts, leurs Dissertations, leurs Sentences, leurs Satires, Despréaux n’en sera pas moins celui de tous nos Poëtes dont on a retenu & dont on citera toujours le plus de vers ; celui qui, le premier, a déployé les richesses de notre Langue, & qui l’a portée, par ses Ouvrages, au degré d’estime où elle est parvenue depuis ; celui qui a fait le plus régner le bon goût, & a le plus fortement attaqué le mauvais ; celui qui a su le mieux réunir l’exactitude de la méthode & la vivacité de l’imagination ; le sel de la bonne plaisanterie, & le respect dû à la Religion & aux mœurs ; l’art de lancer le ridicule, & celui de louer avec délicatesse ; le talent d’imiter, en paroissant original ; la distinction unique d’être tout à la fois Législateur & Modele ; &, pour tout dire enfin, il ajoutera à tous ces genres de gloire, ce qui donne le plus de droit aux hommages de la vertu, les qualités du cœur. […] Le Philosophe marié est d’un autre genre de mérite : il prouve combien Destouches avoit de ressource dans l’imagination : conduire pendant cinq actes, sans langueur & sans inutilité, un sujet qui paroît capable de fournir tout au plus deux ou trois scènes, ne sauroit être l’Ouvrage que d’un esprit qui connoissoit les secrets du cœur & savoir tout ramener à l’action théatrale.
… Catherine II, qui n’avait pas vu Galiani aux soupers du baron d’Holbach, sa perruque sur le poing, arrachée, dans le feu de l’inspiration, de sa tête fumante, disait que : « quand elle avait devant elle une lettre de Galiani elle croyait avoir le Vésuve », et son imagination ne la trompait pas. […] Ils sont tout à la fois les Calibans de la science et les Ariels de l’imagination et de l’esprit… Ils réunissent tous les contrastes. […] … Sa vive imagination s’était éprise de ce projet et il commence des recherches, qui, du reste, n’aboutirent pas. L’histoire de César Borgia ne fut pas écrite et reste à écrire, et de tous les ouvrages de Galiani c’est celui-là qui n’est pas fait dont l’imagination se souvient le plus.
Dans ses plans de vie heureuse qu’il diversifie avec assez d’imagination, il faisait entrer plus de choses qu’il n’en tenait dans cette boîte ou petite cellule. […] Il est vrai que le jugement pur, sans mélange d’imagination et d’esprit, comme chez les bons Hollandais et chez les Allemands et les Suisses, produit des effets plus corrects et plus sages. […] Ce composé de volonté, d’élévation, de conception, d’imagination, d’invention, de génie, le dédain de tant de choses, le mépris, les passions, etc., tout cela compose une âme trop forte pour le lieu et le temps. […] Cet auteur est un homme d’une imagination forte, et son jugement ne vient qu’à la suite de son esprit. […] Mon esprit a peu de curiosité d’autres esprits, mais mon imagination aime les images, et le bonheur coule de là chez moi par les sens, Je ne puis cependant ne pas dire un mot du livre des Considérations sur le gouvernement de la France, qui est ce qu’on cite d’abord quand on parle du marquis d’Argenson.
Amédée Thierry, qui a souvent de la largeur et dont l’imagination historique aime à hanter les époques les plus grandioses et les plus barbares de notre histoire, M. […] Il la hait et il l’écarte, parce que la légende, c’est le merveilleux dans l’histoire, c’est l’action de Dieu s’imprimant, fortement sur l’imagination des hommes. […] Et cette infériorité paraît d’autant mieux que les sujets qui tentent l’imagination de M. Amédée Thierry et son érudition d’historien ne sont ni moins beaux, ni moins pleins, ni moins vastes que ceux qui tentèrent l’imagination fraternelle. […] Augustin Thierry ne l’a pas, et son imagination, que je ne nie point, mais que je mesure, a paru, nonobstant, à ses contemporains, de la grande force évocatrice qu’on a proclamée.
C’est aux croisades que nos poëtes durent ce tour d’imagination qui leur est commun. […] L’Orient ne nous a pas donné la splendeur de l’imagination de ses poëtes, mais cette abondance prolixe que j’ai marquée plus haut, et la monotonie qui en est l’effet. […] L’invention n’est donc pas toute dans l’imagination, quoiqu’elle semble la plus riche et la plus hardie de toutes nos facultés. […] L’imagination, dans Jean de Meung, se met au service de la raison. […] Je ne nomme pas Rabelais parce que le libertinage factice de l’imagination y est trop souvent mêlé à celui de la raison.
L’imagination n’y vient pas distraire la conscience, et le plaisir de voir des singularités n’y trouble pas la résolution de faire le bien. […] Dans Bourdaloue, l’humilité du prêtre avait dû aggraver la sévérité de cette doctrine, et de même qu’il ne montre pas tout l’esprit qu’il avait, de même il avait plus d’imagination qu’il n’en laisse voir. […] En résumé, dans la théologie comme dans la morale de Bourdaloue, il n’y a rien pour l’imagination, et c’en est peut-être le défaut. […] Une imagination vive, une mémoire vaste et prompte qui sert comme d’une seconde intelligence, le talent d’écrire, la science du langage ; on n’est pas rhéteur à moins. […] Et quelle justesse dans cette remarque générale sur l’imagination du style et de l’expression, considérée comme une qualité de génie chez les poètes !
Question de goût, d’imagination et de préférence ! […] Si je la niais, l’histoire du genre humain tout entier serait là devant moi, comme elle est là devant les progressistes indéfinis, pour me donner le triste démenti des réalités aux imaginations. […] La première jeunesse des yeux de l’imagination et du cœur est la naturalisation pour le poète comme pour l’homme. […] L’imagination et l’amour ont aussi leur patriotisme ; c’est le patriotisme de l’imagination et de la poésie qui m’attachait à cette patrie d’adoption où je fus jeté avant l’âge où l’on pense à s’attacher à sa patrie natale. […] Mais je ne fis pas même attention à la nudité et à l’indigence de cette hôtellerie : j’allais m’endormir et me réveiller dans la ville des grandes mémoires ; c’était assez pour un jeune homme qui ne vivait que d’imagination.
Nulle part on ne conte mieux ces récits chimériques qui flottent dans l’imagination transparente comme les fumées du narghilé dans un ciel serein. […] La Grèce a la supériorité dans l’art, cette logique de la pensée, de l’imagination et du sentiment. […] La France a peu d’imagination poétique ; elle semble réserver cette qualité surhumaine de l’humanité, l’enthousiasme, pour ses actes plus que pour ses œuvres. […] L’esprit suffit pour faire un proverbe ; l’imagination et l’enthousiasme sont nécessaires pour écrire un vers de sentiment. […] Il lâche la bride de son imagination pour qu’elle le promène, comme les conteurs arabes, dans les espaces, jamais dans la boue.
L’imagination habitait pour ainsi dire ces mondes intellectuels des morts autant et plus que le monde des vivants. […] Je lisais alors précisément les documents les plus détaillés de la vie du Tasse ; la lecture de ces documents, tout remplis de preuves de sa folie, obsédait mon imagination et m’imprimait je ne sais quelle terreur. […] Ainsi cette beauté se transforma pour lui en un type idéal qui remplissait son imagination et qui devait la faire se dilater et s’épancher au dehors. […] On l’appellerait plus justement, selon nous, la philosophie spiritualiste de tous les âges, incorporée dans quelques dogmes et dans quelques formes de l’imagination christianisée du temps. […] Ce fragment, que nous avons reproduit nous-même dans la vie de Cicéron, est, selon nous, la plus belle profession de foi rationnelle qui ait été écrite par une main d’homme au-dessus des fictions et des crédulités d’imagination de l’antiquité.
Il y a maintenant de grands poètes, des poètes de talent, des poètes de génie, des poètes d’art, ou des poètes qui veulent être quelqu’un de ceux-là ; mais ce qui constituait autrefois le poète agréable, ce mélange d’esprit, d’imagination, de facilité, de négligence et de bonne humeur, cette absence de prétention en rimant ou cet air de n’en pas avoir, ce demi-ton de conteur qui était de plain-pied avec la conversation du salon, cet à-propos de menus sujets, cette adresse à trousser en vers un compliment ou une épigramme qui circulait aussitôt et faisait fortune, et parfois aussi la fortune de son auteur, tout cela existe-t-il encore ? […] Il se compare à Clément Marot, poète et valet de chambre également, et qui s’est mal trouvé en Cour des accusations et calomnies de ses ennemis ; mais Sénecé n’a pas d’ennemis, il n’a pas été calomnié ; à lui, il ne lui est arrivé qu’un accident bien simple : une mort de reine l’a dégagé d’une domesticité honorifique, d’une chaîne dorée ; il est retombé dans son ordre et dans sa classe : c’est assez pour son malheur, pour son incurable ennui, car le bonheur le plus souvent dépend pour nous de ce premier cadre idéal dans lequel l’imagination, dès la tendre jeunesse, s’est accoutumée à placer et à découper la perspective flatteuse de la vie. […] Les deux montagnes ne sont séparées que par un vallon fort étroit dont l’ouverture est entièrement occupée par un grand fleuve qu’on appelle Imagination. […] Il fallait avoir l’imagination un peu à l’écart et un peu oisive pour aller se ressouvenir ainsi de feu Maynard en pleine lumière du règne de Louis-le-Grand. […] La Fontaine intitulée Les Deux Perroquets, le roi et son fils : il y a des outrages après lesquels offenseur et offensé ne se pardonnent pas, et la confiance une fois perdue ne se peut retrouver. « Ce conte, à quelques endroits près, a dit Voltaire, le meilleur juge du mondeab, est un ouvrage distingué » ; et il accorde à Sénecé une imagination singulière.
1841 Ces deux écrits, l’un d’histoire érudite et sévère, l’autre d’observation pittoresque et d’imagination, composés presque en même temps, montrent, chez l’auteur à qui on les doit, une alliance et comme un faisceau aussi brillant que serré de qualités diverses et rares. […] On a tant abusé de nos jours du mot imagination, on l’a tellement transportée tout entière dans le détail, dans la trame du style, dans un éclat redoublé d’images et de métaphores, qu’on pourrait ne pas voir ce qu’il y a d’imagination véritable et d’invention dans cette suite de compositions de moyenne étendue, qui n’ont l’air de prétendre, la plupart, qu’à être d’exactes copies et des récits fidèles. […] Toutefois, un certain besoin de perfection et de beauté concentrée, une vérité et une justesse de plus en plus soigneusement recherchée, la difficulté croissante du goût à l’égard de soi-même, l’absence du théâtre aussi et d’un cadre qui incessamment sollicite, bien des causes peuvent faire, en avançant, que les produits de ce genre d’imagination ne remplissent pas toute une vie et y laissent vacantes bien des heures. […] De tout temps et jusque dans le premier entrain de l’imagination, on a pu remarquer sa vocation d’étudier de près les choses, de les bien savoir, de les savoir avec précision seulement. […] Dirai-je qu’on reconnaît ici, sous la marche couverte et le procédé rigoureux de l’historien, un indice de cette sympathie qui l’a porté, en ses œuvres d’imagination, à suivre de près, à reproduire tour à tour le Corse, l’Illyrien, l’Espagnol en Fionie, les résistances héroïques et sauvages ?
Quoique la littérature doive s’affranchir dans la république, beaucoup plus facilement que dans la monarchie, de l’empire du ton reçu dans la société, il est impossible que les modèles de la plupart des ouvrages d’imagination ne soient pas pris dans les exemples qui s’offrent habituellement aux regards. […] Il resterait aux littérateurs français des ouvrages anciens dont ils pourraient encore se pénétrer ; mais leur imagination ne serait point inspirée par les objets qui les environneraient ; elle s’alimenterait par la lecture, mais jamais par les impressions qu’ils éprouveraient eux-mêmes. […] Si l’on appelle politesse les formes de galanterie du siècle de Louis XIV, certes, les premiers hommes de l’antiquité n’en avaient pas la moindre idée, et ils n’en sont pas moins les modèles les plus imposants que l’histoire et l’imagination même puissent offrir à l’admiration des siècles. […] Sous la monarchie, l’esprit chevaleresque, la pompe des rangs, la magnificence de la fortune, tout ce qui frappe l’imagination suppléait, à quelques égards, au véritable mérite ; mais, dans une république, les femmes ne sont plus rien, si elles n’en imposent pas par tout ce qui peut caractériser leur élévation naturelle. […] Ces existences d’opinion, qui chaque jour, dans la république, seront attaquées ou défendues, doivent donner une grande importance à tout ce qui peut agir sur l’esprit ou l’imagination des hommes.
Nisard sur André Chénier : « Avec André Chénier, l’imagination, la sensibilité, le naturel rentrent dans les vers… André Chénier est le dernier-né des poëtes du xviie siècle. […] Était-ce son imagination ? […] Lorsqu’il nous dit que, dans les littératures du Nord, « l’équilibre est à chaque instant rompu entre l’imagination et la raison », cela est-il bien prouvé ? […] La proportion de la raison et de l’imagination dans les œuvres d’art ne peut être fixée d’une manière absolue. Peut-être notre poésie est-elle trop près de l’abstraction : habitués à cette mesure, peut-être sommes-nous disposés à croire que tout ce qui dépasse ce degré d’imagination est désordonné.
Réfléchir sur une œuvre d’imagination consiste surtout en ceci : se demander si les personnages sont vraisemblables et naturels et goûter leur vérité, comme en lisant l’on a goûté la beauté, l’intensité de leur vie morale. […] Ce que les auteurs mettent sous nos yeux, ce sont êtres qui, ou sont dans la moyenne de l’humanité, ou s’en écartent en étant supérieurs ou inférieurs à elle, mais doivent lui ressembler et sont de purs monstres d’imagination s’ils ne lui ressemblent pas. […] Le plus souvent on les lit comme purs et simples ouvrages d’imagination, et l’on ne sait gré à l’auteur que de sa faculté d’imaginer, contre quoi précisément il proteste, disant : « Si c’était imaginé, ce ne serait pas intéressant » et se fâchant comme un historien dont on dirait qu’il est un romancier très curieux. […] Quant à l’exceptionnel tout pur, le plus souvent il rebute par son caractère, apparemment hybride, par l’incertitude où l’on est s’il est une vérité, auquel cas il n’y aurait rien de plus intéressant, ou s’il est une fantaisie, auquel cas il n’intéresse que sur l’auteur, doué d’un tour d’imagination si particulier. […] Je veux dire qu’à chaque époque l’homme de raison, d’imagination, de sensibilité et dégoût y trouve son plaisir, à la condition qu’il ne soit pas dominé par le tour d’imagination, de sensibilité, de goût et de raisonnement qui est particulier à son temps même.
Voltaire s’y souilla l’imagination pendant qu’il s’y formait le talent. […] Ce n’était qu’une belle imitation de Sophocle, on crut avoir retrouvé Racine ; il en avait bien l’imagination, il était loin d’en avoir le style. […] L’Épître à Uranie ressemble à un fragment de Lucrèce retrouvé dans une imagination française à dix-huit cents ans de distance. […] Il y étudia la physique, la chimie, la géométrie transcendante, et il entremêla ces études des inspirations les plus variées de l’imagination. […] Cette Scythie pastorale et libre de l’Europe souriait à l’imagination du philosophe et du poëte.
Un don mystérieux précise dans son imagination les images éblouissantes ou corrosives qu’il veut sauver de l’oubli. […] Ce genre, à la vérité original et neuf, répond à un besoin de notre imagination. […] Nous voici invités à faire immédiatement, parmi les nombreux écrivains d’imagination hantés d’une même préoccupation, un premier classement. […] L’imagination maîtresse agrandit, magnifie tout dans sa vision. […] Henry Bordeaux a débuté par des études de critique psychologique et intuitive, où déjà se manifestait ce goût de la sensation et de la vie qui devait l’amener à l’œuvre de pure imagination.
Avec le moins d’imagination possible ! […] Si c’est là un mot vrai, — ce dont je doute, — vous avez donc mis votre imagination à n’avoir pas d’imagination ? […] Ces écrivains, qui s’intitulaient des moralistes « avec le moins d’imagination possible », n’ont eu que de l’imagination, et n’ont été que des romanciers ! […] Renée Mauperin, à part ce que je viens d’indiquer, est un livre d’imagination exquis. […] c’est de montrer, au contraire, la technique de tout ; c’est d’arracher le voile d’or que l’imagination doit jeter sur le squelette des choses comme Dieu a jeté la beauté de la chair sur le squelette humain !
C’est qu’il faut être un grand coloriste, un grand dessinateur, un grand paysagiste, un savant et délicat imitateur de la nature ; avoir une prodigieuse variété de ressource dans l’imagination ; inventer une infinité d’accidents particuliers, de petites actions, exceller dans les détails, posséder toutes les qualités d’un grand peintre et cela dans un haut degré, pour contrebalancer la froideur, la monotonie et le dégoût de ces longues files parallèles de soldats ; de ces corps de troupes oblongs ou carrés, et la symétrie de notre tactique. Le temps des mêlées, des avantages de l’adresse et de la force de corps, et des grands tableaux de bataille est passé ; à moins qu’on ne fasse d’imagination, ou qu’on ne remonte aux siècles d’Alexandre et de Caesar.
Que l’ignorance confonde l’homme de Lettres avec ces hommes livrés à la paresse sous le nom de repos, qui se dérobent à l’agitation générale pour vivre dans le desœuvrement, qui dorment mollement sur des fleurs, en s’abandonnant au cours enchanteur d’une riante imagination ennemie du travail, & amie de la paix, dont la longue carrière peut être considerée comme un doux rêve, & qui tombent dans les bras de la mort, sans avoir daigné graver sur la terre le souvenir de leur existence ; cette injustice ne m’étonnera point, elle sera digne d’elle : mais l’œil qui aura suivi les travaux de l’homme de Lettres jugera différemment, il le verra souvent insensiblement miné par de longues études, périr victime de son amour pour les Arts, tomber en poursuivant avec trop d’ardeur la vérité, comme l’oiseau harmonieux des bois tombe de la branche au milieu de ses chants, ou plutôt comme ces illustres Artistes dont la main intrépide interrogeant dans la région enflammée de l’air le phénomene électrique, couronnent tout à coup leur vie par une mort fatale & glorieuse. […] Cette étendue d’esprit, cette force d’imagination, cette activité d’ame, ne donnent-elles pas plus de prise à ce feu qui semble d’autant plus redoutable qu’on ose le combattre, & ne voila-t-il pas cet homme si orgueil, leux de sa sagesse, esclave comme un autre ; non. […] Où est l’instant ou son esprit actif a pû retomber sur lui-même, il a parcouru l’Univers & a déposé dans sa mémoire une suite magnifique de tableaux qui se reproduiront à son imagination, lorsque l’homme oisif & importun venant le tyranniser prendra son silence méditatif, pour la preuve non équivoque d’une attention qu’il ne mérite point. […] Il sent que les dons de la Nature les seuls biens véritables sont la santé, la joie, la tendresse, la tranquillité de l’ame, & il soutiendra sans douleur toute autre privation, parce que sa raison aura reglé cette intempérance d’imagination qui fait l’inquiétude des autres hommes. […] Pourquoi ne pas tourner la souplesse & la vivacité de leur imagination sur des objets utiles ?
Toute la correspondance de Mme de Sévigné est comme éclairée de cette passion qui vient s’ajouter à tous les éclairs déjà si variés de son imagination et de son humeur. […] Un homme de ses amis (l’abbé Arnauld), qui avait aussi peu d’imagination que possible, en a trouvé pour la peindre, lorsqu’il nous dit : Il me semble que je la vois encore telle qu’elle me parut la première fois que j’eus l’honneur de la voir, arrivant dans le fond de son carrosse tout ouvert, au milieu de monsieur son fils et de mademoiselle sa fille : tous trois tels que les poètes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la jeune Diane, tant il éclatait d’agrément dans la mère et dans les enfants ! […] Toujours est-il que, même au milieu des tristesses et des ennuis, elle demeurait la plus belle humeur de femme et l’imagination la plus enjouée qui se pût voir. […] Les deux dernières ont su concilier dans une rare mesure l’exactitude et l’atticisme ; mais la première seule nous offre cette imagination continue, cette invention de détail qui anime tout ce qu’elle touche, et dont on jouit également chez La Fontaine et chez Montaigne. C’est cette veine d’imagination perpétuelle dans le détail de l’expression plutôt que dans l’ensemble, qui nous ravit surtout en France.
Ses aumônes considérables, son éloquence naturelle, les charmes de sa figure, gagnèrent les imaginations tendres & flexibles. […] Mais ces accusations parurent, dans la suite, très-injustes, malgré tout ce qui déposoit contr’eux ; malgré des lettres interceptées, où le langage de l’amour étoit traité de la manière la plus tendre & la plus vive ; malgré l’exposition d’une morale qui présente sans cesse à l’imagination des images indécentes, des idées de lubricité. […] Son génie étoit créateur & lumineux ; son goût sûr & naturel ; son imagination douce & brillante ; sa conversation instructive & délicieuse ; sa plume celle même des graces. […] » Que ces paroles devoient faire une impression profonde dans le cœur tendre & vertueux de l’auteur de Télémaque, lui dont l’imagination s’embrasoit par l’idée de la candeur & de la vertu, comme celle des autres s’enflamme par les passions ! […] Son imagination, échauffée plus que jamais par les persécutions & par ses rêveries, se donna de nouveau carrière.
« A propos des parfums de Salammbô, vous m’attribuez plus d’imagination que je n’en ai. […] « Et puisque nous sommes en train de nous dire nos vérités, franchement je vous avouerai, cher maître, que la pointe d’imagination sadique m’a un peu blessé. […] C’était un compte-rendu exact et minutieux de tous les exercices du séminaire, et ce compte-rendu était relevé de traits d’imagination comme sa plume en faisait jaillir inévitablement devant elle. […] « Même lorsqu’on imitait, il y avait une certaine ignorance première, une demi-science qui prêtait à l’imagination et lui laissait de sa latitude. […] Il y aurait pour lui une exception à faire : son imagination, à l’origine, s’imprégnait sensiblement de ses lectures ; le poëme ou le roman qu’il avait feuilleté la veille n’était pas du tout étranger à la chanson ou au caprice du lendemain.
En dépaysant son imagination fourvoyée, en quittant le roman bourgeois pour le roman épique. […] Devant ces scènes d’une chevalerie barbare, l’imagination s’éveille volontiers, et M. […] Malheureusement, au lieu de vous emparer de mon imagination et de mon cœur, romancier inhabile, vous me jetez malgré moi dans les investigations érudites, vous me forcez de consulter les maîtres, et ceux-ci, quand je viens de m’instruire auprès d’eux, que me disent-ils ? […] S’essayant à relier tout cela, l’imagination du conteur est parfois ingénieuse, le plus souvent elle est folle. […] Montesquieu avait dit : « Les anciennes mœurs, un certain usage de la pauvreté rendaient à Rome les fortunes à peu près égales ; mais à Carthage des particuliers avaient les richesses des rois. » Que ces traits simples et forts parlent bien autrement à l’imagination !
Nulle part le génie de la Grèce dorienne, ionienne et attique ne fut plus admiré, plus finement étudié, plus imité que dans Alexandrie ; nulle part tous les trésors de science, d’art inventif et d’imagination populaire, que laissaient après soi plusieurs générations héroïques et inspirées, ne pouvaient être aussi bien recueillis. […] On y verrait, avec le faux goût d’une époque tardive et d’une littérature transplantée, à quel point cette belle imagination des temps héroïques de la Grèce avait mis son empreinte sur les esprits studieux du Muséum. […] Mais ils prétendirent moins heureusement à l’imagination. […] Nul doute que, sans les lacunes faites par la barbarie dans l’héritage des lettres grecques, les traces même purement littéraires de la colonie juive d’Alexandrie ne fussent visibles dans bien des monuments de l’époque Lagide, dans cette foule d’hymnes, de chants religieux et moraux, de poëmes descriptifs qui signalèrent l’imagination laborieuse de ce temps. […] Ce caractère doit frapper surtout dans le passage où le chantre orphique, l’imagination frappée sans doute des menaces du Seigneur dans les livres saints et des maux si fréquemment déchaînés par sa colère, s’était plu à montrer son grand Dieu, qui, du milieu des biens, envoie tous les désastres aux hommes.
Si on considere cependant que le goût n'étoit pas encore formé lorsqu'elle écrivoit ; que tel de ses Romans annonce lui seul plus d'esprit, d'imagination, & de connoissances, que le très-grand nombre de ceux dont on a inondé le Public depuis quelques années ; qu'on trouve dans Clelie & dans Artamene des traits d'une délicatesse & d'une supériorité qui feroient honneur à nos plus sensibles Ecrivains : on conviendra que les défauts ne doivent pas rendre aveugle sur les bonnes qualités. Si l'imagination est, après le génie, le premier mérite des Gens de Lettres ; Mlle de Scudery a sujet de se plaindre de l'oubli où elle est tombée.
L’imagination n’est qu’une pauvresse en face de la mort. […] L’une est l’enterrement des vivants, cette épouvantable hypothèse, sur la possibilité, et même la probabilité de laquelle non seulement l’imagination, mais le bon sens, peut trembler toujours… Et l’autre, c’est l’invasion qui s’avance sur nous des grands cimetières, effroyable manière d’appliquer l’axiome : le mort saisit le vif, à laquelle n’avaient pas pensé les jurisconsultes, car, avec les immenses cimetières qu’on nous promet, foyers inévitables de tous les genres de corruption et d’infection accumulées, nous serons bientôt saisis et dévorés par nos morts ! […] Le docteur Favrot parle de cadavres par hasard déterrés et qui, en des angoisses que l’imagination épouvantée n’a pas de peine à se représenter, s’étaient, dans leurs cercueils, mangés les bras de fureur vaine et de désespoir ! […] C’est l’imagination d’Edgar Poe qu’il fallait pour écrire un livre (qui aurait produit son foudroyant effet) sur les inhumations précipitées.
Mais Balzac ne nous a cependant donné que des profils de prêtres, ou des trois quarts superbes ; car Véronique, dans Le Curé de campagne, est plus forte que le curé, et elle absorbe et garde tout de l’imagination émue. […] Souvent aussi, malgré sa force, Fabre manque du trait précis qui achève un mouvement ou une figure commencée ; il n’a pas le coup d’ongle définitif qui les fait tourner et les pose tels qu’ils doivent rester toujours dans l’imagination qui les a contemplés une fois ! […] Le surnaturel d’une voix sortant d’un crucifix a épouvanté le moderne dans Fabre, qui, avec plus de foi ou plus d’imagination peut-être, n’eût pas été épouvanté. […] Déjà meilleur parce qu’il est évêque, parce qu’il est apaisé, parce qu’il n’est plus dans la position exécrablement fausse d’un homme pris dans l’étau de la petite place qu’il occupe et des grandes facultés qu’il a, son effrayant Tigrane est, en somme, de l’étoffe dont sont faits les Hildebrand et les Montalte, quoiqu’il soit certainement moins grand que Grégoire VII et Sixte-Quint, et qu’ici l’imagination de l’inventeur soit glorieusement battue par l’histoire.
Déclin de l’imagination poétique, sous l’empire d’Alexandre. — Grandeur qui reste encore à l’esprit grec. — Lyrisme philosophique. […] D’autres poëtes, nommés par Aristote, nous disent assez quelle riche moisson le théâtre dut offrir longtemps encore à l’imagination lyrique. […] Quelles merveilles suivirent, quel monde nouveau s’ouvrit à l’imagination des Hellènes, quelle gloire consola leur défaite intérieure et leur asservissement, quel simulacre de liberté leur resta, par l’absence chaque jour plus lointaine de leur puissant vainqueur, qui semblait leur général délégué dans l’Asie, il n’appartient pas à notre sujet de multiplier ici ces grands souvenirs d’une prodigieuse fortune. […] À mesure que s’étendait l’horizon de l’empire grec, et que le génie de la liberté se perdait dans l’unité de la puissance, la grande poésie, l’audace de l’imagination et l’ardeur de la passion durent insensiblement diminuer et disparaître.
L’auteur, en retraçant dans la figure de René son propre portrait de jeunesse, son portrait idéalisé, a par là même présenté comme un type de la maladie morale des imaginations à cette époque et pour les générations qui ont suivi. […] René est bien le fils d’un siècle qui a tout examiné, tout mis en question ; mais le fils ne s’en tient pas au testament du père, il veut recommencer la vie et ne sait comment ; une intelligence avancée, consommée, qui a tout décomposé de bonne heure et tout analysé, se trouve chez lui en désaccord flagrant avec une imagination réveillée et puissante, avec un cœur avide, désenchanté et inassouvi. […] La religion de René, qui n’est que dans l’imagination et qui ne régénère pas le cœur, ressemble fort aussi à celle qui a régné dans le premier tiers de ce siècle ; on en était aux regrets du passé et à ne plus le maudire ; on n’avait plus pourtant la force ou la faiblesse de croire, on aspirait à un avenir incertain dont on ne se formait pas l’idée, et l’on se berçait ainsi, avec soupirs et gémissements, sur un nuage de sentiments contradictoires qui ne donnaient aucun fonds à la vie, aucun point d’appui à l’action.
On sent à chaque instant qu’en lui l’imagination va faire éruption pour se dépouiller de cette forme inerte. […] Vous voyez qu’à force d’attention et d’imagination le poëte, sans le vouloir, fait entrer dans son sujet les questions philosophiques. […] Ces tristes fables d’Esope, qui se sont jouées dans l’imagination grecque pendant tant de siècles, n’ont pas rencontré dans leur nation un poëte qui les abritât sous son génie. […] On a oublié la nature de l’imagination humaine. […] Et là-dessus l’imagination travaille ; le poëte entend déjà cette voix qui va gronder.)
Voilà, selon nous, toute l’origine et toute l’explication du vers, cette transcendance de l’expression, ce verbe du beau, non dans la pensée seulement, mais dans le sentiment et dans l’imagination. […] Le philosophe, devenu poète pour s’attirer l’imagination du peuple, chante la Loi de la délivrance de l’âme, ou de son émancipation des liens de la matière. […] Quelle que soit la fécondité de la pensée, l’imagination d’un homme ne suffirait pas à la création de ces multitudes de fables sacrées ou récits populaires. […] La scène se passe sur un des plateaux de l’Himalaya, dont la description forme un des paysages les plus grandioses et les plus terribles que l’imagination d’un Salvator Rosa ait jamais conçus. […] On peut comparer ces poèmes à de grands sacrifices où l’imagination, le sentiment, le génie du poète se consument d’enthousiasme sur le bûcher, pour illuminer les hommes et honorer le ciel.
. — L’imagination sérieuse et féconde. — Sir Roger de Coverley. […] Il demande des alliances de mots qui, présentant une idée connue sous une forme piquante, l’enfoncent vivement dans son imagination distraite. […] Il y a en lui un fond d’imagination grandiose qui le rend insensible aux petites délicatesses de la civilisation mondaine. […] Elle part de l’imagination sérieuse et féconde qui ne peut se contenter que par la vue de l’au-delà. […] La véritable imagination aboutit naturellement à l’invention des caractères.
Cependant l’esprit de discipline a le dessus ; la raison domine en toutes choses l’imagination, et c’est cet admirable gouvernement des facultés qui fait la beauté des écrits et la grandeur personnelle des écrivains du dix-septième siècle. […] Cette chimère des classes, si contraire à l’esprit d’égalité du christianisme, n’est pas un détail d’imagination dans une sorte de république idéale ; c’est une institution que Fénelon rêvait pour Salente, et qu’il eût imposée à Paris. […] En peignant Vénus après Virgile, il a craint sa propre imagination. […] Le jeune prince avait l’imagination accoutumée aux dieux d’Homère et de Virgile. […] La mythologie grecque est restée la religion de l’imagination chez les peuples modernes.
Il prend en pitié le monde réel, et se renferme dans celui de l’imagination. […] A cette crise et à la maladie qui la suivit, succéda une sorte d’accalmie ; mais son imagination n’était pas éteinte. […] La popularité de Byron fut sans bornes parmi la masse des jeunes gens qui ne lisent à peu près que des ouvrages d’imagination. […] Par quelle illusion de son imagination puissante le philosophe a-t-il cru pouvoir étayer la foi par le scepticisme ? […] La maladie de 1834 agit sur cette imagination de femme ; l’esprit aussi a ses modes.
Mais les poètes ont parfois de ces mélancoliques coquetteries, pour toucher et amener à eux les imaginations… Saint-Maur eut cette originalité des plus rares que, parmi les poètes de notre époque, ces féroces et sonores amoureux du bruit, il ne se pressa pas avec la renommée. […] Imagination très étendue et très sensible, qui a sous ses mains un clavier énorme et qui monte et descend en un clin d’œil la gamme de tous les sentiments. — D’aucuns vous diront qu’il est éclectique en poésie, mais ne les croyez pas !
Mais dites-moi, mon ami, quand on a la composition d’un sujet par Rubens présente à l’imagination, comment on peut avoir le courage de tenter le même sujet. […] L’imagination me semble plus tenace que la mémoire.
Les besoins de l’imagination sont si vifs que la cour devient une scène. […] » Ce qui relève ces badinages, c’est la splendeur de l’imagination. […] Jamais l’imagination ne fut plus prodigue ni plus inventive. […] La théorie enfermée dans les œuvres d’imagination s’en dégage. […] Sir Thomas Browne. — Son esprit. — Son imagination est d’un homme du Nord
Tel nous le voyons de loin sans trop lui faire injure : il a du trait, quelque imagination, de l’élégance, de la roideur. […] Point de suite, point d’imagination ; une philosophie froide et déplacée ; un berger et une bergère qui reviennent à tous moments ; des apostrophes sans cesse, tantôt au bon Dieu, tantôt à Bacchus ; les impurs et les usages d’aucun pays. […] » — « Ce qui lui manque, c’est une âme qui se tourmente, un esprit violent, une imagination forte et bouillante, une lyre qui ait plus de cordes ; la sienne n’en a pas assez… Oh ! […] Il nie les principes de la famille, de la société, et il revêt d’une sorte d’imagination échauffée et factice ses conclusions stériles. […] Cette demande hautement répétée d’année en année appauvrit l’invention et rend l’imagination boiteuse.
L’imagination humaine avait reçu un ébranlement profond, et elle était avide d’aliments nouveaux, de légendes de toute sorte, qu’elle accepterait désormais de toutes mains sans les bien discerner. […] Que de garde-fous à chaque pas autour de nous pour l’imagination humaine, et dont on n’avait pas l’idée dans l’Antiquité. […] Si je rencontrais une pierre, mon imagination en faisait un homme pétrifié ; si j’entendais quelques oiseaux, c’étaient des hommes couverts de plumes ; les arbres du boulevard, c’étaient encore des hommes chargés de feuilles ; les fontaines, en coulant, s’échappaient de quelque corps humain ; je croyais que les images et les statues allaient marcher, les murailles parler, les bœufs et les autres animaux du même genre rendre des présages, que du ciel, du ciel lui-même, et de l’orbite enflammée du soleil descendraient soudain quelques oracles. […] Il est un âge pour ces fleurs d’or de l’imagination, pour ces productions spontanées du génie humain enfant ou adolescent. […] Quelque conteur de belle imagination y aura passé, y aura soufflé la vie et la couleur, aura rejoint les divers anneaux du récit, mais un conteur amusé et amusant, un vrai Milésien encore, soucieux avant tout de plaire, un digne habitant de cette cité qui avait pour devise : « Défense à personne céans d’être sage et sobre : sinon, qu’on le bannisse !
Quelque déguisement qu’il prenne, cette pensée est toujours sa pensée favorite et inspiratrice : c’est elle qui met en œuvre son imagination, qui donne un but à ses fictions les plus folles, qui relève et ennoblit ses peintures de la vie la plus triviale, qui a dicté ses recherches purement scientifiques, ses ouvrages de critique et d’esthétique, comme ses plus bizarres rêveries et ses plus obscures conceptions. […] Comme elles sont échappées à l’auteur à l’occasion de ce qui arrivait à ses héros et à ses héroïnes, elles ont souvent la vertu de rappeler quelque joie ou quelque douleur de la vie ; et il y en a qui résument si bien une situation dramatique, que malgré soi on se laisse aller à rêver sur la scène de roman qui a dû les inspirer : l’imagination ne s’arrête pas longtemps à ce jeu qui serait bientôt un travail, mais cette excitation n’en a pas moins du charme. […] Ces derniers charment principalement au moment où on les lit ; ceux du poète6 anglais sont surtout agréables par le travail fantastique qu’ils font faire à l’imagination. […] Delécluze avait creusé davantage dans son sujet, il se serait demandé par quel procédé de style l’auteur du Roi Lear et du Songe d’une nuit d’été fait ainsi travailler l’imagination de ses lecteurs. […] La puissante imagination de M. de Chateaubriand, sollicitée par tant d’émotions, ramenée vers la nature par les convulsions du monde politique, cherchant partout des démonstrations au spiritualisme, et faisant parler la terre et les cieux pour ranimer la foi religieuse, a trouvé là bien des couleurs.
Napoléon est plus brusque, je dirais plus sec, si de temps en temps les grands traits de son imagination ne faisaient clarté. […] Leur parole, à tous deux, se grave à la pointe du compas, et, certes, l’imagination non plus n’y fait pas défaut. […] Cette fois, celui qui dicte ne se hâte pas trop ; son imagination revient et s’étend avec complaisance sur cet épisode, qui fut encore le plus fabuleux de sa vie. […] L’imagination se complaît dans un tableau aussi enchanteur ! […] Tout cela dit, et tout hommage rendu au grand style du moderne César, à ce style où dominent dans une forme brève la pensée et la volonté (imperatoria brevitas), et où l’imagination se fait jour par éclairs, il me sera permis de ne pas le considérer tout à fait comme le style-modèle qui doive faire loi aujourd’hui.
Vieux, quand on lui parlait de Chateaubriand, il répondait : « Je l’ai peu lu, mais il a l’imagination trop forte. » Si l’on avait parlé à Buffon de Bernardin de Saint-Pierre, Buffon aurait eu droit de répondre : « Il a l’imagination trop tendre. » Bernardin a fait ainsi au moral ; il n’est pas seulement pieux et touchant, il est sermonneur ; il pèche par le trop de sensibilité de son temps, et il y a un certain goût sévère qu’il n’observe pas. […] Son imagination ici se donne toute carrière. […] Sa plume et son imagination s’accommodaient de ces vues, et la réalité ne le dérangeait pas. […] Les lettres qu’on a de lui jusqu’à la fin attestent son imagination riante : « Je suis un vieux arbre, disait-il, qui porte de jeunes rameaux. » il avait échangé son ermitage d’Essonne pour une autre retraite à Éragny, sur les bords de l’Oise : il s’y livrait aux douces spéculations dont il a rempli ses Harmonies. […] Villemain n’assistait pas à cette séance : autrement, lui qui a une si parfaite mémoire, il ne l’aurait pas inventée avec ce luxe d’imagination rétrospective.
C’était jeune, cette voix, c’était presque enfantin, et ce n’était pas de Musset, pourtant ; de Musset, toute la jeunesse d’alors à lui seul ; de Musset, qui régnait sur les imaginations contemporaines, dont il avait fait autant de caméléons qui lui reflétaient son génie ! […] Le portrait que MM. ses éditeurs publient à la tête de ses Œuvres doit être ressemblant, mais il trompera l’imagination de plus d’un ou de plus d’une, qui a rêvé de l’auteur de Marie. […] Si bien qu’on se demande où est, — ici ou là, — l’inspiration sincère, ou si le Breton, dans Brizeux, n’est pas une de ces ruses familières aux poètes de décadence, quand ils veulent réveiller, par un caviar quelconque, les imaginations blasées et engourdies. […] Imagination qui n’est pas de force à se passer d’avoir vu, Brizeux aurait-il vu les scènes grandioses qu’il ne devine pas, qu’il n’aurait pas de langage pour les décrire. […] … Le génie du poète, c’est de faire vivre l’imagination dans son rêve comme dans la réalité même, et plus, car c’est une réalité supérieure.
L’imagination, manquant de contrepoids, a régné en maîtresse absolue. […] Walter Scott avait placé ses héros d’imagination dans le cadre de l’histoire. […] Tout cela est l’œuvre de la puissante imagination de Ferry. […] Il n’y a de parfait, dans Tolla, que ce qui est le produit de l’imagination de M. […] Zola, a été, est et sera avant tout une œuvre d’imagination.
L'imagination de l'Auteur se refroidissoit, selon toute apparence, dès que les objets n'intéressoient pas vivement son ame, plus enthousiaste des choses extraordinaires, que de la véritable grandeur. […] Néanmoins, malgré la véracité dont il paroît faire profession, il se trouve contredit sur plusieurs faits, par les Mémoires de son temps ; ce qui prouve qu'il a souvent été aussi dupe de son imagination que de ses projets.
Avant-propos Aujourd’hui que l’Œuvre des deux frères est terminé — l’un étant mort depuis des années, l’autre se trouvant trop vieux pour entreprendre à nouveau un travail d’imagination ou même un travail d’histoire de longue haleine, — il a paru intéressant au survivant de réunir, dans un volume, les préfaces et les manifestes littéraires, jetés en tête des diverses éditions de leurs livres. […] C’est faire apprécier au lecteur l’ensemble de toutes les tentatives, dans lesquelles les auteurs se sont essayé à voir avec des yeux autres que ceux de tout le monde ; à mettre en relief les grâces et l’originalité des arts mis au ban par les Académies et les Instituts ; à découvrir le caractère (la beauté) d’un paysage de la banlieue de Paris ; — à apporter à une figure d’imagination la vie vraie, donnée par dix ans d’observations sur un être vivant (Renée Mauperin, Germinie Lacerteux) ; à ne plus faire éternellement tourner le roman autour d’une amourette ; à hausser le roman moderne à une sérieuse étude de l’amitié fraternelle, (Les Frères Zemganno) ou à une psychologie de la religiosité chez la femme (Madame Gervaisais) ; — à introduire au théâtre une langue littéraire parlée ; — à utiliser en histoire des matériaux historiques, restés sans emploi avant eux, (les lettres autographes, les tableaux, les gravures, l’objet mobilier) ; — tentatives enfin, où les deux frères ont cherché à faire du neuf, ont fait leurs efforts pour doter les diverses branches de la littérature de quelque chose, que n’avaient point songé à trouver leurs prédécesseurs.
La littérature, dans le siècle de Louis XIV, était le chef-d’œuvre de l’imagination ; mais ce n’était point encore une puissance philosophique, puisqu’un roi absolu l’encourageait, et qu’elle ne portait point ombrage à son despotisme. […] Ce point d’honneur si susceptible, qu’il ne tolérait pas dans les relations de la vie la plus légère expression qui pût blesser la fierté la plus exaltée, ce point d’honneur donnait aussi ses lois à l’imitation théâtrale, aux jeux de l’imagination ; et la diversité des caractères qu’on pouvait peindre devait rester dans les bornes prescrites. […] La grandeur factice qu’il fallait accorder à Louis XIV portait les poètes à peindre toujours des caractères parfaits, comme celui que la flatterie avait inventé : l’imagination des écrivains devait au moins aller aussi loin que leurs louanges ; et le même modèle se répétait souvent dans les tableaux dramatiques.
Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes Je conçois que le génie de leurs arts consiste dans un arrangement heureux des organes du cerveau, dans la bonne conformation de chacun de ces organes, comme dans la qualité du sang, laquelle le dispose à fermenter durant le travail, de maniere qu’il fournisse en abondance des esprits aux ressorts qui servent aux fonctions de l’imagination. En effet, l’extrême lassitude et l’épuisement, qui suivent une longue contention d’esprit, rendent sensible que les travaux d’imagination font une grande dissipation des forces du corps. […] Tels ont été parmi nous l’auteur du poëme de la Magdeleine et celui du poëme de saint Louis, deux esprits pleins de verves, mais qui n’ont jamais peint la nature, parce qu’ils l’ont copiée d’après les vains phantômes que leur imagination brûlée en avoit formez : tous deux se sont également éloignez du vrai, quoiqu’ils s’en soient écartez par des routes differentes.
Comment on invente : « C’est par le travail, la sensibilité et l’imagination qu’on entretient et fortifie la faculté d’invention, dit-il (page 163) », comme si on acquérait de l’imagination, comme si invention et imagination n’étaient pas presque des synonymes. — Comment on obtient le relief : « Il faut exaspérer son style, le chauffer, l’enfiévrer », comme si cela ne dérivait pas directement de la qualité sensuelle de l’écrivain. — Comment refaire le mauvais style : c’est pourquoi l’auteur corrige Lamartine.
Il y a là une habitude d’écrire et une imagination cultivée qui pouvait dire son nom sans se compromettre, mais qui, en ne le disant pas, ne nous fera pas mourir de curiosité. […] Scott et Balzac (Balzac surtout, plus grand que Scott par ce côté) ont inventé des manières si supérieures de couper le jeu et de donner les cartes dans cette fameuse partie d’imagination, qu’après eux la difficulté a pris des proportions qui semblent la rendre invincible. […] entasser stérilement les naucléas, les sirichas, les lianes des bahinias, le teckt, le nyctanthes, le negtali, le bignonia, le mouzzenda (nous pourrions aller comme cela longtemps), c’est écrire une nomenclature de Trissotin botaniste, mais ce n’est pas rendre vivantes pour l’imagination des beautés pittoresques absentes.
Ce défaut, assez ordinaire aux jeunes Littérateurs, prend sa source dans une imagination trop vive ; car dans quelques esprits, il faut que l’imagination décroisse, pour que le goût se fortifie ; comme il faut, à l’égard de certains tempéramens, que le corps se dégraisse, pour devenir robuste.
Une femme seule pouvait nous donner ces feuilletons, qui feront certainement suite, dans l’histoire de la société française, aux lettres de Mme de Sévigné, cette feuilletoniste du grand siècle de Louis XIV, et déplier au regard qui craint qu’elles ne s’envolent ces fragiles peintures d’éventail On aura beau, par un tour de souplesse de l’imagination, se faire spirituel, dandy, Rivarol en habit violette expirante, grand seigneur, prince de Ligne, avec ses coureurs roses et argent, devant sa voiture rose, on n’arrivera jamais, si on n’est qu’un homme, à être le vicomte de Launay d’un siècle grave, par des choses que le siècle dédaigne ou n’aime plus, avec cette supériorité ! […] Mme de Staël, ce Diderot-femme et qui, parce qu’elle était femme, valait mieux que Diderot, a, offert le même spectacle que Diderot, dont Mme Necker disait, sans regarder sa fille : « Il n’eût pas été si naturel, s’il n’avait pas été si exagéré. » Mlle Delphine Gay, qui a presque failli être Corinne Gay, mais que l’esprit, l’esprit grandi et trempé, comme un acier, dans la vie, a sauvé du vertige, au bord du ridicule, Mlle Delphine Gay, cette de Staël, blonde et belle, et qui faisait des vers, trois supériorités qui eussent passionné, jusqu’à la petitesse de la jalousie, la grande âme de Mme de Staël, mais qui n’en restera pas moins inférieure à Mme de Staël, malgré ces trois supériorités, Mlle Gay, née à Aix-la-Chapelle, fut baptisée, dit-on, sur le tombeau de Charlemagne et élevée à l’ombre de ce cap Misène, peint par Gérard, qui, alors, projetait sa cime lumineuse sur toutes les imaginations. Ces hasards de naissance et de destinée, qui sont pour les uns une étoile qui les guide, et pour les autres l’ironique feu-follet qui doit les égarer, durent impressionner profondément cette imagination de poëte, qui n’a pas besoin que les choses prennent la peine de la grandir pour ne pouvoir se mesurer… C’était là, jusqu’au moment des Lettres parisiennes, ce que Mlle Gay et Mme de Girardin avaient oublié. […] Jamais la plaisanterie dans le récit n’eut un accent plus vif, et jamais en racontant, le soir, l’histoire du matin, avec le ton d’une femme qui ne cherche pas d’effet, on ne mit plus d’imagination dans la gaieté.
Il faut être juste : la philosophie, qui se moque des hypocrites religieux et qui a les siens, les révolutions, qui ont détruit les grandes fortunes et rendu la vie si exiguë, ne devaient-elles pas arriver à ce résultat de nous pousser l’imagination, de toute la force de l’ennui enragé qu’elles ont créé pour les peuples modernes, vers le temps passé des grandes existences et des plaisirs largement conçus et splendidement réalisés ? […] Il y a, parmi ceux qui écrivent l’Histoire, des imaginations qui vont de préférence aux désastres, aux revers, à tout ce pathétique qui éveille plus que la pensée dans la tête, mais la pitié, c’est-à-dire une vertu, dans les cœurs. […] Il n’a pas ce genre d’imagination, difficile à dompter, qui maîtrise et entraîne un homme vers les spectacles pressentis par l’âme qui les aime et qui doit en recevoir l’impression à pleins bords et avec d’inexprimables frémissements. […] Avec le choix qu’il avait fait des plus tristes années d’un règne qui tenterait par les côtés les plus brillants les imaginations vulgaires, nous pensions qu’il avait sur ces quinze années, jugées un peu trop par les hommes, ces valets de bourreau du succès, comme le sont les phases malheureuses, quelque juste réclamation à élever, quelque inscription en faux inattendue à introduire contre des opinions la plupart sans sagacité et sans largeur.
L’âge est venu ; d’autres révolutions aussi et d’autres républiques, après la belle, proclamée en 1848, la république du genre humain et de l’imagination de Lamartine, qui avait rêvé d’être le Président des États-Unis Européens. […] La colère l’a pris, la haine aussi, et toutes les deux ont fait de son esprit, dans lequel l’imagination dominait, ce que les ; bacchantes firent d’Orphée. […] Pelletan n’a jamais été plus fort que la sienne ; il est plus que jamais entraîné par elle, comme tant d’esprits de ce temps de démence chez qui l’imagination, cette singesse de l’intelligence, comme disait Schiller, tord si souvent le cou à la raison. […] Le lyrique et l’enthousiaste qui sont encore en lui ont eu horreur de cet antipathique petit bourgeois, de ce Tartufe de libéralisme qui savait jouer sa partie avec l’opinion et gagner, en trichant, la popularité, de ce constructeur de couplets qui mettait de l’habileté jusque dans sa poésie charmante et dont l’imagination froide, madrée et libertine, n’eut jamais une grande et vraie inspiration.
C’est là sans doute ce qui a fanatisé pour le Sonnet l’imagination plus savante que spontanée de M. […] IV Le livre des Sonnets humouristiques est divisé en plusieurs livres, composés, à leur tour, d’un nombre déterminé de sonnets, et ces différents livres, dont nous donnerons seulement les noms, parce qu’en donnant ces noms on donne aussi les teintes de l’imagination qui les a écrits, s’appellent : Pastels et Mignardises, — Paysages, — Éphémères, — Les Métaux, — En train express, — L’Hydre aux sept têtes, — Les Papillons noirs, — et déjà, à ne considérer que ces grandes divisions de l’œuvre des Sonnets humouristiques, on entrevoit la forte originalité de l’esprit qui a concentré tant de vigueur dans de si petits espaces et sous un nombre si rare et si choisi de mots. […] Seulement de cette vie goûtée il est résulté dans son imagination assombrie ce bistre si souvent sinistre qui se mêle à ses couleurs les plus fraîches et les plus brillantes. […] L’auteur des Sonnets humouristiques serait à coup sûr un puissant poète, s’il plaçait son imagination et ses qualités dans des milieux plus faits pour elles.
L’âge de l’enthousiasme et de l’imagination est-il passé pour les peuples, ou même épuisé pour l’homme ? […] Faudrait-il conjecturer enfin pour unique avenir, pour dernier progrès du monde civilisé, le triomphe de ce que l’on a nommé la science sociale, de cette égalité utilitaire, que les uns, rêveurs sans imagination, fanatiques sans culte, prétendraient réaliser par un niveau démocratique asservi à des règlements de vie commune et de salaire, et que d’autres seraient prêts à représenter plus commodément et plus vite par la simple action du despotisme militaire et civil ? […] Ce secours qui n’a point manqué aux jours de la décadence, ce flambeau de l’imagination et du cœur qui ne s’est pas éteint dans le passage de l’ancien monde au nouveau, devrait-il donc pâlir et disparaître dans les jours futurs du monde ? […] Non : les mœurs changent, les formes politiques s’altèrent, les langues se détruisent, et la transplantation des races peut accroître et hâter toutes ces mutations inévitables ; mais l’âme humaine, avec ses points divers et ses touches sonores de sensibilité, de jugement et d’imagination, ne change pas, ne dégénère pas, ne perd aucune des conditions de sa puissance.
Revenir sur ses pas, suivre jusqu’au bout les directions entrevues, en cela paraît consister précisément l’imagination poétique. […] C’est se méprendre étrangement sur le rôle de l’imagination poétique que de croire qu’elle compose ses héros avec des morceaux empruntés à droite et à gauche autour d’elle, comme pour coudre un habit d’Arlequin. […] L’imagination poétique ne peut être qu’une vision plus complète de la réalité. […] Et notre imagination la met souvent là où elle n’a que faire. […] L’esprit, amoureux de lui-même, ne cherche plus alors dans le monde extérieur qu’un prétexte à matérialiser ses imaginations.
J’estime qu’il peut y avoir des œuvres de critique qui durent, et des œuvres d’imagination qui ne sont pas nées viables. […] Or, l’imagination mêle aussi je ne sais quoi de surnaturel et de mystique à l’aspiration de l’écrivain vers l’immortalité littéraire. […] Le savant n’a rien à tirer de bien précieux de son imagination ainsi échauffée. […] — Rien, et c’est là justement leur tort devant nos imaginations actives et inquiètes. […] Cependant, ayons confiance, dans l’imagination des hommes et le travail des siècles.
Ce sont amusements de ma jeunesse, premiers essais de mon imagination émancipée, au sortir de la longue enfance où nous avions tous perdu notre liberté de penser sous la tyrannie d’une lettre morte. […] Aristophane est un poète doué d’imagination ; il a de la verve et même de l’atticisme ; mais (il y a toujours un mais) il est plein de bouffonneries indécentes et de personnalités. […] elle se grise facilement, cette imagination romantique, et alors elle voit trouble, et tombe dans des jugements exactement inverses, mais exactement aussi faux, injustes, étroits et bornés qu’aucun de ceux que porta jamais la froide raison du dix-huitième siècle. […] Le critique ne blâme ni la beauté harmonieuse, ni la beauté discordante et violente, ni la noblesse oratoire, ni l’imagination folle. […] J’entrais en imagination dans un musée d’antiquités égyptiennes, et je me sentais saisi d’étonnement à l’aspect de ces mystérieux colosses, tous assis dans la même attitude.
et la revoyant quelquefois ; et là, dans la paix, dans le silence, mûrissant quelques beaux fruits préférés, résumant dans quelque livre choisi, et qu’on ne recommence pas, les trésors de son imagination ou de son cœur, ou, comme Montaigne, le suc le plus exquis de ses lectures et de son étude ! […] Il est homme de lettres aussi, celui que le feu de son imagination porte sans cesse vers des sujets nouveaux ; qui, doué de verve et de fécondité naturelle, n’a pas plus tôt fini d’une œuvre qu’il en recommence une autre ; qui se sent jeune encore pour la production à soixante ans comme à trente, qui veut jouir tant qu’il le peut de cette noble sensation créatrice et mener la vie active de l’intelligence dans toutes les saisons. […] Il est de ceux qui aiment à croire à un grand avenir, à une ère décidément nouvelle, et qui mettent l’âge d’or en avant : s’il y a quelque système en ceci et quelque illusion (et il en paraît convenir vers la fin), il anime ses tableaux du moins par un enthousiasme sincère et par des traits d’une imagination grandiose ; mais ce qui est mieux, il y met des tons de cordialité franche et de mâles effusions de tendresse. […] La nouvelle qui a obtenu le second prix, et qui a pour titre Le Chant des Hellènes, est une confession, ou du moins une confidence, celle d’une femme à une jeune amie qu’elle veut prémunir contre un travers dont elle n’a pas pu se garder elle-même. « Préserver son imagination de tout écart n’est qu’un simple calcul de bonheur pour une femme vertueuse » : cette épigraphe, empruntée à Mme Necker de Saussure, se trouve justifiée par le récit ; mais ce récit est facile, naturel, coulant, et n’a rien d’une prédication. C’est l’histoire d’un enthousiasme romanesque pour un beau chanteur qu’on croit né prince, une erreur d’imagination dans l’amour.
Bain appelle association constructive c’est l’imagination. […] Mais la disposition à passer d’un souvenir, imagination ou idée, à l’action qu’ils représentent, — à produire l’acte et non pas seulement à le penser, — c’est là aussi un principe déterminant dans la conduite humaine. » L’auteur montre combien de faits curieux en psychologie s’expliquent par cette tendance de l’idée à se réaliser : la fascination causée par un précipice, les phénomènes produits par les idées fixes, par le sommeil magnétique, les sensations causées par sympathie. […] Mais il y a d’autres modes d’association connus sous le nom d’imagination, de création. […] En voici la loi : « Au moyen de l’association, l’esprit a le pouvoir de former des combinaisons ou agrégats, différents de tout ce qui lui a été présenté dans le cours de l’expérience. » L’étude sur l’association constructive ou théorie de l’imagination, est au niveau des meilleures analyses de l’ouvrage par son ordre, sa netteté, l’ampleur et l’exactitude de ses détails, l’intérêt des questions qu’elle soulève. […] Grote, par exemple : « On ne peut comprendre, dit-il, la terreur des Athéniens apprenant la mutilation des Hermès, qu’en se rappelant qu’à leurs yeux c’était un gage de sécurité d’avoir les dieux habitant leur sol. » L’association constructive dans les beaux-arts, ou imagination proprement dite, présente une particularité : c’est la présence d’un élément émotionnel dans les combinaisons.
Ses deux philosophies sont l’effet de deux facultés diverses : l’une, qui est l’imagination poétique, aidée par la jeunesse, l’emporte vers la philosophie pure et vers les idées allemandes ; l’autre, qui est l’éloquence, chaque jour plus puissante, soutenue par l’âge, finit par devenir maîtresse, et l’entraîne vers le spiritualisme oratoire, dans lequel il s’est assis et endormi. […] Pour les gens d’imagination, à vingt ans, la philosophie est une toute-puissante maîtresse. […] Ces diverses doctrines ont brillé tour à tour dans cette vive imagination, comme autant de lumières dans une lanterne magique, un peu confondues, un peu altérées, un peu transformées. […] Aussi supposez qu’un orateur, un beau jour, par entraînement, par imagination, par jeunesse, se soit trouvé panthéiste. […] Repoussez cette littérature énervante, tour à tour grossière et raffinée, qui se complaît dans la peinture des misères de la nature humaine, qui caresse toutes nos faiblesses, qui fait la cour aux sens et à l’imagination, au lieu de parler à l’âme et d’élever la pensée.
La langue est la bonne langue, mais refroidie, et d’un habile homme qui connaît la valeur des mots plutôt que d’un écrivain qui se les rend propres par l’imagination et le sentiment. […] L’imagination, loin de lui faire défaut, déborde et emporte tout le reste : il a ce qui ressemble le plus au sentiment, la verve. […] Il est de son siècle, tout en le combattant ; il ne sait pas voir les bornes de la raison, et il s’y trompe d’autant plus souvent, qu’il donne à sa raison l’étendue de son imagination, et qu’il croit raisonner encore quand il rêve. […] Il est vrai qu’il y ramenait le public par l’imagination plutôt que par la science ; mais ce moyen n’était pas le plus mauvais, surtout dans notre pays, où la raison même, avant de prendre pied, a besoin de s’introduire comme une mode. […] C’est encore par l’imagination qu’il ramenait le public au dix-septième siècle.
Il semble, en effet, qu’alors l’Écriture sainte, associée, avec tant de grandeur, aux cérémonies du culte, aux solennités funèbres et à tous les triomphes de la parole chrétienne, ait fait tort, même auprès des imaginations les plus savantes, à la poésie du chantre de Thèbes. […] Plus d’une cause explique cette conformité singulière ; mais la première est dans ce fonds religieux et lyrique qui formait l’imagination du grand orateur et qu’avait nourri son ardente étude des livres saints, sa fréquentation solitaire du Liban et du Carmel. […] Par-là, et non pas seulement par de belles formes d’imagination, le poëte de Dircé s’élève ; il est lui-même un prêtre et, selon toute apparence, le prêtre du culte plus épuré que, sous la forme mythologique, la raison commençait à démêler, à travers les traditions confuses et les nombreux symboles du polythéisme. […] On sent la foi candide d’une imagination pieuse éclairée par une sublime morale ; c’est Pythagore épurant Homère. […] Ce ne sont pas, en effet, seulement quelques formes d’imagination, quelques beautés de style, qui se rencontrent dans ce parallèle.
Que s’ils imaginent, sous une forme positive, un dénouement plus naturel, et un personnage aussi méprisable, mais plus gai, leur imagination n’est qu’un souvenir : ce dénouement, c’est celui de quelque autre chef-d’œuvre, et ce drôle, ce sera Falstaff, par exemple. […] Ce qui nous intéresse enfin, c’est de nous répéter, fût-ce pour la millième fois, que Molière seul a surpris le comique au sein de la nature, qu’il n’a pas cherché à dire de bons mots, à faire paraître son imagination ou son esprit, mais à peindre le cœur humain et à être vrai, qu’en un mot son comique est un comique moral. […] Plusieurs Allemands disent qu’il n’y a point de poésie quand la réalité est peinte telle qu’elle est, quand la raison gouverne et tempère l’imagination, quand des médecins, des avocats ou des professeurs de mathématiques ne font pas au poète l’honneur de ne l’entendre point. […] Par quel abus mettent-ils leur veto sur l’alliance de l’imagination et de la raison, sur la subordination libre de la première à la seconde ? Pourquoi restreindre, comme beaucoup le font, le domaine de l’imagination à celui de la fantaisie ?
Tout autre objet ne leur sembloit pas devoir allumer l’imagination d’un poëte honnête homme. […] Le P. le Bossu lui parut la déraison même, un de ces hommes dont l’imagination égarée voit continuellement dans celle d’autrui ce qui n’est que dans la leur. […] On ne lui accordoit même d’être créateur en ce point, que pour montrer combien son imagination, livrée à elle-même, s’égaroit & devenoit bisarre. […] L’imagination, échauffée par les grands objets que le poëte a chantés d’abord, se réfroidit sur le reste. […] quelle prodigieuse imagination !
On peut orner la raison, des charmes de l’imagination & de l’esprit ; on peut donner à la morale une tournure piquante, en développer les maximes d’une maniere ingénieuse, sans déroger au génie fabuliste, qui est la simplicité ; on se rend même par-là plus intéressant, sur-tout quand il n’est pas possible d’atteindre un modele inimitable par lui-même. […] Dans le Poëme de Psyché, l’agrément & la variété des peintures ; le choix, l’imagination, & la finesse des expressions, se disputent l’avantage de captiver le Lecteur & de l’amuser.
Une imagination brillante, noble, vive ; un esprit lumineux & plein de sagacité ; un pinceau aussi délicat que nerveux, ou, pour mieux dire, la force du burin réunie à la mollesse du pinceau, sont les bienfaits précieux qu’elle lui a prodigués, & dont il a fait un si noble usage. […] Le prestige de sa plume est tel, que ses tableaux deviennent des originaux qui attachent l’esprit & ravissent l’imagination, lors même qu’ils ne sont pas d’accord avec la vérité.
Moi qui aime à mettre les choses en place, je le transporte d’imagination dans un des appartements du château de Postdam. […] Ce Casanove est dès à présent un homme à imagination, un grand coloriste ; une tête chaude et hardie ; un bon poète ; un grand peintre.
. — En quoi l’imagination anglaise et l’esprit de salon sont inconciliables. […] En vérité, je voudrais admirer les œuvres d’imagination de Pope ; je ne saurais. […] Il a le trait si juste, que du premier coup vous croiriez voir les choses ; il a l’expression si abondante, que votre imagination, fût-elle obtuse, finira par les voir. […] D’ailleurs, sous la rhétorique et la facture uniforme des vers, on sent de la chaleur et de la passion, on aperçoit de riches peintures, une sorte de magnificence et l’épanchement d’une imagination trop pleine. […] Ce désaccord va croître, et des yeux attentifs découvrent vite sous l’enveloppe régulière une espèce d’imagination énergique et précise qui la rompra.
La critique a beau jeu d’exiger, sous toute espèce de forme d’imagination, des qualités supérieures, dont il lui serait fort incommode, souvent, de fournir le modèle après la théorie. […] Quel spectacle émouvant et propre à réveiller dans l’imagination l’idée de cette éternelle fraternité de l’amour et de la mort, objet de tant de plaintes poétiques ! […] Il ne manque pas, chez eux, de gens de talent et d’esprit ; on ne saurait leur dénier ni l’imagination, ni la virtuosité, puisqu’au travers du décousu lamentable de leurs ouvrages ils gardent encore cette force d’action, cette prise incontestable sur le cerveau de leurs lecteurs. […] On ne se passera jamais de la littérature d’imagination, dont la forme la plus habituelle est aujourd’hui le roman. […] Le drame doit se produire naturellement par le choc des caractères et des passions et non par des événements de pure imagination, plus ou moins invraisemblables et qui, par cela même, n’ont aucune portée, aucune valeur.
Mais, d’autre part, il fut séduit par le pittoresque et la variété plastique de l’histoire humaine, par les tableaux dont elle occupe l’imagination au point de nous faire oublier nos colères et nos douleurs. […] N’ayez crainte : son imagination, après sa superbe, l’a sauvé du suicide ; et le voici qui commence, à travers le temps et l’espace, la revue des apparences, œuvre de Maya. […] Voyez les Paraboles de dom Guy, truculente enluminure, les sept péchés capitaux incarnés dans les grands pécheurs du siècle, poème de foi implacable, imagination d’un Dante qui serait moine et qui n’aurait point de Béatrix. […] Elles enchantent l’imagination et satisfont le sens critique. […] Le poète m’a si bien prévenu contre les mensonges de l’éternelle Mâya que je ne puis croire qu’il s’y laisse prendre La Nature, dont il cherche les aspects violents, occupe ses sens et son imagination, mais rien de plus.
Par son tempérament, par ses instincts, par ses facultés, par son imagination, par ses passions, par sa morale, il semble fondu dans un moule à part, composé d’un autre métal que ses contemporains. […] À ces facultés si grandes, ajoutez-en une autre, la plus forte de toutes : l’imagination constructive. […] Le malheur, c’est que ce philosophe a l’imagination d’un poète ; c’est qu’il a, à un degré surprenant, le don de la vie, et alors voici ce qui se passe. […] A le faire si raisonnable, il risque de lui enlever cette merveilleuse puissance d’imagination qui l’égale, dans son ordre, aux plus grands artistes, à Dante et à Michel-Ange. […] Taine, non point avec mon cœur, mais avec mon imagination ; que d’ailleurs, après l’homme, l’œuvre resterait à juger, et qu’il faut donc attendre ; que, si les deux chapitres de M.
Cependant une imagination lancée à l’aventure peut rencontrer sur sa route quelque idée féconde. […] L’imagination ne se laisse pas arrêter par cette défense d’aller plus loin ; elle se rit des barrières qu’on lui oppose et pénètre dans des régions où la science n’ose pas s’engager, mais finit un jour ou l’autre par la suivre. […] Je crains que ces ouvrages, où le vrai et le faux, le réel et le chimérique s’enchevêtrent d’une façon inextricable, ne satisfassent guère, passé un certain âge, ni la raison ni l’imagination. […] Ô l’admirable instrument que la science pour couper les ailes à l’imagination, pour tout flétrir en décomposant tout, pour tarir la source des émotions d’où jaillissent les beaux vers ! […] Il me paraît que l’imagination, prisonnière sous ce dôme étouffant, doit rendre grâce aux savants qui ont, en le brisant, ouvert à son vol ébloui l’abîme de l’azur, cet Océan sans fond et sans rivages.
On sent que l’Auteur sait penser & faire penser, mérite aussi rare qu’utile ; qu’il a du goût & de la raison, de l’imagination, & de la sensibilité. […] Quiconque saura apprécier un style noble sans emphase, correct sans sécheresse, précis sans obscurité ; les richesses du savoir & l’art de les mettre en œuvre sans affectation ; le talent de l’analyse & celui du récit ; la profondeur & la justesse des idées, réunies à la vivacité de l'expression qui les anime & à la netteté qui les rend sensibles, admettra sans peine Madame de Saint-Chamond parmi les la Fayette, les Dacier, les Chatelet, & les autres femmes qui ont honoré leur sexe & notre Littérature par leur imagination ou par leur savoir.
Encore une fois, je ne veux point déprécier l’abbé Delille : tous ceux qui l’ont connu l’ont trop aimé, l’ont trop goûté et applaudi pour qu’il ne dût pas y avoir en lui bien des grâces et une magie de talent : il y a certainement dans le poème de L’Homme des champs, dans celui de L’Imagination (plus que dans Les Jardins), des morceaux qui méritaient tout leur succès quand ce gentil et vif esprit les soutenait de sa présence et de son débit, et quand il les récitait dans les cercles pour qui il les avait composés. […] Cowper, avec son tour d’imagination frappée, y voyait non seulement des avertissements divins et des châtiments infligés au monde, mais encore des signes précurseurs de la fin des temps et du Jugement dernier. […] Collins a une ode pleine d’imagination et de haute fantaisie adressée Au soir : Cowper, dans le passage suivant, rappelle Collins avec moins de lyrisme et quelque chose de plus arrangé, de plus familier, mais avec une touche d’imagination non moins vive : Viens encore une fois, ô Soir, saison de paix, reviens, doux Soir et continue longtemps. […] … La pièce la plus considérable qu’il ait composée dans les dernières années, et qui est d’une imagination aussi forte qu’élevée, a pour titre Le Chêne de Yardley ; elle lui avait été inspirée par un chêne antique qu’il avait vu dans ses promenades autour de Weston, et qui était réputé contemporain de la conquête des Normands. […] Une fois il a découvert dans ses courses autour d’Olney, sur une colline assez escarpée, une toute petite cabane cachée dans un bouquet d’arbres, et il l’a appelée le nid du paysan ; il rêve de s’y établir, d’y vivre en ermite, y jouissant de son imagination de poète et d’une paix sans mélange ; mais il ne tarde point à s’apercevoir que le site est incommode, qu’on y manque de tout, qu’il est dur d’être seul : tout bien considéré, il préférera son cabinet d’été et sa serre avec son simple et gracieux confort, et il dira à la hutte sauvage et pittoresque : « Continue d’être un agréable point de vue à mes yeux ; sois mon but de promenade toujours, mais mon habitation, jamais !
A conjecturer pourtant, comme il est permis, d’après l’ensemble et le terrain courant des générations survenantes, l’imagination pourrait sembler dorénavant avoir moins de chances pour les grandes œuvres, que l’érudition et la critique pour les travaux historiques dans tous les sens, et que l’esprit pour les charmants gaspillages de tous genres. […] Livrés à eux-mêmes, sans surveillance immédiate exercée par des pairs en intelligence, les hommes d’imagination, sentant de plus le cadre qui les contenait brisé à l’entour, ont exagéré leurs défauts, ont pris leurs licences et leurs aises. Rien de plus difficile, de plus impossible, on le croira, que de régler les hommes d’imagination, de les discipliner et de les classer, de les diriger aux œuvres qui les appellent et qui leur siéraient ; mais il faut convenir, à leur décharge, que jamais, à aucun moment, on ne s’est moins occupé de ce soin qu’aujourd’hui. […] La fatuité combinée à la cupidité, à l’industrialisme, au besoin d’exploiter fructueusement les mauvais penchants du public, a produit, dans les œuvres d’imagination et dans le roman, un raffinement d’immoralité et de dépravation qui devient un fait de plus en plus quotidien et caractéristique, une plaie ignoble et livide qui chaque matin s’étend. […] Quand on ne connaît les gens, surtout ceux de sensibilité et d’imagination, qu’à partir d’un certain âge, et durant la seconde moitié de leur vie, on est loin de les connaître du tout comme les avait faits la nature : les doux tournent à l’aigre, les tendres deviennent bourrus ; on n’y comprendrait plus rien si l’on n’avait pas le premier souvenir.
Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie sur les fibres sensitives de l’instrument humain, quand l’imagination de l’homme se tend et vibre en lui jusqu’à l’enthousiasme et presque jusqu’au délire, quand la passion imaginaire l’exalte, quand l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine, quand l’amour, la plus mélodieuse des passions en nous parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer, peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême, l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! […] Voilà, selon nous, toute l’origine et toute l’explication du vers, cette transcendance de l’expression, ce verbe du beau, non dans la pensée, mais dans le sentiment et dans l’imagination. […] Si une voile dérive par un jour serein du port, on pense aux rivages lointains et inconnus où elle ira aborder après avoir traversé pendant des jours sans nombre ce désert des lames ; ces terres étrangères se lèvent dans l’imagination avec les mystères de climat, de nature, de végétation, d’hommes sauvages ou civilisés qui les habitent, on s’y figure une autre terre, d’autres soleils, d’autres hommes, d’autres destinées […] La littérature sacrée et les littératures grecque et latine, furent sous un précepteur particulier les premiers aliments de son imagination. […] III L’ardente imagination du jeune lévite devait naturellement le porter à l’héroïsme de sa profession.
Il est des erreurs et des fautes si bien confessées qu’elles deviennent à l’instant contagieuses pour l’imagination humaine. […] Maintes fois, il le reconnaît lui-même, il manquait de bon sens dans les déterminations, et il est des circonstances où il se reproche de n’en avoir pas eu un grain ; il était sujet à des éblouissements, à des coups d’imagination dont savent se préserver les hommes de qui la pensée doit guider et gouverner les empires. […] L’homme qui sous Louis XIV, vers 1672, âgé de cinquante-huit ans, écrivait ces choses dans la solitude, dans l’intimité, en les adressant par manière de passe-temps à une femme de ses amies, avait certes dans l’esprit et dans l’imagination la sérieuse idée de l’essence des sociétés et la grandeur de la conception politique ; il l’avait trop souvent altérée et ternie dans la pratique ; mais plume en main, comme il arrive aux écrivains de génie, il la ressaisissait avec éclat, netteté et plénitude. […] Ils commencent eux-mêmes à compter vos armées pour rien ; et le malheur est que leurs forces consistent dans leur imagination : et l’on peut dire avec vérité qu’à la différence de toutes les autres sortes de puissances, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir. […] L’expression y est gaie volontiers, pittoresque en courant, toujours dans le génie français, pleine d’imagination cependant et quelquefois de magnificence.
Nisard, est une certaine raison, non spéculative, mais pratique, qui ne se laisse dominer ni par l’imagination ni par la sensibilité, mais qui n’est cependant pas une raison froide et abstraite, qui se colore et s’anime, sans jamais s’emporter, qui partout cherche le vrai, mais le vrai aimable, séduisant, charmant, non pas le vrai arbitraire des métaphysiciens, ou le vrai absolu et abstrait du savant, mais ce vrai solide et éprouvé de la vie mondaine, de la vie pratique, de la vie morale. […] Nisard, par son goût pour la raison générale, a un peu trop oublié ce que cette raison générale doit à la raison individuelle ; il a trop préféré la raison qui conserve à la raison qui découvre ; surtout il n’a pas fait la part qui convient en littérature à l’imagination inventive, et il a trop méconnu la part du génie personnel des écrivains. […] Grâce au ciel le grand roi n’a pas eu assez d’empire sur ce merveilleux génie pour polir et discipliner cette imagination biblique et orientale, naïve et sublime. […] Nisard, dans son admiration pour Bossuet, ait à peine pensé à nous faire remarquer l’imagination de cet admirable écrivain. […] Bossuet est la plus grande imagination que nous ayons dans notre littérature, c’est une imagination biblique, homérique, grande, fière, simple, naïve, hardie, ayant toutes les qualités sans un seul défaut, et dans cet écrivain si surprenant, le premier de la France sans aucun doute, et qui n’a peut-être de rival dans toutes les littératures du monde que Platon, vous vous oubliez à nous faire admirer son bon sens, à nous montrer les limites de ses pensées, à lui faire un mérite de ces limites mêmes !
“C’est lui rendre justice, dit l’Abbé Desfontaines, que de reconnoître qu’il posséde Aristote, Hermogene, Ciceron, Quintilien ; qu’il entend la matiere qu’il traite ; qu’il entend la matiere qu’il traite ; que les principes de ses grands maîtres sont bien expliqués, & qu’il y a de la dialectique dans ce qu’il a écrit sur l’art oratoire, où l’imagination a tant de part. […] Avec tous ces défauts, il faut avouer qu’il y a une telle abondance de jolies choses dans ces dialogues qu’ils satisfont quelquefois autant l’imagination que les oreilles, & l’on y est comme ébloui par la variété des objets. […] Les préceptes sur les figures de Rhétorique lui paroissent encore plus inutiles ; parce que ces figures sont, selon lui, des tours si naturels à tous les discours humains, que l’art ne fait qu’y prêter des noms, pour faire souvenir que leur variété sert à en mettre dans les discours, ce qui se présente, ajoute-t’il, comme de soi-même à tout homme qui n’a pas une imagination froide. […] Elle trouve plus aisément l’art d’intéresser le sentiment, l’art d’étonner l’imagination ; elle présente de plus grands moyens à celui qui parle ; elle étale de plus grands objets à ceux qui écoutent. […] Le zéle, dit-il, n’a point de plus fidéle instrument qu’une imagination bien gouvernée, ni de plus grand ennemi, qu’une mémoire impérieuse, à qui l’imagination & l’esprit sont forcés d’obéir.
. — Récits d’imagination pure : anecdotes, hallucinations individuelles, merveilleux simplement surnaturel, merveilleux macabre, contes de morale théorique et de morale pratique. — Fables. […] Récits d’imagination pure et dépourvus d’intentions didactiques. […] Ces récits, bien entendu, ne prétendent nullement à la science et c’est très consciemment qu’ils procèdent de l’imagination de leurs conteurs. […] Récits (merveilleux ou non) de pure imagination et sans intentions didactiques. […] 2° Le merveilleux ordinaire où jouent leur rôle tous les êtres fabuleux créés par l’imagination des noirs : génies, hafritt, taloguina, nains, ogres, animaux-génies, etc.
Or l’activité du cœur et l’ardeur de la foi poussent au prosélytisme ; et c’est ce prosélytisme embrasé d’une croyante qui voudrait partager le pain de sa vérité avec l’univers, qu’on respire dans ce petit livre, offert aux imaginations désoccupées dans un but que l’auteur est trop habile pour ne pas cacher ! […] Nous avons cité les Trois Roses, mais les Trois Roses sont dans la teinte d’aurore familière à cette imagination qui se tient à la porte du Paradis, pour en recevoir les rayons. […] car l’incognito du talent est impossible, et le voile qu’elle avait mis sur le sien a été levé… Mme de Gasparin est une chrétienne qui n’écrit que pour des chrétiens, et ce n’est pas moins pour tout le monde, car son livre est bien capable d’en faire naître ; mais n’y eût-il dans ce livre divinisé par le sentiment chrétien que l’imagination humaine où il y a le génie des plus saintes croyances, qu’il faudrait admirer encore le poëme touchant et sublime que l’imagination aurait composé avec les idées de la foi ! […] D’une simplicité toute féconde, cette conception a du moins pour elle l’innocence, si elle n’a pas le réel de la vérité, L’Église, en laquelle nous croyons, nous ; l’Église qui a tiré le voile du mystère sur le bonheur réservé à ses Justes, n’a pas défendu, que je sache, à l’imagination des hommes de se figurer cette félicité des élus, pourvu qu’on n’altérât jamais la pureté sans tache de cette félicité divine. […] Ici, ce n’est plus la moquerie incrédule qui se rit de ces idées du ciel, tombées d’en haut, montées d’en bas ; c’est la foi, c’est la volonté, c’est l’esprit, c’est tout l’être humain qui se révolte et se cabre devant ces imaginations naïves ou laborieusement combinées qui n’offrent rien que puisse éteindre et dont puisse jouir ce quelque chose qui s’appelle le moi, dans sa plénitude impérieuse !
Ils ont enfin à ne pas laisser dépérir, dans ces routes pénibles, les facultés délicates, brillantes ou tendres, oublieuses d’ici-bas, l’imagination, l’âme, l’art et toutes les cultures qu’il suggère. […] Durant la seconde période de la doctrine et dans les relations avec les femmes, surtout quand des jeunes gens, convertis à peine depuis quelques mois, couraient en prosélytes, s’adressant aux imaginations provençales, c’est bien sous cette forme vaguement attrayante et affadie, que le saint-simonisme, naguère austère au sortir du Producteur, menaçant au sortir des ventes, se produisait en se corrompant. Bien des cœurs avides, des imaginations tendres d’adolescents, en essayèrent. […] Je lui reprocherai encore dans ses contes, où l’imagination et l’originalité se font jour, cette incroyable profusion d’épigraphes, de titres et d’étiquettes en toutes langues, sans traduction ; moi, par exemple, qui ne suis pas un Panurge, et qui n’entends que deux langues d’Europe, outre la française, il y a, je le confesse, les deux tiers de ces têtes de chapitre que je n’ai pas compris.
Mais cette manière d’être affectée n’a que des rapports très indirects avec le plan général de mon ouvrage ; et celui qui aurait des opinions tout à fait contraires aux miennes sur les plaisirs de l’imagination, pourrait encore être entièrement de mon avis sur les rapprochements que j’ai faits entre l’état politique des peuples et leur littérature ; il pourrait être entièrement de mon avis sur les observations philosophiques et l’enchaînement des idées qui m’ont servi à tracer l’histoire des progrès de la pensée depuis Homère jusqu’à nos jours. […] Subdivisez les phrases de ce style autant que vous le voudrez, les mots qui les composent se rejoindront d’eux-mêmes, accoutumés qu’ils sont à se trouver ensemble ; mais jamais un écrivain n’exprima le sentiment qu’il éprouvait, jamais il ne développa les pensées qui lui appartenaient réellement, sans porter dans son style ce caractère d’originalité qui seul attache et captive l’intérêt et l’imagination des lecteurs. […] J’ai distingué avec soin, dans mon ouvrage, ce qui appartient aux arts d’imagination, de ce qui a rapport à la philosophie ; j’ai dit que ces arts n’étaient point susceptibles d’une perfection indéfinie, tandis qu’on ne pouvait prévoir le terme où s’arrêterait la pensée. […] Que restera-t-il donc à ceux qui mettent encore de l’intérêt aux progrès de la pensée, ou qui, se bornant même aux arts d’imagination, veulent exclure tout le reste ?
José-Maria de Heredia exprimait de préférence, c’était je ne sais quelle joie héroïque de vivre par l’imagination à travers la nature et l’histoire magnifiées et glorifiées. […] Ce tour d’imagination héroïque et ce besoin d’exactitude et de clarté s’expliquent l’un et l’autre par les origines et par l’éducation de M. de Heredia. […] Ainsi la sublimité d’imagination du descendant des grands aventuriers, contrôlée et contenue par le lettré et par l’érudit, a éclaté avec une véhémence plus travaillée et plus sûre. […] Parmi les sonnets de ce premier groupe il en est un bien curieux et bien significatif, où se trahit d’une façon singulière le tour d’imagination propre à M. de Heredia.
Ainsi, la réalité qui éveille l’intérêt, la grandeur qui donne la poésie, la nouveauté qui passionne la foule, voilà sous quel triple aspect la lutte des burgraves et de l’empereur pouvait s’offrir à l’imagination d’un poète. […] Ainsi l’histoire, la légende, le conte, la réalité, la nature, la famille, l’amour, des mœurs naïves, des physionomies sauvages, les princes, les soldats, les aventuriers, les rois, des patriarches comme dans la Bible, des chasseurs d’hommes comme dans Homère, des titans comme dans Eschyle, tout s’offrait à la fois à l’imagination éblouie de l’auteur dans ce vaste tableau à peindre, et il se sentait irrésistiblement entraîné vers l’œuvre qu’il rêvait, troublé seulement d’être si peu de chose, et regrettant que ce grand sujet ne rencontrât pas un grand poëte. […] Les Burgraves ne sont point, comme l’ont cru quelques esprits, excellents d’ailleurs, un ouvrage de pure fantaisie, le produit d’un élan capricieux de l’imagination. Loin de là : si une œuvre aussi incomplète valait la peine d’être discutée à ce point, on surprendrait peut-être beaucoup de personnes en leur disant que, dans la pensée de l’auteur, il y a eu tout autre chose qu’un caprice de l’imagination dans le choix de ce sujet et, qu’il lui soit permis d’ajouter, dans le choix de tous les sujets qu’il a traités jusqu’à ce jour.
Son imagination féconde invente une foule d’événemens qui ne s’accordent pas toujours avec la vrai-semblance. […] La variété des incidens, une certaine gaieté d’imagination, la chaleur & la rapidité du récit, la simplicité, la noblesse & l’heureuse négligence du style, caractérisent les premiers Romans de M. de V. […] On ne nous donne plus des intrigues de serrail, des enlevemens extraordinaires, des rencontres imprévues, d’amans captifs en Barbarie ; on n’amuse plus notre imagination par tous ces événemens peu vraisemblables. […] Le but principal de l’écrivain fut de décrier ce tas d’imaginations extravagantes, de chimères romanesques, de fictions gigantesques & puériles, qui sous le nom de Romans, infectoient le goût & bouleversoient les cervelles en Espagne.
Une religion sans amour, sans pâture pour l’imagination et le sentiment, sera toujours repoussée par nous. […] Cette peinture, je puis l’avouer, sera toute d’imagination ; car c’est un ordre de phénomènes peu appréciables à la vue de l’esprit, et qui se passent au fond des cœurs. […] Ainsi leur grande erreur a été de se croire appelés, connue les philosophes anciens, à renverser des superstitions ; ils n’ont pas fait attention à cette différence énorme d’une religion dont les préceptes enveloppent, pour ainsi dire, l’homme de tous les côtés, à des religions qui ne s’adressaient qu’à une partie de l’homme, qui flattaient son imagination, sans rien dire à son cœur. […] Dans tous les temps, sans doute, l’homme a enfanté des pensées vaines et gratuitement angoisseuses ; mais elles mouraient dans l’imagination qui les avait conçues, dans le cœur qui les avait nourries.
Quoiqu’il ait écrit des Poésies, ce n’est pas un poète cependant, dans le sens absolu de ce grand nom qui suffit à la gloire d’un homme quand il le mérite ; il n’est point un poète dans sa plus haute signifiance, mais il a de l’imagination poétique, et le livre que voici en est la preuve la plus incontestable. […] … C’est la vie, l’imagination, la jeunesse, retrouvées là où la plupart de ceux qui les eurent un jour, ces qualités, ne les retrouveraient jamais plus. […] Imagination poétique enivrée par un vin plus fort, — le vin de Shakespeare ! […] IV Enfin, observation dernière, il n’y a pas que les points de vue qui soient nouveaux dans cette histoire, où l’imagination et les raisonnements de l’auteur frétillent allègrement comme le poisson dans l’eau.
Pour des imaginations comme MM. de Goncourt, dont la nature poétique a toujours résisté au prosaïsme de leur système quand ils ont voulu faire de cette prétendue réalité, qu’ils appellent cruelle et que j’appelle simplement crue, les femmes sont, en effet, ce que je sais de plus dangereux et de plus mortel pour la supériorité d’un homme, — pour son sang-froid, sa justice et son impartialité. […] Ulysse se bouchait les oreilles au chant des sirènes ; mais avec quoi se boucher l’imagination tout entière, l’imagination qui les voit et qui les entend quand elles ne sont plus et qu’il faut les peindre, et, après les avoir peintes, les juger et les condamner ? […] pour étouffer en eux l’imagination des romanciers qui pourraient admirer de tels types, et pour n’être plus qu’historiens !
Or, si, avec quelques mots, toujours cités quand on parlait d’elle, elle exerçait je ne sais quel irrésistible empire sur les imaginations les plus ennemies, que sera-ce quand on pourra lire et goûter tant d’écrits, marqués à l’empreinte d’une âme infinie, de cette âme qui, sans en excepter personne dans l’histoire de l’esprit humain, — quand elle fut obligée d’écrire, soit pour se soulager d’elle-même, soit pour remplir un grand devoir, — fit tenir, dans les limites étouffantes d’une langue finie, le plus de son infinité ? […] Elle était née sans aucune mémoire, sans aucune imagination, disait-elle, et de plus parfaitement incapable de discourir avec l’entendement : mais la Prière, la Prière plus forte que toutes les sécheresses, lui donna toutes les facultés qui lui manquaient, car la Prière a fait Térèse plus que sa mère elle-même. […] et qui va nous montrer, dans la Sainte Térèse entrevue, une autre Sainte Térèse inconnue : c’est le livre des Fondations… Sainte Térèse est toujours pour l’imagination ou l’ignorance française le fameux portrait de Gérard ; la belle Sainte à genoux, avec sa blancheur de rose macérée, son œil espagnol qui garde, sous la neige du calme bandeau, un peu trop de cette mélancolie, qui ne vient pas de Dieu, car il n’en vient nulle mélancolie, et ces mains de fille noble qui, jointes très correctement sur le sein, disent aussi un peu trop à la bure sur laquelle elles tranchent, qu’elles étaient faites pour la pourpre. […] Ce n’était pas uniquement, comme ceux qui ne l’ont pas lue ont la bonté de le concéder, une femme supérieure par l’imagination, par la disposition poétique » exaltée par la prière et trouvant dans réchauffante macération de la Règle et du Cloître l’expression embrasée qui ressemble chez elle à un encensoir inextinguible, le cri qui épouvante presque les cœurs et qui fait croire que le Génie a des rugissements comme l’Amour !
On y sent l’erreur de l’esprit sous le talent qu’y déploie une imagination charmante et puissante à la fois, et cette erreur qu’on y sent, qu’on y entrevoit, qui s’y glisse partout et y respire, c’est la grande erreur de notre temps, cette erreur tranquille et souriante, aux yeux purs, au front pur, au cœur presque pur ; par-là d’autant plus dangereuse ! […] À côté de la niaiserie du bon sens pipé et de l’invention d’une bourgeoise sagesse, à côté de cette religion naturelle qui est, au fond, si on creuse bien, toute leur doctrine, ils dressent de grands mots qui font rêver les imaginations sans guide et ils pataugent dans l’Infini… Nous ne savons personne plus digne de pitié que ces espèces de philosophes qui n’ont pas même une philosophie complète pour remplacer une religion qu’ils n’ont plus, — qui prennent les ondoyantes et capricieuses lueurs de leur propre sentimentalité pour la ferme lumière de la conscience et vivent en paix avec eux-mêmes. […] On peut condenser en un mot la philosophie de ces vingt pages : « Toutes les religions — dit quelque part Dargaud avec une imagination qui l’égare — ressemblent à des nuées obscures à leur base et lumineuses à leur sommet. » Après une pareille conclusion, tout n’est-il pas dit, pour qui sait comprendre ? […] Il enseigne avec les arabesques au fusain d’un livre d’imagination et de fantaisie ; il enseigne en racontant des sentiments ou des sensations.
Son esprit, à l’origine de sa vie, a dû être trempé dans cet attendrissement dont Lamartine pénétra tout son siècle, au temps de sa jeunesse, quand, après le sang qu’avait fait couler ce terrible poète de Napoléon Bonaparte, ce fut au tour des larmes de couler… A ce moment unique dans l’Histoire, toutes les imaginations faites pour la poésie s’imbibèrent de celle-là, inconnue dans la littérature française, car avant Lamartine, excepté La Fontaine, en quelques vers trop rares, mais divins, quel poète français avait vraiment rêvé ? […] Achille du Clésieux, qui n’est pas seulement religieux, mais catholique, est resté ferme dans sa croyance et dans la vérité, malgré les orages de son âme et les entraînements d’une imagination qui est toujours un danger… Quand on vient de lire le poème d’Armelle, il est impossible de ne pas penser au poème de Jocelyn ; Jocelyn, ce chef-d’œuvre, dont le héros seul fait tache souvent dans la splendide lumière du poème, tandis que le héros d’Armelle fait toujours lumière dans le sien ! […] Les arts plastiques, qui sont la tyrannie de l’imagination et de la curiosité moderne, et qui ont pris parmi nous un développement qui tient de la rage, les arts plastiques ont profondément modifié la notion du style en le surchargeant d’ornementations et d’images, en le poussant aux reliefs et à la couleur, qui est un relief de plus… On voudrait écrire en rondes-bosses peintes, pour mieux entrer dans l’imagination.
Ils sont esthétiquement moins beaux, et par conséquent ils s’adressent moins à l’imagination que les pâtres de Miréio, ces figures de bas-reliefs qui vivent, mais ils parlent plus à la pensée. […] A cette heure, la civilisation est au Comtat, comme partout, malheureusement pour l’imagination. […] Dans ce roman, — qu’on pourrait appeler une immense tragi-comédie à tiroirs, et à tiroirs pleins de choses, — il y a un amour jeté là, en passant, cet amour exigé dans toutes les pièces françaises par l’imagination du public, mais cet amour n’est qu’une visée secondaire dans la préoccupation de l’auteur, sous la main duquel le vaste cœur compliqué des foules palpite mieux que les cœurs grêles de moineau de ses amoureux ! […] M. de La Madelène est un de ces esprits qui n’ont pas besoin de l’amour, cette tyrannie des imaginations françaises, pour se montrer moraliste profond et peintre dramatique passionné.
C’est du talent qui vise au petit pour en avoir plus tôt fait ; car nous sommes en chemin de fer pour l’imagination comme pour le reste, et viser au grand demande, pour y atteindre, du temps et de l’effort, — de l’effort, cet auxiliaire du temps, et le seul auxiliaire qui puisse l’abréger ! Or, parmi ces œuvres, petites à dessein, alors même que leur manque de grandeur ne vient pas d’impuissance, ce qui domine le plus dans la littérature du quart d’heure, par le nombre autant que par la valeur relative, c’est encore le roman, le roman dont l’imagination publique n’est jamais lasse et ne peut l’être jamais ; car le roman, pour elle, c’est la vie qui soulage de l’autre, ou qui nous en venge ; c’est la vie vraie, mais arrangée par le génie pour n’être ni tout à fait si plate ni tout à fait si bête que la réalité. […] L’auteur de Christian 35 est, à la vérité, également apte aux choses de l’imagination et de l’observation humaines et à celles de l’érudition et de l’observation littéraires ; mais jusqu’ici, dans le bruit et les hasards de sa renommée, ce sont ces dernières qui l’ont emporté. […] Et plus tard, plus tard encore, ce sera du conteur que l’on se souviendra le plus ; car l’Imagination touchée est la plus reconnaissante des facultés qui composent l’ensemble de notre ingratitude, et c’est aussi l’écho qui brise le moins la voix qu’il renvoie à cette pauvre chanteuse, à l’écho qu’on appelle fastueusement la gloire.
Séducteur pour le compte de la tombe, Gravillon est un poète, et son imagination est une Armide qui nous enlace dans des guirlandes de fleurs funèbres. Pour l’imagination charmeresse et charmante de cet humouriste consolateur et réconcilialeur avec l’idée terrible, la mort, c’est simplement la vie qui s’en va de l’autre côté, mais qui pour cela n’a pas changé d’essence. […] Il en sort par la rêverie, l’imagination et les fausses tendresses. […] Il a ce fil de la Vierge dont Guérin parlait quand il disait : Comme une vierge va dévidant son fuseau, L’imagination déroule en mon cerveau Son fil doré de poésie.
tant ils s’entassent et se pressent dans son imagination ! […] Ces idées, par elles-mêmes, inspirent à l’imagination une espèce de terreur qui n’est pas loin du sublime. Elles ont quelque chose d’indéfini ou de vaste, où l’imagination se perd ; elles réveillent dans l’esprit une multitude innombrable d’idées ; elles portent l’âme à un recueillement austère qui lui fait mépriser les objets de ses passions, comme indignes d’elle, et semble la détacher de l’univers. […] Il va, il vient, il retourne sur lui-même ; il a le désordre d’une imagination forte et d’un sentiment profond ; quelquefois il laisse échapper une idée sublime, et qui, séparée, en a plus d’éclat ; quelquefois il réunit plusieurs grandes idées, qu’il jette avec la profusion de la magnificence et l’abandon de la richesse.
On sait que Fontenelle est le premier qui ait orné les sciences des grâces de l’imagination ; mais, comme il le dit lui-même, il est très difficile d’embellir ce qui ne doit l’être que jusqu’à un certain degré. […] Je ne puis finir cet article sur les éloges des gens de lettres et des savants, sans parler encore d’un ouvrage de ce genre, qui porte à la fois l’empreinte d’une imagination forte et d’un cœur sensible ; ouvrage plein de chaleur et de désordre, d’enthousiasme et d’idées, qui tantôt respire une mélancolie tendre, et tantôt un sentiment énergique et profond ; ouvrage qui doit révolter certaines âmes et en passionner d’autres, et qui ne peut être médiocrement ni critiqué ni senti : c’est l’éloge de Richardson, ou plutôt, ce n’est point un éloge, c’est un hymne. […] Ce mélange d’imagination et de philosophie, de sensibilité et de force, ces expressions, tantôt si énergiques et tantôt si simples, ces invocations si passionnées, ce désordre, ces élans, et ensuite ces silences, et, pour ainsi dire, ces repos ; enfin cette conversation avec son lecteur, quelquefois si douce, et d’autrefois si impétueuse, tout cela s’empare de l’imagination d’une manière puissante, et laisse l’âme à la fin dans une émotion vive et profonde.
Quant aux figures dépensées, ou figures de passion, d’imagination, de raisonnement, elles ont été en général constituées par des grammairiens et des rhéteurs, qui, regardant le discours par le dehors, ont pris pour adresse de langage ce qui était le mouvement naturel de l’intelligence et de l’âme. […] Quand Andromaque rappelle la dernière nuit de Troie, elle ne fait pas une hypotypose ; elle exprime simplement ce qui se représente à son imagination. […] Aussi Pascal, dont la vive imagination saisissait avec force tous les rapports et toutes les oppositions des idées, et qui excellait à les rendre sensibles par des rapports et des oppositions pareilles de mots, comparait les vaines antithèses faites pour arrondir les phrases aux fausses fenêtres qu’on peint sur les murs pour la symétrie.
Il y avait, chez George Sand, avec une imagination ardente et une grande puissance d’aimer, un tempérament robuste et sain et un fonds de bon sens qui se retrouvait toujours. […] Elle a une imagination qui, naturellement et par un besoin irrésistible, transforme et embellit la réalité et trouve des combinaisons de faits imprévues et charmantes. […] Le mysticisme magnifique et vague de Spiridion ou de Consuelo, le socialisme un peu incohérent, mais vraiment évangélique, du Péché de Monsieur Antoine ou du Meunier d’Angibaut, la foi au progrès, l’humanitairerie… tout cela plaît chez cette femme excellente, à l’imagination arcadienne, parce que chez elle, encore une fois, tout vient du cœur et en déborde à larges flots.
C’est un homme doüé d’un jugement sain, d’une imagination prompte, et qui conserve le libre usage de ces deux facultez dans ce boüillonnement de sang qui vient à la suite du froid que la premiere vûë des grands dangers jette dans le coeur humain, comme la chaleur vient à la suite du froid dans les accès de fiévre. […] Mais les hommes n’ont pas le même empire sur leur imagination que sur leurs jambes. […] L’un et l’autre ne sont plus capables d’avoir dans le danger cette liberté d’esprit et d’imagination que les romains mêmes loüoient dans Annibal.
En premier lieu, les génies nez pour ces professions qui demandent beaucoup d’expérience et de la maturité d’esprit, sont formez plus tard que ceux qui sont nez pour ces professions, où l’on réussit avec un peu de prudence et beaucoup d’imagination. […] L’étenduë de l’esprit, la subtilité de l’imagination, l’application même ne sçauroient y suppléer. […] Comme l’imagination a plûtôt acquis ses forces que le jugement ne peut avoir acquis les siennes, les peintres, les poëtes, les musiciens et ceux dont le talent consiste principalement dans l’invention, ne sont pas si long-temps à se former.
Le tableau de ce duel au sabre, de ce duel à mort, dans une écurie close, derrière la croupe des lourds chevaux et sous la lumière fantastique d’une lanterne, n’est point d’une imagination médiocre. Il est triste que cette imagination soit éteinte ; il est triste que tout passe et il est triste que nous ne puissions même pas concevoir un monde où rien ne passerait.
Sainte-Beuve Armand Renaud, après s’être terriblement risqué aux ardentes peintures d’une imagination aiguë et raffinée, en est venu à chanter ses propres chants, à pleurer ses propres larmes ; maître achevé du rythme, de recherches en caprice, et après avoir épuisé la coupe, il a trouvé des accents vraiment passionnés et profonds. […] Armand Renaud s’était « terriblement risqué aux ardentes peintures d’une imagination aiguë ».
Il y a tant d’imagination, d’effet, de magie et de facilité ! […] Ils ont ce me semble, la même imagination, le même goût, le même style, le même coloris.
Enfin les Provinciales sont un acte de bon goût, et comme de salubrité esthétique et littéraire : il était bon, au temps où la littérature profane allait se débarrasser du romanesque espagnol, de barrer la route aussi aux fantaisies extravagantes où l’imagination religieuse se complaisait de l’autre côté des Pyrénées. […] Il y a là un art singulier de traduire les idées abstraites en actes, en gestes, en accents, en un mot une réelle force d’imagination dramatique. […] Tout, ainsi, est argument, et tout est efficace, véhémence et raillerie, logique abstraite et dramatique imagination. […] Il est curieux de remarquer combien Pascal, sur les sujets de morale individuelle ou générale, a l’intelligence et l’imagination obsédées par les Essais. […] Ici d’amples raisonnements, là un mot saisissent l’imagination frissonnante.
Le même charme qui attirait nos pères nous y attire nous-mêmes, quoique nous n’ayons plus le tour d’imagination de l’époque, qui faisait aimer jusqu’aux défauts d’une si charmante nouveauté. […] Elle s’y oblige par les plus fortes raisons ; elle y appelle son imagination au secours de sa conscience, qui va fléchir ; elle s’y engage de réputation par l’éclat de ses plaintes devant le roi. […] A la différence du théâtre espagnol, où l’art du poète consiste à dérouter cette logique intérieure, qui de certaines causes conclut par pressentiment certains effets, et à amuser l’imagination de l’embarras même où il jette la raison, l’art du poète, dans le théâtre antique, est de développer cette logique, et de faire profiter la raison des plaisirs de l’imagination. […] Alors il peut recevoir toutes les beautés du langage ; car, au lieu d’être imité du tour d’imagination d’une époque, il est tiré du fond du cœur humain, cette source inépuisable où Boileau nous conseille d’en aller chercher la peinture. […] Si la poésie est à la fois un langage, une peinture et une musique, si elle doit plaire à l’âme, à l’imagination et à l’oreille, il restait à faire connaître, après le style de Corneille, plus oratoire que poétique, plus énergique qu’harmonieux, plus ferme que varié, où il y a plus de feu que de douceur et plus de mouvement que d’images, un style qui réunît à toutes les beautés du style de Corneille, dans des vérités dramatiques du même ordre, toutes les beautés propres aux vérités dramatiques qui restaient à exprimer ; un style qui contentât la raison par l’exactitude des paroles, l’âme par leur accent, l’imagination par leur éclat, l’oreille par leur harmonie.
Quand il a réussi à encadrer dans quelques rimes riches et insignifiantes un beau vers, un trait d’imagination ou de sentiment sur lequel s’arrêtera l’attention du lecteur, l’artiste est content, ou plutôt il est à bout. […] Il y a tout un côté dans la science par où elle agit profondément sur le sentiment et sur l’imagination, et c’est par ce côté qu’elle appartient à la poésie. […] Il ne tient qu’aux poètes d’oser y faire d’abondantes moissons, s’ils ne trouvent ailleurs que les restes des imaginations souveraines et des fantaisies superbes qui ont épuisé le champ pour plusieurs générations. […] Avec son imagination savante, quels riches tableaux il aurait pu tracer ! […] Il y aurait eu là de larges horizons à nous ouvrir, de ce côté de l’humanité passée qui prête tant à l’imagination, et certes de pareils sujets étaient dignes de tenter un poète tel que M.
Étonner l’esprit, frapper les imaginations, émouvoir fortement, c’était là toute sa poétique. […] Mais la logique pure tient-elle contre les vives impressions de l’imagination ? […] C’était, quand on ne pouvait parler aux imaginations, de parler aux passions. […] Aisément nous sommes dupes de notre sensibilité ou de notre imagination. […] Les imaginations, au-delà du Rhin, sont ardentes, les esprits prompts à s’enflammer.
Le merveilleux chrétien, d’accord avec la raison, les sciences et l’expansion de notre âme, s’enfonce de monde en monde, d’univers en univers, dans des espaces où l’imagination effrayée frissonne et recule. […] De globes en globes, de soleils en soleils, avec les Séraphins, les Trônes, les Ardeurs, qui gouvernent les mondes, l’imagination fatiguée redescend enfin sur la terre comme un fleuve qui, par une cascade magnifique, épanche ses flots d’or à l’aspect d’un couchant radieux.
Martin68, a vu, non pas naître, mais se développer avec une faveur toute nouvelle deux hypothèses peu conciliables, et pourtant acceptées alors avec enthousiasme par les mêmes esprits, parce qu’elles dérivent d’une même source, de la passion pour le nouveau et l’inconnu, savoir : l’hypothèse du progrès indéfini de l’humanité, et l’hypothèse d’un âge d’or des sciences mathématiques et physiques près du berceau du genre humain. » En effet, dans le temps même où Turgot traçait pour l’humanité le programme d’une marche ascendante et d’un progrès indéfini, que Condorcet devait développer avec une sorte de fanatisme et pousser aux dernières limites, jusqu’à dire que la mort pour l’homme pourrait se retarder indéfiniment, Buffon, Bailly se reportaient en arrière vers un âge d’une date non assignable, dans lequel ils plaçaient je ne sais quel peuple sage, savant, inventeur à souhait, et créaient un véritable âge d’or pour des imaginations d’académiciens. Les Gessner, les Florian n’opéraient qu’en petit pour les imaginations de femmes et d’enfants, pour les amoureux, les cœurs tendres et les têtes légères ; ils faisaient un âge d’or de petits bergers. […] Hâtons-nous de dire que Bailly ne paraît nullement avoir songé à en faire une arme contre la tradition ni contre des croyances révérées, comme plus tard cela se vit dans l’arsenal de Dupuis où s’arma Volney ; Bailly, plaidant entre Buffon et Voltaire, ne songeait qu’à défendre avec agrément et vraisemblance une opinion qui lui avait souri en étudiant les anciens peuples, à tirer tout le parti possible d’un jeu de la science et de l’imagination, et à satisfaire ce besoin d’un âge d’or en grand, qui était un des caractères optimistes de son temps et de son propre esprit. […] En même temps qu’il admet que le souvenir du Déluge se montre partout comme un fait historique conservé par la tradition et dont l’idée funeste ne serait point venue naturellement à l’homme, il reconnaît que le souvenir de l’âge d’or peut être le produit d’une imagination heureuse et complaisante qui jette des reflets sur le passé, et pourtant il répugne à y voir une pure fiction : « J’y vois les embellissements de l’imagination, dit-il, mais j’y crois découvrir un fond réel.
Ramond, c’est le Saussure des Pyrénées, aussi fidèle observateur, aussi rigoureux que l’illustre Genevois, moins simple dans l’exposé des grands spectacles, mais plus ému, plus coloré, animé d’une sensibilité plus poétique et doué d’une imagination qui, loin de l’égarer comme tant d’autres, ne fait que rendre le vrai avec plus de vie. C’est l’éloge que lui accorde Cuvier juge peu suspect en matière d’imagination. […] Des sentiments personnels se joignaient à ce qui n’était qu’imagination et rêve : il aimait. […] Il s’est introduit je ne sais quel purisme pédantesque, je ne sais quel esprit grammatical qui rétrécit l’âme, refroidit l’imagination, éteint les hardiesses, s’oppose à tout élan passionné, anéantit la poésie et défigure entièrement l’éloquence. […] De tous les hommes qu’il souhaitait de connaître, ce fut pourtant Lavater seul qui surpassa son attente : Il n’existe point d’homme peut-être, dit-il, dont l’imagination soit aussi brûlante, et la sensibilité aussi profonde ; il entraîne, il subjugue ; son langage est d’une naïveté populaire, et cependant d’une éloquence à laquelle il est impossible de résister.
Il faut l’entendre là-dessus ; son imagination aimable se déploie : Rien ne désole et ne flétrit la vie, se dit-il, comme la crainte de la mort. […] Ces années d’heureuse adolescence à Yverdun, où il était « roi de son temps et seigneur de ses heures », où il déchiffrait ses auteurs sans dictionnaire et lisait tant bien que mal Horace en parcourant la campagne ou perché entre les branches d’un vieux cognassier, lui laissèrent dans l’imagination un tableau d’âge d’or ineffaçable. […] Il essaya aussi, mais infructueusement, de le ramener du déisme au christianisme positif ; le résultat le plus net de tous ses efforts fut de lui donner le goût de l’observation intérieure et de lui transmettre quelque chose de ses procédés ingénieux pour cette fine analyse des phénomènes de l’imagination et de la sensibilité, où il était maître. […] Je crois que Gray n’avait jamais aimé, c’était le mot de l’énigme ; il en était résulté une misère de cœur qui faisait contraste avec son imagination ardente et profonde qui, au lieu de faire le bonheur de sa vie, n’en était que le tourment. […] Je ne sais absolument qu’en penser ; c’est à vous de voir et d’en savoir davantage ; mais n’épargnez aucun moyen pour soumettre au frein ces imaginations capricieuses et vagabondes, s’il y a place pour un bon conseil… Ce Bonstetten wertherien, hâtons-nous de le dire, excède et dépasse de beaucoup le Bonstetten naturel, habituel, celui qui va durer, fleurir et se renouveler jusqu’à la fin, et qui, après avoir été un si séduisant jeune homme, parut à tous un si agréable vieillard.
Michelet l’a faite sienne à force de volonté et de talent, qu’il l’a portée à un point où elle est unique, qu’il y est désormais passé maître ; et comme les conseils seraient parfaitement inutiles, j’accepte l’homme de savoir, d’imagination et de cœur pour ce qu’il est ; je le prends dans les étincelants et hasardeux produits qu’il nous donne ; je fais mon deuil de ce qui me choque, je rends justice et hommage à de merveilleux endroits et j’en profite. […] Par les férocités, le manque d’équilibre et le déchaînement des passions brutales jointes aux vivacités et aux caprices de l’imagination, il y avait l’étoffe d’un monstre. […] Une vapeur maligne et farouche trouble et noircit son imagination, comme l’encre de son écritoire barbouille ses doigts. […] Il faut lire encore la Médaille, c’est-à-dire le beau côté et son revers : non plus une simple copie d’après nature, mais une invention ingénieuse de cette imagination charmante et souple qui savait prendre toutes les formes pour s’insinuer et persuader. […] Mais, lors même qu’il gronde et châtie, comme tout cela rit et parle à l’imagination en même temps que cela va droit à la raison !
Cette panique, qui peut tenir à l’effroi des imaginations frappées autant qu’à la réalité même, cette espèce de bacchanale universelle de la nature physique, telle qu’à la rigueur elle peut paraître à des gens ivres et être vue à travers le vertige, est décrite avec une vraie verve d’orgie. […] Le paysage est tout à fait dans le style du Poussin, et quelques traits ont suffi pour dessiner dans la perfection le fond sur lequel se détachent les personnages. » Ils en reparlèrent encore les jours suivants ; mais ce fut dans la conversation du 20 mars 1831, pendant le dîner, que les idées échangées entre Gœthe et son disciple épuisèrent le sujet ; on y trouve le jugement en quelque sorte définitif sur cette production charmante, Goethe venait de relire l’ouvrage dans le texte de Courrier-Amyot, et il en était plein ; son imagination tout hellénique s’en était sentie consolée et rajeunie : « Le poème est si beau, disait-il, que l’on ne peut garder, dans le temps misérable où nous vivons, l’impression intérieure qu’il nous donne, et chaque fois qu’on le relit, on éprouve toujours une surprise nouvelle. Il y règne le jour le plus limpide ; on croit ne voir partout que des tableaux d’Herculanum, et ces tableaux ; réagissant à leur tour sur les pages du livre viennent on aide à notre imagination pour la lecture. » Que de chemin nous avons fait, que d’étapes et quel retour vers la vraie Grèce depuis Bayle et le docte évêque d’Avranches ! […] Tout cela est de la plus grande beauté… » J’abrège encore ; le noble vieillard resté Grec, et redevenu enfant, se complaisait évidemment, une dernière fois, à se reposer par l’imagination sur des cadres heureux et des fronts ingénus, doués de la seule pureté naturelle. […] Tout ce qu’il a dit à cet égard est juste : ce qu’il faut reconnaître en effet, c’est que ce sont deux œuvres parfaites, achevées, chacune dans son genre : Bernardin de Saint-Pierre, ce Grec d’imagination et de goût, s’est inspiré de l’une pour faire l’autre, et la faire un peu autrement ; il a vu, il a deviné au premier coup d’œil ce qu’il devait introduire de neuf dans la même donnée, pour inventer et réussir à la moderne ; non content de renouveler le paysage, il a renouvelé les âmes ; il les a montrées aussi naïves, aussi primitives, mais travaillées et comme perfectionnées à leur insu par l’air qu’elles ont respiré, par la nourriture qu’elles ont reçue des parents.
On ne trouvera donc dans notre fable ni comique, ni éloquence, ni tendresse ; point de ces accents qui révèlent un élan de l’âme, ni de ces saillies qui laissent deviner un sourire, ni de ces tons variés qui expriment les mouvements sinueux d’une imagination légère. […] Ils sont si vivants et si présents dans l’imagination qu’on suit involontairement les changements de leur visage et les mouvements de leur âme. […] Il mêle ses sentiments à son récit ; il juge ses personnages, il a oublié qu’ils sont des fictions ; il les raille ou en prend pitié, les gourmande ou les admire ; il monte avec eux sur le théâtre, et devient lui-même le principal spectacle ; nous connaissons dorénavant ses goûts, ses habitudes, son histoire même ; nous suivons à chaque ligne les mouvements de son imagination ou de son âme. […] Nous nous arrêtons à mi-chemin et l’imagination seule pousse jusqu’au bout de la carrière. […] »211 Vienne l’occasion, et l’ambition, nourrie par toute la véhémence et toute la ténacité de cette imagination exaltée, se tournera en démence, et l’homme, poussé de crime en crime par un destin intérieur, hors de soi, les yeux fixés vers ses visions funèbres, marchera, à travers les meurtres, vers sa ruine inévitable.
Certains sujets sont inépuisables : la vanité, l’orgueil, l’imagination, l’amitié, l’amour, les femmes, etc. Les « piperies » de l’imagination se renouvellent en partie avec les âges. […] On prend la réflexion la plus vulgaire et on lui donne, par une image imprévue, une apparence de nouveauté. « Notre imagination dépasse ordinairement ce que nous apporte la réalité », voilà certes une pensée qui n’a rien de rare. […] Nous nous rappelons que l’imagination est « la folle du logis » : c’est une première indication. Creusons ce mot logis et nous ne tarderons pas à écrire : L’imagination est une maîtresse d’auberge qui a toujours plus de chambres que de clients.
Observons encore ici qu’une spirale et des cercles sont une de ces idées simples, avec lesquelles on obtient aisément une éternité : l’imagination n’y perd jamais de vue les coupables et s’y effraye davantage de l’uniformité de chaque supplice : un local varié et des théâtres différents auraient été une invention moins heureuse. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme. […] On se demande, après l’avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différents, qu’il semble avoir épuisé les ressources de la vengeance divine ; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies, et, dans une carrière de trente-quatre chants, se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers. […] Un idiome étranger, proposant toujours des tours de force à un habile traducteur, le tâte pour ainsi dire en tous les sens : bientôt il sait tout ce que peut ou ne peut pas sa langue ; il épuise ses ressources, mais il augmente ses forces, surtout lorsqu’il traduit les ouvrages d’imagination, qui secouent les entraves de la construction grammaticale, et donnent des ailes au langage. […] Il y a dans la fable autant de législateurs que de poëtes, et il ne faut pas donner un code à l’imagination.
Les romantiques vivent dans l’imagination comme le poisson dans l’eau et ont la crainte de la vérité comme le poisson de la paille. […] C’est leur vocation, leur prédestination et leur office propre d’écarter la vérité après que, pendant une certaine période de temps, des écrivains, en s’y attachant trop, ont appauvri l’imagination d’un peuple et comme desséché son esprit. […] Il était moins net dans la réalité ; mais je l’ai vu. » Les personnages de Molière et de Balzac sont grossis, amplifiés, élargis, déformés déjà, parce que Molière et Balzac ont de l’imagination, mais ils sont très vrais en leur fond et ils nous font dire : « Je l’ai vu. […] Et le tic est un geste énorme, parce que l’auteur a une imagination grossissante en même temps qu’elle est pauvre et peu nourrie ; mais ce n’est qu’un tic. […] Mais dans ces mêmes auteurs, ou encore mieux dans leurs imitateurs ridicules, le mot cru et gros, la couleur violente et aveuglante, la description acharnée qui ne demande à l’intelligence aucun effort et qui fait simplement tourner le cinématographe, le relief des choses, cathédrale, quartier, morceau de mer, champ de bataille, aussi l’imagination débordante et enlevante, qui vous entraîne vers des hauteurs ou des lointains confus comme dans la nacelle d’un ballon, toutes ces choses qui ne demandent au lecteur aucune collaboration, qui le laissent passif tout en le remuant et l’émouvant ; aussi et enfin une misanthropie qui ne donne pas ses raisons et qui ne nous fait pas réfléchir sur nous-mêmes, mais seulement flatte en nous notre orgueil secret en nous faisant mépriser nos semblables sans nous inviter à nous mépriser nous-mêmes : voilà ce que le lecteur illettré de 1840 voit, admire et chérit dans les romantiques ; voilà la déformation du romantisme dans son propre cerveau mal nourri, dans la misère physiologique de son esprit.
L’expression exige une imagination forte, une verve brûlante, l’art de susciter des fantômes, de les animer[,] de les agrandir ; l’ordonnance, en poésie ainsi qu’en peinture, suppose un certain tempérament de jugement et de verve, de chaleur et de sagesse, d’ivresse et de sens froid dont les exemples ne sont pas communs en nature. […] C’est que ces hommes sont sans imagination, sans verve. […] Le peintre de genre de son côté regarde la peinture historique comme un genre romanesque, où il n’y a ni vraisemblance ni vérité, où tout est outré ; qui n’a rien de commun avec la nature ; où la fausseté se décèle et dans les caractères exagérés qui n’ont existé nulle part, et dans les incidents qui sont tous d’imagination ; et dans le sujet entier que l’artiste n’a jamais vu hors de sa tête creuse ; et dans les détails qu’il a pris on ne sait où, et dans ce style qu’on appelle grand et sublime, et qui n’a point de modèle en nature, et dans les actions et les mouvements des figures, si loin des actions et des mouvements réels. […] Mais en laissant aux mots les acceptions reçues, je vois que la peinture de genre a presque toutes les difficultés de la peinture historique ; qu’elle exige autant d’esprit, d’imagination, de poésie même ; égale science du dessin, de la perspective, de la couleur, des ombres, de la lumière, des caractères, des passions, des expressions, des draperies, de la composition ; une imitation plus stricte de la nature, des détails plus soignés ; et que nous montrant des choses plus connues et plus familières, elle a plus de juges et de meilleurs juges. […] Qu’est-ce que cela signifie, sinon que la peinture d’histoire demande plus d’élévation, d’imagination peut-être, une autre poésie plus étrange ; la peinture de genre, plus de vérité ; et que cette dernière peinture, même réduite au vase et à la corbeille de fleurs, ne se pratiquerait pas sans toute la ressource de l’art et quelque étincelle de génie, si ceux dont elle décore les appartements avaient autant de goût que d’argent ?
Vous avez tous cru — même vous, Monsieur Sainte-Beuve, qui voulez que mes opinions en morale soient la religion de l’avenir, — que j’étais un écrivain d’ordre philosophique, ayant des idées sociales à faire triompher, écrivant des romans comme Rousseau pour prêcher et enseigner quelque chose ; espérant arriver à soulever par l’imagination, cette grande force, tous les sentiments de la vie contre la Loi et l’Opinion, — ces choses mal faites. […] l’enfant gâtée du public qu’elle fut toute sa vie, se retrouve dans la légèreté avec laquelle elle nous affirme, après tant d’années d’effet funeste sur l’imagination contemporaine, qu’elle est innocente comme l’enfant qui vient de naître ; — et prétend nous imposer, rien qu’en se récriant, une opinion qui demanderait qu’on se mît en quatre pour la prouver ; se flattant sans doute qu’à son premier petit souffle, — tout-puissant, — elle nous fera tourner comme des girouettes ! […] Le prudhommisme de l’image est le lieu commun éculé, usé, effacé, la honte de l’imagination, cette ambitieuse de nouveauté, qui n’en est jamais rassasiée. […] Prenez-les donc ces Lettres à Marcie, et donnez-moi un démenti si vous pouvez, quand je dis que Mme George Sand a l’imagination (l’imagination dans le style), impuissante et vulgaire.
Car, en imagination comme en tout, il y a des degrés. […] Son imagination riche et intense évoquait avec une force supérieure. […] Ce qui reste inaltérable, c’est le style pur et majestueux, la fraîche imagination de l’auteur. […] L’imagination serait-elle aussi un élément de ses œuvres ? […] Son imagination était riche, sa palette descriptive variée, son invention abondante.
Il n’a pas consenti à suivre dans ses prévisions presque lamentables l’imagination éloquente de son collègue, comme lui-même s’est empressé de le dire. […] Peisse, un de ces écrivains discrets que deux ou trois hommes d’imagination font profession d’admirer beaucoup pour se donner des airs judicieux. » — Le fait est que M.
François Coppée Dans la retraite où je travaille, mon cher Goudeau, votre nouveau livre de vers, Chansons de Paris et d’ailleurs, m’apporte une bouffée des parfums de la grande ville et me transporte en imagination sur le boulevard Montmartre, par un après-midi ensoleillé, quand quelques consommateurs peu frileux s’installent aux terrasses des cafés, quand la fleuriste tortille ses bouquets près du kiosque et que l’atmosphère humide et tiède de l’avant-printemps sent l’absinthe et les violettes. […] Je retrouve, dans la Graine humaine, la verve robuste, l’art léger et sain, et l’imagination souriante qui constituent la physionomie littéraire de Goudeau et lui assignent une des places en vue parmi les écrivains de tradition française.
En effet c’est une propriété innée de l’âme humaine d’aimer l’uniformité ; lorsqu’elle est encore incapable de trouver par l’abstraction des expressions générales, elle y supplée par l’imagination ; elle choisit certaines images, certains modèles, auxquels elle rapporte toutes les espèces particulières qui appartiennent à chaque genre ; ce sont pour emprunter le langage de l’école, des universaux poétiques. […] Lorsque l’esprit humain s’habitua à abstraire les formes et les propriétés des sujets, ces universaux poétiques, ces genres créés par l’imagination (generi fantastici), firent place à ceux que la raison créa (generi intelligibili), c’est alors que vinrent les philosophes ; et plus tard encore, les auteurs de la nouvelle comédie, dont l’époque est pour la Grèce celle de la plus haute civilisation, prirent des philosophes l’idée de ces derniers genres et les personnifièrent dans leurs comédies.
L’absence complète d’imagination chez La Motte semble une qualité et un mérite de plus à Marivaux : « La composition de M. de La Motte tient de l’esprit pur, dit-il ; c’est un travail du bon sens et de la droite raison ; ce sont des idées d’après une réflexion fine et délicate, réflexion qui fatigue plus son esprit que son imagination. » Il le félicite d’être parfaitement étranger à l’enthousiasme, de ne se laisser jamais emporter, comme quelques autres, à un train d’idées ordinaires et communes, montées sur un char magnifique ; il lui accorde une vivacité toute spirituelle, d’une espèce unique et si fine qu’il est donné à peu de gens de la goûter. En définissant le genre de talent de La Motte, il va nous définir une partie de son talent à lui-même, ou du moins de son idéal le plus sévère, tel qu’il le conçoit : L’expression de M. de La Motte, dit-il, ne laisse pas d’être vive ; mais cette vivacité n’est pas dans elle-même, elle est toute dans l’idée qu’elle exprime ; de là vient qu’elle frappe bien plus ceux qui pensent d’après l’esprit pur, que ceux qui, pour ainsi dire, sentent d’après l’imagination. Cette vivacité d’esprit dont je parle a cela de beau qu’elle éclaire ceux qu’elle touche, elle les pénètre d’évidence : on en aperçoit la sagesse et le vrai, d’une manière qui porte le caractère de ces deux choses, c’est-à-dire distincte ; elle ne fait point un plaisir imposteur et confus, comme celui que produit le feu de l’imagination ; on sait rendre raison du plaisir que l’on y trouve. […] Il lui faut une expression qui fixe positivement ses idées ; et c’est de cette justesse si rare que naît cette façon de s’exprimer simple, mais sage et majestueuse, sensible à peu de gens autant qu’elle le doit être, et que, faute de la connaître, n’estiment point ces sortes de génies qui laissent débaucher leur imagination par celle d’un auteur dont le plus grand mérite serait de l’avoir vive. […] Montesquieu, dans les Lettres persanes, est plein de ces expressions neuves et vives, qui parlent à l’imagination, et qui se font applaudir et accepter.
Qu’un écrivain aimable et romanesque, un Nodier, par exemple, se joue à mille passions, à mille fantaisies et à des excès de tout genre, on le conçoit, on le lui pardonne, on l’en remercie même si son imagination et ses écrits en profitent ; mais si les passions à l’abandon débordent et font irruption dans l’existence d’un homme public, on lui en demande compte. […] Les mots de ce genre, frappants en eux-mêmes, ont l’inconvénient de tuer la conversation ; ce sont, pour ainsi dire, des coups de fusil qu’on tire sur les idées des autres, et qui les abattent. » Benjamin Constant avait de ces comparaisons spirituelles, qui jouent l’imagination : d’imagination proprement dite, il ne faut pas songer à lui en demander. […] Quand l’orage arrive, la poussière est de la fange. » Il a dans le style de ces soubresauts d’imagination et qui ne se soutiennent pas ; cela me fait l’effet des poissons volants et qui, n’étant point faits pour voler, retombent bientôt. […] Je définirai l’un, un sceptique qui avait une haute imagination et le sentiment de l’honneur ; l’autre, un sceptique qui avait des lumières, le sentiment de l’opinion publique et prodigieusement d’esprit ; — trop d’esprit, comme l’autre avait trop d’imagination.
La chose littéraire (à comprendre particulièrement sous ce nom l’ensemble des productions d’imagination et d’art) semble de plus en plus compromise, et par sa faute. […] L’imagination n’était guère encore en éveil que chez les talents d’élite. […] Mais, il faut le dire, avec toute l’estime qu’inspirent de semblables travaux, l’entière gloire littéraire d’une nation n’est pas là ; une certaine vie même, libre et hardie, chercha toujours aventure hors de ces enceintes : c’est dans le grand champ du dehors que l’imagination a toutes chances de se déployer. […] C’est à la littérature imprimée, à celle d’imagination particulièrement, aux livres auparavant susceptibles de vogue, et de degré en degré à presque tous les ouvrages nouveaux, que le mal, dans la forme que nous dénonçons, s’est profondément attaqué. […] Homme d’imagination et de fantaisie, il la porte trop aisément en des sujets qui en sont peu susceptibles, et il pousse, sans y songer, à des conséquences fabuleuses dont chaque œil peut redresser de lui-même l’illusion.
On la suit dès le berceau, on assiste à ses jeux, à ses rêveries d’enfance, à son mariage, à sa première vie diplomatique, à ce premier débordement d’imagination qui cherchait un objet idéal, même dans son sage mari ; on la voit, à Venise (1784-1786), laissant s’exalter près d’elle la passion d’Alexandre de Stakieff, le jeune secrétaire d’ambassade, dont elle fera plus tard le Gustave de Valérie, ne favorisant pas ouvertement cette passion, ne la partageant pas au fond, mais en jouissant déjà et certainement reconnaissante. […] C’était dans les premiers temps un parti pris chez elle d’aimer, d’admirer son mari : « On ne sait d’abord, écrivait-elle, ce qu’on aime le plus en lui, ou de sa figure noble et élevée, ou de son esprit qui est toujours agréable et qui s’aide encore d’une imagination vaste et d’une extrême culture ; mais, en le connaissant davantage, on n’hésite pas : c’est ce qu’il tire de son cœur qu’on préfère ; c’est quand il s’abandonne et se livre entièrement qu’on le trouve si supérieur. […] C’est un parti pris chez elle ; elle était forte pour les partis pris, et son imagination ensuite, sa faculté d’exaltation et de sensibilité tenaient la gageure. […] Eynard me suppose plus d’imagination que je n’en ai en réalité ; il se croit trop sûr de m’avoir réfuté à l’aide du Journal de Mme Armand. […] « A qui voyons-nous quitter le vice dans le temps qu’il flatte son imagination, dans le temps qu’il se montre avec des agréments et qu’il fait goûter des délices ?
Rotrou : imagination originale. […] Il choisit, comme suite des causes psychologiques, des faits extraordinaires qui secouent violemment ou saisissent fortement l’imagination : ainsi ce terrible cinquième acte de Rodogune, amené par quatre actes qui, malgré Cléopâtre et ses éclats furieux, restent en somme assez calmes. […] Il n’a même pas beaucoup de couleur, sinon dans les sujets où l’imagination espagnole jette encore ses feux à travers le langage raisonnable de l’auteur français. […] J’ai déjà dit que Corneille avait surtout l’imagination mécanique : il ne voit, et son style ne note que les forces qu’il met en action. […] Il a gardé ses défauts, son insouciante improvisation, ses négligences, mais ses qualités aussi, une imagination et une sensibilité lyriques, qui, dans certaines scènes pittoresques ou mélancoliques, donnent une saveur tout à fait originale à ses pièces.
Mais voici par où il sort du romantisme : il a senti le besoin de dompter son imagination, et il s’est mis à la rude école de la nature. […] Le fanatisme artistique de Flaubert n’est pas griserie d’imagination ni expansion de sympathie : c’est la dernière étape d’une pensée philosophique, qui n’a point voulu s’arrêter dans le scepticisme pessimiste. […] Zola ne nous a-t-il pas confié lui-même, dans une lettre rendue publique, que son roman du Rêve était une « expérience scientifique » conduite « à toute volée d’imagination »? […] Il a un talent vulgaire et robuste, où domine l’imagination. […] Zola : cinq ou six de ses romans sont des visions grandioses qui saisissent l’imagination.
Elle grandissait sous l’œil d’une mère femme d’esprit, toute au monde, qui portait de la verve et une sorte d’imagination dans la plaisanterie, qui a eu de la finesse et de la sensibilité dans le roman, et qui a compté à son heure, comme dirait notre vieux Brantôme, à la tête de l’escadron des plus belles femmes de son temps. […] Cette belle jeune fille ne sait pas, en général, dégager son imagination des types convenus (chevalier français, beau Dunois, muse de la patrie) ; elle se prend à ces types naturellement, de bonne foi, mais trop en idolâtre et par les dehors. […] Je me composais une sorte de paradis de neige assez agréable… » Un paradis de neige, ce sont de ces mots qui indiquent de l’imagination dans l’esprit, et comme il en échappe si souvent à Mme de Girardin en causant ; sa conversation en est toute semée. Quand elle ne veut avoir que beaucoup d’esprit (et elle n’a pas même à vouloir pour cela), elle paraît avoir assez d’imagination dans l’expression. […] L’auteur écrit ces petits feuilletons si légers, d’un style des plus nets, et les compose avec un art parfait ; l’imagination aussi s’en mêle.
À quoi cette poésie peut-elle servir, sinon à égarer notre bon sens, à jeter le désordre dans nos pensées, à troubler notre cerveau, à pervertir nos instincts, à fêler nos imaginations, à corrompre notre goût, et à nous remplir la tête de vanité, de confusion, de tintamarre et de galimatias ? […] Shakespeare est, avant tout, une imagination. Or, c’est là une vérité que nous avons indiquée déjà et que les penseurs savent, l’imagination est profondeur. Aucune faculté de l’esprit ne s’enfonce et ne creuse plus que l’imagination ; c’est la grande plongeuse. […] Dans les sections coniques, dans les logarithmes, dans le calcul différentiel et intégral, dans le calcul des probabilités, dans le calcul infinitésimal, dans le calcul des ondes sonores, dans l’application de l’algèbre à la géométrie, l’imagination est le coefficient du calcul, et les mathématiques deviennent poésie.
Est-ce la puissance de l’imagination ? […] En présence de cette notion colossale de l’Éternité et de l’Enfer, l’Imagination exige davantage. […] Le sublime a ses lois d’optique, et l’Imagination n’y consentait pas. […] Le nouveau poète de l’Enfer est une imagination plastique du premier ordre. […] Mais si, comme je le crois, il n’y a rien de plus puissant, dans le monde, sur l’imagination étonnée, que la profondeur sous la légèreté, c’est un livre qui fera cette charmante surprise du sérieux caché sous la grâce, et la grâce dans ses plus ravissantes audaces, dans ses plus adorables folies !
Sans me permettre de contredire cette vue, qui se lie étroitement à la croyance, je ferai seulement remarquer que tel n’était point exactement le dessein primitif de Pascal, et que, tout en insistant au début sur les preuves morales intérieures, il n’aurait rien négligé, dans son ouvrage, de ce qui pouvait saisir l’imagination des hommes et déterminer indirectement leur persuasion. […] Il y a neuf ans278, je revenais de Rome, — de Rome qui était encore ce qu’elle aurait dû toujours être pour rester dans nos imaginations la ville éternelle, la ville du monde catholique et des tombeaux. […] Il me semble qu’après beaucoup d’éloges un peu de sympathie doit vous plaire ; j’offre la mienne à l’emploi que vous faites de votre talent, qui ne s’est pas contenté d’intéresser l’imagination et d’effleurer l’âme, mais qui veille aux intérêts sacrés de la vie humaine ; et moi, qu’une espérance sérieuse a pu seule faire écrivain, je suis heureux que vous ayez reconnu en moi cette intention, que vous l’ayez aimée ; et j’accepte avec reconnaissance les vœux par où vous terminez votre article.
Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination. […] Hugo je ne sais quel travers d’imagination contre lequel le goût français se soulève. […] Il n’y aurait là qu’une orgie d’imagination jusqu’à un certain point excusable, si M.
Non-seulement la fermentation qui prépare un orage agit sur notre esprit, de maniere qu’il devient pesant et qu’il nous est impossible de penser avec la liberté d’imagination qui nous est ordinaire, mais cette fermentation corrompt même les viandes. […] Vida qui étoit poëte, avoit éprouvé lui-même plusieurs fois ces momens où le travail d’imagination devient ingrat, et il les attribuë à l’action de l’air sur notre machine ; on peut dire en effet que notre esprit marque l’état présent de l’air avec une exactitude approchante de celle des barometres et des thermometres. […] Le grand froid glace l’imagination d’une infinité de personnes.
Aussi, quand d’un autre côté le somnambulisme et le magnétisme, quelles que soient la sûreté et la certitude de leurs résultats, sont assez puissants, comme expériences et comme recherches, pour forcer à compter avec eux la science dédaigneuse des académies, quand la gloire d’Edgar Poe, de ce poète inouï, de ce visionnaire sans classement connu et appréciable parmi les hommes livrés à la contemplation intuitive des choses occultes, commence à poindre et à se lever, quelle heure serait plus favorable pour écrire l’histoire de la sorcellerie, du phénomène qui a le plus attiré et épouvanté l’imagination des hommes, et qui, s’il ne l’épouvante plus, l’attire toujours ? Le rationalisme fait trop bon marché, en vérité, de l’imagination. […] Dans ces passages, — et nous citerons entre autres la belle légende de l’enchanteur Merlin, rajeunie par la manière dont elle est contée, — il est évident que la plume de ce rationaliste, qui vaut mieux que sa philosophie, a tout ce qu’il faut pour tracer à l’imagination sa plus belle histoire : abondance, vigueur, grâce parfois, et toujours le rayon qui est le talent, cette autre sorcellerie qui a aussi son bûcher, mais en nous-mêmes, et que, comme l’autre, on n’éteint pas !
Les premières lettres de son Werther expriment cette disposition enivrée et enchantée avec un feu, une vie, un débordement d’expression que rien n’égale et que lui-même, vieilli, se reconnaissait impuissant à ressaisir : En vérité, disait-il en écrivant ses mémoires, le poète invoquerait vainement aujourd’hui une imagination presque éteinte ; vainement il lui demanderait de décrire en vives couleurs ces relations charmantes qui autrefois lui firent de la vallée qu’arrose la Lahn un séjour si cher. […] il est des fruits (et ce sont ceux de l’imagination et de la fleur de l’âme), qui ne se cueillent bien qu’à l’heure unique et désirée. […] Les lettres qu’on a de Goethe, adressées à Kesfner pendant les mois qui suivent l’instant de la séparation, nous le prouvent aussi, tout en nous donnant assez bien la mesure de cette espèce de culte d’imagination et de tendresse idéale, mystique, pourtant domestique et familière, mêlée de détails du coin du feu. […] Quoi qu’il en soit, tout se passa dans le domaine de l’imagination. […] Tout ce qui est sorti de cette source élevée et débordante y est sincère, et a jailli de l’imagination et de la pensée de Goethe.
En effet, les peintres qui ont l’imagination la plus lucide, ceux qui font de mémoire un portrait entier, Horace Vernet14, qui peignait de tête des uniformes compliqués, n’ont pas d’hallucinations ; ils ne confondent pas leurs représentations mentales avec les objets extérieurs ; sauf exception, tous déclarent que, pour eux, elles restent toujours mentales. — C’est qu’ici joue un mécanisme dont l’emploi est universel dans notre intelligence. […] À ce moment, nous la déclarons simple image, et la rectification est complète. — De ce genre sont tous ces événements intérieurs que l’on nomme pures conceptions, pures imaginations, et en général pures idées. […] Il s’agit de ces représentations précises, intenses, colorées, auxquelles atteint l’imagination des grands artistes, Balzac, Dickens, Flaubert, Henri Heine, Edgar Poe21 ; j’en ai cité quelques-unes. […] Il s’agit de ces conceptions et imaginations que nous déclarons internes ; on vient de voir par quel mécanisme répressif elles nous apparaissent comme telles. […] Les métaphores y aident ; en effet, les psychologues parlent sans cesse de la conscience comme d’un spectateur ou témoin interne qui observe, compare, prend des notes sur les diverses conceptions, imaginations, représentations qui défilent devant elle. — La vérité est qu’alors il n’y a pas en moi deux événements, d’un côté ma conception, de l’autre l’acte par lequel je la connais, mais un seul événement, ma conception elle-même.
Ce mot remplissait les imaginations et contentait les esprits les plus sévères. […] Balzac était né avec une grande délicatesse de tempérament, une santé faible, que ses ennemis disaient ruinée, pour le décrier ; une imagination vive, avec un grand fonds de justesse. […] C’est à l’école de ce grand maître en l’art d’écrire, que Balzac avait perfectionné, et peut-être exagéré, cette délicatesse d’imagination qui ne se contentait de rien de douteux, « et qui recevait de la douleur de tous les objets qui n’étaient pas beaux. » « Cet homme, dit-il, qui ne pardonnerait pas une incongruité à son père, m’avait mis en cette humeur, et m’avait fait jurer sur ses dogmes et ses maximes. […] Elles forment, à l’avantage de Balzac, contraste avec la sécheresse des lettres écrites de Rome et d’Italie par Montaigne, resté froid parmi ces grandeurs passées, qui remplissent l’imagination de Balzac. […] Il répondait, directement ou par allusion, à ce qu’on avait écrit de fort injuste sur ses mœurs et sur son prétendu dessein de troubler le repos public, de trop vrai sur sa vanité, sur son peu de savoir en théologie, sur la stérilité de son imagination.
L’imagination brille dans ce Roman ; mais elle se promene sans s’égarer. […] Il faut pourtant avouer que l’imagination brille dans presque tous ces ouvrages ; mais c’est presque toujours aux dépens de la vraisemblance & du goût. […] Son style, quoiqu’en général assez pur, n’a point cette couleur vive & fraîche qu’exigent les ouvrages d’imagination. […] Son imagination lugubre épuise dans ses Romans tous les ressorts de la Tragédie. […] Il n’en est comptable qu’envers le goût, qu’il faut toujours consulter, & à cette portion de jugement que l’imagination ne doit pas méconnoître.
La Renaissance, ne visait pas si haut ; son poëte n’était qu’un artiste ému qui plaisait à l’imagination, sans exalter les courages. […] C’est l’Espagnol classique ; et chez personne, cependant, l’imagination religieuse n’eut plus d’enthousiasme et de libre ferveur. […] Il y avait en lui veine lyrique par l’imagination et l’harmonie. […] Qu’aurait-il dit d’une autre imagination jugée sainte et pure par ce grand Bossuet si sagement inflexible pour les folles rêveries de madame Guyon ? […] où la langue française a-t-elle plus d’imagination vraie et de hardiesse heureuse !
Si Lucain s’abandonne trop à la fecondite de son imagination ; son imitateur, à force de vouloir le réduire, le rend maigre, décharné, & c’est sur-tout à ce défaut de juste embonpoint qu’on doit attribuer le peu de succès de son Ouvrage. […] Jusqu’à présent on ne paroît pas avoir assez senti l’utilité des imitations, pour le développement des dispositions de l’esprit & de l’imagination.
. — Son érudition, son imagination, sa poésie. […] Quelle est la contrée où va s’enfuir la grande imagination mélancolique ? […] Nous avons trop suivi les imaginations et les désirs de nos propres cœurs. […] Une sombre épopée, terrible et grande comme l’Edda, fermentait dans ces imaginations mélancoliques. […] Bunyan eut le genre d’imagination qui les produit.
Au lieu de se créer un moyen âge de fantaisie et presque tout d’imagination, on aurait pu, par une érudition précise combinée avec une vue d’imagination ferme et nette, sauver, ressaisir, reproduire et remettre en circulation bien des beautés caractéristiques, sobres et mâles. […] L’imagination poétique française est prise désormais et enchevêtrée dans le réseau d’une logique étroite et pédantesque. […] Ce qui manquait à Marot et à sa gentille école, c’estla force, la vigueur, la couleur, l’élévation, la grande imagination. […] Par je ne sais quel secret défaut de l’imagination ou du cœur, il nous laisse froids, même là où il a le mieux réussi. […] Son imagination est toujours présente.
J. de Maistre emploie toute son imagination, tout son esprit, toute sa logique à rendre révoltante cette âpre doctrine. […] Il avait l’âme inquiète, profondément personnelle, avide de plaisirs et de sensations, l’imagination ardente et mobile, l’esprit souple, vaste, actif, lucide : joueur incorrigible, amant toujours passionné et prompt à changer, causeur étincelant, homme d’État inconsistant, déroutant l’opinion par de soudaines volte-face. […] Il fut emporté par son imagination : ce petit homme positif avait la religion du succès ; indulgent aux triomphateurs, la grandeur militaire l’éblouissait, et la gloire militaire l’enivrait. […] Sur le tard, dans les loisirs que lui fit l’Empire, son imagination se réveilla, voluptueuse, et l’on vit ce vieux prédicateur du catéchisme spiritualiste s’éprendre des jolies pécheresses du temps de Louis XIII et de la Fronde. […] Il déroulait de vastes tableaux qui captivaient l’imagination, historien plutôt que critique, et plus large que profond.
Les hommes de 1660 sont en réaction contre le premier romantisme français, qui est, non pas de 1830, mais de 1630 ; ils sont en réaction contre l’école de la fantaisie, de l’imagination libre et un peu désordonnée, aussi de la littérature burlesque, c’est-à-dire de la littérature qui pousse l’imagination et la fantaisie jusqu’à cet extrême désordre et cet extrême abandonnement… Et qu’est-ce qu’ils sont en eux-mêmes ? […] Etudier l’homme, toujours l’homme, ne pas sortir de l’étude de l’homme et de la peinture de l’homme tel qu’il est ; étant toujours permis, du reste, d’ajouter un peu d’imagination pour faire rayonner, en quelque sorte la vérité, pour donner le radium à la vérité. […] Car enfin, si l’on accepte cette définition du romantisme : « Le romantisme, c’est la prédominance de l’imagination », personne, je crois, n’a eu plus d’imagination, ni plus brillante, et plus abandonnée souvent, et souvent plus fantasque, mais avec des grâces infinies, que La Fontaine Si l’on accepte cette définition du romantisme : « Le romantisme, c’est la prédominance de la sensibilité », de tous ses contemporains (avec Racine) La Fontaine a été certainement le poète le plus doué de sensibilité, et vous savez de quelle nature charmante était cette sensibilité. […] Il est un classique supérieur et voilà tout ; car ma définition du classique est celle-ci : le classique est un homme qui a des qualités de romantique, car il lui faut de l’imagination, de la sensibilité ; qui a des qualités de réaliste, qui a l’observation du réel avec passion, avec une fidélité passionnée — et qui, avec cela, a du goût. […] Le romantique est un homme qui outre son imagination, comme a dit à peu près La Bruyère dans un chapitre très curieux, qui outre son imagination et sa sensibilité, et aussi qui exagère, si cela est possible à l’homme, l’amour qu’il a de lui-même.
Le regretté Quinton professait que chez les Allemands l’imagination et la raison sont des organes mal différenciés. […] Or, ces imaginations, ces broderies sont l’objet de sa minutieuse, et d’ailleurs très jolie et délicate étude. […] Mais ce sera affaire d’imagination plutôt que d’érudition que d’apprécier, de sentir cette vérité à la fois profonde et mouvante, tout comme ç’a été affaire d’imagination plus que de compulsation, que de la saisir et de l’établir. On est trop porté à se représenter l’imagination comme la faculté de l’irréel. […] A quelqu’un de ses pairs sans doute, pour la richesse de l’imagination et le sens de la beauté ?
Les imaginations des adolescents, qui croient que la vie des poètes est toute romanesque et toute belle, songe d’un jour de printemps, sont ici dépassées. […] Observons-la dans son travail, cette imagination française que la logique accompagne aussi étroitement qu’elle le peut. […] C’est le moment où le mystère et l’horreur vont s’exprimer par de nouvelles imaginations, toujours plus affreuses. […] Coleridge y voyait le triomphe de l’imagination pure ; et le triomphe, aussi, du surnaturel sur le réel. […] Le génie latin a passé deux siècles à méconnaître le genre d’imagination et de sensibilité qui inspire cette poésie.
Cette forme d’expression pour l’imagination et pour le sentiment, lorsqu’on la possède à un haut degré, est tellement supérieure, d’une supériorité absolue, à l’autre forme, à la prose ; elle est si capable d’immortaliser avec simplicité ce qu’elle enferme, de fixer en quelque sorte l’élancement de l’âme dans une attitude éternelle, qu’à chaque retour d’un grand et vrai talent poétique vers cet idiome natal il y a lieu à une attente empressée de toutes les âmes musicales et harmonieuses, à un joyeux éveil de la critique qui sent l’art, et peut-être, disons-le aussi, au petit dépit mal caché des gens d’esprit qui ne sont que cela. […] Pourtant un inconvénient est à craindre dans ces productions lyriques trop fréquentes, surtout quand on tient à les rattacher, ainsi que fait l’auteur, à des cadres distincts et composés : c’est qu’au lieu de réfléchir fidèlement dans les vers les nuances vraies qui se succèdent dans l’âme, on ne crée, on ne force un peu, on n’achève exprès des nuances qui ne sont qu’ébauchées encore ; c’est que, pour compléter sa corbeille de fruits, on n’en ajoute, aux naturels et aux plus beaux, d’autres plus énormes d’apparence, mais artificiels et nés à la hâte dans la serre échauffée de l’imagination. […] Hugo a continué sa série d’odes ou pièces politiques et sociales, avec une pensée plus mûre, vraiment progressive, honnête et indépendante, aidée d’une incomparable imagination. […] Hugo nous semble avoir, dans les Chants du Crépuscule, produit quelques-unes de ces choses de l’âme et de l’imagination qui sont venues plutôt que voulues.
Le Comme il vous plaira de Shakspeare, cueilli au tronc de ce grand chêne, est devenu, aux mains de M. de Musset, la tige gracieuse et féconde de tout un petit genre de proverbes dramatiques, mêlés d’observation et de folie, de mélancolie et de sourire, d’imagination et d’humeur 74 ; nous avons eu par lui un aimable essaim de jeunes sœurs françaises de Rosalinde. […] M. de Musset a l’imagination si naturellement riche et pleine de fleurs, qu’il est plus impardonnable qu’un autre dans ces excès. […] Avec des êtres arrivés à un certain degré d’expérience, de versatilité, de sophisme à la fois et d’imagination dans la passion, on est sur les sables mouvants ; il n’y a pas de raison pour qu’un résultat sorte plutôt que l’autre, pas de base où asseoir un intérêt moral, une conclusion à l’usage de tous. […] M. de Musset, qui a tant de couleur et de fraîcheur dans l’imagination, tant de nerf dans le trait, tant de mordantes observations amassées, doit désormais viser à la composition d’un ensemble.
Le critique dont je vais parler est un fantôme, une chimère, un rêve de mon imagination ; ce n’est ni votre portrait ni le mien ; et s’il se rencontre par le monde quelqu’un avec les qualités que je lui attribue ou les défauts contraires, c’est de quoi je ne me suis pas occupé. […] L’homme de bon sens tâche de fermer son esprit aux préjugés, et tient l’imagination en bride sans l’étrangler. […] On juge dans l’âge de l’imagination et de la fantaisie, et les jugements qu’on porte ne sont que des caprices, charmants comme la jeunesse, mais souvent aussi peu raisonnables. […] L’esprit perd son ressort, l’imagination se fane, et quand on veut faire appel à son génie, on reconnaît avec douleur que le génie est mort ou bien malade.
Il faudrait également que je caractérisasse à la fois et Delille que nous venons de perdre, et M. de Chateaubriand qui est encore dans la force du talent, doués, l’un d’une immense richesse de détails poétiques, l’autre d’une imagination vaste et féconde, placés tous les deux sur les derniers confins de notre ancien empire littéraire, et venant terminer d’une manière admirable toutes les traditions de notre double langue classique dont le règne va finir : ce qu’il y a de plus remarquable dans l’association que je fais ici de ces deux noms, c’est que leurs ouvrages, honneur éternel de cette époque, sont à la fois des monuments littéraires et des monuments de nos anciennes affections sociales. […] Laissez-vous entraîner aux digressions du poète, pour témoigner que vous vous êtes identifié avec les imaginations vives et mobiles des peuples de la Grèce. […] Oui, continuant de m’associer aux idées du temps, aux pensées des hommes qui vivent en ce moment, aux nouveaux errements de la société ; oui, je trouve dans Bossuet je ne sais quoi de plus vieux que l’antiquité, je ne sais quoi de trop imposant pour nos imaginations qui ne veulent plus de joug. […] Comment se fait-il donc que nous ayons déjà besoin d’un tel effort de l’imagination pour contempler Bossuet, bien que nous n’ayons pas cessé de le pratiquer, bien que la première admiration ait un retentissement qui a toujours duré ?
Elles ne disent plus rien à l’imagination des hommes auxquels elles commandaient un si grand respect autrefois. […] Ce ne fut pas qu’une révolution dans le style, le rythme ou la rime ; ce fut une révolution jusqu’au fond des imaginations et des cœurs. […] tous les sentiments de l’âme humaine, épanouis ou concentrés dans sa personne… Il chanta et pleura, et il fit de l’Élégie — car les classificateurs l’auraient appelé un élégiaque — quelque chose de si splendide et de si grandiose, qu’un poète épique, impossible, dit-on, en France, y aurait paru et s’y serait emparé subitement de l’imagination française, qu’il n’aurait pas produit d’effet plus grand ! […] Tout ce que j’estime, moi, l’erreur ou l’égarement de Lamartine, la duperie de son cœur, une imagination qui n’aurait dû créer que dans l’ordre de la pensée, constitue pour M. de Lacretelle la gloire de l’homme qui n’avait plus rien à demander à la gloire après les Méditations et les Harmonies.
Or, si avec ces quelques mots toujours cités, quand on parlait d’elle, elle exerçait je ne sais quel irrésistible empire sur les imaginations les plus ennemies, que sera-ce quand on pourra lire et goûter tant d’écrits marqués à l’empreinte d’une âme infinie, de cette âme qui, sans en excepter personne dans l’histoire de l’esprit humain, — quand elle fut obligée d’écrire, soit pour se soulager d’elle-même, soit pour remplir un grand devoir, fit tenir, dans les limites étouffantes d’une langue finie, le plus de son infinité ? […] Elle était née sans aucune mémoire, sans aucune imagination, disait-elle, et de plus parfaitement incapable de discourir avec l’entendement ; mais la Prière, la Prière plus forte que toutes les sécheresses, lui donna toutes les facultés qui lui manquaient ; car la Prière a fait Térèse, plus que sa mère elle-même : « Je suis en tout de la plus grande faiblesse, — dit-elle, — mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et, sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères : quatorze d’hommes et seize de filles. […] Sainte Térèse est toujours pour l’imagination ou l’ignorance françaises le fameux portrait de Gérard : la belle Sainte à genoux, avec sa blancheur de rose macérée, son œil espagnol qui garde, sous la neige du calme bandeau, un peu trop de cette mélancolie qui ne vient pas de Dieu, car il n’en vient nulle mélancolie, et ces mains de fille noble qui, jointes très correctement sur le sein, disent aussi un peu trop à la bure sur laquelle elles tranchent qu’elles étaient faites pour la pourpre. […] Ce n’était pas uniquement, comme ceux qui ne l’ont pas lue ont la bonté de le concéder, une femme supérieure par l’imagination, par la disposition poétique, exaltée par la Prière, et trouvant dans réchauffante macération de la Règle et du Cloître l’expression embrasée qui ressemble chez elle à un encensoir inextinguible, le cri qui épouvante presque les cœurs et qui fait croire que le Génie a des rugissements comme l’Amour.
ce n’est point à une telle condition qu’on peut régner sur l’imagination humaine. L’imagination a besoin d’unité. […] S’il n’a pas l’imagination créatrice du poète, c’est-à-dire du faiseur, il a celle de l’expression, qui est aussi de l’imagination de poète, mais de poète qui sent et qui vibre au lieu de créer.
S’il a eu quelque utilité, c’est moins par ce qu’il a pu offrir de son propre fonds, que par l’action qu’il a exercée sur l’esprit et l’imagination d’une jeunesse avide de savoir et prompte à se lancer dans des entreprises lointaines. […] Un grand nombre de mythes, sans liaison historique les uns avec les autres, doivent ainsi leur ressemblance et leur origine à la parité des imaginations ou des réflexions de l’esprit humain. […] Mais ce spectacle de la nature ne serait pas complet si nous ne considérions comment il se reflète dans la pensée et dans l’imagination disposée aux impressions poétiques. […] C’est assez d’indiquer la source de cette contemplation intelligente qui nous élève au pur sentiment de la nature, de rechercher les causes qui, surtout dans les temps modernes, ont contribué si puissamment, en éveillant l’imagination, à propager l’étude des sciences naturelles et le goût des voyages lointains. […] Le même soin des détails, sans que l’impression de l’ensemble en soit jamais troublée, sans que jamais la libre imagination du poète se lasse d’animer la matière qu’il met en œuvre, caractérise l’auteur d’Atala, de René, des Martyrs et des Voyages en Grèce et en Palestine.
Les expressions, en passant par son imagination féconde & brillante prenoient cette couleur d’urbanité romaine dont il est le modèle le plus parfait. […] La plûpart sont pleins de traits d’histoire, de pensées de philosophes, d’imaginations poétiques & fabuleuses. […] C’étoit un homme de grand sens plûtôt qu’un homme d’esprit, ou plûtôt qu’un homme d’imagination, à prendre ces termes dans le sens qu’on y attache d’ordinaire. […] Ses discours sont l’ouvrage d’un Prédicateur véritablement éloquent, d’une imagination noble & brillante, d’un esprit orné, d’un sentiment vif & pathétique. […] On remarque presque dans tous de l’imagination & de l’esprit ; mais nos Ecrivains d’aujourdhui ne se défendent pas assez de l’emphase & du néologisme.