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39. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Campaux, qui s’est rappelé Astyanax et qui a fait de ce mot de Villon l’épigraphe de son livre : Je ris en pleurs ! […] Villon, qui a vécu un peu comme Callot, le rappelle deux fois, — par son genre de talent et aussi par sa physionomie. […] Villon lui rappelle Orcagna, Cimabuë, Giotto, Van Ostade, Shakespeare, Lucrèce (le poète, bien entendu, il ne pouvait pas rappeler l’autre), Régnier, Pascal, Boileau.

40. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Peut-être parce que le grillon nous rappelle le désert aride de Syrie, où le cri du même insecte anime seul au loin la route silencieuse du chameau sur les sables brûlés de la terre ? […] Ses vagues, quand elles lèchent sans bruit la grève de sable humide, rappellent la respiration douce du sommeil d’un enfant sur le sein de sa mère. — Émotion ! […] Ce double message est porté et reporté par ces divins messagers qui rappellent les colombes grecques de Vénus, établissant ainsi, par leurs voix modulées et harmonieuses, une secrète confidence entre les cœurs des deux amants. […] Le concours des prétendants nous rappelle les plus majestueuses scènes de la Bible ou d’Homère. […] » Il s’éloigne cependant de nouveau, revient sept fois, rappelé par sa tendresse ; sept fois le génie ennemi l’entraîne loin de Damayanti ; l’amour et la pitié le ramènent.

41. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Eh bien, à ce point de vue, on doit le rappeler aux plus sévères, l’intérêt, un intérêt élevé, n’y a pas fait faute aux grands moments voulus et désignés par l’art dans l’architecture graduée de cette forme classique. […] La pudeur de Pénélope, lorsque, accordée par son père Icare à Ulysse, elle se voila et ne répondit au désir de l’époux que par l’aveu du silence, y est rappelée en des vers non moins touchants. […] Nous aimons à en rappeler ce détail aujourd’hui que M. […] Ce que nous avons voulu ici, ç’a été, à propos d’une reprise qui rappelait les titres acquis, de bien marquer la trace qu’a faite à son jour M. […] C’est le cas de rappeler les belles stances de Byron à l’Éridan, quand il charge les flots, qu’en naviguant il contemple, d’aller vers Ravenne couler aux pieds de la dame de son amour : « Le flot qui emporte mes larmes ne reviendra plus ; reviendra-t-elle celle que ce flot va rejoindre ? 

42. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Lorsque la rencontre d’une personne à Paris me rappelle la rencontre de cette même personne à Lyon, la vue de son visage éveille l’image du même visage dans un milieu ou cadre différent, en contiguïté avec des images affaiblies de telle rue de Lyon. […] Il m’est plus facile de me rappeler un paysage en écoutant un air de musique que de me rappeler un autre air de musique, surtout si les sons de l’orchestre ont de la force. […] Rappelons-nous, en effet, que le plaisir est le plus ordinairement précédé ou accompagné d’une certaine peine due au besoin et à la non-satisfaction d’une tendance : si la souffrance n’est pas la condition nécessaire du plaisir, elle en est du moins un antécédent habituel, et, au point de vue organique, il n’y a guère d’acquisition de force qui n’ait été précédée d’un manque de force. […] Un jour, piqué par une mouche, il se rappela tout à coup un enfant que jadis, étant lui-même fort jeune, il avait vu couché sur son lit de mort. […] Rappelons-nous encore que, quand les vibrations cérébrales sont trop rapides ou trop uniformes, elles échappent à la conscience, et nous comprendrons que certaines idées puissent surgir dans le temps en vertu d’un arrangement qui a eu lieu dans l’espace, entre des cellules que notre esprit ignore.

43. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Nodier disait « Pour juger une grande époque de destruction et de renouvellement, comme celle où nous vivons, il faudrait pouvoir se séparer tout à fait du passé et de l’avenir, ne conserver de l’un que des souvenirs sans passion, ne fonder sur l’autre que des espérances sans regrets… On sent partout, dans ce livre, l’inspiration qui a produit Antigone ; et je ne sais par quel mystère qui étonne et qui effraie, il rappelle le langage des fondateurs de la civilisation, comme si la nôtre était déjà détruite : il résulte de ce mélange d’éléments quelque chose qui accable la pensée, mais qui a un caractère monumental très instructif pour le siècle, si les livres remarquables sont les témoins de l’état de la société. […] Le troisième entretien me rappelle, sur le repos du peuple, repos qui tient à sa confiance dans l’ordre fondé par la Charte, me rappelle, dis-je, la fin du premier volume.

44. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Rappelez-vous Séraphitus-Séraphita ! Rappelez-vous ce livre, le plus difficile à écrire de tous les livres de Balzac, le plus sublime et le plus incompréhensible aux esprits vulgaires… heureusement ! […] Rappelez-vous sainte Brigitte et sa conception de l’enfer, sainte Thérèse et sa conception des joies célestes ! […] Mais, indépendamment de ses tableaux mesquins de l’autre monde, qui rappellent l’art et la décoration comme les conçoivent les Jésuites, les raisons qui font mouvoir son mysticisme sont, le plus souvent, d’une telle puérilité, qu’on se demande si Dieu accorde de tels dons pour atteindre à de si misérables résultats !

45. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Le roman qu’il publie aujourd’hui, et qu’il intitule aussi « une histoire dalmate », rappelle par le titre le livre vanté, beaucoup trop vanté, selon moi : la Femme en blanc, de Collins. […] Ce n’est pas non plus simplement par le titre que La Dame au manteau rouge rappelle la Femme en blanc : elle la rappelle aussi par la curiosité qu’elle inspire, quoique cette curiosité soit d’un ordre différent. […] Armand Pommier se rappelle Anne Radcliffe, cette vigoureuse bâtarde de Shakespeare, qui avait tant de noirceur et de frisson vrai dans le talent.

46. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Faut-il rappeler le succès de la pathétique biographie de Balzac, écrite dernièrement par M.  […] C’est tout ce que cette note a voulu rappeler simplement à l’occasion de son centenaire. […] Il est bon, il est sain de rappeler cette grossièreté allemande à l’égard d’un si grand Français. […] La correction de sa tenue et la raideur de son aspect rappelaient, en effet, le régiment. […] Anatole Leroy-Beaulieu, rappelée par M. 

47. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Duveyrier sans me rappeler et en quelque sorte m’expliquer cette confusion de mots, cette association d’idées. […] Après cela, que cette idée se présentât à eux sous les termes de πολιτεία, παιδεία, ou tout autre, je laisse aux savants à le déterminer ; mais je suis certain que les Grecs, par leur brillant, leur éducation, leur art, leur génie actif et persuasif, leur faculté colonisatrice, avaient essentiellement et au plus haut degré le sentiment de cette chose que les modernes appellent civilisation ; ils l’avaient, comme tout ce qu’il leur fut donné d’avoir, d’une manière exquise ; ils en avaient même le sentiment en ce qui est de l’humanité, de la philanthropie : il suffit de se rappeler ce bel article de traité que Gélon imposa aux Carthaginois vaincus, et que Montesquieu a consacré par un chapitre de l’Esprit des Lois. […] Je me rappelle que M.  […] Napoléon s’y suppose en idée maître et roi durant dix ans, et il en ressuscite toutes les merveilles, étendues, agrandies, multipliées, selon les données incomparables du génie moderne ; je ne me refuserai pas à rappeler les principaux traits du tableau : « Mais à quel degré de prospérité, s’écrie tout à coup l’historien conquérant, pourrait arriver ce beau pays, s’il était assez heureux pour jouir, pendant dix ans de paix, des bienfaits de l’administration française ! […] Paris, aux bureaux de l’Encyclopédie, rue de l’Université, 25. — Je laisse cette indication qui rappelle un vaste et noble projet, une entreprise généreuse, déjà fort voisine de l’exécution, et qui s’est dissipée en fumée.

48. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Sa destinée incomplète et touchante, revenant se dessiner, comme sur un fond de tableau funèbre, dans le malheur commun des siens, rappellera l’intérêt qu’elle mérita d’inspirer tout d’abord, et nul ici ne s’avisera de reprocher l’indulgence. […] Qu’on se rappelle dans l’Odyssée l’épisode charmant de Nausicaa au sortir de la plus affreuse détresse d’Ulysse ; dans Virgile, la seconde vie des hommes vertueux sous les ombrages de l’Elysée ; dans le Tasse, la fuite d’Herminie chez les bergers du Jourdain ; dans Camoëns, l’arrivée de Gama à l’île des Néréides ; dans Milton, les amours de l’Éden. […] On peut la rappeler pour dire avec regret que ces printemps éternels ne l’ont pas. […] De plus, ses vers à chaque instant la rappellent et en empruntent une teinte mélancolique, une note plaintive et bien vraie. […] Dégoûté encore une fois et de retour en France au printemps de 1792, il exhalait à l’ombre du bois de Romainville ses tristesses dernières, en des stances qui rappellent les plus doux accents de Chaulieu et de Fontanes ; elles sont peu connues, et la génération nouvelle voudra bien me pardonner de les citer assez au long, car ce qui est du cœur ne vieillit pas.

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

C’est à ces sortes de caractères que l’exemple du sort de Werther est utile ; c’est un livre qui rappelle à la vertu la nécessité de la raison57. […] Ils la décrivent telle qu’elle doit frapper des regards attentifs, lorsque les soins de la culture, les travaux champêtres, qui rappellent la présence de l’homme et les jouissances de la vie tranquille, sont d’accord avec la disposition de l’âme. […] Peut-être fallait-il faire dire aux anciens ce qu’on voulait apprendre aux modernes, et rappeler le passé comme servant d’allégorie pour le présent. […] Nos guerres avec les Anglais ont dû les rendre ennemis de tout ce qui rappelle la France ; mais une impartialité plus équitable dirigerait les opinions des Allemands. […] J’ai besoin de rappeler ici quel est le but de cet ouvrage.

50. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Elle s’était mise au latin et était arrivée à entendre les odes d’Horace ; elle lisait l’anglais et avait traduit en vers quelques pièces de William Cowper, notamment celle des Olney Hymns, qui commence ainsi : God moves in… ; une poésie qui rappelait les Cantiques de Racine et toute selon saint Paul. […] Rappelle-toi ce que je t’ai dit sur les notions qui peuvent t’être restées précises sur notre famille et nos chers père et mère. […] Notre bonne grand-mère aussi, que je me rappelle avec tant d’amour quand nous allions la voir ensemble ? […] Pendant une nuit d’insomnie, de jour en courant, sur un quai, pendant une pluie sous une porte cochère, dans les circonstances les plus vulgaires ou les plus tristes de la vie, quelque chose se mettait à chanter en elle, et elle se le rappelait ensuite comme elle pouvait. […] N’oublie jamais de la saluer de ma part et de me rappeler au souvenir de ma grand-mère, de notre bon père et de ma chère et gracieuse maman, poussée au loin dans un si grand naufrage82.

51. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

L’esclave secoue la rosée qui glace son corps engourdi, il rappelle ses dix années d’insomnie, son interminable faction devant l’éternelle année des étoiles. […] Chalcas, dont le Chœur rappelle les paroles, ne dit pas en quoi Agamemnon et Ménélas furent coupables de ce vol d’aigles fondant sur une proie fourvoyée chez eux. […] Il se rappelle le rapt infamant d’Hélène, et Ménélas consterné dans sa maison vide. — « L’époux est là muet, outragé, son visage est tranquille, mais il suit par-delà les mers l’épouse disparue. […] La fille de Priam se rappelle le Scamandre au bord duquel fleurit sa jeunesse. — « Maintenant c’est sur les rives du Cocyte, du fleuve des larmes, que je vais aller prophétiser, malheureuse ! […] Lâche et basse figure qui s’élève pourtant, un moment, à la hauteur d’un fantôme, lorsque le fils de Thyeste rappelle, sur le fils d’Atrée gisant à ses pieds, le repas maudit.

52. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Rappelle à mes pensées, Seigneur ! […] Ce séjour fut charmant, mais court ; l’image de Laure, un moment oubliée, le rappelait comme à son insu à Avignon ; il y revint ; en la retrouvant, il retrouva son délire. […] Son éloquence rappelait Cicéron comme sa poésie rappelait Virgile. […] Les revers de la maison de Corrége, un instant chassée de Parme, puis y rentrant les armes à la main, rappelèrent Pétrarque à Parme. […] Mais Rienzi, son ami, le rappelait par le grand bruit que ce tribun faisait à Rome.

53. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tiercelin, Louis (1849-1915) »

Tiercelin rappellent ceux de M.  […] Parodi ; la facture de ses drames rappelle celle de Severo Torelli ou des Jacobites : c’est dire que les procédés des dramaturges de la période romantique y sont pastichés moins mal que dans Par le glaive ; aussi, comme M. 

54. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

J’aime à croire que si Richelieu avait poursuivi ses Mémoires jusqu’à l’année de la mort de Sully, laquelle ne précéda que de peu la sienne, il aurait trouvé d’autres paroles pour rendre justice à un si méritant prédécesseur, et que la pensée morale et humaine exprimée par lui, et qui redouble de valeur sous sa plume, n’aurait pas étouffé les autres considérations d’équitable et haute louange que le nom de Sully rappelle. […] La mort de Charles IX, assiégé de terreurs lorsqu’il se voit tout baigné de son sang dans son lit, et qu’il se rappelle celui des innocents qu’il a fait répandre, est peinte en quelques mots énergiques. […] C’est donc un valeureux soldat que Rosny, et Henri en mainte occasion est obligé de le faire rappeler quand il s’aventure, de lui commander de se retirer, et il le tance au retour de la bonne sorte : « Monsieur de Béthune, disait un jour Henri dans une escarmouche, allez à votre cousin, le baron de Rosny ; il est étourdi comme un hanneton ; retirez-le de là et les autres aussi. » Ces mots de gronderie militaire si flatteurs à qui les reçoit sont perpétuels de la part de Henri IV au sujet de Rosny. […] Mais ce dernier le rappelle par lettres ; il lui remet en mémoire les vrais principes d’un homme de cœur ; il lui dit en le revoyant et en l’embrassant : « Mon ami, souvenez-vous de la principale partie d’un grand courage et d’un homme de bien, c’est de se rendre inviolable en sa foi et en sa parole, et que je ne manquerai jamais à la mienne. » Et il l’engage à aller à la cour de France pour y observer prudemment toutes choses et y découvrir le dessein des adversaires, sous air de se rallier à eux et de s’en rapprocher ; car Rosny a des frères ou des neveux qui sont alors des plus avant dans la faveur de Henri III. […] Il a entendu parler d’une autre personne plus convenable tant pour sa beauté modeste que pour sa vertu et haute extraction ; c’est Anne de Courtenay, fille de M. de Bontin : c’est cette dernière que la raison désigne à Rosny, et, même en telle matière qui a pour fin le mariage, il se rappelle cette maxime : « que celui qui veut acquérir de la gloire et de l’honneur, doit tâcher à dominer ses plaisirs et ne souffrir jamais qu’ils le dominent ».

55. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Son talent a beaucoup de rapports avec celui de Mlle Desgarcins qu’elle rappelle fréquemment. […] On était loin d’être revenu alors des préjugés contre les personnes de théâtre : qu’on se rappelle le scandale qui s’était produit à l’enterrement de Mlle Raucourt ; et ce n’était pas seulement le clergé, c’était le monde qui avait son genre de réprobation et sa nuance d’anathème. […] Mais de ces anecdotes une au moins me paraît utile à rappeler, c’est le compte rendu de la façon outrageuse dont on accueillit en 1822 les acteurs anglais qui essayaient, pour la première fois, de nous montrer Shakspeare. […] Ces pauvres Anglais avaient beau rappeler les droits de l’hospitalité ; rien n’était compris par ce peuple ours. […] Qu’on se rappelle les soirées du Tannhäuser !

56. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

À la mort du cardinal et du roi, l’un des premiers soins de la reine fut de rappeler auprès d’elle ses anciens amis disgraciés pour l’amour d’elle, et Mme de Motteville fut du nombre ; elle fut dès lors attachée à la reine moins encore comme femme de chambre (elle en avait le titre) que comme l’une des personnes de sa conversation et de son intimité. […] Assistant à toutes ces choses avec un esprit clairvoyant et non acharné, n’y prenant plaisir d’abord que pour se désennuyer, elle a en elle de bonne heure une ressource qui lui vient de famille, c’est d’écrire ; aux moments que les autres dames donnent au jeu ou à la promenade, elle s’enferme et elle note ce qu’elle a vu, ce qu’elle a entendu, pour se le rappeler un jour. […] Cette Renommée qui est une grande causeuse me rappelle une des grâces du style de Mme de Motteville, style simple, assez uni, assez peu correct dans l’arrangement des phrases, retouché peut-être en bien des endroits par l’éditeur, mais excellent et bien à elle pour le fond de la langue et de l’expression. […] Il n’y a rien dans ces Mémoires de Mme de Motteville qui rappelle ces autres Mémoires si distingués, mais si amers, de Mme de Staal de Launay, femme de chambre de la duchesse du Maine ; c’est qu’aussi la situation était toute différente. […] S’il fallait trouver une parenté historique à Mme de Motteville, je la trouverais plutôt dans les Mémoires du sage chambellan Philippe de Commynes qu’elle aime à citer, et dont elle rappelle parfois les fruits de saine et judicieuse expérience.

57. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Pour Alfred de Musset, la poésie était le contraire ; sa poésie, c’était lui-même, il s’y était rivé tout entier ; il s’y précipitait à corps perdu ; c’était son âme juvénile, c’était sa chair et son sang qui s’écoulait ; et quand il avait jeté aux autres ces lambeaux, ces membres éblouissants du poète qui semblaient parfois des membres de Phaéton et d’un jeune dieu (se rappeler les magnifiques apostrophes et invocations de Rolla), il gardait encore son lambeau à lui, son cœur saignant, son cœur brûlant et ennuyé. […] On connaît trop bien cette histoire, devenue une fable, pour que ce soit une inconvenance de la rappeler en passant ; ce n’est point aux poètes de nos jours, aux enfants du siècle qu’il faut appliquer une discrétion dont ils ont si peu fait usage. […] Des proverbes d’une délicatesse exquise, de beaux vers toujours, des vers légers et qui sentaient une aisance supérieure, qui portaient un bon sens spirituel mêlé à d’aimables négligences, puis des accents soudains qui se relevaient avec chant et rappelaient les sons mélodieux d’autrefois : Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux ! […] Qu’on se rappelle ses premières chansons de page ou de cavalier amoureux : « En chasse, et chasse heureuse !

58. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Il faudrait avoir complètement oublié l’histoire de la science pour ne pas se rappeler que le désir de connaître la nature a eu sur le développement des mathématiques l’influence la plus constante et la plus heureuse. […] Ai-je besoin d’ailleurs de rappeler que M.  […] Ai-je besoin de rappeler que c’est ainsi que se sont faites toutes les découvertes importantes ? […] Il me suffira de rappeler comment M. 

59. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

. — Menjaud « Est-il besoin de vous rappeler que nous touchons aux dernières représentations de mademoiselle Mars ? […] « Oui, en effet, elle se souvient, ainsi vaincue par une force irrésistible, de ses jours tout-puissants de triomphe et de victoire ; elle se souvient de l’enthousiasme universel, elle se souvient de ses créations splendides, quand elle faisait, de rien quelque chose : une comédie d’un vaudeville, un membre de l’Institut de quelque faiseur de mauvais vers ; elle se souvient de la joie, de la bonne humeur, de l’applaudissement du parterre ; elle se rappelle tous les triomphes entassés là, à ses pieds : ce théâtre glorifié, cette scène agrandie, et les vrais Dieux venant au-devant d’elle, les mains chargées de couronnes. […] Rappelez-vous le dernier ami que vous avez quitté. […] Par exemple, je me rappelle ces propres paroles de deux demoiselles errantes qui se promenaient sur le boulevard de Gand, à dix heures du soir : — “Tiens, disait l’une, Polyte nous rapportera des fleurs, la Taglioni danse ce soir !”

60. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

On se rappelle que Mme de Genlis l’avait été, de fonction. […] Mme Sand rappelle le marquis de Lafayette, qui, platement révolutionnaire, et voulant s’aplatir encore davantage, est toujours resté, de manière et d’esprit, un grand seigneur. […] C’est, comme tous ses autres romans, une thèse plus ou moins cachée… On s’y perd dans les personnages et aucun n’a de physionomie qui s’impose à l’imagination et qu’on se rappelle. […] Écrits avec du fusain, qui est une poussière, ils s’en vont, comme la poussière, au moindre souffle… On se rappelle Mme André Léo, bien plus par les idées qu’elle défend que par ses ouvrages… Or, si l’artiste n’y est point, à quoi bon des romans ?

61. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Rappelez-vous cet Urbain Legeay, qui, d’un revers de plume, — mais d’une plume aiguisée pendant trente ans, — décapita, dans sa forte Histoire de Louis XI, tous les historiens qui avaient parlé de ce grand roi, plus grand qu’aucun d’eux ne l’avait dit… Il pouvait les remplacer tous ! […] En effet, de bonne heure, René rappela saint Louis. Sans l’égaler jamais, il est vrai, cet être incomparable dans l’histoire, il le rappela par sa chevaleresque bravoure, sa piété et son courage dans la captivité ; car, victime d’un sort incroyable, René d’Anjou a commencé sa jeunesse et son règne par la captivité ! […] C’était Isabelle de Lorraine, qui, par ses qualités, put lui rappeler sa mère, la grande Yolande d’Aragon.

62. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Vous vous rappelez, n’est-ce pas ? […] Auguste Comte se la rappelle bien, lui ! si vous ne vous la rappelez pas ! […] Un jour, vous vous rappelez la comédie ?

63. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

C'est de mauvais goût de rappeler qu’un jour, au bal de la cour, invité par la duchesse de Berry à s’asseoir près d’elle sur une espèce de trône, il refusa humblement : On dit qu’un jour de bal, du temps de Charles dix, Sur les degrés du trône il s’arrêta jadis. Quelle inconvenance de rappeler telle chose après que le père a renversé le trône pour y mettre son tabouret et que lui-même, le fils, était décidé à s’y asseoir sans la duchesse ! […] Vous rappelez-vous comme dans Atar-Gull il s’est moqué de ce prix de vertu ?

64. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Je me rappelle les longues fuites de Maupassant hors de la société des hommes, ses solitudes de plusieurs mois, en mer ou dans les champs, ses tentatives de retour à une vie simplifiée, toute physique et tout animale, où il pût oublier l’ennemi sourd, l’ennemi patient qu’il portait en lui ; puis, quand il rentrait parmi nous, cette fièvre d’amusement, et de plaisanteries, et de jeux presque enfantins, qui était encore comme une fuite, une évasion hors de soi… Vains efforts ! […] … Vous vous rappelez l’effet que produisirent, il y a dix ans, Boule-de-Suif, la Maison Tellier, Mademoiselle Fifi, et les autres petits récits dont ces chefs-d’œuvre étaient accompagnés. […] Il rappelait  avec un style plus plastique (car on ne naît pas impunément dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle) — les conteurs d’autrefois et, si vous voulez, cet imperturbable Alain Lesage.

65. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Il est impossible de le regarder sans se rappeler la figure du feu gros-Thomas. […] Il rêve, il se promène, il se rappelle ou les modèles qu’il a vus, ou les phénomènes de la nature, ou les passions du cœur humain, en un mot les expériences qu’il a faites, c’est-à-dire qu’il devient savant. […] Rappelez-vous toutes les études, toutes les connaissances nécessaires à un bon peintre, à un peintre né, et vous sentirez combien il est difficile d’être un bon juge, un juge né en peinture.

66. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Paul Chalon »

Paul Chalon 3 Vous rappelez-vous deux ou trois nouvelles très distinguées, parues il y a quelques années dans la Revue bleue et signées Paul Chalon ? […] Je me rappelle ceux de mes amis, à moi, qui sont morts à vingt ans et qui resteront, à cause de cela, les plus aimés.

67. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Boschot, Adolphe (1871-1955) »

Le poème se présente à lui sous forme de dialogue, parce que sa pensée, complexe, est faite de plusieurs sentiments qui se heurtent ou se poursuivent et finissent par s’entrelacer en beaux groupes synthétiques Les Poèmes dialogués rappellent souvent les Dialogues philosophiques de M.  […] Je dis seulement qu’ils les rappellent : mais c’est déjà un fier éloge.

68. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Lenz, cette victime de Werther, dont j’ai rappelé plus haut la fin tragique. […] Je rappellerai seulement qu’exilé en 1803, il se réfugia en Allemagne, où il fréquenta les écrivains en vogue. […] Alors la patrie renaît, les bannis sont rappelés. […] Contentons-nous d’avoir rappelé ce qu’il était à un moment de son existence ondoyante, entre 1830 et 1848. […] L’autorité de Lélia s’ajoute donc à celle des solitaires dont j’ai déjà rappelé la vie et les écrits.

69. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

En attendant, je me rappelle très-bien d’avoir vu de l’obscurité où j’étais, des lieux éclairés par une lumière soit naturelle, soit artificielle éloignée, et je me rappelle tout aussi bien que les objets voisins de la lumière étaient plus distincts pour moi que ceux qui me touchaient presque. […] Le palais me rappelle des tyrans, des dissolus, des fainéans, des esclaves ; la chaumière, des hommes simples, justes, occupés et libres. […] Voilà-t-il pas que je me rappelle ce portrait de Bridan  ; il y a une extrême vérité et des détails qui ne permettent pas de douter de la ressemblance ; mais j’oserai demander si c’est là de la chair ; et pour vous montrer combien je suis de bonne foi, c’est que si l’on me soutient qu’il y a de la finesse dans la tête de la dormeuse, et que la tête du vieillard est d’un beau faire, d’un bon caractère, barbe légère et mieux coloriée qu’il ne lui appartient, je ne disputerai pas. […] Cela me rappelle un fait qu’on lit dans Macrobe et qui revient très-bien ici.

70. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Rappelez-vous l’article incroyable qu’il fit sur Jacques ! […] De plus, avec cette abondance qui est une qualité après tout, même pour nous, Mme Sand rappelle des manières qui nous ont plu dans nos jeunesses, et elle nous prend encore par les souvenirs. Elle rappelle Jean-Jacques. […] C’est surtout dans ses paysages qu’elle rappelle le mieux Jean-Jacques, dans le flot duquel elle noie la couleur plus vive de Bernardin. […] La cuirasse rappelle le bouclier !)

71. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Qu’il suffise de rappeler qu’Hégésippe Moreau, au moment même où il venait de trouver un éditeur pour ses vers, et où Le Myosotis publié avec luxe (1838) et déjà loué dans les journaux allait lui faire une réputation, entrait sans ressource à l’hospice de la Charité et y mourait le 20 décembre 1838, renouvelant l’exemple lamentable de Gilbert et faisant un pendant trop fidèle au drame émouvant de Chatterton, dont l’impression était encore toute vive sur la jeunesse. […] Dans ce dernier genre pourtant, quoiqu’il rappelle Béranger, Moreau a un caractère à lui, bien naturel, bien franc et bien poétique ; il a du drame, de la gaieté, de l’espièglerie, un peu libertine parfois, mais si vive et si légère qu’on la lui passe. […] Et réfléchissant avec humilité à l’étincelle qui peut jaillir sur les âmes de cette œuvre modestement accomplie, le poète se rappelle et s’applique un fabliau charmant que son aïeule bretonne, dit-il, lui a souvent raconté. […] On n’aurait point parlé convenablement de Moreau, si l’on ne rappelait chaque fois à son sujet ces vers délicieux, où il a comme rafraîchi son talent et son âme : S’il est un nom bien doux, fait pour la poésie, Oh ! […] C’est justice de rappeler qu’on trouve quelques-unes de ces intentions cordiales réalisées dans le recueil d’un poète artisan, dans les Chansons de chaque métier, par Charles Poney, de Toulon5.

72. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

Je me rappelle qu’à l’Académie où nous entendions M. de Vigny plus souvent et plus longuement que nous ne l’aurions désiré (car il s’obstinait la plupart du temps à des choses ou impossibles ou inutiles ou déjà résolues,), il m’arriva plus d’une fois de laisser voir mon impatience ; sur quoi notre doux et indulgent confrère, M.  […] M. de Vigny voulait bien m’écrire à la date du 14 mars 1828 : « Eh bien, Monsieur, puisque vous êtes de ceux qui se rappellent les Poèmes que le public oublie si parfaitement, je veux faire un grand acte d’humilité en vous les offrant. […] Je me rappelle encore toutes les précautions qu’il nous fallut prendre : il était absent de Paris, on choisit exprès cet instant-là ; on usa de ruse ; on ne s’adressa pas à lui pour le peu d’indications biographiques qui étaient indispensables et qui eussent trop coûté à arracher, sans compter qu’on ne les eût obtenues sans doute qu’arrangées et embellies : ses plus anciens amis et principalement Émile Deschamps, son intime d’alors (et envers qui il a fait preuve, depuis leur brouille, d’une froide rancune irréconciliable), voulurent bien me renseigner tant bien que mal, et il n’y a rien d’étonnant qu’on se soit mépris d’abord sur quelques points et circonstances d’un intérêt tout domestique, notamment sur son mode et son degré de parenté avec l’amiral de Baraudin.

73. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Et le poète se rappelle toutes les pertes qu’on ait à chaque pas dans la vie : une mère, une fiancée, un ami d’enfance, qui nous sont enlevés C’est l’ombre pâle d’un père Qui mourut en nous nommant, C’est une sœur, c’est un frère Qui nous devance un moment. […] Cette pièce, au début, rappelle les Fantômes des Orientales. […] Ce sont de vastes paysages qui, suivant la remarque que j’en ai entendu faire, rappellent ceux du Poussin, moins sévères, moins serrés, mais avec quelque chose de plus ondoyant, avec plus d’air et de lumière.

74. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

Je me suis rappelé Ménilmontant, le château donné par le duc d’Orléans à une danseuse d’Opéra, devenu une propriété de famille, et habité par mon oncle et ma tante de Courmont, M. et Mme Armand Lefebvre, et ma mère entre l’amitié des deux femmes. Je revoyais l’ancienne salle de spectacle, le petit bois plein de terreur, où étaient enterrés le père et la mère de ma tante, l’espèce de temple grec où les femmes attendaient le retour de leurs maris, de la Cour des comptes et du ministère des affaires étrangères ; enfin je me rappelais Germain, ce vieux brutal de jardinier, qui vous jetait son râteau dans les reins, quand il vous surprenait à voler du raisin. […] Au milieu de ces fleurs est une fleur de magnolia, dont il regardait grossir le bouton avec un certain plaisir curieux, et qui lui faisait rappeler le magnolia aimé de Chateaubriand, à la Vallée-aux-Loups. […] Je me rappelle maintenant, après les heures sans repos passées au remaniement, à la correction d’un morceau, après ces efforts et ces dépenses de cervelle, vers une perfection, cherchant à faire rendre à la langue française tout ce qu’elle pouvait rendre, et au-delà… après ces luttes obstinées, entêtées, où parfois entrait le dépit, la colère de l’impuissance ; je me rappelle aujourd’hui l’étrange et infinie prostration, avec laquelle il se laissait tomber sur un divan, et la fumerie à la fois silencieuse et accablée, qui suivait. […] Pour aller au cimetière, nous prenons le chemin qui nous a conduits si souvent chez la princesse, puis nous passons par des parties de boulevards extérieurs, où nous avons tant de fois vagué pour Germinie Lacerteux et Manette Salomon… Des arbres étêtés à la porte d’un cabaret, me rappellent une comparaison qui est dans un de nos livres… Puis je tombe dans une espèce de somnolence, dont je suis tiré par la secousse d’un tournant raide, le tournant du cimetière.

75. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

L’âme dévote à Notre-Dame peut avoir ses erreurs dans le long pèlerinage ; elle peut faiblir et faillir : la Vierge est là, qui, à une heure donnée, la rappelle et la sauve. […] Rappelle-toi ce que je t’ai dit sur les notions qui peuvent t’être restées précises sur notre famille et nos chers père et mère. […] Notre bonne grand’mère aussi, que je me rappelle avec tant d’amour quand nous allions la voir ensemble ? […] N’oublie jamais de la saluer de ma part et de me rappeler au souvenir de ma grand’mère, de notre bon père et de ma chère et gracieuse maman, poussée au loin dans un si grand naufrage56. […] En extrayant cette douloureuse correspondance, je me suis souvent rappelé celle d’une autre femme-poëte, et dont il a été donné au public des volumes exquis, celle de Mlle Eugénie de Guérin.

76. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

On reconnut dans le portrait la manière du modèle ; on y reconnut surtout une certaine audace d’idées et une certaine indépendance de jugements qui rappelaient la séve étrangère et qui marquaient alors toutes les œuvres écrites au bord du lac de Genève. […] Necker, ne pouvant plus être leur modérateur, avait été leur jouet ; la cour l’avait congédié comme leur complice ; le peuple l’avait rappelé par l’insurrection du 14 juillet. […] Sa fille, protégée par son titre d’ambassadrice, ne tarda pas à revenir à Paris où la rappelaient ses opinions, ses attachements et son ardeur politique. […] Les accents en étaient émus et rappelaient l’éloquence virile du grand orateur anglais Burke, qui avait fait frémir et pleurer l’Europe entière sur les outrages et la captivité de Marie-Antoinette. […] Necker lui en rappelait l’origine, les écrits de madame de Staël lui en rappelaient les doctrines.

77. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Ils se rappellent la Divinité jalouse de la prospérité des mortels, ses pièges dont « aucun bond ne peut dégager l’homme pris aux rets inévitables ». — Anxiété poignante ! […] Artaxerxès fait écraser la tête des cuisiniers sous une pierre, il exile sa mère à Babylone ; mais elle est bientôt rappelée. […] Cela rappelle ces « Passages de la Mer Rouge » des anciennes fresques, où l’on voit des têtes à couronnes, des visages crispés et grimaçants sous leurs casques, flotter par places, hors des vagues. — Mais un poète grec ne peut s’empêcher de faire sourire la guerre même. […] Aux premières plaintes d’Atossa, il lui a rappelé que « la destinée des hommes est de souffrir, et que des maux innombrables sortent pour eux de la terre et de la mer, quand ils ont longtemps vécu ». […] On se rappelle Théodose pleurant aussi le massacre de ThessaIonique, devant les « Fidèles », le front couvert de cendre, et dépouillé des ornements impériaux.

78. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

La Cour les a tous rappelés. […] Le commandant général est rappelé. […] Je me rappelle parfaitement bien qu’en 1764, à mon départ de Russie, vous me prêtâtes 100 roubles. […] Je me rappelle encore que dans le commencement de notre connaissance à Pétersbourg, vous me prêtâtes 15 roubles avant que je partisse pour Moscou. […] Je ne me rappelle plus quel usage j’ai fait de vos offres à cette occasion : seulement je me souviens très bien que je vous devais précédemment 100 roubles prêtés pour mon départ.

79. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les expressions abstraites qui ne rappellent en rien les mouvements du cœur de l’homme, et dessèchent son imagination, ne conviennent pas davantage à cette nature universelle dont un beau style doit représenter le sublime ensemble. […] Fénelon accorde ensemble les sentiments doux et purs avec des images qui doivent leur appartenir ; Bossuet, les pensées philosophiques avec les tableaux imposants qui leur conviennent ; Rousseau, les passions du cœur avec les effets de la nature qui les rappellent ; Montesquieu est bien près, surtout dans le Dialogue d’Eucrate et de Sylla, de réunir toutes les qualités du style, l’enchaînement des idées, la profondeur des sentiments et la force des images. […] Quand un Américain, en annonçant la mort de Washington, disait : Il a plu à la divine Providence de retirer du milieu de nous cet homme, le premier dans la guerre, le premier dans la paix, le premier dans les affections de son pays , que de pensées, que de sentiments étaient rappelés par ces expressions ! […] Un mot admis pour la première fois dans le style soutenu, s’il est bon, de nouveau qu’il était, devient bientôt familier à tous les écrivains ; ils se le rappellent naturellement comme inséparable de l’image ou de la pensée qu’il exprime.

80. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Seulement, la malheureuse renie maintenant son origine et son génie, et Louis Teste n’écrit pas une ligne sans les lui rappeler. Et il les lui rappelle ici avec plus de force que jamais. […] La nonciature de Mgr Pecci eut en Belgique une influence déterminante et si heureuse que, quand il fut rappelé, Léopold demanda pour lui à Grégoire XVI le cardinalat. […] … C’est peut-être le dernier combat que livrera l’Église pour la gloire du monde qu’elle a créé ou pour sa fin… Teste, qui est chrétien, et qui cherche à se faire avec des souvenirs une espérance, invoque l’Histoire à toute page de son livre, et rappelle les nombreuses et effroyables épreuves dont la Papauté est toujours sortie victorieuse.

81. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

Tourne les yeux : sa tombe est près de ce palais, C’est ici la montagne où, lavant nos forfaits, Il voulut expirer sous les coups de l’impie ; C’est là que de sa tombe il rappela sa vie. […] Si Lusignan ne rappelait à sa fille que des dieux heureux, les banquets et les joies de l’Olympe, cela serait d’un faible intérêt pour elle, et ne formerait qu’un dur contresens, avec les tendres émotions que le poète cherche à exciter.

82. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Quand Bettina, dès la première ou la seconde entrevue avec Gœthe qu’elle aimait depuis longtemps en imagination, se livrait auprès de lui à des caresses d’enfant et à des échappées de folle vigne en fleur, l’auguste et indulgent contemplateur se contentait, de temps en temps, de la rappeler à la raison et de lui dire : « Du calme, du calme ! […] Le seul défaut, à mon sens, de ces strophes si bien faites, si bien découpées, est de trop rappeler la sculpture, d’en avoir le poli et aussi un peu la dureté : cette poésie fait à l’oreille ce que le marbre fait au doigt : Et puis, pourquoi traduire un art par un art ? […] t’offrant ses plus doux lits, A pour toi choisi l’herbe et retiré la pierre ; On dirait qu’une main a modelé la terre Et sur la forme humaine en a moulé les plis De symboliques fleurs autour de toi rappellent Que les hommes parfois aux dieux se sont unis : Sur le sol fécondé par le sang d’Adonis, Près des eaux, l’anémone et la rose se mêlent. […] « Prenez, me dit l’humble vicaire, qui me rappelle la douce lignée des vicaires anglais poëtes et à qui j’avais conseillé, en effet, de les lire dans l’original, ainsi que les poètes lakists, prenez que c’est un panier de fruits, — des fruits du petit jardin que vous avez créé dans ce maigre terrain de nos montagnes, qui ne sont pas, il s’en faut, celles du Westmoreland. Que je serais heureux si mon panier avait gardé un peu de la saveur primitive, si mes vers vous rappelaient Wordsworth autrement que par le titre ! 

83. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun, entre les divers poètes de notre âge ou de l’âge précédent, est particulière, et je la rappellerai en peu de mots. […] Il est bien, en effet, un poète de transition et de l’époque intermédiaire, en ce sens qu’il unit en lui plus d’un ton de l’ancienne école et déjà de la nouvelle : tantôt, dans ses épîtres familières, il rappelle le bon Ducis, également touchant et familier ; tantôt, dans ses petites odes gracieuses, il semble se rattacher et donner la main à Fontanes finissant ; tantôt, dans ses stances méditatives ou ses effusions patriotiques, on dirait qu’il ne fait que côtoyer et doubler Lamartine qui prélude, ou Casimir Delavigne qui commence : tous ces accents divers, ces notes de plus d’un genre se rencontrent tour à tour et naturellement, sans disparate, dans les vers de M.  […] … Te rappelles-tu les jacinthes De nos bois secrets de Saint-Cyr ? […] Un fragment d’ode (car cela n’a l’air que d’un fragment), à propos d’un meurtre célèbre, le meurtre de Fualdès, et dans laquelle est célébrée la Justice aux mains éternelles et inévitables, se dresse debout comme une colonne et rappelle vraiment Pindare ou Horace en ses grands jours. […] Par les sites qu’il traverse, par la variété et le pittoresque des rivages qu’il arrose, il rappelle les fleuves de la Grèce.

84. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Une Visite de noces « Hors du temple et du sacrifice, ne montrez pas les intestins. » Je me rappelais ce beau précepte d’un ancien, en écoutant, l’autre soir, une Visite de Noces, où M.  […] Les commérages des trois railleuses rappellent ce vertueux supplice. […] Aux serments sacrés que l’épouse trahie lui rappelle, il oppose le serment parjure qui le rive à cette prostituée. […] En vérité, devant ce prince si monstrueusement dégradé, je me rappelle Saint-Simon nous rapportant le mot indigné qui échappa à mademoiselle de Sabran, dans une orgie de la Régence. […] On s’est rappelé le mari burlesque qui s’élance hors de sa chambre, en saisissant un fusil.

85. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Donc elle tendra moins à rappeler la fenêtre ouverte qu’à rappeler le bruit de vent. […] Ce terme ne rappellera pas seulement ses conséquents (bougie éteinte, obscurité, etc.), il rappellera encore ses antécédents : vent, gravure. […] Au contraire, elle tendra à rappeler simultanément le vent et la gravure, parce que, au moment même de la combinaison, elle s’est trouvée en simultanéité avec ces deux termes. De plus, elle ne tendra pas à les rappeler avec leur plein degré d’intensité, mais seulement avec le degré qu’ils avaient au moment de la combinaison. […] Vous vous rappellerez ce que vous avez fait pendant un certain temps dans tel milieu, et vous comparerez ce souvenir à vos impressions présentes, pour dire : C’est de longueur à peu près égale ou inégale.

86. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

Alexandre Dumas fils, si on se le rappelle, n’est enfin sorti, après combien d’efforts et d’années ? […] Est-il possible d’être moins homme que cet homme, qui a été chaste dans sa jeunesse, la force des forces pour qui connaît le cœur humain, et qui, après avoir été trompé, berné, humilié, trahi et raillé par sa femme, dont il se sépare, en redevient l’amant une dernière fois, et, pour s’achever, se cocufie lui-même ; car de telles bassesses, de telles abjections, rappellent les vieux mots bannis qui ne faisaient pas peur à nos ancêtres ! […] Pour qui se rappelle Antony, il est évident que Pierre Clémenceau est de la même race, avec les différences de tempérament et d’années qui séparent Alexandre Dumas père d’Alexandre Dumas fils.

87. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Ces noms étaient encore chers aux Romains, et leur rappelaient de grandes idées, à peu près comme les Grecs esclaves d’un bacha se promènent avec orgueil à travers les ruines de leur pays. […] Nous ne pouvons nous empêcher de rappeler ici que ce même Sénèque prêta sa plume à Néron pour justifier dans le sénat le meurtre d’Agrippine : ainsi un orateur philosophe fit l’apologie d’un parricide. […] Citoyens, sénateurs, amis, pères, époux, fidèles à tous les devoirs, au-dessus de l’intérêt, au-dessus de la crainte, opiniâtres dans le bien, et dédaignant une faveur qu’on ne pouvait gagner que par des bassesses, ils avaient étonné Rome corrompue, et rappelé Rome ancienne ; la récompense de tant de vertus fut telle qu’on devait alors s’y attendre, la mort.

88. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Je me rappelle pourtant une lithographie qui exprime, — sans trop de délicatesse malheureusement, — une des grandes vérités de l’amour libertin. […] Ces deux portraits suffiraient pour me le prouver, si ma mémoire ne me rappelait beaucoup d’autres morceaux également beaux. […] Quant à leur tournure et à leur esprit, ces deux figures me rappellent l’emphase des acteurs de l’ancien Bobino, du temps qu’on y jouait des mélodrames. […] Leur façon rappelle l’école de Metz, école littéraire, mystique et allemande. […] Ils rappellent les célèbres moutons dans les Vendeurs du Temple, de Jouvenet, qui absorbent Jésus-Christ.

89. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Vous vous rappelez la fable. […] Je n’ai pas besoin de rappeler la déclaration de Psyché et la réponse de l’Amour. […] Ces légers tableaux rappellent les albums de Gavarni. […] Mais, au reste, faut-il vous rappeler avec quel soin M.  […] Vous vous rappelez l’idée de cette parodie.

90. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Il y a dans le récit de cette vision un accent qui rappelle le style des prophètes. […] Si la manière de Giusti ne rappelle pas la manière de Béranger, on ne peut nier que le choix des sujets traités par le poète toscan ne rappelle très souvent à la mémoire du lecteur les œuvres du poète français. […] Il n’est donc pas hors de propos de les rappeler. […] Il me suffit de rappeler que M.  […] Ce renseignement est si vulgaire, que je m’étonne d’avoir à le rappeler.

91. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Sainte-Beuve, qui la lui rappelait naguère. […] Sainte-Beuve rappelle ici les articles de M.  […] Il en est le couronnement et la fin. — Je rappellerai ici un autre article de lui (n° du 20 septembre 1830), de ce nouveau Globe, que je ne puis m’empêcher de citer. […] En pensant à la tranquillité de la Chambre qui siégeait pendant que l’on s’égorgeait dans Paris, il rappelait l’effroyable mot de Sylla au Sénat romain. […] Sainte-Beuve ne pouvait se rappeler l’amabilité simple de M. 

92. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Qu’on se rappelle, par exemple, un tableau du symphoniste Rembrandt, ou des maîtres que nous appelons les Coloristes. […] Puis Watteau fut le traducteur des tristesses élégantes : il dédia l’adorable tiédeur de ses dessins à des Andantes légers et doux, qui rappelleraient un idéal Mozart. […] L’effet extérieur rappelle trop le magnifique portrait sombre, le portrait d’une dame anglaise, que le peintre nous montrait, en 1885. […] J’étais présent au premier cycle, et je pus constater l’effet extraordinaire produit par cette œuvre, surtout quand on se rappelle que ce public n’était pas initié aux mystères Wagnériens. […] Que l’on se rappelle les tonalités, si fines et gracieuses, de certains tableaux, dans les musées de Dresde, d’Anvers, de Londres.

93. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Ce diplomate, dont on a les Mémoires, a consacré tout un intéressant chapitre à ses relations avec Talleyrand47 ; il y a inséré les réponses qu’il reçut de lui dans les dernières années, lorsque de temps en temps il jugeait à propos de se rappeler à son souvenir. […] Je dois le rappeler ici pour détruire un préjugé assez généralement répandu : non, la diplomatie n’est point une science de ruse et de duplicité. […] Il lui échappa de dire en plus d’une occasion : « Je sens que je devrais me mettre mieux avec l’Église. » On remarquait encore qu’il revenait plus volontiers sur ses souvenirs de première jeunesse et sur ses années de séminaire ; il ne craignait pas de les rappeler. […] Gagern va tout à l’heure nous le dire mieux encore et nous rappeler comment s’opérait cette heureuse intelligence. […] Se rappeler, dans Célimare le bien-aimé, le mari qui vient dire à l’amant de sa femme le mot convenu : « Ma femme m’a dit de venir te demander les Nord. » 59.

94. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Je puis assurer les élégiaques et les rêveurs que Lamartine, qui effleura cette vie de l’Empire dans sa jeunesse, apprécie fort et sait très-bien rappeler à l’occasion certaines des plus belles chansons de Désaugiers. […] Désaugiers, en ce genre, a la veine plus grasse qu’aucun de ses devanciers et de ses contemporains ; mais on ose mieux louer en lui les vifs et légers accès de son humeur jaillissante, au nombre desquels je rappellerai encore la Manière de vivre cent ans (1810). […] Est-il besoin de rappeler avant tout que Béranger est un esprit d’un tout autre ordre, un talent hors de pair, qui a créé son domaine et qui a ouvert, ne fût-ce que pour lui seul, des voies nouvelles ? […] Le curé de Saint-Roch ne le chicana en rien à l’article de la mort, et le digne ecclésiastique oublia ou ignora parfaitement qu’en racontant autrefois le refus de prières qui signala l’enterrement de Mlle Raucourt, Cadet Buteux avait chansonné sur l’air : Faut d’ la vertu, pas trop n’en faut… On se rappelle la lettre du bon chanoine que nous avons précédemment citée, et qui témoigne de l’indulgence du clergé en général pour Désaugiers ; il me semble maintenant que nous nous l’expliquons très-bien. […] En vain dans son Appel aux Français soupirait-il d’un demi-ton de plainte : Peuple français, la politique T’a jusqu’ici fort attristé ; Rappelle ta légèreté, Ton antique Joyeuseté !

95. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Je me la rappelle rue d’Isly, dans ce petit appartement au midi, où le soleil courait et se posait comme un oiseau. […] À ce propos je me rappelle qu’à la prise de voile de Floreska, deux sœurs, deux fillettes du monde, se mirent à me faire l’œil pendant le discours de l’abbé. […] * * * — Je me rappelle de mon enfance des parties de charades chez Philippe de Courmont, rue du Bac, quand il était avec Bonne Amie (la femme qui l’a élevé) qui l’appelait Fifi. Je me rappelle une charade dont le mot était « marabout ». […] Là, chaque coin de rivière, chaque saulée vous rappelle une exposition.

96. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Vous rappelez-vous les perdreaux, il les engloutissait… il a peut-être avalé un grain de plomb, cela suffit pour une perforation, n’est-ce pas ? […] Sa mère, elle se la rappelle comme dans du clair-obscur. […] Il se rappelle aussi quand tout petit, il allait à une école de petites filles, où il était le seul garçon. […] De cette pension Nittis se rappelait une scène qui lui avait fait grand-peur. […] Dans le livre, on se le rappelle, c’était fait avec un sécateur de rencontre… À la fin, des sifflets très aigus partant d’une loge, se mêlent aux applaudissements.

97. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Voyons, en effet, si nous ne sommes pas un peu dans les mêmes atmosphères… Est-ce que Le Titan n’y rappelle pas Le Satyre ? […] et dès longtemps je voulus le rappeler à cette haute destinée. […] La Critique, qui, pour être féconde, doit rappeler aux hommes leurs devoirs envers leurs propres facultés au lieu de répéter cent fois les mêmes reproches à un talent qui tombe dans les mêmes trous, — mettons que ce soient des abîmes, — devait rappeler à Victor Hugo le respect qu’il devait à son génie. […] Rappelez-vous Les Misérables et leur tonnerre ! […] Rappelez-vous ce tonnerre et comparez !

98. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

La question des égouts — vous vous rappelez ? […] Et vous vous rappelez ce que disait Montaigne de ceux qui critiquaient son livre : « Je veux qu’ils donnent une nazarde à Plutarque sur mon nez et qu’ils s’eschauldent à injurier Sénèque en moy. » Bien qu’il ne s’agisse plus ici que du tour général du style, prenez bien garde de donner une pichenette à Voltaire sur le nez de M.  […] Vous rappelez-vous certain article sur la magistrature dont la réforme venait d’être décidée à la Chambre ? […] Je suis plus à l’aise pour rappeler ici (car les lecteurs de la Revue ont été les premiers à en savourer le régal) le charme de cordialité, de bonhomie, de franchise et de gaieté des Souvenirs personnels : savez-vous bien que M.  […] Sarcey : il m’a paru qu’il n’était que juste de le rappeler.

99. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Mais nos âmes vont se modifiant et, par suite, l’idée que nous nous formons des grands écrivains et des grands artistes et l’émotion qu’ils nous donnent ne sont point les mêmes aux diverses époques de notre vie : faut-il rappeler une vérité si simple ? […] Il n’y a pas une seule pièce dans Toute la Lyre, qui ne rappelle des pages, je ne dis pas analogues, mais parfaitement semblables, de chacun des recueils précédents. […] La pièce qui ouvre Toute la Lyre, et qui en rappelle quinze ou vingt autres, est peut-être la plus magistrale et la plus complète que Hugo ait écrite sur la Révolution. […] Je voudrais ne pas trop répéter ce qu’on sait ; je ne rappellerai donc pas que Hugo a peut-être été le plus puissant et, à coup sûr, le plus débordé des descriptifs. […] Je rappelle au lecteur que cet article et le suivant sont des articles de polémique et qu’ils rendent surtout des impressions d’un jour.

100. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Faut-il rappeler combien de fois les mésaventures conjugales et les méfaits des belles-mères ont fourni un thème à plaisanteries vieilles comme le monde et cependant toujours goûtées de nos ancêtres aussi bien que de leurs descendants ? […] Mais il est bon de se rappeler que dans ce long effort, qui tend à établir une équivalence parfaite, c’est-à-dire une égalité de droits n’excluant pas une diversité de fonctions entre les deux moitiés de l’humanité, il y a eu des moments d’arrêt, de progrès rapide et aussi d’effervescence désordonnée. […] Il a soin de lui rappeler qu’elle garde sa liberté pleine et entière. […] Je rappellerai pourtant qu’il conviendrait de compléter cette étude par celle de la place qu’y occupent les serviteurs. […] Vous rappelez-vous comme Scapin tombe à genoux à la vue de cet instrument trop aigu ?

101. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

« Je suis un peu embarrassée », dit Mme Roland lorsqu’elle en vient à cette histoire, « de ce que j’ai à raconter ici ; car je veux que mon écrit soit chaste, puisque ma personne n’a pas cessé de l’être, et pourtant ce que je dois dire ne l’est pas trop. » Et en finissant ce récit, de tout point fort circonstancié, elle ajoute : « L’impression de ce qui s’était passé demeura si forte chez moi que, même dans l’âge des lumières et de la raison, je ne me le rappelais qu’avec peine ; que je n’en ai jamais ouvert la bouche à une intime amie qui eut toute ma confiance ; que je l’ai constamment tu à mon mari, à qui je ne cèle pas grand’chose, et qu’il m’a fallu faire dans ce moment même autant d’efforts pour l’écrire que Rousseau en fit pour consigner l’histoire de son ruban volé, avec laquelle la mienne n’a pourtant pas de comparaison. » Je sais bien d’autres histoires des Confessions avec lesquelles celle-ci a plus de ressemblance qu’avec le ruban volé, et ce sont les plus laides ; il suffit, je ne les indiquerai pas avec plus de précision. […] Mais, à la différence de Mme de Sévigné, les gaillardises de Mme Roland ne viennent pas de tempérament ni de nature ; elles ne rappellent de près ni de loin le Rabelais ni le Molière ; elles sont, de parti pris, philosophiques, et on sent trop que l’auteur ne se les permet que d’après le ton d’alentour et comme pour être soi-même à la hauteur. […] En ce qui est de cette veine de sentiments secrets éprouvés par Mme Roland et seulement soupçonnés jusqu’ici, on avait passé par des suppositions successives et des tâtonnements qu’il n’est pas inutile de rappeler. […] C’est la vie la plus favorable à la pratique de la vertu, au soutien de tous les penchants, de tous les goûts qui assurent le bonheur social et le bonheur individuel dans cet état de société ; je sens ce qu’elle vaut, je m’applaudis d’en jouir… » Voilà la vie de Mme Roland pendant des années et son intérieur moral, calme, contenu, sain et purifiant ; voilà les tableaux dignes de sa première vie, ceux qu’on ne saurait trop rappeler à son sujet et que je regretterais de voir ternir ; car ils donnent l’expression vraie et fidèle. […] Voilà des résultats ; ils sont peu de chose encore au prix des quatre lettres adressées par Mme Roland à Buzot et qui rentrent dans ce même ton tout cornélien, qui rappellent également le tour et la façon de Mme de Wolmar.

102. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Il y a eu dans les deux communions des réveils, des coups de baguette impérieux et puissants, des coups de trompette, de grands talents, de belles âmes éloquentes, ardentes, qui ont essayé de fondre les divisions artificielles, de dégager le vrai courant, de reporter les esprits aux hauteurs et aux sources, de ne s’attacher qu’à ce qui est la vie ; et je le dirai avec la conscience de ne faire injure à aucun, s’il y a eu d’un côté Lacordaire, ce regard flamboyant, cette parole de feu, on a eu de l’autre Adolphe Monod, cette âme d’orateur et d’athlète chrétien qui, à ceux qui l’ont vue de près dans son agonie suprême, a rappelé le martyre et l’héroïsme de Pascal. […] À voir, cependant, chez elle l’emploi de ce patois si libre, si naïf, si coloré, je me suis rappelé une remarque du comte Jaubert, qui se trouve des mieux justifiées : « On peut soutenir sans paradoxe, dit-il dans la savante Introduction au Glossaire du centre de la France, que les patois déploient généralement un luxe de tropes à étonner Dumarsais lui-même, une originalité, une sorte de génie propre, capable non seulement d’intéresser, mais même d’offrir certaines ressources au grand art d’écrire. » Il y faut seulement, pour ce dernier point, du choix et de la sobriété. […] En faisant le portrait de sa vieille puritaine vaudoise, Mme de Gasparin ose (avec toutes sortes de précautions, il est vrai), rappeler la bouche et le sourire de la Joconde. Ici je m’insurge : c’est décidément une fausse note tirée de trop loin : car si l’on est de Paris pour se rappeler la Joconde du Louvre, on est aussi de Paris pour bien d’autres choses. […] Le bûcheron qui frappe et abat l’un des pins de la forêt le lui rappelle.

103. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

L’auteur, dès les premières pages, m’a rappelé tout d’abord combien, au sein d’un même mouvement littéraire, il y a de différences entre les générations qui se succèdent, qui se dépassent : c’est, toute proportion gardée, et si parva licet componere magnis, comme dans notre grande Révolution. […] J’y distingue les stances écrites pour le Prince de Chypre dans un ballet, et où l’on croirait entendre à l’avance quelque accent de Quinault ; je me rappelle aussi que madame Tastu aime particulièrement les stances qui ont pour titre les Nautonniers. […] Et puis, quand je vois prodiguer, à propos de la moindre pochade en vers, ces noms de Téniers, de Terburg et autres excellents peintres flamands, je me permettrai de rappeler que la poésie, en de tels cas, n’est point précisément la peinture. […] Gautier a trouvé moyen de rassembler dans l’article Saint-Amant, pour les rattacher à ce poëte bon vivant et comme pour lui faire cortége, m’a rappelé encore que c’est vraiment trop pour une mascarade. […] Se rappeler de Racan ta Retraite, l’Ode au comte de Bussy, et de Maynard l’Ode à Alcippe.

104. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

Il serait peu généreux en toute autre circonstance de s’en souvenir et de venir rappeler des ouvrages de lui appartenant par leur nuance à la littérature la plus moderne, et qu’il semble avoir si parfaitement oubliés ; mais tout se tient, et il est des contre-coups bizarres à de longues distances. […] remy, qui préconise uniquement chez les Anciens une certaine ingénuité et simplicité qu’on ne conteste pas, mais qu’il exagère, oublie tout à fait une autre qualité qu’ils n’ont pas moins, le tenuem spiritum, comme l’appelle Horace ; ce qui faisait dire encore à Properce dans une élégie que tout à l’heure nous rappellerons : Exactus tenui pumice versus eat. […] Dans le chant que met André Chénier sur les lèvres d’Homère, il assemble toute une série de grands sujets, et tandis que se déploie devant nous ce riche canevas, ce tissu des saintes mélodies, on y reconnaît et on se rappelle successivement, tantôt le chant de Silène dans l’églogue vie de Virgile, tantôt le bouclier d’Achille et les diverses scènes qui y sont représentées, puis encore des allusions à diverses circonstances de l’Odyssée ; mais, vers la fin du chant, le combat des Centaures et des Lapithes prend le dessus, et tout d’un coup on y assiste. […] Les Centaures, notez-le bien, étaient fils de la nue, et le poëte dit de Riphée, l’un des plus superbes, qu’il rappelait les couleurs de sa mère, en d’autres termes, qu’il …. portait sur ses crins, de taches colorés, L’héréditaire éclat des nuages dorés. […] Mais lui, qui se donne comme si expert dans le siècle de Périclès, devrait, ce me semble, se rappeler un peu mieux son siècle d’Auguste.

105. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

C’est d’abord qu’il y a tant de romans aimés des simples (et je ne parle pas seulement des romans-feuilletons), où « le monde » nous est décrit avec des élégances qui rappellent celles des gravures de tailleurs ou de l’homme des « 100, 000 chemises » ! […] Etudiez l’espèce de plaisir que vous avez pu prendre quelquefois à ces réunions ; rappelez-vous les bras, les épaules nues, les jeux de l’éventail, les corsages plaqués, la toilette qui exagère toutes les parties expressives du corps féminin : vous reconnaîtrez que ce n’est guère par les grâces de la conversation, volontiers insignifiante, que vous avez été séduit, mais que l’attrait du sexe était pour beaucoup dans votre plaisir. […] Ce récit rappelle un peu, par le sujet et par le tour, avec moins de libertinage, certains romans du dernier siècle : La duchesse se borna à fermer avec sa main la bouche de Roger en l’appelant : « Fou !  […] Rappelez-vous ce qu’il lui dit, et pourquoi elle lui pardonne, et surtout rappelez-vous pourquoi il aime mieux, cette fois, les ténèbres des rideaux fermés.

106. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

La pure forme du xviie  siècle, telle que nous aimons à la rappeler, n’a plus guère été qu’une antiquité gracieuse et qu’un regret pour les gens de goût. […] À travers quelques détails de mauvais ton où il parle de volerie et de mangeaille, comme on lui pardonne en faveur de cette vieille chanson d’enfance dont il ne sait plus que l’air et à peine quelques paroles décousues, mais qu’il voudrait ressaisir toujours, et qu’il ne se rappelle jamais, tout vieux qu’il est, sans un charme attendrissant ! […] J’ai cent fois projeté d’écrire à Paris pour faire chercher le reste des paroles, si tant est que quelqu’un les connaisse, encore : mais je suis presque sûr que le plaisir que je prends à me rappeler cet air s’évanouirait en partie, si j’avais la preuve que d’autres que ma pauvre tante Suzon l’ont chanté. […] La vue de la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant, la liberté du cabaret, l’éloignement de tout ce qui me fait sentir ma dépendance, de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser, me jette en quelque sorte dans l’immensité des êtres pour les combiner, les choisir, me les approprier à mon gré, sans gêne et sans crainte. […] Qu’on se rappelle cette nuit qu’il passe à la belle étoile au bord du Rhône ou de la Saône, dans un chemin creux près de Lyon : Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi, je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage.

107. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Rappelez-vous — si vous le pouvez — les fameux articles, si fameusement oubliés, de la Revue des Deux-Mondes. […] Planche, sec comme son nom, adorait la sécheresse de Mérimée qui lui rappelait la sienne ; car Mérimée, né de Stendhal, était un Stendhal maigre. […] Esprit de très courte haleine et de peu d’invention, ses romans rappellent toujours des romans plus forts que les siens. De même que son Théâtre de Clara Gazul rappelle le théâtre espagnol qu’il imite, dans sa Chronique de Charles IX il rappelle Walter Scott qu’il met en vignette, dans Colomba Stendhal, et dans la Guzla, assimilateur laborieux, une poésie qui n’est pas la sienne.

108. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

En même temps que la domination étrangère, c’est la règle générale dans tout l’Orient, rappelle S.  […] Rappelons d’abord qu’en tout état de cause l’unification des sociétés n’est nullement à nos yeux la raison suffisante de leurs tendances égalitaires, mais une des conditions, entre beaucoup d’autres, qui favorisent le succès de ces tendances. […] * ** Par quels intermédiaires l’unification des sociétés peut les pousser à l’égalitarisme, nous le savons dès à présent, si nous nous rappelons seulement la corrélation de cette forme sociale avec celles que nous avons déjà examinées. […] Tocqueville reconnaît, à l’encontre de Spencer, que la démocratie ne va guère sans la centralisation ; mais il rappelle aussi que la liberté peut perdre, à cette centralisation, tout ce que l’égalité peut gagner. — Par là se trouverait levée toute contradiction entre notre thèse et celle de Spencer : il peut être vrai à la fois que les sociétés unifiées, comme il le prétend, oppriment les individus, et, comme nous le prétendons, les égalisent, — puisqu’il est vrai peut-être qu’elles les oppriment pour les égaliser. […] Il est invraisemblable, pour toutes les raisons que nous avons rappelées, qu’un pouvoir central fort veuille tolérer ces États partiels qui, accaparant leurs sujets, divisent la totalité des siens en groupes hétérogènes aussi fermés que compacts, et s’opposent à leur égalisation.

109. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Parvenu au haut d’une colline, je contemplai longtemps, dit le narrateur, ce spectacle qui rappelait les guerres des conquérants de l’Asie ; la plaine était couverte de ces immenses bagages, et les clochers de Moscou, à l’horizon, terminaient le tableau. […] Même après avoir franchi le Niémen, et lorsqu’on a lieu enfin de se croire en sûreté, cette extrême arrière-garde se retrouve tout à coup en danger d’être enlevée par un parti de Cosaques, et l’on se voit obligé de renouveler à travers champs une marche de nuit, conduite encore par Ney, et qui rappelle, mais plus tristement, l’aventure du Dniepr. […] On a quelquefois rappelé à cette occasion la retraite des Dix Mille ; mais il n’y a nul rapport ni dans les proportions, ni pour les circonstances et les résultats, entre l’héroïque et ingénieuse retraite conduite et consacrée par le génie de Xénophon, et l’immense catastrophe où s’engloutit la plus grande armée moderne. […] » De semblables souvenirs peuvent naturellement se rappeler au sujet de l’auteur de la narration présente : il est de ceux qu’un Xénophon lui-même n’aurait pas désavoués pour le ton, et il se souvient de Virgile.

110. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Rappelez-vous la Fille de Séjan, dans Barnave ! Rappelez-vous son Âne mort, qui n’était qu’une moquerie de la littérature de 1830, cette coquette d’atrocité ! […] On se rappelle ce large gilet blanc croisé (son seul luxe), qui signalait la présence du feuilletoniste des Débats à toutes les avant-scènes des théâtres où il étalait sa personne, — non point comme le gentilhomme des Fâcheux : Qui de son large dos morguait les spectateurs… Jamais Janin n’a morgué personne ! […] Il rappelait les champs, et Janin le virgilien les aimait.

111. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

» Elle rappelle au duc de Richelieu la démarche que tenta Frédéric au commencement de la guerre : ce prince engageait la France à attaquer la reine de Hongrie au centre, en même temps que, lui, il entrerait en Silésie. […] Il y avait, rappelons-le pour ne pas être injuste dans notre sévérité, il y avait, au sein de ce Versailles d’alors et de cette Cour si corrompue, un petit coin préservé, une sorte d’asile des vertus et de toutes les piétés domestiques dans la personne et dans la famille du Dauphin, père de Louis XVI. […] Ami de M. de Choiseul, ennemi du ministère d’Aiguillon et de la maîtresse favorite, il eût pu dire aux approches du danger, comme Saint-Simon à la nouvelle de la mort de Monseigneur : « La joie néanmoins perçoit à travers les réflexions momentanées de religion et d’humanité par lesquelles j’essayois de me rappeler. » A nos yeux comme aux siens, est-il besoin d’en avertir ?

112. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Lenient rappelle ici une exquise anecdote. […] Le Sultan la rappelle à l’ordre « Ah ! […] Vous rappelez-vous le sujet ? […] J’en rappellerai quelques points essentiels et j’y ajouterai mes réflexions. […] Larroumet s’est cru obligé de nous rappeler les bienfaits de la Révolution.

113. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

Idomenée est mort après sa naissance ; Térée est rentré dans les ténebres ; Guillaume Tell, après avoir débité un François Suisse, a dit : Je pars, j’erre en ces rocs où par-tout se hérisse Cette chaîne de monts qui couronne la Suisse* Et personne n’a été tenté de le rappeler. […] On se rappelle alors très-à-propos ces Vers de Lafontaine, Ne forçons point notre talent, Nous ne ferions rien avec grace, &c.

114. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

Et lorsque le poids du jour sera tombé, nous continuerons notre route, et dans un temps plus éloigné, nous nous rappellerons encore cet endroit enchanté, et l’heure délicieuse que nous y aurons passée. […] C’est précisément, comme s’il eût dit à tout le monde : Messieurs, rappelez-vous ces morceaux de Casanove qui vous ont tant surpris, il y a deux ans.

115. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Rappelons d’abord la fable, cela est nécessaire. […] cette mort et cet enterrement de Manon, rappelez-vous ! […] Rappelez-vous les personnages du Père Aubry et du Père Souël. […] Je vous en rappelle brièvement la donnée. […] Vous rappelez-vous la petite Agnès, la bonne Syra, l’enfant Tarcisius ?

116. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Rappelez-vous toutes ces gloires, et que la justice guide votre arrêt !  […] Un peu avant de quitter Rouen, Marquise le rappelle. […] Leur maître (vous vous rappelez qu’UIysse lui a crevé l’œil ?) […] Je me rappelle seulement un épisode assez saisissant. […] Mayer (vous le rappelez-vous dans l’Ecole des veufs ?)

117. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vacquerie, Auguste (1819-1895) »

De rares couplets font exception et rappellent un moment que le romantisme a pourtant passé par là… pour le reste (je ne vous livre là qu’une impression), le style et la versification de M.  […] Paul Meurice rappelle ces grandes crises littéraires de leur jeunesse ; d’un œil plus froid aujourd’hui, le grand défenseur du romantisme considère les jours de lutte pour les Burgraves et l’arrivée de Ponsard, posé imprudemment par « l’école du bon sens » en adversaire de Victor Hugo ; Ponsard, dit M. 

118. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

En vérité, ces exagérations d’économistes rappellent, à leur manière, les exagérations d’un autre genre dont on s’est tant moqué, quand les hommes de la fin du xviiie  siècle, hébétés par le matérialisme, proclamaient que la Révolution française était toute dans le déficit financier. […] Les économistes oublient trop une pensée de Bonald, qu’il est peut-être bon de leur rappeler : « Les révolutions, comme les grandeurs des peuples, ont des causes matérielles et prochaines qui frappent les yeux les moins attentifs, mais ces causes ne sont, à proprement parler, que des occasions ; les véritables causes, les causes profondes et efficaces, sont toujours des causes morales, que les petits esprits et les hommes corrompus méconnaissent. » 1.

119. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Et il est difficile de soutenir qu’une aliénation de la personne qui rappelle ou la folie, ou le somnambulisme naturel, ou les deux à la fois, soit un état sans aucun élément pathologique. […] Comment l’opérateur peut-il parfois suggérer avec succès à l’hypnotisé de se rappeler les faits hypnotiques après le réveil ? […] Rappelons que M.  […] C’est ce qui paraît avoir eu lieu pour la dame américaine de Mac-Nish, qui, après un long sommeil, entrait dans une phase d’existence où elle se rappelait les phases analogues sans soupçonner les phases intercalées ; elle ne se rappelait ces dernières qu’une fois revenue à son premier état. […] Rappelons que l’antécédent invariable de tout mouvement qui n’est pas dû à des causes purement mécaniques est la concentration dominante et exclusive de l’attention sur l’idée de ce mouvement, sur la représentation motrice.

120. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Mme la Princesse de Belgiojoso13 I Qui ne se rappelle ce temps inouï de la Révolution romaine qui dura trop et qui dura si peu… Ce fut 1789 à son maximum d’illusion terrestre. […] On n’y trouve qu’un volume de Don Quichotte qui la retient, quand l’idée la prend d’être trop chevalière errante, et qui la rappelle tout à coup à l’ordre, avec la grosse voix de Sancho, Ce qu’elle décrit avec le plus de soin, ce sont les paysages, et elle les nuance comme elle ferait de sa tapisserie dans son boudoir, ou la beauté de quelques femmes dont elle dit successivement, avec une négligence et une bonne foi, ou une mauvaise, mais qu’on aime : « Celle-là était la plus belle femme que j’aie jamais vue en Asie », ou enfin les atours inouïs de luxe et de poésie parfois, mais plus souvent de mauvais goût, de ces grandes coquettes Barbares. […] Cette cosmopolite qui n’est bien nulle part, pas même dans cette Asie, ce climat-palais où elle s’est retirée, cette cosmopolite qui n’est plus folle du Cosmos maintenant, et qui souffre de cette goutte d’infini que nous avons tous dans la poitrine et que tout un monde ne contiendrait pas, oublierait l’Europe sans les contrastes qui la lui rappellent ; et proscrite de tout, même de la sphère de l’esprit, dans son livre, s’y résigne avec une facilité plus rare et plus charmante que l’esprit même, tant celui qu’elle avait autrefois, elle y vise peu maintenant, et l’a peut-être, en Europe, oublié !

121. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Eugène Hatin » pp. 1-14

Hatin, qui aurait pu les rappeler avec un juste mépris et passer outre, les a trop rappelées, et s’est attardé dans des citations qui donneront à croire que le besoin de compléter un volume, où la matière d’un volume manque évidemment, était furieusement impérieux ! […] Nous ne lui rappellerons pas que l’Histoire est une muse chaste, — ce serait trop, — mais une muse… propre.

122. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Ce n’est pas le Faust de Gœthe, quoiqu’il le rappelle. Ce n’est pas celui de Marlowe, quoiqu’il se vante, à plus d’une place, de le rappeler. […] Vous rappelez-vous cette page inouïe de Jean-Paul, dont le sublime transportait madame de Staël, quand, au Jugement dernier, il peint le désespoir des âmes qui auront vécu en Jésus-Christ sur la terre et compté sur le ciel pour prix des plus cruelles vertus, lorsqu’elles entendront une voix sortant des profondeurs de l’Infini, qui criera par tout Josaphat : Vous vous êtes trompés !

123. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Il rappelle les deux monastères de Monte-Oliveto à Naples et de Saint-Onufrio à Rome, qui donnèrent plus tard au poète, l’un l’asile de ses derniers beaux jours, l’autre l’éternel asile de son tombeau. […] « Tout cela, je vous le rappelle en pleurant, ô vous ! […] « Les croisades rappellent la Jérusalem délivrée : ce poème est un modèle parfait de composition. […] Pendant qu’il écrivait ce poème, les nécessités de son procès et les instances de ses amis le rappelèrent encore à Naples. […] jusque dans le calme de la mort, on ne sait quelle obliquité des traits du visage, qui rappelle la démence luttant avec le génie.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

… » Comme Voltaire l’avait dénoncé d’emblée aux puissances et signalé comme un calomniateur de Louis XIV, de Louis XV et du roi de Prusse, La Beaumelle le rappelait à l’ordre et lui faisait toucher son inconséquence : « Apprenez qu’il est inouï que le même homme ait sans cesse réclamé la liberté de la presse, et sans cesse ait tâché de la ravir à ses confrères15. » Il y a même une lettre assez éloquente, la xiiie , dans laquelle l’auteur suppose un baron allemand de ses amis, qui s’indigne de l’espèce de défi porté par Voltaire, dans son enthousiasme pour le règne de Louis XIV : « Je défie qu’on me montre aucune monarchie sur la terre, dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits de l’humanité, aient été moins foulés aux pieds… que pendant les cinquante-cinq années que Louis XIV régna par lui-même. » La réponse est d’un homme qui a souffert dans la personne de ses pères et qui sort d’une race odieusement violentée dans sa conscience, opprimée depuis près de quatre-vingts ans16 et traquée. […] Si ce procédé consistait seulement à corriger les fautes de français de Frédéric, les impropriétés d’expression, on le concevrait, on l’excuserait presque ; on se rappellerait que ce sont là des libertés que se sont permises presque tous les éditeurs de son temps et même du nôtre, si l’on excepte ceux des dernières années. […] Je vous prie d’arranger bien vite vos affaires, car vous me manquez beaucoup ici ; de plus, l’endroit qui vous rappelle sans cesse l’objet de votre tristesse, l’augmenterait, et le séjour de Berlin l’effacera. […] De plus, le lieu qui vous rappelle sans cesse l’objet de votre affliction n’est pas propre à l’affaiblir, et le séjour de Berlin l’effacera. […] [NdA] Frédéric lui-même rappelait Voltaire à l’ordre sur ce point, dans une lettre du 19 avril 1753, écrite dans le temps que s’imprimait cette réfutation où Voltaire, tout en se vengeant, n’était pas fâché de se donner comme le vengeur des rois : « Je n’ai point fait alliance avec vous pour que vous me défendiez, et je ne me soucie guère de ce que La Beaumelle s’est avisé de dire de moi ou de mon pays.

125. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Ma fille, prête l’oreille aux chants d’Ossian ; il se rappelle les jours heureux de sa jeunesse. […] Le murmure de tes ruisseaux, ô Lora, rappelle la mémoire du passé. […] « Mais pourquoi rappeler les combats de ma jeunesse ? […] Pourquoi l’as-tu rappelée ?  […] Quant à leur beauté propre, on n’a qu’à se rappeler leurs splendides passages devenus classiques en naissant.

126. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

C’est pour cela, messieurs, que je vous ai rappelé ceux-ci. […] Rappelez-vous Salammbô. […] Rappelez-vous les Trois Mousquetaires. […] Le rôle du soldat est de les leur rappeler, par sa seule existence. […] Mes amis, rappelez-vous que vous êtes de la 11e.

127. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Ce funeste trait de lumière frappe la raison avant d’avoir détaché le cœur ; poursuivi par l’ancienne opinion à laquelle il faut renoncer, on aime encore en mésestimant ; on se conduit comme si l’on espérait, en souffrant, comme s’il n’existait plus d’espérances ; on s’élance vers l’image qu’on s’était créée ; on s’adresse à ces mêmes traits qu’on avait regardés jadis comme l’emblème de la vertu, et l’on est repoussé par ce qui est bien plus cruel que la haine, par le défaut de toutes les émotions sensibles et profondes : on se demande, si l’on est d’une autre nature, si l’on est insensé dans ses mouvements ; on voudrait croire à sa propre folie, pour éviter de juger le cœur de ce qu’on aimait ; le passé même ne reste plus pour faire vivre de souvenirs : l’opinion qu’on est forcé de concevoir, se rejette sur les temps où l’on était déçu ; on se rappelle ce qui devait éclairer, alors le malheur s’étend sur toutes les époques de la vie, les regrets tiennent du remords, et la mélancolie, dernier espoir des malheureux, ne peut plus adoucir ces repentirs, qui vous agitent, qui vous dévorent, et vous font craindre la solitude sans vous rendre capable de distraction. […] pendant longtemps encore la passion que l’on ressent rend impossible de croire qu’on ait cessé d’intéresser l’objet de sa tendresse : il semble que l’on éprouve un sentiment qui doit se communiquer ; il semble qu’on n’est séparé que par une barrière qui ne vient point de sa volonté ; qu’en lui parlant, en le voyant, il ressentira le passé, il retrouvera ce qu’il a éprouvé ; que des cœurs qui se sont tout confiés, ne peuvent cesser de s’entendre, et rien ne peut faire renaître l’entraînement dont une autre a le secret, et vous savez qu’il est heureux loin de vous, qu’il est heureux souvent par l’objet qui vous rappelle le moins ; les traits de sympathie sont restés en vous seule, leur rapport est anéanti. […] l’on croirait possible d’exister dans un monde qu’il n’habitera plus, de supporter des jours qui ne le ramèneront jamais, de vivre de souvenirs dévorés par l’éternité, de croire entendre cette voix dont les derniers accents vous furent adressés, rappeler vers elle, en vain, l’être qui fut la moitié de sa vie, et lui reprocher les battements d’un cœur qu’une main chérie n’échauffera plus ? […] Une sorte de trouble sans fin, sans but, sans repos, s’empare de leur existence, les unes se dégradent, les autres sont plus près d’une dévotion exaltée que d’une vertu calme ; toutes au moins sont marquées du sceau fatal de la douleur : et pendant ce temps, les hommes commandent les armées, dirigent les Empires, et se rappellent à peine le nom de celles dont ils ont fait la destinée ; un seul mouvement d’amitié laisse plus de traces dans leur cœur que la passion la plus ardente ; toute leur vie est étrangère à cette époque, chaque instant y rattache le souvenir des femmes ; l’imagination des hommes a tout conquis en étant aimé ; le cœur des femmes est inépuisable en regrets, les hommes ont un but dans l’amour, la durée de ce sentiment est le seul bonheur des femmes.

128. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Pourtant elle n’est pas épuisée encore, et il y a dans cette destinée du poète, séducteur à la fois des pères et des fils, sur un même thème d’amour, quelque chose qui rappelle véritablement la destinée de Ninon. […] Il rappelle le nom de l’héroïne de Jean-Jacques, mais il rappelle aussi un vers de Voltaire : Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie. Il me rappelle un vers d’André Chénier : Et nous aurons Julie au rire étincelant… Il y a des nuances morales attachées aux noms.

129. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

M. de Musset rappelait, à ce propos, les vers que M. de Lamartine, jeune, avait adressés à lord Byron prêt à partir pour la Grèce ; et, sans aspirer à une comparaison ambitieuse, il lui demandait de l’accueillir aujourd’hui avec son offrande comme lui-même avait été reçu autrefois du grand Byron. […] M. de Lamartine a le premier jugement superficiel en poésie ; je me rappelle ses premiers jugements sur Pétrarque, sur André Chénier. […] Et M. de Musset va essayer de le peindre avec les couleurs les plus fraîches, les plus enchantées, avec des couleurs qui me rappellent (Dieu me pardonne !) […] Il n’est pire douleur, a dit Dante, que de se rappeler les jours heureux quand on est dans le malheur.

130. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

L’Étrangère, ou plutôt la reine Agnès, car Philippe-Auguste la rappelle sur le trône, ne survit pas à son cher Arthur, et la pauvre Izolette va n’éteindre dans un couvent. […] Mais il a rappelé, entre autres éloges indiscrets et malheureux, celui qui compare la popularité de M. d’Arlincourt à celle de Walter Scott ; et il a fini en signalant le but moral de l’Étrangère.

131. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre II. Amour passionné. — Didon. »

. : on ne peut plus s’occuper que d’elle ; on en est possédé, enivré : on la retrouve partout ; tout en retrace les funestes images ; tout en réveille les injustes désirs : le monde, la solitude, la présence, l’éloignement, les objets les plus indifférents, les occupations les plus sérieuses, le temple saint lui-même, les autels sacrés, les mystères terribles en rappellent le souvenir32. » « C’est un désordre, s’écrie le même orateur dans la Pécheresse 33, d’aimer pour lui-même ce qui ne peut être ni notre bonheur, ni notre perfection, ni par conséquent notre repos : car aimer, c’est chercher la félicité dans ce qu’on aime ; c’est vouloir trouver dans l’objet aimé tout ce qui manque à notre cœur ; c’est l’appeler au secours de ce vide affreux que nous sentons en nous-mêmes, et nous flatter qu’il sera capable de le remplir ; c’est le regarder comme la ressource de tous nos besoins, le remède de tous nos maux, l’auteur de nos biens34… Mais cet amour des créatures est suivi des plus cruelles incertitudes : on doute toujours si l’on est aimé comme l’on aime ; on est ingénieux à se rendre malheureux, et à former à soi-même des craintes, des soupçons, des jalousies ; plus on est de bonne foi, plus on souffre ; on est le martyr de ses propres défiances : vous le savez, et ce n’est pas à moi à venir vous parler ici le langage de vos passions insensées35. » Cette maladie de l’âme se déclare avec fureur, aussitôt que paraît l’objet qui doit en développer le germe. […] Ensuite, avec l’adresse d’une femme, et d’une femme amoureuse, elle rappelle tour à tour le souvenir de Pygmalion et celui de Iarbe, afin de réveiller ou la générosité ou la jalousie du héros troyen.

132. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

C’est pourquoi les poètes ont mieux réussi dans la description des enfers ; du moins l’humanité est ici, et les tourments des coupables nous rappellent les chagrins de notre vie ; nous nous attendrissons sur les infortunes des autres, comme les esclaves d’Achille, qui, en répandant beaucoup de larmes sur la mort de Patrocle, pleuraient secrètement leurs propres malheurs. Pour éviter la froideur qui résulte de l’éternelle et toujours semblable félicité des justes, on pourrait essayer d’établir dans le ciel une espérance, une attente quelconque de plus de bonheur, ou d’une époque inconnue dans la révolution des êtres ; on pourrait rappeler davantage les choses humaines, soit en tirant des comparaisons, soit en donnant des affections et même des passions aux élus : l’Écriture nous parle des espérances et des saintes tristesses du ciel.

133. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Mais cela rappelle trop le mot d’Hamlet : To sleep ! […] Toutefois on trouve encore dans ce second chant quelques passages qui rappellent le charme et le talent du premier. […] Cela rappelle l’éloquent sophiste dont M. de La Harpe a fait un portrait admirable. […] L’auteur, caché dans son désert, se rappelle les amis qu’il ne verra plus. […] Ce chœur d’Euripide rappellera facilement au lecteur le dialogue de Roméo et de Juliette.

134. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

On se rappelle involontairement la belle lettre, de dix ans antérieure, que le roi écrivait à sa mère au lendemain de Marignan, et dans laquelle respire l’ardeur de la mêlée. […] » Prenez garde en effet, cherchez bien, rappelez vos souvenirs, et tantôt ce sera l’Arioste ou Pétrarque, tantôt Théocrite, ou tel auteur de l’Anthologie, ou tel italien-latin du xve siècle. […] Nodier14, qui s’est complu a y voir un caractère original ; ils rappellent naturellement ceux de Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose… L’un et l’autre poëte avaient chance de se rencontrer, puisqu’ils avaient en mémoire le même modèle. […] Les expressions triomphantes dont est rempli le Journal de la mère du roi, et qui rappellent le Latonæ pertentant gaudia pectus , se reproduisent dans les lettres et dans les vers de sa sœur. […] Cigongne contient aux dernières pages une pièce qui rappelle un peu, pour le motif, la chanson de l’Arioste, mais qui va fort au-delà ; elle trouverait sa vraie place dans un Parnasse satyrique.

135. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Mais nous nous rappelons que l’eau est molle et n’a pu plier le bois, et que, en vingt autres circonstances, d’autres bâtons demi-plongés ont subi le même changement d’aspect. […] Que le lecteur veuille bien rappeler l’un des siens, et s’y abandonne, surtout s’il est récent, vif et prolongé ; de cette façon, il en verra mieux la nature. J’ai passé trois heures, il y a un mois, sur le port d’Ostende, occupé à regarder le soleil qui se couchait dans un ciel clair, et, en ce moment-ci, je me rappelle sans difficulté la rue plate, la digue pavée de briques rougeâtres, la vaste étendue d’eau miroitante, tout le détail de ma promenade, le matelot et les deux promeneurs à qui j’ai parlé, ma longue rêvasserie au bout de l’estacade, d’où je suivais le déclin du jour et les changements de la mer mouvante, le fourmillement lumineux des flots, leurs creux bleuâtres zébrés de clartés rousses, toute la pompe de la grande nappe liquide qui se plissait, se déroulait et chatoyait comme une soie de Jordaens. — Ce sont là des images, c’est-à-dire des résurrections spontanées de sensations antérieures, et, comme toutes les images, celles-ci comportent une illusion quand elles deviennent intenses et nettes. […] Ainsi, quand, entendant une note au piano, je me rappelle la note précédente, les choses se passent comme lorsque, considérant la journée d’aujourd’hui, je me rappelle la journée d’hier. […] Sans aucun doute, le soir du jour où je l’ai appris, je me rappelais la grammaire ou le dictionnaire où je l’avais lu, mon bouquin d’écolier, l’endroit précis, telle ligne d’une page froissée et tachée d’encre.

136. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

La dame mourut quelques jours après ; la fille grandit sans se rappeler sa mère jusqu’à l’âge mûr. […] Si, par exemple, je me rappelle les ténèbres en plein jour, il faut que ma représentation imaginaire des ténèbres soit distinguée de mes perceptions présentes. […] Que je ferme les yeux, que je m’absorbe dans une rêverie profonde, que je me rappelle fortement les circonstances dans lesquelles j’ai reçu un coup, je pourrai finir par me persuader un instant que je le reçois, plus ou moins fort ; je pourrai tressaillir comme si on me frappait encore. […] Parfois nous ne pouvons nous rappeler où nous avons vu un visage, où nous avons lu une phrase, et cependant nous sentons que ce visage n’est pas nouveau, que cette phrase nous est déjà familière, à un degré aussi faible que possible, mais réel. […] « Souvent, dit-il, dans une promenade, l’idée m’est venue que j’avais déjà vu, entendu ou pensé auparavant ceci ou cela sans que je pusse me rappeler dans quelles circonstances.

137. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Évolution heureuse, et qui nous rappelle cette vérité, parfois méconnue, que les hommes ne sont pas seulement des esprits songeurs et des âmes repliées, mais des âmes pensantes dans des corps agissants, enveloppés les uns et les autres par l’humanité vivante et par la nature. […] Au printemps dernier, je voyageais en Tunisie avec la caravane que dirigeait le Résident général de France, et je me rappelle l’impression de limpidité que me laissa le crépuscule, un jour que nous approchions du village de Téboursouk. […] Rappelez-vous cet entant ému jusqu’aux larmes sans savoir pourquoi. Et, à la fin du volume, rappelez-vous l’homme désillusionné, tombé de son rêve et à jamais meurtri. […] » Rappelez-vous comme il pèse et comme il est précieux à soutenir, dans quelle attitude exténuée il glisse le long du suaire, avec quelle affectueuse angoisse il est reçu par des bras tendus et des mains de femme… Un de ses pieds, un pied bleuâtre et stigmatisé, rencontre au bas de la croix l’épaule nue de Madeleine.

138. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Mais nous ne nous rappelons le passé que parce que notre corps en conserve la trace encore présente. […] Je rappelais, au début de cette conférence, comment l’étude des maladies du langage a conduit à localiser dans telles ou telles circonvolutions du cerveau telles ou telles formes de la mémoire verbale. […] Nous-même, il y aura bientôt vingt ans de cela (si nous rappelons le fait, ce n’est pas pour en tirer vanité, c’est pour montrer que l’observation intérieure peut l’emporter sur des méthodes qu’on croit plus efficaces), nous avions soutenu que la doctrine alors considérée comme intangible aurait tout au moins besoin d’un remaniement. […] Les choses se passent bien plutôt comme si le cerveau servait à rappeler le souvenir, et non pas à le conserver. […] Quand nous avons oublié un nom propre, comment nous y prenons-nous pour le rappeler ?

139. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

On se rappelle le Chant de Néron, et les concetti qui le déparent. […] Hugo n’a songé que plus tard à lui rappeler, au lieu de ces descriptions un peu superficielles de flammes ondoyantes, de fleuves de bronze, etc., etc., où l’auteur a pris insensiblement la place de son personnage, c’était l’âme du tyran qu’il s’agissait surtout de nous révéler dans toutes ses profondeurs, avec ses joies dépravées et ses cuisantes tortures, telle en un mot que l’éclairait l’incendie criminel où elle trouvait à la fois un supplice et une fête. […] Je ne fais que rappeler la Fée et la Péri.

140. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Émile Zola Je rappellerai la pièce de vers qui ameuta les Parnassiens et même une partie du public. […] Cette poésie bourgeoise et populaire, intime et vécue, que Sainte-Beuve avait rêvée, vous vous le rappelez, dont il n’y avait quelques accents avant lui que dans la chanson de Béranger peut-être, M.  […] rappelle le célèbre alexandrin du Fruit défendu : Léon, je te défends de brosser ton chapeau !

141. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

C’étaient le plus souvent des circonstances fortuites ou insignifiantes de la vie du maître qui rappelaient aux disciples certains passages des Psaumes et des prophètes, où, par suite de leur constante préoccupation, ils voyaient des images de lui 733. […] Il faut se rappeler que toute l’antiquité, à l’exception des grandes écoles scientifiques de la Grèce et de leurs adeptes romains, admettait le miracle ; que Jésus, non-seulement y croyait, mais n’avait pas la moindre idée d’un ordre naturel réglé par des lois. […] Il faut se rappeler, d’ailleurs, que toute idée perd quelque chose de sa pureté dès qu’elle aspire à se réaliser.

142. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gérard Du Boulan »

On se rappelle toutes les interprétations historiques qu’on a essayé de donner des types du Gargantua et du Pantagruel de Rabelais, et celles des Caractères de La Bruyère, dans lesquels on n’avait voulu voir qu’une galerie de portraits. […] On se rappelle le rôle des prêtres jansénistes dans les premières assemblées révolutionnaires. […] L’histoire du xviie  siècle tient presque toute la place dans ce livre à queue de rat, qui rappelle le ridiculus mus du poète, et on se dit en finissant : Ce n’est que cela !

143. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

… III Il l’obtient, comme Hugo, qu’il rappelle partout et sans cesse, au prix de l’invraisemblable, du faux, de l’impossible, de tout ce qui n’est plus la vie, même la vie intense, la vie passionnée, la vie montée à sa plus haute puissance, soit dans le mal, soit dans le bien ! […] … Cela rappelle le mot sur Mirabeau : « Si vous aviez entendu le monstre !  […] , ce roman est partagé en deux parties, portant des sous-titres différents : la première, La demoiselle en or ; la seconde, La petite impératrice, et il rappelle un peu les romans oubliés d’Eugène Sue, mais avec une expression autrement vibrante et supérieure et un désintéressement de tout ce qui n’est pas l’effet dramatique, auquel la vérité humaine est sacrifiée dans la mesure qu’elle a, pour frapper plus fort.

144. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Mais à travers tout, ce qui importe le plus, l’homme est là pour nous guider et nous rappeler ; il reparaît en chaque ouvrage et dans les intervalles avec sa nature expressive et bienveillante, avec son esprit net, judicieux et fin, son tour affectueux et léger, sa morale perpétuelle, touchée à peine, cette philosophie aimable de tous les instants qui répand sa douce teinte sur des fortunes si différentes, et qui fait comme l’unité de sa vie. […] Un jour, à cette heure même de la promenade impériale, M. de Ségur imagina de se trouver dans la seconde des allées au moment du détour, et de ne pas s’y trouver seul, mais de se faire apercevoir, comme à l’improviste, prenant ou recevant une légère, une très-légère marque de familiarité d’une des jolies dames de la cour qu’il n’avait sans doute pas mise dans le secret. — Au dîner qui suivit, le front de Sémiramis apparut tout chargé de nuages et silencieux ; vers la fin, s’adressant au jeune ambassadeur, elle lui fit entendre que ses goûts brillants le rappelaient dans la capitale, et qu’il devait supporter impatiemment les ennuis de cette retraite monotone. […] Chaque événement, chaque anniversaire de cette vie intérieure était célébré par de petites comédies, par des vaudevilles qu’on jouait entre soi, par de gais ou tendres couplets qui parfois circulaient au-delà : quelques personnes de cette société renaissante se rappellent encore la chanson qui a pour titre : les Amours de Laure. […] En 1801 enfin, il contribua au rétablissement des saines notions historiques et au redressement de l’opinion par deux publications importantes et qui méritent d’être rappelées. […] Il aimait, en donnant, à rappeler ces années de détresse, ces journées d’humble et intime jouissance où lui-même il avait dû au travail de sa plume la subsistance de tous les siens.

145. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Cela entraine des conséquences graves : d’abord un dédain profond des classes subalternes, un parti pris d’écarter ce qui peut rappeler les vulgarités de la vie domestique ou populaire ; puis, entre les privilégiés admis sur un terrain de choix, un code très sévère de bienséances : peu parler de soi ; épargner l’amour-propre d’autrui ; flatter ou ménager les travers des gens en leur présence, ce qui n’interdit pas — au contraire — de les railler en leur absence ; beaucoup de tact et de circonspection ; adoucir les angles de son caractère ; mettre une sourdine aux émotions trop vives, aux convictions trop fortes ; laisser entendre ce qu’on ne peut pas dire tout haut ; s’habituer ainsi à une fine analyse des sentiments, à une psychologie déliée qui permet de reconnaître à un froncement de sourcils, à un regard, à une inflexion de voix les plus subtils mouvements du cœur. […] Entrons chez les précieuses, et remarquons, en passant, qu’on parle toujours des précieuses et rarement des précieux, ce qui nous rappelle que les femmes ont dans le monde la place d’honneur. […] Faut-il rappeler ces traductions qu’on appelait « les belles infidèles » ; la Bible pomponnée, attifée, presque enrubannée ; les formules superbes prêtées aux orateurs des républiques antiques : Messieurs les Athéniens, j’ai l’honneur de vous proposer telle mesure. ; les hommes des siècles passés, qu’ils s’appelassent Achille ou Pharamond, dotés de cette majesté dont Louis XIV ne se départait pas, « même en jouant au billard » ; tel poète d’autrefois, à commencer par Homère, honni par les uns, parce qu’il a manqué aux convenances, en mettant aux prises des héros qui se traitent de cœur de cerf et d’œil de chien, défendu par les autres, au nombre desquels est Boileau, sous prétexte que le mot âne, trivial en français, est parfaitement noble en grec. […] Je pourrais citer mille travestissements du même genre ; je n’en rappellerai qu’un Legouvé (le père), dans sa tragédie La mort de Henri IV, rencontra sur sa route le mot si connu : « Je voudrais que chaque paysan pût mettre la poule au pot le dimanche. » Une poule ! […] Preuve en soit, à la fin du règne du grand Roi, ce groupe mal famé de libres viveurs et de libres penseurs, qui soupe, rime et s’ébaudit au Temple autour des princes de Vendôme, entretient à huis clos un esprit de moquerie, d’impiété, de révolte et rattache ainsi, comme un chainon vivant, la Fronde, qu’il rappelle, à la Régence, qu’il annonce.

146. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Les amis de Michel Forestier le surnomment parfois gaiement Michel-Ange : il en rappelle, à ce moment, la rigueur austère. […] Si, comme elle croit, sa passion survit à l’absence, le père la rappellera près de lui : si, au contraire, Paul l’oublie, elle promet de se résigner. […] Il est question de Léa, dont le mari est mort et qu’un procès urgent rappelle à Paris. […] Mais ce n’est pas la soif de l’or qui le rappelle au désert. […] Vous vous rappelez peut-être cette scène de la Contagion où d’Estrigaud, se trouvant en tête-à-tête avec une marquise millionnaire, apprenait qu’un mouvement de Bourse venait de le ruiner subitement.

147. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Berger, vient m’en rappeler l’idée et m’en procurer l’occasion. […] Dans notre jeunesse, et quand le Moyen Âge était à la mode, je me rappelle avoir entendu regretter, au sujet de Volney, qu’au lieu de ce nom qui siérait aussi bien à un personnage de roman, il n’eût point gardé ce premier nom pittoresque de Chassebœuf, qui rappelait un chevalier et haut baron poursuivant dans la plaine le vilain et piquant les troupeaux de sa lance : mais le commun du monde y voyait naturellement le vilain et le bouvier encore plus que le chevalier. […] Quand il nous définit la qualité du sol de l’Égypte et en quoi ce sol se distingue du désert d’Afrique, ce « terreau noir, gras et léger », qu’entraîne et que dépose le Nil ; quand il nous retrace aussi la nature des vents chauds du désert, leur chaleur sèche, dont « l’impression peut se comparer à celle qu’on reçoit de la bouche d’un four banal, au moment qu’on en tire le pain » ; l’aspect inquiétant de l’air dès qu’ils se mettent à souffler ; cet air « qui n’est pas nébuleux, mais gris et poudreux, et réellement plein d’une poussière très déliée qui ne se dépose pas et qui pénètre partout » ; le soleil « qui n’offre plus qu’un disque violacé » ; dans toutes ces descriptions, dont il faut voir en place l’ensemble et le détail, Volney atteint à une véritable beauté (si cette expression est permise, appliquée à une telle rigueur de lignes), une beauté physique, médicale en quelque sorte, et qui rappelle la touche d’Hippocrate dans son Traité de l’air, des lieux et des eaux. […] Ce terme et cette image de pivot qui la termine un peu brusquement m’a aussitôt rappelé un tableau que nous connaissons tous : Joseph vendu par ses frères, de Decamps.

148. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

La grâce, la grâce, qu’on aime peut-être mieux dans la laideur que dans la beauté, parce qu’étant toute seule, on l’y voit mieux, Joseph Delorme l’a dans ce contraste suprême, comme il a l’ardeur de la passion dans l’impuissance, et rappelle-t-il parfois, cet énervé du rêve moderne, l’eunuque des Lettres persanes, dont l’indigence avive le désir. […] , y avait écrit cette petite-ci : « On a cru possible de jeter à la suite du Joseph Delorme quelques pièces qui en rappellent le ton, et qui ne pouvaient trouver place que là. » Seulement le nombre des pièces en question, qui ne sont qu’une vingtaine dans l’édition de 1886, dépassent de beaucoup la soixantaine dans l’édition d’aujourd’hui, et la Critique, pour être juste, doit tenir compte de ce nombre de pièces où l’accent diminué, gâté, affadi, mais l’accent autrefois profond et fiévreux du Joseph Delorme, est cependant sensible encore. […] Ainsi dans le sonnet : Sous les derniers soleils de l’automne avancée, où je reconnais le Joseph Delorme à l’ardeur physique des derniers vers, à ces fermentations d’un matérialisme que l’Imagination colore… Mais en ces pièces nouvelles, ce qui rappelle et ressuscite, pour une minute, l’ancien Joseph Delorme est fort rare, dans cette proportion du moins. […] — rappelle le René de Chateaubriand, mais vulgarisé, mis à la portée de tout le monde, descendu d’accent de dix octaves et dont le médium, dans Joseph Delorme, nous a si intimement pénétrés, allez, M.  […] Qui ne se rappelle le poème de Monsieur Jean, ce modèle de naïf travaillé et… constipé, aurait dit Montaigne ?

149. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Amédée Pommier rappelle trop ce noyau de cerise autour duquel une des plus grandes artistes de l’Italie du xvie  siècle avait gravé toute l’histoire de N. […] Amédée Pommier, qui fut toujours un esprit outré, comme disent les esprits modestes, qui ont de bonnes raisons pour l’être, le rappelle en des vers excellents, dans son ancienne manière connue, d’une bonhomie comique et mordante : … Les philistins, les pédants et les cuistres, Qui m’ont en mal déjà noté sur leurs registres Pour avoir cultivé, rimeur émancipé, Le genre mors aux dents ou cheval échappé, Trouvant que de nouveau je prêche et prévarique, Élèveront encore leur voix charivarique, Et se scandalisant de ma ténacité, Crieront au mauvais goût, — à l’excentricité. […] Rappelez-vous Les Djinns de M.  […] Rappelez-vous ces quelques chansons du Cromwell, — La Chanson du Fou, par exemple, — ces gouttes de rosée frémissantes, rouges du soir, qui suffisent pour noyer toute une tête humaine dans un infini de rêveries ! […] Le livre que voici et dans lequel la langue poétique, non pas déchaînée, mais comme parée des entraves de sa prosodie, danse dans toutes les mesures du rythme et du mètre, au bruit de la double cymbale de ses rimes, en des vers ardents, fourmillants, mouvementés, sensuels d’éclat, de lignes courbes, de torsions charmantes, d’allures folles, un pareil livre rappelle la kermesse de Rubens, mais comprenez-le bien et ne l’oubliez pas !

150. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Lebrun a appelé l’Ajax du parti libéral sous la Restauration ; on n’a pas même assez rappelé qu’à un certain moment, à l’époque de la dernière censure, M. de Salvandy avait été, à lui seul, toute la presse périodique opposante. […] Dans un parallèle, assez contestable d’ailleurs, qu’il a établi entre l’œuvre du littérateur et l’action de l’homme d’État, il a rappelé la difficulté qu’il y a quelquefois, pour le meilleur gouvernement, à être le bienfaiteur des peuples qui ressemblent trop aux Athéniens de l’Antiquité ; il a parlé de cet esprit qui était aussi celui de Rome en de certains siècles (Roma dicax), de cet esprit de dénigrement devant lequel rien ne trouve grâce, et il s’est plaint de ce qu’il a nommé notre dissolvante ingratitude.

151. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Cependant je ne me rappelle pas un seul événement de ma vie dont j’aie pu apprécier la durée avec plus de certitude, dont les détails soient mieux gravés dans ma mémoire, et dont j’aie la conscience mieux affermie. » Une troisième observation du même genre m’est communiquée par M.  […] Au fond de la barque était un groupe de femmes auprès desquelles se tenait un bel enfant blond, dont je me rappelle fort bien le costumé, la figure et surtout les cheveux bouclés. — Puis je me retrouvai à cheval de l’autre côté de l’eau, te guide marchait près de moi, et je le voyais.

152. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Non seulement il a su, quoique jeune, se garantir de la contagion des travers littéraires de notre siecle, mais encore il a eu le courage de se déclarer pour le bon goût ; & les différentes critiques qu’il a publiées, prouvent qu’il en connoît les principes, & qu’il est capable de les rappeler avec succès. […] La fausse ostentation de l’amour de la Patrie n’en imposera plus dans des bouches mensongeres ; & l’Ecrivain utile qui respectera les Loix, vengera la Religion, rappellera les mœurs, défendra le goût, sera assuré de voir protéger ses travaux, & de n’avoir pas à gémir des tristes effets de son zele.

153. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

Je pourrois, à mon tour, lui rappeler les anecdotes qu’il m’apprenoit chaque jour sur le compte des Philosophes, les plaisanteries que nous en faisions ensemble, les éloges qu’il a donnés à des Productions où ils étoient attaqués. […] Lisez, M., lisez les Questions sur l’Encyclopédie * ; & si vous vous rappelez la maniere dont certains Sauvages traitent leurs ennemis, qu’ils mettent en pieces après leur mort, vous aurez une idée de celle dont l’honnête Philosophe des Alpes a traité cet Ecrivain, jusqu’alors l’objet de ses adulations. »   *.

154. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

La messe, les prières, les sacrements, les cérémonies de l’Église, que l’auteur rappelle à tous moments, augmentent aussi les beautés religieuses de l’ouvrage. […] Enfin, cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du bon Pasteur, et l’on sent qu’il n’y a qu’un chrétien qui ait pu soupirer les évangéliques amours de Paul et de Virginie.

155. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Il écrivit donc cet, « Avant-dire » précieux et si souvent rappelé, où en quelques lignes il résumait sa pensée et son art du Symbole. […] A quelques lignes de distance le sagace critique ne se le rappelait plus. […] Et il concluait par cette prophétie d’âpre louange, souvent rappelée depuis : « M.  […] Il disait encore toutes sortes de choses très spirituelles qu’il n’est pas indispensable de rappeler. […] Rappelons-nous : « Le mouvement Symboliste est un mouvement de Forme, plutôt que d’idées ».

156. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Sa physionomie, qui est connue de tout le monde, était déjà médaille ; elle rappelait par la forme et par la teinte les bronzes impériaux des empereurs du Bas-Empire. […] Les Bourbons étaient dans ce moment son seul salut, mais ce salut même lui rappelait qu’elle avait besoin d’être sauvée ; elle les subissait en grondant, comme le malade subit le remède. […] Josabeth s’alarme comme une mère ; elle rappelle au grand-prêtre, son époux, combien lui a coûté le salut de cet enfant. […] Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler ; Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites. […] Rappelle, Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.

157. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Vous ne pouvez rien y gagner, à rappeler votre honte. […] On ne sait trop d’abord où il en veut venir ; il rappelle certains orateurs cauteleux dont nous tairons les noms ; il a l’art d’irriter les opinions qu’il effleure. […] Elle rappelle, en chaste épouse, le premier jour de ses noces : « À Ham (et ceci indique bien la France du Nord pour lieu de la scène), le premier jour d’avril, au temps de Pâques, il y eut dix ans qu’Ysengrin me prit. » Les noces furent belles et plénières ; toutes les bêtes y vinrent, et remplissaient tellement les fossés et les louvières qu’à peine eût-on pu trouver place « où une oie pût couver ». […] Ici scène dramatique qui rappelle plus au sérieux le moment où l’intimé, dans Les Plaideurs de Racine, produit la famille du chien Citron : ……………………… Venez, famille désolée, Venez, pauvres enfants qu’on veut rendre orphelins !

158. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Cela me rappelle qu’un jour il me dit (au commencement de sa carrière politique) : « Avez-vous jamais lu de l’économie politique ? […] Je le lui rappelai, car ce jour-là, comme il était à la veille de publier ses Girondins et qu’il me témoignait son inquiétude sur son succès, qu’il aurait voulu populaire, je lui avais dit : « Populaire, soyez tranquille, vous l’êtes, et plus que vous ne le croyez. […] je ne le souhaite pas, mais si jamais il y avait deux hommes à choisir dans la rue par acclamation pour faire un président de la République, vous courriez risque d’être un de ces deux hommes. » — « Oui, peut-être bien, me répondit-il, si l’on avait à en prendre dix. » — « Non, si c’était seulement deux, » lui dis-je. — Je lui rappelai ce mot-là, afin de donner plus de poids à ce que j’essayai de lui dire sur les circonstances présentes, et je crois pouvoir assez fidèlement résumer cette conversation brusque et rapide depuis le premier mot en ces termes : — « (Lamartine.)

159. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

La République se rappela que sans être démocrate— car il ne l’est point de vue première et de principe — Tocqueville avait toujours tenu à ce qu’on s’arrangeât avec la démocratie future et qu’on acceptât les faits accomplis. […] Les meilleures lettres qu’on ait de lui ne peuvent valoir, par le détail de l’observation (son seul mérite réel), les livres qu’elles rappellent par leur langage raisonnable, tranquille et d’une pâle élégance, quand il est le mieux réussi. […] Pourquoi donc être venu, par une publication imprudente, rappeler l’impertinence d’un tel bonheur ?

160. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Il y arriva comme eux, robuste, armé, prêt à tout, se distinguant comme un des premiers et des plus solides de cette Légion de romantiques qu’on pourrait appeler : « les forts en Israël », et dont il ne restait plus guères, quand il mourut, que Victor Hugo, lequel nous semblait — comme le Louis XIV qu’il haïssait certainement, mais qu’il n’eut peut-être pas été fâché de rappeler — devoir fermer probablement le cortège de son siècle. […] Rappelez-vous L’Enfer, et Paris, et Les Colifichets 7. […] On se rappelle les vers qu’il publia, peu avant sa mort, dans le journal La Liberté, et avec lesquels il recommença le tour de force de Barthélemy, qui publiait chaque semaine un numéro de sa Némésis.

161. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Ce n’est pas à eux, d’ailleurs, à ces hommes d’État qui ont senti à leur jour tout le poids du gouvernement, qu’il est besoin de rappeler la gravité et la mesure. […] La vraie politique (est-ce à l’illustre orateur qu’il est besoin de le rappeler ?)

162. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bornier, Henri de (1825-1901) »

. — À la suite de ces poésies lyriques, parmi lesquelles se détache encore l’hymne éclatant à la mémoire de Paul de Saint-Victor, se placent des poèmes philosophiques qui ont aussi leur grande valeur, d’un symbolisme profond et d’une émotion communicative ; quelques-uns m’ont rappelé, avec une langue plus moderne, certaines inspirations très heureuses d’Émile Deschamps, qui présente quelques analogies avec notre poète, ne serait-ce que par un caractère commun dans leur talent, caractère de conciliation et de transaction. […] Nous nous rappelions, nous autres vétérans de l’orchestre, la Fille de Roland comme un beau succès de 1874 et comme un bon ouvrage.

163. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Mais enfin il faut se rappeler que ce poète fut le premier poète épique moderne, qu’il vivait dans un siècle barbare, qu’il y a des choses touchantes2, et quelquefois sublimes dans ses vers, et qu’après tout, il fut le plus infortuné des mortels. […] Nous ne nous rappelons point de personnages arrachés au tombeau, chez les anciens, si ce n’est Alceste, Hippolyte et Hérès de Pamphylie3.

164. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Rappelons d’abord cet axiome : Les hommes sont portés naturellement à consacrer le souvenir des lois et institutions qui font la base des sociétés auxquelles ils appartiennent. […] La mémoire rappelle les objets, l’imagination en imite et en altère la forme réelle, le génie ou faculté d’inventer leur donne un tour nouveau, et en forme des assemblages, des compositions nouvelles.

165. (1898) Essai sur Goethe

Les hommes qui ont vécu par le cœur savent bien qu’il a sa mémoire : Rousseau, par exemple, se rappelait mieux ses sentiments que ses idées. […] C’est encore un dithyrambe, un discours déclamatoire, un peu puéril, dont l’esprit et le ton rappellent le discours sur Shakespeare. […] Nous nous contenterons donc de rappeler les faits, en peu de mots. […] Lotte doit se rappeler qu’elle en a souri. […] Pas une allusion ne rappelle les tragédies dont la cour de Ferrare était d’habitude le théâtre.

166. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Quoi qu’il en soit de ce rigorisme qui doit après tout moins exciter le blâme que le regret, on trouve d’ailleurs dans son livre des détails sur l’armée et sur l’émigration, d’où ressortent des vues générales assez curieuses, ce nous semble, et qu’on ne saurait trop rappeler. […] Leur haine se tourna naturellement sur ces jeunes chefs, au profit desquels on déshéritait leurs services ; il y eut division dans chaque corps : et cependant la nation commençait de lutter avec la cour, celle-ci se couvrait de l’armée, à laquelle d’autre part on rappelait son origine citoyenne.

167. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Dupin a rappelé que, vers ce temps, succombait aussi un autre homme, grand par l’action, un de ces hommes nécessaires dont la présence seule irritait les factions parce qu’elles le connaissaient et le craignaient. […] Dupin, quelque chose de brusque, de saccadé, d’offensif et d’inévitable, qui rappelle, si l’on veut, une fuite de Parthes ou une charge de Bédouins.

168. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Semblable à un Architecte, qui, sur les débris informes d’un édifice miné, en traceroit le plan, en dessineroit les proportions, en sentiroit les beautés & les défauts, & assigneroit, sur les plus foibles indices, la cause de sa chute : son génie, par d’heureuses combinaisons, a ranimé les objets effacés, a rappelé ceux qui avoient disparu, en a recréé de nouveaux, pour achever le tableau qu’il vouloit mettre sous les yeux. […] S’il falloit d’autres preuves des sentimens de M. de Montesquieu, nous n’aurions qu’à rappeler sa mort chrétienne & ses propres paroles à Madame la Duchesse d’Alguillon : La révélation est le plus beau présent que Dieu pût faire aux Hommes.

169. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

La tête énergique de Fabvier rappelait les hommes des siècles passés, et nous revînmes à lui plusieurs fois. […] Son visage rappelait celui du Crucifié. […] — Mon Philémon et ma Baucis, dit Goethe, n’ont aucun rapport avec ce célèbre couple et avec la tradition qu’il rappelle. […] Il rappelle le roi Achab, qui croyait ne rien posséder, s’il ne possédait pas la vigne de Naboth. […] Je me rappelle surtout une d’elles qui même encore maintenant me fait plaisir.

170. (1904) En méthode à l’œuvre

Exemple, où nous parvenons à l’entendement que la Matière en laquelle immanent en un seul deux désirs dont un autre s’engendre, qui est son désir du Fruit en qui elle se saura, — évolue expansivement selon un signe elliptique… Or, nous ne pouvions assentir à la proposition de Goethe, de voir selon une « spirale » le processus universel, — pour ce, que si elle en démontre heureusement le mouvement d’expansion et l’originelle sortie hors du Cercle, elle n’en rend ou n’en rappelle pas en même temps les temps de rétractive reprise : et ainsi, n’exprime pas, nous le verrons, tout le phénomène de l’évolution qui n’est pas égal et continu. […] (Fondamentalement peu marqué, rappellerons-nous à l’appui, le son de l’« e » a quatre harmoniques dont trois de peu d’intensité). […] Nous rappellerons que nous avons dit de la Matière en devenir : « qu’elle se phénoménise en Temps dans l’Espace ainsi pluri-numéralement délimité. » Dire où est incluse l’idée du Rythme, — et qu’il est universel, immanent à la Matière qui devient. […] Encore, dans l’intérieur du vers les sons des rimes environnantes seront rappelés, leurs mêmes sons ou atténués en Assonnances, en rapports d’idées. […] Brutale s’il est nécessaire, mais savante continuement : trouvant entre les timbres-vocaux la nuance transitoire, et, pour les consonnes, les remplaçant entre elles, opérant les permutations phoniques de leurs degrés, — l’Allitération, ainsi, devient en elle-même telle qu’une adventice série instrumentale… Pour terminer, sans rappeler sa particularité de couleur et de timbre, il sied dire de « l’e muet » quel précieux élément instrumental il est, — qui peut toutes nuances selon sa place, depuis donner une valeur pleine, ou éteindre et lui-même et presque les sonorités qui l’entourent.

171. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Des bonheurs disparus se rappeler la place, C’est rouvrir des cercueils pour revoir des trépas ! […] Je dis au vieux jardinier de rappeler ma jument noire, qui paissait en liberté dans un verger voisin, et de la seller pour moi. […] Ces collines, par leur engencement, leur étagement, la mobilité des ombres qu’elles se renvoient les unes les autres sur leurs flancs, du jour qu’elles se reflètent, par leur transparence au sommet, et les couches d’or que les rayons glissants du soleil y mêlent à la fleur déjà dorée des genêts, m’ont toujours rappelé les montagnes de la Sabine près de Rome, qu’aimait tant Horace ; depuis que j’ai vu la Grèce, elles me représentent davantage les cimes rondes et à grandes échancrures des montagnes de la Laconie et de l’Arcadie. […] » s’écria-t-il (les paysans de ces contrées ne savent de mes noms que celui-là). « Il n’y a que lui qui ait connu Madeleine, qui ait secoué le sorbier de la cour, qui ait rappelé les chiens des chasseurs pour leur rompre le pain de seigle devant la maison. […] Je me rappelais père, mère, sœurs, enfance, jeunesse, amis de la maison, contemporains de mes jours de joie et de fête, arbres d’affection, sources abritées, animaux chéris, tout ce qui avait jadis peuplé, animé, vivifié, enchanté pour moi ce vallon, ces prairies, ces bois, ces demeures.

172. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Émile Gaume, en présence de la tombe, a prononcé un discours plein de convenance et d’affection, dans lequel il a rappelé la pensée et le but de cette réunion commémorative. […] Je le dis pour avoir connu de près ses chefs et ses héros, Cousin et Villemain, et au-dessous d’eux, Nisard. — L’Académie des Inscriptions a aussi ses préjugés, quoique Quicherat ait essayé, sur la tombe même de Dübner, de réfuter, en balbutiant, le fait incontestable que j’avais rappelé. J’estime et j’aime beaucoup de ces académiciens gréco-latins ; mais comment pas un, du vivant de Dübner, n’a-t-il élevé hautement la voix dans cette Académie pour la rappeler à la justice ?

173. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Régulièrement, durant tout le volume, on aura le récit des causes célèbres qui vont être jugées, des grandes exécutions qui vont faire éclat, et, entre deux petites histoires de la question ordinaire ou extraordinaire, on aura le délassement de ces horreurs, la conversation avec les dames, de galantes promenades en carrosse hors de la ville, quand le soleil d’automne le permet, non pas sans quelques excursions plus lointaines, à Vichy, par exemple, avec des descriptions de nature qui rappellent et égalent celles de madame de Motteville en face des Pyrénées. […] Épris que nous sommes aujourd’hui, et avec raison, du beau langage de ce grand siècle, il est bon de nous rappeler de temps en temps aussi à quelles inégalités on y avait affaire. […] D’Alembert, parlant de ces vers de Fléchier, par lesquels l’orateur avait préludé à ses succès de chaire, a dit ingénieusement : « Rien n’est plus utile à un orateur pour se former l’oreille que de faire des vers, bons ou mauvais, comme il est utile aux jeunes gens de prendre quelques leçons de danse pour acquérir une démarche noble et distinguée. » (Éloge de Fléchier.) — Se rappeler aussi ce que dit Pline le Jeune en ses Lettres (liv. 

174. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Duval n’y a pas mis de malice, et il suffirait, pour justifier pleinement son intention, de rappeler un autre passage, où, parlant de cette fumée légère qu’on appelle renommée, il la trouve en effet désirable, dès qu’elle peut conduire vers la seule récompense que doit envier l’homme de lettres, l’Académie. […] Ceci nous rappelle un article assez récent du Constitutionnel, où la cause de M.  […] Rappelons que ces deux ouvrages les Vêpres siciliennes (1819) et la Princesse Aurélie (1828), sont le premier, une tragédie, le second, une comédie de Casimir Delavigne 15.

175. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Carrel, un surcroît, pour ainsi dire, d’honneur et de valeur dont la plupart, à sa place, se seraient crus dispensés, et que les personnes modérées en toutes choses ont peut-être blâmé comme un exemple onéreux pour elles, il faut se rappeler néanmoins qu’il est des positions d’avant-garde, des existences lancées hors de ligne, et fortement engagées, pour lesquelles le trop n’est que suffisant, et auxquelles il sied d’être personnellement ombrageuses sur ce qui offense en général un parti et une cause. […] Un succès dramatique que nous enregistrons avec plaisir est celui des Malheurs d’un amant heureux, comédie-vaudeville qui rappelle le meilleur temps du Gymnase et la meilleure manière de M.  […] Je me permettrai seulement de rappeler à M. 

176. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Il y a d’abord les sonnets de pure description : quelques paysages de Bretagne, le sonnet japonais que je rappelais tout à l’heure, ou encore cet admirable Récif de corail que je ne puis me tenir de citer : Le soleil, sous la mer, mystérieuse aurore, Éclaire la forêt des coraux abyssins Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins, La bête épanouie et la vivante flore. […] Vous rappelez-vous le dernier sonnet de Persée et Andromède, quand les deux amants, élancés par les espaces, voient déjà luire les constellations où ils vont se fondre ? […] Rappelez-vous l’adorable sonnet Sur un marbre brisé, où la bonne Nature enveloppe de feuilles et de fleurs la vieille statue éclopée : La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes… Lisez les « sonnets épigraphiques » : le Dieu Hétre, Nymphis Augustis sacrum, le Vœu.

177. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IX. Les disciples de Jésus. »

Pierre, peu mystique, communiquait au maître ses doutes naïfs, ses répugnances, ses faiblesses tout humaines 448, avec une franchise honnête qui rappelle celle de Joinville près de saint Louis. […] Il affectait de savoir sur celui qu’il voulait gagner quelque chose d’intime, ou bien il lui rappelait une circonstance chère à son cœur. […] Mais il faut se rappeler que, dans l’évangile actuel de Matthieu, la seule partie qui soit de l’apôtre, ce sont les Discours de Jésus.

178. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

C’est alors que l’épouse de l’Archonte-roi se fiançait solennellement au dieu dans son temple : noces mystiques qui rappellent celles du Doge de Venise épousant la mer. Les Bacchanales ou Triétéries, par les danses et les orgies nocturnes des montagnes, déploraient Bacchus mourant dans le dépérissement de sa vigne, et la taille des ceps qui rappelait le martyre du dieu déchiré. […] Derrière le décor, comme au bord de la fosse de l’Odyssée, les dieux et les héros, « les vieillards qui ont subi beaucoup de maux, les tendres vierges ayant un deuil dans l’âme, les guerriers aux armes sanglantes », attendent, « avec un frémissement immense », l’Évocateur suprême qui va les rappeler à la vie sublime.

179. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

On se rappelle Thémistocle contraint d’immoler à Bacchus trois prisonniers perses, avant Salamine. — Un siècle plus tard, une étrange histoire contée par Plutarque nous montre le Molochisme grec redressé d’un suprême effort, et réclamant une dernière proie. […] Il rappelle Thyeste à Mycènes, feint de se réconcilier avec lui, et l’invite à un banquet où il lui sert les corps de ses fils. […] Horace l’a rappelée dans la terrible Épode où il nous montre la magicienne Canidie enterrant vivant l’enfant voué à ses maléfices. — « Avant d’expirer, dit-il, l’enfant cria « des imprécations Thyestéennes ». — Misit Thyesteas preces.

180. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

J’y vois quelque chose qui me rappelle cette vaste intelligence de Cicéron s’appliquant aux lettres, qui la rappelle non seulement pour la capacité et retendue, pour l’agrément de l’invention et la belle économie de la mémoire, pour ce fleuve sinueux de la parole et pour les fleurs perpétuelles du chemin, mais aussi pour de certains faibles qui ne sont pas sans grâce. […] Cette révolution, en deux mots, est celle-ci : Le siècle de Louis XIV est déjà bien loin de nous ; pourtant, jusqu’en des temps très rapprochés, les écrivains corrects, ceux qui aspiraient au titre de classiques, se flattaient non seulement de le rappeler, mais de le continuer.

181. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

L’histoire nous rappelle, nous retrace le passé, la comédie nous y transporte. […] À Dieu ne plaise que je parle, dans le sanctuaire des lettres, du triomphe de la barbarie, et que je rappelle, devant les statues de Corneille et de Racine, l’époque déplorable où leurs chefs-d’œuvre furent mutilés par des mains sacrilèges. […] On trouvera mon système plus spécieux que solide ; on pourra l’attribuer à mon enthousiasme pour un art auquel je dois l’honneur de siéger parmi vous ; mais je rappellerai l’hypothèse dans laquelle je me suis placé ; et je répondrai d’ailleurs que l’histoire de certains peuples de l’antiquité repose sur des traditions bien plus incertaines et sur des conjectures bien moins vraisemblables.

182. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

« Dans l’origine, les mots ont tous été imitatifs ou analogiques, et destinés à peindre ou à rappeler une relation physique. […] « La pensée alors n’est plus évoquée que par cette nature de signes ; la perception d’un rapport rappelle immédiatement son signe oral représentatif ; et la perception et le signe se confondent ensemble, sont simultanément perçus. […] Ce qui me rappelle ce grand travail de M. 

183. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Rappelez-vous ce dauphin trompé, qui portait un singe au Pirée. […] La société, qui oublie un peu trop qu’elle est une reine, va peut-être se le rappeler en nous lisant. Qu’elle se rappelle aussi qu’elle est une mère, et que la question posée ici est une question de mère de famille à enfants.

184. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Qui ne se rappelle qu’avec sa seule Vie de Nelson Robert Southey fixa définitivement sa fortune et sa gloire ? […] Quand l’affreux maréchal de Retz disait sa messe noire ; lorsque les bâtards d’Armagnac et de Bourbon, ces Antechrists, déchiraient tant de seins outragés et faisaient coucher la Débauche dans le sang qu’ils avaient versé ; quand Pierre de Giac, — un des favoris de Charles VII, — quand Pierre de Giac, le bourreau équestre, emportait en croupe sur son cheval sa femme empoisonnée et forçait ainsi son agonie à chevaucher pendant quinze lieues, Jacques Cœur, bien différent de ces hommes terribles, menait à Bourges une de ces bienfaisantes et magnifiques existences qui rappellent les Médicis. […] Mêlé aux grandes affaires et les dominant, comme homme d’État et financier, Jacques Cœur rappelle deux autres destinées de notre histoire, celles d’Enguerrand de Marigny et de Fouquet, mais il les fait pâlir toutes deux par le génie et par l’innocence.

185. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

Rappelez-vous, en effet, ce que c’était que l’Espagne, la vieille Espagne au xvie  siècle ! […] Même après Yuste, ce sacrifice à l’opinion religieuse de l’Espagne, il ne fallut rien moins que l’Inquisition, c’est-à-dire l’Espagne tout entière sous sa forme la plus concentrée, pour rappeler les devoirs de la Majesté Catholique aux passions invétérées du vieil Empereur. […] Il faut le rappeler à M. 

186. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

M. de Meaux a rappelé ces exemples. Il a rappelé que Charlemagne avait laissé la vie aux Saxons s’ils se faisaient chrétiens. […] Il a rappelé que l’Ordre teutonique fondé pour combattre les Musulmans et déviant de son institution en faisant, au nom de Dieu, une guerre atroce aux Slaves, aux Danois, aux Lithuaniens, aux Poméraniens, un cri sacerdotal indigné sortit de la poitrine d’un évêque et monta vers Innocent III, qui s’opposa aux esclavages et réclama la liberté des enfants de Dieu.

187. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

II Et, en effet, est-il besoin de le rappeler et de le peindre une fois de plus comme on ne l’a que trop peint déjà ? […] Tout le temps que Lamennais fut prêtre, ses écrits, qui rappelaient Bossuet et qui semblaient un écho de ses foudres, avaient la hauteur de la chaire chrétienne et la majesté d’un autel, et quand le prêtre eut déchiré sa robe, son génie noir et brillant, comme celui de ce rude Africain que l’on a comparé à un miroir d’ébène, ne parut que plus noir et plus sombre après l’extinction de l’auréole de foi qui l’avait illuminé cinquante ans. […] Il commençait à s’en détacher en 1827, et il croyait que tout le monde était comme lui : « Je ne vois qu’une chose dans le peuple, — écrivait-il à ses amis, — c’est l’indifférence pour tout ce qui rappelle la monarchie.

188. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Rappelez-vous, par exemple, les lettres insignifiantes de la comtesse d’Albany, bien placée pour en écrire de très intéressantes si elle n’eût pas été une sotte, puisqu’elle avait été la femme du dernier des Stuarts, le Prétendant, et qu’elle devint celle d’Alfieri. Rappelez-vous les quelques pauvres billets de Madame de Staël et de Madame Récamier, — lesquels n’étaient dignes ni de l’une ni de l’autre. […] Rappelez-vous encore les Lettres à une inconnue, du triste Mérimée vieilli, devenu le croquemort de lui-même, et celles à la Princesse, de Sainte-Beuve (Trissotin à la princesse Uranie), et vous sentirez sur-le-champ la différence qui existe entre les lettres intimes de la comtesse de Sabran, écrites en toute vérité de sentiment et sans aucune préoccupation de la galerie, et toutes ces raclures de secrétaire et de chiffonnière que publient, après la mort des gens, des éditeurs intéressés ou badauds.

189. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Il se tient si loin de la forge aux réputations, il fait si peu antichambre dans les boutiques où nous brassons la renommée ; moitié aigle et moitié colombe, c’est un esprit si haut et si chaste dans la solitude de sa province, qu’on est obligé de rappeler qu’à vingt-trois ans il achevait son ouvrage de L’Unité spirituelle, trois volumes, étonnants d’aperçus, malgré leurs erreurs, et qui donnaient du moins la puissance de jet et le plein cintre de cet esprit qui s’élançait, et que plus tard il s’élevait d’un adorable Traité de la douleur, jusqu’à cette Restauration française, l’ouvrage le plus fort d’idées qu’on ait écrit sur notre époque. […] La fonction de la Raison, en un mot, est de rappeler constamment l’homme des perceptions contingentes et personnelles aux perceptions impersonnelles et immuables ; de la nature physique où le retient le corps, à la Raison éternelle d’où lui descend la vérité. » Une telle faculté, qui soude presque l’homme à Dieu, s’il est permis de parler ainsi, devait être la première que la philosophie du dix-huitième siècle, la philosophie du moi et de la chose exclusivement humaine, dût fausser. […] Et nous le répétons en finissant : il n’y a que là en effet qu’on puisse trouver la raison sans réplique qui domine tout le débat rappelé par nous aujourd’hui.

190. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

D’ailleurs, ce travail, qui a un autre but que d’expliquer les procédés de l’art oratoire et d’en mettre les beautés en lumière, sera la preuve d’un fait qu’il faut incessamment rappeler aux peuples affolés de l’art de bien dire, comme le sont les peuples vieux et impuissants ; c’est que l’éloquence véritable, celle que les âges n’éteignent point en passant sur elle, exprime toujours, je ne dis pas seulement une conviction… qu’est-ce que la conviction d’un homme ? […] C’est une vaste polémique engagée et soutenue du haut de la chaire, mais qui n’en est ni moins forte, ni moins victorieuse parce qu’elle en est descendue, parce que nous la retrouverons toujours à portée de notre main quand, lassés, nous voudrons nous appuyer, pour reprendre haleine, contre le mur de l’orthodoxie, et revoir de là la défaite de l’ennemi vaincu… Modèles d’apologie et de discussion, elles furent prononcées pour rappeler aux pieds de notre Dieu abandonné les générations actuelles, et elles ont fait leur moisson sans doute, mais le confessionnal le sait seul et ne parle pas, ce tombeau de la pénitence ! […] Qu’on se rappelle ses deux fameuses conférences sur la Chasteté !

191. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Ce furent eux (se le rappellent-ils ?) […] Ainsi, pour n’en donner qu’un seul exemple, s’ils ont à parler de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son divin sacrifice, ils s’obstineront à rappeler Christ avec la simplicité d’une irrévérence naïve, et ils oseront comparer, avec une familiarité sacrilège, le philosophe Socrate au fils de Dieu. […] Dargaud, le peintre des premiers rayons et des premières nuées qui passent dans l’outremer du ciel de la vie, a des touches d’une suavité qui rappelle Greuze ; mais c’est Greuze avec un sentiment de plus : la tristesse chrétienne, qui jette à, tout cette ombre étrange et pénétrante, plus faite peut-être pour les yeux de l’homme que la lumière !

192. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

De Bonald, qui a beaucoup plus de structure dans ses œuvres et dans sa pensée, aurait peut-être été le métaphysicien de son époque, s’il n’avait pas étriqué un esprit fait pour tout embrasser dans les préoccupations de la politique et dans des aperçus trop fins qui rappellent bien souvent, avec un fond d’idées contraires, la manière grêle et brillantée de Montesquieu. […] Il a créé l’éclectisme, mais cet éclectisme, insuffisant, ne l’abandonne-t-il pas pour un spiritualisme moins compromis, la seconde tente de ce Thabor qui n’en verra pas de troisième, malgré cette promesse fallacieuse d’une théodicée que Lerminier, le meilleur critique en ces matières, et l’uomo di sasso de Cousin, ne manque jamais l’occasion de lui rappeler de sa plume la plus cruellement respectueuse ? […] » avait déjà, dans son Étude sur la sophistique contemporaine, repoussé et condamné éloquemment toute cette philosophie dont la vanité ne saurait diminuer l’horreur… Il ne pouvait donc, dans son nouvel ouvrage, invoquer ou rappeler les procédés qui y conduisent.

193. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Quinet rappelle l’Arioste, mais l’Arioste avec cette fameuse tête qu’Ariel mit un jour sur les épaules de Puck, et qui, je crois bien, ne trouvera pas cette fois-ci de Titania ! Par le commencement de ses chants, il le rappelle encore, car M.  […] Quinet nous rappelle et dont il nous renvoie, en les croisant ou en les brouillant, les rayons brisés.

194. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Je demande pardon de rappeler Sylla à propos d’un faiseur de livres, mais qui prouve le plus, prouve le moins. […] C’est surtout à propos de ces esprits imitateurs qu’il faut rappeler l’incorrecte mais énergique expression proverbiale : « un de perdu, deux de retrouvés !  […] Il faudrait peut-être rappeler ici que nous avons mis le nom du xixe  siècle à la tête du livre intitulé : Les Œuvres et les hommes.

195. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Dans la première, qui est l’inférieure, Wey rappelle Charles Dickens, mais avec une distinction que ne connaît pas l’écrivain anglais, ce romancier des malheurs de l’enfance ; et cette partie du livre est racontée plus que soufferte. […] Élevée au couvent, dans la communauté de Bérulle, elle y a laissé une amie d’enfance qui vient de prononcer ses vœux et qui incessamment lui rappelle dans ses lettres cette vie de cloître au sein de laquelle elle, Éliane, a passé les premières années de la sienne, et dont, âme pieuse et profonde, elle a emporté le regret. […] L’esprit trouvé dans le roman de Christian nous a rappelé Chamfort et de Latouche.

196. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Soit que cette poésie des hymnes homériques célèbre les grands spectacles de la nature, soit qu’elle rappelle les traditions du culte mythologique, jamais rien de subtil, comme dans les hymnes savants de Proclus, ou dans les réminiscences tardives placées sous le nom d’Orphée. […] Souvent, du milieu des maux, ils relèvent les hommes abattus sur le sol noir de la terre ; souvent ils renversent et courbent, la tête en bas, ceux qui prospéraient ; puis arrivent de nouvelles misères ; et l’homme vague au hasard entre la vie qui lui manque et la raison d’où il s’écarte. » Ailleurs, c’est seulement un éclat d’images qui rappelle la forte poésie d’Horace et ses allégories si courtes et si vives : « Regarde, avait dit Archiloque51 : la mer profonde est soulevée dans ses flots. Sur le sommet des mâts un nuage s’est arrêté tout droit, signe de la tempête ; puis vient la terreur qui suit un danger subit. » Quelquefois encore, ces restes brisés de la couronne du poëte grec ne sont que des traits rapides et simples, une parole délicate et passionnée, un coup de pinceau qui ne s’oublie pas52 : La jeune fille triomphait, tenant à la main une branche de myrte et une fleur de rosier ; et ses cheveux épars lui couvraient le visage et le col » ; ou bien encore, avec moins de simplicité, cette autre peinture qui rappelle celle de Sapho : « Semblable passion d’amour, pénétrant au cœur, répandit un nuage épais sur les yeux et déroba l’âme attendrie. » Horace, dans sa vive étude des Grecs, avait sans doute gardé bien d’autres souvenirs d’Archiloque ; et quelques-unes de ses odes, son dithyrambe à Bacchus et d’autres, ne doivent être qu’une étude d’art et de goût substituée au tumulte des anciennes orgies, où le poëte de Paros se mêlait, en chantant : « Le cerveau foudroyé par le vin, je sais combien il est beau d’entonner le dithyrambe, mélodie du roi Bacchus. » Archiloque, s’il faisait des hymnes, devait être, ce semble, le poëte lyrique des Furies et non des Dieux.

197. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Vous vous rappelez bien, parmi ses poèmes, les sonnets irréguliers qui s’y trouvent en assez grand nombre ? […] Beaucoup de gens se rappellent encore le succès qu’il remportait dans sa jeunesse, simplement par le prestige de sa personne. […] « Vous rappelez-vous le médaillon dédié à Paul Verlaine dans son dernier volume ? […] Il lui paraît complètement inutile de se rappeler ou de rappeler au lecteur pourquoi l’enfant se trouvait là pleurant sous l’œil des barbares ; mais d’autre part son esprit d’exactitude rappelle à son regard que c’était contre le poteau de gauche qu’il s’appuyait, sous le hangar, au fond de la cour des petits. […] Vous rappelez-vous que Jules Renard un jour nous avouait sa prédilection pour le Cadet de Richepin ?

198. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Dois-je le rappeler ici ? […] Sans doute il ignore l’excès de cette préférence, mais il en sait assez pour regretter un jour d’avoir sacrifié le plus divin sentiment qu’on puisse inspirer, aux méprisables intérêts du grand monde72. » M. de Vigny ne se maria qu’en quittant le service : il n’épousa pas sa riche parente, mais une Anglaise qu’il avait rencontrée dans le midi et dont le père, grand original, assure-t-on, avait parfois quelque peine à se rappeler le nom du poète son gendre. […] J’ai dû, comme je l’aurais fait dans une page de Mémoires, rappeler, puisque je l’avais très-présente, l’action elle-même, et surtout ne pas laisser travestir et dénaturer le personnage de M.  […] Le poète, dans tout ce recueil, n’obtient à ses questions aucune réponse consolante. — Cette pièce des Destinées est du plus grand style et rappelle les mythes antiques, ce qu’on lit dans Eschyle, dans Hésiode, ce qu’on se figure de la poésie orphique, de celle des Musée et des Linus. […] Le moyen de se distraire d’un démon qui se rappelle à vous par de tels souvenirs !

199. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Elle respire, je ne sais quelle grâce grecque, quelle coquetterie antique, distraite, presque lointaine, qu’on se rappelle d’un marbre d’un Musée, et dont sa robe au repos, dessine les plis et la simplicité tombante. […] Elle a voulu, pour boire à table, avoir un litre, et ne boit qu’au litre, parce que cela lui rappelle son enfance, où elle allait tirer le vin au tonneau. […] Elle se rappelle avoir donné une fois quinze livres de lard pour obtenir le grand jeu, et la sorcière lui prédit qu’elle aurait sept enfants, qu’elle irait sept fois à Paris, et qu’elle mourrait à trente ans. […] Alors, croit-il se rappeler, on le mettait en pension chez M.  […] Toutefois, je me rappelle que j’avais aperçu des faisceaux d’armes dans la cour, et qu’il y avait, dans la pièce où j’attendais, étendues par terre, des cartes militaires.

200. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Je viens d’un séjour où le désir me rappelle. […] Ils sont dans cette lueur du jour qui pénètre tous les matins par le soupirail dans le cachot pour marquer aux condamnés un espace de moins, un supplice de plus, et pour leur rappeler qu’un soleil de vie, de joie et de liberté, éclaire pendant leurs ténèbres le reste du monde. […] Ni le père ni les enfants ne la rappellent, de peur de s’entre-déchirer par ce souvenir. […] » Cette idée de s’ouvrir le ciel par l’amour et de voir Dieu par les yeux de la femme qu’il a tant aimée rappelle sans cesse l’amant dans le théologien. […] Ce style me rappelle à chaque instant ce buste inachevé de Brutus, par Michel-Ange, compatriote du Dante, dans la galerie de Florence, bloc de marbre dont le ciseau effréné de l’artiste, en emportant à grandes déchirures le marbre, a fait un chef-d’œuvre, mais n’a pu faire un visage.

201. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Après l’avoir vengée sur les points essentiels, il finit, dans un sentiment chevaleresque et qui rappelle celui de Burke, par mettre sa royale mémoire sous la protection des jeunes militaires français qui ne l’ont point connue et qui, venus depuis, sont purs envers elle d’ingratituded : « Au moins, écrivait le prince de Ligne vers la date d’Austerlitz et d’Iéna, que ceux qui s’acquièrent tant de gloire sous les drapeaux de leur empereur, plaignent cette malheureuse princesse qu’ils auraient bien servie… » Ce sont là des alliances d’idées et de sentiments qui honorent. […] On se trouve si loin, si loin de ces beaux moments qui ont passé si vite, et qu’une chanson qu’on a entendue alors, un arbre au pied duquel on a été assis, rappellent en faisant fondre en larmes ! […] En la voyant faire à cet enfant, il devait se rappeler qu’il y avait plus de vingt ans qu’il ne l’avait commandée au sérieux et devant l’ennemi. […] Dans tout ce qui précède, je n’ai point voulu faire une biographie ni même un portrait du prince de Ligne, mais seulement présenter de lui et, pour ainsi dire, sauver de l’ancien naufrage de ses Œuvres quelques beaux ou jolis endroits, et le rappeler à l’attention comme un des plus sensés parmi les arbitres des élégances, un des plus réellement aimables entre les heureux de la terre38.

202. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

J’ai même entendu dire, à cette époque, que quelques démarches avaient été faites pour la rappeler. » Mais de ce que Mme de Staël n’est pas restée à Paris dans les Cent-Jours, s’ensuit-il, comme prétend l’établir dans une longue et assez âpre discussion l’auteur de Coppet et Weimar, que M.  […] Il est positif que, depuis son retour, l’Empereur a rappelé toutes ses vieilles bandes, qu’elles arrivent de tous les coins de la France, amenant avec elles des jeunes gens que leur exaltation a électrisés ; que l’Empereur a aujourd’hui tout équipés 250,000 hommes de troupes, dont chaque soldat croit valoir quatre hommes ; qu’à la fin de ce mois, il aura 50,000 hommes de plus, et à la fin de mai, 400,000 encore ; ils sont là, on les équipe. […] Thiers d’une manière un peu leste et comme de haut en bas ; elle montre l’illustre historien préoccupé avant tout de chercher « des croyants à la conversion de Napoléon aux idées libérales » ; elle le rappelle à l’ordre pour n’avoir pas eu présents certains passages du livre des Considérations : « Lorsqu’il s’agit, dit-elle, d’un écrivain de l’ordre de Mme de Staël, il ne peut être permis de lui prêter des opinions autres que celles qu’elle a elle-même exprimées. […] Dieu et la liberté, c’est grand, c’est le plus noble vœu, et qui rappelle le mot de Voltaire au petit-fils de Franklin ; mais mon père, mis là entre Dieu et la liberté, fait une sorte d’énigme ou du moins une singularité, et demande explication.

203. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Une autre fois, dans le même temps du séjour de Rousseau à l’Ermitage, Deleyre, au retour de quelque absence et de quelque poursuite de fortune, écrivait à celui dont l’amitié était sa première ambition : « Rappelez-moi, cher citoyen, dans votre retraite, sur vos bancs de gazon, au pied du grand escalier à six marches, qui s’élève devant votre porte. […] On entend le bruit de la vague qui nous dit que nous passons, et l’on jette un regard sur la scène variée du rivage qui s’enfuit. » Ces charmants passages de Ducis m’en rappellent de tout pareils dans les lettres de Béranger : même philosophie riante et résignée, mêmes images poétiques à la fois et naturelles ; mais, chez Ducis le tragique, il s’y mêle bientôt des tons plus sombres et qui montent. […] Rappelez-vous donc, dans votre solitude, toutes les stations de notre délicieuse promenade. […] Deleyre lui-même, toujours agité de je ne sais quel trouble inconnu, dévoré, comme par émulation, du mal de Rousseau, ne nous rappelle pas moins, tout incrédule qu’il est, l’état du pieux et tendre William Cowper ; il s’accuse sans cesse et se croit rejeté du bonheur.

204. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Avant tout, et pour rattacher à sa vraie date ce nom modeste et qui s’est bien plus appliqué à s’effacer qu’à se produire, je rappellerai que sous la Restauration, vers 1820, à l’époque où ce régime, si peu assis d’abord, commençait à entrer en pleine possession de lui-même, il se fit de toutes parts, dans tous les jeunes esprits, un mouvement qui les poussait avec ardeur vers les études et vers les idées. […] Rappelez-vous, à chaque loterie, Que tous nos jours sont un frivole jeu, Si l’on ne gagne, au soir de cette vie, Un lot tombé du grand trésor de Dieu. […] L’abbé Gerbet, à ces mérites élevés que je n’ai pu que faire entrevoir, mêle une douce gaieté, un agrément naturel et fleuri, qui rappelle, jusque dans les jeux de vacances, l’enjouement des Rapin, des Bougeant et des Bouhours. On a beaucoup disputé, tous ces temps derniers, sur la question des études et sur le degré de littérature autorisé par le clergé ; on a mis en avant bien des noms empressés et bruyants : j’ai voulu rappeler un nom aussi distingué que modeste.

205. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Du moment que le traité d’alliance entre les deux nations est conclu, il n’a qu’une réponse à opposer à toutes les ouvertures qui lui sont faites pour écouter les propositions de l’Angleterre : « Nous ne pouvons négocier sans la France. » L’Amérique a été une fille soumise jusqu’au jour où elle s’est émancipée de l’Angleterre ; mais celle-ci a beau la rappeler en secret et la vouloir tenter sous main, l’Amérique sera une épouse fidèle. […] Une de ses plus gracieuses correspondantes d’Angleterre, miss Georgiana Shipley, à qui il avait envoyé son Dialogue avec la Goutte et autres riens qu’il s’amusait à écrire et, qui plus est, à imprimer lui-même, lui rappelait les heures charmantes et sérieuses qu’elle avait autrefois passées dans sa société, et où elle avait pris goût « pour la conversation badinante et réfléchie ». […] N’est-ce pas là une comparaison qui, par la douceur de l’inspiration et la largeur de l’image, rappelle tout à fait les comparaisons homériques de l’Odyssée ? […] Ce ne sera pas tout à fait une nouveauté pour vous, car vous pouvez vous rappeler que nous jouions ensemble de cette manière durant l’hiver à Passy.

206. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Cette tactique de confrère à confrère m’en rappelle une autre. […] Albéric Second, en cette circonstance, me rappelle un bourgeois de mon pays, excellent homme, du reste ! […] Cette méprise de leur part me rappelle une anecdote dont fut le héros un gentilhomme fort brave, mais fort ignorant, au service du grand Condé. […] Cela me rappelle une hardiesse de style encore plus forte ; c’est M.  […] Je crois me rappeler en effet, — et de cela il y a six mois à peine, — que M. 

207. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Des huit médailles de première classe que l’Académie a ensuite accordées, je ne rappellerai ici que les deux qui sont en tête, l’une donnée à un militaire, l’autre à un ecclésiastique. […] Ô respectable curé de Laviron, pardonnez-moi le rapprochement, quoique ce soit un rapprochement mixte, d’une communion à l’autre, et laissez-moi dire qu’il y a dans votre conduite, dans votre bonté, dans votre intrépide confiance, dans votre touchante imprévoyance, quelque chose qui rappelle le bon vicaire de Wakefïeld de charitable et immortelle mémoire81 ! […] Et d’abord, sans prétendre en rien rouvrir une discussion générale, où tous les arguments de part et d’autre semblent avoir été épuisés, et qui pourtant resterait encore inépuisable, il est impossible de ne pas rappeler devant vous qu’il y a eu (et même dans la Commission dont j’ai l’honneur d’être l’organe) deux manières d’envisager la question des droits d’auteur : l’une qui la généralise et la simplifie, qui la constitue et l’élève à l’état de principe, de droit absolu, de propriété inviolable et sacrée, revendiquant hautement sa place au soleil ; et l’autre manière de voir, plus modeste, plus positive, plus pratique sans doute, qui ne s’est occupée que d’améliorer ce qui avait été fait déjà, de l’étendre aux limites qui semblent le plus raisonnables, en tenant compte des différences de matière et d’objet, en mettant la nouvelle loi en rapport avec les articles qui dans notre Code régissent le mariage, les successions, et en combinant le mieux possible les droits des auteurs et ceux du public. […] J’allais oublier de rappeler à titre d’innovation, et d’une innovation juste qui a été suggérée par la fréquence des exemples, autrefois plus rares, que le mari de la femme auteur aura dorénavant le droit qu’avait seule autrefois la femme du mari auteur. […] En ceci, comme en beaucoup de choses, gardons-nous d’être ingrats ; ne pensons pas toujours à un lendemain trop immense, qui est sujet à fuir devant nous : rappelons-nous ce qu’on avait la veille, et jouissons de ce qu’un bon, un grand et glorieux Gouvernement réalise.

208. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Que s’il nous trouve un peu osé de venir rattacher si familièrement ses vues à sa personne et à ses motifs, il se rappellera que nous sommes plutôt pour la littérature réelle et particulière que pour la littérature monumentale. […] Nisard ; il rappelle le mot de Chaulieu à Voltaire successeur de Villon, qui vaut mieux et prouve plus, dans sa légèreté. […] Nisard, a constitué la prose, a été surfait de cette sorte, puis mis presque à l’oubli ; et le premier qui ait rappelé et fait de nouveau valoir ses vrais titres à cette constitution de la prose française, c’est… qui ? […] Au milieu de toute l’adhésion due aux principes et à la majesté de ton de l’illustre modèle, et aussi à la noblesse de propos de son admirateur, je n’ai pu m’empêcher, je l’avoue, de sourire de cette affinité élective si déclarée, de ce choix de M. de Buffon ; et je me suis rappelé que si M. de Buffon avait demandé sa voiture au plus beau de la lecture de Paul et Virginie, M. […] L’abbé du Guet, je me le rappelle, dans une lettre sur les études classiques, ne craint pas de recommander Stace pour quelques pièces charmantes des Sylves.

209. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Ses jardins rappellent ceux d’Académus à Athènes. […] Le cardinal, leur chef, y fut rappelé et accueilli. À peine rapatrié, le conclave le rappela à Rome ; il y fut nommé pape, à trente-sept ans, sous le nom de Léon X, qu’il immortalisa par les mêmes faveurs qui avaient valu à sa maison le sceptre moral de la Toscane. Il amnistia tous ses ennemis, et rappela Soderini à Rome ; il plaça les fils et les filles de Laurent dans toutes les grandes familles royales de l’Italie et de l’Europe ; il donna son nom à son siècle, et il mérita cette gloire. […] Laurent, en le voyant, et il le vit aussitôt, me rappela et me demanda, avec un surcroît de douceur, ce que faisait son ami Pic de la Mirandole

210. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

D’ailleurs, on se le rappelle, la vie pour M.  […] On le supposerait volontiers contemporain d’une autre époque (disons un frère cadet du vieux Chrestien de Troyes), s’il ne se liait à celle-ci par la modernité de son art dont la noblesse quasi féodale rappelle pourtant l’or et l’argent, l’hermine et le vair et les quatre émaux héraldiques ; — mais tout notre art ne regarde-t-il pas sur la route, derrière soi, autant qu’il discerne les choses attendues et qui viendront ? […] C’est en Belgique, en Flandre et à Bruxelles, qu’elle se développa le plus complètement et je me rappelle y avoir entendu souvent des axiomes tels que ceux-ci : « la douleur est plus artiste que la joie ; la pureté n’offre guère d’intérêt non plus que la franche vie ; il n’y a de beau que le vice, la maladie, la souffrance et la mort. » M.  […] Camille Lemonnier, qui le pratique avec maîtrise, en a rappelé par d’éloquentes paroles la puissance trop souvent oubliée. […] Qu’on se rappelle les strophes sévèrement mesurées de M. 

211. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

A mesure que se fait la coordination du langage et de la pensée, l’enfant cherche toujours ses mots quand il porte un jugement nouveau, mais il les trouve de plus en plus facilement ; d’autre part, quand il parle pour parler, les mots éveillent des pensées de plus en plus riches, nettes et cohérentes ; et, à la longue, l’accord de la parole et de la pensée devient si étroit que l’enfant devenu un adolescent ne peut plus guère trouver une pensée sans la bien exprimer, ni se rappeler des mots sans y attacher un sens plein et sérieux. […] Inversement, il arrive parfois qu’un nom propre dit devant nous ne nous rappelle rien au premier moment ; puis nous reconnaissons de qui l’on a parlé ; nous reconnaissons, c’est-à-dire nous comprenons. […] Tous les hommes d’esprit ne sont pas des improvisateurs ; il y en a, et ce ne sont pas les moins naturels en apparence, dont tout l’esprit du moment consiste à se rappeler à propos259. […] Le mot sagacité vient enfin, et mon idée l’adopte comme son expression propre ; et alors seulement, mais à l’instant, elle se manifeste dans mon esprit dans toute sa plénitude… Nous éprouvons tous les jours le besoin qu’un nom, un mot rappelle à notre esprit une personne que nous devons voir, un lieu où nous devons aller, une affaire que nous devons traiter ; … on se souvient vaguement…, faute d’un mot qui aurait rappelé l’idée précise… Ainsi l’on oublie les expressions et non pas précisément les idées, puisque l’idée se montre aussitôt que l’expression se présente.

212. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Les chroniqueurs vont rappeler ses mots. […] Autrefois, vous vous rappelez ? […] Rien qui rappelle Mélicerte ou l’Île des plaisirs. […] Je me rappelle, dans un coin, un escalier sombre   oh ! […] Vous rappelez-vous, ma cousine, les projets de réforme orthographique de M. 

213. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

I — Mars-octobre 1835 Préliminaires Nous rappellerons brièvement le commencement de l’affaire. […] Tu me rappelles ces femmes fanatiques qui croient travailler à leur propre salut en forçant leur mari à manger du hareng et des pommes de terre le vendredi. […] Grévy, Carnot, Littré, Emile de Girardin, un grand nom (Voir notre note précédent) d’artistes, — car on se rappelle que l’art avait une opinion à cette époque, droit que MM. les wagnériens contestent à cette heure au patriotisme. […] Gille rappelle que les deux lieux sont subventionnés et propose, pour supprimer les conflits, la création d’un théâtre allemand comme on créa autrefois des théâtres italiens. […] Par le souvenir de cette histoire douloureuse, Albert Wolff rappelle à Carvalho qu’il n’a pas les moyens de renouveler cette mauvaise expérience qui risquerait cette fois d’être d’autant plus violente que la menace prend un tour politique que n’avait pas « l’affaire Van Zandt ».

214. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Dès lors, il n’est pas étonnant que le violon rappelle une voix humaine et exprime des émotions très complexes, tandis que la flûte rappellera plutôt les voix, les sentiments purs et simples de la nature, aux heures de calme. […] En tout cas, jamais il ne viendra à la pensée d’un Mozart de symboliser le calme des nuits bleues autrement que par le son de la flûte, ou d’un Weber, de rappeler les résonances lointaines de la forêt autrement que par le son du cor. […] En vertu de l’association des sentiments avec les sensations semblables et de celles-ci avec leur expression corporelle, les sentiments agréables ou désagréables, joie, estime, crainte, douleur, mépris, se manifestent par des contractions musculaires qui rappellent, soit l’action des saveurs ou odeurs flatteuses, l’éclat d’une lumière tempérée, soit l’amertume ou les odeurs empoisonnées, les ténèbres et l’aveuglement. […] Les hommes, à leur tour, reproduisent en eux les divers types de l’animalité : on l’a remarqué cent fois, telle figure rappelle le renard, l’autre le loup, le tigre, le lion. […] C’était Mercier, l’auteur du Tableau de Paris. — Mais on se rappelle aussi le revers de la médaille.

215. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Nous avons esquissé autrefois une tentative de ce genre, comme nous le rappelions un peu plus haut. […] D’autre part, comme nous le disions au début, le sujet se trouve souvent dans le singulier état d’âme d’une personne qui croit savoir ce qui va se passer, tout en se sentant incapable de le prédire. « Il me semble toujours, dit l’un d’eux, que je vais prévoir la suite, mais je ne pourrais pas l’annoncer réellement. » Un autre se rappelle ce qui va arriver « comme on se rappelle un nom qui est sur le bord de la Mémoire » 58 Une des plus anciennes observations est celle d’un malade qui s’imagine anticiper tout ce que fera son entourage 59. […] Si j’assiste pour la seconde fois à une comédie, je reconnais un à un chacun des mots, chacune des scènes ; je reconnais enfin toute la pièce et je me rappelle l’avoir déjà vue ; mais j’étais alors à une autre place, j’avais d’autres voisins, j’arrivais avec d’autres préoccupations ; en tout cas je ne pouvais pas être alors ce que je suis aujourd’hui, puisque j’ai vécu dans l’intervalle. […] La vérité est que, si une perception rappelle un souvenir, c’est afin que les circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi la situation passée jettent quelque lumière sur la situation actuelle et montrent par où en sortir. […] Et ce souvenir lui-même pourrait, à la rigueur, ne pas se manifester : il suffirait qu’il rappelât, sans se montrer lui-même, les circonstances qui ont été données en contiguïté avec lui, ce qui a précédé et ce qui a suivi, enfin ce qu’il importe de connaître pour comprendre le présent et anticiper l’avenir.

216. (1932) Le clavecin de Diderot

Alors, elle se rappellerait la colombe du déluge. […] Entassement de spécialisations qui rappelle la métaphore des harengs dans la boîte à sardines. […] Ces messieurs veulent que soit considéré de sang-froid ce qu’un sang, tant soit peu chaud ne saurait se rappeler sans flamber. […] Pour n’en point douter, il me suffit de me rappeler ce diable-qui-sort-d’une-boîte, jouet à la mode au temps de mon enfance. […] la pénitence leur sont autant de moyens de se rappeler une vie dont ils ne veulent plus ou qui ne veut plus d’eux.

217. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

Lorsque Andrieux avait rayé de l’ongle un mot, une pensée, une faute de grammaire ou de vraisemblance, il n’y avait rien à redire ; Collin obéissait ; le vieux Ducis regrettait que Thomas eût manqué d’un si indispensable censeur, et il l’invoquait pour lui-même en vers grondants et mâles qui rappellent assez la veine de Corneille : J’ai besoin du censeur implacable, endurci, Qui tourmentait Collin et me tourmente aussi ; C’est à toi de régler ma fougue impétueuse, De contenir mes bonds sous une bride heureuse, Et de voir sans péril, asservi sous ta loi, Mon génie, encor vert, galoper devant toi. […] Il mêlait volontiers à son enseignement des préceptes évangéliques qui rappelaient la manière morale de Bernardin de Saint-Pierre : il prêchait l’amour des hommes et l’indulgence, comme il convenait à l’ami de Collin l’optimiste, du bon Ducis, et au peintre d’Helvétius.

218. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

de première classe), vous aurez maintes occasions d’être secourables aux pauvres gens, de faire payer pour eux les riches, de réparer ainsi, dans une petite mesure, l’inégalité des conditions et d’appliquer pour votre compte l’impôt progressif sur le revenu  Notaires (car il y en a ici qui seront notaires), vous pourrez être, un peu, les directeurs de conscience de vos clients et insinuer quelque souci du juste dans les contrats dont vous aurez le dépôt  Avocats ou avoués, vous pourrez souvent par des interprétations d’une généreuse habileté, substituer les commandements de l’équité naturelle, ou même de la pitié, aux prescriptions littérales de la loi, qui est impersonnelle, et qui ne prévoit pas les exceptions  Professeurs, vous formerez les cœurs autant que les esprits ; vous… enfin vous ferez comme vous avez vu faire dans cette maison  Artistes ou écrivains, vous vous rappellerez le mot de La Bruyère, que « l’homme de lettres est trivial (vous savez dans quel sens il l’entend) comme la borne au coin des places » ; vous ne fermerez pas sur vous la porte de votre « tour d’ivoire », et vous songerez aussi que tout ce que vous exprimez, soit par des moyens plastiques, soit par le discours, a son retentissement, bon ou mauvais, chez d’autres hommes et que vous en êtes responsables  Hommes de négoce ou de finance, vous serez exactement probes ; vous ne penserez pas qu’il y ait deux morales, ni qu’il vous soit permis de subordonner votre probité à des hasards, de jouer avec ce que vous n’avez pas, d’être honnête à pile ou face  Industriels, vous pardonnerez beaucoup à l’aveuglement, aux illusions brutales des souffrants ; vous ne fuirez pas leur contact, vous les contraindrez de croire à votre bonne volonté, tant vos actes la feront éclater à leurs yeux ; vous vous résignerez à mettre trente ou quarante ans à faire fortune et à ne pas la faire si grosse : car c’est là qu’il en faudra venir  Hommes politiques, j’allais dire que vous ferez à peu près le contraire de presque tous vos prédécesseurs, mais ce serait une épigramme trop aisée. […] Corréard vous rappelait que la France a connu des heures plus terribles que l’heure présente.

219. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Rappelons seulement que par sa théorie des vibrations, il s’est mis en opposition avec les hypothèses courantes de son époque. […] Son livre est clair, bien composé ; mais par ses subdivisions en propositions et en corollaire, il rappelle plutôt la méthode d’un mathématicien que celle d’un physiologiste.

220. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Je n’ai nul besoin de rappeler les preuves multipliées que Victor Hugo nous a données de cette richesse particulière de son génie. […] Éloa rappelle de trop près certaines vignettes britanniques, et Satan joue, dans cette aventure céleste, un des rôles familiers à Don Juan. […] La Dryade, quoi qu’en dise l’auteur, ne rappelle en aucune façon Théocrite. […] L’œil du poète plonge en des cercles infernaux encore inexplorés, et ce qu’il y voit et ce qu’il y entend ne rappelle en aucune façon les romances à la mode. […] Ai-je besoin, messieurs, de rappeler les preuves sans nombre que Victor Hugo, nous a données de cette richesse particulière de son génie ?

221. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

L’encens, non moins cher à la poésie, et qui par son parfum rappelle si bien celui de quelques œuvres mystiquement exquises dont nous aurons à parler, l’encens lui-même n’est guère qu’une aberration de la vraie séve, un trésor lent sorti d’une blessure, et douloureux sans doute au tronc qui le distille. […] Le pouvoir qu’il avait servi avec dévouement, auquel il tenait par ses opinions de famille et par ses affections, négligea toujours de le distinguer en rien, et M. de Vigny ne fit jamais rien de son côté pour se rappeler aux hommes de ce pouvoir. […] On pourrait naturellement rappeler aussi, à côté d’Éloa, l’Endymion de Girodet, de ce peintre ami de notre poëte, et comme lui de la race de ceux qui se tourmentent eux-mêmes. […] Cette assertion serait inexplicable, si je ne me rappelais que De Vigny était l’homme qui avait le moins conscience de la réalité et des choses existantes ; dès qu’il avait le moins du monde intérêt, — un intérêt d’amour-propre ou d’imagination, — à ne pas voir un fait, il ne le voyait pas. […] monsieur, puisque vous êtes de ceux qui se rappellent les Poëmes que le public oublie si parfaitement, je veux faire un grand acte d’humilité en vous les offrant.

222. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Cela rappelle le « bénin, bénin » de M.  […] Il ne rappelle que de fort loin Bernis ou Dorat. […] Rappelez-vous seulement Baudelaire et M.  […] Quand, d’aventure, on se les rappelle encore au réveil, plus rien… l’idée s’est évanouie. […] Boiteux, ils plaisent justement parce qu’on les sent boiteux et parce qu’ils rappellent, en la rompant, la cadence égale de l’alexandrin.

223. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Au lieu de supposer ce qui n’existait pas, comme Balzac a fait dans la préface de ses Contes, il fallait simplement rappeler l’intention de l’auteur et bien déterminer l’effet et l’influence de son livre. […] Ce n’est pas même l’éclat d’un coloris et le fini d’une peinture qui rappelle les plus grands maîtres sur toiles de la Renaissance, et fait de ce livre quelque chose de plastique qui se sent aux yeux comme dans la pensée. […] Avant d’illustrer Balzac, il avait illustré (on se rappelle avec quel éclat !) […] de la correction de la ligne, il rappelle, dans ces conditions que je ne veux ni dissimuler ni affaiblir pour donner une idée de ce talent étrange, oui ! […] Rappelez-vous ce qu’il dit dans sa grande Introduction sur ses échafaudages !

224. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Le mécanisme du rappel nous est indifférent ; l’essentiel est que nous puissions rappeler le souvenir, n’importe comment, quand nous en aurons besoin. […] D’un autre côté, il y a des cas où nous savons que la leçon à apprendre n’aura jamais à être rappelée tout d’un coup, mais qu’elle devra au contraire être l’objet d’une reconstitution graduelle et réfléchie. […] Nous allons voir qu’on s’y prend tout différemment pour retenir, selon la manière dont on devra se rappeler. […] Avec cette seconde méthode, il faudra sans doute plus de temps pour se rappeler, mais il en faudra moins pour apprendre. […] Mais je ne pouvais ni retrouver ce nom, ni me rappeler l’ouvrage où je l’avais d’abord vu cité.

225. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Poussé par sa vocation d’historien et cherchant encore son sujet, il entreprend avec son ami Deyverdun une Histoire générale de la république des Suisses (ce même thème héroïque que Jean de Müller traitera bientôt), et Gibbon avait déjà composé l’introduction en français : il fallut que l’illustre historien David Hume le rappelât à l’idiome national, en lui disant comme Horace aux Romains qui écrivaient leurs livres en grec : « Pourquoi portez-vous le bois à la forêt ?  […] Après dix-huit mois, la mort de sa mère le fit rappeler ; il ne profita guère davantage à l’école de Westminster, d’où il faisait de fréquentes absences pour les bains de Bath et la maison de santé. […] On a si souvent dans ces dernières années déclaré David Hume vaincu et surpassé, que je me plais à rappeler un témoignage si vif et si délicatement rendu. […] Ce n’est pas sans une secrète satisfaction qu’il rappelle ces années de service actif.

226. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

On se rappelle une page de Fontenelle récemment citée98, où, faisant l’éloge de M. d’Argenson, l’habile académicien a si parfaitement défini la multitude et la variété des soins que devait prendre à cette époque un bon lieutenant de police dans une ville telle que Paris : Cuvier, en esquissant aussi à grands traits en quoi consiste l’administration d’une armée en campagne, la multitude des soins, leur précision impérieuse, les difficultés qui se rencontrent dans les choses et dans les hommes, et en nommant à la fin M.  […] Les premiers membres de l’Académie française, Conrart, Chapelain, se rappelaient toujours avec un sentiment de regret le temps des réunions encore peu nombreuses, et non publiquement reconnues, où l’on s’assemblait par goût et avant tout règlement. […] Puisque j’ai nommé Campenon, je rappellerai de lui des Stances à M.  […] Daru alors en Allemagne, en Westphalie (août 1808), et lui apprenant que « les bons Parisiens sont menacés de quatre grandes, comédies en vers », d’Andrieux (Les Deux Vieillards), de Picard (Les Capitulations), de Lemercier (Le Faux Bonhomme), et de lui-même Duval qui se met à lui citer des vers de son Aventurière, et qui regrette de ne le pouvoir consulter plus en détail : « Je me rappelle vos observations sur Le Tyran domestique, ajoute-t-il ; elles m’ont contrarié sans doute, mais j’en ai profité. » D’un caractère à part dans ce groupe des amis d’alors ; ombrageux, jaloux, très sensible à la critique, mais doué d’une certaine force de conception dramatique et de la faculté d’intéresser, Alexandre Duval, Breton de naissance, se pliait malaisément au ton de la petite société des dimanches ; il dépassait un peu par sa chaleur et sa poussée d’imagination l’ordre de critiques de style et d’observations de détail si goûtées d’Andrieux et de ses dociles émules.

227. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Je rappellerai en deux mots ce qu’étaient les auteurs. […] Or, Bernier, homme de sens, qui a beaucoup vu, et qui, en vertu même d’un sage scepticisme, est devenu plus ouvert à des doctrines supérieures, croit devoir avertir son ami et camarade, qui, en passant par le cabaret, est resté plus qu’il ne croit dans l’école ; le voyant prêt à vouloir s’enfoncer dans une philosophie abstruse et prétendre à expliquer physiquement la nature des choses et celle même de l’âme, il lui rappelle que c’est là une présomption et une vanité d’esprit fort ; mais si cette explication directe est impossible, et si connaître en cette manière son propre principe n’est pas accordé à l’homme dans cet état mortel, néanmoins, ajoute-t-il en terminant, nous devons prendre une plus haute idée de nous-mêmes et ne faire pas notre âme de si basse étoffe que ces grands philosophes, trop corporels en ce point ; nous devons croire pour certain que nous sommes infiniment plus nobles et plus parfaits qu’ils ne veulent, et soutenir hardiment que, si bien nous ne pouvons pas savoir au vrai ce que nous sommes, du moins savons-nous très bien et très assurément ce que nous ne sommes pas ; que nous ne sommes pas ainsi entièrement de la boue et de la fange, comme ils prétendent. — Adieu. […] C’est à l’avance une scène de Molière, c’est surtout une scène qui nous rappelle celle du dîner de la troisième satire de Boileau, « quand un des campagnards, relevant sa moustache », se met à dire des impertinences sur tous les auteurs et à affirmer le contraire de ce qui revient à chacun : La Pucelle est encore une œuvre bien galante… À mon gré, le Corneille est joli quelquefois… Chapelle procède de même, et dix ans avant Boileau il fait une délicate et naturelle satire de tous ces auteurs alors en pleine vogue, de ces romans et poèmes en renom. […] [NdA] On m’écrit (et ce sont deux officiers d’Afrique qui se souviennent d’Horace et qui lisent au bivouac) pour me rappeler certains traits du Voyage à Brindes, qui ne sont point précisément sérieux et graves, ni même élégants : mais je n’ai entendu parler que du sérieux dans les descriptions de la nature ou dans les indications des sites.

228. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Ce sentiment se réveillait à la vue de certains hêtres qu’il voyait de sa fenêtre, du côté de l’étang, et qui lui rappelaient de chers et troublants souvenirs. […] Je l’ai reconnue aussitôt, c’était la voix de Louise, silver-sweet sounding (la douce voix d’argent). » De tels songes, qui rappellent ceux de Dante adolescent et de la Vita nuova, ne se passaient que dans la partie élevée de l’esprit, et il y avait moyen d’en guérir. […] Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M. Féli pour ce même labeur ; — les heures d’étude et d’épanchement poétique, qui nous mènent jusqu’au souper ; ce repas qui nous rappelle avec la même douce voix et se passe dans les mêmes joies que le dîner, seulement un peu moins éclatantes parce que le soir voile tout, tempère tout ; — la soirée qui s’ouvre par l’éclat d’un feu joyeux, et de lectures en lectures, de causeries en causeries, va expirer dans le sommeil ; — et à tous les charmes d’une telle journée ajoutez je ne sais quel rayonnement angélique, je ne sais quel prestige de paix, de fraîcheur et d’innocence qu’y répandent la tête blonde, les yeux bleus, la voix argentine, les petits pieds, les petits pas, les rires, les petites moues pleines d’intelligence d’une enfant qui, j’en suis sûr, fait envie à plus d’un ange ; qui vous enchante, vous séduit, vous fait raffoler avec un léger mouvement de ses lèvres, tant il y a de puissance dans la faiblesse ?

229. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Les vieilles dames annonçaient leurs espérances par des rubans verts ; enfin, depuis longtemps, la parure de la toilette n’avait été aussi spirituelle : on lui confiait le soin de tout annoncer sans se compromettre ; cela rappelait l’ancienne galanterie. […] À deux mois de là Mme de Châteauroux était rappelée triomphalement ; elle mourut presque aussitôt, emportée d’une mort subite ; et comme cette bonne reine qui avait peur des revenants prit effroi dans la nuit qui suivit cette mort, et appela une de ses femmes en s’écriant : « Mon Dieu ! […] Là on trouve des ouvrages de tous les genres, de la tapisserie, des métiers de toutes sortes ; et, pendant qu’elle travaille, elle a la bonté de raconter ses lectures ; elle rappelle les endroits qui l’ont frappée, elle les apprécie. […] Ceci me rappelle qu’un soir que Dugas-Montbel lisait, chez Mme Récamier, une tragédie traduite d’Eschyle ou de Sophocle, le marquis de Vérac qui s’était endormi se réveilla quand la lecture était déjà finie depuis quelques instants, et il dit tout haut : « L’intérêt se soutient. » On rit beaucoup.

230. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Marie-Antoinette, qui avait fait rappeler M.  […] La reine le lui rappela, et pour lors il reprit avec esprit : « Messieurs, vous êtes bien plus heureux que si je « ne m’étais pas trompé. » Ce fut beaucoup de cris de : Vive le Roi ! […] Rappelle à ton mari qu’il me dit au mois de juillet que j’étais à peu près la seule qui vît juste dans ce moment. […] Vous me rappelez que j’avais considéré les États-Généraux comme un foyer de trouble et l’espoir des factieux ; ah !

231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Je me rappelle encore l’impression que j’éprouvais invariablement, depuis ma jeunesse, au début de toutes ces histoires de la Grèce, quand je les rouvrais par hasard : une incertitude, un vague, un dégoût, l’absence de toute donnée positive et de tout point d’appui au milieu de ces brouillards dorés et de ces nuages. […] Rappelons ici les termes précis de la question, telle qu’elle s’est posée, il y a soixante-dix ans, par l’écrit de Wolf, intitulé simplement Prolegomena ad Homerum (Introduction à Homère). […] La colère d’Achille, qui est annoncée au début comme en devant faire le sujet, semble oubliée et mise de côté après le IIe livre ; elle n’est rappelée qu’à peine et comme par acquit de conscience dans les livres suivants ; elle ne se représente sérieusement à l’esprit que dans le courant du VIIIe et ne reparaît sous les yeux qu’au IXe, pour s’éclipser de nouveau dans le chant suivant, et elle ne reprend d’une manière ininterrompue qu’à partir du XIe livre jusqu’à la fin. […] Viguier (Biographie universelle). — Puisque j’en suis aux indications biographiques et à ces traits de physionomie qu’on dissimule avec soin dans les éloges académiques et officiels, je rappellerai encore que Villoison était gros et gras, qu’il était fort gourmand.

232. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Ce vilain côté me rappelle le bourreau qui, durant le noble combat des poëtes à la Wartbourg, se tenait, corde en main, pour pendre, séance tenante, le chantre vaincu. […] J’avais eu, lors de mon séjour en Belgique en 1848, et à mon arrivée à l’Université de Liége, à demander à M. de Montalembert un bon office que je ne crains pas de rappeler et qu’il me rendit avec bonne grâce. […] Je me rappelle avoir entendu, il y a bien des années, Alexis de Saint-Priest, un jour que Montalembert développait dans un salon, de cet air d’enfant de chœur qu’il garda longtemps et de sa voix la plus coulante, une de ses théories inflexibles et absolues, lui dire avec gaieté : « Montalembert, vous me rappelez la jeunesse de Torquemada. » Passe pour la jeunesse !

233. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Le mélange de sensualité, en partie voluptueuse, en partie gourmande, de décence pourtant (le genre admis) et de malice anticléricale, rappelle sans abus le meilleur sel des fabliaux. […] Une strophe, dans laquelle il célébrait l’avénement de Charles X, lui a été depuis rappelée par M. […] Lors d’un voyage qu’il fit l’an dernier à Bordeaux, la lecture de ce poëme, au sein de l’Académie de cette ville, lui valut un triomphe qui rappelle de loin ceux de l’antique Provence ou de l’Italie. […] Le procédé poétique de Jasmin, par cela même qu’il se rapproche de la nature et qu’il s’y retrempe directement, rappelle bien souvent celui des Grecs.

234. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

On n’en trouverait aucun représentant plus irrépréhensible et plus pur, en ces jeunes années d’essai, que Casimir Delavigne : en sincérité, en éclat, en expression loyale et populaire, il rappelle un autre cher souvenir, un autre nom sans reproche aussi, et qu’il a chanté : Casimir Delavigne et le général Foy ! […] On se rappelle l’Ame du Purgatoire ; les Limbes, le second chant de ce petit poème du Miracle, sont admirables de ton. […] Pourquoi ne pas tout dire, ne pas rappeler ce que chacun sait ? […] Il fit précéder sa pièce, à l’impression, d’une charmante dédicace à son jeune fils, et qui rappelle pour le ton ces autres vers délicieux que chacun sait, adressés à sa campagne de la Madeleine.

235. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Mais ce Socrate rappelle à Frédéric Alcibiade, et, de là, plus d’une allusion équivoque et hasardeuse, dans laquelle Voltaire d’ailleurs ne dédaigne pas d’entrer. […] Il raillait volontiers la géométrie transcendante comme inutile, et il se faisait rappeler à l’ordre sur ce point par d’Alembert. […] Je n’ai pas daigné lire tous ces ouvrages de la haine et de l’envie de mes ennemis, et je me suis rappelé cette belle Ode d’Horace : Le sage demeure inébranlable… Et il continue de lui paraphraser le « Justum et tenacem… » On reconnaît dans cette admirable leçon le disciple de Bayle sur le trône. […] De telles lettres rachètent bien quelques brusqueries de ton qu’on trouverait tout à côté et qui rappellent par accès la présence du maître ; elles répondent à ceux qui, ne prenant Frédéric que par ses duretés et par ses épigrammes, lui refusent d’avoir ressenti jusqu’à la fin des sentiments d’affection, d’humanité et, j’ose dire, de bonté, de même qu’il avait ressenti de vives et vraies amitiés dans sa jeunesse.

236. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

» Ce trait m’en rappelle un autre d’un homme qui a laissé un vif souvenir chez ceux qui l’ont connu, l’abbé Mablini, le plus exquis et le plus attique des maîtres que notre École normale ait jamais eus. […] Pour se rendre compte de cet effet, et même en le réduisant à sa valeur, il convient de se rappeler que le Parlement, à cette date comme toujours, était un peu en retard sur le reste du siècle : aussi, en y apparaissant avec sa bonne mine, sa gravité tempérée d’affabilité et décorée de politesse, sa diction facile, nombreuse et légèrement fleurie, son élégance un peu concertée, l’élève adouci et orné de Despréaux fit une sorte de révolution relative ; il eut le mérite d’introduire et de naturaliser au parquet ce qui régnait déjà partout ailleurs ; et lui, le moins novateur des jeunes gens, il entra si à propos dans la carrière, que son premier pas fit époque. […] D’Aguesseau eut même, en 1715, un moment presque héroïque, et qui, plus tard, lorsqu’il se fut attiédi et qu’il eut faibli, lui fut souvent rappelé comme un reproche de sa conduite présente. […] M. d’Aguesseau aurait préféré, nous dit son fils, rester dans la pure et véritable magistrature, et passer ses jours dans une charge de conseiller au Parlement de Paris, et il ajoute, en des termes qui rappellent l’hôtel Rambouillet plus subtilement qu’il ne convenait à un ami et à un disciple de Boileau : « Les maîtres des requêtes ressemblent aux désirs du cœur humain, ils aspirent à n’être plus ; c’est un état qu’on n’embrasse que pour le quitter… » Or, cette phrase étrange sur les maîtres des requêtes, comparés aux désirs du cœur qui aspirent à n’être plus, serait inexplicable chez un aussi bon esprit sans une phrase de saint Augustin qui dit cela, en effet, des désirs du cœur humain (sunt ut non sint).

237. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Il fallait donc rappeler mon ambassadeur, vous abandonner à la princesse des Ursins et la laisser seule gouverner vos royaumes, ou la rappeler elle-même. […] Je renvoie au tome IV de Saint-Simon ceux qui voudront admirer la présence d’esprit avec laquelle Mme des Ursins, ainsi rappelée à l’improviste et touchée de la foudre, ne se laissa déconcerter en rien, la tranquillité de sa démarche, l’art avec lequel elle ménagea sa retraite lentement, en bon ordre, ne lâchant le terrain que pied à pied, sans affecter pourtant de désobéir, et disposant dès lors ses mesures en cas de retour. […] Mme de Maintenon, Mme des Ursins, et Louis XIV, ces trois personnes furent quelque temps sous un même charme : Je rappelle souvent votre idée et cette aimable contenance qui me charmait à Marly, lui écrivait un an après Mme de Maintenon ; conservez-vous cette tranquillité qui vous faisait passer de la conversation la plus importante avec le roi au badinage de Mme d’Heudicourt dans mon cabinet ?

238. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Je me rappelais une fois, où par hasard à la campagne, chez elle, on m’avait improvisé, par terre, un lit dans une chambre, et qu’elle eut besoin, lorsque j’étais couché, de traverser cette pièce, sa toilette de nuit déjà faite. […] Et je me rappelais, avec une douloureuse émotion, la larme tremblante au bout d’un de ses cils, quand Flaubert m’embrassa en me disant adieu, au seuil de sa porte, il y a quelques semaines. […] Dimanche 26 décembre Ce soir, au milieu d’un lied chanté par la sœur de Berendsen, le traducteur danois de Renée Mauperin, Nittis me dit tout à coup : « Les dimanches de Naples, les dimanches de mon enfance… c’est par des bruits, des sonorités qu’ils me reviennent… Voyez-vous, le bleu du ciel et le plein soleil entrant par toutes les fenêtres… là-dedans montant les fumées de tout ce qui frit dans la rue… là-dessus le branle des cloches sonnant midi, et dominant les cloches, le chant d’un marchand de vin de l’extrémité de la rue, chantant, donnant de la voix, ainsi qu’on dit chez nous, avec une voix telle, que les cloches, je ne me les rappelle plus que… comme du paysage ! » Mardi 28 décembre Au dîner des Spartiates de ce soir, le général Turr rappelait cette parole du juif Mirès, parole à lui dite en 1860 : « Si dans cinquante ans, vous ne nous avez pendus, vous les catholiques… il ne vous restera pas de quoi acheter la corde pour le faire ! 

239. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Comme les mourants qui aspirent après un cordial qui leur redonne l’illusion fugitive de la vie, fût-ce au prix d’une brûlure aux entrailles, la bourgeoisie chercha alors un poète dont le vers s’abattît, à la rigueur, sur ses reins épuisés, mais la forçât à se redresser ; un moraliste qui la rappelât à la pratique sévère de ses anciennes vertus, un historien capable de réveiller en elle, par ses fiers récits, le goût et la puissance des grands mouvements de l’âme. […] » Et lorsque l’on construisit l’église de Croissy, qui coûta deux cent mille francs, Augier tint à apporter son obole et m’envoya cinq cents francs… Il n’allait pas à la messe, il est vrai ; mais que de fois, il a donné le pain bénit… Un jour même, je m’en souviens, il blâma Victor Hugo de n’avoir pas voulu recevoir de prêtre à son lit de mort… » Aussi je suis persuadé que, s’il eût gardé sa connaissance, il eût été heureux de recevoir mes encouragements et mes exhortations au moment où il était rappelé vers un monde meilleur… » Les funérailles aux frais de l’État Les paroles si conciliantes et si prudentes du vénérable curé de Croissy, le souci que montra naguère l’illustre mort de s’opposer à la reprise du Fils de Giboyer, pour ne pas paraître s’allier au gouvernement républicain dans sa lutte contre le sentiment chrétien, cette vie de travail, de gloire et de probité, doivent, dans un journal catholique, épargner un blâme, si discret soit-il, à l’homme de génie qui meurt sans que les siens lui aient permis, dans un but que nous n’avons pas à juger, de mettre son âme en règle vis-à-vis de Celui dont émane tout génie. […] Rappeler le nom de chacune des œuvres qui suivent, c’est enregistrer un succès : Vaudeville (1859) : les Lionnes pauvres, en collaboration avec Foussier ; Gymnase (1859) : Un beau Mariage ; Comédie-Française (1861) : les Effrontés ; Comédie-Française (1863) : Maître Guérin ; Comédie-Française (1866) : Lions et Renards ; Odéon (1869) : la Contagion, avec Got, de la Comédie-Française, dans le principal rôle ; Vaudeville (1876) : Madame Caverlet ; Comédie-Française (1878) : les Fourchambault, qui furent la dernière œuvre d’Émile Augier et qu’il retoucha, il y a quelques années quand elle fut reprise avec un succès que l’on n’a pas oublié. […] Son mariage à Rome Rappelons les circonstances de son mariage, qui ne sont connues que de ses intimes.

240. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Vous le rappelez-vous, ce poème de Marie ? […] Dans des poésies du genre de celles de Brizeux, précisément, la couleur locale devrait avoir un profond, un bistré, un ton d’or noir, qui eût rappelé l’intérieur enfumé de ces fermes et de ces cabanes, qu’il n’aurait jamais dû quitter, et à la porte desquelles il aurait pu un jour trouver la gloire que Burns y trouva, l’heureux homme ! […] Il y a beaucoup de Nausicaa sur les bords des fontaines de Bretagne ; mais Brizeux, ce monsieur en noir et si bien peigné, qui a laissé là ses braies bariolées et ses longs cheveux celtes, ne rappelle pas plus le génie d’Homère que ses haillons ! […] Rappelez-vous les marais salins du Croisic évoqués par Balzac dans un de ses romans, et la terrible histoire de Cambremer ; puis à côté de cette image naïve du Bon Jésus qui va sur l’eau, mettez encore Jésus-Christ en Flandre et demandez-vous si cette toute-puissante main-là, qui n’écrit cependant qu’en prose, ne casse pas toutes les amusettes du petit pâtre, dans Brizeux !

241. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Marmontel, La Harpe pourtant eurent des éclairs heureux ; ce dernier particulièrement, au début de son Cours de Littérature, institua avec noblesse, avec éloquence, la majestueuse figure d’Homère ; il disserta de l’Iliade surtout et de son ordonnance, de son effet d’ensemble, en des termes judicieux et sentis qu’il est bon de rappeler aujourd’hui qu’on est si aisément ingrat pour ce critique plus qu’à demi détrôné. […] Rappelons toutefois que si, pour certains aspects de Sophocle et d’Eschyle, nous avons été redevables au critique allemand, nous avions pris de nous-mêmes les devants pour ce qui regarde Homère : la méthode simple de le comprendre et de le traduire était déjà trouvée ; elle l’était, je le répète, par Fénelon et par M. […] Ce que nous voudrions ici, c’est de rappeler parfois les regards et de reporter les nôtres particulièrement vers ce fond de majesté et de grâce que le Parthénon couronne, et plus loin aux rivages d’Ionie, là où de siècle en siècle s’est montré le tombeau d’Achille.

242. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fond d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile, à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. […] Mais le limpide miroir des eaux a été répandu sur le globe pour qu’il pût y contempler sa face radieuse et jouir ainsi de lui-même » il se rappelle involontairement et nous rappelle les strophes de l’Adieu à la Mer, qui nous ont tant bercés : Le Dieu qui décora le monde De ton élément gracieux.

243. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

Rappelons-nous ce que nous avons dit au sujet du principe de relativité et des efforts faits pour la sauver. […] Pour un observateur, entraîné lui-même dans une translation dont il ne se doute pas, aucune vitesse apparente ne pourrait non plus dépasser celle de la lumière ; et ce serait là une contradiction, si l’on ne se rappelait que cet observateur ne se servirait pas des mêmes horloges qu’un observateur fixe, mais bien d’horloges marquant le « temps local ». […] Vous rappellerai-je comment il fut à son tour jeté en discrédit ?

244. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

Nous nous rappelons qu’il nous a gâté l’un des plus beaux sujets qu’il fût donné de toucher à la plume d’un historien, d’un savant, et même d’un artiste. […] Vous rappelez-vous l’effet de lumière et de bruit que fit, il y a quelques années, en Europe, le livre du marquis de Custine sur la Russie ? […] Quand on fit le procès à ce chef-d’œuvre, qu’on lira encore quand on saura la Russie par cœur, personne ne se dit que Custine était de cette famille de jugeurs dont madame de Staël se vantait d’être, — madame de Staël, qu’il rappelle d’ailleurs pour le style et pour sa manière habituelle et soudaine de faire partir l’étincelle de l’aperçu. « Je serais conduite à l’échafaud, — disait un jour madame de Staël, — qu’en chemin, je crois, je voudrais juger le bourreau. » Custine avait plus difficile à faire : il avait à juger ceux qui voulaient le séduire, et il a été plus fort que ses séducteurs.

245. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Veut-on que nous rappelions des scènes inouïes, et presque des pugilats, entre Buloz et ses propres rédacteurs ? […] Ils se rappellent le sort de Balzac, brouillé avec Buloz et attaqué par lui, non de son vivant, mais dès qu’il a été mort, par la main d’un avocat général que Buloz, toujours heureux, avait déterré pour cette besogne ! […] Michelet, avant de faire paraître chaque volume de sa scandaleuse Histoire de France, y fait des communications qui ne révoltent nullement la pudeur de Buloz, de ce farouche, comme dirait Sainte-Beuve, qui trouvait autrefois qu’un éloge de Brummell était bien léger pour sa revue, et qui ordonnait de ne pas rire, en ce grave sujet, à John Lemoine, lequel, si vous vous le rappelez, fut superbe d’indignation puritaine contre les pots de pommade du dandy et l’immoralité de ses rouleaux d’eau de Cologne !

246. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Il avait ses deux yeux et même on pouvait les trouver beaux, quoiqu’ils fussent moins beaux que sévères, et que l’imagination — cette faculté — il faut le rappeler à M.  […] Mais Madame Bovary est un roman de mœurs, et de mœurs actuelles, et, bien que le sentiment s’y montre horriblement abaissé sous les corruptions qui envahissent une âme faible et qui finissent par la putréfier, c’est du cœur d’une femme qu’il y est question, et l’imagination s’attend à autre chose qu’à une main de chirurgien, impassible et hardie, qui rappelle celle de Dupuytren, fouillant le cœur de son Polonais, quand il lui eut rejeté la tablette de la poitrine sur la figure, dans la plus étonnante de ses opérations… M.  […] Ce jeune homme, que l’auteur ramènera plus tard et qui sera le second amant de madame Bovary, cède la place au roué, grossier, expert et hardi, frotté d’une élégance équivoque, qui devait triompher naturellement d’une femme comme elle, car dans l’éloignement de la société que son souvenir hante, c’est l’homme qui lui rappelle le plus, par les surfaces, les beaux du château de la Vaubyessard.

247. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Le style de l’ouvrage est d’une belle clarté et d’une rigueur philosophique qui rappelle en certaines pages d’exposition l’auteur de la Controverse chrétienne ; et il nous a semblé que celui-ci, ami des éditeurs, pourrait bien ne pas être étranger en effet à la rédaction d’un livre modeste, et dont pourtant toute plume s’honorerait. […] Mais il est bien de l’offrir, de la rappeler dans toute son intégrité aux âmes modérées, auxquelles elle est suffisante ; il est bien surtout d’en faire le premier enseignement et comme le premier tableau au fond des pures et jeunes âmes ; car elles y reviendront avec fruit, elles s’en ressouviendront un jour.

248. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Et Lamartine ? »

Et c’est alors un délice, c’est un rafraîchissement inexprimable que ces vers jaillis d’une âme comme d’une source profonde, et dont on ne sait « comment ils sont faits. » Sans compter que, parmi ces vers de génie — à travers les nonchalances, les maladresses et les naïvetés de facture qui rappellent les très anciens poètes, et parfois aussi à travers les formules conservées du dix-huitième siècle  des vers éclatent et des strophes (les poètes le savent bien), d’une beauté aussi solide, d’une plénitude aussi sonore, d’une couleur aussi éclatante et d’une langue aussi inventée que les plus beaux passages de Victor Hugo ou de Leconte de Lisle. Rappellerai-je que ce roi de l’élégie amoureuse et religieuse est aussi le poète de la Marseillaise de la paix, des Révolutions, des Fragments du livre antique ; que nul n’a plus aimé les hommes, ni annoncé avec une éloquence plus impétueuse l’Evangile des temps nouveaux ; qu’il a fait Jocelyn, cette épopée du sacrifice et le seul grand poème moderne que nous ayons ; que nul n’a exprimé comme lui la conception idéaliste de l’univers et de la destinée, et qu’enfin c’est dans Harold, dans Jocelyn et dans la Chute d’un Ange que se trouvent les plus beaux morceaux de poésie philosophique qui aient été écrits dans notre langue ?

249. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre II : Termes abstraits »

Rappelons-nous maintenant comment on peut changer un concret en un abstrait, en faisant disparaître la connotation, et appliquons cette doctrine aux cas de successions. Quand un homme se rappelle les particularités d’une bataille ou il commandait, il y a une succession de sensations ou d’idées qui traverse son esprit.

250. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Autrefois, si on se le rappelle, tout bambin, fait ou non pour les lettres, risquait sa tragédie. […] Un roman comme Daphnis et Chloé n’est qu’une bucolique dont un génie chrétien peut faire, au bout de quinze cents ans, une autre bucolique, intitulée Paul et Virginie ; mais ce n’est pas assurément une telle composition, — pas plus que ces récits naïfs du Moyen-Age rajeunis par le pauvre marquis de Tressan, qui peuvent rappeler en quoi que ce puisse être, ces créations de l’Imagination et de l’Observation tout ensemble, qui commencent à La Princesse de Clèves et qui finissent aux Parents pauvres et aux Paysans.

251. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Voilà l’événement capital, trop souvent méconnu et qu’il faut sans cesse rappeler. […] Il n’est pas vain de rappeler aux insoucieux et aux dilettantes de la vie que l’avenir du monde est lié à la banqueroute ou au succès des principes dont nous venons de résumer l’esprit : triomphe de la pensée libre, respect de la réalité, élargissement de la conscience.

252. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Ne veut-elle pas se rendre compte des faits, les comprendre dans leurs causes et les rappeler à leurs lois ? […] Rappelez-vous Wallenstein et son astrologue. […] Tous les grands hommes vus d’un peu près rappellent le mot : Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. […] Il suffit de rappeler la vision en Dieu de Malebranche et l’harmonie préétablie de Leibnitz. […] Parmi tant de noms qui se présentent en foule, je ne rappellerai que ceux de mes trois savants amis, MM. 

253. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Mais, le sophisme de M. de Maistre admis, il le brode avec un art d’écrivain qui rappelle un sophiste de son pays, J. […] Cette plaisanterie, déplacée sous sa plume, rappelle l’opinion risible d’un érudit qui attribue l’Iliade à un moine de Bruxelles ! […] Il a cité même et adopté quelque part la comparaison d’Aristote, à qui la contemplation de la nature humaine rappelait l’épouvantable supplice d’un malheureux lié à un cadavre et condamné à pourrir avec lui. […] Ce dialogue des Soirées rappelle Pascal, mais Pascal raisonnable, au lieu de Pascal halluciné par la peur de Dieu. […] Il fut rappelé en 1817 avec le titre de président des cours suprêmes du royaume et de ministre d’État sans portefeuille.

254. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

» Que de choses dans ces quelques mots, suivis d’une autre conversation où Octave Feuillet rappelle que l’Empereur avait été poussé à cette guerre par l’opposition qui lui refusait les moyens qu’il croyait nécessaires : il rappelle les paroles de Thiers, traitant de « fantasmagorie » les armements de la Prusse, signalés par le maréchal Niel ; il rappelle bien d’autres choses qu’il faut lire dans ce livre où sont pieusement recueillies un grand nombre de lettres du charmant écrivain. […] » Je me rappelle avoir vu, à une exécution capitale, dans le public venu là comme à une partie de plaisir, deux jeunes scélérats qui devaient, un peu plus tard, friser eux-mêmes le couteau. […] Il rappelle qu’au concile de Trente, l’Église n’a été sauvée que parce qu’elle a eu le divin entêtement de s’enfermer dans le dogme étroit, et qu’elle n’a rien voulu concéder. […] On se rappelle le merveilleux chapitre que Victor Hugo a intitulé « Une tempête sous un crâne » ; c’est dans le cœur du père qu’elle se déchaîne cette fois. […] Je me rappelle avoir vu jadis une lithographie ridicule montrant « Molière étudiant l’humanité chez un perruquier de Pézenas ».

255. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Vous rappelez-vous le sujet ? […] Vous vous rappelez ? […] Je rappelle la donnée en quelques mots. […] Rappelez-vous les railleries dont il l’accable au premier acte. […] Il me rappelle Bocage, que je n’ai jamais vu, et tous les acteurs romantiques de 1840.

256. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Rappelez-vous ce qu’il dit de la violence des passions en Afrique, dans Candide, récit de la vieille : « C’est du feu, du vitriol, etc. » « A propos de l’aqueduc : « Ici on est dans l’invraisemblance jusqu’au cou. […] Faut-il vous rappeler Mme de Lamballe, les Mobiles en 48, et ce qui se passe actuellement aux États-Unis ? […] Aratus que vous rappelez est précisément celui d’après lequel j’ai rêvé Spendius ; c’était un homme d’escalades et de ruses qui tuait très-bien la nuit les sentinelles et qui avait des éblouissements au grand jour. […] Je me rappelle que lorsqu’il revint de Rome avec l’abbé de Lamennais, étant allé leur faire visite dans la maison de la rue de Vaugirard où ils étaient logés, je vis d’abord, dans une chambre du rez-de-chaussée, M. de Lamennais qui s’exprimait sur ce qui s’était passé à Rome et sur le pape avec un laisser-aller qui m’étonna, puisqu’il venait de se soumettre ostensiblement ; il parlait du pape comme d’un de ces hommes qui sont destinés à amener les grands remèdes désespérés. […] Plein de feu, d’ardeur, d’une âme affectueuse et amicale, unissant à un fonds d’instruction solide les goûts les plus divers, ceux de l’art, de la curiosité et de la réalité, il semble ne vouloir faire usage de toutes ces facultés que pour en mieux servir ses amis ; il se transforme et se confond, pour ainsi dire, en eux ; et ce sont eux les premiers qui, de leur côté, sont obligés de lui rappeler qu’il y a aussi une propriété intellectuelle qu’il faut savoir s’assurer à temps par quelque travail personnel : il est naturellement si libéral et prodigue de lui-même envers les autres qu’on peut sans inconvénient lui conseiller de commencer un peu à songer à lui, de penser à se réserver une part qui lui soit propre, et, en concentrant ses études sur un point, de se faire la place qu’il mérite d’obtenir un jour.

257. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

On est revenu sur ce point à une idolâtrie, du moins en paroles, qui rappellerait celle des premiers âges ; ce ne sont que demi-dieux toujours absous, quoi qu’ils fassent, et toujours écrasants. […] C’est à propos des conseils pieux, donnés par saint Louis à son fils, et qui rappellent le mot tout à l’heure cité d’Énée à Ascagne : « Belles et touchantes paroles ! […] Parmi les documents récents qui se rapportent à cette vie publique, il convient de rappeler les Souvenirs sur Mirabeau par Étienne Dumont (de Genève), livre de bonne foi et de sens, écrit par un homme bien informé, sans prétention ambitieuse, quoi qu’on en ait dit ; livre qui n’atteint en rien le génie propre à Mirabeau et ne cherche point à lui dérober ni à lui soutirer son tonnerre, mais qui a replacé l’homme et le génie dans quelques-unes des conditions réelles moins grandioses. […] S’il a rappelé une fois dans une parenthèse que l’amiral Coligny était son cousin, cela se change en sublime, au lieu de paraître un simple trait de vanité. […] Nommer Rousseau, Pascal, Voltaire, Bernardin de Saint-Pierre ou Fénelon, c’est assez rappeler ces analogies délicates à qui doit les sentir mieux que nous.

258. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Elle aime à associer les noms de l’amitié aux émotions publiques qui envahissent son âme et la transportent : « C’est ajouter, » dit-elle en un style plein de nombre et dont le tour accompli rappelle le parler de Mme de Wolmar, « c’est ajouter au grand intérêt d’une superbe histoire l’intérêt touchant d’un sentiment particulier ; c’est réunir au patriotisme qui généralise, élève les affections, le charme de l’amitié qui les embellit toutes et les perfectionne encore. » Les lettres du 24 et du 26 janvier 91 à Bancal, alors à Londres, par lesquelles elle essaie de le consoler de la mort d’un père, méritent une place à côté des plus élevées et des plus éloquentes effusions d’une philosophie forte, mais sensible. […] Vous ne pouvez vous représenter l’importance que nos aristocrates mettent à ces bêtises nées peut-être dans leur cerveau ; mais ils voudraient montrer l’Assemblée comme conduite par quelques étourdis excités, échauffés par une dizaine de femmes. » Mme de Staël, en revanche, n’a nulle part (que je me le rappelle) nommé Mme Roland. […] Pour couronner le tableau des qualités domestiques chez Mme Roland, il ne faut plus que rappeler le début de cette autre lettre écrite à Bosc, de Villefranche : « Assise au coin du feu, mais à onze heures du matin, après une nuit paisible et les soins divers de la matinée, mon ami à son bureau, ma petite à tricoter, et moi causant avec l’un, veillant l’ouvrage de l’autre, savourant le bonheur d’être bien chaudement au sein de ma petite et chère famille, écrivant à un ami tandis que la neige tombe, etc. » A côté de ces façons d’antique aloi, de ces qualités saines et bonnement bourgeoises, osons noter l’inconvénient ; à défaut du chatouillement aristocratique, la jactance plébéienne et philosophique ne perce-t-elle pas quelquefois ? […] Près de mourir, elle a pu s’écrier, sans fiction aucune, dans son hymne d’adieu : « Adieu, mon enfant, mon époux, ma bonne, mes amis ; adieu, soleil dont les rayons brillants portaient la sérénité dans mon âme comme ils la rappelaient dans les cieux ; adieu, campagnes solitaires dont le spectacle m’a si souvent émue, et vous, rustiques habitants de Thézée, qui bénissiez ma présence, dont j’essuyais les sueurs, adoucissais la misère et soignais les maladies, adieu !  […] A ceux qui citeraient Mme Roland pour exemple, nous rappellerons qu’elle ne négligeait pas d’ordinaire ces formes, ces grâces qui lui étaient un empire commun avec les personnes de son sexe ; et que ce génie qui perçait malgré tout et s’imposait souvent, n’appartenant qu’à elle seule, ne saurait, sans une étrange illusion, faire autorité pour d’autres.

259. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Nous ne connaissons rien en France qui rappelle une cour, même de loin. […] J’allais, un peu en arrière, intimidé par cette qualité de profane et d’intrus, que tout me rappelait, mon costume, les grands corridors blancs, les images pendues aux murs, le silence, la démarche grave et recueillie de la supérieure générale qui nous précédait, vieille femme à qui obéissaient les deux cent vingt monastères du Bon-Pasteur répandus dans le monde entier. […] « Je me rappelle avoir vu des socialistes en Angleterre. […] Mais n’aperçoit-on pas qu’elles pouvaient servir d’indication, et comment le rôle des cahiers et des carnets ne consiste pas simplement à rappeler des termes, des détails, des fragments d’histoire que la mémoire aurait pu perdre, mais surtout à renseigner l’écrivain sur la manière de traiter l’œuvre, sur ce qu’on nomme en peinture les valeurs ? […] Enfin, comme l’héroïne principale, entourée de compagnes moins élégantes et moins affinées, n’en serait que plus exceptionnelle, comme il fallait rappeler constamment et cruellement son origine, sa parenté, son monde d’où sans cesse elle s’évade en esprit, elle a un frère, l’ouvrier dont l’exemplaire vit sous nos yeux, l’homme que les mots corrompent autant que les passions, et qui se venge, par la haine universelle, de l’offense qu’il a reçue d’un seul.

260. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

L’idée de la justice absolue dans le pouvoir était rappelée à cette cour détestable, où le vice préludait au crime, où des enfants pervers avaient hâte de régner, et où, pendant deux siècles, l’inceste et le parricide servaient d’accompagnement à l’hérédité royale. […] N’y a-t-il pas ici, sous quelques rapports, un artifice, un effort de grandeur, symptôme des œuvres faussement archaïques, et qui rappelle Ossian comparé à Homère ? […] Théocrite était un Grec d’Europe ; il le rappelle dans une inscription, où il se distingue lui-même d’un autre poëte du même nom. […] Nulle vertu civile, nul souvenir de gloire et de liberté n’est rappelé, dans cette langue encore si pure, à ce peuple grec transplanté depuis moins d’un siècle. […] Vous pouvez voir en elles ces compagnes de l’épouse, tant de fois rappelées par Salomon.

261. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

À peine un petit cercle rappelait le simple tonsuré. […] Et voici que déjà elle me fait signe et me rappelle dans le tiède et doux Agenais. […] Albert Meyrac a admis dans son recueil plus d’un récit dont le style rappelle moins le paysan que le magister. […] Il y avait soixante ans qu’il avait fait sa tragédie, et il ne se la rappelait plus guère ; mais il se rappelait bien moins encore le drame de Schiller. […] C’est cette partie de la prophétie que Jules Tellier rappelle dans le passage que nous avons cité plus haut.

262. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Un bourgeois de Paris, là présent, le lui rappelle ; ce qui lui fait jeter de côté son assiette (son écuelleae) à l’instant. […] Saint Louis assemble son conseil un dimanche (19 juin 1250) : ce conseil se compose de ses frères, du comte de Flandre et autres seigneurs et barons ; il leur expose que sa mère le rappelle en France, où les affaires du royaume le réclament ; que, d’un autre côté, les chrétiens d’Orient ont encore besoin de lui, et que, s’il part, tous ceux qui sont à Acre voudront partir également ; et, les priant d’y réfléchir, il les remet à huitaine pour entendre leur avis. […] [NdA] Ces larmes me rappellent un beau mot, tout virgilien, de l’Antiquité : « Ἀγαθοί δ'ἀριδάκρυες ἄνδρες ; les hommes bons ont abondance de larmes. » 97. […] [NdA] Ceci encore rappelle une des belles comparaisons d’Homère lorsqu’au chant XIme de l’Iliade, pour exprimer les douleurs d’Agamemnon blessé à la main ou à l’avant-bras et voulant continuer de combattre, il assimile les élancements qui le prennent tout d’un coup et ne lui laissent pas de répit à ceux d’une femme en couche.

263. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Pour le lire comme il faut et pour bien entendre toutes ses cordes, et aussi pour se bien rendre compte du grand succès de son poème dès qu’il parut, il convient de se rappeler les événements de ces années, la guerre d’Amérique dont l’issue humiliait l’Angleterre, les débats passionnés du Parlement, les triomphes et les crimes dans l’Inde, les premiers efforts de Wilberforce pour l’affranchissement des noirs, les dilapidations et le désordre dans les plus hauts rangs et l’inconduite du jeune prince de Galles : Cowper, en ses moments lucides et tandis qu’il composait La Tâche, voyait tout cela de loin, en gros, mais avec bien de la curiosité et de l’ardeur : « Oh ! […] Collins a une ode pleine d’imagination et de haute fantaisie adressée Au soir : Cowper, dans le passage suivant, rappelle Collins avec moins de lyrisme et quelque chose de plus arrangé, de plus familier, mais avec une touche d’imagination non moins vive : Viens encore une fois, ô Soir, saison de paix, reviens, doux Soir et continue longtemps. […] Un jour qu’on demandait en présence de Wordsworth s’il en était nécessairement ainsi, le grave poète des lacs répondit : « Ce n’est point parce qu’ils ont du génie qu’ils font leur intérieur malheureux, mais parce qu’ils ne possèdent point assez de génie : un ordre plus élevé d’esprit et de sentiments les rendrait capables de voir et de sentir toute la beauté des liens domestiques23. » J’ai le regret de rappeler que Montaigne n’était pas de cet avis et qu’il penchait du côté du déréglement : citant les sonnets de son ami Étienne de La Boétie, il estime que ceux qui ont été faits pour la maîtresse valent mieux que ceux qui furent faits pour la femme légitime, et qui sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale : « Et moi, je suis de ceux, dit-il, qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » Nous nous sommes trop souvenus en France de cette parole de Montaigne, et nous nous sommes laissés aller à cette idée de folâtrerie. […] Ces sonnets, qui sont trop flatteurs pour que je les cite, m’en ont rappelé un du poète Keats qui exprime bien le même sentiment d’idéal, de vie intérieure et d’amitié, charme et honneur de la muse anglaise :   Sonnet imité de Keats, en s’en revenant un soir de novembre Piquante est la bouffée à travers la nuit claire, Dans les buissons séchés la bise va sifflant ; Les étoiles au ciel font froid en scintillant, Et j’ai, pour arriver, bien du chemin à faire.

264. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Jay estime, que les anciens rédacteurs du Constitutionnel et du Mercure ont connu ; que plusieurs littérateurs de cinquante ans regardent comme aussi ingénieux que modeste ; dont les femmes ont lu le livre de l’Amour, un peu sur la foi du titre, et que les jeunes gens de notre âge se rappellent peut-être avoir vu figurer dans quelque réquisitoire sous la Restauration ; — M. de Sénancour a eu, à tous égards, une de ces destinées fatigantes, malencontreuses, entravées, qui, pour être venues ingratement et s’être heurtées en chemin, se tiennent pourtant debout à force de vertu, et se construisent à elles-mêmes leur inflexible harmonie, leur convenance majestueuse. […] Tendrement aimé de sa mère, près de laquelle il dut trouver un asile contre l’exigence d’un père absolu, il a rappelé souvent avec la vivacité des premiers prestiges les promenades faites en sa compagnie (aux vacances probablement) dans la forêt de Fontainebleau. […] Le genre humain en masse est perdu sans retour ; il se rue en délire selon une pente de plus en plus croulante ; il n’y a plus de possible que des protestations isolées, des fuites individuelles au vrai : « Hommes forts, hâtez-vous, le sort vous a servis en vous faisant vivre tandis qu’il en est temps encore dans plusieurs contrées ; hâtez-vous, les jours se préparent rapidement où cette nature robuste n’existera plus, où tout sol sera façonné, où tout homme sera énervé par l’industrie humaine. » L’athéisme, le naturisme de ce Spinosa moins géométrique que l’autre, et poétiquement rêveur, nous rappelle toutefois le raisonneur enthousiaste dans sa sobriété chauve et nue, de même que cela nous rappelle, par l’effet des peintures, par l’inexprimable mélancolie qui les couvre et l’effroi désolé qui y circule, Lucrèce, Boulanger, Pascal et l’Alastor du moderne Shelley. — Shelley !

265. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

On éprouve un sentiment confus de tristesse dans les scènes les plus comiques du Tartufe, parce qu’elles rappellent la méchanceté naturelle à l’homme ; mais quand les plaisanteries se portent sur les travers qui résultent de certains préjugés, ou sur ces préjugés eux-mêmes, l’espoir que vous conservez toujours de les corriger, répand une gaieté plus douce sur l’impression causée par le ridicule. […] Je vais rappeler un exemple remarquable des sujets nouveaux que peut traiter la comédie, et du nouveau but qu’elle doit se proposer. […] Il faut donc tenter, avec la mesure de la raison, avec la sagesse de l’esprit, de se servir plus souvent des moyens dramatiques qui rappellent aux hommes leurs propres souvenirs ; car rien ne les émeut aussi profondément65. […] La tragédie, toute puissante sur le cœur humain, ce n’est point celle qui nous retracerait les idées communes de l’existence vulgaire ; ni celle qui nous peindrait des caractères et des situations presque aussi loin de la nature que le merveilleux de la féerie : ce serait celle qui pourrait entretenir l’homme dans les sentiments les plus purs qu’il ait jamais éprouvés, et rappeler l’âme des auditeurs, quels qu’ils soient, au plus noble mouvement de leur vie.

266. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Rappelez-vous le Berry de George Sand, la Touraine de Balzac, l’Alsace d’Erckmann-Chatrian, la Normandie de Flaubert et de Maupassant, la Provence de Paul Arène et d’Alphonse Daudet, la Lorraine d’André Theuriet, les Cévennes de Ferdinand Fabre, le Quercy de Léon Cladel et de Pouvillon… Et voici le Maine de M.  […] I J’ai besoin de rappeler ici que la perfection littéraire d’une oeuvre n’est pas, même pour un lecteur très lettré, l’unique mesure du plaisir qu’il y prend. […] Je ne veux point parler de ses romans bourgeois, qui pourtant ne sont point ennuyeux, mais où je n’ai pas fait de découvertes et dont les dialogues ont quelquefois le tort de rappeler ceux de Paul de Kock. […] Cet innocent qui est sorcier est grand par tout ce qu’il rappelle : Savant dans la découverte et l’emploi des herbes, pénétré d’une confiance aveugle en leur puissance, ne descendait-il pas en ligne droite du berger antique dont Virgile a chanté les croyances ?

267. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Le fond et la forme ne sont plus inséparables comme une rose et son parfum, mais rappellent ces fleurs sans âme dans lesquelles un marchand instilla une essence d’iris ou de violette qui les a bientôt fanées. […] Au degré le plus bas, qu’on se rappelle les personnages du romant de la Rose : « Bel accueil », « Beau semblant », ou dans la Henriade, la Discorde personnifiée. […] On se rappelle le mot, peut-être authentique : « MM. les hautbois, tâchez que ce fa dièse exprime le dégoût !  […] Il rappelle ainsi Puvis de Chavannes et en particulier ce Bois-Sacré où l’accord merveilleux du site avec des femmes grandes et sveltes, aux attitudes lentes, fait naître la nostalgie d’une contrée surhumaine dont la Beauté serait l’unique loi.

268. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

D’un autre côté les pensionnaires de la Renaissance, quand l’interne Feydeau est de service, rappellent assez les habitués du préau de Charenton, mais moins que les Hanlon-Lees des Folies-Bergère, surtout moins que les polichinelles des Champs-Élysées. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] La majesté froide et grandiose de la première représente bien la noblesse un peu figée de l’époque ; la gaieté, quelquefois grossière ou guindée de la seconde, rappelle les rieurs survivants de l’âge précédent, et les jeunes maniérés du jour. […] Enfin, si l’on veut percevoir le contact parfait de cette société et de son théâtre, qu’on se rappelle ces solennités à la fois théâtrales et mondaines, dans le parc du château royal, où les intermèdes dramatiques, les danses, les festins et les musiques se fondaient dans une combinaison délicieuse de fête et de comédie, et dont Molière, dans Les Plaisirs de l’Isle enchantée, nous a laissé une relation qui tient (comme la vie de ce siècle) de l’histoire, du théâtre et du ballet.

269. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

D’un autre côté, les pensionnaires des Nouveautés, quand l’interne Feydeau est de service, rappellent assez les habitués du préau de Charenton, mais moins que les Hanlon-Lees des Folies-Bergère, surtout moins que les polichinelles des Champs-Élysées. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure, mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France. […] La majesté froide et grandiose de la première représente bien la noblesse un peu figée de l’époque ; la gaieté, quelquefois grossière ou guindée de la seconde, rappelle les rieurs survivants de l’âge précédent, et les jeunes maniérés du jour. […] Enfin, si l’on veut percevoir le contact parfait de cette société et son théâtre, qu’on se rappelle ces solennités à la fois théâtrales et mondaines, dans le parc du château royal, où les intermèdes dramatiques, les danses, les festins et les musiques se fondaient dans une combinaison délicieuse de fête et de comédie, et dont Molière, dans les Plaisirs de l’Isle enchantée, nous a laissé une relation qui tient (comme la vie de ce siècle) de l’histoire, du théâtre et du ballet.

270. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Les cinquante Danaïdes agglomérées en un groupe unique, n’ayant qu’une âme et qu’une voix, forment l’héroïne de cette tragédie collective ; et, quand on se rappelle leur origine aquatique, on croit voir une sorte d’Hydre féminine à têtes de vierges, qui prieraient et gémiraient à la fois. […] Il se rappelle, en les voyant, les femmes farouches des pays étranges, dont lui a parlé peut-être quelque Argonaute revenu de loin. — « Votre type est celui qu’à Cypre le père frappe au sein de la mère. […] Elles rappellent leur hôte au despotisme inséparable pour elles de l’idée royale, elles chantent au prince grec l’hymne de la toute-puissance orientale : — « La Cité, c’est toi ! […] » — « À parer ces figures d’ornements nouveaux. » — Tu parles par énigmes. » — « Nous nous pendrons aussitôt aux statues des dieux. » — Terrible image qui rappelle les servantes d’Ithaque, qu’Homère nous montre dans l’Odyssée, pendues, à la file, au câble tendu entre les colonnes du palais d’Ulysse. — « De même que les grives aux ailes ployées et les colombes se prennent dans un filet, au milieu des buissons du champ clos de murs où elles sont entrées, et y trouvent un lit funeste ; de même ces femmes avaient le cou serré dans un lacet, afin de mourir misérablement, et leurs pieds ne s’agitèrent point longtemps. » — Cette fois, Pélasgos n’hésite plus, l’horreur le saisit.

271. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

de rappeler encore une fois les notables, et de les laisser discuter sur les formes de la représentation prochaine, au lieu d’avoir dès le premier jour un plan arrêté ? […] Voilà un résultat surprenant en effet, et qui, si j’osais le rappeler, est propre encore à caractériser l’espèce tout entière des esprits doctrinaires après leur chute. […] Le moment d’éblouissement et d’ivresse, l’apogée de sa vie, ce fut son retour après le 14 Juillet, lorsqu’il reçut à Bâle la lettre du roi et celle de l’Assemblée nationale qui le rappelaient. […] Il avait toujours été désintéressé en pareille matière ; il avait refusé durant ses divers ministères les appointements de ministre des Finances et tous les avantages qui étaient attachés à cette place ; il ne craignait pas de le rappeler avec un faste qui compensait, certes, le désintéressement : « Ainsi, s’écriait-il, l’Assemblée nationale peut à son aise me montrer de l’indifférence, je n’en resterai pas moins créancier de l’État de plusieurs manières, et jamais je n’ai tant joui de cet avantage, jamais je n’y ai tenu plus superbement. » Ces cris d’orgueil sont fréquents chez M. 

272. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je me bornerai donc à rappeler mes conclusions. […] Vous avez entendu parler des noyés et des pendus qui racontent, une fois rappelés à la vie, comment ils ont eu la vision panoramique, pendant un instant, de la totalité de leur passé. […] Nous ne le pouvons pas, parce que le mécanisme cérébral a précisément pour fonction ici de nous masquer le passé, de n’en laisser transparaître, à chaque instant, que ce qui peut éclairer la situation présente et favoriser notre action : c’est même en obscurcissant tous nos souvenirs sauf un — sauf celui qui nous intéresse et que notre corps esquisse déjà par sa mimique — qu’il rappelle ce souvenir utile. […] Je ne puis entrer ici dans le détail d’une démonstration que j’ai tentée autrefois : qu’il me suffise de rappeler que tout devient obscur, et même incompréhensible, si l’on considère les centres cérébraux comme des organes capables de transformer en états conscients des ébranlements matériels, que tout s’éclaircit au contraire si l’on voit simplement dans ces centres (et dans les dispositifs sensoriels auxquels ils sont liés) des instruments de sélection chargés de choisir, dans le champ immense de nos perceptions virtuelles, celles qui devront s’actualiser.

273. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Une fois, nous l’avons vu, il avait rappelé et enlacé dans un de ses hymnes deux vers de ce poëte ; mais ailleurs il maudit, il abhorre les exemples de ce génie plus habile à diffamer les hommes qu’à chanter les Dieux. […] et Voltaire, à Potsdam, aurait pu la citer à Frédéric, que tout bas il accusait de rappeler Denys de Syracuse, à double titre de despote et de mauvais poëte. […] Les épisodes, ce sont les souvenirs des aïeux sans cesse rappelés, comme une obligation pour les fils et un titre d’orgueil pour les citoyens. […] » Ces paroles, qui rappelaient un ancien désastre, en même temps qu’elles en assignaient la cause, en disent assez sur les jeux de la Grèce.

274. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Kahn rappelle la mélodie fluide et comme tranquille de M.  […] Est-il utile, pour conclure, de rappeler que M. 

275. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XII. Ambassade de Jean prisonnier vers Jésus  Mort de Jean  Rapports de son école avec celle de Jésus. »

Par son genre de vie, par son opposition aux pouvoirs politiques établis, Jean rappelait en effet cette figure étrange de la vieille histoire d’Israël 571. […] Je rappelle que Sabiens est l’équivalent araméen du mot « Baptistes. » Mogtasila a le même sens en arabe.

276. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères ; les tombeaux sont sans intérêt pour lui ; les institutions de ses aïeux ne lui semblent que des coutumes barbares ; il n’a aucun plaisir à se rappeler les sentences, la sagesse et les goûts de sa mère. […] En nommant Montesquieu, nous rappelons le véritable grand homme du dix-huitième siècle.

277. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

On se rappelle le mot d’un officier français qui, à la tête d’une compagnie de gardes, venait d’assister à la dédicace d’une des statues de Louis XIV ; en revenant, il passa avec sa troupe devant la statue de Henri IV : « Mes amis, dit-il, saluons celui-ci, il en vaut bien un autre, et en même temps il fit baisser les drapeaux jusqu’à terre. […] Moi-même, quand j’exhorterai ton épouse et ta fille à honorer ta mémoire, je leur dirai de se rappeler sans cesse et tes actions et tes discours, d’embrasser ta renommée, et, pour ainsi dire, ton âme, plutôt que de vaines statues ; non que je veuille défendre de reproduire sur le marbre ou l’airain les traits des grands hommes ; mais ces images sont mortelles, comme ce qu’elles représentent, au lieu que l’empreinte de l’âme est éternelle.

278. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Je me rappelle une de ces maisons, voisine de celle de ma famille, où j’avais plusieurs condisciples. […] Ma fille, Henriette, Ernest, qui a passé une bien meilleure nuit, se rappellent à votre souvenir, ainsi que Clara. […] Je me rappelle sa beauté (une beauté de femme), sa taille élégante, la ravissante grâce de ses mouvements. […] Je me rappelle ce retour comme si c’était d’hier. […] Quand un ancien élève de Saint-Nicolas se hasardait à rappeler cette maison, quelque vieux directeur se trouvait là pour dire : « Oh !

279. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

C’est, vous vous le rappelez, notre seconde question ; et vous connaissez la légende. […] Vous rappelez-vous peut-être, à ce propos, un mot de Corneille dans l’Examen de son Héraclius ? […] Rappelez-vous plutôt Don Juan, qui est à peu près du même temps ! […] Vous rappelez-vous, Messieurs, cette sombre histoire ? […] Permettez-moi à cette occasion de vous rappeler un chœur de son Atys.

280. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

J’aurais eu regret cependant que l’auteur eût complètement supprimé dans le volume offert à notre public deux ou trois morceaux. « La crise de la foi » est un beau chapitre intérieur, et qui rappelle, à quelques égards, le touchant monologue de Jouffroy au moment où il s’aperçut que la foi première sur laquelle il s’appuyait s’était écroulée dans son cœur. […] Et pourtant je me rappelle l’avoir vu, il y a quinze ou vingt ans, qui hésitait encore. — Supposez M.  […] Scherer est à lire (pages 368-370 et page 343), et si dans cette conclusion l’impression morale qui surnage semble un peu en contradiction avec la conséquence intellectuelle, si on s’étonne de trouver l’une beaucoup plus favorable que l’autre, je me l’explique très bien par la situation personnelle du critique lui-même, qui fait un retour sur son propre passé, et qui, lui aussi, a osé se modifier, varier (toute proportion gardée) dans le degré de sa foi, et l’avouer sincèrement à son monde. — Et je me rappelle à ce sujet un dernier entretien que j’eus avec Lamennais.

281. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Vous vous rappelez les propos mélancoliques de Fantasio sur un monsieur qui passe : « … Je suis sûr que cet homme-là a dans la tête un millier d’idées qui me sont absolument étrangères ; son essence lui est particulière. […] Cette croyance, si triomphalement affichée, à l’action du diable et à son ingérence dans les affaires humaines, peut paraître piquante, surtout quand on se rappelle le caractère si peu chrétien du catholicisme de M. d’Aurevilly. […] J’hésite et je m’étonne… Et, tandis que je demeure stupide, je me rappelle cette réplique de Mesnilgrand dans le Dîner d’athées : « Mon cher, les hommes… comme moi iront été faits de toute éternité que pour étonner les hommes… comme toi ! 

282. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Se rappela-t-il les claires fontaines de la Galilée, où il aurait pu se rafraîchir ; la vigne et le figuier sous lesquels il avait pu s’asseoir ; les jeunes filles qui auraient peut-être consenti à l’aimer ? […] Ce qu’on se rappelle le mieux d’une personne chère, ce sont ses derniers temps. […] Il faut se rappeler que les pieds des convives n’étaient point, comme chez nous, cachés sous la table, mais étendus à la hauteur du corps sur le divan ou triclinium.

283. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Rappelez-vous, dans le drame de Shakespeare, les divagations de la nourrice italienne, son histoire du sevrage de la petite sous un pigeonnier, celle de sa chute sur le front, la gravelure qui s’ensuit et qu’elle ne se lasse pas de répéter avec de gros rires. […] Le vieux Phœnix envoyé avec Ulysse, par Agamemnon, pour fléchir le héros rentré sous sa tente, lui rappelle comment il jouait avec lui dans son enfance, lorsqu’il était l’hôte de Pélée — « Et je l’aimais dans mon cœur, autant que ton père, ô Achille semblable aux Dieux ! […] » — Pylade lui rappelle froidement les ordres du dieu. — « Et que fais-tu des oracles d’Apollon rendus à Pytho ?

284. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Vingt ans plus tard, aux actes suivants, Jacques Vignot, qui se croit Jacques de Boisceny, fils légitime d’une veuve, et qui a vingt-cinq mille livres de rente, par suite d’un incident que nous rappellerons tout à l’heure, devient amoureux de mademoiselle Hermine Sternay, laquelle est la nièce de son père. […] On se rappelle la situation. […] Le monde murmure et se scandalise : il se rappelle les exploits galants de M. de la Rivonnière, il sait qu’il a visé à la main d’Hélène, il le voit la comblant de largesses, l’entourant d’attentions et de prévenances excessives ; d’où le monde conclut que le comte est amoureux de sa bru.

285. (1915) La philosophie française « I »

Bornons-nous à rappeler les noms de Buffon 6 et de Bonnet 7. […] Rappelons les noms de De Bonald (1754-1840), de De Maistre (1753-1821) et de Lamennais (1782-1854). […] Rappelons seulement, pour nous en tenir aux plus récents, les noms d’Ollé-Laprune, de Blondel, de Laberthonnière, de Fonsegrive, de Wilbois, de H. 

286. (1929) Dialogues critiques

Pierre Les meilleurs académiciens sont donc ceux dont on ne se rappelle jamais le nom ? […] Rappelez-vous que Barrès a toujours fait toutes les concessions aux gens de droite. […] Ne vous rappelez-vous déjà plus ce nouvel académicien qui n’avait pour titres que d’avoir présidé dix ans un comité ? […] Paul Je vous rappelle tout simplement le principe de contradiction. […] Rappelez-vous le meurtrier de Jaurès.

287. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

De poète je redevenais palefrenier…” Il était poète encore lorsque, débarqué à Antibes, il allait mêler ses larmes brûlantes aux flots de la Sorgue, en face du sombre rocher de Vaucluse, délicieuse solitude, dit-il, car il n’y a vu que l’ombre du souverain maître d’amour, et le souvenir de Laure de Noves lui a rappelé Louise d’Albany. […] On sait avec quelle ivresse Alfieri parle de cette période dans l’histoire de sa vie ; on se rappelle sa douleur quand la comtesse, encore soigneuse de sa renommée, revient passer l’hiver dans les États du pape, s’établit à Bologne, et oblige son compagnon à choisir une autre résidence ; on se rappelle aussi ses transports au moment où le mois d’août, trois ans de suite, le ramène à Colmar ; on se rappelle ces explosions d’enthousiasme, ce réveil d’activité poétique, cette soif de gloire qui le tourmente, sa joie de faire imprimer ses œuvres à Kehl dans l’admirable imprimerie de Beaumarchais ; puis ses deux voyages à Paris, son installation avec la comtesse dans une maison solitaire, tout près de la campagne, à l’extrémité de la rue du Montparnasse, et tous les soucis que lui donne la publication de ses œuvres complètes chez Didot l’aîné, « artiste passionné pour son art. » Tous ces détails sont racontés dans l’autobiographie du poète, nous n’avons pas à y revenir ici ; mais ce qu’Alfieri ne pouvait pas dire, et ce qui est pourtant un épisode essentiel de cette histoire, ce sont les dernières années de Charles-Édouard, ces années d’abandon et de malheur pendant lesquelles le triste vieillard, si longtemps dégradé, se relève enfin, et retrouve à sa dernière heure une certaine dignité vraiment noble et touchante. » III L’infortuné Charles-Édouard éprouva avant de mourir une consolation inattendue. […] Il la rappela près de lui pour tenir sa maison et consoler ses dernières heures. […] Il se rappelait alors ses études et ses travaux de trente années, et, ce qui l’étonnait davantage, un bon nombre de vers grecs du commencement d’Hésiode, qu’il n’avait lus qu’une fois, lui revenaient à la mémoire… Vous étiez assise près de lui, madame la comtesse, et c’est à vous qu’il le disait. […] En effet, sur les huit heures, on s’aperçut qu’il était en danger, et quand on vous rappela près de lui, madame, vous le trouvâtes qui respirait à peine et à demi suffoqué.

288. (1909) De la poésie scientifique

Mme de Saint-Point, elle, se hausse somptueusement au penser philosophique, près d’une « Métaphysique émue » : cette expression dont nous résumions en un article notre pensée, et que deux autres poètes rappelaient en des Déclarations, à leurs premiers livres se réclamant nettement de la « Poésie scientifique » : MM.  […] C’est là ce que, près des sources encore (en novembre 1886, rappelle M.  […] Francis Viélé-Griffin est la grande et âpre figure du « Symbolisme »  demeurant en puissance, disons-nous, alors que l’action créatrice de cette Ecole à divers modes est virtuellement terminée, alors que la plupart de ceux qui œuvrent encore poétiquement, se répètent, d’aucuns même étant en voie de régression… Outre les noms de capitale action dont nous avons marqué l’évolution Symboliste, rappelons-en simplement d’autres qui resteront en l’histoire de ce temps : de Stuart Merrill, E. […] Nous aimerons, à propos, rappeler de notre doctrine de Poésie scientifique d’autres précurseurs au cours des siècles, et sans remonter à l’Inde, en une tradition à rares représentants qui, sans en prendre conscience pour la généraliser, sortirent de l’égotisme comme mesure habituelle de leur émotion inspiratrice en s’élevant à du concept philosophique  Nous avons dit Lucrèce, du Bartas, Hugo de la Légende des siècles, Goethe, Shelley, Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme se reprochant de « croupir dans la poésie personnelle ». […] Brunetière, après avoir écrit contre l’Evolutionnisme, en 1893, demande une littérature, une poésie, qui relèvent de Darwin et de Haekel… En même temps que moi, un critique lui apprend ou lui rappelle que cette poésie existe.

289. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Les choses, dans la nuit éternelle, où Anastasi est plongé, se rappellent à lui, le jour, seulement par un contour et un modelage, mais il ne les voit plus colorées. […] Cela me rappelle l’anecdote que me racontait, il y a quelques jours, Burty avec lequel je causais tapisseries. […] Cette femme lui rappelle Rome, l’ambition de ses rêves d’artiste, et elle le décide à abandonner sa Grecque et ses quatre chevaux. […] Je me rappelle Murger, Sainte-Beuve, etc. […] Et Saint-Victor rappelait que Marc-Aurèle remercia Frontin, de l’avoir éloigné de la volupté et de la femme ; jusqu’à l’âge d’homme.

290. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Faut-il rappeler encore cette énergique tendance à l’action, cet indomptable sentiment de la personnalité, de la liberté, de la responsabilité, qui d’un bout à l’autre de son histoire distinguent le peuple hébreu, et forment un si vigoureux contraste avec cette passivité fataliste et mystique, dans laquelle Cousin engourdit uniformément toutes les nations de l’Orient ? […] Il est manifeste, par exemple, qu’il n’accueille qu’avec un sourire la description que fait Ctésias du martichore, cet animal fantastique, de la grosseur d’un lion, au visage semblable à celui de l’homme, au corps rouge, à la queue armée d’un aiguillon qu’il lance comme une flèche, à la voix qui rappelle celle de la flûte et de la trompette, aux mâchoires féroces, garnies chacune de trois rangées de dents. […] Quand il rapporte des faits qui passent pour des présages, c’est d’un ton qui ne rappelle guère la naïve dévotion d’Hérodote. […] Rappelons seulement qu’il a distingué et défini, au moins en partie, ces diverses sortes de ressemblances des animaux que Geoffroy Saint-Hilaire devait désigner par les noms d’analogies et d’homologies. […] Comment ne pas rappeler cette page, l’une des plus belles qu’ait inspirées la philosophie de la nature  ?

291. (1926) L’esprit contre la raison

» On entendra enfin dans cette écriture véhémente, au-delà de la volonté de sauver l’Esprit des œillères de la Raison, la volonté de rappeler avec une force bouleversante la part du corps. La perception douloureuse d’une inadéquation physique au monde, d’une insatisfaction ontologique rappelle, dans sa violence, les expressions du mal être d’Artaud. […] D’une Camargue illimitée, il ne se rappelait que certains remparts de carton-pâte, une ville théâtrale et avare et que le vent n’avait pas régénéréeaj. […] Rappelons que Barrès applaudit au manifeste de Massis, mais ne le signe pas. […] Elle rappelle en tout cas la déception de Breton, grand admirateur de Monsieur Teste, devant le retour au vers « classique » dans La Jeune Parque (1917) et Charmes (1922).

292. (1903) La renaissance classique pp. -

On se rappelle le scandale que souleva leur littérature à son apparition. […] Enfin nous nous rappellerons que si l’on peut refuser à la vie elle-même une finalité quelconque, il n’en va pas ainsi de l’œuvre d’art qui l’imite. […] Rappelons-nous que les grands classiques ont été avant tout de consciencieux artistes. […] Rappelons-nous les désolants spectacles dont nous fûmes témoins. […] On songe aux lieux tristes d’alentour et l’on se rappelle que cette misère du sol fut transformée par la volonté toute-puissante d’un seul, avec le concours d’une race et d’un peuple.

293. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Vous vous rappelez la scène, elle est dans toutes les mémoires. […] Elle l’interrompt à tous coups, pour le rappeler à l’objet de la conversation. […] Il rappelait plutôt Geoffroy, qui était Geoffroy partout et toujours, et qui ne pouvait être que Geoffroy. […] Tous ne serez peut-être pas rappelé huit fois par les Serbes. […] Vous vous rappelez la fameuse scène où le jeune Thomas Diafoirus est présenté par son père à Angélique.

294. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Ne suffirait-il pas d’ailleurs, pour prouver par un seul exemple le danger qu’il y avait à pousser plus loin l’imitation, de rappeler la Théodore de Corneille ? […] On rappelle toujours le demi-succès du Misanthrope ; M.  […] Rappelons encore la préface de Britannicus et celle de Bérénice. Rappelons à l’égard de l’auteur d’Agésilas et d’Attila la vivacité d’impertinence et la hauteur d’orgueil de Racine ; mais rappelons aussi tant de mots blessants de Corneille, et cette phrase qu’il ne craignit pas de prononcer en pleine Académie, Racine étant présent : « qu’il ne manquait au Germanicus de M.  […] » Et j’ai rappelé plus haut quelle indignation avait soulevée cette fameuse lettre de 1740.

295. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Et il se rappelle fort à propos qu’Homère n’a pas dédaigné de chanter la guerre des Rats et des Grenouilles. […] Montaigne rappelle ces paroles, et Montaigne se connaissait en amitié. […] Puis, il se rappelait tout à coup ses contradictions de la veille, sa folle hardiesse. […] Sur la façade de la maison, une plaque rappelle la naissance du poète. […] Le poète rappela le beau temps où il avait soupé chez la tragédienne avec des couverts d’étain.

296. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Et après ceux-là, je ne me rappelle plus personne qui soit digne de converser avec un philosophe ou un poëte. […] Alexandre Dumas, pour avoir à ce sujet rappelé récemment la fable : Ah ! […] Vous rappelez-vous les débuts de M.  […] Meryon rappelait les vieux et excellents aquafortistes. […] Prouha qui rappelait les grâces nobles et mignardes de la Renaissance.

297. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

On se rappelle ce grand seigneur qui un jour, dans la galerie de Versailles, devant Boileau, Racine et Valincour, fit taire de jeunes étourdis qui riaient aux éclats de ce qu’Homère avait parlé des Myrmidons ; mais ensuite, prenant à part les trois amis dans l’embrasure d’une fenêtre, le même seigneur leur demanda sérieusement : Maintenant que nous sommes entre nous, dites-moi s’il est bien vrai, messieurs, qu’Homère ait parlé des Myrmidons ? […] S’il était besoin d’expliquer d’ailleurs cette indignation d’un homme d’esprit et philosophe envers un si misérable adversaire, et la forme sous laquelle elle se produisit, il faut se rappeler que le livre de Gacon avait paru avec l’approbation d’un censeur, l’abbé Couture, approbation donnée dans les termes ordinaires : « J’ai lu par ordre de Mgr le chancelier, etc. […] Ses amis ressentent une douleur profonde de le voir à la veille d’être entièrement aveugle ; sa vue, qui s’éteint par degrés insensibles, le rappelle sans cesse à sa prochaine infortune et le sollicite au découragement ; tandis que nous travaillons à le consoler et à le distraire de ce triste objet, il s’imprime dans Paris des livres cruels où l’on insulte lâchement à son malheur. […] Une voix qui rappelle la blancheur du lis, c’est une voix qui a clarté et douceur, et je ne sais quoi encore qui se marie bien avec des cheveux blancs.

298. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Rappelons-nous ce que nous-mêmes nous avons vu et observé de nos yeux, et tous ces cortèges successifs de femmes de Lamartine, de femmes de Musset, de femmes de Balzac. […] Le teint délicat rappelle la blancheur des porcelaines de Saxe, les yeux noirs éclairent tout le visage ; le nez est mince, la bouche petite, le cou s’effile et s’allonge. […] Toutes les femmes de la Cour savent vous persuader cela quand elles veulent, vrai ou non ; mais toutes ne savent pas, comme Mme de Luxembourg, vous rendre cette persuasion si douce, qu’on ne s’avise plus d’en vouloir douter… » C’est la seule page de cet admirable Xe livre que je veuille rappeler ici, et Rousseau lui-même, dans sa plus mauvaise humeur, ne pensa jamais à la rétracter. […] Voici l’anecdote telle qu’un reste de tradition me la rappelle : L’abbé était à un bout de table.

299. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Le très grand nombre des épigrammes amoureuses sont dans le sens épicurien, dans le sens d’Horace, pour rappeler que le plaisir est rapide et qu’il faut le cueillir dans sa fleur, tandis qu’il en est temps encore. […] Dérobe-toi donc à une vie pleines d’orages, et regagne le port, comme moi-même Plhidon, fils de Critus, qui a fui dans le Ténare. » Cette vie humaine qui n’est qu’un point serré et comme écrasé entre les deux infinis rappelle Pascal. […] Moi je n’ai rien, mais chez eux de plus amples provisions vous attendent. » Il avait connu l’exil et les misères chez l’étranger, et, bornant ses vœux au plus strict nécessaire, il s’écriait dans un ton bien éloigné de lHoc erat in votis d’Horace, et qui rappelle plutôt le Moretum de Virgile : « Ne te consume point, ô Homme ! […] Mais c’est André Chénier surtout que cette épigramme-idylle nous rappelle ; il l’a traduite, ou plutôt imitée et développée dans des vers que tout jeune ami des Muses a gravés de bonne heure dans sa mémoire ; c’est devenu chez lui toute une élégie : MNAïS.

300. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Rien ne reste de nous, sinon d’avoir aimé. » Elle se plaisait aussi à rappeler ces deux vers qui, s’ils ne sont pas d’elle, sont du moins tout son emblème : En gémissant d’être colombe, Je rends grâces aux dieux de n’être pas vautour. […] Mme Duchambge, que je n’ai connue que déjà passée, qui avait dû être des plus agréables, et qui, toute ridée qu’elle était, rappelait, par les mille petits plis de son fin et mignon visage, certaine jolie vieille de l’Anthologie : De ses rides les petits plis De nids d’amours sont tout remplis ; Mme Duchambge avait eu pour dieu de sa jeunesse l’aimable enchanteur Auber, dont elle adorait toujours l’étoile de plus en plus brillante, inconstante et légère. […] … Espérons… » Sur quoi Mme Valmore, se mettant à son unisson, s’efforçait de relever son courage, d’évertuer sa vieillesse, de l’attendrir par l’aveu des misères communes, de l’égayer par des images simples, qui rappellent les beaux jours et les joies de l’enfance : « (9 novembre 1854)… La dame qui m’aide souvent à trouver l’argent d’emprunt pour passer mon mois, à la condition de le rendre à la fin de ce mois même, n’a pu venir encore à mon secours, à travers la pluie et toutes les difficultés de sa propre vie. […] En extrayant cette douloureuse correspondance, je me suis souvent rappelé celle d’une autre femme-poète, et dont il a été donné au public des volumes exquis, celle de Mlle Eugénie de Guérin.

301. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Son érudition très-complète et très-déliée nous rappelle qu’il est aussi le critique-bibliothécaire. […] Magnin dégage chez Courier, au travers de l’homme de parti et du champion libéral, l’homme véritable, naturel, l’indépendant épicurien et moqueur, l’artiste amoureux du beau, l’humoriste vraiment attique, au rictus de satyre : « On n’a point la bouche fendue comme il l’avait, d’une oreille à l’autre, sans être prédestiné à être rieur, et rieur du rire inextinguible d’Homère ou de Rabelais. » Ces pages si légères et si bien touchées, à propos du plus docte et du plus lettré de nos pamphlétaires politiques, nous ont rappelé involontairement la différence des temps et le contraste de deux périodes pourtant si rapprochées. […] En introduisant ce brin de politique entre des pages plus fraîches et restées plus neuves, en y oubliant, comme par mégarde, ce coin de cocarde, le critique littéraire a voulu sans doute témoigner qu’il avait sur certains points des opinions, des principes, rappeler qu’il les avait soutenus, et faire entendre qu’il s’en souvenait comme de tout le reste. […] ne nous exagérons rien) on le cite quelquefois, on feuillette au besoin son recueil pour le consulter comme un témoin véridique, on rappelle son jugement sur ces livres, un moment fameux, qu’on ne lit plus et qu’on ne juge en abrégé que par quelques mots tirés de lui.

302. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Aujourd’hui que tout noble centre a disparu, et que la pensée, si elle veut être pure, cherche vainement un lieu désintéressé où se groupent avec charme et concert les activités diverses, ces souvenirs des foyers et comme des patries autrefois brillantes sont bien faits pour rappeler un moment le regard en arrière et le reposer. […] Que la lettre ait été interceptée ou non, il fut rappelé peu après et nommé sous-préfet à Bressuire. […] Il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvants de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place, avec de simples, mais fortes couleurs. » En France, Saint-Palaye déjà l’avait rappelé à l’attention des érudits ; M. de Barante le mit en valeur pour tous15. […] Vuillemin et Monnard donnent des suites développées qui s’étendront jusqu’à nos jours, mériterait un examen tout particulier, qui rappellerait utilement l’attention sur ces hauts mérites et ces originales beautés, si austères à la fois et si cordiales de Jean de Muller.

303. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Mon camarade et mon ami habitait alors dans l’immense cour du vaste et splendide palais de l’ancien duc de Richelieu, entre le boulevard des Italiens et la Madeleine, la petite maison du concierge de l’hôtel qui lui rappelait à la fois la grandeur et la simplicité des maisons paternelles. […] J’avais pardonné cependant, quand je me rappelai que ce même écrivain, toujours pur selon lui et ses amis, avait fait la cour à l’empereur pour obtenir la place de secrétaire d’ambassade à Rome, sous le cardinal Fesch ; qu’il avait ensuite été le favori de M. de Fontanes, favori lui-même de la princesse Élisa ; qu’il passait son temps à Morfontaine, dans l’intimité de cette famille couronnée ; qu’il avait obtenu par elle l’emploi de ministre plénipotentiaire en Valais ; qu’il avait, il est vrai, donné sa démission après le meurtre du duc d’Enghien ; mais que, dans sa harangue à l’Académie, peu de temps après, il avait proclamé Napoléon le nouveau Cyrus, en termes d’un poétique enthousiasme ; le fond de mon cœur n’était pas sans quelque scrupule sur l’immaculée pureté du bourbonisme de M. de Chateaubriand. […] Ils étaient parents des grands proscrits du Sylla du peuple, entre autres de M. de Malesherbes qu’il rappela trop souvent pour un bon chrétien, car Malesherbes était le Socrate des philosophes. […] Combien de fois quelques-unes de ces paroles ont été répétées depuis sans qu’on se rappelât bien d’où elles étaient tirées !

304. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

II Vous vous les rappelez, ces premiers romans de M.  […] Je rappelle le drame en deux mots. […] Vous vous rappelez, après la chute de la petite Mme Lescande, son étrange discours, puis le baiser qu’il met au bas de la robe de la jeune femme, et ses remords, et la scène bizarre du chiffonnier. […] On se rappelle, dans Un roman parisien, l’homme foudroyé après le toast a la Matière.

305. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Certaines personnes se plaisent à relever les traits qui, dans notre littérature et notre philosophie, rappellent la décadence grecque et romaine, et en tirent cette conclusion, que l’esprit moderne, après avoir eu (disent-elles) son époque brillante au XVIIe siècle, déchoit et va s’éteignant peu à peu. Nos poètes leur rappellent Stace et Silius Italicus ; nos philosophes, Porphyre et Proclus ; l’éclectisme, des deux côtés, clôt la série. […] Ils me rappellent le naïf étonnement des barbares devant ces évêques, qui parlaient latin, et devant toute cette grande machine de l’organisation romaine. […] On se rappelle les lollards du Moyen Âge, ces tisserands mystiques, qui, en travaillant, lollaient en cadence et mêlaient le rythme du cœur au rythme de la navette.

306. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il est presque banal de rappeler les aspects multiples de ce triomphe : le roman s’efforçant d’être impersonnel, documenté et de calquer le langage parlé ; le théâtre s’ingéniant à réduire au minimum la part de la convention et à porter au maximum l’exactitude de la mise en scène ; l’histoire se confinant dans les travaux d’érudition et dans les recherches minutieuses ; la critique se faisant scientifique, analytique, aussi impartiale qu’elle peut l’être ; la poésie même s’inspirant de la science ou de la vie familière. […] Quelques obstinés ont rappelé le droit qu’ont les peuples de disposer librement d’eux-mêmes. […] Alexandre Dumas, dans la préface citée plus haut, rappelle que le divorce ne sépare pas seulement deux époux qui ne peuvent plus s’entendre, mais qu’il ôte aux enfants le nid dont leur faiblesse a encore besoin. […] Est-il nécessaire de rappeler que certains auteurs, Alexandre Dumas fils, par exemple, se sont donné pour mission de corriger, non seulement les mœurs, mais les lois ; que la condition des femmes, celle des enfants naturels, voire les principes régissant l’héritage et la propriété ont été maintes fois débattus par le roman et le théâtre ; que des cas de conscience84, comme en présente par dizaines la profession du juge ou celle de l’avocat, se sont déroulés en savantes et émouvantes, péripéties ; que l’art, aux époques où il est militant, travaille à la préparation d’un code de l’avenir ?

307. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Il s’y présente sous mille apparences diverses qu’il faut rappeler. […] Faut-il rappeler que la philosophie du temps s’occupe surtout de l’âme, abstrait de la complexe réalité la pensée pure, se fie en aveugle à la puissance du raisonnement, use de la méthode mathématique ? […] Molière y cède, lorsque dans la plupart de ses pièces il introduit un représentant du bon sens, un raisonneur, qui porte des noms variés, mais qui toujours est chargé de rappeler au sentiment de la juste mesure ceux qui s’en écartent dans un sens ou dans l’autre. […] D’autre part, des auteurs qui se rattachent à l’époque antérieure, qui gardent quelque chose du temps de la Fronde : tels Corneille, Molière, La Fontaine, Retz, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, même Mme de Sévigné ; tout soumis et pacifiés qu’ils sont avec la France entière, ils ont par moments une indépendance de pensée, une liberté de ton et d’allure, une verdeur de langage, voire une veine de gaillardise qui rappellent que leur jeunesse s’est écoulée dans une société moins régulière.

308. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Elle était seulement blessée de la négligence du roi et de ses attentions pour cette jeune et belle personne, qu’elle appelait une belle idiote, et elle avait recours à son secret ordinaire pour rappeler sur elle l’attention, c’était de s’éloigner. […] Le roi ne l’alla point voir et ne la rappela point. […]  » On se rappelle qu’en 1672 elle écrivait à madame de Saint-Géran : « Le maître vient quelquefois chez moi, malgré moi, et s’en retourne désespéré, jamais rebuté. » Je suis persuadé qu’il n’y a pas une âme délicate, pas une femme qui ne sente une différence entre les deux locutions, et ne se plaise à en discerner le caractère d’après les circonstances. […] Cette mort, la retraite pieuse qui l’avait précédée, et qui rappelait celle de madame de La Vallière, l’âge, la réflexion dont le roi prenait l’habitude avec madame de Maintenon, le jetèrent dans une tristesse profonde et suspendirent le cours de ses dérèglements.

309. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

 » Le souffle poétique, ce qui est rare chez Mirabeau, semble avoir passé en cet endroit, et en cet autre encore : « Si vous me redonnez la liberté, même restreinte, que je vous demande, la prison m’aura rendu sage ; car le Temps, qui court sur ma tête d’un pied bien moins léger que sur celle des autres hommes, m’a éveillé de mes rêves. » Ailleurs, parlant non plus à son père, mais de son père, il dira par un genre d’image qui rappelle les précédentes : « Il a commencé par vouloir m’asservir, et, ne pouvant y réussir, il a mieux aimé me briser que de me laisser croître auprès de lui, de peur que je n’élevasse ma tête tandis que les années baissent la sienne. » On a refusé l’imagination proprement dite à Mirabeau ; il a certainement l’imagination oratoire, celle qui consiste à évoquer les grands noms historiques, les figures et les groupes célèbres, et à les mettre en scène dans la perspective du moment : mais, dans les passages que je viens de citer, il montre qu’il n’était pas dénué de cette autre imagination plus légère, et qui se sent de la poésie. […] Songez à moi, monsieur, dans ce temps qui, si j’en crois ce qu’annonçaient les derniers mois où je vivais avec les vivants, doit être fécond en événements (la Guerre d’Amérique) ; songez à moi, dis-je, ou plutôt (car j’ai assez de preuves que vous daignez vous occuper de ma triste existence) rappelez-la à d’autres. […] Pour mieux faire sentir que c’est tout à fait l’orateur ici qui est en scène et qui va chercher son argument dans la conscience de l’adversaire, je n’ai qu’à rappeler ce que Mirabeau dit en vingt endroits : « Je crois à un Dieu, mais non à un Dieu rémunérateur. » Il croyait, pour son compte, à une Cause première qu’il ne définit guère autrement, et non pas à l’immortalité de l’âme. […] Sophie l’avait un jour comparé à Rousseau ; il la rappelle à l’ordre et au respect : « Tiens, Sophie, je te battrais si je pouvais, quand tu lâches la bride à ton fol enthousiasme au point de dire de si grosses bêtises.

310. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

C’est dans cette dernière partie qu’on trouve des tableaux de la Révolution et de la Terreur au point de vue moral, qui rappellent parfois l’idée, la plume, et j’ose dire, la verve d’un Joseph de Maistre. […] Le sentiment qui anime les derniers chapitres, et qui fait que cet homme au cœur trop desséché par l’air des salons se relève et surnage, par l’intelligence, du milieu de la catastrophe universelle, me rappelle quelque chose du mouvement d’un naufragé qui s’attache au mât du navire, et qui tend les bras vers le rivage. […] Et ceci encore : Que l’histoire vous rappelle que partout où il y a mélange de religion et de barbarie, c’est toujours la religion qui triomphe ; mais que partout où il y a mélange de barbarie et de philosophie, c’est la barbarie qui l’emporte… En un mot, la philosophie divise les hommes par les opinions, la religion les unit dans les mêmes principes ; il y a donc un contrat éternel entre la politique et la religion. […] Abel rappelait Caïn.

311. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Je n’ai fait qu’effleurer le La Harpe converti ; mais, avant de le développer sous cet aspect, je demande à rappeler devant des générations qui les ont oubliées, ou qui même peut-être ne les ont jamais sues, quelques-unes des anecdotes qui couraient le monde littéraire il y a cinquante ans, et qui ne sont pas toutes sans agrément. […] Quelque jugement qu’on porte sur ce genre d’émotion singulière que confesse ici La Harpe et qui rappelle beaucoup d’autres exemples analogues dans l’ordre spirituel, on n’en saurait suspecter la sincérité, et il est dommage que sa conduite n’ait pas mieux répondu dans la suite à une révolution de cœur décrite d’une manière si touchante. […] Invention et style, c’est bien, selon moi, son chef-d’œuvre, et l’on me permettra d’en rappeler ici le cadre, le dessin et le mouvement : Il me semble que c’était hier, et c’était cependant au commencement de 1788. […] De là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citait une tirade de La Pucelle ; l’autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot… La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la Révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’est là le premier titre de sa gloire : « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon. » Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant : « Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre.

312. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Comme il parlait de passer la Seine et d’aller attaquer l’ennemi là où on avait combattu devant Paris deux jours auparavant, il fallut que Marmont lui rappelât que la Marne était sur la route, et que tous les ponts de cette rivière avaient été détruits. […] Il n’y a que quand il a dit : Moi sans la France, que je me suis détaché de lui. » Je rappellerai plus tard des paroles de lui sur Napoléon plus émues et plus semblables aux impressions de sa jeunesse. […] Si des politiques étaient tentés aujourd’hui de les trouver excessives, je rappellerai encore une fois que tout est relatif dans ces situations extraordinaires. […] Comme cette réponse ne venait point, et que l’aide de camp sentait le prix des instants, il insista pour qu’on rappelât au roi qu’il attendait.

313. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Supposons que se fasse tout à coup sentir le contact du corps avec la chemise ; le dormeur se rappellera qu’il est vêtu légèrement. […] Je ne rappellerai que le plus connu de tous. […] Je me rappelle en ce moment le livre du marquis d’Hervey sur les rêves. […] C’est de lui rappeler, en chaque circonstance, les conséquences avantageuses ou nuisibles qui ont pu suivre des antécédents analogues, et de le renseigner ainsi sur ce qu’il doit faire.

314. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

il serait permis d’en douter, si, comme l’a dit un Ancien, et comme un ingénieux moderne l’a rappelé en l’interprétant par l’exemple, elle n’était rien qu’une narration pure et simple dans laquelle aucun raisonnement ne dût s’introduire. […] de ces deux solutions si conformes mais si diversement exposées du même problème historique, l’une figure à mon esprit le spectacle de ces constructions géométriques, à la fois élégantes et hardies, qui sont nées comme de toutes pièces dans la tête de l’inventeur ; l’autre plutôt me rappelle ces mouvements gradués d’une analyse moins ambitieuse, ces transformations qu’on quitte et reprend à son gré, et auxquelles, chemin faisant, l’esprit se complaît si fort, qu’il ne se souvient du but qu’à l’instant où il l’atteint.

315. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Soumet, sur le ton solennel d’un prône ou d’un ordre du jour : « Les lettres sont aujourd’hui comme la politique et la religion ; elles ont leur profession de foi, et c’est en ne méconnaissant plus l’obligation qui leur est imposée que nos écrivains pourront se réunir, comme les prêtres d’un même culte, autour des autels de la vérité ; ils auront aussi leur sainte alliance ; ils n’useront pas à s’attaquer mutuellement des forces destinées à un plus noble usage ; ils voudront que leurs ouvrages soient jugés comme des actions, avant de l’être comme des écrits ; ils ne reculeront jamais devant les conséquences, devant les dangers d’une parole courageuse, et ils se rappelleront que le dieu qui rendait les oracles du temple de Delphes, avait été représenté sortant d’un combat. » Une fois qu’on en venait à un combat dans les formes avec les idées dominantes, on était certain de ne pas vaincre. […] Au tourment du langage et à l’impuissance d’expression, on aurait dit des prêtres sur le trépied ; et, à ce sujet, l’on se rappelle peut-être encore avec quelle loyauté, assurément bien méritoire, l’auteur du Clocher de Saint-Marc a porté sentence contre lui-même dans le Mercure.

316. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Cela rappelle un peu le peintre qui mettait au bas de ses figures, d’un coq, par exemple, ceci est un coq. […] Elle me rappelle le trait d’un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire, qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre dénué de toute espèce d’érudition.

317. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Lorsque tu seras au moment de quitter la vie, il n’y aura aucune de tes compositions que tu ne puisses te rappeler avec plaisir. […] Il n’y a pas jusqu’au fond qui ne rappelle les soins qu’on prend du vieillard.

318. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Prise dans son ensemble, bien entendu, la littérature qui ne grandit pas s’amoindrit ; et la nôtre, depuis la mort de Chateaubriand, de Ballanche, de Balzac, de Stendhal-Beyle, depuis des vieillesses plus tristes que la mort même, et dont nous ne nommerons pas les titulaires, puisqu’ils vivent encore, la nôtre a trop rappelé sans interruption ce que devint la littérature anglaise après la resplendissante époque des Byron, des Burns, des Coleridge, des Crabbe, des Sheridan, des Shelley et des Walter Scott. […] Le livre que cet écrivain vient de publier rappelle trop les articles de revue qu’on doit à sa plume, car il est ce qu’on appelle en Angleterre un excellent reviewer ; mais ce qui suffit pour un travail de revue suffit-il pour un livre, et pour un livre qui, comme le sien, porte dans son titre les plus étranges mystères et les plus horribles obscurités de l’histoire ?

319. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

Rappelez-vous quand Véron s’écriait, comme un sybarite dégoûté qui a dîné de trop d’esprit : « Et surtout plus d’idées ! […] Les quatre ans du règne de Napoléon III, rappelés en quelques pages, ne sont là que comme un prétexte pour parler d’un autre règne au Constitutionnel, la grande époque de Véron, quand cette forte tête gouvernementale passait des jours sans repos et des nuits sans sommeil : … On  ne dort pas quand on a tant d’esprit !

320. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

son livre le rappelle à plus d’une page, Belmontet est un impérialiste de vieille date. […] Le caractère du talent de Belmontet est une fougue âpre et non sans fierté, qui rappelle en plus d’un endroit la manière de Lebrun, le lyrique, auquel il reste supérieur par la grandeur des sujets qu’il traite et l’ardeur de ses sentiments.

321. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Monselet ne l’est pas, il est vrai, tout à fait à la façon de ce Beauvoir qu’il me rappelle. […] C’est le génie de l’élégiaque qui a dicté ces choses adorables d’émotion et de simplicité : le poème intitulé Médoc, Le Musicien, Le Paresseux, Le Ruisseau, Les Espagnoles, Encore à Madame X…, etc. ; surtout cette pièce de La Leçon de flûte, que je citerai tout entière pour donner une idée de ce poète qui rappelle ici André Chénier et le Poussin : J’étais resté longtemps les yeux sur un tableau Où j’avais retrouvé Théocrite et Belleau, Fraîche idylle aux bosquets de Sicile ravie Ayant bu la lumière et respiré la vie.

322. (1894) Critique de combat

Des scènes dramatiques viennent rappeler que l’auteur est un habitué du théâtre. […] Nous nous rappelons qu’avec M.  […] J’en ai eu moi-même une preuve curieuse, qu’on me pardonnera de rappeler ici. […] cela rappelle les bouchons de Champagne. […] Ses écrivains ne rappellent leur pays d’origine que par la langue qu’ils écrivent.

323. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Leurs ambassadeurs étaient eux-mêmes un des ornements essentiels de la philosophie et de la conversation française : on se rappelle sur quel pied distingué y vivaient le baron de Gleichen, ambassadeur de Danemark, et celui de Suède, le baron de Creutz. […] Qu’on se rappelle la danse du schall, et cette toilette de bal dans laquelle on pose sur les cheveux blonds de Valérie une douce guirlande bleue de mauves. […] — Ainsi encore, quand, le jour de la fête de Valérie, le Comte étant près de la gronder, Gustave envoie un jeune enfant lui souhaiter la fête et rappelle ainsi au Comte de ne pas l’affliger ce jour-là, Valérie est touchée, elle embrasse l’enfant et le renvoie à Gustave, qui l’embrasse sur la joue au même endroit, et qui y trouve une larme : « Oui, Valérie, s’écrie-t-il en lui-même, tu ne peux m’envoyer, me donner que des larmes203. » Cette même idée de séparation et de deuil, cet anneau nuptial qu’il sent au doigt de Valérie dès qu’il lui tient la main, reparaît sous une nouvelle forme à chaque scène touchante. […] M. de Bonald l’ayant à ce propos persiflée, dans le Journal des Débats du 28 mars 1817, d’un ton tout à fait badin214, une plume amie, qui n’est peut-être autre que celle de Benjamin Constant, la défendit dans le Journal de Paris du 30, et rappela au patricien offensant les simples égards qu’au moins il devait, lui, l’homme des races, à la petite-fille du maréchal de Münnich. […] Cet enfant, innocent messager d’un baiser et d’une larme, rappelle une petite pièce du minnesinger allemand Hadloub, traduite par M.

324. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

« Déjà son esprit ne s’occupait plus que des suprêmes pensées, quand un tumulte soudain vint lui rappeler la consternation et l’anarchie des soldats ; ils menaçaient de mort ceux qui voulaient partir. […] XV Son armée, de cent vingt mille hommes, à moitié Germains et Gaulois, était appesantie par une multitude de sénateurs, de populace, de bouffons, de comédiens, d’histrions, de gladiateurs, de conducteurs de chars, familiers habituels de Vitellius ; son entrée à Rome rappelait les triomphes de Bacchus. […] Mais une clameur plus obstinée s’oppose à ce qu’il aille demander asile à des pénates privés, et le rappelle forcément au palais. […] « La délibération du sénat sur le parti à prendre après la mort de Vitellius le rappelle à la tribune. […] Il ajoutait, à cette accusation, des crimes rappelés depuis contre sa mémoire : qu’elle avait brigué l’association à l’empire, qu’elle aspirait à faire prêter le serment des prétoriens à une femme, et de faire subir au sénat et au peuple romain cette humiliation ; que, déçue dans ses complots, aigrie contre le sénat, l’armée, le peuple, elle avait dissuadé son fils de faire les gratifications et les largesses publiques, et ourdi des trames pour perdre les Romains les plus illustres.

325. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

L’ancien ambassadeur de Prusse, Luchesini, homme d’une finesse et d’une grâce qui voilaient son habileté consommée, me rappelait au-delà des Alpes et des Apennins la figure et la sagacité du prince de Talleyrand. […] C’était un homme d’un esprit très expert et d’un caractère très agréable, mais d’autant plus hostile à la France que, étant lui-même Français d’origine, il avait plus à cœur de paraître servir son souverain allemand par une opposition innée à tout ce qui pouvait rappeler la constitution semi-révolutionnaire dans le gouvernement de Louis XVIII. […] Ces monuments de sa dignité forcée, couverts de la poussière du temps, lui rappelaient évidemment des années de splendeur qu’elle eût voulu effacer de sa vie. […] C’est une mère ravie À ses enfants dispersés, Qui leur tend, de l’autre vie, Ces bras qui les ont bercés ; Des baisers sont sur sa bouche ; Sur ce sein qui fut leur couche Son cœur les rappelle à soi ; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire : « Vous aime-t-on comme moi ?  […] N’est-ce pas parce que la mort est le fond de tout tableau terrestre, et que la couronne blanche sur ses cheveux noirs me rappela la couronne blanche sur un linceul ?

326. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Chacun des acteurs parlera comme il doit parler ; les scènes se suivront franchement et se déduiront logiquement ; l’orchestre enveloppera la tragédie d’une atmosphère de sons appropriés, commentera les péripéties, fera comprendre les âmes et, par des mélodies typiques qui circuleront à travers toute l’œuvre, rappellera à la pensée de l’auditeur tel personnage, telle situation, telle émotion. […] Faisons donc, comme il convient, des œuvres françaises, vives et nettes, jaillies de nous seuls, mais rappelons que le théâtre n’est pas un lieu de concert et, si nous l’abordons, soumettons-nous résolument à la logique théâtrale. […] Au bout de quelque temps d’une vie sauvage adoucie seulement par l’amour et la harpe de Tristan, qui est poète et musicien, Iseult est rappelée par son mari qui s’ennuie d’être veuf : la bonté de Marc’h ne va cependant pas jusqu’à rappeler son coupable neveu, et il reçoit ordre de ne plus se montrer à la cour. […] Quoique l’innocence d’Iseult soit reconnue, son amant n’est point rappelé à la cour.

327. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Je crois me rappeler qu’il y a du sang, de la pureté et d’« éloquentes envolées dans l’utopie possible !  […] Il serait trop triste que votre sottise ne fût pas faite surtout d’assonances, comme les non-sens des rondes enfantines, quand vous déclarez, par exemple : « Les strophes de ce Hugues rappellent sans trop de désavantage celles de Hugo » ; ou encore : « L’auteur de l’Aiglon pourrait bien être demain l’aigle de la poésie française !  […] C’est que — l’obscure clarté d’un entresol réjouit au sortir d’une cave — il rappelle en mieux une si plate rapsodie, le plus triomphant feuilleton de je ne sais quel Dumas polonais. […] Gebhart a toujours quelque chose d’équivoque et qui rappelle plusieurs figures à la fois. […] Je lui demanderai toutefois de se rappeler, quand il écrit la seconde page, ce qu’il a dit dans la première.

328. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Le poète nous rappelle d’abord que le ciel est plein d’astres morts. […] Cette action, je vous la rappellerai en deux mots. […] Vous vous rappelez, j’imagine, la situation. […] Rappelez-vous, d’abord, d’où ils viennent. […] Je vous rappelle la « fable » pour que vous en admiriez la lucide ordonnance et la vraisemblance morale.

329. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Qu’il nous suffise de rappeler que les prémices sur lesquelles s’appuie M.  […] Il y a dans ces deux figures une suavité qui rappelle les meilleures pages de miss Edgeworth. […] Les amours du docteur Herbeau et de Louise Riquemont rappellent, en plus d’une page, la manière de Mackenzie et de Sterne. […] Le caractère de Jeanne rappelle, sans le reproduire, le gracieux personnage de Diana Vernon. […] Si donc je crois de voir rappeler les principaux épisodes dont se compose la vie d’Agnès de Méranie, ce n’est pas pour superposer la tragédie à l’histoire.

330. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Parny avait vingt ans ; rappelé par sa famille à l’île Bourbon, il quitte à regret ses compagnons de plaisir et ne semble pas se douter que ce qu’il va trouver là-bas, c’est une inspiration plus naïve et plus franche d’où jaillira sa vraie poésie. […] « La fille présumée de Parny, vivement sollicitée par moi à l’endroit de ses souvenirs d’enfance, m’a dit, ainsi qu’à plusieurs, se rappeler que dans son plus jeune âge une dame belle et bien mise, étrangère aux personnes de la maison, venait quelquefois la voir, et la comblait alors de petits présents et de caresses. […] Pour apercevoir d’autre part ce qu’il y aurait eu à tenter d’indispensable et de neuf dans la forme et dans la trame, il suffit de se rappeler les élégies d’André Chénier. […] Avant ce temps, il était de belle taille, mince, élégant ; il eut toujours l’air très-noble, et l’âge lui avait dessiné un profil qui rappelait, par instants, celui de Voltaire, mais un profil bien moins accusé, très-fin, et qu’Isabey a si délicatement touché de son crayon. […] Béranger, alors à ses débuts, pleura Parny par une chanson touchante et filiale ; elle nous rappelle combien son essaim d’abeilles, avant de prendre le grand essor et de s’envoler dans le rayon, avait dû butiner en secret et se nourrir au sein des œuvres de l’élégiaque railleur.

331. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Il est singulier qu’appelé par mon état à voir beaucoup de jeunes filles, je ne me rappelle pas d’en avoir vu à Chambéry une seule qui ne fût pas charmante. […] Je ne puis, en vérité, me rappeler sans plaisir le souvenir de mes jeunes écolières. Que ne puis-je, en nommant ici les plus aimables, les rappeler de même, et moi avec elles, à l’âge heureux où nous étions lors des moments aussi doux qu’innocents que j’ai passés auprès d’elles ! […] Cette époque sera toujours doublement triste pour moi ; elle me rappelle le plus grand de mes malheurs, et le crime qui faillit en être la suite. […] Rappelle-toi, lorsque tu la verras, que mon dernier vœu fut que tu pusses vivre ou mourir en bon chrétien.

332. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Il faut se rappeler que la fortune littéraire de Josèphe se fit par les chrétiens, lesquels adoptèrent ses écrits comme des documents essentiels de leur histoire sacrée. […] De là sa perpétuelle attention à rappeler qu’il est le dernier survivant des témoins oculaires 46, et le plaisir qu’il prend à raconter des circonstances que lui seul pouvait connaître. […] Il est à peine besoin de rappeler que pas un mot, dans le livre de M.  […] Remarquer surtout l’effet étrange que font des passages comme Jean, XIX, 35 ; XX, 31 ; XXI, 20-23, 24-25, quand on se rappelle l’absence de toute réflexion qui distingue les synoptiques. […] Plusieurs mots rappelés par Jean se retrouvent dans les synoptiques (XII, 16 ; XV, 20).

333. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

S’il est permis de comparer aux petites choses les grandes, nous rappellerons ici ce qui se passe à l’entrée de nos Écoles. […] Rappelons-nous son entrée en scène : « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline. » Il sait que Dorine l’entend, mais il parlerait de même, soyez-en convaincu, si elle n’y était pas. […] On y verrait le rire accomplir régulièrement une de ses fonctions principales, qui est de rappeler à la pleine conscience d’eux-mêmes les amours-propres distraits et d’obtenir ainsi la plus grande sociabilité possible des caractères. […] Rappelons-nous le mot du juge Perrin Dandin à Isabelle, qui lui demande comment on peut voir torturer des malheureux : Bah ! […] Il est aisé de voir, en effet, que tout jeu d’idées pourra nous amuser, pourvu qu’il nous rappelle, de près ou de loin, les jeux du rêve.

334. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Cela rappelle la Restauration sous ses plus mauvais côtés. […] Avec quel plaisir il rappelle à M.  […] Je rappellerai seulement que le cours que faisait M.  […] Ceci me rappelle que cette vente de la bibliothèque de M.  […] Si l’on se souvient encore dans l’autre monde, elle doit se rappeler ses amendes et ses captivités.

335. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

La science désormais le rappelait ; il avait à réparer envers ses chères montagnes et envers la nature des absences trop longues, à renouer d’austères et attrayants travaux trop longtemps interrompus. […] quels âges de la vie pastorale et quels lieux aimés des troupeaux ne me rappellerait-elle pas ? […] Daru très jeune, lui ayant écrit en 1788 pour le consulter sur l’opportunité de publier à celle date un poème épique dont la guerre d’Amérique serait le sujet, et ayant paru attribuer la préséance dans la famille des Muses à celle qui présidait aux sciences, Ramond, en répondant, lui rappelait que c’est la poésie au contraire à laquelle il appartient de donner à tout la vie et l’immortalité ; et convenant d’ailleurs que les circonstances étaient peu propices à l’épopée, il ajoutait : Mais c’est la destinée ordinaire des grands ouvrages de ce genre de n’être jamais des ouvrages de circonstance ; et si, par cette raison, leur succès est plus lent et plus difficile, leur gloire est plus pure et moins mortelle.

336. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Il me rappelle à quelques égards cet Hamiiton qui, sans être Français, a été un modèle de la grâce et de la raillerie française dans ses Mémoires de Grammont. […] Le maître y met de la préparation, un air de solennité mystérieuse : « Ce n’est pas de ton savoir-faire ordinaire que j’ai besoin dans l’affaire présente, mais d’autres qualités que j’ai remarquées en toi, ta fidélité et ta discrétion. » — « J’écoute. » — Et ici le maître rappelle à l’affranchi ses bienfaits : il l’a acheté tout enfant, il l’a toujours traité avec douceur et clémence : le voyant servir d’un cœur si honnête, il lui a donné ce qu’il y a déplus cher, il l’a affranchi. Le bon serviteur, s’entendant rappeler tout ce qu’il n’a pas oublié, en est presque formalisé ou légèrement atteint dans. sa sensibilité et sa délicatesse ; c’est quasi un reproche que cette remémoration des bienfaits ; le maître n’a qu’un mot à dire pour être obéi : que ne le dit-il ?

337. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

La loi générale de ce mode d’association s’établit ainsi : « Des actions, sensations, pensées, émotions passées sont plus aisément rappelées, quand on les associe par contiguïté ou ressemblance avec plus d’une impression ou d’un objet présent. » Les associations composées résultent de contiguïtés seules, de ressemblances seules, de contiguïtés et ressemblances réunies. Voici des exemples du premier cas : Nous sentons l’odeur d’un liquide, cette sensation seule ne suffit pas à nous en rappeler le nom ; mais nous le goûtons ensuite, et le rappel s’opère par ces sensations réunies. […] Celui qui a lu précédemment les deux Œdipes de Sophocle, se les rappellera en lisant le Roi Lear ; une composition de ressemblances amenant naturellement la comparaison.

338. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

M. de Chateaubriand était l’orgueil de ce salon, mais elle en était l’âme, et c’est elle qu’il faudrait tâcher de montrer à ceux qui ne l’ont pas connue ; car vouloir la rappeler aux autres est inutile, et la leur peindre est impossible. […] C’est là un côté sérieux que sa charité finale n’a pas été tout à fait sans comprendre ; c’est une leçon que la gravité suprême qui s’attache à sa noble mémoire n’interdit pas de rappeler. […] Mais cela me rappelle qu’il y a tout un fâcheux procès entamé à ce sujet, et j’ai hâte de me taire.

339. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

Elle aimait, si l’on peut dire, à se donner le plaisir de cet oubli, et à ne se rappeler tout à coup ce qu’elle était que pour répandre les bonnes grâces autour d’elle. […] Au reste, lorsqu’il s’agit de ces particularités intimes et secrètes sur lesquelles il est si aisé d’avoir maint propos et si difficile d’acquérir une certitude, je crois qu’il est bon de rappeler le mot si sensé que disait un jour Mme de Lassay (fille naturelle d’un Condé) à son mari qu’elle entendait discuter à fond et trancher sur la vertu de Mme de Maintenon : elle le regarda avec étonnement et lui dit, d’un sang-froid admirable : « Comment faites-vous, monsieur, pour être si sûr de ces choses-là ?  […] Sa démarche était noble et légère, et rappelait cette expression de Virgile : Incessu patuit dea.

340. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Rappelez-vous maintes pages de La Bruyère, de Fénelon, de Bernardin, de Chateaubriand, de Nodier, et toute une anthologie de poètes-musiciens, depuis Olivier de Magny, Rémy Belleau, Philippe Desportes, jusqu’aux modernes maîtres de la Lyre, en passant par Malherbe, Racan, Segrais, Jean Racine, La Fontaine, André Chénier. […] De notre temps si la Prose s’altère sur quelques points, c’est pour s’enrichir par tant de conquêtes : rappelons-nous la comédie élargissant son domaine, le roman agrandi suscitant ses véritables chefs-d’œuvre, l’histoire faisant de son champ jadis étroit tout un monde d’explorations et de découvertes, la critique vraiment fondée et promue à la dignité d’un genre original où cinq à six hommes supérieurs ont véritablement créé, l’érudition réconciliée avec le beau style et devenue l’une des provinces de la haute littérature, la politique rendant parfois de mauvais services à la pureté de la langue, mais produisant aussi dans la presse et à la tribune d’admirables écrits de polémique et de non moins admirables discours, la philosophie et la religion enfin pour de nouveaux besoins et avec de nouveaux interprètes se créant aussi une langue nouvelle. […] Rappelez-vous cette scène immortelle du drame shakespearien où Juliette dit à Roméo : « C’est le rossignol et non l’alouette dont la voix frappe ton oreille. » Et Roméo de répondre : « Non, ce n’est pas le rossignol, mais l’alouette, messagère du matin. » Et nous aussi, parlons comme Roméo.

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