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1043. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Mais cette survie ne sera heureuse que s’il devient un homme de devoir, que s’il dompte l’instinct le plus fort qu’il y ait chez nous tous, l’égoïsme.

1044. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Un homme d’esprit, votre unique successeur, a passé sa vie à en distinguer vingt-cinq ou trente, à compter les trente ou quarante inclinations primitives, à démêler en nous l’instinct de monter sur les lieux élevés.

1045. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Bref, vous trouverez chez don Juan, à un haut degré, ce qu’on a appelé, depuis, le « dilettantisme », et vous le trouverez mêlé à un sentiment qui n’a été, lui non plus, complètement exprimé que de nos jours : l’amour artistique du mal, qui n’est qu’un raffinement d’orgueil, la forme la plus savante de l’instinct de révolte. […] J’entrevois dans sa vie intime de terribles défaillances : c’était, comme tant d’autres, une pauvre créature impressionnable, sujette à la tyrannie des instincts et souvent en proie au hasard et à l’aventure. […] Vacquerie est d’un temps où florissait dans la littérature une sorte de lyrisme moral, où l’on ne voulait pas croire à la fatalité des instincts, où l’on avait foi à la liberté humaine. […] Joignez que cette parodie de l’antiquité classique est faite pour flatter la pédanterie naturelle et les instincts scolaires du peuple de bacheliers que nous sommes. […] Là vivent des paysans plus primitifs, plus près de la terre, plus ignorants que les derniers paysans de France ; de pauvres créatures ne roulant dans leur cerveaux étroits qu’un très petit nombre d’idées, en proie aux instincts élémentaires, et sur qui règne vraiment « la puissance des ténèbres ».

1046. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Il entre une part d’instinct dans cet amour du terroir ; il y entre aussi une part de nostalgie et d’invincible regret. […] Il a le sens de l’au-delà, des faiblesses et des fragilités de la vie, des incertitudes de la condition humaine, et des fatalités qui pèsent sur elle (passions, instincts aveugles, impuissance de la volonté). […] Et ces deux instincts lutteront en lui et gouverneront sa vie, la paresse qui l’empêchera de sortir du rang, l’amour des voyages qui l’entraînera à de folles équipées, et une certaine noblesse naturelle qui le distinguera, malgré les lacunes de son instruction, de ses camarades plébéiens. […] Ajoutons, pour être juste, que l’auteur des Trois Mousquetaires était un voyant, et qu’une sorte d’instinct (ce fut un des prestiges de son génie) le guidait en ces reconstitutions. […] Il subit malgré lui l’influence de l’éducation première, du milieu ambiant (je ne parle pas des instincts accumulés en lui par les lois de l’atavisme).

1047. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Baudelaire avait beaucoup trop de goût et d’instinct des formes. […] Un honnête homme, qui aime sincèrement, se pose d’instinct quelques questions au moment où il va entrer dans le mariage. […] Une période d’instinct, où chaque recrue voit en rêve le bâton de maréchal, est suivie d’une période de recueillement, où chacun hésite sur ce qu’il doit désirer. […] Peut-être qu’il en est autrement quand on a acquis une grande notoriété pour avoir flatté l’instinct secret de l’opinion publique ; on vous pardonne alors de lâcher de temps en temps une vérité ou de montrer ce qui se passe au fin fond de votre pensée. […] Je n’y puis rien, je vois comme cela, d’instinct.

1048. (1902) La poésie nouvelle

Déjà s’éveillent en lui des passions et des instincts destructeurs de toute impassibilité, des révoltes, des velléités d’anarchisme intellectuel et moral. […] Ce qui se manifeste définitivement dans ces vers, avec une sorte de fureur, c’est la volonté de secouer toute entrave, l’instinct de jouir de la vie comme un être de désirs lâché dans le monde, — et, d’un mot, contre toute servitude et toute loi, la rébellion.‌ […] Dans l’évolution des littératures, il y a deux sortes d’écrivains : ceux-ci mettent en œuvre et consacrent les trouvailles des autres ; ceux-là, les inventeurs, plus ou moins conscients de leur tâche féconde, natures singulières parfois, tourmentées, semblent fous avec leur instinct de découverte et leur impuissance d’organisation. […] L’instinct, dit Laforgue ; et les objections que lui ferait l’ancienne psychologie, hautaine dans sa distinction des nobles facultés intellectuelles et de ce qu’elle considère comme la partie animale de notre âme, sont faciles à deviner ; mais, par instinct, Laforgue entend ici l’Insconscient, qu’il considère comme l’essentiel de notre âme. […] Mais voici désormais que celles-ci reprennent leurs droits ; l’inconscient et l’instinct émergent de l’obscurité où on les reléguait et leur voix, souvent dominante, entre dans la symphonie totale de l’âme.

1049. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

On voit par ces trois définitions du ministre chinois, de Pythagore et de Leibniz, que, pour les trois peuples représentés par ces trois grands hommes, la musique est d’origine purement divine, et qu’il faut demander ses lois à l’instinct et non à la science. […] Le fils devait être le génie, le père était l’instinct ; c’est presque toujours ainsi que procède la nature : la sève est dans le tronc, le fruit est dans la branche.

1050. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Je crois seulement que je ne crois à rien ; je me trompe cependant, je crois à ce qu’on appelle conscience, soit instinct, soit mauvaise habitude d’idées, soit effet de préjugés et de respect humain. […] Non ; nous étions alors en froid ; mais on voit que l’instinct de l’amitié nous attirait alors l’un vers l’autre comme il m’y ramène aujourd’hui.

1051. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

L’homme ne remonte pas plus haut que l’instinct, la vérité pour lui n’est qu’un invincible instinct.

1052. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

L’ascétisme, en même temps qu’il heurte plusieurs de nos sentiments naturels, flatte nos instincts de justice et nos révoltes contre le monde tel qu’il est. […] Car il remonte toujours, par l’analyse, à des causes qui se confondent avec l’instinct animal.

1053. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Un souffle d’affranchissement les relève, l’instinct royal qui couvait en eux se fait jour. […] Lier et coordonner les rapports, démêler les affinités et les rattacher par des nœuds subtils, tirer d’une idée première, d’une note initiale, mythologique ou philosophique, un concert d’accords et de variations infinies, ce fut là son instinct natif, son inépuisable aptitude.

1054. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

L’induction spontanée, appétitive et automatique, est souvent voisine de l’inconscience et, par conséquent, se confond avec l’instinct. Quand nous nous rejetons en arrière pour éviter de tomber dans un trou, c’est à la fois action réflexe, instinct et induction spontanée.

1055. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Racan était doué d’une naïveté charmante et d’une élévation naturelle : mais distrait, paresseux, modeste à l’excès, privé trop tôt des conseils de Malherbe et abandonné à son instinct, il vécut au hasard, s’oublia volontiers aux champs, et n’eut que des accidents de génie dont j’ai noté les meilleurs.

1056. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

C’est pour n’être jamais surpris. » En résumé, dès sa première jeunesse, Rosny nous est présenté comme bon ménager, ayant toujours de l’argent de reste, et, en cas de besoin, portant de l’or en poche, même dans les batailles, quand les autres n’y songent pas ; sachant s’arranger en campagne, s’ingénier dans les sièges pour attaquer et faire brèche, adroit et actif à pourvoir à la défense de ses quartiers ; un militaire en un mot, non seulement très brave, mais distingué, instruit et précautionné, avec des talents particuliers d’artilleur, et, si je puis dire, des instincts d’arme savante.

1057. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Ici Joinville a des instincts d’historien : il sent qu’on ne peut rien comprendre à une expédition en Égypte si l’on n’a une idée du Nil, et il nous en fait au début une description qui est célèbre à la fois par quelques traits fidèles et par un mélange d’ignorance et de crédulité : « Il nous convient premièrement parler du fleuve qui vient d’Égypte et de Paradis terrestre… » C’est ainsi que plus tard il parlera des Bédouins, et cette fois en des termes plus exacts ; et aussi des mamelouks, qui jouaient déjà un grand rôle à cette époque.

1058. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Tombée au milieu d’une cour brillante et fausse, toute pleine alors de galanterie et de plaisirs qui cachaient bien des rivalités et des ambitions, elle démêla, avec un instinct de bon sens et une certaine fierté de race, à qui elle pouvait s’attacher parmi tout ce monde, et elle s’adressa avec droiture au plus honnête homme encore de tous, c’est-à-dire à Louis XIV lui-même.

1059. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Au fond, quand il s’abandonne à les goûts et à ses instincts dans les arts, Beyle me paraît ressembler fort au président de Brosses : il aime le tendre, le léger, le gracieux, le facile dans le divin, le Cimarosa, le Rossini, ce par quoi Mozart est à ses yeux le La Fontaine de la musique.

1060. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Dacier depuis son mariage, il entra plus ou moins de Mme Dacier ; elle lui était supérieure, et, par une ignorance qui était chez elle une vertu plutôt qu’une grâce, elle ne s’en apercevait pas : « Dans leurs productions d’esprit, disait Boileau, c’est Mme Dacier qui est le père. » Elle se dégagea pourtant et se remit à suivre, en traduisant, ses propres choix et ses instincts.

1061. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

Là, il était dans le sens vrai de sa vocation, de son instinct.

1062. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

J’ai l’instinct du bonheur dont vous jouirez, et je vous le désire de toute la force de votre cœur et du mien.

1063. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Mais en même temps, et malgré ses instincts militaires prononcés, il n’eut jamais l’idée de franchir le degré qui eût fait de lui un homme de guerre régulier, un officier général comme le devinrent ses trois frères.

1064. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Sismondi, sans copier personne, n’obéissant qu’à son instinct et à sa nature candide, ouverte aux impressions d’alentour, a trouvé ainsi et a fait entrer, dans ce premier ouvrage d’apparence tout agricole, ce qu’on n’irait certes pas y chercher.

1065. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Elle et lui, Lamartine et Mme Valmore, ont de grands rapports d’instinct et de génie naturel ; ce n’est point par simple rencontre, par pure et vague bienveillance, que l’illustre élégiaque a fait les premiers pas au-devant de la pauvre plaintive ; toute proportion gardée de force et de sexe, ils sont l’un et l’autre de la même famille de poëtes.

1066. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Quand on a soi-même des portions de l’artiste, qu’on l’a été un moment, ou du moins qu’on a désiré de le devenir à quelque degré, la vigilance sur les créations naissantes est extrême ; le clin d’œil est rapide et peu trompeur ; on reconnaît avec un instinct vif, presque jaloux, ces lumières qui pointent à l’horizon et vont à mesure éteindre les anciennes.

1067. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

La jeune Phlipon, dans son avidité de savoir, dans son instinct de talent, lit toutes sortes d’auteurs, s’en rend compte, en fait des extraits, et s’en entretient, non sans étude, avec son amie : « Car, dit-elle très-judicieusement, on n’apprend jamais rien quand on ne fait que lire ; il faut extraire et tourner, pour ainsi dire, en sa propre substance, les choses que l’on veut conserver, en se pénétrant de leur essence. » Esprit ferme et rare, chez qui tout venait de nature, même l’éducation qu’elle s’est donnée !

1068. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Plus elle est monstrueuse, plus elle est vivace, accrochée aux plus frêles vraisemblances et tenace contre les plus fortes démonstrations  Sous Louis XV, pendant l’arrestation des vagabonds, quelques enfants ayant été enlevés par abus ou par erreur, le bruit court que le roi prend des bains de sang pour réparer ses organes usés, et la chose paraît si évidente, que les femmes, révoltées par l’instinct maternel, se joignent à l’émeute : un exempt est saisi, assommé, et, comme il demandait un confesseur, une femme du peuple prend un pavé, crie qu’il ne faut pas lui donner le temps d’aller en paradis, et lui casse la tête, persuadée qu’elle fait justice739  Sous Louis XVI, il est avéré pour le peuple que la disette est factice : en 1789740, un officier, écoutant les discours de ses soldats, les entend répéter « avec une profonde conviction que les princes et les courtisans, pour affamer Paris, font jeter les farines dans la Seine ».

1069. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

« Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. » Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.

1070. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Ô toi, que je ne connais point ; toi, dont j’ignore et le nom et la demeure, invisible Architecte de cet univers, qui m’as donné un instinct pour te sentir et refusé une raison pour te comprendre, ne serais-tu qu’un être imaginaire, que le songe doré de l’infortune ?

1071. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Ils les aiment pour leur inconscience plus grande, pour ce qu’ils ont gardé de rude et de primitif, pour la poussée, plus forte chez eux, des antiques instincts, et parce qu’ils font partie de la campagne et sont en parfaite harmonie avec elle.

1072. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

C’est que ce dernier élément irréductible, c’est toujours un instinct fatal ou un désir inassouvi.

1073. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Les héros de la science sont ceux qui, capables des vues les plus élevées, ont pu se défendre de toute pensée philosophique anticipée et se résigner à n’être que d’humbles monographes, quand tous les instincts de leur nature les eussent portés à voler aux hauts sommets.

1074. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

L’humanité doit sûrement être écoutée en ses instincts ; l’humanité, au fond, a raison ; mais dans la forme, dans le détail, oh !

1075. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Le mystère attire la femme : ouvrir les clôtures, écarter les voiles, briser et divulguer les secrets, c’est l’instinct natif de son âme, l’irrésistible titillation de ses doigts.

1076. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Quand les grâces s’y joignent, je sais les sentir, la nature m’ayant, donné un instinct admirable pour les démêler.

1077. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

» Voilà le mot fameux, le mot inexcusable et fatal qui échappa à Barnave, et qui, si on l’isolait, si on le pressait en tous sens, comme l’ont fait ses ennemis, calomnierait étrangement ses instincts et son cœur.

1078. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

L’instinct de son sexe, c’est-à-dire son bon sens, lui dit bien tout bas par instants qu’elle a peu à attendre de lui, qu’elle peut à peine en tirer quelque réponse, qu’il n’est guère séant après tout à une femme de se jeter ainsi à la tête d’un homme bourru (fût-il grand écrivain), qui ne se soucie nullement d’elle et qui la rebute.

1079. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Cependant Jasmin, arrivé à l’âge de gagner sa vie, s’était fait coiffeur ou barbier, et dans sa boutique proprette, dans son petit salon de la promenade du Gravier, il chantait selon l’instinct de sa nature, en usant de cette facilité d’harmonie et de couleur qu’offre à ses enfants l’heureux patois du Midi.

1080. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Amyot, plus que personne, a aidé à cet établissement insensible et a préparé cette maturité de la langue par sa longue et pleine influence, et il l’a fait non seulement par pratique et par instinct, mais en se rendant compte aussi de ce qu’il voulait.

1081. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Elle développe cet amour de la domination qui forme le second instinct de l’homme ; rendez-lui aujourd’hui l’indépendance, demain il l’aimera comme moyen d’autorité, et, une fois soustrait à la puissance des lois, son premier besoin sera de l’usurper.

1082. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

La pensée religieuse qui s’y joint dans son esprit ajoute plutôt qu’elle n’ôte à ce que cette maxime royale a de politiquement remarquable ; et c’est en ces parties qu’on reconnaît chez lui le véritable homme de talent dans cet art difficile de régner : La sagesse, dit-il, veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles, au-dessus de la raison, et qui semblent venir du ciel, connus à tous les hommes, et plus dignes de considération en ceux qu’il a lui-même placés aux premiers rangs.

1083. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Il écrivit d’abord sur l’administration et sur la politique ; mais bientôt, cherchant dans ses instincts méditatifs une diversion plus haute et plus vaste aux ennuis de l’inaction, il fit son livre De l’importance des idées religieuses et combattit les fausses doctrines répandues autour de lui.

1084. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

D’après ce qui nous est transmis de ces conversations, on sent combien l’instinct de Napoléon excédait et débordait le cadre de la littérature de son temps : soit qu’il causât avec Arnault, soit que plus tard il causât avec Fontanes, il demandait évidemment autre chose que ce qu’on lui offrait.

1085. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

La psychologie du caractère individuel, loin de former une science achevée sur laquelle puisse s’appuyer le poète ou le romancier, est encore à créer ; et c’est le poète même ou le romancier, ce sont les Shakespeare ou les Balzac qui contribuent à la créer et en rassemblent d’instinct les éléments.

1086. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Cet ami d’Alfred Binet, spécialiste du système nerveux, s’intéressa tout particulièrement à l’hypnose, au magnétisme animal dégagé de sa gangue de superstitions, à l’épilepsie, à l’instinct sexuel, à la « descendance des invertis », à la « famille névropathique », à la criminalité abordée sous l’angle de la « dégénérescence ».

1087. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Le poëte arrive au milieu de ces allants et venants qu’on nomme les vivants, pour apprivoiser, comme l’Orphée antique, les mauvais instincts, les tigres qui sont dans l’homme, et, comme l’Amphion légendaire, pour remuer toutes les pierres, les préjugés et les superstitions, mettre en mouvement les blocs nouveaux, refaire les assises et les bases, et rebâtir la ville, c’est-à-dire la société.

1088. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

à celle qui devait le plus épouvanter et dégoûter tous ses instincts.

1089. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Renan est l’aristocrate de la science, C’est lui qui a osé écrire : « Il ne faut pas sacrifier à Dieu nos instincts scientifiques. » Après cela, vous comprenez très bien le charmant détour que l’auteur des Études a pris ou l’immense illusion dont il est la dupe.

1090. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

D’instinct, la philosophie et la science tendent à écarter ce qui contredirait cette hypothèse ou la contrarierait.

1091. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Comme ils savaient son instinct contraire à leurs tendances, les esprits d’exception se sont écartés pour laisser le champ libre à la cohue triomphante. […] Il la trouve dans cet instinct qui, plus qu’à nul autre, lui livre le sens des choses de la nature, surtout des fleurs : « Ce serait assez de la jonquille ou du jasmin pour me faire dire que, tels que nous sommes, nous pourrions séjourner dans un monde meilleur. » On dit que cet Obermann, comme tous ses contemporains, a lu Rousseau, qu’il lui a pris et ce dégoût de la société et cet amour de la nature : mais on oublie que ce dégoût et cet amour sont l’un et l’autre fondés sur une très intense vie intérieure, si intense qu’elle ne cède peut-être, en sa date, qu’à l’effrayante et perpétuelle méditation de Balzac. […] N’ayant que ses passions pour matière de son art, plus factice et plus luche il n’eût, comme la plupart de nos poëtes français, accumulé que des ruines, sans unité d’ensemble : son instinct vital l’a sauvé, l’Instinct triomphant qui n’a pas seulement soumis l’intelligence, mais qui, par un miracle, se l’est assimilée, se spiritualisant vers elle, la matérialisant vers lui, réalisant (au sens étymologique du mot) l’Idéal, et puis, pour le conquérir, s’ingéniant, sans laisser jamais l’imagination se prendre à d’autres mirages que ceux de la vie elle-même, tels qu’ils sont peints par le hasard sur le rideau de nos désirs. […] Quelques-uns veulent croire que les conclusions des savants et leurs très curieuses expériences100 dans la science des tons et des sons parviendront à supprimer les dangereux hasards de l’instinct. Je n’y crois guère et j’estime bien plus dangereuse que tous les hasards cette soumission de l’artiste à d’autres lois, justement, que celles de son instinct réglé par sa conscience.

1092. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Le contentement donne à l’esprit l’instinct de la clarté ; la douleur, en troublant toutes nos facultés, nous pousse à notre insu vers les images ambitieuses, vers les comparaisons bizarres. […] Il est si facile de prendre ses instincts, ses passions, pour la vérité même ! […] Parlerai-je de son livre sur le Prêtre et la Famille, de son livre sur le Peuple, où ses instincts mystiques n’éclatent pas avec moins d’évidence ? […] C’est là, en effet, qu’il a donné pleine carrière à ses instincts ; c’est là qu’on peut prendre la mesure précise de son talent pour la narration. […] Michelet ne se laisse-t-il pas emporter par ses instincts mystiques, bien au-delà des limites de l’histoire !

1093. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

À peine mariée, et sans qu’on me l’ait fait assez pressentir, elle n’est plus qu’une fille : mais elle n’est point perverse, elle est impure avec une sorte d’inconscience et, visiblement, elle obéit à des instincts plus forts qu’elle. […] que fait-il, de son côté, lui, l’homme vertueux, que d’obéir à des instincts plus forts que lui ? […] Il y a une chose mystérieuse dont vous ne tenez pas compte, un instinct déraisonnable, mais fatal et plus fort que tout au fond, c’est dans sa chair que souffre Maxime. […] Voyez-vous, les grands artistes ont un instinct. […] L’instinct abominable et mystérieux qui nous fait rechercher les scènes de brutalité bestiale, et qui, pleins de curiosité et d’épouvante, nous fait nous pencher sur la mort, trouve ici de quoi s’assouvir et se soûler.

1094. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

 » — Il y a donc, selon Descartes, un instinct de justice dans la moquerie, dans la dérision et par conséquent dans la comédie. […] Je veux bien ; mais globalement, je vois surtout que la malice est de la méchanceté beaucoup plus que de l’instinct de justice qui se fait jour, ou que de la moralité qui se met sur ses gardes meurtrières. […] La civilisation ayant développé en l’entretenant sans cesse, en le tenant sans cesse en exercice, l’instinct de la curiosité, l’objet nouveau, ne rencontrant et n’excitant chez le civilisé que cet instinct de curiosité, rend plutôt l’homme très sérieux. […] Il ne sera pas optimiste, puisqu’il est doué à un très haut degré de l’instinct de sympathie et puisque, comme l’on sait et comme M.  […] C’est l’âge où les hommes du tempérament de Corneille et de Hugo, loin de donner leur démission, ne songent qu’à recommencer, parce que, après avoir vaincu une génération, ils en trouvent en face d’eux une toute neuve, qu’ils ne connaissent point du tout, qu’ils n’ont point vaincue, et qui renouvelle en eux l’instinct de lutte et la volonté de puissance.

1095. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Guidé par son instinct, M.  […] Je crois bien que si le bon Ballande fit jouer ainsi Andromaque, ce fut moins par instinct artistique génial que parce qu’il avait quelques vieux costumes Louis XIV et était dénué de costumes antiques. […] Dans ces occasions-là, Voltaire se joue à lui-même une pièce où il est auteur, acteur et public, et où il jouit triplement de tous ses instincts d’homme de théâtre. […] Je veux dire seulement que Casimir Bonjour avait l’instinct des sujets. […] Reste que ce fut un merveilleux instinct dramatique et un étonnant metteur en œuvre des idées des autres, et même des siennes.

1096. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Que l’homme est complexe, que la pensée et les actes ne vont pas toujours de compagnie, que l’instinct de durer persiste, invincible aux raisonnements. […] Mais il avait beaucoup vécu, beaucoup senti, et d’instinct il répugnait à la virtuosité qui révèle l’habileté de l’artiste, sans rien montrer du cœur de l’homme. […] Renan est un des maîtres de cette critique, et il a été un des adeptes de cette philosophie ; seulement, la vigueur de l’instinct primitif était trop forte. […] Il semble que l’humanité répugne profondément au dilettantisme tel que nous essayons d’en indiquer ici les changeants avatars, sans doute parce que l’humanité comprend d’instinct qu’elle vit de l’affirmation et qu’elle mourrait de l’incertitude. […] Ce n’est pas que l’intensité de la flamme cérébrale soit moindre chez lui, mais elle s’accompagne d’un instinct lucide qui lui fait comprendre les données raisonnables que la société offre, ou, mieux, qu’elle impose à son ambition.

1097. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Les plus insensés avaient, à cet égard, le même instinct que les plus habiles. […] Mais la fiction romanesque se produisit alors sous des formes plus sévères et plus nobles, et se trouva bornée dans ses applications par l’état social des peuples et par la supériorité même de leur instinct poétique. […] L’élégance des tours avait dû lui plaire ; le sujet encore davantage, en lui offrant de nouveaux sentiments qui répondaient « à son instinct poétique, et dont les graves lectures qu’il faisait avec ses maîtres ne lui avaient point donné l’idée. […] Le goût dont il est dépourvu trop souvent est alors suppléé par un instinct délicat, qui lui fait deviner même ce qui manquait à la civilisation de son temps. […] Son père, plus indulgent que ne l’avait été le père d’Ovide, encourageait un instinct poétique qui n’était pas moins irrésistible que celui du poète romain, et qui sans doute n’aurait pas cédé davantage à la contrainte.

1098. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

La rêverie, étant un congé que se donne l’esprit, écarte d’instinct tout ce qui pourrait ressembler au travail de la réflexion. […] Nous cherchons d’instinct à établir dans notre conscience cette harmonie, durable parce qu’elle est parfaite, qui constitue l’état esthétique. […] Ou bien, sous le coup de l’émotion que nous venons d’éprouver, nos pensées prendront une teinte triste ; nous nous enfoncerons à plaisir dans cette tristesse, pour en mieux savourer le charme mélancolique ; d’instinct nous évoquerons des images lugubres, qui nous entretiennent dans cette disposition mentale, et nous nous perdrons dans leur contemplation. […] Ce changement se fait d’instinct. […] Les poètes contemporains obéissent à un sûr instinct artistique, quand ils réclament une versification plus musicale que la nôtre.

1099. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Il l’interrogeait sur ses instincts, ses penchants, ses aptitudes. […] Un intime sentiment de leur droit atavique les éclairait d’instinct sur la ligne à suivre pour que le pays jouât en Europe un rôle digne de son histoire, en même temps que le souci de l’intérêt national intimement lié à celui de la dynastie les incitait à gérer de leur mieux la fortune commune. […] Les assemblées de cette sorte ont cet inconvénient de susciter aisément l’étalage des prétentions chez les convives, privilégiés du talent et de la renommée, qui s’appliquent d’instinct à briller aux dépens les uns des autres. […] Une équipe se recruta de la sorte où il s’accomplit, à l’insu de ses bénéficiaires, un travail de correction par le voisinage, dont nous saisissons à distance l’heureuse issue, qui ne fut sans doute voulu que d’instinct par Buloz, l’animateur du groupe. Mais n’est-ce pas le rôle des grands directeurs de journaux et de revues que cet instinct divinatoire ?

1100. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Toutes greffes ne conviennent point à tous les arbres : le cerisier refuse la pomme, et le poirier n’adopte point la prune : ni le temps ni la culture ne peuvent l’obtenir d’eux, tant les instincts répugnent.

1101. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il y a un moment où l’invention, la création en tout genre, ce qu’on appelle génie, héroïsme, commence ; les hommes, dans leur instinct, ne s’y trompent pas ; ils s’inclinent, ils s’écrient d’admiration et saluent.

1102. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Lui, le petit abbé en particulier, il avait, nous le verrons, l’instinct du métaphysicien, de l’idéologue ; il tirait tout de la réflexion, de l’analyse ; l’intellectuel et l’abstrait étaient son plaisir et sa préférence.

1103. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Quand j’avais cinq ans, je faisais des autels entourés de poupées qui étaient à la messe, et on m’appelait petite païenne. » À ces instincts premiers elle joignit, en avançant dans la vie, l’étude des doctrines.

1104. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Noblesse généreuse et brave, bien française, et qui a su accepter depuis et pratiquer l’égalité sur tous les champs de bataille ; mais si quelques descendants de cet ordre, qui était le préféré du prince dans l’État, pouvaient, dans des considérations rétrospectives, regretter la forme intérieure de monarchie qui parut possible un moment sous Henri IV, ils ne feraient qu’obéir à des instincts ou à des intérêts particuliers de race : les fils du peuple, les enfants du tiers état, arrivés à la vraie égalité, et qui n’ont pas perdu pour attendre, n’ont rien à y voir ; ce sont vœux et utopies en arrière38.

1105. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Eckermann avait commencé d’instinct par être dessinateur ; l’étude des modèles lui avait fait défaut ; mais sa vocation première est ici justifiée : on voit qu’il avait le sentiment du naturel et de la vérité. — Et encore dans des tons toujours naïfs, mais avec des couleurs plus poétiques et plus idéalisées, il dira : « Sa conversation était variée comme ses œuvres.

1106. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Il paraît que dès le sein et en tétant, don Carlos marqua des instincts étranges : « Non-seulement il mordait, dit-on, mais encore il mangeait le sein de sa nourrice ; il en eut jusqu’à trois auxquelles il fit des morsures telles qu’elles faillirent en mourir. » Il fut très-long avant de prononcer un mot, et l’on put craindre qu’il ne restât muet.

1107. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Une jeune fille noble, de vingt ans environ, d’un esprit hardi, d’un caractère entreprenant, poussée aussi par le vague instinct d’une nature moins uniquement féminine chez elle qu’elle ne l’est d’ordinaire chez ses semblables, s’est souvent dit que les jeunes filles, les femmes du monde ne connaissaient pas les hommes et ne les voyaient qu’à l’état d’acteurs et de comédiens ; elle a désiré savoir ce qu’ils se disent quand ils sont entre eux et qu’ils ont jeté le masque.

1108. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Un jour vint et une heure, un moment social, non calculé, non prévu, général, universel, où il se trouva, — sans que personne pût dire ni à quelle minute précise, ni par quelle transformation cela s’était fait, — où, dis-je, il se trouva qu’une langue nouvelle était née au sein même de la confusion, que cette langue toute jeune, qui n’était plus l’ancienne langue dégradée et dénaturée, offrait une forme actuelle et viable, animée d’un souffle à elle, ayant ses instincts, ses inclinations, ses flexions et ses grâces : le français des XIe et XIIe siècles, cette production naïve, simple et encore rude et bien gauche, ingénieuse pourtant, qui allait bientôt se diversifier et s’épanouir dans des poèmes sans nombre, dans de vastes chansons chevaleresques, dans des contes joyeux, des récits et des commencements d’histoires, venait d’apparaître et d’éclore aux lèvres de tout un peuple.

1109. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Il accorde que la négligence de nos ancêtres, ayant plus à cœur le bien faire que le bien dire, a laissé le français rude et sec, si pauvre et si nu, qu’il a présentement besoin « des ornements et, s’il faut ainsi parler, des plumes d’autrui. » Il ignore notre langue romane française du xiiie  siècle, de laquelle Rivarol, par un instinct remarquable, disait : « Il faut qu’une langue s’agite jusqu’à ce qu’elle se repose dans son propre génie, et ce principe explique un fait assez extraordinaire, c’est qu’aux xiiie et xive  siècles la langue française était plus près d’une certaine perfection qu’elle ne le fut au xvie . » Combien cette langue du xiiie siècle, et presque européenne alors, avait perdu de terrain au commencement du xvie , on le voit par les termes mêmes de la tentative de Du Bellay ; il importe, pour apprécier équitablement cette tentative, qui fut celle de tous les jeunes esprits doctes et généreux d’alors, de se mettre au point de vue de cette génération même qui entra sur la scène vers 1550 et de ne pas lui demander plus ni autre chose que ce qu’elle pouvait raisonnablement.

1110. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Léon Gautier), on voit que Du Bellay avait tout à fait l’instinct de ce qui était à faire.

1111. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Lamartine, vers le même temps, aima et lut sans doute beaucoup le Génie du Christianisme, René : si sa simplicité, ses instincts de goût sans labeur ne s’accommodaient qu’imparfaitement de quelques traits de ces ouvrages, son éducation religieuse, non moins que son anxiété intérieure, le disposait à en saisir les beautés sans nombre.

1112. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Cependant Hugo, par son humeur active et militante, par son peu de penchant à la rêverie sentimentale, par son amour presque sensuel de la matière, et des formes, et des couleurs, par ses violents instincts dramatiques et son besoin de la foule, par son intelligence complète du Moyen-Âge, même laid et grotesque, et les conquêtes infatigables qu’il méditait sur le présent, par tous les bords enfin et dans tous les sens, dépassait et devait bientôt briser le cadre étroit, l’étouffant huis clos, où les autres jouaient à l’aise, et dans lequel, sous forme de sylphe ou de gnome, il s’était fait tenir un moment.

1113. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Mais peu importe ; il suffit que le mal ne puisse sortir de sa confession, et qu’il y ait presque à toute page d’admirables instincts et élancements de pur amour.

1114. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Il possède le secret ou l’instinct de cette puissante sympathie, qui est le lien incompréhensible du commerce des âmes. » Parmi les reproches qu’il se permet de lui adresser, il lui trouve un peu trop de ce vague qui plaît dans la poésie, qui en forme un des caractères essentiels, mais qui doit en être l’âme, et non le corps : est-il possible de mieux dire143 ?

1115. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Là, se rendaient les garçons et les filles ; ils couronnaient de fleurs les images des Nymphes, non plus par religion, mais par une sorte d’instinct machinal ; la douce mythologie, inséparable de toutes les impressions du plaisir, était encore le langage de l’amour ; les cœurs demeurèrent longtemps sous la protection de cet enfant jeune et beau, qui a des ailes, et pour cette cause prend plaisir à hauter les beautés ;… qui domine sur les éléments, les étoiles et sur ceux qui sont dieux comme lui.

1116. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Et celle-ci, de ce ton de gaieté, pourtant sensible, où elle excellait : « En fait d’amour et de cœur, je ne sais qu’une maxime, répliqua-t-elle ; le contraire de ce qu’on en affirme est possible toujours. » A un quart d’heure de là, M. de Murçay et Mme de Pontivy, qui avaient le besoin de se voir seuls, se rencontrèrent, par un instinct secret, en un endroit couvert du jardin.

1117. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Il a peint des femmes toujours viriles, parce que toujours elles agissent par volonté, par intelligence, plutôt que par instinct ou par sentiment.

1118. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Amour du bruit, réclame de journaliste, je le veux bien : horreur physique du sang et de la souffrance, je le veux bien encore : mais il a aussi un vif sentiment de la justice, un réel instinct d’humanité, de bienfaisance, de générosité.

1119. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Ils n’apparaissent que comme des démonstrations piquantes de l’instinct de conservation et de conquête, comme les premiers et innocents engagements de la lutte nécessaire pour la vie.

1120. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

III A vingt et un ans, il se révéla grand homme de guerre, par la science déjà, mais surtout par un instinct merveilleux, par un don de nature.

1121. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Puis il s’élève un mortel privilégié, à qui Dieu donne l’instinct qui devine que cette matière est prête, et le génie qui sait la façonner.

1122. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Son instinct le poussait vers de plus vastes entreprises ; il se préoccupait de l’évolution sociale ; il aimait l’atmosphère orageuse des réunions publiques ; il brûlait d’y prendre la parole et de conquérir les foules.

1123. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Oui, Messieurs, chez nous la vertu surabonde ; elle est dans nos instincts, dans notre sang.

1124. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il semble que, Dieu ayant donné la raison aux hommes, cette raison doive les avertir de ne pas s’avilir à imiter les animaux, surtout quand la nature ne leur a donné ni armes pour tuer leurs semblables ni instinct qui les porte à sucer leur sang. » Ces mêmes obstinés, trouvant étrange qu’on offrît pour modèles à l’humanité les loups et les ours, ont dit encore : Quand même l’histoire prouverait que de grands empires d’autrefois se sont formés par ce vol à main armée qu’on appelle la conquête, quand même de grands empires d’aujourd’hui ne seraient qu’une agglomération de provinces ou de colonies soudées de force ensemble, s’ensuit-il que le passé puisse servir de règle à l’avenir et qu’il soit permis de confondre ce qui a été ou ce qui est avec ce qui doit être ?

1125. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

L’instinct maternel remue dans ses entrailles.

1126. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

L’incrédulité est le plus grand effort que l’esprit de l’homme puisse faire contre son propre instinct et son goût.

1127. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Napoline aime, elle se croit aimée, et, à un mot qu’elle surprend, elle s’aperçoit qu’on la trompe, qu’elle a une rivale, et qu’on lui est infidèle : La vierge la plus pure a cet instinct sauvage Qui lui fait deviner une infidélité.

1128. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Tout cela n’était qu’un prélude pour le rôle qu’elle devait jouer dans la seconde Fronde : « Je ne prévoyais pas alors, dit-elle, que je me trouverais dans un parti considérable où je pourrais faire mon devoir et me venger en même temps ; cependant, en exerçant ces sortes de vengeances, l’on se venge bien contre soi-même. » Ce petit mot de repentir final n’empêche pas Mademoiselle d’être très fière et très glorieuse de ce qu’elle fit en 1652, quand elle put à la fois obéir aux ordres de son père et se livrer à ses instincts d’aventure.

1129. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Il y eut en ces années un Hégésippe Moreau primitif, pur, naturel, adolescent, non irrité, point irréligieux, dans toute sa fleur de sensibilité et de bonté, animé de tous les instincts généreux et non encore atteint des maladies du siècle.

1130. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

M. de Maistre sent, avec l’instinct des grands esprits, que, s’il est un seul instant mis en mesure de s’expliquer devant cet autre grand esprit, Napoléon, il sera compris, et, dans tous les cas, apprécié et déchiffré.

1131. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Mariée en 1666 au marquis de Lambert, officier de mérite qui devint plus tard lieutenant-général, et dont le père l’avait été, elle entra dans un monde plus conforme à ses instincts élevés, et elle ne garda de son premier entourage que le goût très vif des choses de l’esprit.

1132. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Il ne se dissimulait pas que ce talent brillant qu’il portait avec lui, qu’il déployait avec complaisance dans les cercles, et dont jouissait le monde, lui attirait aussi bien des envies et des inimitiés : « L’homme qui porte son talent avec lui, pensait-il, afflige sans cesse les amours propres : on aimerait encore mieux le lire, quand même son style serait inférieur à sa conversation. » Mais Rivarol, en causant, obéissait à un instinct méridional irrésistible.

1133. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

La paix se négociait enfin et allait, ce semble, remettre Bonneval plus en accord avec ses instincts généreux.

1134. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Ou du moins, si l’instinct de la conservation y entra pour quelque chose, s’il se dit que c’était assez de sacrifice, s’il eut ce sentiment commun et naturel alors à toutes les grandes existences établies de surnager et de survivre, il l’eut certes moins nettement, moins sciemment que beaucoup d’autres maréchaux, et il ne méritait pas plus de blâme.

1135. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

L’homme qui écrit par clichés est difficile à tromper ; à défaut de mémoire, il a de l’instinct et on ne le ferait pas coucher avec une phrase qui ne se serait pas prostituée à plusieurs générations de grimauds.

1136. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Il se produit, en effet, une certaine antinomie entre l’élargissement trop rapide de la sociabilité et le maintien en leur pureté de tous les instincts sociaux.

1137. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Ce jeune homme éprouva encore à diverses reprises plusieurs périodes d’insensibilité de la peau, et à chaque fois les mauvais instincts qui l’avaient fait enfermer ne tardaient pas à se réveiller, pour disparaître avec la guérison.

1138. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Et, le déterminisme des économistes anglais et des statisticiens paraissant à tort plus facilement applicable aux peuples qu’aux individus, on arriva aux conceptions de Buckleeg, chez qui la guerre, par exemple, se fait sans généraux, sans stratégie, sans discipline, sans influence d’armement ou de tactique, par le hasard et le vague instinct des bandes.

1139. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Remy de Gourmont disait autrefois : « L’instinct abolit le génie… » Nous pourrions ajouter : « la France est un pays de tradition, d’élégance, de méthode… Elle a préparé la victoire d’un art aux lignes parfaitement délimitées… » Gardons-nous de l’oublier.

1140. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Obéissant à un instinct d’avide curiosité qu’il soumet à une discipline intransigeante, aux bienfaits d’une méthode rigoureuse, M. 

1141. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Lui-même ne tarde pas à pressentir d’instinct qu’il n’a rien de mieux à faire pour son bonheur que d’exceller dans la carrière qu’il suit, et qu’il a tout à espérer de ses progrès, rien de la protection ; leçon qui ne lui est que trop fréquemment et trop fortement inculquée par la vile et funeste prédilection des maîtres pour les enfants des riches et par leur utile sévérité pour les enfants des pauvres.

1142. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

L’orateur exercé aperçoit par une espèce d’instinct la succession harmonieuse des mots, comme un bon lecteur voit d’un coup d’œil les syllabes qui précèdent et celles qui suivent.

1143. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Si j’avais à caractériser d’un seul trait l’Histoire des Causes, je dirais qu’elle est la preuve magnifique et détaillée du mot du grand de Maistre sur Thermidor, mot que Tacite aurait écrit s’il avait été de ce temps funeste : Quelques scélérats égorgèrent d’autres scélérats  ; — et de cet autre, tout aussi vrai, d’un homme qui avait de profonds instincts politiques : Les hommes de la Révolution française, dans des temps réguliers et calmes, nous n’en aurions pas voulu pour nos sous-préfets.

1144. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Nous y avons gagné un Attila presque bourgeois, asiatique d’instinct, car il met la politique au-dessus de la guerre, ce qui est aussi le caractère européen de ces derniers temps, « créant des prétextes, entamant des négociations à tout propos, les enchevêtrant les unes dans les autres comme les mailles d’un filet où son adversaire finissait toujours par se prendre », spirituel, railleur, spéculant sur ses mariages, comme la maison d’Autriche, ses mariages dont il avait peu la dignité, aimant ses enfants à la manière des patriarches de la Bible, et leur tirant paternellement le joues, comme Napoléon tirait l’oreille à ses soldats enfin un Attila très pittoresque, très inattendu et très savoureux pour ceux qui cherchent dans l’histoire de sensations neuves.

1145. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

L’instinct chez lui n’a pas remplacé les principes.

1146. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Claparède a greffé une très intéressante théorie, qui voit dans le sommeil un moyen de défense de l’organisme, un véritable Instinct.

1147. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Ces impulsions rapides qu’on reçoit au théâtre et les jugements de plusieurs milliers d’hommes qui se communiquent à la fois, forment d’abord un instinct obscur et vague, et conduisent peu à peu à un goût réfléchi.

1148. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Là, plus qu’ailleurs, se sont marqués les rapides contrecoups de la France sur l’imagination et la pensée des hommes : d’abord, l’action des lettres françaises et de cette liberté spéculative reçue avec tant d’ardeur par les Italiens, depuis le noble philanthrope Beccaria jusqu’au noble poëte Alfieri ; bientôt après, un sentiment tout opposé, l’inquiétude, la résistance, soulevées dans quelques âmes du moins par les instincts de liberté et de justice contre le despotisme de la conquête et de l’opinion ; enfin, comme un dédommagement de tout, l’association plus ou moins apparente ou réelle du peuple assujetti dans les grandeurs du peuple conquérant assujetti lui-même.

1149. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Celui-ci, fier, tourmenté, sauvage, semblable à un Vulcain enfumé par la forge des Cyclopes, est d’abord entraîné par son instinct et la violence de son sang à jalouser ses rivaux ; mais il est trop grand pour ne pas rendre justice à Léonard et à Raphaël. […] Mais ses libres instincts ne s’adaptent pas très bien aux exigences de la vie dite civilisée. […] Il y a aussi l’insurrection de l’instinct, la rébellion du vouloir-vivre, le déchirement des séparations. […] Peut-être ses origines normandes expliquent-elles ses instincts nomades. […] Sous l’action de ce déchirement, la païenne, la bacchante de jadis a été atteinte d’une crise religieuse et a fait appel au Dieu des chrétiens : Mon Dieu, je ne sais rien, mais je sais que je souffre Au-delà de l’appui et du secours humain, Et puisque tous les ponts sont rompus sur le gouffre, Je vous nommerai Dieu, et je vous tends la main… Les lumineux climats d’où sont venus mes pères Ne me préparaient pas à m’approcher de vous, Mais on est votre enfant dès que l’on désespère Et quand l’intelligence à plier se résout… C’est l’instinct de l’être blessé, torturé, qui va s’agenouiller dans la pénombre d’une église.

1150. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Mme de Rochefort, qui ne creuse pas ses idées comme celui qu’elle appelle son « maître », mais qui d’instinct pense juste, comme une simple femme, voit l’erreur et d’abord trouve la définition : « Je n’entends pas bien pourquoi vous croyez le caractère peu compatible avec un bon cœur, car l’idée que je me forme du caractère est la persistance dans son sentiment sans aucune opiniâtreté réfléchie, ce qui me paraît bien plus appartenir à une âme sensible qu’à une âme froide. […] Joubert à Chateaubriand : « Qu’il agisse, disait-il, selon son instinct. […] Gustave Vinot ce qu’on appelle son naturalisme ; on souhaiterait à sa muse quelque chose de plus spiritualiste : vain souhait, si vraiment ses instincts poétiques le tournent vers la nature et la matière plutôt que vers l’âme et l’esprit. […] Dans la France du moyen âge, au contraire, pratiquement les crimes et les désordres, le mal moral et social abondent ; cependant les hommes ont dans l’âme, dans l’imagination, des instincts, des désirs élevés et purs ; leurs notions de vertu, leurs idées de justice sont très supérieures à ce qui se pratique autour d’eux, à ce qu’ils pratiquent eux-mêmes ; un certain idéal moral plane au-dessus de cette société grossière, orageuse, et attire les regards, obtient les respects des hommes dont la vie n’en reproduit guère l’image. […] Celui de ce qu’on appelle la vertu est bien froid et bien sec ; et cependant j’y tiens par conviction et instinct d’avenir.

1151. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Il n’en donne d’autre raison que la dureté de son père, l’indifférence de sa mère et un « secret instinct » qui l’avertissait qu’il ne trouverait rien de ce qu’il cherchait dans le monde. […] je cherche un bien inconnu dont l’instinct me poursuit. […] Et il suivait aussi son instinct et son goût de voyageur et de navigateur, et son humeur curieuse et surtout inquiète. […] Pourquoi ai-je été royaliste contre mon instinct, dans un temps où une véritable race de cour ne pouvait ni m’entendre ni me comprendre ? […] Son instinct et son délice, c’est de détruire à mesure qu’il construit.

1152. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Bientôt même il ne craindra pas, dans les Satires et dans la comédie, de s’attaquer presque de front aux partisans et aux marquis : Que George vive ici, puisque George y sait vivre, Qu’un million comptant, par ses fourbes acquis, De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis… C’est ce que je veux dire, en insistant d’abord sur ce fait que Boileau est un bourgeois de Paris ; qu’il l’est de naissance, et d’éducation ; qu’il l’est d’instinct et de goût ; qu’il en a l’humeur indépendante et brusque, volontiers satirique, la défiance innée de tout ce qui n’est pas clair — dût-il d’ailleurs être superficiel, — la philosophie sommaire, une certaine étroitesse d’esprit, beaucoup de confiance en lui-même, dans la sûreté de son goût ; et enfin cette franchise un peu rude qui est la probité du critique. […] Ou, en d’autres termes, il ne blâme ni ne loue par principes, mais d’instinct ; il a seulement le goût juste, le mot prompt, la main leste ; rien de pédant, ni de calculé, ni de réfléchi, mais l’insolence heureuse de la jeunesse, au service du bon sens et de l’honnêteté littéraire. […] Mais ce qu’il n’a pas vu, il l’a senti d’instinct ; et que, sans l’exemple ou l’autorité des anciens, il ne pourrait sauver sa doctrine du reproche d’arbitraire. […] Lemaître, et Arnauld ou Nicole pas du tout de Pascal ; que l’on dirait d’eux tous des noms dépouillés de substance et des fantômes errants parmi les ruines éparses d’un cloître-abandonné ; tandis qu’à force d’être semblables entre eux dans l’insignifiance, ils nous désintéressent, pour ne pas dire qu’ils nous dégoûtent de leur propre histoire, ainsi réduite à celle d’une querelle de moines récalcitrants ; et tandis qu’enfin, étrangers à leur temps comme à l’humanité, ce ne sont pas même des fantômes, dont ils n’ont ni la mince consistance, ni l’apparente visibilité ; dans le Port-Royal de Sainte-Beuve au contraire, ils vivent, ils sont faits de chair et de sang ; la religion, en domptant leurs instincts, ne les a pas détruits, et nous retrouvons en eux des hommes de leur siècle, un mousquetaire, comme Tréville, un corsaire, comme Pontis, un docteur de Sorbonne, comme Arnauld, des avocats et des diplomates ; nous y reconnaissons nos vertus et nos vices, l’orgueil du rang, la vanité littéraire, la sourde ambition qui survivent au serment qu’on a fait de les abjurer, ou, inversement, le détachement du monde, l’esprit d’abnégation et de charité, l’héroïsme opiniâtre qui fit autrefois les martyrs ; et, pour tout dire en deux mots, nous y reconnaissons dans des personnes particulières, déterminées et agissantes, des exemplaires éternels de l’humanité. […] Seulement, l’objet de la critique, c’est de nous apprendre à nous élever au-dessus de nos goûts ; comme celui de la morale est de nous apprendre à nous élever au-dessus de nos instincts ou de nos intérêts ; et comme celui de la science est de nous apprendre en quelque manière à sortir de notre humanité pour la considérer et pour l’étudier du dehors.

1153. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Il est bruyant ; il a pris pour complices les pires instincts de ses lecteurs ; il est surtout intolérant. […] Dans les appétits ou dans les instincts des animaux le poète se plaît à nous montrer l’origine lointaine, la genèse obscure des nôtres, et en effet, nous nous y reconnaissons. […] Je remarque du moins que toutes les fois que la séparation s’est opérée, et que l’idéal grec l’a emporté sur l’idéal hébreu, dans l’Italie du xve  siècle, la règle des mœurs a fléchi, les instincts se sont débridés, et l’homme a reparu, pour user encore d’une expression de M.  […] La guerre se trouve donc ainsi rattachée, par sa définition même, à quelque chose de plus qu’humain, si nous ne sommes pas les auteurs, mais les instruments, les dupes, ou les victimes de nos propres instincts. […] Les mêmes instincts l’animeront toujours, et toujours aussi les mêmes passions l’agiteront.

1154. (1927) Approximations. Deuxième série

Pour l’avoir saisi d’instinct, — avec cette sensibilité si jeune et si sûre qui dans tous ses rôles la guide, — Mme Ludmilla Pitoëff fut l’autre soir une inoubliable figure de la Chasteté, — petite-fille non indigne de ces figures allégoriques des Vertus que nous ont léguées les grands artistes italiens. […] Mais entre la surface et la profondeur, il existe un certain plan intermédiaire peu défini, dont la présence se décèle aussitôt dans un livre à je ne sais quel roulis plein d’insécurité : terrains vagues mal fréquentés, surpeuplés cependant et où de leur début jusqu’à leur mort s’établissent tant d’écrivains, et pas seulement toujours les moindres (Un instinct de conservation les mène : hors de ce plan ils ne sauraient produire : surface et profondeur leur sont également interdites). […] La perfection des sentiments, la « pureté » du regard qui se pose sur eux, s’alliait chez Rivière à un instinct de connaissance insatiable, impitoyable, si à nous il n’apparaissait point tel à cause de l’exquise gaine morale dans laquelle il se trouvait pris. « Je manque pour moi-même de charitéio » (Je ne pense pas qu’à son propre sujet Rivière ait jamais articulé mot plus profond ni plus explicatif) : sa charité, il la réservait pour nous ; et par là (et pour les motifs les plus valables) lui, si sincère, était contraint dans une certaine mesure de nous celer l’étendue et les exigences de son instinct de connaissance. Plus émouvant même que chez Proust, cet instinct de connaissance chez Rivière parce que chez lui le désintéressement ne se doublait jamais de détachement ; chez lui l’instinct de connaissance était toujours une passion (II l’est souvent chez Proust, mais parfois aussi il se ramène à un magistral exercice). « C’est la passion de la connaissance qui m’anime, la seule qui soit vraiment impieip ». […] Doué à un tel degré de l’instinct de connaissance, et sachant à travers lui — dans l’absolu de la connaissance, et d’une connaissance qui différencie — rejoindre l’acmé de « sa perfection abstraite », il n’y a rien de surprenant à ce que Rivière nous paraisse parfois admettre la possibilité d’une connaissance exhaustive de soi-même.

1155. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

ne soyons ni jansénistes ni molinistes. » Mais on voit bien qu’il est un peu plus jésuite que moliniste par instinct autoritaire et monarchique et par une sorte d’horreur naturelle pour tout ce qui, dans un Etat, représente l’indépendance à l’endroit du pouvoir central. […] Dans toutes ces questions de liberté, Voltaire a des instincts de libéral très vifs, qui sont contrariés par des principes de monarchiste absolutiste ; et ceux-ci sont les plus forts. […] Ainsi se sont gouvernés ou se sont laissés gouverner par instinct patriotique, quelquefois très confus, mais sûrement par instinct patriotique, tous les peuples qui ont duré.

1156. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Et comme son esprit, tout logique, allait d’instinct aux raisonnements désintéressés, il fut spécialement ému par les spéculations théoriques. […] Ces lointains héroïsmes passionnés, d’instinct il les conçoit réels. […] France a toujours admis, par le seul instinct de son âme de poète. […] Et certes le pauvre Jules Laforgue avait une de ces âmes : d’instinct, invariablement, les choses lui apparaissaient autres qu’à la majorité d’entre nous. […] Il m’accusa de toutes les folies, ou bien d’attenter à son repos par un instinct naturel de mystification.

1157. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

La revanche ne se fit pas attendre : au mois de mai de l’année suivante, le même théâtre représenta, sous le titre d’Échec et Mat, un drame en cinq actes, où se révélaient, d’une manière évidente, assez de dons heureux, d’instincts de la scène et de brillantes promesses pour justifier un succès. […] Cette fois, ce n’est pas la passion qui se purifie et s’ennoblit par son excès même ; ce n’est pas une imagination égarée qui cherche dans un dernier égarement, plus loyal et plus exalté que tous les autres, le pardon et l’oubli de ses faiblesses : c’est une intelligence supérieure, qu’un invincible instinct ramène à ses destinées véritables c’est une âme qui se rachète. […] Accepté par tous les partis comme la personnification sympathique des instincts du présent tempérés par le respect et le regret du passé, adopté par les deux écoles littéraires qui se livraient leurs dernières batailles, jeune encore, doué de ce poétique visage et de cette taille élégante, qu’on était d’autant plus disposé à admirer qu’il n’en avait encore parlé dans aucun de ses ouvrages, M. de Lamartine était notre culte et notre orgueil, notre amour et notre joie. […] Je ne croyais pas à cette réaction néo-classique qui ne répondait à aucun instinct, à aucun besoin de notre siècle, et qui me paraissait tout simplement un caprice de lettrés. […] Si l’instinct du critique, sa vocation, son bonheur, sa vie, est de fuir les belles choses et de rechercher les mauvaises, de se jeter sur ce qui dégrade l’intelligence et de haïr ce qui l’honore, pourquoi suis-je malheureux et honteux de ces spectacles lamentables ou grotesques, et pourquoi ai-je savouré avec délices les Souvenirs contemporains d’histoire et de littérature, de M. 

1158. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Je suis remplie de défauts, mais je respecte et j’aime la vertu… » Cette idée de vertu entra donc distinctement pour la première fois dans ce cœur qui était fait pour elle, qui y aspirait d’instinct, qui était malade de son absence, mais qui n’en avait encore rencontré jusque-là aucun vrai modèle. […] C’est le cœur qui nous conduit : l’instinct d’un cœur droit est mille fois plus sûr que toutes les réflexions d’un bel esprit : c’est du cœur que partent tous les premiers mouvements : c’est au cœur que nous obéissons sans cesse.

1159. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

. —  Redressement de la sensibilité et de l’instinct opprimés par la convention et par la règle. —  Succès de Dickens. […] Il y préfère l’instinct au raisonnement, l’intuition du cœur à la science positive ; il attaque l’éducation fondée sur la statistique, sur les chiffres et sur les faits ; il comble de malheurs et de ridicules l’esprit positif et mercantile ; il combat l’orgueil, la dureté, l’égoïsme du négociant et du noble ; il maudit les villes de manufactures, de fumée et de boue, qui emprisonnent le corps dans une atmosphère artificielle et l’esprit dans une vie factice.

1160. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

C’est la nature dans ses plus tendres et dans ses plus généreux instincts, transfigurée par la poésie et divinisée par le devoir ! […] XIII Ces scènes, les unes publiques, les autres domestiques, de ce sixième chant ; ces amours voluptueuses dans la chambre d’Hélène ; ces amours chastes dans le palais d’Andromaque ; ces adieux sur la tour de la porte Scées ; ce cœur d’épouse qui fléchit sous ses alarmes ; ce cœur d’époux qui s’affermit tout en s’attendrissant sous le sentiment de son devoir ; cette habileté instinctive de la mère, qui se fait suivre par la nourrice et par l’enfant pour doubler sa puissance d’amante par le prestige de sa maternité ; ce dialogue, dont chaque mot est pris dans les instincts les plus vrais, les plus délicats et les plus saints de la nature ; cette passion légitimée par la chaste union des deux époux ; cette éloquence qui coule sans vaines figures et sans fausse déclamation des deux cœurs ; cet épisode puéril et attendrissant à la fois de l’enfant effrayé du panache et se replongeant dans le sein de la nourrice en se détournant des bras de son père ; ce père qui berce l’enfant de ces mêmes bras forts qui vont tout à l’heure lancer le javelot d’airain contre Achille ; le pressentiment sinistre de cette épouse, qui se rappelle tout à coup et comme involontairement que c’est ce même Achille qui a tué jadis son père et ses sept frères ; enfin jusqu’à ces ormeaux plantés autour de la tombe de ce père d’Andromaque qui s’élancent tout à coup de son souvenir comme des flèches de cyprès dans un ciel serein ; puis les larmes mal contenues qui voilent les yeux ; puis le départ en sanglotant, et ce visage qui se retourne tout en pleurs pour apercevoir une dernière fois celui qui emporte son âme ; puis ce retour dans sa maison vide de son mari, mais pleine de femmes indifférentes, et cette présence d’Andromaque, seule avec l’enfant et la nourrice, excitant, par la compassion qu’elle inspire, sans parler, plus de sanglots que la chute et l’incendie d’Ilion n’en feront bientôt éclater sur la colline des Figuiers, ce sont là autant de coups de pinceau qui égalent le peintre à la nature et qui font du poète plus qu’un homme, un interprète véritablement divin entre la nature humaine et le cœur humain !

1161. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

C’était Lecourbe, le plus habile des officiers de son temps dans la guerre des montagnes, Lecourbe dont les échos des Alpes répétaient le nom glorieux ; c’était Richepanse, qui joignait à une bravoure audacieuse une intelligence rare, et qui rendit bientôt à Moreau, dans les champs de Hohenlinden, le plus grand service qu’un lieutenant ait jamais rendu à son général ; c’était Saint-Cyr, esprit froid, profond, caractère peu sociable, mais doué de toutes les qualités du général en chef ; c’était enfin ce jeune Ney, qu’un courage héroïque, dirigé par un instinct heureux de la guerre, avait déjà rendu populaire dans toutes les armées de la République. […] Thiers, par ses instincts et par son goût pour les armes, est plus enclin à la philosophie de la guerre.

1162. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Fénelon est le premier que je lise avec inquiétude ; c’est encore un maître pourtant, mais avec lequel je fais des réserves, et qui, pour m’avoir trop flatté dans mes instincts d’opposition et d’indépendance, n’obtient plus de moi cet abandon, cette petitesse du disciple fidèle, que je sens avec douceur en lisant Bossuet. […] Les hommes de génie, qui sont les sages de ce monde, devraient-ils l’être moins que les sociétés elles-mêmes, lesquelles, par un admirable instinct, se défendent sans cesse contre le sens propre, et, pour un article de leurs lois qui le reconnaît ou le tolère, en font mille qui le suspectent, le règlent ou le contiennent ?

1163. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Il avait, de bonne heure, renoncé aux études de lettres, pour se vouer aux sciences ; son tempérament tranquille et son goût pour la retraite le prédestinaient peut-être aux humbles fonctions de médecin de village, ou de modeste chimiste  Mais il dut gagner son pain, comme simple employé de la maison Hachette ; et bientôt, peut-être, au contact de toutes les œuvres qui lui passaient par les mains, il sentit s’éveiller en lui les instincts littéraires. […] Dans le roman, au contraire, les faits s’engendrent les uns les autres, avec une logique inévitable et terrible ; le mal amène le mal ; du premier verre, résulte le second ; de l’ivrognerie qui engloutit tous les bons instincts, résulte l’abrutissement complet du buveur.

1164. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Il tombe d’instinct, et de tout son poids, avec une sûreté héroïque sur la méprise fondamentale, où, d’ailleurs, je l’invitais diaboliquement. […] C’est toujours le même scandale : on pense que nous sacrifions aux troubles lueurs de l’instinct les précisions lumineuses de la raison, et que, sous le nom de poésie pure, nous voulons glorifier le pathos, le vague, l’obscur, l’infra-rationnel, « l’obscène chaos » où se débattait la conscience avant le fiat lux de l’entendement. […] Le passage de l’état liquide à l’état gazeux, ou vice-versa, a lieu par voie de résonance de « rotation-expansion »… etc : nous arrivons en biodynamique à la physiologie où, d’un tourbillon vital d’éther, par la prépondérance de l’éther gazeux naîtraient et agiraient divers organes, les uns et les autres créateurs des sens, et, par leur entremise, des sensations. ces sensations obéiraient : les unes, par le toucher, par l’ ouïe à des modes de vibration, correspondant, comme les courants galvaniques de conduction ou comme la chaleur sensible, à des mouvements longitudinaux de translation ; — auxquels se rattacheraient, au degré psychologique individuel, les émotions, les réflexes ; au degré philosophique, l’action extérieure de la volonté, c’est-à-dire l’ autorité exercée et subie ; les secondes, par le goût, à des modes de rotation correspondant, comme les flux d’ induction magnétique ou comme la chaleur latente, à des mouvements de conservation ; — auxquels se rattacheraient, au degré psychologique individuel, les phénomènes de la mémoire, des habitudes, des instincts ; au degré philosophique, la sympathie, base de la morale ; les troisièmes, par la croissance, la génération, la vue (l’auteur donne aux yeux des pouvoirs multiples plus complexes qu’aux autres organes des sens), à des modes de déformation élastique, correspondant, comme les effluves électrostatiques ou comme la chaleur rayonnante, à des mouvements de distorsion transversale et d’ expansion volumique ; — auxquels se rattacheraient, au degré psychologique individuel, en même temps que les jugements et les conceptions, les sentiments et les intuitions ; au degré philosophique, avec l’ éducation, tous les faits esthétiques, tous les faits éminemment psychiques et religieux, les faits de création. la manière est remarquable dont M. 

1165. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Ampère fut sensible ; il contribua à développer en cette vive nature l’instinct qui la tournait vers les origines littéraires, à commencer par celles des Scandinaves. […] Cette lyre, pour être entière, doit avoir cinq cordes ; mais souvent elle n’en a que deux ou trois, dont les sons, comme il est aisé de le présumer, n’ont rien de bien harmonieux. » Cette lyre, qui doit avoir cinq cordes, et qui souvent n’en a plus que deux ou trois, est bien l’image fidèle de la poésie inculte et un peu tronquée qu’elle accompagne ; mais cet incomplet dans les moyens et dans la forme ne détourne point Fauriel et ne lui inspire au contraire qu’un intérêt de plus : « Entre les arts qui ont pour objet l’imitation de la nature, dit-il excellemment (et sa pensée est tout entière dans ce passage), la poésie a cela de particulier que le seul instinct, la seule inspiration du génie inculte et abandonné à lui-même y peuvent atteindre le but de l’art, sans le secours des raffinements et des moyens habituels de celui-ci, au moins quand ce but n’est pas trop complexe ou trop éloigné. […] Le seul Dagobert, parmi les rois mérovingiens, lui paraît faire preuve de quelque instinct de civilisation et aspirer avec quelque suite à fonder l’unité ; mais la race mérovingienne est à bout et ne mérite plus l’avenir. […] Sa prédilection, d’ailleurs, pour la noble culture et pour les instincts chevaleresques des conquérants de l’Espagne est manifeste ; il ne résiste pas à dessiner quelques-uns des traits de leurs plus grands chefs en regard de la barbarie des Franks.

1166. (1927) Des romantiques à nous

La morale où ils se reconnaîtront n’est pas celle qui fait de la raison le juge du bien, l’arbitre des mouvements de l’instinct et du cœur : c’est celle pour qui le bien résulte d’une certaine harmonie s’établissant d’elle-même entre les impulsions de notre nature affective. […] Ceux-ci ne regardent pas trop à la substance des dogmes, ni à la preuve par les miracles qu’ils sentent, au moins d’instinct, dangereuse. […] Mélisande a trop de naturel et de bon instinct pour que le spectacle de la sempiternelle querelle et de l’incessant retour des systèmes la conduise au scepticisme moral. […] * * * Et cependant, cette synthèse correspond à une réalité que l’auteur russe a puissamment sentie d’instinct, à ce qu’il me semble, plutôt qu’il ne s’en est rendu compte à la réflexion, ce qui l’a empêché de la bien traduire.

1167. (1925) Portraits et souvenirs

Il semble alors que la société, qui se sent atteinte dans ses petits mystères et ses coutumes clandestines par ces sortes de livres, ait l’instinct assez naturel de s’en défendre en en faisant ce qu’on appelle des livres à clé. […] Villiers, en effet, n’est pas idéaliste par cette sorte d’instinct qui porte certains esprits à rechercher parmi les apparences celles qui leur semblent satisfaire le mieux leur désir de beauté. […] D’instinct, les yeux du passant tenteront donc de lire le nom gravé au socle du buste ou au piédestal du monument. […] Barrès, tout romantique qu’il fût d’instinct et de tendances, avait dans l’esprit un goût d’analyse, un don de clairvoyance, un désir de logique qui contrebalançaient ses qualités de lyrisme aigu et de pittoresque ardent.

1168. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

L’homme est changé, l’esprit est le même ; il rapporte à son ami les mêmes admirations, les mêmes répulsions, les mêmes instincts ! […] Écoutez-les, et si chacune de ces voix, qui représente une année, une passion de voire vie, arrive à vous, racontant des opinions auxquelles vous êtes resté fidèle, des haines qui vivent encore en votre âme, et des admirations qui n’ont fait que grandir ; si en même temps vous rencontrez, dans ce concert qui ne vous déplaît pas, quelque souvenir de luttes généreuses, de résistances loyales, de combats courageux : le faible protégé dans sa faiblesse imméritée, et le fort attaqué dans sa gloire injuste ; et si vous pouvez dire à coup sûr : voilà une renommée que j’ai faite, voilà un esprit que j’ai découvert le premier, voilà un nom qui est un nom, grâce à moi ; et parmi vos erreurs, si vous en trouvez plusieurs qui vous ont été facilement pardonnées ; et parmi les hardiesses de votre goût, si vous en rencontrez quelques-unes qui aient été justifiées, et dans vos prévisions, s’il arrive que vous ayez deviné juste, une fois sur dix, et si, en fin de compte, vous avez pour amis les vaillants, les fidèles, les courageux, les grands esprits, et si les autres seuls vous haïssent ; les impuissants, les vaniteux, les faux poètes, les faux historiens, les faux railleurs, les faux braves, les faux hommes de lettres, et si parmi les choses que vous avez écrasées, il ne s’est pas rencontré un chef-d’œuvre, et si parmi les choses que avez le plus louées, il ne s’est pas découvert une honte, et si votre instinct vous a guidé dans les passages difficiles, de façon à vous faire éviter les trappes, les écueils et les abîmes dont le sentier des belles-lettres pratiques est semé de toutes parts, et si, de tous ces obstacles… Tant de violences, de haines, de cris étouffés, — tant de fureurs anonymes, tant d’injures, tant de calomnies, tant et tant de rages sourdes de l’amour-propre offensé, n’ont pas laissé plus de traces que l’escargot quand il passe… un peu d’écume gluante que la rosée efface et que le soleil emporte, alors, véritablement, cette profonde horreur que vous inspirait cet amas de feuilles, amoncelées dans le Capharnaüm du journal, devient une fête… une fête de votre esprit ! […] Il ne faut pas tant de choses, Dieu merci, mais il faut cent fois davantage : il faut l’instinct. — Êtes-vous né pour faire rire ou pleurer toute une foule émue et attentive ? […] mais c’est là tout ; à peine daigne-t-elle s’inquiéter de ce misérable, dont son instinct de femme lui fait deviner à l’avance toutes les sales perfidies.

1169. (1925) Proses datées

Que, la tête en bas, il s’y implante, et vous le verrez y dresser son tronc branchu de bras et y bifurquer la fourche des jambes. « Quand deux individus se rencontrent et se croisent, remarquait-il encore, leur instinct les ruerait l’un contre l’autre, sans le dérivatif merveilleux qui consiste à soulever son chapeau pour laisser s’échapper, comme de la fente d’un couvercle, les fumées de leur haine mutuelle. » Méry Laurent écoutait avec indulgence ces paradoxes, tandis que l’on reprenait le chemin des « Talus » et que Mallarmé saluait dans le tuyau d’arrosage allongeant ses anneaux sur la pelouse « tout ce qui nous reste du Serpent de la Genèse ». […] Alors ce Parisien du Boulevard, ce dandy des Rivieras éprouvait le besoin de s’évader de cette atmosphère frelatée, et c’étaient de longues disparitions vers les pays de soleil et de liberté, les longs vagabondages à travers les paysages et les villes, la mélancolique ivresse des départs où l’on retrouvait en Lorrain son instinct de Normand épris d’aventures et de voyages, avide des espaces terrestres et des souffles marins. […] Ne dit-il pas, des impressions jetées par là nature dans son âme et par son âme dans ses vers : « Le fond fut toujours un profond instinct de la Divinité dans toutes choses, une évidence, une intuition plus ou moins éclatante de l’existence et de l’action de Dieu dans la création matérielle et dans l’humanité pensante. » Ajoutons qu’en parlant ainsi, Lamartine se définit très exactement. […] Il voit l’homme guidé surtout par ses appétits et ses intérêts, et Faguet nous donne de cette misanthropie de Balzac une très ingénieuse explication, Balzac est misanthrope parce qu’il a surtout envisagé les hommes, « non pas dans le cercle restreint de la famille », mais dans leurs rapports entre eux et dans leurs rapports sociaux, c’est-à-dire dans un état qui réveille en l’homme les instincts de concurrence et de lutte, et où il paraît sous son jour le plus défavorable. De tous ces instincts, celui que Balzac a analysé et mis en scène le plus puissamment, c’est la lutte pour l’argent ; Les hommes d’argent et les drames de l’argent sont peints admirablement dans Balzac et forment le grand ressort de la vaste encyclopédie sociale, morale et psychologique que veut être la Comédie humaine.

1170. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Les bons instincts d’une fille de courtisane luttent contre la contagion du milieu. […] Ses instincts naïfs de petit animal égoïste et gracieux s’expriment aujourd’hui en une philosophie qui a tout le pédantisme lourd de la légèreté voulue. […] Elle a aussi un intéressant instinct mathématique et architectonique. […] Le premier récit, surtout, exprime toute la douceur faible de cette nature souriante, et son besoin d’attachement, et sa facilité à juger les pires gredins sur leurs rares spontanéités nobles, et son naïf et touchant instinct de se confier toujours même après qu’on l’a dupée. […] « La nature l’a pourvue de tous les appareils nécessaires à ses instincts, à ses plans, à ses besoins.

1171. (1891) Esquisses contemporaines

Je veux qu’il y ait dans ces livres, au milieu même de scènes positivement repoussantes, une honnêteté et une pureté d’instinct, une loyauté et une droiture, une simplicité et une candeur de l’âme singulièrement attachantes ; je reconnais que les besoins sympathiques y sont réels, ainsi qu’une sorte d’affinité bienveillante pour tout ce qui existe ; que l’amitié surtout, l’amitié sincère — celle, par exemple, d’Yves et de Loti, d’Achmet et d’Ariff-Effendi11 ou de Jean, le spahi blanc, pour Nyaor, le spahi noir12, — y joue un rôle considérable ; mais tout cela est inconscient et n’a point traversé la volonté. […] Paul Bourget n’est pas doué de cet instinct vierge qui protège l’intégrité de l’être, le préserve des sollicitations ambiantes et lui permet d’atteindre sûrement la pleine stature du talent. […] Disciple de Balzac, il rappelle le maître, avec l’étendue de son horizon et l’impassibilité de son génie en moins, et, en plus, je ne sais quelle inquiétante divination des instincts sensuels et de leur rôle dans la formation des sentiments. […] Avoir l’imagination psychologique, c’est deviner le rapport du monde extérieur avec cet ensemble d’activités internes qui sont la substance même de l’âme ; l’effet et le contre-effet de l’un sur l’autre ; le flux et le reflux des impressions, l’enchaînement nécessaire des instincts et des actes, les étranges clartés et les obscurités non moins étranges qui tour à tour assombrissent ou illuminent les hauteurs de l’âme ; tout le jeu mobile et fugace en apparence, mais identique et réglé de ce pauvre cœur humain qui monte si haut parfois et parfois descend si bas, et se trouve capable, presque dans le même instant, de crime et d’héroïsme, de grandeur et de lâcheté. […] Sans obligation, point d’obéissance, mais seulement des appétits ; sans obéissance, point de liberté, mais l’esclavage des instincts.

1172. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Cependant Sarcey a une sorte de gros bon sens, et il ajoute : « Je n’oserais pas affirmer que tout soit voulu et factice dans cette manière ; mais je penche à croire que Taine, tout en obéissant peut-être à un instinct secret, etc. » Nous voilà loin de l’aphorisme désinvolte de M.  […] Schopenhauer nous apprit à reconnaître dans les phénomènes sociaux la lutte de l’intelligence et de l’instinct ; il nous apprit aussi à mieux analyser les causes de l’amour, et aussi à ne pas nous effrayer du mal et même à reconnaître sa nécessité. […] Ces deux mots sont réunis, à des moments divers de leur vie, dans cette phrase (1365) : « Henap esmaillié d’ancolyes et de lys. » Il ne suffit pas d’avoir des dons lamartiniens pour disserter sagement de la valeur des lettres dans un mot ; mais l’instinct du poète a sa valeur. […] L’instinct a sur la langue plus de droits que l’intelligence. […] Il n’y a plus en français que deux conjugaisons vivantes, er et ir ; l’instinct linguistique est absolument incapable de former un verbe sur le modèle de maudire, de croître, de vouloir, de prendre.

1173. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Lui, au contraire, lutte contre les tendances qui résultent d’un sang transmis, il se révolte contre cet instinct qui se manifeste par intermittence ; et il ne tue que sous son impulsion, et alors que le raisonnement est aboli en lui. […] Je le dis : le raisonnement ne ferait jamais le meurtre, il fallait l’instinct de mordre, le saut qui jette sur la proie, la faim ou la griffe qui la déchire. […] car, vous ne pouvez l’ignorer, partout dans le diocèse, on vous appelle, tant à cause de votre taille exiguë que de vos instincts rustiques trop tôt éventés, l’abbé Cyprien « Roitelet ». […] Voici entre autres une des observations qui trahissent son obsession : … Les enfants sont de petits animaux tout d’instinct, ayant surtout des instincts mauvais, vicieux, destructeurs. […] Chemin faisant, le Prince remarque des officiers, et son instinct lui révèle ceux dont le nom entrera dans notre histoire militaire.

1174. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Sous ce dernier nom nous l’avons aimée, et certes il ne fallait pas un grand instinct pour deviner que l’amour et la comédie avaient passé par là. […] Monrose, disions-nous au parterre, Monrose ne s’appartient plus, il n’est plus le maître de son esprit, de sa pensée ; il obéit encore avec un instinct incroyable à l’esprit, à la bonne humeur, à l’entrain des anciens jours, mais combien cet instinct est chose fragile ! […] Il va donner, ô l’instinct ! […] Thaïs est la première à trouver que son nouvel esclave est un être charmant, et qu’il ressemble (ce que c’est que l’instinct) à un jeune homme de bonne famille. […] Il ne s’agit pas d’une soubrette éveillée et rieuse, protégeant l’amour des jeunes gens comme c’est son droit, son devoir, son instinct ; il s’agit d’une fine-mouche avide et piquante, qui ne pense qu’à s’enrichir aux dépens de la pauvre vieille imbécile de créature dont elle exploite le dernier souffle.

1175. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Or, nous allons dire qu’en l’extraordinaire surrection d’instinct, d’intuition, ou de volonté pour approcher de plus près l’Absolu, dont se caractérise cette Période inspirée, ont coexisté, dès le principe et avec tous leurs éléments vitaux, deux Mouvements qui s’opposaient, tout de suite devaient se heurter et entrer en une lutte d’une valeur d’autant singulière qu’elle était la lutte de deux traditions poétiques qui, séculaires, se rencontraient hostilement au même point du temps, et pleinement, pour la première fois. […] Le corps regimbe, l’instinct regimbe, c’est une pure victoire d’esprit  Et voilà à quelle sottise se passe mon temps. […] Dans lesStances il exprime selon son seul instinct et selon sa destinée, sa propre âme, et il nous enchante en l’exprimant. » — Mikhaël : « Il est probable qu’il eût continué le Parnasse, s’il n’était mort si jeune »  Paul Fort n’est plus « un faux simpliste » : « A défaut de la simplicité réelle que personne ne saurait avoir, il affirme sincérité, et j’ai talent. » — Rodenbach : « Ame ouverte à toutes les impressions de lointain, artiste à l’art volontaire et sûr ».

1176. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Cependant, comme il y a ordinairement une raison au fond de l’instinct populaire, le prestige du Cid vint, à tout prendre, de ce que, à son profit ou non, et par des moyens quelconques, il avait fini par reconquérir en partie sur les Arabes le sol de l’Espagne. […] Il y a du dindon rôti au fond des principes nouveaux de l’esthétique de nos jours. » N’est-ce pas la raison, la vraie raison, le goût, l’instinct de l’art suprême, qui parlent en traits lumineux dans cette amusante boutade ? […] C’est un amateur comme ceux qui, autrefois, au parterre de la Comédie, jugeaient les pièces librement avec l’instinct seul du bon sens. […] Il y a aussi Héraclius, où l’Espagne à son tour revint à Corneille, en la personne de Calderon : nous expliquerons ce point. — II y a encore, d’autre part, Nicomède qui est également une sorte de drame, où la familiarité et l’ironie se mêlent à la grandeur, dans ce genre mixte vers lequel l’instinct et le génie de Corneille le ramenaient toujours, et dont toujours les pédants l’écartaient. […] Voilà, en abrégé, cette Épître-préface, très intéressante, très curieuse, qui nous donne la limite et l’alignement forcé du romantisme de Corneille, Il n’aurait pas mieux demandé, sans doute, que de se donner carrière, de suivre son instinct, de prendre l’essor, de déployer ses ailes, au lieu de rester entre les barreaux de toutes ces prétendues règles, cloîtré dans les compartiments des genres.

1177. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Chaque peuple s’empare de cette figure brute, et la modèle selon ses instincts. […] Tout est instinct dans cette fauve nature, élan primesautier, exercice soudain et passionné de la force. […] L’instinct de sa faiblesse lui faisait rechercher la force. […] Cette fidélité aux hommes de leur race est moins d’ailleurs une vertu qu’un instinct du sang. […] C’est la violence de l’idée fixe exaltée par l’imagination de la femme, et par l’instinct du talion spécial à la race.

1178. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Il détestait d’instinct les grands, la noblesse, les princes du sang même : il les raille, il les méprise, il les appelle anthropophages ; il a, en s’exprimant, de ces hyperboles à la Juvénal et à la d’Aubigné, et qui font rire.

1179. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Distinguant entre le sentiment national qui était d’instinct, et l’opinion publique plus raisonnée et plus éclairée, il aurait voulu élever l’un jusqu’à l’autre, organiser celle-ci pour que le bon sens redescendît ensuite de là comme d’une sorte de fontaine publique dans tous les rangs et les étages de la société.

1180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Élevée à Maubuisson, placée ensuite à l’Abbaye-aux-Bois où elle s’ennuyait, Mlle de Châteaubriant, dès ses premiers pas dans le monde de Chantilly, y sentit se développer des instincts de dissipation, de bel esprit et de coquetterie qui désolèrent Lassay avant même qu’il en fût victime : On est trop heureux, lui disait-il, de trouver une seule personne sur qui l’on puisse compter, et vous l’avez trouvée ; vous devez du moins en faire cas par la rareté ; il me semble pourtant que vos lettres commencent à être bien courtes, et qu’elles ressemblent à celles que vous m’écrivez quand vous êtes désaccoutumée de moi ; vous avez un défaut effroyable, c’est que, dès qu’on vous perd de vue, vous oubliez comme une épingle un pauvre homme qui tout le jour n’est occupé que de vous.

1181. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Mme Valmore, au premier mot qu’on lui en toucha, eut d’instinct un mouvement de refus.

1182. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

malheur à qui, avec les instincts infinis et le besoin de croire aux consolations éternelles, a senti trop amoureusement cet idéal d’humaine beauté, ce paganisme immortel qu’on appelle la Grèce ! 

1183. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Les Bohémiens et les Souvenirs du Peuple, publiés en 1828, ont manifesté chez Béranger un progrès encore imprévu de grandeur et de pathétique dans la simplicité, et aussi de poésie impartiale, généralisée, s’inspirant de mœurs franches, se prenant aux instincts natifs du prolétaire, et d’une portée non plus politique, mais sociale. 

1184. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Déjà, plus jeune, il s’était amusé souvent, par pur instinct de controverse, à présenter des objections qu’il tirait de Rousseau ou même du Dictionnaire philosophique, et il voulait quelquefois qu’on lui répondît par écrit.

1185. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Nisard l’accuse de donner des sens indéterminés et divers à certains mots qui, dans la latinité classique, sont, au contraire, dit-il, parfaitement déterminés et précis ; et il allègue le mot fides qui, bien loin de là, comme me l’assure mon ami, et comme mon propre instinct de simple amateur me le confirme, a naturellement tous ces sens divers, et est un de ces mots de magnifique latitude chez les meilleurs écrivains, comme laus, comme honos.

1186. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Cette opinion chez eux, non pas de pur instinct et de passion comme chez plusieurs, mais très-raisonnée, très-suivie76 et beaucoup plus arrêtée que chez leurs jeunes amis libéraux du monde, donna du premier jour à leur attaque toute sa portée et imprima à l’ensemble de leur direction intellectuelle une singulière précision.

1187. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

De composition et d’art dans le cours de son premier ouvrage, non plus que dans les suivants, il n’y en a pas l’ombre ; le marquis raconte ce qui lui est arrivé, à lui, et ce que d’autres lui ont raconté d’eux-mêmes ; tout cela se mêle et se continue à l’aventure ; nulle proportion de plans ; une lumière volontiers égale ; un style délicieux, rapide, distribué au hasard, quoique avec un instinct de goût inaperçu ; enjambant les routes, les intervalles, les préambules, tout ce que nous décririons aujourd’hui ; voyageant par les paysages en carrosse bien roulant et les glaces levées ; sautant, si l’on est à bord d’un vaisseau, sur une infinité de cordages et d’instruments de mer, sans désirer ni savoir en nommer un seul, et, dans son ignorance extraordinaire, s’épanouissant mille fois sur quelques scènes de cœur, renouvelées à profusion, et dont les plus touchantes ne sont pas même encadrées.

1188. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Si rassurer et consoler les intérêts et les instincts conservateurs est une partie essentielle de sa tâche, ne pas déserter, ne pas laisser entamer les droits acquis par la Révolution, ses conquêtes morales, est une partie non moins essentielle, plus essentielle encore (s’il était possible) de sa vie.

1189. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Mais si vous prenez du raisonnement ce qui trouble l’instinct, sans atteindre à ce qui peut en tenir lieu, ce ne sont pas les qualités que vous possédez qui vous perdent, ce sont celles qui vous manquent.

1190. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Il lui est si bien inné, qu’on le rencontre également dans les deux siècles, chez Descartes, Malebranche379 et les partisans des idées pures, comme chez les partisans de la sensation, du besoin physique, de l’instinct primitif, Condillac, Rousseau, Helvétius, plus tard Condorcet, Volney, Siéyès, Cabanis et Destutt de Tracy.

1191. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

En d’autres termes, il se fera une antiquité à son image, sans y penser, et dès lors l’admiration qu’il a pour elle ne le gênera plus : elle le guidera à la satisfaction de ses propres instincts et de son goût original.

1192. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Ainsi fait Yvain, qui s’en va vivre au fond d’une forêt, nu, comme « un homme sauvage », n’ayant gardé qu’un instinct tout animal qui lui fait chercher sa nourriture.

1193. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

La Bruyère la voit fondée sur la naissance, idolâtre de l’argent, dont il annonce le règne ; les femmes coquettes, menteuses, perfides, êtres d’instinct, meilleures ou pires que les hommes, dominant dans les salons, et y imposant l’esprit l’utile et banal, attirant autour d’elles l’essaim des fats et des ridicules ; les financiers, partis de bas, durs, sans scrupules comme sans pitié, méprisables absolument ; la ville, rentiers, marchands, magistrats, commençant à échanger les fortes vertus bourgeoises pour les airs et les vices de la cour ; la cour, abjection et superbe, férocité et politesse, où le mobile unique est l’intérêt ; les grands, extrait de la cour dont ils manifestent le vice dans sa plus pure et naturelle malice, sans âme, sans esprit, tout à l’orgueil et au plaisir, bien pires que le peuple ; le souverain — mais ici La Bruyère ne voit plus.

1194. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il cherchait de bonne foi, pour tous ses instincts honnêtes, une origine divine.

1195. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’honneur de la philosophie est d’avoir eu toujours pour ennemis les hommes frivoles et immoraux, qui, ne trouvant point en eux l’instinct des belles choses, déclarent hardiment que la nature humaine est laide et mauvaise et embrassent avec une sorte de frénésie toute doctrine qui humilie l’homme et le tient fortement sous la dépendance.

1196. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Les gens éclairés ne peuvent en avoir été dupes : à travers les artifices de la malignité, ils savent démêler le mensonge, & repoussent, comme par instinct, les fausses impressions qu’on voudroit leur donner.

1197. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Tous ses instincts tragiques, jusque-là réprimés sous la froide réserve de son rôle, éclatent à la fois avec un feu et un bruit d’explosion. — « A quelle heure ? 

1198. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Il l’a fait sortir, comme une créature légendaire, d’une sorte de chaudière magique, où il y a du sang de courtisane et du sang de roi, de la corruption et de la fierté, des sentiments nobles et des instincts dépravés.

1199. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Il était philosophe, mais non pas comme ceux d’alors, qui avaient tous, plus ou moins, l’instinct destructif et révolutionnaire.

1200. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

De toutes ses vocations à demi manquées, et dont aucune n’a eu pleine carrière, c’est encore son instinct littéraire qui l’a le moins trompé.

1201. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Il tenait de sa mère la largeur du visage, les instincts, les appétits prodigues et sensuels, mais probablement aussi ce certain fonds gaillard et gaulois, cette faculté de se familiariser et de s’humaniser que les Riquetti n’avaient pas, et qui deviendra un des moyens de sa puissance.

1202. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Par nature, par instinct et par vocation il n’était nullement un homme politique : il aimait avant tout la retraite, l’étude, la méditation, une société d’amis intimes, une tendre et amoureuse rêverie.

1203. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

À cette date, et avant que ses instincts cruels aient été mis directement aux prises avec les événements et avec les tentations ambitieuses, Saint-Just est encore imbu des doctrines philanthropiques du xviiie  siècle en matière pénale : c’est un élève de Beccaria.

1204. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Sans doute il est cruel à une cause qui s’est toujours donnée pour la cause de la liberté de s’entendre dire, et cela sans passion, et même avec bienveillance, qu’elle porte la servitude dans son sein, et qu’il lui faudra lutter contre ses plus violents instincts pour rester libre.

1205. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Elle renferme dans son sein toute vérité connue de l’homme ; toutes les découvertes de la science, tous les faits constatés par l’observation des sens ou par l’instinct du cœur, tous les axiomes de la raison et de la morale sont les dogmes bienfaisants qu’elle nous propose.

1206. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Les Romains ont connu, au moins par une sorte d’instinct, cette formation des républiques d’après les principes éternels des fiefs.

1207. (1883) Le roman naturaliste

Mais cette protestation du sentiment et de la pensée contre le fait, cette ardeur du meilleur de notre être vers l’idéal, de quel droit le réalisme l’efface-t-il du nombre de nos instincts, sinon du droit nouveau qu’il tire de son impuissance même à la satisfaire et l’exprimer ? […] Nul en effet plus que lui, parmi les romanciers contemporains, ne répugne, d’instinct et par système, à ce drame tout d’une pièce, qui sort du seul jeu des caractères et du seul choc des passions ennemies, qui va droit devant lui son chemin, franchissant ou brisant les obstacles, entraînant le lecteur dans le mouvement et comme dans la fièvre d’une action serrée, simple et violente. […] Daudet dira donc excellemment : « Les franciscains montaient, erraient parmi d’étroits corridors… », parce qu’errer et monter sont des actions qui durent, et se continuent ; mais six lignes plus bas, il dira non moins bien, toujours guidé par son instinct d’artiste : « Les franciscains échangèrent un regard significatif », parce que l’action d’échanger un regard est plus prompte que la parole, et s’achève en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. […] Mais paraître en son temps, c’est quelquefois aussi reconnaître d’instinct où en est l’art de son temps, quelles en sont les légitimes exigences, ce qu’il peut supporter de nouveautés ; et cela, c’est si peu suivre la mode que c’est souvent aller contre elle, c’est si peu s’abandonner au courant, qu’au contraire, c’est y résister, et le remonter. […] A ce spectacle « des jeux bizarres du muscle risorius et du grand zygomatique », la Faustin, mise en face « de la plus étonnante chose qu’il soit donné à un artiste dramatique de voir, « sentira renaître insensiblement en elle l’instinct « despotique » de l’imitation théâtrale.

1208. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

J’entends par là qu’il aperçoit mieux les idées que les hommes, les raisonnements que les passions, les intérêts sociaux que les instincts individuels. […] monsieur, quand serez-vous las d’admirer la brute dans l’homme et de faire un sort aux plus bas instincts ? […] Ce qu’il lui faut, c’est la commotion physique, immédiate… Il n’y a pas d’erreur possible, c’est l’instinct de l’ivrogne allant droit à la bouteille. […] Ce serait la plus grande folie du monde que de demander aux Russes de cesser d’être Russes, que de prétendre les faire agir contre leurs instincts, contre leurs croyances. […] Doué d’une vue clairvoyante, guidé par son instinct personnel vers les aperçus ingénieux et les hypothèses solides, mais trop enclin peut-être aux préoccupations pédagogiques, il inflige à ses yeux les besicles des savants allemands.

1209. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Son instinct profond de la vie, sa puissance de sympathie, ses dons de visionnaire, lui ont permis d’imaginer et de montrer les hommes et les choses du passé avec des couleurs qui donnent l’illusion de la réalité. […] Il y a chez lui des retours, des ressouvenirs du romantisme qui régnait encore au temps de sa jeunesse, mais ses instincts étaient classiques, comme le montre la préférence qu’il accordait à Musset sur Hugo et Lamartine. […] Toutefois, bien que ses lectures fussent presque toujours, jusqu’en 1822, des lectures d’auteurs classiques ou de philosophes, un instinct secret le détournait des spéculations métaphysiques pour le tourner vers la philosophie du langage, l’histoire des idées, la philosophie de l’histoire. […] Il montre l’humanité comme l’individu passant de la spontanéité à la réflexion, de l’instinct à la raison, de la fatalité à la liberté. […] Ce don, c’est l’instinct vague, immense, que la réflexion précise et retient bientôt, de sorte que l’enfant est de bonne heure questionneur, épilogueur et tout plein d’objections.

1210. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Je ne prétends point que ce soit en lui méthode, projet, réflexion ; mais instinct, pente secrète, sensibilité naturelle, goût exquis et grand. […] Pourquoi, me disais-je, les mots les plus généraux, les plus saints, les plus usités : loi, goût, beau, bon, vrai, usages, mœurs, vice, vertu, instinct, esprit, matière, grâce, beauté, laideur, si souvent prononcés, s’entendent-ils si peu, se définissent-ils si diversement ?

1211. (1902) Le critique mort jeune

Chez lui la Philosophie de la Connaissance est parvenue à déjouer tous les pièges que prépare l’Instinct vital ; on reconnaît, à cette distinction, l’influence de Nietzsche qui, probablement, n’a rien introduit de bien nouveau chez nous (on sait à quel point il était nourri de la pensée française), mais qui est venu à temps pour préciser et affermir des tendances communes à M. de Gourmont et à quelques autres écrivains de sa génération. […] Croire et dire que « la vie n’a jamais besoin d’être systématiquement réglée » et que « le sentiment suffit pour nous conduire » ; croire et dire que l’homme trouve dans son sens propre toutes les inspirations bonnes et salutaires, croire et dire que l’individu, d’une perfection originelle, vaut infiniment mieux que la société, qu’il est non seulement indépendant d’elle, mais meilleur qu’elle ; que, loin qu’il lui doive quelque chose, c’est la société qui nuit à l’homme et qui le corrompt ; croire et dire, enfin, que l’individu, en obéissant à ses impulsions, à ses instincts, à ses sens, obéit au divin qu’il porte en lui, et que l’état de nature est supérieur à l’état de société, l’homme primitif à l’homme civilisé, de toute la supériorité de ce qui est pur sur ce qui est adultéré, du céleste sur le terrestre, ce sont ces propositions qu’Auguste Comte condamnait comme anarchiques et barbares chaque fois qu’il les retrouvait chez ses contemporains, telles qu’elles étaient sorties de la vie et des livres de Jean-Jacques Rousseau. […] Le romantique croit que l’homme est originellement bon : idée « roussienne » ; que la société, qui entrave ses instincts et ses aspirations, est une ennemie pour lui : idée « roussienne » encore ; que la passion est sainte et sacrée, le sentiment infaillible et qu’en s’y abandonnant on atteint fatalement la beauté, le bonheur, la vertu : idée « roussienne » toujours, nous l’avons vu. […] Des instincts droits, éveillés par une petite révolution sentimentale, lui font comprendre la bassesse des exemples qu’elle a sous les yeux.

1212. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Je conçois fort bien au Nord ou au Midi plusieurs populations travaillant, par un instinct d’ignorance et de nécessité, à déconstruire cette belle langue latine, abrégeant les mots, supprimant les désinences mobiles qu’ils ne savent plus employer, étayant la phrase par des termes auxiliaires. […]  » Au milieu des phrases les plus incorrectes, et de la plus bizarre confusion des cas, un instinct de clarté, déjà tout moderne, ramène sans cesse l’emploi de ce mot. […] Au contraire, dans ces chevaliers poëtes, dans ces hommes de guerre qui chantaient la passion des armes, tout ce jeu d’une vie aventureuse, ce mélange de mollesse et d’instinct belliqueux, est rendu, comme il est senti, avec une vivacité qui, parfois, égale l’accent même des grands poëtes. […] Messieurs, je redescends vers la barbarie, je me dis : Pendant que ce Midi, cette Provence, cette Auvergne, ce Limousin, voyaient naître tant de poëtes ingénieux, tandis qu’une langue sonore et flexible se pliait, avec un art savant, à toutes les impressions de l’âme, et même à toutes les nuances d’un esprit de galanterie parfois subtil et maniéré, la France septentrionale était-elle dénuée de tout instinct poétique ? […] Observée d’abord dans les chansons, il semble que cette règle eut pour origine l’instinct musical.

1213. (1929) La société des grands esprits

L’instinct primitif du sens commun est la crédulité naïve ; mais le doute, même simplement provisoire et méthodique comme chez Descartes, est le commencement de la philosophie. […] Homme du moyen-âge assurément, il échappe pourtant un peu à son époque, grâce à son génie et à son instinct de poète. […] D’autres en prennent leur parti comme La Fontaine, et sortent de la vie ainsi que d’un festin, remerciant leur hôte… Ou bien, suivant d’instinct le précepte de Spinoza, ils n’y songent pas. […] De même pour la substance unique et infinie, avec son infinité d’attributs (dont nous ne connaissons que deux, l’étendue et la pensée), se manifestant chacun par une infinité de modes, etc… C’est une belle construction idéologique, un magnifique palais d’idées, et d’ailleurs tous ceux d’entre nous qui ont l’instinct philosophique tendent à ne concevoir l’univers que comme unité et ses lois comme générales et nécessaires ; mais enfin tout cela nous paraît relever de l’hypothèse, et les preuves de Spinoza ne sont plus de celles qui nous convainquent sans réplique. […] Cependant Spinoza connaît la faiblesse du vulgaire, et admet que le repentir, l’humilité, la douleur, la superstition même lui soient utiles pour réprimer ses excès ou ses mauvais instincts.

1214. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

Grâce à lui, nous pouvons, sans abdiquer la raison ni nous mettre en dehors des conditions de la recherche scientifique, rester unis de cœur à nos aïeux chrétiens, respecter en nous-mêmes le souvenir de nos croyances et la survivance de l’instinct religieux, et garder pour ainsi dire notre âme intacte avec toutes ses obscures puissances et tous ses besoins hérités. […] Il porte en lui un instinct qui le fait se défier (en quoi il a raison quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent) des nouveautés préméditées et annoncées, des raffinements de dilettantes, des « cénacles » et des « tours d’ivoire ». […] Notre profonde insouciance touchant la vie hypothétique des autres planètes fait partie de l’instinct de conservation de la planète Terre. […] Sa vertu est faite moitié de raison et moitié d’un instinct hérité, car elle est fille de braves gens. […] Pourtant elle dit quelque part : « J’ai tué dans mon cœur beaucoup de sentiments très doux, mais en tâchant d’épargner la bonté. » Or, où donc est la bonté, même la bonté stoïque et désenchantée, — je ne parle nullement d’instinct maternel, — dans l’entier abandon qu’elle a fait des deux pauvres petites innocentes à un père évidemment incapable de les bien élever et de les faire heureuses ?

1215. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Peut-être pourrait-on, jusqu’à un certain point, étendre cette remarque aux femmes de tous les pays, Conservatrices et timides par instinct, gardiennes naturelles de la famille et de l’héritage, elles se méfient de l’inconnu et se cramponnent involontairement à la tradition. […] dans ce moment qui est la confusion même pour la raison, l’instinct de l’âme humaine établit avec une exactitude infaillible la balance entre la peine et le bonheur qui l’attendent au réveil. […] Craint-on sérieusement qu’elle n’abuse de son influence pour les enflammer d’un zèle indiscret et d’un enthousiasme dangereux pour les choses que la jeunesse aime, ou aimait, d’instinct ? […] « Aujourd’hui, dit-il avec une impartialité qui étonnera bien des lecteurs, elle a rencontré un homme intelligent et honnête, mais très exalté, sans expérience, et, je le crains, sans principes suffisants pour faire triompher les bons instincts. » Je sais que le lien mystérieux qui unit parfois ceux qui ont aimé ensemble, comme l’écrivait ce bon Kestner à son ami Goethe, est moins rare qu’on ne pourrait le croire ; mais Valvèdre pousse, en conscience, cette sympathie trop loin. […] Billault prononcer un discours dans une intention expresse de conciliation et dire : « Toutes les nations n’ont pas les mêmes besoins ni les mêmes instincts.

1216. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Sans doute, l’art ne va point chercher dans la philosophie ses instincts et ses doctrines ; nous voulons seulement constater que la formation des idées tient à l’histoire intellectuelle du genre humain, à son développement ; qu’une idée-mère a sa génération presque fatale, et qu’elle se produit de haut en bas de l’échelle des concepts, avec des différences sans doute, mais jamais sans le signe analogique de son origine. […] Honnête dans ses conceptions, simple d’instinct, bien moins sensuel que ses devanciers et que les romantiques eux-mêmes, la santé, la sincérité, la droiture d’esprit, me paraissent être les principaux attributs de ce protestantisme littéraire et artistique. […] Voyez seulement ce qui se passe. — Je suppose qu’un Patouillet, ivre de fiel, en ruminant ses haines bilieuses, s’autorise du nom de Dieu comme d’un projectile de bonne guerre, pour lancer à pleines mains la fange de son ruisseau à la face de toutes les gloires dont un pays s’honore ; — c’est assez, cet homme s’est acquis la réputation qu’il lui faut, une réputation appropriée à ses instincts.

1217. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Nous sommes aujourd’hui de l’avis justement opposé : nous pensons que la nature n’est pas insensible, qu’elle n’est pas indifférente ; nous le pensons, nous faisons mieux que de le penser : cette opinion est devenue chez nous une sorte d’instinct. […] Alfred de Musset n’est pas l’écrivain qu’on prend lorsqu’on veut trouver, exprimer quelques-unes de ces grandes idées, quelques-uns de ces nobles sentiments auxquels se rattache sans cesse l’humanité ; ces grandes idées, ces grands sentiments, c’est chez d’autres qu’il faut aller les chercher ; et chez Alfred de Musset, — il faut en être bien prévenu, — ce qu’on peut trouver, ce qu’on trouvera dans son œuvre et dans la partie de son œuvre même la plus profonde, c’est uniquement la tristesse désespérée d’une âme qui s’abandonne tout entière aux suggestions de l’instinct, aux ravages de la passion. […] Je ne dis pas du tout que Victor Hugo l’ait fait exprès, — bien loin de là ; mais c’était un très grand artiste, et justement, l’artiste, inconsciemment, d’instinct, fait ce qui est le plus artistique.

1218. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Le général Bonaparte appréciait Ducis et avait du goût pour lui ; il l’aimait pour son instinct nouveau, pour ses éclairs de génie et ses élans hors de la routine, pour sa simplicité biblique dans Abufar.

1219. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Né dans la zone méridionale de la France, il savait d’instinct les langues et les poésies du midi.

1220. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

De ce que tu te reconnais en eux à première vue, de ce que tu les aimes d’instinct, de ce que, toi et eux, vous vous entendez sans apprentissage et sans effort, de ce qu’ils sont de la maison enfin, ce n’est pas du tout une raison pour les moins considérer et les faire descendre dans ton estime.

1221. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Comme à l’ordinaire, je cache tout, ne pouvant obéir qu’à mon instinct d’aimer. — Si j’étais libre de suivre celui de mère, je changerais tout le régime adopté, et dès longtemps, je crois, j’aurais rétabli l’harmonie dans ce corps chéri, qui semble se dissoudre d’une maigreur désespérante, d’une faim étrange et jamais contentée, malgré quatre repas abondants et un bon sommeil souvent.

1222. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

— Instincts de nivellement. — Besoin de domination. — Le Tiers décide qu’il est la nation. — Chimères, ignorance, exaltation.

1223. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

L’organisation et le système nerveux, en se transformant chez eux, amènent tour à tour sur la scène deux et trois personnes morales dans le même individu : dans la chrysalide, dans la larve et dans le papillon, les instincts, les images, les souvenirs, les sensations et les appétits sont différents ; le ver à soie qui file et son papillon qui vole, la larve vorace de hanneton avec son terrible appareil d’estomacs et le hanneton lui-même, sont deux états distincts du même être à deux époques de son développement, deux systèmes distincts de sensations et d’images entés sur deux formes distinctes de la même substance nerveuse. — Si un sommeil pareil à celui de la chrysalide nous surprenait au milieu de notre vie et si nous nous réveillions avec une organisation et une machine nerveuse aussi transformées que celles du ver devenu papillon, la rupture entre nos deux personnes morales serait visiblement aussi forte chez nous que chez lui. — Le lecteur voit maintenant les suites infinies de cette propriété des sensations et des images que nous avons appelée l’aptitude à renaître ; elle assemble en groupes nos événements internes, et, par-dessus la continuité de l’être physique que constitue la forme permanente, elle constitue, par le retour et par la liaison des images, la continuité de l’être moral.

1224. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Héros qui sauvèrent Paris et l’Europe gratuitement, par l’instinct de la bravoure et de la société, et que la société sauvée a récompensés par un indigne oubli de leurs services !

1225. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Je ne crois pas qu’il y ait à tirer de sa vie un seul acte de volonté : des élans d’instinct, des sursauts de passion, tout au plus.

1226. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Frédéric Mistral Je ne suis pas en situation de faire une réponse établie sur des faits, seulement je suis convaincu d’instinct que l’esprit français et la langue de France, fils et fille du latin, du latin littéraire autant que populaire, ne peuvent que s’anémier en se privant de boire, comme c’est leur tradition, à leur source naturelle.

1227. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Zola, lui, fut sauvé par un merveilleux instinct d’écrivain — le roman symbolique édifiera son œuvre de déformation subjective, fort de cet axiome : que l’art ne saurait chercher en l’objectif qu’un simple point de départ extrêmement succinct.

1228. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

ou du corps dont les instincts sont si clairs et si impérieux ?

1229. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Ayant ainsi préféré par instinct tous à quelques-uns, j’ai eu la sympathie de mon, siècle, même de mes adversaires, et cependant peu d’amis.

1230. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Ceux qui ont étudié la Métaphysique de l’Amour savent que Schopenhauer ramène toute manifestation de l’amour aux instincts sexuels.

1231. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Les instincts bruts, les ruts sauvages démuselés s’y déchaînent ; la ménagerie qu’il y a au fond de toute foule humaine, est lâchée.

1232. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

D’autre part, ses instincts sérieux, réfléchis, se développaient avec les années ; il y avait bien des points où il atteignait à la profondeur ; il se flattait d’arriver à la sagesse, au stoïcisme, à l’indifférence supérieure qui ne laisse plus de prise aux choses.

1233. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

Nul n’avait été organisé plus délicatement pour l’exercice de cette faculté, à la fois d’instinct et de raisonnement.

1234. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Selon lui, il faut acquiescer à la souffrance comme à une distinction ; Vigny insiste sur un sentiment raffiné que les grands cœurs seuls connaissent, « sentiment fier, inflexible, instinct d’une incomparable beauté, qui n’a trouvé que dans les temps modernes un nom digne de lui ; cette foi, qui me semble rester à tous encore et régner en souveraine dans les armées, est celle de l’Honneur. » Une autre idée chère à Vigny, et d’inspiration pessimiste, c’est que le génie, qui semble un don de Dieu, est une condamnation au malheur et à la solitude ; lisez Moïse et les épisodes de Stello.

1235. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Le héros est plus dans la main du poëte qui s’est affranchi du passé ; mais il y a peut-être aussi une couleur un peu moins réelle, parce que l’art ne peut jamais suppléer entièrement à la vérité, et que le spectateur, lors même qu’il ignore la liberté que l’auteur a prise, est averti, par je ne sais quel instinct, que ce n’est pas un personnage historique, mais un héros factice, une créature d’invention qu’on lui présente.

1236. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Pour savoir, non plus ce qui est, mais ce qui est désirable, c’est aux suggestions de l’inconscient qu’il faut recourir, de quelque nom qu’on l’appelle, sentiment, instinct, poussée vitale, etc.

1237. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

VI, § 8], c’est aussi qu’un instinct secret nous dit qu’elle est la plus rationnelle des associations : l’âme se plaît aux sons parce qu’elle retrouve en eux sa propre essence242.

1238. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Il n’y a pas de conversion dans le critique, il y a de l’élargissement, de la franchise d’ailes, de l’élan par en haut, enfin tout le bénéfice des années, naturel dans un homme qui n’a pas la métaphysique de sa critique, mais qui s’en passe quelquefois, à force d’instinct sûr et de vive sensibilité.

1239. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

En la peignant comme Boucher l’aurait peinte, il a cessé d’être grave ; il a été passionné, tendre, approbateur, courtisan, justaucorps bleu ; il a trouvé tout exquis ou à peu près… Et quand (ce qui est rare) le vieux instinct de l’écrivain politique ou du moraliste chrétien s’est réveillé, et qu’il a fallu, sous peine de se renier soi-même, blâmer quelque chose dans cette société qui, après tout, a quelquefois de de grisantes odeurs de cloaque et d’effroyables réalités, il n’a pas appuyé, il a glissé, un mot a suffi, et il est retourné vite au bonheur de ses admirations.

1240. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Quand il fit son dernier cours de philosophie, il insulta à l’originalité de l’homme, soit dans ses œuvres, soit dans sa vie, avec une énergie pédante qui prouve à quel point il est dénué d’un des plus profonds instincts de l’artiste.

1241. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Quand nous avons vu récemment se produire, au sein des Chambres britanniques, une si bonne et si enthousiaste disposition vers le Saint-Père, les hommes d’État, les hommes à vue longue, avaient-ils l’instinct de la situation que leur créerait immédiatement une entente profonde avec Rome ?

1242. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

L’instinct ne court pas au danger ou à la peine.

1243. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Voilà ce fier Dominique qui aime Madeleine et qui la torture savamment par l’aveu gradué et dosé de son amour ; voilà un galant homme qui compromet une honnête femme, qui résiste à toutes les supplications qu’elle lui adresse de s’éloigner ; voilà, d’autre part, cette exquise Madeleine réduite à des imprudences lamentables et chez qui on voit s’obscurcir le clair regard qu’elle promenait sur la vie ; nous assistons à ce spectacle d’une créature d’élite qui s’approche du mal jusqu’aux extrêmes limites où l’instinct, qui sauve encore, ne détruit pas toute responsabilité ; nous la voyons tourmentée, éperdue, sur le point de succomber, puis séparée à jamais de celui qu’elle a aimé, et incapable sans doute de retrouver la paix pour laquelle on la sentait faite.

1244. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Peut-être chez les hommes aussi n’y a-t-il le plus souvent, qu’ils aillent ici ou là, qu’obéissance à l’instinct naturel.

1245. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

» Et la chaire se plaint au même moment de la confusion des costumes, présage de la confusion des conditions : « C’est un bien mauvais signe que l’impossibilité, où l’on est maintenant de reconnaître la condition à l’habit97. » Diètes, États et Conciles qui interdisaient aux gens de basse origine l’or et les perles, le velours et la soie, les robes tailladées et le drap de plus d’un demi-florin l’aune, obéissaient donc, en quelque sorte, à l’instinct de conservation de l’inégalité : les privilégiés sentaient que les similitudes extérieures entraînent tôt ou tard les similitudes de traitement. — Ainsi s’explique ce fait que si souvent, dans l’histoire, l’obtention de certains droits est accompagnée de l’obtention d’un insigne, — anneau, collier ou bracelet, — comme la privation de certains autres est accompagnée de l’imposition d’une marque d’infamie, — rouelle jaune ou voile bleu.

1246. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Toutes ses paroles inspiraient cette conviction profonde et réfléchie qui est d’autant plus communicative qu’elle s’exprime avec plus de modération, et lorsqu’on voyait les rangs si pressés de ces jeunes hommes dont la foule s’assemblait autour de lui, il eût été difficile de ne pas reconnaître qu’il y avait dans ses discours quelque chose de merveilleusement adapté aux instincts de cet âge que les passions peuvent égarer, mais qui se soumet assez volontiers à une démonstration qui ait un grand caractère de bonne foi. […] Autrefois c’était un instinct, aujourd’hui c’est une science. […] Par un sûr et prophétique instinct de leur destinée, ils tremblaient qu’elle ne ressuscitât dans le monde avec la liberté ; ils en jetaient au vent les moindres racines à mesure qu’il en germait sous leurs pas, dans leurs écoles, dans leurs lycées, dans leurs gymnases, surtout dans leurs noviciats militaires et polytechniques. […] Cependant ce poëte ne songeait guère à opérer une révolution dans le monde poétique : lorsqu’il écrivit ses premiers vers, il n’avait ni système ni prétention ; c’était une intelligence où tout était instinct.

1247. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Les choses inanimées ne l’intéressent que par leurs relations avec sa propre existence : son esprit ne s’attache à démêler l’instinct des animaux que par les rapports qu’il trouve en eux avec un instinct plus complet, qu’il nomme sa raison : les images des générations passées ne le touchent qu’en ce qu’elles lui semblent les exemplaires de ses actions présentes, et des actions futures qui les suivront : il cherche dans leurs différences le perfectionnement que le temps lui promet, ou les altérations qu’il lui fait subir : enfin, la nature entière n’est l’objet des spéculations de l’homme que par le besoin qu’il éprouve d’approfondir son être particulier. […] On se souvient du temps où les professeurs de l’ancienne université préparaient une jeunesse érudite à porter des jugements rapides et sûrs : l’instruction quittait les bancs de leurs écoles pour siéger sur ceux des meilleurs théâtres ; et le parterre, alors tout plein de l’esprit de l’antiquité, portait comme par instinct les arrêts de la raison. […] C’est de là qu’on cesse d’avoir prise sur lui, et qu’on ne saurait plus le juger que d’instinct. […] Le parricide, l’inceste, le meurtre, l’empoisonnement, les ordres dictés pour le carnage, sont de tristes réalités que l’instinct de nos cœurs nous porte toujours à démentir, et dont la multitude s’efforce, autant qu’elle le peut, à repousser l’idée. […] Nous avons reconnu que la sympathie naturelle qui lie les hommes entre eux et les intéresse mutuellement à leurs destinées, distinguait la supériorité de leur espèce entre tous les animaux que sépare leur instinct particulier de tous les individus de la même race.

1248. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Où l’on voit bien qu’il est moraliste d’instinct et comme sans y songer, c’est à ceci que le conseil qu’il donne, en passant, soit à un ministre, soit à un prince, s’élargit naturellement et s’étend sous sa plume, de manière à s’appliquer à tous les hommes. […] Il a cette première qualité, qui est essentielle, de se tenir d’instinct dans les limites du genre qu’il a adopté. […] Il doit réfléchir sur lui-même, quoique ce ne soit pas où Rabelais le pousse le plus, pour connaître ses vraies forces et faire le départ des instincts qui l’en traînerai eut vers les hasards, et de ceux qui le retiennent au raisonnable et au pratique. […] On peut trouver dans Calvin les instincts de discipline ecclésiastique et les goûts de dispute et de chicane rappelant ce double caractère originel. […] Ferdinand Buisson, qui rappelle bien moins l’exaltation lyrique des prophètes que l’instinct minutieusement gouvernemental d’un Moïse.

1249. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Elle a l’instinct, le besoin du dévouement, avec un grand sens pratique, un peu amer. […] bien d’autres instincts, d’autres intérêts et d’autres drames que ceux de l’amour ? […] Vous connaissez, du reste, la parenté énigmatique, mais sure, qui lie à l’amour l’instinct de la destruction. […] Marcel continue : Car le ciel m’a donné, sans nulle ambition, Des instincts au-dessus de ma condition. […] Il a bien, dans ses meilleurs moments, cette sensibilité prompte et un peu bavarde ; il a cette ouverture d’esprit et cette inquiétude intellectuelle, cette facilité à s’éprendre des idées générales quand ce sont des idées généreuses, cette soif d’apprendre et aussi l’instinct du beau, le sens artistique.

1250. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Il me reproche de méconnaître les lois mêmes de la critique, de n’avoir pas de critérium pour juger les choses de l’esprit, de flotter, au gré de mes instincts, parmi les contradictions, de ne pas sortir de moi-même, d’être enfermé dans ma subjectivité comme dans une prison obscure. […] Ce qu’elles font, elles le font par pur instinct, en cédant aux suggestions obscures de la chair et du sang. […] Je lui en gardais, d’instinct, une sorte d’amitié. […] Mais il avait un tact exquis, le sentiment de la mesure, l’instinct de ne jamais forcer la destinée. […] Le même instinct inspire à Baudelaire, moins intelligent mais plus tourmenté, ses paradoxes sur l’excellence de l’artificiel, le tourne vers ces contrastes violents que n’a jamais la réalité nue, l’incline à ces recherches pénibles et troublantes « de créations dues tout entières à l’art et d’où la nature est complètement absente ».

1251. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Et comme il a le don de voir, comme il a l’habitude de regarder, non en spectateur indifférent, que satisfait le premier mensonge venu, mais en philosophe passionné de vérité, l’être humain aux prises avec les engrenages de ses passions, de ses instincts, et les fatalités de son milieu social, il est bien évident qu’il a dû rendre l’homme ressemblant à lui-même, et nous montrer, à l’éclatante lumière de son merveilleux talent, ce petit cloaque de boue — rose et parfumé, mais de boue — qu’est le cœur des mondains. […] Toutes les convoitises abominables qu’attire cette perpétuelle flambée d’or ; les bas instincts qu’elle rallume impérieusement même au fond des cœurs restés purs et que gagne la contagion universelle ; la complexité des intérêts contraires mis en lutte acharnée et sans merci, chacun ne songeant qu’à soi, comme dans le sauve-qui-peut d’une déroute ; le contrecoup, dans les familles, quelquefois tragique jusqu’au parricide, des passions que la fièvre de l’or déchaîne et qui mènent jusqu’à la négation de toute loi morale et sociale, cette belle société, vénale et pourrie, et pourtant si fière de se dire la gardienne des grands principes, des grands mots, des grandes blagues, tout cela vit, s’incarne en d’inoubliables figures, se circonscrit en scènes émouvantes, à chaque page, à chaque ligne. […] … Ç’a été un travail de toutes les minutes, une héroïque tension, une activité prodigieuse de tous ses mauvais instincts… Aujourd’hui, il est payé ! […] Il va le savoir ; il va bientôt connaître que le meurtre et l’amour ce sont deux instincts pareils. […] Mathieu Froment, auréolé de sa dignité de jeune père et, en même temps, accablé de ses lourdes charges de famille, prisonnier de la médiocrité d’une existence besogneuse, sans but, noble et sans avenir, rivé aux parentés patronales égoïstes et tyranniques, joyeux quand même, car il est sain et fort, inventif toujours, poète avec des instincts pratiques, homme de pensée et homme d’action, en est arrivé au moment troublant où il doit choisir entre le triste pain, durement assuré, et l’aventure.

1252. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

On sentit d’instinct dans les deux débuts l’hésitation d’un homme qui imite des théâtres étrangers et la confiance d’un homme qui croit en lui-même. […] XXI Bien qu’il eût un revenu de trente mille livres de rente, il n’avait pour son service personnel qu’une servante, pleine de bon sens et dont il interrogeait l’instinct avant de donner ses pièces.

1253. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Il avoue que dans ce temps, il n’avait aucune ambition littéraire ; seulement c’était chez lui un instinct et un amusement de tout noter, d’écrire même jusqu’à ses rêves. […] Et dans la demi-obscurité que nous avons faite, et par le bercement rapide qui nous emporte et qui semble un roulis de la mer, c’est une expansive causerie de Daudet sur les excès de sa jeunesse, causerie coupée de douleurs lancinantes qui, de temps en temps, interrompent sa parole, et lui font terminer ses confidences par ces mots : « qu’il a bien mérité ce qui lui arrive, mais que vraiment il y avait chez lui un instinct irrésistible qui le poussait à abuser de son corps ».

1254. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

On peut appliquer à Hugo ce qu’il dit d’un de ses personnages : « La mansuétude universelle était moins chez lui un instinct de nature que le résultat d’une grande conviction filtrée dans son cœur à travers la vie et lentement tombée en lui pensée à pensée. » — « Il est de ces âmes, a-t-il dit encore, où la pensée est si grande qu’elle ne peut plus être que douce195. » Il est « de ces êtres bienveillants qui progressent en sens inverse de l’humanité vulgaire, que l’illusion fait sages et que l’expérience fait enthousiastes196. » C’est ainsi, et dans son progrès, qu’il faut voir V.  […] — « Qui n’a vu que la misère de l’homme n’a rien vu, il faut voir la misère de la femme ; qui n’a vu que la misère de la femme n’a rien vu, il faut voir la misère de l’enfant. » On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne ; c’est une erreur, répond Hugo : il existe toujours ; « mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution. » Qui a vu les bas-reliefs de Reims se souvient du gonflement de la lèvre inférieure des vierges sages regardant les vierges folles. « Cet antique mépris des vestales pour les ambubaïes, dit Hugo, est un des plus profonds instincts de la dignité féminine230… » Quand il parle de la hardie fille des rues, Eponine : « Sous cette hardiesse, dit-il, perçait je ne sais quoi de contraint, d’inquiet et d’humilié.

1255. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

Cependant, la première fois qu’un peu de pollen fut transporté d’une fleur à l’autre par des insectes, agissant d’abord par hasard et ensuite par instinct, et que des croisements s’ensuivirent, bien que les neuf dixièmes du pollen de ces fleurs fussent ainsi perdus, ce fut cependant un avantage immense pour chacune de ces espèces ; il dut en résulter que les individus qui produisirent une quantité de pollen de plus en plus grande et qui eurent des anthères de plus en plus grosses, furent successivement élus. […] Mais dans la plupart de ces fleurs on remarque aussi une adaptation très curieuse entre leur structure et les habitudes ou les instincts des Abeilles qui, en suçant leur nectar, poussent le pollen de la fleur sur le stigmate, ou bien déposent sur celui-ci du pollen d’une autre fleur.

1256. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Cet homme nous possède ; nos pires et nos meilleurs instincts l’adorent, car il a fait connaître à nos aïeux, dans toute leur plénitude, la vie brutale et la vie désintéressée, l’orgueil insolent d’être matériellement les plus forts, et, en même temps, les joies du renoncement et du sacrifice, et le sentiment de quelque chose de préférable à la vie même. […] Silvestre et Morand (à tort, je le reconnais, car on peut être pieux par instinct et hérétique par ignorance), c’est le peu de sûreté de leur orthodoxie. […] Ce n’est nullement par un effet de leur intelligence, mais en grande partie par leurs ridicules physiques et par l’assurance même de leur stupidité (pourvu qu’il s’y joigne un instinct de vérité et un don d’imitation de la vie) que certains de nos bouffons les plus célèbres nous plongent dans de telles gaietés ; et 3e (cette observation-là est moins neuve encore que les deux premières) la vanité professionnelle est, neuf fois sur dix, plus forte chez le comédien que tous les autres sentiments, y compris l’amour et même l’amour « pour de bon ». […] Boubouroche y trouve surtout la satisfaction de ses instincts de sociabilité.

1257. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

S’il n’avait pas eu ce goût d’instinct pour le théâtre et ses jeux les plus divers, depuis la comédie anecdotique d’Andrieux jusqu’aux Burgraves, depuis les drames chrétiens de Hrotsvitha jusqu’aux marionnettes, on aurait droit d’être sévère sur sa qualité d’érudit ; on pourrait le définir le contraire d’un Letronne ou d’un Fauriel, et soutenir sans trop d’injustice qu’il n’y apportait aucune initiative personnelle.

1258. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

» Pindare, cité par Plutarque au Traité de l’Adresse et de l’Instinct des Animaux, s’est comparé aux dauphins qui sont sensibles à la musique ; André voulait encadrer l’image ainsi : « On peut faire un petit quadro d’un jeune enfant assis sur le bord de la mer, sous un joli paysage.

1259. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

C’est ainsi qu’ont procédé tous les écrivains dits socialistes de nos jours, avec de bonnes intentions et des têtes faibles, depuis Saint-Simon qui veut réhabiliter la chair et la boue, jusqu’à Fourier qui veut passionner l’instinct brutal et moraliser l’immoralité, pour que tout soit vertu et volupté sur la terre ; jusqu’à cet homme sans nom qui veut anéantir le fait accompli, les droits antécédents et le travail de cinq ou six mille ans dans le monde qui nous précède et nous engendre, et qui déclare que la propriété c’est le vol, et qu’il faut recommencer sans elle ; jusqu’au grand pontife des Mormons, qui recrée le harem religieux pour le plaisir de quelques prêtres de la population, et traîne des troupeaux de femelles à la suite du mâle dans les steppes des États-Unis d’Amérique, ce pays vacant et pratique de toutes les absurdités impraticables et bientôt punies, je l’espère.

1260. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Il y a là quelque chose qui fait qu’on y attache fort les yeux, quand ce ne serait qu’un brin d’herbe. » Quel instinct de notre immortalité dans ces paroles !

1261. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

Ce que je sais sous ce rapport me vient presque d’instinct, d’inspiration, comme la poésie, et m’a suffi pour paraître convenablement partout.

1262. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

La tolérance la plus large était plus que sa loi, c’était son instinct, son caractère.

1263. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Mais, si quelques-uns de nos meilleurs prosateurs (citons Montaigne, Montesquieu, Rivarol) sont des méridionaux, peut-être que cette spontanéité qui est nécessaire à la poésie, et qui fait qu’elle est plus une chose d’instinct que de raison, ne peut s’épancher que dans une langue dont les sons, la construction ont été mêlés à notre vie familière en ces années d’enfance où nous apprenons à sentir.

1264. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

On a connu des voyants de l’histoire qui par une sorte d’instinct ont su deviner des faits oubliés ou cachés, dont ils auraient été parfois bien embarrassés de démontrer la réalité que l’avenir cependant a mise hors de doute.

1265. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Les sociétés ont un tel instinct d’ordre et de conservation, qu’en les menant au bord de l’anarchie on est sûr de les faire reculer dans le despotisme.

1266. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Bon pour faire brillamment une classe, Villemain voulut un jour aborder l’histoire et il ne comprit rien à celle de Grégoire VII, sous laquelle sa minceur d’homme de lettres resta écrasée… Pas plus d’instinct que de réflexion, Villemain ne va à ce qui est supérieur et grand, et pas plus dans l’ordre de la parole, qui est son domaine, que dans l’ordre de l’action, qui ne l’est pas… Chose à remarquer !

1267. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Mais, en l’y plaçant, l’auteur a obéi aux instincts qui l’entraînent dans la description des choses basses, que son coup de pinceau, comme celui des grands maîtres, ne relève jamais.

1268. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Or, le retour à la première manière est presque toujours un progrès dans un homme, car la première manière est la vraie ; elle est d’instinct pour les facultés, quelle qu’en soit la force ou la faiblesse.

1269. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Tous ces sentiments cachés, fils non encore redressés de l’instinct, qui s’agitent au plus profond de nous, que nous taisons soigneusement et que nous ne nous avouons pas toujours à nous-mêmes, Euripide les saisit et les tire à la lumière. Et j’imagine qu’il prend à cette sorte de dénonciation de nos cœurs un plaisir de vive ironie, non pas toujours âpre pourtant, mais plutôt attendrie d’indulgence, et tempérée par ce sentiment qu’il faut accepter la vie tout entière, avec ses conditions inéluctables, dont une des premières est l’instinct de conservation et l’égoïsme de tout être vivant. […] Comment cédera-t-il, sans déchoir, aux instincts les plus impérieux des sens, dont le cœur se fait complice, avant qu’il puisse légalement les satisfaire ? […] Les plus justes révolutions s’entrcprennent, en apparence, au nom d’idées fort généreuses, mais sont faites par des instincts déguisés en croyances, par des instincts qui se découvrent à eux-mêmes une cause finale qui les absout, ou, plus clairement, par des instincts qui se rêvent désintéressés.

1270. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Et voilà un in media res très heureux, sans que j’y trouve un trait de génie ; mais voilà déjà un trait d’instinct dramatique. […] Il a continué à obéir ses instincts romantiques et il a été comme un peu intimidé par un reste de classicisme. […] Supposez Henriette moins aimable et moins spirituelle, et n’ayant que ses « bonnes grosses qualités » : bon sens, sagesse bourgeoise et instinct du ménage. […] Il n’avait, lui, qu’à se laisser aller à son instinct pour faire, d’une part des Henri III, et d’autre part des Antony, c’est-à-dire pour traiter et pour agrandir et pour enflammer les deux formes principales de drame que les théâtres du Boulevard pratiquaient depuis trente ans et surtout vingt ans, et dont ils avaient donné des modèles. […] Or, le mariage de Jean et de Germaine, c’est l’union d’une affection douce, amicale, paternelle, où entre un peu de pitié et d’instinct protecteur, avec une passion ardente, nerveuse, fébrile, qui, naturellement, ne trouve nullement sa satisfaction dans ce que l’autre partie veut lui offrir.

1271. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Quel combat, où alternent la victoire des doctrines et la victoire du mâle instinct ! […] Ce besoin d’accomplir une œuvre d’art est le fait psychologique dont le secret me semble résider dans l’instinct même d’une sensibilité pareille à celle de Flaubert. […] Souveraine, elle savait choisir, éluder, adopter, avec un sûr instinct. […] La difficulté de mettre en œuvre une telle matière où la théologie se combine avec les instincts paysans, cette difficulté on ne l’aperçoit pas. […] Elles sont inégalement perverties ; et Mag a les plus mauvais instincts, Rosalie a des qualités d’ingénue.

1272. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Il y avait au dedans de lui un instinct de parodiste. […] Mais cet instinct de parodiste, épuré par le temps, devint plus tard chez lui, comme chez tous les parodistes qui valent mieux que leurs parodies, un goût très vif de la réalité prochaine, et ce que nous pourrions appeler de nos jours une tendance au naturalisme. […] Ce n’est pas d’instinct et de pratique seulement, c’est dans son principe en effet, qu’il connaît cet art difficile de l’observation morale. […] C’est la vitesse même de l’improvisation, ou plutôt de l’inspiration ; et, à défaut de calcul ou d’art, c’est l’instinct même des lois de la composition. […] Et cependant ici encore, avec un singulier instinct du romanesque de l’histoire et un bonheur de choix tout à fait remarquable, Prévost a comme indiqué du doigt à Walter Scott le cadre de son Ivanhoé et à Bulwer le milieu de son Dernier des barons.

1273. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Je ne veux pas humilier mon pays ; il a l’instinct de ce qui est noble, grand et élevé ; — mais son organisation sociale l’amoindrit ! […] Par l’instinct de l’équilibre moral, qui fait que toute créature, à son insu, tend incessamment vers son milieu, le poète fuyait la société de ses pairs qu’il jugeait assurément aussi malades que nous pouvions le trouver lui-même. […] Il adressa un jour à Théophile Gautier la lettre suivante : « Mon cher ami, je suis sans inquiétude pour le présent ; j’ai sept francs et quelques sous dans ma poche, mais je ne te cacherai pas que l’avenir commence à me préoccuper. » Avec ses instincts d’oiseau voyageur et cette insouciance absolue du bien-être et du confortable, il avait par accès des goûts de luxe ; l’argent d’un travail littéraire, il le consacrait alors, sans garder souvent de quoi payer le dîner du jour, à l’acquisition d’un meuble, d’un vase, d’un tableau de prix.

1274. (1885) L’Art romantique

La gamme des tons et l’harmonie générale sont strictement observées, avec un génie qui dérive plutôt de l’instinct que de l’étude. […] C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. […] C’est de cette facilité à souffrir, commune à tous les artistes et d’autant plus grande que leur instinct du juste et du beau est plus prononcé, que je tire l’explication des opinions révolutionnaires de Wagner. […] L’instinct dramatique, qui occupait une si grande place dans ses facultés, devait le pousser à se révolter contre toutes les frivolités, les platitudes et les absurdités des pièces faites pour la musique. […] Je plains les poëtes que guide le seul instinct ; je les crois incomplets.

1275. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Vous démêlerez dans la religion les hautes vérités que les dogmes offusquent et les généreux instincts que la superstition recouvre. […] Il trouve en eux tous nos instincts.

1276. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Macaulay porte dans les sciences morales cet esprit de circonspection, ce besoin de certitude et cet instinct du vrai qui composent l’esprit pratique, et qui, depuis Bacon, font dans les sciences le mérite et la puissance de sa nation. […] La vérité est qu’il est orateur, et orateur à la façon de son pays ; mais comme il possède au plus haut degré les facultés oratoires, et qu’il les possède avec un tour et des instincts nationaux, il paraît suppléer par elles aux facultés qu’il n’a pas.

1277. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Quinet ne cédait pas au plaisir puéril de répéter des paroles sonores, il obéissait à l’instinct impérieux de sa pensée ; il voyait dans l’ouvrage du poète allemand l’image fidèle de tous les chants qu’il avait rêvés. […] Par un merveilleux instinct, il comprend que la pauvre fille ne demande qu’à se livrer, mais qu’elle attend, pour ouvrir les portes, une première sommation : aussi les contretemps ne l’effraient pas, il poursuit, sans impatience et sans dépit, le but qu’il a marqué ; les obstacles, au lieu d’abattre ses forces, ne font que les doubler ; il a résolu de posséder Agnès, il la possédera ; les mains jalouses qui les séparent seront impuissantes à empêcher leur réunion. […] En avertissant une institution qui se ruine, nous cédons à l’instinct du bon sens. […] Amélie, dont les yeux se dessillent par un instinct mystérieux, se résout à dérober un portefeuille de son mari. […] n’y a-t-il pas chez lui un secret instinct pour l’avertir qu’il est près de sa fille ?

1278. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

il y a une grande injustice à composer une Histoire de la Littérature française sous la Restauration avec des hommes et des œuvres qui ont appartenu à l’Empire et à la première révolution ; il y a une injustice non moins grande à écrire une Histoire de la Littérature française sous la Restauration avec des œuvres, avec des hommes, avec des passions, des instincts et des volontés qui ont appartenu à la révolution de Juillet. […] La province juge avec son esprit et avec son instinct, pendant que Paris juge avec son esprit tout seul ; la province a douze heures par jour à donner à chaque gloire nouvelle, onze heures et demie de plus que Paris. […] » Tel était le chef de cette famille abandonnée à ses bons instincts, depuis que la mère était morte, au commencement des années sombres, emportant avec elle la vraie et sincère fortune de tous ces êtres de sa tendresse, que le bon Dieu lui avait confiés ! […] Jean Monteil n’a pas pleuré, j’imagine, au retour de cet enfant prodigue ; il le savait tendre et bon, honnête et timide, chaste et loyal, et il l’abandonna à ses bons instincts. […] Mais aussi plus l’œuvre est grande, plus elle demande d’instinct, de science, d’esprit et de cœur.

1279. (1864) Le roman contemporain

On s’est demandé comment on pourrait réveiller la curiosité endormie, quels étaient les instincts qu’on avait le plus d’intérêt à flatter, les passions auxquelles il fallait complaire, les faiblesses qu’il fallait courtiser. […] Châtelaine dans le Derry, cette grand’mère est aristocrate par condition, par instinct, par nature ; sa mère, fille d’un marchand d’oiseaux, est plébéienne et parisienne de sentiments, d’idées, d’habitudes, de manières, trop parisienne en vérité, et elle a des précédents qu’elle ne cache pas, même à sa fille. […] Chrétienne par le baptême, musulmane par les instincts et les souvenirs, cette chrysalide accomplit lentement sa transformation, grâce à l’influence bienveillante de la marquise, qui réveille l’âme endormie dans ce beau corps. […] Du moins peut-on lui rendre le témoignage que, spiritualiste par instinct, il résista à cette tendance de notre époque qui a entraîné tant d’esprits vers un sensualisme abject. […] À la pointe du jour, Jean Valjean se sent réveillé par un instinct de proie.

1280. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Il y a plusieurs formes pour la satire, c’est au poète seul qu’il appartient de choisir entre ces formes de valeur diverse ; selon l’instinct de sa pensée, selon ses habitudes sociales, selon la trempe de son caractère, il se décide pour l’une ou pour l’autre. […] Cette jeune fille, qui s’éprend d’un argentier jeune et beau comme elle, et qui ne voit à son amour d’autre dénouaient que le bonheur de celui qu’elle aime, qui n’hésite pas un seul instant à se donner, qui obéit à l’instinct de sa passion comme à un ordre divin, excite chez le poète un regret plein d’amertume. […] Sue, en substituant la biographie à l’histoire, a cédé à un instinct de paresse. […] Par un instinct de conservation qu’il oubliera plus tard, ou du moins qu’il ne voudra plus entendre, il descend des hauteurs solitaires de sa rêverie, et consent à discuter avec ses amis la valeur et la probabilité de ses opinions.

1281. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

., Mais le prêtre, refusant de céder à l’esprit tentateur, sentant que la religion des humbles, la foi chrétienne, le fuyait, voulut, pour pousser jusqu’au bout l’épreuve, les tourner vers la foi des intellectuels, celle qu’admettent ceux qui tirent de leur raison ce que d’autres ne demandent qu’à leur instinct ; fiévreusement, il soulagea son âme en consignant dans un livre, la Rome nouvelle, toutes les pensées qui lui étaient venues pour rendre acceptables des mystères, des dogmes qui lui semblaient d’abord révolter la raison ; il rêva d’un rajeunissement de l’Église et d’un nouveau christianisme qui ne serait autre que le christianisme primitif ; en un mot, l’alliance du catholicisme avec l’évolution sociale, une fusion qui en même temps sauverait l’Église en péril et fortifierait le grand mouvement qui se préparait. […] Puis, c’est : Faire sans dire, amusante critique de nos précieux ridicules de la littérature et de l’art, des raisonneurs qui ne savent pas que l’instinct prime tout, et que toutes les psychologies du monde s’épuiseront à tenter de jeter une lueur sur des questions qu’un rayon de bon sens éclairera comme ferait un rayon de soleil. « Le Bon Fou », « l’Horreur du banal », « le Fainéant », sont des morceaux charmants et qui viennent à propos en ce moment de désarroi de goût et de logique. […] Il enlève sa pipe et me dit posément en détachant ses mots : « Monsieur, il fait froid. » Je réponds : « Oui, monsieur. » Il reprend : « Bientôt, on pourra, si ça continuerait, patiner. » Je rectifie d’instinct : « En effet, si ça continue, on pourra patiner. » Lui : « Je remercie la leçon. » Moi : « Je ne vous donne pas une leçon ! […] D’instinct je tournai la tête vers le maréchal comme pour le prévenir du danger qui le menaçait. […] Ils allaient de l’avant parce qu’il fallait marcher, que leur tempérament les poussait et que, s’ils ne faisaient point quelque chose, le Tribunal révolutionnaire les guettait… Ils avaient, avec l’instinct de la combativité, l’ardeur de la jeunesse, la volonté de s’illustrer et la passion de la guerre, et leur ignorance leur servait autant que leur science nuisait aux autres. » Ge qui prouve qu’alors, comme aujourd’hui, la jeunesse était une belle chose.

1282. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Le président de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, M. l’abbé Letteron, publie incessamment des documents d’archives qui permettent aux historiens de ressusciter ce « milieu » bastiais et ajaccien, où le jeune lieutenant Bonaparte, tout enfiévré de patriotisme corse et de jacobinisme français, consacrait ses loisirs à exercer, sur ses compatriotes, cet instinct de commandement, auquel la docilité de la France offrit plus tard un domaine plus étendu. […] Les mitres des évêques, les crosses, les camails et les dalmatiques offraient à son instinct pittoresque et à son génie décoratif une riche variété de couleurs, de reflets et de contours. […] Irrésistiblement attirée par les mirages de la gloire et par les énigmes de la politique, elle s’abandonna, sans réserve, à l’instinct de curiosité véhémente et jalouse qui l’entraînait sur les pas de l’homme prédestiné. […] Son instinct de juriste, sa clairvoyance de patriote, sa divination de romancier ont discerné, à travers ces lignes perfides, la menace des drames cruels et des conflits tragiques qui, selon le brutal calcul du vainqueur, devaient, aussitôt après la conclusion d’une paix boiteuse, diviser l’Alsace contre elle-même. […] Ses vertus (la patience, la régularité, l’économie, la combativité, l’optimisme, l’équilibre mental, le respect de soi-même uni à l’instinct de la discipline sociale) sont les qualités moyennes de sa nation.

1283. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

Son harmonie, sa mélodie poétique, ne vinrent d’abord que d’elle, et furent tout instinct.

1284. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Fénelon eût osé davantage, au moins dans les portions de naïveté et de grâce simple : La Fontaine cheminait, mais d’instinct seulement, dans le même sens.

1285. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

C’est donc un instinct de la justice dans l’homme, par conséquent un plan divin que Dieu fait entrevoir à ses créatures.

1286. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 385-448

La chèvre laitière était tombée morte du coup, sur le corps d’un des deux chevreaux blancs qu’elle allaitait ; l’autre, blessé d’une chevrotine au cou, tout près des oreilles, perdait tout son sang et était venu se réfugier, par instinct, entre les pieds nus de Fior d’Aliza ; le petit chien, une jambe de devant à demi coupée par une balle, hurlait, en traînant sa jambe, derrière elle ; la pauvre petite, atteinte elle-même de quelques gros grains de plomb qui avaient ricoché, aux deux bras, jetait des cris déchirants, non sur ses blessures qu’elle ne sentait pas, mais sur le carnage de sa chèvre, de ses chers chevreaux et du pauvre Zampogna ; elle courait vers nous en emportant le chevreau expirant sur son sein, suivie de Zampogna qui marchait sur trois pattes et qui arrosait l’herbe de son sang.

1287. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Les hommes sentent ces périls d’instinct.

1288. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Les grands hommes, comme les grandes choses, recherchent d’instinct l’isolement.

1289. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Voilà un commencement de sage et bonne vie : mais l’instinct déjà poussait notre Villon dans une autre voie.

1290. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Lorsque les tendances de la monarchie se précisèrent dans la résistance égoïste, les instincts de Lamartine se déterminèrent aussi vers l’opinion démocratique : il écrivait son Histoire des Girondins (1817), si peu historique, toute chaude d’éloquence, illuminée de portraits prestigieux, et qui emplit les âmes d’un vague et puissant enthousiasme révolutionnaire.

1291. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

En un sens, rien de plus vrai ni de plus philosophique que la tragédie, qui nous montre les forces élémentaires, les instincts primitifs déchaînés sous la plus fine culture intellectuelle et morale.

1292. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

S’agit-il des puissances obscures et fatales de la chair et du sang, instincts, complexion physiologique, hérédité, qui nous gouvernent à notre insu ?

1293. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

On eût dit, en feuilletant cette prose, qu’il vous partait des étincelles sous les doigts… Et néanmoins, je ne sais comment, dans ses plus vives audaces, Daudet savait se garder, soit du « précieux », soit du charabia impressionniste ; il conservait un instinct de la tradition latine, un respect spontané du génie de la langue.

1294. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Le Hir fixa ma vie ; j’étais philologue d’instinct.

1295. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Les hommes d’un vrai talent de chaque époque sont toujours doués d’un instinct qui les pousse vers le nouveau, comme des voyageurs qui marchent sans cesse à la découverte des pays inconnus.

1296. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Ailleurs, il félicite La Fontaine de cet instinct poétique  et il a bien raison  c’est-à-dire de cette spontanéité poétique qui, dit Voltaire, à tort, ne semble devoir rien à l’art et qui est comme une faculté de la nature.

1297. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Malheureusement pour eux, et heureusement pour nous que cela venge de leurs publications, leur instinct de chacals est souvent en défaut, et ils se trompent en fait de lions… Mérimée, le sec et maigre Mérimée, au flanc creusé et au museau pointu, n’a, littérairement, rien du lion.

1298. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Il se fait alors un combat à outrance entre le bien et le mal, entre les instincts généreux du cœur et les faux raisonnements de la passion qui proteste. […] C’était un homme de cinquante à soixante ans, à l’expression harmonieuse, sympathique, au nez un peu allongé et trahissant des instincts de curiosité, à l’œil vif et pénétrant ; vraie physionomie d’homme de lettres, complétée par de longs cheveux qui flottaient sur le col d’un habit râpé et par un chapeau gris qui paraissait avoir subi bien des orages. […] Chez Lamartine ce code ne fut point révolutionnaire et tapageur comme chez Victor Hugo : « D’abord la nature », dit l’auteur des Confidences, « puis l’imagination, puis la piété, puis l’amour, me donnèrent les premiers instincts, puis les premières leçons de poésie. […] Par un sûr et prophétique instinct de leur destinée, ils tremblaient qu’elle ne ressuscitât dans le monde avec la liberté ; ils en jetaient au vent les moindres racines à mesure qu’il en germait sous leurs pas, dans leurs écoles, dans leurs lycées, dans leurs gymnases, surtout dans leurs noviciats militaires et polytechniques. […] « Antony fut au théâtre une des personnifications les plus éclatantes de ce système ; héros vaniteux et déclamateur, homme sans loi et sans cœur, plein d’une haine féroce contre la société, chez qui la passion a l’accent de la fureur, chez qui l’amour rugit comme un instinct sauvage, et qui, acharné à sa proie jusqu’à la persécution et presque au viol, couronne son œuvre de brutalité par l’assassinat ! 

1299. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Houssaye est, précisément, de raviver son instinct de la vie par le commerce et le contact avec le document, et d’en venir à parler de 1815 comme en aurait parlé, en 1815, un homme qui aurait su tout ce qui se passait avec certitude et qui en aurait discouru avec passion et avec angoisse. […] Il a présenté le menteur par instinct, corrigé et devenant un menteur par besoin, par intérêt, par occasion et par circonstance. […] Du reste, il a surtout l’instinct polémique et son livre, lui aussi, est surtout négatif. […] répondaient, d’instinct, presque tous les membres. […] Leur joie de vivre joue quelques tours à leur bon sens, qui est solide, et à leur instinct de la civilisation qui, je crois, est encore un peu obscur, mais qui est droit.

1300. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Par instinct ou par prétention, le public déprécie volontiers les livres qu’il dévore ; il se plaît à dédaigner l’écrivain qu’il paie grassement et à médire du seul genre de talent qui fasse impression sur son esprit ; mais en attendant, si Malfilâtre, au lieu de faire des feuilletons sans valeur, s’obstine à vouloir créer un livre véritable, Malfilâtre mourra de faim aujourd’hui plus sûrement encore qu’autrefois. […] Nous serions prêts à admettre que l’instinct du poète doit le renfermer dans l’intime partie de la nature, lui faire envisager l’âme humaine comme son meilleur domaine, et le rendre tellement sensible aux phénomènes de la vie, qu’il ne lui reste point de loisir pour relever les détails ajoutés de la main des hommes.

1301. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Eux aussi croient connaître assez l’homme, ses mobiles intérieurs, ses motifs secrets d’action, ses passions, ses instincts ; et ils ne s’attachent en tout, comme Voltaire, qu’à la peinture des mœurs. […] Autant donc l’esprit classique avait en général témoigné de juste défiance de l’instinct et des passions, autant au contraire l’esprit encyclopédique a mis en eux de confiance insolente et cynique. […] celui de l’ancienne morale, dont le principe était de substituer en nous des motifs généraux d’action à l’impulsion personnelle de l’instinct ?

1302. (1911) Études pp. 9-261

Sa présence dans la voie, qui lui est indiquée par son instinct et son tempérament, est essentielle à la perfection du drame. […] Le poison de Lechy corrompt Louis Laine ; il réveille en lui ce vieil instinct de liberté, de désobéissance à la vie, qui dort au cœur de tout homme. […] Comme l’orchestre wagnérien il semble vouloir emplir à chaque instant une forme invisible. — Mais Wagner, que guide un profond instinct dramatique, sait fléchir sa tension ; il sait l’art de préparer en atténuant ; parfois il cède un peu de sa ressource pour ménager une éclosion ; sa richesse, ayant une autre fin qu’elle-même, parfois s’oublie et consent à montrer un visage terne. […] * *    * Mais si infaillible et si exacte qu’en soit la sinuosité, le musicien n’a pas voulu indéfiniment se confier à la divagation de ses sens ; il est devenu jaloux de son instinct.

1303. (1888) Études sur le XIXe siècle

D’instinct, il se méfie des idées abstraites, qui séduisent si fort son ami Holman Hunt, et tout aussi spiritualiste que lui dans son art, il est pourtant d’un symbolisme moins exclusif. […] Dès leurs débuts, nous les voyons chercher leurs sujets dans la poésie et s’imprégner de poésie, chacun choisissant d’instinct les poètes qui lui conviennent le mieux. […] L’héroïne de Passion maudite, par exemple, est, au début, honnête dans le meilleur sens du mot, n’a pas de mauvais instincts, pas d’hérédité fâcheuse. […] C’est une bonté qui ne vient pas de la volonté, — c’est un instinct de paix et d’harmonie, — c’est une douceur que ma mère — a répandue dans mes os et dans mes veines. — Oh !

1304. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Ces enfants de ses sœurs montrent bien de quelle race fortement constituée et prédestinée à l’action il était issu ; la plupart des nièces nous représentent bien cette race en tout ce qu'elle avait de non altéré et de genuine, comme disent les Anglais, la force sacrée du sang, comme diraient les Grecs, la noblesse naturelle avec de terribles instincts d’aventures.

1305. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Si parfois le propriétaire les transporte à l’étage inférieur, il ne s’en sert qu’à demi ; des habitudes établies, des intérêts ou des instincts antérieurs et plus forts en restreignent l’usage.

1306. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Cet instinct, qui faisait ainsi reconnaître au duc de Weimar le plus grand homme de l’Allemagne dans un jeune écrivain à peine entrevu par une première ébauche de génie, témoigne d’une sorte de divination dans le prince.

1307. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Elle ne lui gardait pas de haine dans sa chute ; mais elle haïssait l’autorité de ses exemples, la corruption funeste qu’ils avaient répandue, et cette doctrine de la fatalité, du mensonge et de la force qu’elle sentait et qu’elle prévoyait survivante après lui ; avec quelle admiration curieuse nous l’avions encore entendue remuer tant de questions naguère interdites et comme inconnues en France, les principes de l’ancien droit public de l’Europe, les causes populaires de la victoire actuelle des droits coalisés, le travail tardif et la solidarité pour longtemps indissoluble de la coalition, les instincts différents et pourtant compatibles des monarques héréditaires et des parvenus au trône, d’Alexandre et de Bernadotte ; enfin le génie collectif et pourtant inépuisable de l’Angleterre pouvant au besoin se passer du hasard d’un grand homme pour faire de grandes choses, et, forte d’une institution qui lui fournit toujours à temps des hommes résolus et capables, achevant, par la ténacité de lord Liverpool et de lord Castelreagh, ce qui avait consumé le génie et l’espérance de Pitt !

1308. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Il était né avec des instincts pervers et désordonnés qui portent indifféremment, d’exploits en exploits ou de forfaits en forfaits, un homme au trône ou à l’échafaud.

1309. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Fut-elle, comme on n’a pas cessé de l’écrire, une simple impiété, impiété non-seulement anti-chrétienne, mais anti-divine, confondant dans un même scepticisme et dans un même sacrilége toutes les manifestations religieuses, qui sont l’instinct le plus sublime, le besoin le plus intellectuel, et l’aspiration la plus sainte de l’humanité ; en un mot, Voltaire fut-il athée ?

1310. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Oui, le talent, qu’on le définisse comme Fontenelle et Lamotte, instinct, partie animale du génie, opération involontaire, — ils ont dit tout cela, — qu’on le ravale jusqu’au mécanisme de l’abeille pétrissant son alvéole, le talent est ce qui fait le poète.

1311. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Les inventeurs et les découvreurs suivent de tout autres instincts.

1312. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Je lui dois beaucoup ; mais l’instinct d’apprendre qui est en moi et qui fera, j’espère, que j’apprendrai jusqu’à l’heure de ma mort, ne me permettait pas d’être de sa bande.

1313. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Ce n’est pas sans doute un hasard si avec ces plébéiens, qui ont lutté, peiné, souffert, apparaissent un langage plus rude, des passions plus ardentes, des instincts de révolte et des tendances égalitaires.

1314. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

D’abord le motif religieux apparaît calme, profond, à lentes palpitations, comme l’instinct du plus beau, du plus grand de nos sentiments, mais il est submergé peu à peu par les insinuantes modulations de voix pleines d’énervantes langueurs, d’assoupissantes délices, quoique fébriles et agitées : agaçant mélange de volupté et d’inquiétude !

1315. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Wagner a écrit quelque part qu’on pouvait juger Tristan d’après les lois les plus rigoureuses qui découlent de ses affirmations théoriques, — tant il est sûr de les avoir suivies d’instinct, — mais il avoue qu’il s’était, en composant, affranchi de toute idée spéculative et qu’il sentait même, à mesure qu’il avançait dans son œuvre, combien son essor faisait éclater les formules de son système écrit. « Il n’y a pas, ajoute-t-il avec quelque nuance de regret, de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue en composant mon Tristan. » Il en fut de même, à ce qu’on peut croire, quand il termina l’Anneau du Nibelung, interrompu pour Tristan, et quand il écrivit les Maîtres Chanteurs et Parsifal.

1316. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Le morceau a été rendu avec cet admirable et unique instinct des œuvres artistiques que possède M. 

1317. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

Mais son infaillible instinct d’artiste et de poète lui a fait comprendre que la question de la destinée humaine, le désir d’une existence renouvelée, réparatrice de tous nos maux, la soif de la vérité, de la justice et de l’amour, étaient les grandes, les principales sources de poésie.

1318. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Henri de Régnier, sans préoccupation de thèse, a principalement cultivé l’art de conter selon l’instinct français de l’élégance, en y mêlant ce quelque chose d’alerte, de spirituel, de gracieux et même d’impertinent qui est né au xviiie  siècle.

1319. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Subtil, il se refuse aux argumentations des pédagogues, il répudie l’instinct dans l’art et semble l’estimer néanmoins.

1320. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

Oui, Celle-là (serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission, à ses pieds d’inconsciente révélatrice, ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures un jeu de ses chaussons de satin pâle et vertigineux, la Fleur de ion poétique instinct n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont son sourire paraît verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un Signe, qu’elle est.

1321. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

De nature et d’instinct, le génie de M. 

1322. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

À ce moment apparut dans toute sa netteté la suggestion que les deux artistes avaient graduellement enfoncée dans l’imagination des spectateurs : « Nous allons devenir, nous sommes devenus des mannequins de bois massif. » Un obscur instinct peut faire pressentir ici à des esprits incultes quelques-uns des plus subtils résultats de la science psychologique.

1323. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Il est probable que le commerce familier de Goethe et de Byron n’eût pas changé la pente de son génie, et pourtant, éclairé par un instinct prévoyant, il n’a pas voulu les consulter trop souvent. […] Elle renonçait à l’érudition, au blutage des mots, pour s’associer à la vie commune ; elle ne s’adressait plus aux savants, aux beaux esprits, aux académies ; elle parlait à tous les cœurs en qui l’amour du gain n’avait pas obscurci ou effacé les sentiments généreux, l’instinct du dévouement, la passion du sacrifice. […] Quant aux poètes des nations voisines, il ne les connaissait guère que par ouï-dire, et, en rappelant ce fait, mon intention n’est pas de lui en faire un reproche : je veux seulement établir que M. de Lamartine a résisté à l’engouement de la France pour l’Allemagne et pour l’Angleterre plutôt par instinct que par réflexion.

1324. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

L’Art poétique exprime l’instinct de l’esprit français en ce qui touche les choses de l’art ; il réduit tout à des principes généraux dont chaque lecteur, selon l’étendue ou la délicatesse de son esprit, tire des conséquences qui forment ce qu’on a, de nos jours, appelé l’esthétique. […] Si par les mêmes motifs, par le même instinct du bien, par les mêmes principes d’honneur, par ma raison, qui m’appartient quoiqu’elle ne diffère pas de la sienne, je fais le bien comme lui, et le même bien, et de la même façon, et dans les mêmes circonstances, est-ce que je suis un plagiaire de vertu ?

1325. (1896) Le livre des masques

Cela pourrait être un système de composition (pas encore mauvais), mais non pas ici : les chuchotements de l’instinct sont écoutés et accueillis ; la nécessité de la catastrophe s’impose à cet esprit lucide (qui n’a point troublé son miroir en soufflant dessus) et il relate clairement les conséquences des mouvements sismiques de l’âme humaine. […] Mais on ne peut travailler heureusement une nature que dans le sens de ses instincts et de ses penchants ; Corbière a dû être nativement un peu de ce qu’il est devenu, le don Juan de la singularité ; c’est la seule femme qu’il aime ; l’autre, il l’ironisé de ce mot leste, « l’éternelle madame ».

1326. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Il suivait exactement son instinct et son plaisir. […] C’est le grand amour, celui qui rend idiot ou méchant, qui mène au meurtre et au suicide, et qui n’est qu’une forme détournée et furieuse de l’égoïsme, une exaspération de l’instinct de propriété.

1327. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Ô instinct ! instinct ! […] c’était un manque d’équilibre, un défaut d’instinct aristocratique et d’éducation, qui en troublait l’harmonie. […] Métamorphose indiquée : par sa nature ambiguë, son génie troublant, ses instincts obscènes ; ses artifices de sorcier, par le monde démoniaque qu’il entraînait après lui, Bacchus, au temps même de sa splendeur olympienne, était un diable parmi les dieux.

1328. (1888) Portraits de maîtres

Pour ma part, en vertu de mes prédilections personnelles comme de ma doctrine morale, je me déclare partisan de l’action et de l’enthousiasme, zélateur de l’harmonie grecque, de l’énergie stoïque, de la joie et de la vie renouvelées avec la Renaissance, par instinct comme par habitude d’esprit adversaire de toutes les tendances à la rêverie excessive, à la tristesse irréfléchie, à la souffrance mystique. […] Un démagogue haïra d’instinct la poésie ; un Périclès en ferait ses plus chères délices. […] Au reste il reconnaît devoir à cette nature inculte « l’instinct irréfléchi des choses primitives ». […] N’en doutons pas, toutes ses données de patriote clairvoyant ont été senties d’instinct dans cette période de son existence avant d’être formulées par l’expérience et le génie de l’homme fait.

1329. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Mon ami, aux opinions sang de bœuf, soutenait, ce soir, que tout doit s’incliner devant l’instinct des masses. […] Aujourd’hui je m’aperçois que cette méchanceté n’était qu’un plagiat, un plagiat littéraire, qui, avec l’aide de détestables instincts, est devenu à la fin un tempérament. […] Dimanche 14 mai Si jamais je fais ce roman sur la vie de théâtre, dont mon frère et moi avions eu l’idée, si jamais je fais la psychologie d’une actrice, il faut que l’idée dominante, la pensée-mère de ce livre, soit le combat des instincts peuple, des goûts canaille, venant de la procréation, de la nature, de l’éducation, avec les aspirations à l’élégance, à la distinction, à la beauté morale : qualités congéniales d’un grand talent.

1330. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

XVI « Les deux petits abandonnés étaient parvenus près du grand bassin, et, un peu troublés par cette grande lumière, ils tâchaient de se cacher, instinct du pauvre et du faible devant la magnificence, même impersonnelle ; et ils se tenaient derrière la baraque des cygnes.

1331. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Ainsi que l’avenir, l’éloignement fait naître en moi le sentiment de l’espérance, mon cœur opprimé croit qu’il existe peut-être une terre bien éloignée, où, à une époque de l’avenir, je pourrai goûter enfin ce bonheur pour lequel je soupire, et qu’un instinct secret me présente sans cesse comme possible.

1332. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Quant au réel, nous y insistons, Shakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur.

1333. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Il se trouvait que ce farceur, ce paradoxeur, ce moqueur enragé des bourgeois avait, pour les choses de l’art, les idées les plus bourgeoises, les religions d’un fils de Prudhomme… Il avait le tempérament non point classique, mais académique comme la France…12 … Ce tableau était, en un mot, la lanterne magique des opinions d’Anatole, la traduction figurative et colorée de ses tendances, de ses aspirations, de ses illusions… Cette sorte de veulerie tendre qui faisait sa bienveillance universelle, le vague embrassement dont il serrait toute l’humanité dans ses bras, sa mollesse de cervelle à ce qu’il lisait, le socialisme brouillé qu’il avait puisé çà et là dans un Fourier décomplété et dans des lambeaux de papiers déclamatoires, de confuses idées de fraternité mêlées à des effusions d’après boire, des apitoiements de seconde main sur les peuples, les opprimés, les déshérités, un certain catholicisme libéral et révolutionnaire, le Rêve de bonheur de Papety entrevu à travers le phalanstère, voilà ce qui avait fait le tableau d’Anatole … 13 Anatole présentait le curieux phénomène psychologique d’un homme qui n’a pas la possession de son individualité, d’un homme qui n’éprouve pas le besoin d’une vie à part, d’une vie à lui, d’un homme qui a pour goût et pour instinct d’attacher son existence à l’existence des autres par une sorte de parasitisme naturel, etc.

1334. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Lui-même est le premier de nos poètes qui ait choisi, qui ait eu du goût, qui ait fait des sacrifices à une raison générale, qu’il connaissait d’instinct avant qu’elle se fût clairement manifestée.

1335. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Je me suis défié de la cause ordinaire de mes erreurs ; j’ai pris le contrepied de mes instincts ; je me suis rais en garde contre mon idéalisme.

1336. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Mais l’instinct guerrier est très vivace dans l’enfant.

1337. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Elle est éminemment propre à développer l’instinct de résistance à l’égard de toute force conçue comme étrangère à notre moi.

1338. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

« Quand nous devînmes enthousiastes de nos voisins, quand tout fut anglais en France, chiens, chevaux, jardins et livres, les Anglais, par leur instinct de haine contre nous, devinrent anti-Français ; plus nous nous approchions d’eux, plus ils s’éloignaient de nous.

1339. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Mais rassurez-vous ; ce n’est que l’instinct qui parle ainsi en lui et en nous, ce n’est pas la raison ; c’est encore moins la foi, quand on a eu le bonheur de s’en former une.

1340. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Il avoit l’esprit si pénétrant & si juste, qu’on auroit été tenté de croire qu’il démêloit par-tout le vrai, plûtôt par sentiment & par instinct, que par étude & par réfléxion.

1341. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Véritable sœur d’André Chénier en instinct de dévouement, elle a un cri d’éloquence pour la reine, comme lui pour Louis XVI ; elle viendrait la défendre à la barre, s’il y avait chance de la sauver. […] L’instinct dramatique, le besoin d’émotion et d’expression, se trahissaient en tout chez elle.

1342. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Deux discours de M. de Maistre, l’un publié lorsqu’il n’avait que vingt-deux ans, et l’autre prononcé quand il en avait vingt-quatre, vont nous le produire au début, ayant déjà l’instinct du style et du nombre, mais des plus rhétoriciens encore, assez imbu des idées ou du moins de la phraséologie du jour, et tout à fait l’un des jeunes contemporains de Voltaire et de Jean-Jacques finissants. […] Le bonheur politique, comme le bonheur domestique, n’est pas dans le bruit ; il est le fils de la paix, de la tranquillité, des mœurs, du respect pour les anciennes maximes du gouvernement, et de ces coutumes vénérables qui tournent les lois en habitudes et l’obéissance en instinct. » Et l’auteur montre que tel a été le caractère constant et le régime de la maison de Savoie, en qui il loue surtout le talent de gouverner sans jamais se brouiller avec l’opinion.

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