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433. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Ces suicides des Caton, des Brutus, lui inspirent des réflexions où il entre peut-être quelque idolâtrie classique et quelque prestige : « Il est certain, s’écrie-t-il, que les hommes sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises qu’ils n’étaient lorsque, par cette puissance qu’on prenait sur soi-même, on pouvait, à tous les instants, échapper à toute autre puissance. » Il le redira jusque dans L’Esprit des lois, à propos de ce qu’on appelait vertu chez les anciens : « Lorsqu’elle y était dans sa force, on y faisait des choses que nous ne voyons plus aujourd’hui, et qui étonnent nos petites âmes. » Montesquieu a deviné bien des choses antiques ou modernes, et de celles même qu’il avait le moins vues de son temps, soit pour les gouvernements libres, soit pour les guerres civiles, soit pour les gouvernements d’empire ; on ferait un extrait piquant de ces sortes de prédictions ou d’allusions prises de ses œuvres. […] Ce n’est pas mal qu’un législateur pousse les hommes, fût-ce même moyennant un peu d’illusion, à toutes leurs facultés et à toute leur vertu ; mais il doit savoir au-dedans à quelles conditions cela est possible et prendre ses précautions en conséquence. […]  » Partout, à ces beaux endroits si souvent cités, on sent l’homme qui désire la liberté véritable, la véritable vertu du citoyen, toutes choses dont il n’avait vu nulle part l’image parfaite chez les modernes, et dont il achevait de se former l’idée dans l’étude du cabinet et devant les bustes des anciens. […] Il avait la bonhomie de croire qu’il avait négligé de faire la fortune de son nom et l’illustration de sa maison : « J’avoue, disait-il, que j’ai trop de vanité pour souhaiter que mes enfants fassent un jour une grande fortune ; ce ne serait qu’à force de raison qu’ils pourraient soutenir l’idée de moi ; ils auraient besoin de toute leur vertu pour m’avouer. » Ainsi il croyait, par exemple, que si l’un de ses enfants devenait ministre, chancelier, ou quelque chose de tel, ce serait un embarras à un personnage si considérable que d’avoir un père ou un aïeul comme lui qui n’aurait fait que des livres, Ceci même est un excès de modestie ou un reste de préjugé qu’on a peine à comprendre.

434. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Dans une lettre écrite contre l’opéra d’Omphale en 1752, il disait : « J’avoue que je regarde l’admiration et le respect que j’ai pour tout ce qui est vrai talent, dans quelque genre que ce soit, comme mon plus grand bien après l’amour de la vertu. » Il n’y avait pas longtemps que Grimm arrivait d’Allemagne quand il écrivait cette phrase. […] Sur Montesquieu, Grimm s’exprime avec admiration et respect, mais en peu de paroles ; il le proclame un génie plein de vertu, et le salue à ses funérailles. […] Si elle était du petit nombre de ces vérités évidentes sur lesquelles il ne saurait ν avoir deux opinions, il ne pourrait en parler avec plus de confiance. » Rousseau lui paraissait dans le même cas pour son système sur l’état sauvage, ce prétendu âge d’or de félicité et de vertu. […] Il y avait des années qu’écrivant à Mlle Volland, l’amie de Diderot, et lui parlant de la vérité et de la vertu comme de deux grandes statues que Diderot se plaisait à voir élevées sur la surface de la terre et immobiles au milieu des ravages et des ruines : « Et moi je les vois aussi, s’écriait-il ; … mais qu’importe que ces deux statues soient éternelles et immobiles s’il n’existe personne pour les contempler, ou si le sort de celui qui les aperçoit ne diffère point du sort de l’aveugle qui marche dans les ténèbres ! 

435. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Dans un siècle où la dévotion était de mise, au moins dans les manières, elle n’en a que l’indispensable ; son esprit purement ambitieux et humain croit à la vertu de M. de Vendôme bien plus qu’à celle d’une oraison, et juge les débats théologiques avec une supériorité tout à fait mondaine. […] Jetée, jeune et pauvre, dans le monde, avec sa beauté et son titre de demoiselle, exposée dès l’enfance aux persécutions des dévots, qui la convertirent à grand’peine, et plus tard chez Scarron, aux galanteries des grands seigneurs qui ne la séduisirent pas, madame de Maintenon se distingua de bonne heure, et dans tous les états, par cette prudence accomplie, cet esprit de conduite, qu’alors on regardait comme la première vertu de son sexe, et qui de nos jours est resté tant à cœur à la haute société monarchique, sous le nom presque sacré de convenance.

436. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

L’alliance de mots n’est le plus souvent qu’une métaphore brusque et courte : Soyez-moi de vertus, non de soye habillés. […] Souvent c’est l’expression soudaine d’une affinité ou d’une convenance inattendues, d’une qualité, d’une propriété, d’un état dont l’objet ne paraissait pas susceptible : Mathan de nos autels infâme déserteur Et de toute vertu zélé persécuteur.

437. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Émile Hennequin, dans une étude que pour sa vertu suasive j’espère vous voir lire, a démontré que l’originalité de Zola parmi les écrivains réalistes était ses surprenantes qualités poétiques, grâce auxquelles malgré l’apparente apathie d’un tempérament également et indifféremment apte à tout décrire, à tout évoquer, il ne s’appliquait qu’à la transcription des êtres et des choses de force : il est artiste, parce qu’il choisit non ses milieux ou ses personnages, mais chez ceux-ci un groupe préféré de leurs propriétés : seules l’intéressent les puissances actives, saines ou délétères, robustesse humaine ou perversion féminine. […] Si, personnellement, nous nous plaisons à fortifier comme première vertu d’artiste, cette sévérité jamais satisfaite, préservatrice des inutiles accouchements et des relevailles mélancoliques, ne veuillons pas généraliser cette exigence particulière jusque en faire la loi intransgressible de la mise au monde artistique.

438. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

Je déteste un traité dogmatique Qui m’avilit, qui m’ôte tout espoir, Et qui sur-tout veut me faire entrevoir Que la vertu, l’honneur sont des chimeres, Fantômes vains, foiblesses de nos peres, Liens adroits, dont la Société A par degrés connu l’utilité. […] … Songez qu’elle est le flambeau de toutes les Sciences, l’ame de toutes les vertus, l’existence réelle des êtres, & que sans elle tout n’est qu’illusion… Je ne me suis attaché, dans ces Réflexions, qu’aux vérités relatives à la marche éclairée de l’esprit humain.

439. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d’œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n’est pas loin d’aimer le vice ; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu. […] Ne nous parlez plus de mystères de l’âme, du charme secret de la vertu : grâces de l’enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charme des tombeaux et de la patrie, vos enchantements sont détruits !

440. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Défendez votre pays, parce que c’est lui qui vous rend heureux et renferme vos biens. » Ainsi la vertu n’est que l’égoïsme muni d’une longue-vue ; l’homme n’a d’autre raison pour bien faire que la crainte de se faire mal, et, quand il se dévoue, c’est à son intérêt. […] je puis observer, connaître les êtres et leurs rapports ; je puis sentir ce qu’est ordre, beauté, vertu ; je puis contempler l’univers, m’élever à la main qui le gouverne ; je puis aimer le bien, le faire, et je me comparerais aux bêtes !  […] La tragédie, qu’on dit morale, dépense en effusions fausses le peu de vertu qui nous reste encore. « Quand un homme est allé admirer de belles actions dans des fables, qu’a-t-on encore à exiger de lui ? Ne s’est-il pas acquitté de tout ce qu’il doit à la vertu par l’hommage qu’il vient de lui rendre ? […] Il n’en fut jamais un meilleur, un plus tendre, un plus juste… Tous mes malheurs ne me viennent que de mes vertus. » — À Mme de la Tour. « Celui qui ne s’enthousiasme pas pour moi n’est pas digne de moi. » 412.

441. (1888) Poètes et romanciers

La vertu ne leur suffit pas. […] Les oiseaux, précepteurs de l’homme et modèles de toutes les vertus, selon MM.  […] L’univers s’est fait sans la vertu, il se maintient et durera sans elle. […] Or, pour former la passion comme pour former la vertu, il faut pouvoir vivre en soi et pour soi. […] Il s’applaudit trop visiblement de ses vertus.

442. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Non par vertu, mais par bonne foi. […] Elle est la vertu du nouveau et la vertu du jeune. […] Une vertu. […] Nul manteau de vertu, de nos maigres vertus. […] Nul manteau de nos fausses vertus.

443. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

De là sa foi persévérante en la vertu immaculée de Mirabeau, et d’ailleurs, l’eût-on poussé à bout, il avait droit de dire, comme il fit un jour sous le coup de l’insulte et dans un mouvement d’apologie courageuse pour son ami : « Si pourtant il se trouvait coupable ! […] Mais dans le bourg d’Aignay, comme ailleurs, les luttes commencèrent : l’étendue et la hauteur du théâtre n’y font rien ; c’étaient sous d’autres noms les mêmes hommes, les mêmes passions et les mêmes mobiles, les mêmes défections d’amitié, les mêmes arriérés de haine, les mêmes envies d’humilier, les mêmes besoins d’arriver à son tour, que sur la scène principale et centrale ; et Frochot eut à déployer les mêmes qualités de modération et de fermeté dont il aurait eu à faire preuve, s’il avait été de la Législative ou de la Convention. — Louis XIV demandait un jour au cardinal de Janson, aussi bon négociateur qu’habile courtisan, où il en avait tant appris : « Sire, répondit le cardinal, c’est en courant la nuit avec une lanterne sourde, tandis que j’étais évêque de Digne, pour faire les consuls d’Aix. » Et Lisola, le célèbre diplomate franc-comtois, disait qu’il s’était très bien trouvé, dans les grandes affaires, des subtilités qu’il avait apprises « dans le ménage municipal de Besançon. » Une seule maison quelquefois suffit à qui veut observer les variétés des passions humaines : un seul bourg peut suffire, en un temps d’agitation populaire, pour soulever et faire sortir toutes les variétés d’ambitions et de haines, et pour exercer d’autre part toutes les vertus civiques ; Frochot eut de quoi en faire de plus en plus l’apprentissage : il s’honora par toute sa conduite durant ces temps calamiteux ; il y montra une fermeté qui tenait encore chez lui au premier mouvement et à l’impulsion du sang dans la jeunesse. […] Frochot est zélé, dévoué, tout entier à son œuvre d’exécution et d’obéissance intelligente, animé d’un sentiment personnel d’humanité dans les réformes qui tiennent à l’assistance publique, au régime des prisons, paternel et plein de sollicitude pour les établissements d’instruction publique avant la création de l’Université, bienveillant pour les personnes, attentif aux talents naissants ; en un mot, doué de vertus, mais, on l’entrevoit, un peu faible : le nerf, on le pressent, le jour où il en aura besoin, est ce qui lui manquera.

444. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Mais puisque la vanité est une passion, celui qui l’éprouve ne peut être tranquille ; séparé de toutes les jouissances impersonnelles, de toutes les affections sensibles, cet égoïsme détruit la possibilité d’aimer, il n’y a point de but plus stérile que soi-même ; l’homme n’accroît ses facultés qu’en les dévouant au dehors de lui, à une opinion, à un attachement, à une vertu quelconque. […] Enfin, en France, on est entouré d’hommes, qui tous se disent le centre de cet immense tourbillon ; on est entouré d’hommes, qui tous auraient préservé la France de ses malheurs, si on les avait nommés aux premières places du gouvernement, mais qui tous, par le même sentiment, se refusent à se confier à la supériorité, à reconnaître l’ascendant du génie ou de la vertu. […] L’envie, qui cherche à s’honorer du nom de défiance, détruit l’émulation, éloigne les lumières, ne peut supporter la réunion du pouvoir et de la vertu, cherche à les diviser pour les opposer l’un à l’autre, et crée la puissance du crime, comme la seule qui dégrade celui qui la possède ; mais quand de longs malheurs ont abattu les passions, quand on a tellement besoin de lois, qu’on ne considère plus les hommes que sous le rapport du pouvoir légal qui leur est confié, il est possible que la vanité, alors qu’elle est l’esprit général d’une nation, serve au maintien des institutions libres.

445. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Être vertueux pour aller en paradis, c’est prêter à Dieu à la petite semaine ; et le malheur est que le prêteur donne des crocodiles empaillés, non de bonnes espèces ; car la vertu des sacristies, c’est d’aller à la messe, de ne point toucher aux vases sacrés ; l’amour du prochain vient après. […] Il supprime toutes les vertus, chrétiennes, stoïciennes, mondaines même, qui n’ont rapport qu’à l’individu, et sont fondées sur le respect de soi-même. […] Qu’est-ce donc que la vertu ?

446. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Quelle meilleure manière de le réhabiliter et de l’affranchir, que de le montrer capable des mêmes vertus et des mêmes sacrifices que l’homme libre ! […] Si l’on considère en elles-mêmes ces deux espèces d’hommes, rien de plus faux qu’un tel rapprochement, puisque les chrétiens étaient chastes, doux, résignés, qu’ils combattaient en eux la « nature » à laquelle nos « libertaires » font profession de s’abandonner ; qu’ils pratiquaient justement les vertus qu’un bon anarchiste doit avoir le plus en horreur ; et qu’ils ne tuaient pas, mais, au contraire, se laissaient tuer. […] Les âmes chrétiennes les plus douces et les plus abondantes en vertus parlaient des « infamies du vieux monde » dans les mêmes termes que le font aujourd’hui les anarchistes les moins vertueux.

447. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Signe que le livre est bon ; il lui reste à diagnostiquer avec précision sa vertu. […] La sincérité en critique est la vertu la plus rare. […] Un, qui sait mon culte pour le génie de Diderot, me montre un passage de Salons : « Je suis plus affecté des charmes de la vertu que de la difformité du vice : je me détourne doucement et je vole au-devant des bons.

448. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Il ne peut être question d’antinomies au sens absolu qu’à propos de thèses et d’antithèses métaphysiques, telles que celles que Kant a mises aux prises, vainement d’ailleurs, dans sa Critique de la raison pure et qui ne sont que des couples de notions contradictoires érigées en absolus, chacune de son côté, par la vertu d’un artifice dialectique. — Pris au sens relatif, le mot antinomie signifie que deux choses sont dans un rapport tel que le développement de l’une se fait aux dépens du développement de l’autre, que la pleine affirmation de l’une contrarie la pleine affirmation de l’autre, que l’une tend à détruire ou du moins à amoindrir et à affaiblir l’autre. […] Les antinomies qui se manifestent encore entre l’individu et la société tiennent à une adaptation incomplète et inachevée : elles seront aplanies complètement un jour par la vertu de l’évolution fatale et bienfaisante. […] Durkheim obtenue par la vertu des contraintes sociales, des religions et de la morale sociologique.

449. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

De même, demander si nos volitions sont libres ou non, c’est tout confondre, c’est ajouter des difficultés factices à un problème qui de sa nature n’est pas insoluble ; c’est ressembler au personnage à qui Carlyle fait demander : « si la vertu est un gaz. » Un motif me pousse, la faim ; je prends la nourriture qui est devant moi, je vais au restaurant, où j’accomplis quelque autre condition préliminaire : voilà une séquence simple et claire ; faites-y entrer l’idée de liberté, et la question devient un chaos. […] Une métaphore relative à la vertu ayant produit cette question, on aurait pu tout aussi bien se demander si la volonté est riche ou pauvre, noble ou ignoble, souveraine ou sujette, vu que tout cela s’est dit de la vertu !

450. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

En Angleterre, rarement le pouvoir impose à l’imagination ; souvent il est suspect, et ceux qui l’exercent, perdent, par leur pouvoir même, une partie des hommages qu’auraient mérités, ou des talents, ou des vertus. […] Dryden en a consacré un à une Anglaise célèbre par ses vertus, et Thompson a fait un éloge funèbre de Newton. […] D’ailleurs, ma muse acquitte un devoir ; elle rend ce qu’elle doit à la vertu, à la patrie, au genre humain, à la nature immortelle et souveraine qui lui a donné, comme à sa prêtresse, la charge honorable de chanter des hymnes en l’honneur de tout ce qu’elle forme de grand et de beau dans l’univers. » On voit quel est le ton et la noblesse de ces éloges ; la vigueur d’âme qui y règne, vaut bien notre délicatesse et notre goût.

451. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Selon nous, le goût fait partie de la vérité ; or le goût n’est pas une vertu démocratique, il est une impulsion savante de l’élite des juges dans tous les pays. […] J’ai cru que ma femme devait assujettir ses manières à sa vertu et à mes intentions ; et je sens bien que, dans la situation où elle est, elle eût encore été plus malheureuse que je ne le suis si elle l’avait fait. […] Il faut parmi le monde une vertu traitable ; À force de sagesse, on peut être blâmable ; La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l’on soit sage avec sobriété. […] Qu’ils ne brûlent pour vous que d’un honnête amour, Et que pour vos vertus ils vous font tous la cour ? […] Celle-ci a cité des gens de vertu singulière ; celle-là cite des gens d’un très-rare mérite.

452. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Ce sont là de ces choses qui font que l’on se sent poète. » Il n’est rien tel en effet que de semblables aveux pour faire sentir dans sa douceur, sa vérité et son sérieux plein de charme, l’heureuse puissance du talent ou du génie, sa vertu d’influence continue et son triomphe invisible. […] Le parti que vous prenez est sans contredit le seul dont ils n’aient pas à se plaindre et le plus digne de vous ; mais ne gâtez pas un acte de vertu si grand et si pénible par un dépit déguisé et par un sentiment injuste envers un homme aussi digne de votre estime par sa conduite, que vous-même êtes, par la vôtre, digne de l’estime de tous les honnêtes gens. […] Vous savez qu’il ne tient point à votre génie sublime, à la réputation dont vous jouissez ; je ne m’élève pas jusque-là : la bonté de votre âme, cette courageuse patience que je n’ai connue qu’à vous, l’amour de la vertu pour la vertu même, voilà mon lien, voilà ce qui me fait désirer votre bonheur pour l’honneur de l’humanité autant que pour le bonheur de ceux qui vous connaissent. […] La trisaïeule de Mlle d’Ars, Marie de Verdelin, femme de Jean-Louis de Bremond d’Ars, marquis d’Ars, maréchal de camp, tué en défendant Cognac assiégé par les Frondeurs en 1651, s’était rendue célèbre dans la province par son intrépidité autant que par ses vertus chrétiennes. […] Voilà sans doute pourquoi on estime peu la vieillesse, et on a raison ; car on ne fait de grandes choses que par l’amour de la gloire. — Nos petits-enfants en sont pourvus : votre Théophile (Théophile Bremond d’Ars, son petit-neveu) a toutes les vertus des temps jadis : je désire qu’Hector (Hector Le Veneur, son petit-fils) l’ait rencontré à Postdam… » On voit, par ces lettres, que jusqu’à la fin celle qui se qualifiait « votre antique parente » avait conservé la chaleur du cœur.

453. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

C’est là son génie, c’est là sa vertu, c’est là son signe entre les peuples. […] Ce sont les vices d’un peuple qu’il faut bafouer ; ce ne sont pas ses vertus nationales. […] C’est la mauvaise humeur de l’esprit chez les hommes qui, comme Boileau ou Horace, ne font que la satire des œuvres ; c’est la mauvaise humeur de la vertu chez les hommes qui, comme Juvénal, font la satire des mœurs ; mais toujours c’est la mauvaise humeur. […] À cela près, Juvénal, soit dans l’imprécation contre les vices, soit dans la peinture des vertus pures et douces qui font contraste aux horreurs de ces vices, était véritablement un écrivain de premier ordre dans la force comme dans la grâce. […] Si on les juge par les vertus naturelles de leur sexe, on les divinise ; si on les juge par les vices d’un très petit nombre d’entre elles, on les calomnie et on les profane.

454. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Il m’est désagréable qu’on assassine par vertu. […] La vertu des femmes est une vertu d’État. […] C’en est fait de la liberté et des vertus antiques. […] Il est joyeux et recommande l’allégresse comme une vertu. […] Il veut bien être dupe, si la vertu est trompée avec lui.

455. (1914) Une année de critique

De même, on avait si bien perdu l’habitude de parler de la vertu, la vertu avait si bien cessé d’être même un nom, qu’on lui fit fête lorsqu’on la retrouva. […] Au milieu de ses premiers transports, elle s’écriait : « D’autres sont plus vertueuses que moi ; aiment-elles mieux la vertu ?  […] Je frémis quand je songe que des gens qui portaient l’adultère au fond de leur cœur osaient parler de vertu. […] De la considération de l’ordre je tire la beauté de la vertu, et sa bonté de l’utilité commune. […] quels hommes extraordinaires nous sommes ; voilà bien le triomphe de la vertu par le retour à la nature !

456. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Cornélie, Porcie, Arrie, ces nobles dames transportées dans la situation, les eussent pu écrire à quelques égards ; elles sont d’un stoïcisme légèrement attendri, et la Française non plus, la républicaine un peu étonnée de l’être, n’y est pas absente ; le ton une fois admis, il y respire un sentiment vrai et comme de la douceur : « Puisse cette lettre te parvenir bientôt, te porter un nouveau témoignage de mes sentiments inaltérables, te communiquer la tranquillité que je goûte, et joindre à tout ce que tu peux éprouver et faire de généreux et d’utile le charme inexprimable des affections que les tyrans ne connurent jamais, des affections qui servent à la fois d’épreuves et de récompenses ‘a la vertu, des affections qui donnent du prix à la vie et rendent supérieur à tous les maux !  […] Ce qu’il y a à dire de mieux de lui comme ministre, c’est qu’on pouvait lui reprocher « le pédantisme de toutes les vertus qu’il avait. » Ces deux mots de Daunou suffisent à son épitaphe. […] Mme Roland répondait à toutes avec une affectueuse bonté, elle ne leur promettait pas son retour, elle ne leur disait pas qu’elle allait à la mort ; mais les dernières paroles qu’elle leur adressait étaient autant de recommandations touchantes ; elle les invitait à la paix, au courage, à l’espérance, à l’exercice des vertus qui conviennent au malheur. […] est-ce que, pour confesser sa foi à la vertu, elle n’avait pas assez d’encre dans son sang, dans ce sang qu’elle allait verser ?

457. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Ce que ne gardèrent pas moins, en général, les personnages de cette époque et de ce rang qui survécurent et dont la vieillesse honorée s’est prolongée jusqu’à nous, c’est une fidélité remarquable, sinon à tous les principes, du moins à l’esprit des doctrines et des mœurs dont s’était imbue leur jeunesse ; c’est le don de sociabilité, la pratique affable, tolérante, presque affectueuse, vraiment libérale, sans ombre de misanthropie et d’amertume, une sorte de confiance souriante et deux fois aimable après tant de déceptions, et ce trait qui, dans l’homme excellent dont nous parlons, formait plus qu’une qualité vague et était devenu le fond même du caractère et une vertu, la bienveillance. […] Le volume intitulé Recueil de Famille nous le montre, en ces années de ruine, plein de sérénité et de philosophie, adonné aux vertus domestiques, égayant, dès que le grand moment de Terreur fut passé, les tristesses et les misères des êtres chéris qui l’entouraient. […] Un des Essais nous le résume surtout et nous le rend dans sa physionomie habituelle et dans l’esprit qui ne cessait de l’animer ; c’est le morceau sur la Bienveillance  : « Il est une vertu, dit-il, la plus douce et la plus éclairée de toutes, un sentiment généreux plus actif que le devoir, plus universel que la bienfaisance, plus obligeant que la bonté… » Qu’on lise le reste de l’Essai, on l’y trouvera tout entier. […] Vous m’exhortâtes à pardonner, à rendre le bien pour le mal, à montrer à ceux qui me haïssaient leur injustice, en leur prouvant mes vertus, à les forcer ainsi à l’admiration, à la reconnaissance, et vous m’assurâtes du plus beau triomphe qu’une âme généreuse pût souhaiter… J’eus le bonheur de pleurer et bientôt le courage de combattre.

458. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Dès l’instant où vous lui seriez moins cher, elle ne serait plus pour moi qu’une femme ordinaire, et je cesserais de l’aimer. » M. de Krüdner, touché de cette lettre comme un galant homme pouvait l’être, fit avec gravité une chose imprudente : il montra cette déclaration à sa femme ; et, en croyant stimuler sa vertu, il ne fit qu’irriter sa coquetterie. […] Faites imprimer ces vers dans le journal du soir… Envoyez-moi bien vite le journal où cela sera imprimé… Si le journal ne voulait pas s’en charger ou qu’il tardât trop, envoyez-moi-les écrits à la main, et on les insérera ici dans un journal… » Puis vient le prêté-rendu, la récompense offerte au bon docteur, la promesse de contribuer à lui faire acquérir en retour cette réputation que méritent ses talents et ses vertus : « Oui, digne et excellent homme, j’espère bien y travailler ; j’attends avec impatience le moment où, rendue à Paris, mon temps, mes soins et mon zèle vous seront consacrés : vous me ferez connaître La Harpe, auprès duquel est déjà un de vos amis. […] Dans ce même temps, Mme de Krüdner écrivait à une amie plus simple, à Mme Armand, restée en Suisse, et elle lui parlait sur le ton de l’humilité, de la vertu, en faisant déjà intervenir la Providence : « Quel bonheur, mon amie ! […] La duchesse de Duras, qu’il a l’air de ranger parmi les adhérents, était de ce nombre. — Dans le récit que j’ai fait du voyage de Mme de Krüdner en Champagne, pour la grande revue de la plaine de Vertus, M. 

459. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Il souffrit des maux tour à tour imaginaires et réels et, comme il arrive aux âmes bien situées, il sortit de cette longue crise plus doux, plus indulgent aux hommes et à la vie ; il en rapporta une vertu qui, tout compte fait, a crû notablement dans ce siècle : la pitié. […] Et Sylvestre Bonnard devait aimer aussi les créatures qui sont douces, bonnes, vertueuses ou héroïques sans le savoir, ou plutôt sans y tâcher et parce qu’elles sont comme cela : Mme de Cabry, l’adorable Jeanne Alexandre, la petite Mme Coccoz, plus tard princesse Trépof, même l’oncle Victor, encore que son héroïsme soit mêlé d’abominables défauts, et Thérèse, la servante maussade et fidèle, abondante en locutions proverbiales, riche de préjugés, de vertu et de dévoûment. […] Ce fonds sérieux d’idées générales n’est jamais absent : souvent, à l’improviste, à propos de quelque observation particulière, il apparaît comme dans un éclair, et l’on voit tout à coup, derrière le souvenir ou l’impression notée en passant, s’ouvrir, par la vertu de quelques mots, des lointains qui troublent et qui font songer. […] Dans cette bibliothèque que protègent tes vertus militaires, Hamilcar, dors avec la mollesse d’une sultane.

460. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Dans la préface de la première édition (1688)99, il apprécie ainsi les deux ouvrages de ses devanciers : « L’un (les Pensées), par l’engagement de son auteur, fait servir la métaphysique à la religion, fait connaître l’âme, ses passions, ses vices, traite les grands et les sérieux motifs pour conduire à la vertu et veut rendre l’homme chrétien. […] Au lieu de s’étendre avec une curiosité tranquille sur le détail de nos misères, il s’était borné à éclairer d’une lumière terrible les principaux objets de notre confiance, ce que l’on pourrait appeler les garanties des sociétés, la justice, la loi, la vertu. […] Pendant que la Rochefoucauld jetait un regard si triste et si profond sur une époque qui avait forcé tous les caractères, le jeune La Bruyère faisait son apprentissage d’observateur sur une société disciplinée, où les vices comme les vertus étaient revenus à leurs proportions naturelles, et où l’état de santé avait remplacé l’excitation de la fièvre. […] Les vices n’étaient plus des scandales, ni les vertus de l’héroïsme.

461. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Ces gens ne l’ont jamais eue, cette vertu, que par exception. […] Mais la vertu d’un nihiliste ne saurait être qu’une préférence personnelle. […] Leur vertu est-elle épuisée ? […] C’est une vertu nationale, à ne jamais sacrifier. […] Même les médiocres ont cette vertu d’avoir été rédigés d’après nature.

462. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Et puis, hâtons-nous de le dire, cette vie de quatre jours produit des fruits qui durent : la vertu, la bonté, le dévouement, l’amour de la patrie, la stricte observation du devoir. […] Évitez le grand mal de notre temps, ce pessimisme qui empêche de croire au désintéressement, à la vertu.

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