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1005. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

M. de Humboldt, dans le voyage aux régions équinoxiales qu’il entreprit au commencement de ce siècle avec son ami le botaniste Bonpland, et qui est une date mémorable dans la science, a reconnu en mainte rencontre cette vérité intime et pittoresque de Bernardin et le charme pénétrant de ses observations naturelles : Que de fois, dit le savant voyageur, nous avons entendu dire à nos guides dans les savanes de Venezuela ou dans le désert qui s’étend de Lima à Truxillo : « Minuit est passé, la Croix commence à s’incliner !  […] Bonpland… Là, tandis que le ciel du Midi brillait de son pur éclat, ou que, par un temps de pluie, sur les rives de l’Orénoque, la foudre en grondant illuminait la forêt, nous avons été pénétrés tous deux de l’admirable vérité avec laquelle se trouve représentée, en si peu de pages, la puissante nature des Tropiques dans tous ses traits originaux. […] Le peintre ému se reconnaît pourtant dès les premières lignes ; les descriptions ne sont pas sèches ; le paysage n’est là que pour se mettre en rapport avec les personnages vivants : « Un paysage, dit-il, est le fond du tableau de la vie humaine. » Avant de s’embarquer à Lorient, et sans avoir encore quitté le port, en s’y promenant et en nous y montrant le marché aux poissons avec tout ce qui s’y remue de fraîche marée, l’auteur nous rend une petite toile hollandaise ; en nous peignant avec vérité le retour des pêcheurs par un gros temps, il y mêle le côté sensible dont il abusera : « C’est donc parmi les gens de peine que l’on trouve encore quelques vertus. » On reconnaît le petit couplet philosophique qui commence, mais il ne le prolonge pas trop, et cela ne va pas encore jusqu’au sermon56. […] Fâchez-vous, si vous le voulez, de ma franchise ; mais, puisque vous me faites votre confession, je vous dois la vérité comme à un ami de vingt-quatre ans, dont le bonheur est pour moi une jouissance et auquel je voudrais que personne n’eût rien à reprocher.

1006. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Convaincue de ces vérités, Sa Majesté demande le plan d’une université ou d’une école publique de toutes les sciences. […] Cela se peut ; mais, pour le grand nombre, l’exacte vérité, qui est presque toujours sans fâcheuse conséquence, est à préférer à la dissimulation. […] L’écrivain se laissera conduire par le fil naturel qui enchaîne toutes les vérités, qui les lie dans son esprit et les amène sous sa plume ; mais sa méthode ne peut convenir à un enseignement public. […] 1re classe Premiers principes de la métaphysique ; de la distinction des deux substances ; de l’existence de Dieu ; les corollaires de cette vérité.

1007. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

On sent mieux un forcené qui se déchire le flanc de ses propres mains, que la simplicité, la noblesse, la vérité, la grâce d’une grande figure qui écoute en silence. […] Vous aurez le front de leur suggérer que les passions et l’intérêt particulier mènent ce monde, que les philosophes s’occupent en vain à démontrer la vérité et à démasquer l’erreur ; que ce ne sont que de bavards inutiles et importuns, et que le métier des montesquieus est au-dessous du métier de cordonnier, et vous n’oserez pas leur dire on vous a fait un sot tableau. […] Je ne dis pas que le philosophe Voltaire par exemple, s’occupe en vain à démontrer la vérité et à démasquer l’erreur, car je dirais une grande sottise et la révolution qu’il a produite dans les esprits d’un bout de l’Europe à l’autre déposerait contre moi ; mais je peux bien avoir dit que l’abbé Baudeau et M. de La Rivière et M.  […] Malgré cette petite répugnance, je conviens que la vérité est inflexible, que la pitié est un sentiment étranger au métier que je fais, et que je vous remets le glaive pour faire justice sévère.

1008. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Et on restait, malgré des travaux importants de littérature et d’histoire qui auraient dû changer ou du moins faire réfléchir l’opinion prévenue, on restait sous cette absurde idée de bégueulisme à propos du talent le moins bégueule qui ait jamais existé, à propos de l’esprit le plus correct, c’est la vérité, mais le plus aimable, le plus doué de cet agrément que les agréables ou les formidables de la littérature contemporaine ont osé lui refuser… pendant trente ans ! […] C’est de la sympathie critique, mais de la sympathie qui se possède et qui n’est jamais entraînée ; c’est de la vérité flatteuse, mais ce n’est pas de la flatterie ; c’est enfin un milieu pris, avec une sûreté et sur un si petit espace qu’il est inouï, et presque incroyable, que l’écrivain engagé sur ce rebord y garde sa solidité ! […] Dans ces Études de critique littéraire, à propos de l’autorité, des deux morales, et particulièrement de l’aumône, vous sentez à quel point le Christianisme, compris avec cette intelligence de sa vérité la plus profonde et de ses beautés les plus secrètes, a pénétré la pensée de ce critique dont l’esprit, hier, pour vous et pour moi, paraissait rigoureux parce que la conscience était irréprochable, mais dont la politesse exquise, trouvée aujourd’hui dans ses livres, est peut-être de la charité ! […] VIII Il est fait, — c’est la vérité.

1009. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

L’illusion, la figure, le mensonge, ont un langage commun avec la vérité. […] A la vérité nous ne pouvons avoir de ces concepts à moins que quelque chose de réel ne nous donne lieu de nous les former : mais le mot qui exprime le concept, n’a pas hors de nous un exemplaire propre. […] Si l’on nous montre deux portraits de la même personne, & qu’il y en ait un qui nous rappelle avec plus d’exactitude & de vérité l’image de cette personne, nous disons que le portrait est parlant, qu’il est parfait, c’est-à-dire qu’il est tel qu’il doit être. […] Ce qui prouve en passant, que le témoignage, quand il est revêtu de certaines conditions, est le plus souvent une marque de la vérité ; ainsi que l’analogie tirée de la ressemblance extérieure des objets, pour en conclurre leur ressemblance intérieure, en est le plus souvent une regle certaine. […] & les Grammairiens philosophes, qui à la vérité ne font pas le grand nombre, & même la méthode de P.

1010. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

-R. est impatient, mais il faut convenir aussi que de Y. est impatientant. » Voilà la vérité sans aucun fard. […] Cette légère réserve faite, je ne sais rien de mieux raconté. » M. le comte de Circourt enfin, cet homme de haute conscience et de forte littérature, dans une lettre qu’il m’écrivait le 24 avril 1864, reconnaissait la vérité du Portrait et s’exprimait en ces termes par lesquels je terminerai et qui me couvrent suffisamment : « Les grands côtés du talent de M. de Vigny sont mis par vous en relief d’une manière tout à la fois large et fine ; et malgré la sévérité de quelques-unes de vos appréciations, je n’ai rien à souhaiter de mieux pour la mémoire de M. de Vigny, si ce n’est que la postérité s’en tienne sur lui à votre jugement, ce que j’espère ; j’apprends que ses vrais (et par conséquent rares) amis sont tout à fait de ce sentiment. » 79.

1011. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Et qu’on ne dise pas que, si la critique avait un point de vue central, si elle jugeait en vertu d’un principe et d’une vérité absolus, elle s’épargnerait en grande partie la fatigue de ce mouvement, de ce déplacement forcé, et que, du haut de la colline où elle serait assise, pareille à un roi d’épopée ou au juge Minos, elle dénombrerait à l’aise et prononcerait avec une véritable unité ses oracles. […] Ainsi donc, il y a peu de distinction entre vous et nous, sinon que nous vous accordons d’être les braves des braves, l’avant-garde des grandes Thermopyles ; mais vous et nous, d’ailleurs, c’est le même peuple et la même cause. » Il y avait peut-être, dans cet ordre plus expansif de sentiments, une inspiration poétique et une vérité politique qui n’auraient pas nui, d’ailleurs, à tout ce que M. 

1012. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Le plus grand pas qu’ait fait l’esprit humain, c’est de renoncer au hasard des systèmes, pour adopter une méthode susceptible de démonstration ; car il n’y a de conquis pour le bonheur général, que les vérités qui ont atteint l’évidence. […] C’est à la spiritualité des idées chrétiennes, à la sombre vérité des idées philosophiques qu’il faut attribuer cet art de faire entrer, même dans la discussion d’un sujet particulier, des réflexions touchantes et générales, qui saisissent toutes les âmes, réveillent tous les souvenirs, et ramènent l’homme tout entier dans chaque intérêt de l’homme.

1013. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

La gaieté ramène à des idées naturelles ; et quoique le bon ton de la société de France fût entièrement fondé sur des relations factices, c’est à la gaieté de cette société même qu’il faut attribuer ce qu’on avait conservé de vérité dans les idées et dans la manière de les exprimer. […] Cette émulation réciproque ne hâtait pas les progrès des vérités austères et fortes ; mais il ne restait pas une idée fine, une nuance délicate, que l’intérêt ne fît découvrir à l’esprit.

1014. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

  « Sainte-Beuve. » Il faut noter aussi cette pensée, cueillie dans les échos, à propos d’une inscription lue sur le mur de clôture du cimetière Montparnasse : « Liberté, Égalité, Fraternité » : — « Dans combien de siècles cette devise strictement vraie pour les morts sera-t-elle enfin une vérité pour les vivants ?  […]  » En prose, on y est quelque peu sceptique et désenchanté : « — Nous sommes ainsi faits que nous discutons davantage une vérité évidente qu’une absurdité ou un prodige.

1015. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

Je n’indiquerai que trois ouvrages principaux pour la Métaphysique : le premier est la Recherche de la Vérité, par le P. […] Regnault a mis en entretiens, d’abord le Physique en cinq volumes in-12., & depuis la Logique sous le titre d’Art de trouver la vérité.

1016. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

En combien d’endroits la vérité sacrifiée à l’effet ! […] Si dans un tableau la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant.

1017. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Il est enfin, sur le compte de tous les deux, de la vérité la plus nette, et cependant la plus convenablement exprimée. Mais il est indifférent à cette vérité comme un homme, un diplomate, sur le soir d’un beau jour, qui aurait pris enfin son parti sur la présence du vice dans les choses humaines, et qui même irait jusqu’à croire qu’il y entre comme un ingrédient… Tels sont, en somme, les qualités et les défauts de ce livre à double titre, qui s’appelle également Gabrielle d’Estrées ou la Politique de Henri IV, et dont le second titre pourrait bien être le premier dans la pensée de son auteur.

1018. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Un livre qui a des défauts littéraires d’autant plus grands qu’il est le produit d’un système, mais qui a aussi une valeur absolue, un mérite qui ne passera pas, c’est-à-dire la vérité presque maladive d’une inspiration qui ressemble à un empoisonnement, les Poésies de Joseph Delorme, datèrent bien ce commencement d’une époque traversée par nous maintenant, mais Dieu sait à quel prix ! […] Enivré qu’il ait été par la Renaissance et cette poésie moderne qui s’efforce depuis plus de vingt ans d’en réverbérer les rayons, le noble auteur des Chants du Passé (nous l’avons déjà dit) revient, vers la fin de son recueil, à cette simplicité mâle que la vérité chrétienne, embrassée définitivement par notre âme, communique non seulement aux œuvres du cœur, mais aux productions de l’esprit.

1019. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Maginard excelle à dénaturer la vérité, et à enrubanner le mensonge. […] Ceux qui, pénétrés de cette vérité, osèrent le braver en face, conquirent le monde. […] La vérité est que personne n’a plus de clarté dans le verbe que M.  […] On protesta au nom du bon goût, de la morale et de la vérité. […] Je veux constater, en passant, une vérité.

1020. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Le poëte se proposait de clore le morceau des sens par le développement de cette idée : « Si quelques individus, quelques générations, quelques peuples, donnent dans un vice ou dans une erreur, cela n’empêche que l’âme et le jugement du genre humain tout entier ne soient portés à la vertu et à la vérité, comme le bois d’un arc, quoique courbé et plié un moment, n’en a pas moins un désir invincible d’être droit et ne s’en redresse pas moins dès qu’il le peut. […] De la vérité sainte il déteste l’approche ; Il craint que son regard ne lui fasse un reproche, Que ses traits, sa candeur, sa voix, son souvenir, Tout mensonge qu’il est, ne le fasse pâlir. Mais la vérité seule est une, est éternelle ; Le mensonge varie, et l’homme trop fidèle Change avec lui : pour lui les humains sont constants, Et roulent de mensonge en mensonge flottants… Ici, il y a lacune ; le canevas en prose y supplée : « Mais quand le temps aura précipité dans l’abîme ce qui est aujourd’hui sur le faîte, et que plusieurs siècles se seront écoulés l’un sur l’autre dans l’oubli, avec tout l’attirail des préjugés qui appartiennent à chacun d’eux, pour faire place à des siècles nouveaux et à des erreurs nouvelles… Le français ne sera dans ce monde nouveau Qu’une écriture antique et non plus un langage ; Oh ! si tu vis encore, alors peut-être un sage, Près d’une lampe assis, dans l’étude plongé, Te retrouvant poudreux, obscur, demi rongé, Voudra creuser le sens de tes lignes pensantes : Il verra si du moins tes feuilles innocentes Méritaient ces rumeurs, ces tempêtes, ces cris Qui vont sur toi, sans doute, éclater dans Paris ; … alors, peut-être… on verra si… et si, en écrivant, j’ai connu d’autre passion Que l’amour des humains et de la vérité !  […] Comme les enfants prennent les statues d’airain au sérieux et croient que ce sont des hommes vivants, ainsi les superstitieux prennent pour vérités toutes les chimères.

1021. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Mais je m’écarte soigneusement de Willy que Laurent Tailhade appela avec vérité « marchand en gros de pornographies achetées en détail à des écrivains faméliques » ; de Willy qui n’est plus même la fille avec qui l’on couche mais la matrone qui tire profit des charmes d’autrui. […] Au début, des délibérations qui ne paraissent point longues, parce qu’elles s’élancent noblement lyriques : les orateurs sont intéressants de vérité générale, vivants de vérité particulière. […] Cette vérité utile et glorieuse, il la démontre par de jolis raisonnements ingénus, par des exemples aussi : « Nous ne voyons, se pâme-t-il, que poètes doués du sens critique le plus exquis. » Parmi ces « poètes doués du sens critique le plus exquis », il cite, pour le choix de ses gendres, je suppose, M. de Heredia. […] J’aime mieux louer les progrès du cher enfant qui « commence à comprendre la vérité de ces formules apprises au collège ».

1022. (1904) En méthode à l’œuvre

D’autre part, ce sont des spéculations mystérieuses où, comme hanté des vieilles religions philosophiques de l’Orient, le poète trouve les formes des vérités naturelles et éternelles, qu’il accorde avec les données de notre science moderne. […] Prémisses Mais, de n’être pas étrangère au sens originel de Savoir et de Poésie que détiennent en leur intuition ainsi que monstreuse de toute la ventrée omphalienne des Vérités, les Livres aux signes occultes et sacrés, — ou les Védas et l’Avesta, ou la légende de Tao, et l’Histoire des Soleils sur l’empire de Mexitli, — dont perdure une âme moins universellement éperdue en la Théogonie d’Hésiode et le De natura : apparaissant insolite aux poésies de moderne concept, — méditation du poète conscient d’Unité et apporteur de Sanction qu’il me plut être, dès la prime aventure en la vie de l’esprit ma haine du Hasard dit ainsi…   Aux pleines ondes sans dessous de vertige de notre histoire poétique, qui hier seulement devint un résumant torrent qui retentit, pour clore des temps, à des descentes d’éternités, — de sensation, d’émotion et de sentiment presque unanimement a été, même si elle se leurre des généralités de philosophies spiritualistes, a été métaphoriques exaltations au sortir de l’Inconscient et selon le tourment de volupté ou de douleur de spontanés et d’égotistes organismes poétiques en transports de génie, la Poésie. […] En vain par le doute et ses désespoirs et de hautains appels à sonder le néant des Révélations, avait-on ainsi que rendu tressaillantes les sphères ouraniennes de l’Intellect : en vain, parce que le doute et la négation participent davantage de l’erreur ou du rêve d’où ils naissent, que de la vérité à laquelle ils aspirent sans pouvoir la produire… Et pourtant, au présent immédiat et là de nos poétiques Fastes, — alors que la science des Origines a environné nos têtes ainsi que de la tornade stellaire dont éternellement devient l’éternelle Fluence : voilà que, sans savoir que les apports de la sensation ne sont que les matériaux de l’Idée pour que de ses ondes intelligentes elle tente, en le plus d’unité-sciente, de reproduire en soi l’Univers et ses Rythmes, — la presque généralité des poètes n’est que la survie dégénérée des rapsodes du plaisir et de la douleur, et des philosophes qui ne peuvent se passer d’Eden ! […] Quant aux preuves directrices à exalter par le Poète, hors de l’arrivée à nous du savoir assez disant partiellement pour une unanime vérité, une Œuvre trop immense et simple est à venir : en une adéquate parole, le poème de toutes Activités vitales pénétré des intuitions d’une philosophie de la Matière en mouvement évolutive, — ou, poétiquement, sa Métaphysique. […] Or, au xvie  siècle, nous trouvons les notations suivantes, que sont :   a et o, et m, pour la grandeur, et pour la plénitude et l’amplitude, é et i, pour l’expression de délié, de rare, de menu, d’aigu et de pénétrant, et de deuil et de douleur, o et r, s et x, pour les grandes passions, et la rudesse et l’impétuosité, et l’âpreté, u et n, pour l’expression de voilé et de doute, et de noir. —    Un autre note, que :   e est le son le plus nué, le plus varié…   Mais Socrate et plus tard Lucrèce, voient la vérité d’une dépendance naturelle entre l’idée, et le son et les lettres du mot qui l’expriment.

1023. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Quant aux prologues, ils sont récités ordinairement par des personnages seuls, mais non pas en forme de monologues : c’est une scène hors d’œuvre, qui, à la vérité, fait bien partie du poème ancien, mais non pas de l’action théâtrale ; c’est un discours qui s’adresse aux spectateurs et en leur faveur, pour les instruire du fond de l’histoire, en attendant l’entrée du chœur, où commence précisément l’action, selon Aristote. […] Premièrement, il ne faut jamais qu’un acteur fasse un monologue en parlant aux spectateurs, et seulement pour les instruire de quelques circonstances qu’ils doivent savoir ; mais il faut chercher, dans la vérité de l’action, quelque raison qui l’ait pu obliger à faire ce discours ; autrement c’est un vice dans la représentation ; vice que l’on trouve fréquemment dans Plaute ; et que Térence n’a pas entièrement évité. […] On ne lui pardonnerait pas cette conduite dans la représentation, non plus que dans la vérité. […] Corneille a donné en même temps l’exemple et la leçon de l’attention qu’on doit apporter à la vérité du dialogue. […] Dans tous les cas, l’aparté est fort court ; il serait à souhaiter qu’il ne fût que d’un mot, parce que, dans l’exacte vérité, il nous peut échapper une parole qui n’est pas entendue de celui à qui l’on parle.

1024. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

II Mais l’expérience de nos devanciers nous a montré que, pour assurer la réalisation pratique de la vérité qui vient d’être établie, il ne suffit pas d’en donner une démonstration théorique ni même de s’en pénétrer. […] Le sentiment est objet de science, non le critère de la vérité scientifique. […] Mais ce principe n’est ni un axiome évident, ni une vérité démontrée ; ce n’est qu’une hypothèse, que rien même ne justifie. […] La vérité, c’est que la démocratie primitive et celle d’aujourd’hui sont très différentes l’une de l’autre. […] La vérité est qu’elles ont leur morale à elles.

1025. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Depuis quelques jours, ne vous déplaise, nous échangions avec une satisfaction assez plate des vérités incontestables. […] D’autre part, à la vérité, on en jugeait différemment. […] Doit-on confesser la vérité, même cruelle à autrui, ou bien serait-il mieux de l’ensevelir dons un miséricordieux silence ? […] Le titre qu’il leur donne, Vérité et Poésie, ne doit-il pas nous tenir en garde ? […] N’oublions pas que ce génie est le plus vaste et le plus complexe qui ait paru depuis Dante, le plus incapable par conséquent de se satisfaire, hormis dans l’entière possession de la vérité, de cette vérité divine et humaine à laquelle, lui aussi, il élèvera un jour un temple immortel.

1026. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Il est probable que Le Kain outra d’abord le rôle de Gengiskan, et que depuis il y mit plus de vérité et de profondeur. […] Ce qui manque essentiellement à tous ses ouvrages, c’est la vérité. […] Ninias n’est autre chose qu’Alcméon, un peu plus poltron à la vérité ; car Alcméon n’a pas peur des ombres, et ne tremble pas de tout son corps au moindre bruit qui sort d’un tombeau. […] Son opinion est spécieuse, et cependant je pense le contraire, et crois avoir pour moi la vérité : je me fonde sur ce principe d’éternelle justice, qu’un petit bien n’est rien en comparaison d’un grand mal. […] Cette vérité de mœurs est pénible et fastidieuse ; mais on est dédommagé de tous ces désagréments par des situations piquantes, par des détails enchanteurs, par des mots très heureux.

1027. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Il se déclara à lui-même qu’il n’y avait pas équilibre entre le dommage qu’il avait causé et le dommage qu’on lui causait ; il conclut enfin que son châtiment n’était pas, à la vérité, une injustice, mais qu’à coup sûr c’était une iniquité. […] C’est véritablement l’héroïsme de la vertu, le martyre nécessaire, mais mortel, de tout ce qui est humain dans l’homme, contre tout ce qui est divin, la vérité, aux dépens de la vie. […] Je suis le seul qui voie clair ici, et je vous dis la vérité. […] Cela serait plus simple, et tout aussi vrai que ces hymnes au génie fatigué de Napoléon ; et, comme l’histoire n’est souvent qu’une vérité convenue, cela finirait tout, et tout serait dit ! […] Charras, mâcher et remâcher cette journée, revanche des vaincus au jeu des batailles, et nous disons : Il est plus beau d’accepter une défaite et de s’en relever, que de se révolter sans cesse contre la triste vérité, surtout devant sa capitale conquise, son empereur à Sainte-Hélène, son pays rançonné, et de soutenir au monde qu’on a marché de victoire en victoire, de Madrid à Toulon, de Moscou au Rhin, de Leipsik à Mayence, de Waterloo à Paris, à la suite d’un homme infaillible qui n’a pas fait un faux pas dans sa vie.

1028. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Ici, on nous permettra quelques détails, — et quelques vérités. […] Nous lui représentions notre situation, la nécessité où nous avions été de dire la vérité, toute la vérité. […] Renversez les mots, Monsieur, et vous aurez la vérité ! […] Nous n’aimons pas voir sa robe s’accrocher au clou du lupanar, et toute débraillée, titubant à travers les ruisseaux, voir la Muse, le stigmate de l’impudeur au front, s’en aller, psalmodiant des rapsodies sans nom, parmi lesquelles rien ne transpire, ni vérité, ni style, ni inspiration ! […] Du haut de ces prétendus paradoxes passés à l’état de vérités, de truism, voici aujourd’hui ma vaticination sur le théâtre.

1029. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

C’est en fait de lectures surtout qu’on peut dire avec vérité que le salut gît dans le nombre. […] Il semble qu’on ait inventé pour lui ce bizarre assemblage de mots : vérités ingénieuses. […] N’y a-t-il pas là quelque chose qui choque les principes éternels de la vérité et de la justice ? […] Le temps seul confirme la vérité des nouvelles, mais il leur enlève aussi leur unique attrait. […] Chacun peut aujourd’hui juger par lui-même de la vérité de cette assertion, car le discours de M. 

1030. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] Je rame, en vérité, pour amuser Mme la duchesse de Bourgogne… Comme on sent partout dans Mme de Maintenon à Saint-Cyr une âme qui en a assez du monde, qui dit aux jeunes âmes riantes : « Si vous connaissiez le monde, vous le haïriez » ; qui a connu la pauvreté et le manquement de tout, qui a été obligée de faire bonne mine et de sourire contre son cœur, d’amuser les autres, puissants et grands, et qui, sensée, délicate, raisonnable, est à bout de toute cette longue et amère comédie, — ne désirant plus, le masque tombé, que le repos, la réalité, la vérité, et une tranquilité égale et fructueuse dans l’ordre de Dieu !

1031. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Si l’on voulait, à toute force, tirer une leçon du livre, rien ne serait plus aisé : les moralistes chrétiens ont parlé souvent en termes généraux, mais avec une grande vérité, des misères de la passion et de l’enfer des jalousies ; on en a ici un exemple à nu, on a un damné qui sort de son gouffre et de son cercle dantesque pour nous faire sa confession atroce et d’une énergie truculente. […] Mais après avoir encore une fois savouré ces tristes délices de la lecture d’Adolphe, avoir goûté cette finesse consommée d’expérience sociale, cette vérité aride et terne, si bien dissoute et démêlée, et avoir reconnu, par-dessus tout, le cachet d’élégance et de distinction achevée empreint dans l’ensemble, je n’ai pu m’empêcher d’admirer la différence des temps, des sociétés, des écoles diverses. […] Quelques autres prétendent que le cas de Roger est trop singulier et trop poussé à bout pour être tout à fait vrai, que l’impitoyable rigueur logique avec laquelle procède sa passion est plus logique que la vérité même, ou du moins que la vraisemblance en pareil cas ; que cette impression se prononce surtout en avançant, et qu’on y croit sentir un parti pris ; que ce n’est que quand on invente que l’on est tenté ainsi d’exagérer, et que tout s’expliquerait pour la critique s’il n’y avait de tout à fait observés que les trois quarts de l’histoire de Roger, le reste étant inventé et composé.

1032. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Il y a dans ce Petit-Poucet, coup sur coup, trois de ces vues de forêt, qui sont des merveilles ou plutôt d’admirables vérités de nature et de paysage. […] Boileau n’aimait et n’estimait guère rien en dehors des livres ; il n’avait nul goût pour les sciences, pas même la curiosité de se tenir au courant de leurs résultats généraux ; le tour précieux et maniéré, que Fontenelle donna à son livre de la Pluralité des Mondes, l’empêcha toujours d’en reconnaître la vérité et la supériorité philosophique. […] « La vérité avec lui se continue, même dans le merveilleux. » Il a de ces menus détails qui rendent tout d’un coup vraisemblable une chose impossible.

1033. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Elles lui savent un gré infini de sa préoccupation morale constante à leur égard, même quand cette préoccupation dissimulerait une bonne part de vérité. […] La vérité de l’observation y est subordonnée à une intention, à un but. […] Le jeu de mots, comme il arrive quelquefois, a conduit à la vive et parfaite vérité.

1034. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

La philosophie des Grecs, qui acheminait à la connaissance de la vérité, était, si l’on en croit Bossuet, une émanation lointaine de l’Orient et de la tradition juive. […] Disons la vérité et rendons toute notre pensée sans détour. […] Mais il est juste aussitôt d’ajouter qu’il n’y a pas là de quoi décourager ceux qui ne sont nullement rivaux du grand évêque, qui procèdent d’un autre esprit et qui, sans sortir du domaine des faits positifs et du champ visuel des causes secondes, ne prétendent qu’au genre de vérité sublunaire qui est à la portée de notre recherche et de notre raison.

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