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592. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Si le rire y est, le rire au bruit duquel tombent les anges, les âmes et les empires, il y a aussi une mélancolie plus puissante encore que ce rire charmant et pernicieux. […] Otez l’histoire exquise des Amants fortunés, un petit chef-d’œuvre tombé du ciel bleu des Légendes dans le livre d’Avellaneda, et demandez-vous donc où la grâce des récits du vieux Cervantes s’en est allée ?

593. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Taine »

Condillac qui dormait, lui, dans sa tombe, du sommeil non des justes, mais des ennuyés qui ont fini par s’écouter, Condillac au grêle système, le Pygmalion mystifié de cette statue qu’il ne put jamais animer, Condillac revient à la vie et à la mode de par Taine, à la mode lui-même, et cela après les travaux des Écoles écossaise, française et allemande, après Reid, Dugald-Stewart, Royer-Collard, Jouffroy, Cousin, Kant, Fichte, Schelling, Hegel. […] Condillac, le petit Condillac, après tous ces grands bonshommes dont quelques-uns : Kant, Fichte et Hegel, sont énormes ; le petit Condillac, tué comme le rat d’Hamlet depuis longtemps, et tombé derrière la tapisserie !

594. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Ceux qui ont reçu de la nature une âme forte, ceux qui ont le bonheur ou le malheur de sentir tout avec énergie, ceux qui admirent avec transport et qui s’indignent de même, ceux qui voient tous les objets de très haut, qui les mesurent avec rapidité et s’élancent ensuite ailleurs, qui s’occupent beaucoup plus de l’ensemble des choses que de leurs détails, ceux dont les idées naissent en foule, tombent et se précipitent les unes sur les autres, et qui veulent un genre d’éloquence fait pour leur manière de sentir et de voir, ceux-là sans doute ne seront pas contents de l’ouvrage de Pline ; ils y trouveront peut-être peu d’élévation, peu de chaleur, peu de rapidité, presqu’aucun de ces traits qui vont chercher l’âme et y laissent une impression forte et profonde ; mais aussi il y a des hommes dont l’imagination est douce et l’âme tranquille, qui sont plus sensibles à la grâce qu’à la force, qui veulent des mouvements légers et point de secousses, que l’esprit amuse, et qu’un sentiment trop vif fatigue ; ceux-là ne manqueront pas de porter un jugement différent. […] Cependant dans ces murs même et dans ces retraites profondes auxquelles il avait confié sa sûreté, il enferma avec lui un dieu vengeur des crimes27. » Et un moment après il nous peint les statues de Domitien abattues, une foule empressée, le fer et la hache à la main, ardente à mutiler ces images d’or, comme si leurs coups tombaient sur le tyran.

595. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Une pièce tombée à la première ne se relève point ; une pièce vraiment applaudie à la première dure toujours. […] Sans doute Tartuffe marche toujours, encore qu’il tombe lui-même à n’être joué que 19 fois, de 1790 à 1800. […] La toile tombe. […] Quel homme et quelle femme pourront tomber, par leurs travers, dans cette position extraordinaire et y rester pendant quelque temps ? […] Une palmette sur cette petite tombe aimable.

596. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Le royal orateur disserte et démontre. « Adam est capable de se soutenir, quoique libre de tomber. Tels j’ai créé tous les pouvoirs éthéréens, tous les esprits, ceux qui se sont soutenus et ceux qui sont tombés. Librement les uns se sont soutenus, librement les autres sont tombés. […] Dès que je l’eus vu, je tombai à ses pieds comme mort. Quand Milton arrangeait sa parade céleste, il n’est pas tombé mort.

597. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Michelet de Berlin ont glissé sur la pente dangereuse des conséquences logiques, et ont fini par tomber dans la démagogie et dans le socialisme. […] Il ne peut voir une aurore sans regretter l’aube, l’aube sans regretter la nuit, ni une belle nuit sans regretter le tomber du jour. […] Si le drame avait eu six actes, nous tombions tous asphyxiés. […] Tombé dans la plus profonde misère, le joueur assassine un voyageur dans une forêt et le vole pour apporter du pain à sa femme et à ses enfants. […] À la première représentation, ce mélodrame dont le héros s’appelait Robert Macaire, était tombé.

598. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Lui aussi est « un jeune mort », et il n’a pas fallu beaucoup d’années pour qu’il allât rejoindre dans la tombe, de Villarceaux, Destroyes et les autres. […] Les Champs-Élysées, dès que la nuit tombait, devenaient aussi dangereux que la plaine de Marathon ; les plus aventureux s’arrêtaient à la place de la Concorde. […] Tant d’exigence n’irait pas à un dieu tombé. […] se disent-ils, la verte chevelure de la mère Cybèle tombe boucle à boucle, et bientôt apparaîtra tout nu le crâne chauve de la terre ! […] Hugel y est tombé malade d’une fièvre nerveuse qui lui a duré quinze jours à Tripoli, puis à peu près autant à Beyrouth, où nous étions allés par mer.

599. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Asselineau nous tombent sous la main, de quels amers regrets ne sommes-nous pas saisi ? […] s’écriait-on de toutes parts, dussions-nous tomber dans la mer ! […] c’est un secret que je remporterai dans la tombe, répond le personnage interpellé. […] Encore un des vaillants soldats de l’armée romantique qui est tombé loin du champ de bataille, — car, hélas ! […] Ainsi un soldat tombé dort dans son manteau de guerre.

600. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Cicéron vit son crédit tomber insensiblement, et sa sûreté même menacée pour l’avenir. […] Mais cette menace hypocrite tomba d’elle-même, et fut oubliée dans les soins nombreux qui suivirent. […] La fiction et l’histoire attestent également la décrépitude où était tombé l’esprit humain. […] mon âme, change-toi en quelque goutte d’eau, et tombe dans l’Océan, pour n’être jamais retrouvée !  […] Maintenant, tandis que je parle, elles tombent de fatigue ; et cependant la crainte me les fait rouvrir.

601. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Il disoit dans une autre lettre : « Quand il n’y auroit que le décri où est tombé le P. […] Le choix tomba sur le vieux Soanen, évêque de la petite ville de Sénès : il avoit été de l’oratoire. […] La plupart de ces reproches ne pourroient-ils pas tomber également sur les médecins ? […] Bien d’autres avoient jetté des fleurs sur la tombe d’Arnauld. […] Sommes-nous trente-neuf, on tombe à nos genoux.

602. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Ils étaient tombés si bas, qu’ils n’avaient plus même le dégoût physique. […] Un jour, ayant trop dîné, il tomba du haut d’un escalier et se cassa le cou ; la perte n’était pas grande. […] Il tempête, vocifère de sa langue pâteuse un radotage d’imbécile, puis tout d’un coup tombe endormi. […] » Il se démène, il veut tomber dessus à grands coups de poing. […] Quel que fût l’homme et quelle que fût l’affaire, il persuadait ; nul ne lui résistait, tout le monde tombait sous le charme.

603. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Pendant cet interrègne de la violence et de la conquête, le droit se tait, la fortune seule juge, le monde légal cesse d’exister pendant une période d’attentats heureux ou malheureux ; puis les armes tombent, par lassitude, des mains de l’Europe. […] Il n’a point été impatient de justice ; il ne l’a pas attendue, cette justice, de ses contemporains ; il a jugé que ni les républicains ardents et sectaires, ni les royalistes absolus et irrités, ni les hommes religieux implacables contre sa répudiation du sacerdoce, même sanctionnée par le souverain pontife, ni les démocrates jaloux de toute antiquité de race dans ceux-là même qui les adoptent, ni les démagogues furieux contre ceux qui conservent le sang-froid et la mesure aux révolutions, ni les bonapartistes survivants du premier Empire, qui ne pardonnent pas à l’homme de 1814 d’avoir préféré la patrie à un homme, et prévenu par la déchéance de Napoléon le suicide de la France, ni les apôtres turbulents de la guerre, qui ont toujours trouvé entre eux et leurs mers de sang, dans les ministères, dans les ambassades, dans les congrès, l’homme de la paix, personnifié par le grand diplomate, ni les légitimistes de 1830, qui n’excusent pas ce vieillard monarchique d’avoir conseillé deux Bourbons sur le même trône, ni toutes les médiocrités, enfin, que la longue fortune et la supériorité exaspère contre tout nom historique, il n’a pas jugé, disons-nous, qu’aucun de ces partis contemporains fût assez impartial pour l’écouter, même du fond de sa tombe ; il a su attendre, et il a bien fait. […] C’est cette pensée honnête, persévérante, patriotique et européenne, la paix, qui surnage sur la tombe de M. de Talleyrand ; elle donne une signification véritablement morale à une vie grosse de petites immoralités, mais pure de crimes ; elle fait extraire, avec un respect au moins politique, le nom de M. de Talleyrand de la gémonie des vices où M. de Chateaubriand l’avait enseveli sous ses invectives. […] Ce qu’il fallait à la France pour le dedans comme pour le dehors à cette époque, c’était un dictateur, seul remède héroïque des révolutions qui ne veulent tomber ni dans l’invasion ni dans le crime. […] Cependant l’Angleterre, la Russie, la Prusse, l’Autriche, étaient tombées d’accord qu’il fallait unir la Hollande et la Belgique en une seule monarchie sous la royauté du prince d’Orange.

604. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Dans ce monde constipé de cœur et bourrelé de vanité discrète, n’attendez pas que le moindre quinquet littéraire allumé par Brucker reconnaisse lui devoir l’étincelle tombée sur sa mèche ! […] C’est Brucker, tombé des athénées du monde dans les cryptes des églises chrétiennes. […] La Grâce, quand son rayon tombe dans un homme, va jusqu’à l’écrivain. […] Il a ouvert le ciel comme un pavillon au-dessus de la montagne qui portait à son sommet l’image de l’archange, et il en a fait tomber une lumière céleste pour mieux éclairer les faits prodigieux qu’il allait raconter. […] Passionné comme un homme qui a une croyance, Paul Féval a, dans une opinion opposée, une vie de talent comparable à celle de Michelet et qui le distinguera des froids historiens de ce temps, qu’on pourrait appeler les Croquemorts de l’Histoire. — Morts debout, qui écrivent sur d’autres morts couchés dans la tombe !

605. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

L’antiquité latine, plus rapprochée de nous que la grecque, nous est dès longtemps plus familière ; c’est sur elle que tombent d’abord les regards, et qu’aussi, à mesure qu’on s’éloigne, on a plus de facilité pour se reporter. […] Ces remarques, qui tombent sur l’ensemble du poëme, cessent de s’appliquer justement au chant iii, c’est-à-dire au moment de l’arrivée des héros en Colchide, et dès qu’intervient le personnage de Médée. […] Chez les Anciens, on le sait, la foudre tombe presque à coup sûr ; les Modernes ont inventé les paratonnerres. […] Le cœur lui tomba de la poitrine, ses yeux se troublèrent d’un brouillard, une chaude rougeur saisit ses joues ; elle n’avait la force de lever les genoux pour faire un pas en avant ni en arrière, mais ses pieds restaient fichés sur place. […] Le premier, le fils d’Éson reconnut qu’elle était tombée dans le mal sacré, et, d’une voix caressante, il lui tint ce langage… » L’admirable comparaison des deux arbres est du genre de celles qui abondent dans les littératures anciennes, qui sont assez rares dans les littératures modernes, mais dont en particulier la poésie française dite classique s’est scrupuleusement préservée.

606. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Si vous pouviez le lire dans la langue où il est psalmodié plutôt qu’écrit, vous reconnaîtriez, dans l’accent des vers, l’accent d’airain de la cloche funèbre qui tinte sur la tombe des morts ! […] Rien n’est stable dans ce bas monde, pas même la tombe des grands hommes : les sépulcres ont leurs vicissitudes comme les empires. […] Or la source tombe éternellement de sa grotte et les pèlerins se renouvellent, comme les feuilles, chaque automne, à la colline euganéenne d’Arquà. […] Lui aussi il alla, quelque temps avant moi, visiter à loisir la tombe d’Arquà, et il plaça dans les collines euganéennes, voisines de sa patrie, les scènes de son poème en prose de Jacobo Ortiz. […] Il lève les yeux dans un moment de distraction ; son regard tombe, par hasard ou par prédestination, sur une jeune femme en robe de velours vert brodée d’or.

607. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Charles, qui tombait en province pour la première fois, eut la pensée d’y paraître avec supériorité. […] Au-dessus d’une assise de pierres toutes rongées s’élevait une grille de bois pourri, à moitié tombée de vétusté, mais à laquelle se mariaient à leur gré des plantes grimpantes. […] Quand le soleil atteignit un pan de mur, d’où tombaient des cheveux de Vénus aux feuilles épaisses à couleurs changeantes comme la gorge des pigeons, de célestes rayons d’espérance illuminèrent l’avenir pour Eugénie, qui désormais se plut à regarder ce pan de mur, ses fleurs pâles, ses clochettes bleues et ces herbes fanées, auxquelles se mêla un souvenir gracieux comme ceux de l’enfance. […] « Aussitôt Nanon donna le bras à sa maîtresse ; autant en fit Eugénie, et ce ne fut pas sans des peines infinies qu’elles purent la monter chez elle, car elle tombait en défaillance de marche en marche. […] Eugénie s’élança pour le ressaisir ; mais le tonnelier, qui avait tout à la fois l’œil à sa fille et au coffret, la repoussa si violemment en étendant le bras, qu’elle alla tomber sur le lit de sa mère.

608. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

C’est d’abord Aristote, le dieu de la philosophie du Moyen Âge, qui tombe sous les coups des réformateurs du XVe et du XVIe siècle, avec son grotesque cortège d’Arabes et de commentateurs ; puis c’est Platon, qui, élevé un instant contre son rival, prêché comme l’Évangile, retrouve sa dignité en retombant du rang de prophète à celui d’homme ; puis c’est l’antiquité tout entière qui reprend son sens véritable et sa valeur, d’abord mal comprise dans l’histoire de l’esprit humain ; puis c’est Homère, l’idole de la philologie antique, qui, un beau jour, a disparu de dessus son piédestal de trois mille ans et est allé noyer sa personnalité dans l’océan sans fond de l’humanité ; puis c’est toute l’histoire primitive, acceptée jusque-là avec une grossière littéralité, qui trouve d’ingénieux interprètes, hiérophantes rationalistes qui lèvent le voile des vieux mystères. […] Mettez l’esprit au niveau de la science, nourrissez-le dans la méthode rationnelle, et, sans lutte, sans argumentation, tomberont ces superstitions surannées. […] On est presque tenté de se frapper la poitrine pour l’audace que l’on a eue en bonne santé ; les ressorts s’affaiblissent ; les instincts généreux et forts tombent ; on éprouve je ne sais quelle molle velléité de se convertir et de tomber à genoux. […] Aujourd’hui nous ne concevrions plus de grande éloquence sur une tombe sans un doute, un voile tiré sur ce qui est au-delà, une espérance, mais laissée dans ses nuages, doctrine moins éloquente peut-être, mais certainement plus poétique et plus philosophique qu’un dogmatisme trop défini, donnant, si j’ose le dire, la carte de l’autre vie. […] La vie était tombée à un effrayant bon marché.

609. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme fut plus doué et plus accompli dans sa jeunesse que dans sa caducité ; nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme, encore tout chaud sorti de la main de Dieu d’où il venait de tomber, encore tout imprégné des rayons de son aurore, instruit par la révélation de ses instincts intellectuels, pourvu d’une science innée plus nécessaire et plus vaste, d’un langage plus expressif du vrai sens des choses, vivait dans la plénitude de vie, de beauté, de vertu, de bonheur, Apollon de la nature devant lequel toute autre créature s’inclinait d’admiration et d’amour. […] Les générations ont été fauchées dans leur fleur, au lieu de tomber dans leur maturité. […] Je me souviens toujours du saint vertige qui me saisit la première fois que des fragments de cette poésie sanscrite tombèrent sous mes yeux. […] Tout à coup je tombai sur un fragment de trente ou quarante lignes qui étincelèrent à mes yeux comme si ces lignes avaient été écrites, non avec le pinceau du poète trempé dans l’encre, mais avec la poussière de diamants et avec les couleurs de feu des rayons que le soleil levant étendait sur la page ; ce fragment était un éblouissement de l’âme mystique, appelant, cherchant, trouvant, embrassant son Dieu à travers l’intelligence, la vertu, le martyre et la mort, dans l’ineffable élan de la raison, de la poésie, de l’extase. […] Le chevreuil tomba, l’épaule cassée par la balle, bondissant en vain dans sa douleur sur l’herbe rougie de son sang.

610. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Or le monde est double, ou plutôt il y a dans le monde deux mondes : le monde qu’on voit, et le monde invisible ; l’un est aussi certain que l’autre, quoiqu’il ne tombe pas sous les sens, parce qu’il tombe sous le sens des sens, l’intelligence ! […] Il y a en nous et hors de nous un être qui ne tombe pas sous nos sens, c’est ce que nous appelons l’esprit. […] Absurdité ou blasphème, qui ferait tomber les écailles des yeux et les étoiles du firmament ! […] Celui-là est un imitateur ou plutôt un traducteur sans scrupule de tout ce qui lui tomba sous la plume. […] Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant, je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte ; heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d’une voix qui tombe et d’une ardeur qui s’éteint. » XXX La langue française prit dans cette bouche un accent qu’elle ne retrouva pas après lui ; mais il en reste un certain écho dans la voix des grands orateurs de la chaire qui lui succèdent sans l’égaler.

611. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Notez bien qu’à chaque rédaction nouvelle d’Anthologie, comme on faisait entrer pour une bonne part les poëtes modernes qui avaient paru dans l’intervalle, on sacrifiait quelque chose des anciens ; de sorte que chaque fois il tombait plus ou moins de la fleur du panier. […] Agé de beaucoup d’années, j’ai gravé ceci sur mes tablettes en vue de la tombe, car celui qui est voisin de la vieillesse n’est pas loin de Pluton. […] » — Une autre fois, s’adressant suivant l’usage à la lampe, il la suppliait de s’éteindre plutôt que de favoriser de sa clarté les plaisirs d’un autre, et il souhaitait de plus que cet autre tombât tout d’un coup accablé de sommeil, comme ce beau dormeur Endymion, lequel, on le sait, ne sentait pas son bonheur. […] et sur ta tombe amèrement baignée je verse en libation le souvenir de nos amours, le souvenir de notre affection ; car tu m’es chère jusque parmi les morts ; et moi, Méléagre, je m’écrie pitoyablement vers toi, stérile hommage dans l’Achéron ! […] L’une tombe penchée sur les genoux de la mère, l’autre dans ses bras, l’autre à terre, l’autre à sa mamelle ; une autre, effarée, reçoit le trait en face ; une autre, à l’encontre de la flèche, se blottit ; l’autre, d’un œil qui survit, regarde encore la lumière.

612. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Toutes les hautes têtes du siècle sont ses rejetons, et, parmi celles-ci, quelques-unes sont au nombre des plus hautes qu’ait produites l’espèce humaine  C’est que la nouvelle semence est tombée sur le terrain qui lui convient, je veux dire dans la patrie de l’esprit classique. […] Sitôt qu’un geste adroit a fait brusquement tomber le masque héréditaire et solennel qui couvrait une sottise, nous éprouvons cette étrange convulsion qui écarte les deux coins de la couche et qui secoue violemment la poitrine, en nous donnant le sentiment d’une détente soudaine, d’une délivrance inattendue, d’une supériorité reconquise, d’une vengeance accomplie et d’une justice faite. […] Non seulement il descend ainsi jusqu’au fond de la doctrine antireligieuse et antisociale, avec toute la raideur de la logique et du paradoxe, plus impétueusement et plus bruyamment que d’Holbach lui-même ; mais encore il tombe et s’étale dans le bourbier du siècle qui est la gravelure, et dans la grande ornière du siècle qui est la déclamation. […] Le fruit mûrissant, savoureux, suspendu à la branche, n’y tombe pas, mais semble toujours sur le point de tomber ; toutes les mains se tendent pour le cueillir, et la volupté un peu voilée, mais d’autant plus provocante, pointe, de scène en scène, dans la galanterie du comte, dans le trouble de la comtesse, dans la naïveté de Fanchette, dans les gaillardises de Figaro, dans les libertés de Suzanne, pour s’achever dans la précocité de Chérubin.

613. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Je tombai sur ton sein en sortant du sein de ma mère ; dès ma sortie du ventre de ma mère, c’est toi qui fus mon Dieu ! […] « Elle épouvante les biches, elle fait tomber les feuilles des forêts ! […] Je tombe en défaillance, j’espère être plaint. […] Ce fut pour moi le sursaut des siècles endormis se réveillant dans un écho au souffle d’un enfant berger autour de la tombe du grand joueur de flûte. […] Quel forfait n’eût lavé cette larme sonore Qui tomba sur sa harpe et qui résonne encore !

614. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Elle eut le malheur de tomber sur un homme « distingué. » Cela commença par un commerce de poésies et une amitié « littéraire. » Marceline se défendit un assez long temps. […] Toutes les humiliations tombées sur la terre à l’adresse de la femme, je les ai reçues. […] « Nous eussions préféré sans doute qu’on ne fît pas tant de bruit autour de la tombe d’une femme qui eut, comme tant d’autres, le tort de croire à l’honnêteté d’un gredin de lettres. […] À Bordeaux, elle reste deux jours sans manger et tombe évanouie dans la rue. […] Que dites-vous de cette phrase sur les émeutiers massacrés à Lyon : « Tomber ainsi en martyr, sous l’atroce barbarie des rois, c’est aller au ciel d’un seul bond, et ce qui nous reste à voir peut-être dans cette ville infortunée nous faisait par moments envier l’élite qui montait à Dieu » ?

615. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

La gloire des hommes, s’élevât-elle jusqu’au ciel, tombe flétrie contre terre à ma noire approche, et je l’écrase sous mes trépignements. Et quand il tombe, celui que j’ai frappé, il l’ignore, aveuglé qu’il est par son noir délire, et les hommes l’entendent gémir dans sa maison chargée de ténèbres. » V. — Pallas-Athéné. — Ses origines naturelles. — Son type spiritualisé est l’idéal de la Grèce. — La Guerrière. — La Politique. — L’Artiste. — L’Ouvrière. — Pureté de sa légende. — Sa prédilection pour Athènes. — Athènes élève d’Athéné. […] Elle en frappa l’horrible Arès à la gorge, et rompit ses forces, et il tomba couvrant sept arpents de son corps, et ses cheveux roulèrent dans la poussière, et ses armes retentirent sur lui. […] Calme les flots noirs de ton cœur. » — Mais la Vierge se radoucit aussitôt, et reprend son éloquence conciliante : à chacune de ses paroles on croit voir tomber de ses lèvres une feuille d’olivier. […] Il en était de lui comme de ces vieilles idoles, rudement sculptées en bois d’olivier, qui passaient pour tombées du ciel.

616. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Dans son épitaphe, gravée sur sa tombe à Gela et faite par lui-même, Eschyle atteste « le mède aux longs cheveux ». […] Sorte de filtrage, épurant et amoindrissant, d’où la vieille doctrine divine tombait goutte à goutte, humaine. […] Le vase plein me tombe sur la « tête et s’y casse, odorant, mais autrement qu’une urne à parfums. » Qui dit cela ? […] L’herbe pousse sur les six marches de la tribune où a parlé Démosthène, le Céramique est un ravin à demi comblé d’une poussière de marbre qui a été le palais de Cécrops, l’Odéon d’Hérode Atticus n’est plus, au pied de l’Acropole, qu’une masure sur laquelle tombe, à de certaines heures, l’ombre incomplète du Parthénon ; le temple de Thésée appartient aux hirondelles, les chèvres broutent sur le Pnyx ; mais l’idée grecque est vivante, mais la Grèce est reine, mais la Grèce est déesse. […] Ici la masure d’une épopée, là une tragédie démantelée ; de grands vers frustes enfouis et défigurés, des frontons d’idées aux trois quarts tombés, des génies tronqués comme des colonnes, des palais de pensée sans plafond et sans porte, des ossements de poëmes, une tête de mort qui a été une strophe, l’immortalité en décombres.

617. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

l’humanité elle-même tout entière aurait pu dire, comme une famille quand elle a perdu celle qui faisait sa joie et son honneur : « La couronne de notre tête est tombée !  […] Leur parlant déjà comme à un peuple-roi, leur prouvant que, du moment qu’ils l’ont été une fois, ils ne peuvent reculer et sont condamnés à l’être toujours ou à ne plus être du tout, à n’espérer plus même, s’ils tombent, la condition ordinaire des cités sujettes, il professe, à leur usage, les plus fermes maximes publiques et politiques : « Être haï, être odieux dans le présent, ç’a été le lot de tous ceux qui ont aspiré à l’empire sur les autres ; mais quiconque encourt cet odieux pour de grandes choses, il prend le bon parti et il n’a pas à s’en repentir. » Et certes, si l’on entendait toujours le Périclès de Thucydide, ce Démosthènes non seulement en parole, mais en action, on ne permettrait plus aux Romains de se vanter, comme ils l’ont fait, d’avoir ajouté de la solidité au génie charmant des Grecs. […] Et n’est-ce pas chez lui qu’on doit aller chercher le mot le plus expressif pour rendre la douceur même (the milk of human kindness), cette qualité que je demande toujours aux talents énergiques de mêler à leur force pour qu’ils ne tombent point dans la dureté et dans la brutale offense, de même qu’aux beaux talents qui inclinent à être trop doux, je demanderai, pour se sauver de la fadeur, qu’il s’y ajoute un peu de ce que Pline et Lucien appellent amertume, ce sel de la force ; car c’est ainsi que les talents se complètent ; et Shakespeare, à sa manière (et sauf les défauts de son temps), a été complet. […] Et, en cela, je suis averti d’être circonspect, quand je me rappelle combien les plus grands des esprits, les plus fermes et les plus hautes intelligences dans les différents ordres (Laplace, Lagrange, Napoléon), sont sobres d’éloges, mais aussi comme ils les font tomber juste sur la partie principale d’un mérite ou d’un talent ; et alors, il suffit d’un mot pour le marquer à jamais.

618. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Sauf chez La Fontaine, un génie spontané et isolé qui rouvre les sources anciennes, sauf chez La Bruyère, un chercheur hardi qui ouvre une source nouvelle, sauf chez Voltaire, un démon incarné qui, dans ses écrits anonymes ou pseudonymes, lâche la bride aux violences et à la crudité de sa verve358, les mots propres tombent en désuétude. […] Quand Corneille et Racine, à travers la pompe ou l’élégance de leurs vers, nous font entrevoir des figures contemporaines, c’est à leur insu ; ils ne croyaient peindre que l’homme en soi ; et, si aujourd’hui nous reconnaissons chez eux tantôt les cavaliers, les duellistes, les matamores, les politiques et les héroïnes de la Fronde, tantôt les courtisans, les princes, les évêques, les dames d’atour et les menins de la monarchie régulière, c’est que leur pinceau, trempé involontairement dans leur expérience, laissait par mégarde tomber de la couleur dans le contour idéal et nu que seul ils voulaient tracer. […] J’ai vu les lettres décliner et tomber enfin dans une décadence presque entière. […] I.) — « Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent de même. » (Descartes, Discours de la méthode, I, 142.) — Au dix-septième siècle, on construit a priori avec des idées, au dix-huitième siècle avec des sensations, mais toujours par le même procédé, qui est celui des mathématiques et qui s’étale tout entier dans l’Éthique de Spinosa.

619. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

J’appelle masculine une rime qui porte un accent sur la dernière syllabe ; féminine, lorsque cet accent tombe sur la pénultième syllabe d’un mot. […] Pour sortir de l’ornière classique, le jeune poète risquait de tomber dans une des fondrières du romantisme, et probablement il lui eût fallu plus d’expérience qu’il n’en avait alors pour démêler dans des traditions bizarres et informes la poésie véritable qu’elles peuvent renfermer. […] « Une ondée arrose un instant ses feuilles endormies, et de ses branches tombe une pluie mortelle sur le sol brûlant. […] « Il l’apporte, chancelle, tombe sur les nattes de la tente, et le misérable esclave expire aux pieds de son prince invincible.

620. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Je ne puis faire grand cas de cette sagesse toute négative, si en faveur parmi nous, qui consiste à critiquer les chercheurs et à se tenir immobile dans sa nullité pour rester possible et ne pas être subversif C’est un petit mérite de ne pas tomber quand on ne fait aucun mouvement. […] C’est le vieux Balaam qui tombe et ses yeux s’ouvrent 169. […] Nous autres, Français, qui avons l’esprit absolu et exclusif, nous tombons ici en d’étranges illusions et nous faisons fort souvent ce raisonnement, qui sent encore sa scolastique : « Tel système d’institution serait intolérable chez nous, au point où nous en sommes : donc il doit l’être partout, et il a dû l’être toujours. » Les simples portent cela jusqu’à des naïvetés adorables. […] Qu’une vingtaine de colons tombent malades au début d’une colonie, on jette les hauts cris.

621. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Combattre un contre mille, défier tous les supplices quand ils tombent aux mains de l’ennemi, n’est guère qu’un jeu pour tous ces héros. […] Roland s’évanouit, quand il voit tomber mort son ami Olivier. […] Alzire résiste,, il est vrai, mais elle veut se tuer pour se dérober à celui qui est devenu son époux et son maître, pour rejoindre au moins dans la tombe l’amant qu’elle a perdu. […] Dans les moments de ferveur religieuse la prédication a des triomphes qui paraissent surnaturels ; des paroles tombées du haut de la chaire se traduisent aussitôt en actes passionnés ; ainsi, à la voix puissante de Savonarole, jeux, danses, tableaux et statues profanes disparaissent de la légère et païenne Florence et toutes les vanités mondaines sont brûlées solennellement sur la grande place, en compagnie du seigneur Carnaval, par une population fanatisée.

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