L’admiration de Marais pour Boileau est absolue d’ailleurs, et n’excepte pas les derniers fruits de sa veine et les œuvres de sa vieillesse, pas même la triste Satire de l’Équivoque, si critiquée à sa naissance et si tombée depuis, conception étroite et bizarre, où toute l’histoire de l’humanité est renfermée dans celle de la casuistique ; l’amitié, en ceci, abuse Marais et lui fait d’étranges illusions : « J’ai vu l’Équivoque manuscrite, écrit-il à une amie (mars 1711) ; c’est un chef-d’œuvre non seulement de la poésie, mais de l’esprit humain. […] Mais, quand la vignette parut, le Système était à vau-l’eau, la Banque était tombée en discrédit, et l’éloge se tournait dès lors en une sanglante satire.
Le contraste entre la distance de la tombe et du berceau y est marqué, et même par deux fois : il s’agit non pas du même Ida que dans Virgile, mais d’une ville d’Hyda, en Lydie. […] Or maintenant, nous allons nous rendre bien compte du procédé de Virgile : il s’empare de cette intention de sentiment qu’il y a dans le contraste des lieux, dans la distance qui sépare le berceau et la tombe.
Car ce qu’on ne sait pas assez, ce que les aisés et les heureux oublient trop vite, c’est que lorsqu’une fois une maison, un humble ménage est tombé au-dessous de son courant, lorsqu’il y a eu chômage dans le travail, lorsqu’un arriéré s’est une fois formé et grossi jusqu’à la dette, on ne se rattrape jamais : on en a de ce poids sur la tête pour toute la vie. […] Il semble que ses vers sont tombés de sa plume sans nul effort, comme les mots d’une bouche éloquente… C’est par là que Mme Valmore me paraît digne d’occuper une des premières places parmi les femmes-poètes de ce siècle.
Toutes conjectures d’un ordre inférieur doivent tomber comme grossières et dénuées de fondement. […] Il sentit que, dans l’âge futur régénéré, l’union de l’ordre de justice et de vérité avec l’ordre matériel n’aurait plus lieu que par un mode libre et nouveau, convenable à la virilité des peuples ; il avait hâte d’ailleurs de voir tomber ces liens adultères qui, enchaînant un timide ou cupide clergé à un pouvoir enivré de lui-même, retardaient l’éducation spirituelle si arriérée et le ravivement du christianisme.
A l’enterrement d’un professeur fort aimé, on vit s’avancer au bord de la tombe un jeune homme (c’était M. […] Car c’est le repentir d’avoir aimé trop peu Qui, de l’exil, vers vous la rappelle angoissée, Comme une ombre sortant de sa tombe glacée, Surprise par la mort sans avoir fait d’adieu.
Il y a une manière très-usitée de prendre Pascal et de le présenter à grands traits dans son ensemble ; nous tous plus ou moins, écrivains de ce siècle, lorsque nous avons parlé de lui à la rencontre, nous sommes tombés dans cette manière-là. […] Dans l’Hippolyte d’Euripide, lorsque le jeune et innocent chasseur est tombé victime de l’embûche que lui a dressée Vénus, Diane, sa divinité chérie, sa protectrice de tout temps et qui n’a pu toutefois le sauver, arrive du moins pour mettre ordre aux derniers instants, pour éclairer le malheureux Thésée et pour consoler, autant qu’il est en elle, le mourant.
Mais ce qui nous donne à songer plus particulièrement et ce qui suggère à notre esprit mille pensées d’une morale pénétrante, c’est quand il s’agit d’un de ces hommes en partie célèbres et en partie oubliés, dans la mémoire desquels, pour ainsi dire, la lumière et l’ombre se joignent ; dont quelque production toujours debout reçoit encore un vif rayon qui semble mieux éclairer la poussière et l’obscurité de tout le reste ; c’est quand nous touchons à l’une de ces renommées recommandables et jadis brillantes, comme il s’en est vu beaucoup sur la terre, belles aujourd’hui, dans leur silence, de la beauté d’un cloître qui tombe, et à demi couchées, désertes et en ruine. […] Le biographe de l’édition de 1810, qui est le même que celui de l’édition de 1783, a copié sur ce point le biographe qui a publié les Pensées de l’abbé Prévost en 1764, et qui lui-même s’en était tenu aux explications insérées dans le nombre 47 du Pour et Contre. — On a imprimé dans je ne sais quel livre d’Ana, que Prévost étant tombé amoureux d’une dame, à Hesdin probablement, son père, qui voyait cette intrigue de mauvais œil, alla un soir à la porte de la dame pour morigéner son fils au passage, et que celui-ci, dans la rapidité du mouvement qu’il fit pour s’échapper, heurta si violemment son père que le vieillard mourut des suites du coup.
Le bâtard tombe sous la fronde du berger. […] Saül l’y poursuit ; mais, au lieu de frapper, Saül se couche à terre, vaincu par on ne sait quel esprit de terreur du sacerdoce, et il prophétise, c’est-à-dire il tombe en extase devant le prophète.
Julien fait quelques pas et tombe inanimé aux pieds de ses assassins. […] Bandini, plus résolu, se jeta sur lui avec son poignard encore dégouttant du sang de Julien ; mais il rencontra François Nori, un des familiers des Médicis, accouru au secours de son maître, qui le fit tomber mort à ses pieds.
Le seul caractère sur lequel tous les hommes puissent tomber d’accord, dans un poème, c’est la conformité de l’expression à l’objet, si l’objet est pris dans la nature. […] Ce qui échappe à l’histoire tombe sous l’empire de la mode.
Ils ont dégoûté le public du « palais à volonté » où s’enferme une action abstraite, où des tirades pompeuses tombent lourdement de la bouche de personnages qui, en dépit de leurs noms, ne sont ni d’aucun temps ni d’aucun pays. […] La même année 1843 a vu les Burgraves tomber et Lucrèce aller aux nues.
Un saint et naïf ermite, ami du curé de Lignières, intercepte, par un zèle aveugle, les lettres qui arrivent de l’évêché : l’abbé Célestin apprend son interdiction avant d’avoir su l’accusation portée contre lui et tombe foudroyé. […] Voici ce qu’on chante à une « première messe » : Vous, anges de la loi de grâce, Venez tomber à ses genoux, Et devant ce prêtre qui passe, Anges du ciel, prosternez-vous.
» N’appartient-il qu’à la jeunesse de ressentir des troubles de cœur indéfinissables, d’avoir de ces rêveries où l’on est attentif aux moindres choses, au bruit de la feuille qui tombe, à l’oiseau qui traverse le ciel, à la fumée qui monte dans les arbres, au clocher qui s’élève au loin dans la vallée ? […] La monarchie tombée, cette fidélité eut l’air d’une pose théâtrale, et Chateaubriand pleurant ses rois exilés ressemble trop à un voyageur appuyé contre un débris de colonne, qui médite parmi des ruines.
Pourtant le caractère de Louis XV étant donné, c’est encore ce qui pourrait peut-être arriver de, mieux à ce roi que de tomber aux mains d’une femme « née sincère, qui l’aimait pour lui-même, et qui avait de la justesse dans l’esprit et de la justice dans le cœur : cela ne se rencontre pas tous les jours. » Telle est, du moins, l’opinion de Voltaire, jugeant Mme de Pompadour après sa mort. […] Il semble que la nation elle-même l’ait senti, qu’elle ait senti surtout qu’après cette brillante favorite on allait tomber bien bas ; car, lorsqu’elle mourut à Versailles, le 15 avril 1764, le regret de cette population de Paris qui l’aurait lapidée quelques années auparavant, fut universel.
Quand des brouillons tout-puissants, ivres d’avarice et d’orgueil, tombent détruits par leurs propres excès, alors leurs complices, leurs amis, leurs pareils, les foulent aux pieds ; et l’homme de bien, en applaudissant à leur chute, ne se mêle point à la foule qui les outrage. […] Voilà en quelles mains ce charmant génie (comme toute la France) était tombé, voilà à quels hommes il eut affaire.
S’il bronche, le ridicule ; s’il tombe, l’insulte. […] La lumière opère ; sous ce grand regard, la postérité, devant cette clarté, le dix-neuvième siècle, les simplifications se font, les excroissances tombent, les gloires s’exfolient, les noms se départagent.
Au cas où le mot de l’énigme est trouvé, celui ou celle qui l’a proposé meurt sur le champ ou tout au moins tombe sous le pouvoir de celui qui l’a résolue. […] Les mères d’orphelines revivent après être sorties de la tombe.
Une goutte d’huile tombe sur lui, il se réveille et il est forcé d’accomplir les ordres du destin : Psyché est renvoyée, chassée et repoussée au fond du désert, et les dieux lui infligent une série d’épreuves qui, je vous le dis tout de suite, ne sont pas bien amusantes dans Apulée, et le sont à peine davantage dans La Fontaine. […] Il fait cent folies pour elle et finit par tomber dans une affreuse misère.
» Puis, dans un retour aux mouvements impétueux de la vie, est-ce Pindare, est-ce Bossuet, qui, frappé du sillon d’éclair de l’aigle, que sa pensée a tant de fois suivi dans les cieux, dit d’un guerrier qu’il admire : « Comme une aigle qu’on voit toujours, soit qu’elle vole au milieu des airs, soit qu’elle se pose sur quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; aussi vifs étoient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains du prince de Condé. » Un seul mot vient ici littéralement de Pindare, et avant lui, d’Homère : χεῖρας ἀφύκτους. […] Cette parole va bien aux royales filles de Cadmus : elles souffrirent grandement, mais le poids de leur douleur tomba devant des félicités pins grandes23. » N’y a-t-il pas là toute la solennité pathétique dont l’éloquence sacrée rehaussait les vicissitudes de la royauté, proscrite, ou rappelée dans cette île britannique plus agitée en sa terre et dans ses ports que l’Océan qui l’environne ?
Enveloppée dans des voiles, elle le frappe perfidement d’une corne noirâtre ; il tombe dans le bassin rempli d’eau. […] Mais, avec les hymnes de Pindare, les chants de prophétie et d’anathème mêlés aux Choéphores et aux Euménides, avec les cantiques sublimes et gracieux où s’élève Sophocle, où se complaît Euripide, nous n’aurions pas épuisé tout le trésor des poëtes lyriques de la Grèce, si nous ne tombions à genoux devant le profanateur même de leur gloire, en plaçant à côté de leurs graves et touchantes mélodies quelques chansons d’Aristophane.
Tombée de sa tension crispée à un total abandon de soi, son âme en éprouve l’illusion d’un regain de vie. […] Remarquons que la méthode imaginée par Jean-Jacques, si elle ne tombe pas sur un rachitique intellectuel, doit faire une petite bête lâche et sournoise. […] Mais dans le temps même qu’il renonce à sa première Chimère, il tombe dans une seconde, moins périlleuse car pour une âme bien née, elle porte en elle-même son remède. […] Que dire, quand Benjamin tombe en dévotion et fait des duretés de Mme Récamier un moyen choisi par la providence pour le ramener à Dieu ! […] René lui inspirait une terreur dont elle ne pouvait se défendre ; elle sentait qu’elle allait tomber dans le sein de cet homme, comme on tombe dans un abîme103.
La Commission de l’année dernière pas plus que celle de cette année ne se l’était dissimulé : la grande difficulté littéraire que rencontre l’institution présente, c’est que le but moral qu’elle réclame avant tout puisse tomber d’accord, dans les ouvrages dramatiques d’un ordre élevé, avec toutes les autres conditions de grâce, d’élégance, d’émotion, de divertissement et de distinction légère que le monde proprement dit a droit de son côté d’exiger ; c’est que le but moral, si on l’y introduit, ne s’y affiche pas d’une manière contraire à la vérité des choses ni au goût, et qu’un genre prétendu honnête mais faux, comme en d’autres temps, n’aille pas en sortir.
La lecture d’Oberman, quand ce livre leur tomba par hasard dans les mains, fit sur eux l’impression qu’on peut croire ; cette mélancolie austère et désabusée devint un moment comme la base de leur vie ; la philosophie platonicienne eut tort ; Jules Bastide fut celui peut-être qui se pénétra le plus profondément de cette âpre et stoïque nourriture.
Lerminier ces mots rapides échappés aux hasards d’une plume ardente, c’est qu’ils sont assez rares pour pouvoir aisément disparaître ; et c’est qu’au degré d’autorité croissant qu’acquiert l’écrivain, ils tombent de plus haut et sont remarqués davantage.
L’idée de liberté, ainsi adoptée dans sa plénitude rejoignait si bien l’autre idée première d’association pacifique et d’unité intellectuelle à établir entre tous les peuples ; elle y ramenait si directement en faisant tomber les douanes de diverse nature qui s’opposaient à la communication libre des nations les unes avec les autres ; le moyen, en un mot, semblait si bien adapté au but, et le but tellement ressortir du moyen, qu’un homme dont toute la vie avait été consacrée à produire cette association et cette unité, Saint-Simon, frappé vivement de l’aspect du journal et de sa tendance définitive, crut un moment qu’il y avait peu à faire pour élever et consacrer l’idée du Globe à sa propre conception.
En outre, ses sensations musculaires étaient troublées ; il ne sentait pas le sol en marchant, ce qui rendait ses pas incertains et lui donnait la crainte de tomber ; ses jambes étaient mues comme par un ressort étranger à sa volonté ; il lui semblait constamment qu’elles ne lui appartenaient pas… Lorsqu’il causait avec quelqu’un, il lui voyait deux têtes incomplètement emboîtées l’une dans l’autre ».
Je ne sais pas si la confusion et la mauvaise distribution n’ont pas fait tomber plus d’ouvrages que la pauvreté d’invention, le manque d’esprit, le mauvais style, et tous les défauts ensemble qu’on peut imaginer.
Ce serait une lourde sottise de prendre trop au sérieux cette fantaisie fertile en inventions cocasses, ces cascades de situations folles qui tombent si aisément des données initiales d’un sujet.
Un jour enfin, tout à fait par hasard, Mademoiselle Fifi me tomba sous la main.
Par les hasards, un cœur s’épeure, un esprit s’inquiète, une vie souffre, et entend, goutte à goutte, tomber son propre arrêt à l’infini hostile des horizons.