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754. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Sa santé en souffrit, son talent d’observation dut y gagner ; il remarquait tout, maladif et taciturne ; et comme il n’avait pas la tournure d’esprit rêveuse et que son jeune âge n’était pas environné de tendresse, il s’accoutuma de bonne heure à voir les choses avec sens, sévérité et brusquerie mordante. […] Au collège, Boileau lisait, outre les auteurs classiques, beaucoup de poëmes modernes, de romans, et, bien qu’il composât lui-même, selon l’usage des rhétoriciens, d’assez mauvaises tragédies, son goût et son talent pour les vers étaient déjà reconnus de ses maîtres. […] Cherchons dans la vie privée de Boileau l’explication de ces irrégularités, et tirons-en quelques conséquences sur la qualité de son talent. […] Disons, à la louange de l’homme bon, dont en ce moment nous jugeons le talent avec une attention sévère, disons qu’il fut sensible à l’amitié plus qu’à toute autre affection. […] Ce n’est pas du tout un poëte, si l’on réserve ce titre aux êtres fortement doués d’imagination et d’âme : son Lutrin toutefois nous révèle un talent capable d’invention, et surtout des beautés pittoresques de détail.

755. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Qu’était-il donc cet homme qui, avec des talents rares, s’est tenu exactement sur la limite de la considération et de la célébrité, et comme en défiance de celle-ci ; qui était si goûté et si apprécié du nombre restreint de ceux qui rapprochaient, et si facilement ignoré des autres ? […] Il remarque que nulle part il ne se rencontre plus de cordialité, plus de facilité de commerce et d’égalité véritable qu’entre avocats : « Nulle part, dit-il, la réputation, l’âge, le talent, ne font moins sentir leur supériorité et n’exigent moins de déférence que dans cette corporation singulière où les relations sont presque toujours hostiles. » Pourtant, avec tous les mérites solides et fins qu’il allait posséder, et en partie à cause de ces mérites mêmes, il manquait de ce qui procure le succès au barreau ; quand il avait donné les bonnes raisons en bons termes, il ne savait pas se répéter et au besoin en trouver d’autres : Le juge y compte, dit-il malicieusement ; et peut-être l’avocat qui serait le plus disposé à s’en corriger, est-il obligé de reproduire une seconde série des mêmes raisonnements, quand il voit que le tribunal n’a pas écouté la première. […] Avec une intelligence qui se formait et s’étendait chaque jour, avec une aptitude d’esprit qui pouvait s’appliquer à bien des objets, mais sans aucun de ces talents et de ces dons impétueux qui se déclarent d’eux-mêmes, il cherchait son propre emploi ; et tâtonnait un peu sur sa direction. […] Mais quand ces prétendus Mémoires parurent en 1830, la veine ouverte il y avait déjà dix ans, et où avaient fait trace des hommes d’esprit et de talent (MM.  […] Il explique plus qu’il ne peint, mais une pénétration ingénieuse éclaire tous ses récits : et dans l’art si difficile de l’histoire, l’étendue et la précision des recherches, l’intelligence exacte des grandes choses, et le talent d’écrire soutenu dans un long ouvrage, sont des qualités rares, dignes d’un succès durable.

756. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Jasmin y laisse voir un des principaux traits de son talent : il a la gaieté sensible, et, même quand il pleure, on voit rire toujours dans ses larmes un rayon de soleil. […] C’est à partir de 1836 que son talent montra qu’il était capable de s’élever à des compositions pures, naturelles, touchantes, désintéressées : il publia le joli poème intitulé L’Aveugle de Castel-Cuillé, dans lequel il nous fait assister aux fêtes, aux joies du village, et à la douleur d’une jeune fille, d’une fiancée que la petite vérole vient de rendre aveugle et que son amoureux délaisse pour en épouser une autre. […] Avec sa facilité improvisatrice, encore aidée des ressources du patois dans lequel il écrit, Jasmin pourrait courir et compter sur les hasards d’une rencontre heureuse comme il n’en manque jamais aux gens de verve et de talent : mais non, il trace son cadre, il dessine son canevas, il met ses personnages en action, puis il cherche à retrouver toutes leurs pensées, toutes leurs paroles les plus simples, les plus vives, et à les revêtir du langage le plus naïf, le plus fidèle, le plus transparent, d’un langage vrai, éloquent et sobre, n’oubliez pas ce dernier caractère. […] Trois années après, le malheur avait passé sur cette maison, et Mlle Roaldès, par piété filiale, était réduite à chercher dans son talent une ressource. […] Homme, elles lui ont procuré la considération qui ne suit pas toujours la renommée ; poète, elles l’ont amené à la perfection de son talent et au goût, à ce goût naturel, qui tient à l’usage complet et sûr de toutes les louables facultés.

757. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Je m’y suis pourtant appliqué ; mais ce qui m’en dégoûtait le plus, c’est que je voyais à des bêtes le même talent qui me fuyait, pour ainsi dire. […] Les premiers écrits qu’on a de lui sont des discours qu’il composa pour l’Académie de Bordeaux, dont il fut membre dès 1716 : le talent s’y montre ; on y surprend même à son origine la forme qu’affectionnera Montesquieu, l’image ou l’allusion antique appliquée à des objets et à des idées modernes. […] L’art de l’ouvrage et ce qui, dans le mélange apparent, décèle le talent de composition, c’est qu’à côté d’une lettre du sérail, il y en aura une autre sur le libre arbitre. […] La seule conclusion que j’en veuille tirer, c’est que, très supérieur à Fontenelle en talent et en manière d’écrivain, il était un peu de la même religion morale que lui. […] Le Temple de Gnide (1725) est une erreur de goût et une méprise de talent.

758. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Dans une lettre écrite contre l’opéra d’Omphale en 1752, il disait : « J’avoue que je regarde l’admiration et le respect que j’ai pour tout ce qui est vrai talent, dans quelque genre que ce soit, comme mon plus grand bien après l’amour de la vertu. » Il n’y avait pas longtemps que Grimm arrivait d’Allemagne quand il écrivait cette phrase. […] Tout en s’étonnant de cette confiance qu’ont en leurs systèmes ces talents vigoureux, « qui n’abondent pas en idées », Grimm ne laisse pas de penser quelquefois que cette prévention leur est peut-être nécessaire pour donner à leurs écrits cette chaleur et cette force qu’on y remarque, tandis que « le modeste et humble sceptique est presque toujours en silence ». […] Rousseau n’est point maltraité chez Grimm, comme on pourrait le croire : il y est apprécié constamment pour ses talents, en même temps que réfuté pour ses systèmes. […] Des relations si intimes avec les puissances le mirent à même d’être souvent utile au mérite, et, si on le trouve parfois rigoureux ou quelque peu satirique dans ses jugements, les personnes qui l’ont le mieux connu assurent qu’il sut être bienveillant en secret ; il se plaisait à attirer l’attention de ses augustes correspondants sur les talents d’hommes de lettres et d’artistes à honorer ou à protéger. […] Je voudrais surtout avoir montré et fait comprendre ce qu’il avait de distingué, de ferme et de fin dans son appréciation des hommes et de leurs écrits, dans ses définitions des talents et des caractères37.

759. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Et c’est ainsi, non pas que les salons le tuèrent, car les salons qui assassinent tant de talents n’avaient pas une atmosphère de force à tuer l’étonnant talent de Rivarol, mais qu’il se suicida lui-même en s’y épuisant de rayons ! […] Qu’importe qu’elle énerve ou étiole le talent, qu’elle dissipe le temps nécessaire aux œuvres fortes et au développement des facultés, qu’elle tue l’originalité ! […] Léonce Curnier est le receveur général du département du Gard ; mais il n’a pas reçu grand-chose en fait de talent littéraire… À lire son livre de critique sur Rivarol, je le crois un fameux comptable ! […] plus rare que la gloire littéraire, car vous pouvez compter ce qu’il y a dans un siècle de littérateurs — et même de littérateurs de talent ! 

760. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Ou bien encore il voulait qu’on le chargeât de parcourir le pays « à la recherche des talents et des vertus précoces ». […] sans doute, nous le savons, ni le talent n’est toujours à la hauteur du caractère, ni non plus le caractère à la hauteur du talent. […] Après cela, discuterons-nous le talent de l’artiste ? […] Les meilleurs amis de son talent craignirent alors pour lui que, comme il est si souvent arrivé, la nature même de son succès ne le gâtât. […] Renan trop de gré de l’avoir démontré avec la triple autorité de sa science, de son talent, et de son indépendance d’esprit.

761. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

En général toutefois le talent de Saint-Simon est plus impartial que sa volonté, et s’il y a une grande qualité dans celui qu’il hait, il ne peut s’empêcher de la produire. […] Mais l’idée de force, qui est si essentielle au talent de Saint-Simon, reste absente, et elle est sans doute dissimulée par la jeunesse. […] En tout, Saint-Simon est plutôt supérieur comme artiste que comme homme ; c’est un immense et prodigieux talent, plus qu’une haute et complète intelligence. […] Une autre forme de talent, je l’ai dit, un autre miroir magique eût reproduit des effets différents, et toutefois celui-ci est vrai, il est sincère, il l’est au plus haut degré dans l’acception morale et pittoresque. […] [1re éd.] il y a une infinité de formes de talents.

762. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

car si son talent n’était en rien de la même famille que celui de Bossuet, son esprit du moins était bien parent de ce grand esprit et de ce grand sens, et son cœur lui était tendrement attaché. […] Ici c’est l’antipathie de nature et de talent qui se prononce par la bouche de Bossuet, et qui s’aiguise, à son insu, d’humeur et des souvenirs invétérés de la lutte. […] Bossuet était tout à fait exempt de ce léger paganisme littéraire auquel continuait de sacrifier le talent de Fénelon dans sa grâce restée adolescente ; il n’était pas homme, même au sortir d’une lecture de L’Odyssée, à s’asseoir en souriant dans la grotte des nymphes. […] — Encore une fois, Bossuet ressort de cette lecture et de l’épreuve suprême de ces intimes documents avec des traces de faiblesse sans doute et d’infirmité humaine ; je ne sais si ceux qui se dressent dans l’esprit d’illustres statues qui ressemblent trop souvent à des idoles, trouveront qu’il ait grandi à leurs yeux ; mais cet homme, qui a eu tant de grandeur dans le talent, s’y montre avec bien de la bonté morale et de la piété vraie dans le cœur ; que faut-il davantage ?

763. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

On me dira que M. de Montmorency n’avait pas les mêmes raisons que M. de Chateaubriand d’être irrité au vif et ulcéré, que ses talents ne le dévoraient pas, qu’il n’avait pas la conscience d’être le plus habile et le seul capable de mener à bien la monarchie. […] Dans ses idées littéraires un peu naïves et qui se sentaient encore un peu de la province, il aurait désiré que Mme Récamier écrivît, qu’elle prît rang à son tour parmi les femmes qui aspirent à la double couronne ; il essaya, à un moment, de l’enhardir à faire preuve de talent, à devenir poète, c’est-à-dire à traduire et à interpréter un poète, comme si ce n’est pas la même chose que de devenir auteur. […] Le genre de mon talent, je le sais, ne présente aucune surface : d’autres bâtissent un palais sur le sol, et ce palais est aperçu de loin ; moi, je creuse un puits à une assez grande profondeur, et l’on ne peut le voir que lorsqu’on est tout auprès. […] Ambassadeur à Rome en 1828 et 1829, il écrit de là à Mme Récamier des lettres qui ont de beaux passages, et qui, à travers les infirmités de caractère désormais trop en vue, montrent le talent encore dans tout son plein et dans sa plus grande manière : Rome, mercredi 15 avril 1829.

764. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Dans quelques rangs que vous vous placiez, vous n’en serez pas moins pour moi un parent que j’aime et honore, l’un des esprits les plus élevés et des talents les plus rares que notre époque ait produits. […] Quoique cette note lamentable revienne sans cesse et domine, son talent, dans ses lettres des dernières années, me paraît s’être sensiblement assoupli. […] On ne dit pas mieux en moins de mots : Pour remettre mon esprit en équilibre, écrivait-il à M. de Corcelles (un esprit à la fois libéral et religieux, et à qui il savait que cela ferait plaisir), je lis toujours, de temps en temps, du Bourbaloue ; mais je crains bien que le bon Dieu ne m’en sache pas beaucoup de gré, parce que je suis trop frappé du talent de l’écrivain et trouve trop de plaisir à la forme de sa pensée. […] Je me souviens de l’y avoir entendu parler deux fois avec un talent remarquable.

765. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Nous oublierons notre liaison avec l’auteur, notre amitié même pour lui, et nous rendrons à son talent le plus grand témoignage d’estime qui se puisse accorder, celui d’un jugement attentif, impartial et dégagé de toute complaisance. […] Un écrivain de talent, mais d’un talent moindre, venu après M.  […] Je continuerai cette analyse de Salammbô, et j’y ajouterai un jugement et quelques doutes sur le système embrassé par l’auteur, et que tout son talent et tout son effort, également visibles, n’ont pu me faire accepter.

766. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Quelque mauvaise que fût la cause, elle avait des parties faites pour tenter un jeune talent, sinon pour intéresser un jeune cœur. […] L’auteur s’excuse presque de repasser sur les mêmes scènes après Riouffe, qu’il appelle un « maître. » On n’est pas impunément de son époque : cette fausse élégance, ces fausses fleurs gagnaient et envahissaient alors les plus sages talents. […] Ce fut même lui qui eut l’honneur de rédiger le fameux préambule : il s’en était remis d’abord pour la composition au talent élevé, mais trop oratoire, de Fontanes : il lui fallut tout refaire au dernier moment. […] Il faut croire aussi que, malgré sa laboriosité (mot qu’il aime), malgré ses talents et aussi sa souplesse, il n’était pas incapable, dans le détail de la conduite, de quelque gaucherie et de quelque maladresse.

767. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Talent bien énergique dans sa délicatesse, il a sauvé sa veine du grand mélange ; il n’a pas noyé dans des flots d’encre sa poudre d’or. […] Voici comment en effet je conçois la marche du talent, et on la pourrait vérifier dans la plupart des écrivains de nos jours. […] Puis, si le talent est réel, s’il a de l’avenir, il ne s’en tient pas au coup d’essai, il récidive. […] Enfin, en achevant de mûrir, le talent arrive à d’heureux résultats encore, plus approfondis peut-être, plus concentrés ; mais désormais un certain rayon qui se joue et la fraîcheur du premier duvet ont disparu.

768. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

En 1645, il en vint une très nombreuse et très remarquable par le talent des artistes qui la composaient. […] Nous nous bornerons à citer ce que ce dernier, homme d’esprit en même temps qu’artiste, dit à la scène septième de l’acte II de Colombine avocat pour et contre, où il essaye de donner une idée des talents mimiques de Scaramouche : « Après avoir raccommodé (mis en ordre) tout ce qu’il y a dans la chambre, Scaramouche prend une guitare, s’assied sur un fauteuil, et joue en attendant que son maître arrive. […] Il faut convenir aussi que cet excellent acteur possédait à un si haut degré de perfection ce merveilleux talent, qu’il touchait plus de cœurs par les seules simplicités d’une pure nature que n’en touchent d’ordinaire les orateurs les plus habiles par les charmes de la rhétorique la plus persuasive. […] Fiurelli, dont le talent consistait principalement dans les jeux d’une physionomie très expressive, ne portait point de masque : il se blanchissait le visage et se noircissait les sourcils et les moustaches.

769. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

D’autres ont eu la notoriété, l’apparence, l’éclat ; ils l’ont mérité et ils l’ont eu, je salue au front des talents la couronne. […] J’ai vu beaucoup l’auteur d’Atala depuis votre départ ; c’est certainement un homme d’un talent distingué. […] en quoi fit-il passer au cœur de ces talents plus rapides quelques-unes de ses idées, de ses vues, ou même de ses indécisions fécondes ? […] Ai-je besoin aussi de faire remarquer que cette expression, talent distingué, voulait dire alors plus qu’aujourd’hui ? […] C’est une action courageuse et un écrit de talent ; et la manière dont elle a été lue subrepticement me paraît l’indice d’une époque nouvelle dans l’opinion.

770. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXI » pp. 281-285

Madame Émile de Girardin y devient tout simplement une madame de Sévigné : « … talent que nous dirions être la métempsycose de madame de Sévigné, si on pouvait croire à la transmigration des intelligences. » Les rédacteurs de la Presse se traitent déjà comme en famille. […] De loin, à nous humbles esprits, il nous semble que, malgré tout, la partie n’est point perdue pour la cause des Lettres honnêtes et sévères, et que ce drapeau si bruyamment déployé par des spéculateurs intrépides peut au contraire servir de signal à tous les esprits modérés et sains, à tous les talents restés sérieux et dignes, pour s’unir, se serrer en groupe, et pour résister à un coup de main qui tend à changer ainsi de fond en comble le régime et les conditions vraies de la littérature.

771. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — I »

Enfin, si nous remontons plus haut encore, si nous la suivons au Palais-Royal, dans le monde, nous la verrons sans cesse briguant avec fureur la célébrité, dans un temps où celle-ci était le prix des talents d’éclat, poursuivant tous ces talents, cultivant tous les arts, jusqu’à y trop exceller, transportant le théâtre dans les salons et l’école dans le théâtre, cumulant dans sa tête dévotion, galanterie, sensibilité, pédantisme, en un mot, toutes les inconséquences dont est capable une femme d’esprit, décidée à se créer en toute hâte une existence supérieure et plus que privée.

772. (1875) Premiers lundis. Tome III « Lafon-Labatut : Poésies »

Bien que le don de poésie soit de sa nature une chose essentiellement imprévue, et que ce souffle, comme celui de Dieu, aille où il lui plaît, on ne peut s’empêcher d’être surpris chaque fois qu’on voit ce talent se déceler tout d’un coup, et sortir de terre avec fraîcheur dans de certaines circonstances qui semblaient faites plutôt pour l’étouffer ; s’il n’y a pas lieu toujours de crier au miracle, ce n’est jamais le cas non plus de faire les inattentifs et les dédaigneux. […] Ses progrès rapides promettaient un artiste de talent, lorsqu’une ophthalmie cruelle vint l’arrêter au plus fort de son travail, au plus beau de son rêve.

773. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Mais loin que ces défauts prêtent au talent aucun éclat, souvent ils affaiblissent l’impression qu’il doit produire. […] Reconnaissons, au contraire, qu’il a du goût quand il est sublime, et qu’il manque de goût quand son talent faiblit.

774. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Ghil, René (1862-1925) »

Il fut sincère, on n’en doit point douter, mais il fut trop hâtif, ambitieux d’un titre et de ce bruit des journaux où le talent court des risques. […] René Ghil n’avait pas faussé comme à plaisir son talent et son instrument, il aurait pu être ce poète, celui qui dit au vaste peuple sa propre pensée, qui clarifie ses obscurs désirs.

775. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 493-499

Non : mais la richesse de son génie ne pouvoit que dédaigner ce qui est tout au plus la ressource du faux talent ou du talent médiocre.

776. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

La révolution nous a enlevé un homme qui promettait un rare talent dans l’églogue, c’était M.  […] C’était la Muse qui lui révélait son talent au moment de la mort.

777. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Peintes par un homme de talent qui, sans être austère, aurait eu le chaste pinceau de la force, quelle galerie magnifique elles auraient formée devant le petit Panthéon de terre cuite de Michelet ! […] Ventura ne sont pas le travail d’histoire que nous avions espéré, et que nous désirons encore… C’est tout simplement un substantiel recueil d’homélies, prononcées par le célèbre prédicateur du haut de cette chaire française qu’il illustre de son talent étranger.

778. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

La jeune Marceline reçut de ces circonstances premières de naissance et d’enfance toutes sortes d’empreintes et de signes qui décidèrent de sa sensibilité et donnèrent la nuance profonde à son talent. […] Il est à remarquer qu’elle et Victor Hugo entrèrent sous l’aile de la muse avec je ne sais quelle secrète influence espagnole, l’un né à Besançon, l’autre à Douai, deux cités françaises très-marquées de ce caractère étranger ; mais elle, son talent ne portait au cœur comme au front que le caractère espagnol attendri. […] Dans une très-belle édition de 1820, plus complète que celle de 1818, et où il n’y a que des vers48, j’aime à considérer la première et pure forme de son talent, sans complication aucune. […] Depuis un certain moment, cette âme, ce talent de tendre poëte a eu peine évidemment à se faire aux saisons décroissantes d’une vie qui va flétrissant, chaque jour, ses premières promesses. […] Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibilité exquise distingue vos productions et se révèle dans toutes vos paroles. » — Brizeux l’a appelée : « Belle âme au timbre d’or. » — Victor Hugo, enfin, lui a écrit, et cette fois sans que la parole sous sa plume dépasse en rien l’idée : « Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que le connaisse. » 41.

779. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Il était naturel qu’après ces veines heureuses, la Comédie-Française songeât, à l’aide du jeune talent qu’elle possède, à toucher comme d’un aimant les œuvres d’un répertoire plus moderne, déjà négligé, et qu’un succès solennel avait consacrées une fois. […] Mais c’eût été ici par trop grondeur, et rien n’eût absous la bonne grâce du poëte d’aller riposter de la sorte à des désirs de reprise qui lui venaient au nom du jeune talent même que le public avait si vivement adopté. […] Ses plus profondes impressions, lui-même s’en fait gloire, datent d’alors et donnent le sens vrai de son talent. […] Un sourire du maître, plus que le talent de Luce, faisait la fortune d’Hector. […] Ni le talent de Talma, ni celui de Mlle Mars, ne purent obtenir grâce, en cette occasion, devant le rigorisme du parterre.

780. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Ce qui est certain, c’est qu’il possédait un talent original ; c’est qu’au milieu des polissonneries et des tours pendables où il se gaudissait et où il était maître, il avait l’étincelle sacrée. […] Poète d’esprit plutôt que de génie et de grand talent, mais tout plein de grâce et de gentillesse, qui n’a point la passion, mais qui n’est pas dénué de sensibilité, il a des manières à lui de conter et de dire, il a le tour ; c’est déjà l’homme aimable, l’honnête homme obligé de plaire et d’amuser, et qui s’en acquitte d’un air dégagé, tout à fait galamment. […] Cette pièce, admirable d’un bout à l’autre, prouve tout ce qu’avec du travail et une conduite meilleure de son talent il aurait pu être, et le rang qu’il pouvait tenir entre le ? […] Ce regret exprimé, nous n’avons plus qu’à suivre : Malherbe et ses disciples immédiats, Racan, Maynard, tous deux élevés dans la crainte du maître, et par lui initiés à tout leur talent, forment un groupe bien complet en soi, et introduisent un bien beau moment, le plus classique dans le passé, pour notre poésie lyrique. […] Il était assurément un bon, un habile ouvrier lyrique ; il a de belles strophes, des parties d’éclat et d’harmonie, il a du talent ; mais tout cela sonne creux et sent le plaqué.

781. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Dans les trouvères la finesse naïve du récit tient la place du talent poétique. […] C’est seulement dans ces débats réels que le talent se retrouve. […] Qu’est-ce que leur talent ? […] Ce que j’en dirai aujourd’hui atteste moins son talent, que les aventures singulières de sa vie, et les secours qu’il tirait de ce talent, au milieu des crises de sa fortune. […] Voilà tout ce que je sais de son talent.

782. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Werther est artiste ; au milieu de toutes ses expansions et ses abandons, il a souci de son talent : en face de cette belle vallée, par une matinée du printemps, il ne songe pas seulement à en jouir, il songe à en tirer quelque parti comme peintre, et, s’il reste inactif, il a du regret : Je suis si heureux, mon ami, dit-il54, si abimé dans le sentiment de ma tranquille existence que mon talent en souffre. […] On a entendu la plainte profonde du talent ; et lorsque ce talent réussit à se faire jour et à trouver des sujets tout préparés qui se détachent au milieu de ces exubérantes images, l’ivresse est complète, et il semble qu’il ne manque rien à la jouissance du promeneur. […] Il faudrait posséder le talent du plus grand poète pour rendre l’expression de ses gestes, l’harmonie de sa voix et le feu de ses regards. […] Voilà pour l’auteur. — Mais les lecteurs, au contraire (je parle des premiers lecteurs, de ceux de 1774), qui trouvent dans le prodigieux petit livre tous leurs sentiments, jusque-là confus, exprimés au vif et en traits de feu, s’y prennent, ne s’en détachent plus, passent, sans s’en apercevoir, du Werther-Goethe au Werther-Jérusalem, et sont ainsi conduits, par cette contagion du talent et de l’exemple, à l’idée du suicide.

783. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Ducis s’y opposa par une lettre d’une fermeté sage : « Je vous prie instamment, Citoyen, de ne point mettre mon nom sur votre encadrement ; je vous en prie au nom de votre grand talent et de la modestie qui en est inséparable. […] Il ne se considérait plus, disait-il, tant que les chaleurs de la veine tragique circuleraient dans ses veines, que comme destiné à lui faire des rôles et à contribuer au développement de ses talents. […] Je trouve commode de ne pas quitter ma chambre, d’où je vois mes bois mélancoliques et où je travaille avec vous et pour vous… Songez que c’est à Talma à travailler avec son poète, et que tout est solidaire entre nous…76 Il y a dans ma manière de sentir et dans votre talent des choses que nous ferons bien de nous communiquer. […] Et parlant de lui à Lemercier même, qu’il appelle un audacieux et « un brave sur les champs de bataille de Melpomène », — un de ces braves en effet presque toujours blessés et malheureux, mais revenant toujours à la charge : « Quel talent, s’écriait-il, que celui de notre Othello ! […] Dubois (d’Amiens), prouve à quel point Talma n’était pas un conseiller pur et simple dans cette sorte de collaboration avec Ducis, en dehors même de son talent à la représentation.

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