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562. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Les autres, moins persuadés que le Céleste Empire soit céleste, ont fait du peuple-phénomène qui l’habite une nation de la date de beaucoup d’autres dans la chronologie asiatique, malgré ses prétentions exorbitantes à l’antiquité ; ni plus grand, ni plus fier, ni plus sage que tous les idolâtres de la terre, que toutes les races tombées et dispersées aux quatre vents de la colère de Dieu, abominablement corrompu, — ce qui lui donne ce petit air vieux qui nous fait croire à sa vieillesse, car la corruption vieillit le multiple visage des peuples comme la chétive figure de l’homme, — laid jusqu’à la plus bouffonne laideur, et, si l’on s’en rapporte aux œuvres qui sortent des mains patientes et industrieuses de ce peuple stationnaire, encagé dans son immuable empire du Milieu, ces œuvres de prisonnier qui s’ennuie et qui apparaissent comme des prodiges à notre fougue occidentale, ayant l’intérieur de la tête aussi étrangement dessiné que le dehors, le cerveau conformé comme l’angle facial ! […] et c’est ce livre qu’on éprouve le besoin de relire pour ne pas se brouiller entièrement avec la Chine, quand on sort, comme on sort d’une fondrière, de la compilation de Bazin et Pauthier, lesquels, hélas !

563. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

C’est du silence que sortait l’oracle. […] Dans de telles circonstances, pour faire un livre qu’on puisse lire sur l’ancien Régime et la Révolution française, il est nécessaire de sortir des crépuscules par lesquels on s’est glissé dans la renommée, et de ne pas s’effacer, comme une ombre d’homme, devant la rigueur d’une conclusion. […] Tocqueville, qui a de la propreté plus que de la propriété dans la phrase, est un écrivain de troisième ordre, et, pour emprunter aux faits de son livre une image, il ne sortira jamais du tiers pour passer dans l’ordre de la noblesse littéraire.

564. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Plus timide que celui qui tremblait devant la statue sortie de ses mains, il a tremblé devant la majesté d’un titre qui n’est pas sorti de sa plume, et il n’a osé que le mot d’Études… Or, Études est un mot qui dit l’effort, mais qui ne dit pas la réussite. […] sorti de Montesquieu. […] On respire enfin d’être sorti du vieil étouffoir des climats où depuis si longtemps on a fait suffoquer l’humanité, et l’on se dit qu’après tout voici une nouvelle manière de battre le jeu de cartes de l’Histoire !

565. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

I Il ne fait pas l’effet, ce livre, de sortir de la Revue des Deux-Mondes, — car il est spirituel, — et pourtant il en sort. […] C’est la divination de Shakespeare, — de l’ignorant et sublime Shakespeare, qui, avec deux ou trois phrases de Plutarque, refaisait un César, un Brutus, un Coriolan, plus vrais, plus vivants, plus Romains que ceux-là qui sont sortis des plumes romaines… Or, c’est peut-être un peu fat que de croire qu’en regardant devant soi et en tournant sa plume d’une certaine façon on peut faire comme Shakespeare ?

566. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

… Pourquoi ne pas laisser tranquilles un temps et un homme qui ont eu assez d’historiens comme cela, et qui prouvent, avec la plus désagréable évidence, combien le passé l’emportait, dans ses idées, ses mœurs, ses institutions et ses hommes, sur les hommes, les institutions, les mœurs et les idées sortis de nos glorieuses et modernes révolutions ? […] — la Royauté sortait enfin des luttes et des confusions féodales, comme une tête sauvée sort des eaux d’un déluge qu’elle va, en s’élevant au-dessus d’elles, apaiser.

567. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Tous leurs systèmes sortent des abîmes d’une psychologie qui leur semblait, en tout sujet, le point de départ inévitable, mais qui les a perdus, parce que qui descend dans l’homme sans la main de Dieu ne remonte plus ! […] — Ève eut besoin de sortir du Paradis pour conquérir sa première vertu. […] Et quand on est sorti de la Genèse, le roman continue ou du moins une histoire que rien n’affermit ni ne prouve ; qui, lorsqu’elle n’est pas entièrement fausse, quand les faits et les textes ne la démentent pas, n’a pour elle que des inductions et des analogies, assez peut-être pour, donner le doute, pas assez pour donner la foi !

568. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Quel sera le sort de ce volume ? […] Roger de Beauvoir pour donner une idée complète de ce talent simplifié et sorti, au moment où l’on y pensait le moins, de la fontaine de Jouvence que le Temps fait filtrer dans la pensée de tout poète digne de ce nom, nous indiquerons comme étant les plus remarquables et les plus beaux du recueil les morceaux suivants : La Colombe, Dolor, Les Morts qui vivent (superbe pensée !) […] Toute poésie matérielle aura le sort de la matière.

569. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

C’est de là qu’il a fallu les faire sortir. […] De cette édition-ci, qui a barré la rivière et arrêté au passage tous les petits papiers qui s’en allaient silencieusement à l’oubli, sortira-t-il un Agrippa d’Aubigné plus grand que l’entre-aperçu des Tragiques, d’un si vif éclair dans sa nuit ? […] IV Et ce sera, je le crains bien, le sort d’Agrippa d’Aubigné, de cet homme racine et souche de poètes et de poésies plutôt que grand poète.

570. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Ses amis ont eu la bonté d’apprendre au monde que le talent de l’auteur de Tolla faisait sortir de terre les testaments et les donations, et que, comme Burke et Chatham, il avait trouvé des duchesses de Marlborough qui, par fanatisme d’admiration, avaient versé sur sa tête la corne d’abondance de toute une fortune ! […] En sortant de Germaine, nous sortons d’une littérature diabétique, et dans Maître Pierre nous entrons dans quelque chose de nouveau, de particulier, de moderne, qui sera peut-être demain toute la littérature de ces derniers temps. […] On les saute, et d’autant mieux qu’on ne pèse guère ; mais ce qui tombe au fond du fossé et ce qui y reste, c’est le talent, c’est l’honneur littéraire, c’est l’art enfin, qui jamais n’en sortiront plus.

571. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Il en sort un monstre de bonne intention ; on estime le philosophe, on a pitié du législateur politique. […] et tout cela déjà conçu, écrit, noté, compris, chanté au moment où un peuple en apparence neuf, ou sorti des marais du déluge, se répand pour la première fois sur la terre ? […] Socrate est un lutteur, Confucius est un ami ; Socrate est un railleur, Confucius est un consolateur ; on sort de la conversation de Socrate réduit au silence mais aigri et humilié ; on sort de la conversation de Confucius convaincu, édifié et charmé. […] Malgré sa répugnance à sortir de ses études philosophiques pour se mêler aux soins du gouvernement, il consentit, à la voix du peuple et du roi, à prendre provisoirement en main le gouvernement pour rétablir l’ordre, les mœurs, la justice, la hiérarchie dans l’État. […] Un jour qu’il était sorti avec trois de ses disciples par la porte orientale de la ville, pour aller prier dans la campagne près d’un édifice en ruine situé sur une colline, ses disciples furent frappés de la gravité triste de sa physionomie.

572. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Ayant parcouru le cercle de notre côté, il alla où se trouvaient les autres grands de l’empire, les ministres, et il sortit enfin des salons pour se rendre au théâtre. […] Pendant la célébration du mariage civil et du mariage religieux, les treize cardinaux restés volontairement à l’écart ne sortirent point de leurs demeures, pas même la nuit. […] L’officier allait sortir de la salle du trône quand l’empereur le rappela ; puis, changeant subitement son ordre, il lui intima de faire expulser seulement les cardinaux Opizzoni et Consalvi. […] La fonction consistait à entrer lentement un à un, à s’arrêter au pied du trône, à faire une profonde inclination et à sortir par la porte de la salle suivante. […] Il communiqua la même nouvelle au cardinal Brancadoro, qui entrait comme je sortais.

573. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Il est vraiment musical, souple, cadencé, énergique, plein de mélodie ; et l’on s’étonne qu’un son si bien soutenu puisse sortir d’un aussi faible organe. […] Je fis doucement sortir le gentil habitant de sa demeure, et en retirai les œufs à l’aide d’une sorte d’écope que j’avais façonnée pour cela. […] « C’est vraiment un spectacle amusant que d’observer une famille de troglodytes qui vient de sortir du nid. […] — J’en ressentis une vive joie ; et, craignant que ma présence ne troublât le joli couple, je sortis, non sans jeter souvent un regard en arrière. […] La nécessité, comme on dit, fait sortir le loup du bois.

574. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Enfant, un jour on le gronda, et, sorti de la chambre, il entendit ses parents rire de la tête pleurarde qu’il avait faite à la semonce. […] Il vient de se plonger dans les livres sacrés de l’Inde, et il en sort comme ébloui de soleil. […] Toute cette foule, semblable à un grouillement d’êtres sortis de terre, amassée en un clin d’œil. […] De ce physique sort une ironie flûtée, des malices paradoxales, des mots de singe de la Cannebière, un feu de paille mouillé, où il y a, des lueurs et des éclairs. […] Nous sommes sortis ensemble.

575. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Nous en avons presque peur instinctivement, comme d’une chose d’où va sortir l’infernale angoisse des émotions du théâtre. […] Presque aussitôt un tigre se décide à entrer, mais l’autre, flairant longuement le plancher et reniflant la prison, buté devant la loge, rappelle l’autre dans la langue qu’ont les animaux entre eux, et tous deux après une terrible passe de leurs formidables pattes, se refusent à sortir, la gueule et l’œil retournés vers le vert du jardin et la liberté du ciel. […] L’argent sort tout chaud de la femme, qui le suit d’un regret fauve, et pendant que le visage du fils prend un sérieux consterné, l’émotion de l’argent sortant à jamais du sac, tressaille dans les lobes des grandes oreilles du père. […] Le propriétaire a réfléchi cinq éternelles minutes, puis il a laissé tomber mélancoliquement : « C’est fait. » Nous sommes sortis, nous étions comme ivres. […] Vers les cinq heures, la princesse à laquelle la tension du travail met un peu le sang à la tête, sort avec tout son monde, quelquefois en voiture.

576. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

VIII Je sortais d’une autre maison d’éducation toute vénale, dans un sombre et sordide faubourg de Lyon. […] Les vents sonores qui sortent des forêts, et qui semblent conserver les bruissements de leurs feuilles, tintaient par bouffées contre les vitres et me faisaient frissonner de délices et de souvenirs dans ma couche. […] Cette ébauche ne méritait pas un autre sort. […] Tandis que vous admirez ce soleil, qui se plonge sous les voûtes de l’occident, un autre observateur le regarde sortir des régions de l’aurore. […] Effrayé et ravi, il se précipite parmi ses frères, qui n’ont point encore vu ce spectacle ; mais, rappelé par la voix de ses parents, il sort une seconde fois de sa couche, et ce jeune roi des airs, qui porte encore la couronne de l’enfance autour de sa tête, ose déjà contempler le vaste ciel, la cime ondoyante des pins et les abîmes de verdure au-dessous du chêne paternel.

577. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Nous avons indiqué déjà par quels hommes et par quels ouvrages elle en sortit. […] Mais, quand une société ne trouve point en elle-même la force de sortir du désordre où elle est tombée, qu’arrive-t-il ? […] Le despotisme d’un seul est une liberté relative pour les peuples qui sortent de l’anarchie. […] Joseph de Maistre rentre dans un silence méditatif et fécond du sein duquel nous verrons sortir de nouveaux éclairs. […] Le ciel l’emporta sur l’enfer, et il sortit de cette bibliothèque plus religieux qu’il n’y était entré.

578. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Méconnaissant dans Homère, ou plutôt n’estimant point cette langue si abondante et si riche, qui est comme voisine de l’invention et encore toute vivante de la sensation même, il préférait nettement la nôtre : « J’oserai le dire à l’avantage de notre langue, je la regarde comme un tamis merveilleux qui laisse passer tout ce que les anciens ont de bon, et qui arrête tout ce qu’ils ont de mauvais. » Enfin, s’emparant d’un mot de Caton l’Ancien pour le compléter et le perfectionner à notre usage, il concluait en ces termes : Caton le Censeur connaissait parfaitement l’esprit général des Grecs, et combien ils donnaient au son des mots, lorsqu’il disait que la parole sortait aux Grecs des lèvres, et aux Romains du cœur ; à quoi j’ajouterais, pour achever le parallèle, qu’aux vrais modernes elle sort du fond de l’esprit et de la raison. […] On ajoute « qu’elle était d’une assiduité opiniâtre au travail et ne sortait pas six fois l’an de chez elle, ou du moins de son quartier : mais, après avoir passé toute la matinée à l’étude, elle recevait le soir des visites de tout ce qu’il y avait de gens de lettres en France ». L’aimable et spirituel abbé Fraguier, le même qui, à l’apparition du premier manifeste de La Motte, avait fait en latin ce vœu public aux Muses de lire chaque jour de l’année 1714, avec son ami Rémond, mille vers d’Homère pour détourner loin de soi la contagion du sacrilège ; l’abbé Fraguier, dans une élégie également latine sur la mort de Mme Dacier, nous la représente arrivant aux champs Élysées et reçue par sa fille d’abord, cette jeune enfant qui court à elle les cheveux épars et en pleurant ; puis l’Ombre d’Homère, pareille à Jupiter apaisé, sort d’un bosquet voisin et la salue comme celle à qui il doit d’avoir vaincu et de régner encore (« Quod vici regnoque tuum est… »).

579. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Au sortir des écoles, il se trouva être de la fleur de cette jeunesse d’alors qui allait occuper le jeu pendant une quinzaine d’années jusqu’à la Fronde et au-delà, jusqu’à l’avènement de Louis XIV. […] Qu’une grave maladie le prenne, comme cela lui arriva à Paris, où il se trouvait au printemps de 1682 en qualité de membre de l’Assemblée du clergé, et voilà tout aussitôt cet homme de société, de gaieté et, jusqu’à un certain point, de plaisir, le voilà tout changé ; il a des regrets, il se repent, il se réconcilie : Je commence à sortir, écrit-il au chanoine Favart, si souvent confident de ses légèretés et de ses jeux ; j’ai été aujourd’hui à la messe, c’est la troisième que j’ai entendue depuis ma maladie mortelle : car, mon enfant, j’ai été mort sûrement ; on ne peut aller plus loin sans toucher au but. […] On conçoit qu’il ait dit de Virgile : « Virgile est ma folie, et je soutiendrai jusqu’à la mort que ses Géorgiques sont le plus bel ouvrage qui soit jamais sorti de la main des Muses. » On le conçoit surtout en lisant la pièce suivante, où respire avec l’amour des champs une sagesse tranquille, et dont j’interromprai à peine la citation complète par une ou deux remarques : Heureux qui sans souci d’augmenter son domaine Erre, sans y penser, où son désir le mène,             Loin des lieux fréquentés ! […] C’est à Maucroix aussi que La Fontaine, près de mourir, écrivait cette dernière lettre que chacun sait par cœur, tant elle a été citée de fois, et qui le peint dans la candeur de sa pénitence : … Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n’est pour aller un peu à l’Académie, afin que cela m’amuse.

580. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le poison n’agira qu’avec lenteur, mais il est entré dans ses veines et il n’en sortira plus. […] ce pauvre Charles qui l’aime, et que par moments elle voudrait tâcher d’aimer, n’a pas l’esprit de la comprendre, de la deviner ; s’il était ambitieux du moins, s’il se souciait d’être distingué dans son art, de s’élever par l’étude, par le travail, de rendre son nom honoré, considéré ; mais rien : il n’a ni ambition, ni curiosité, aucun des mobiles qui font qu’on sort de son cercle, qu’on marche en avant, et qu’une femme est fière devant tous du nom qu’elle porte. […] Le sort de Mme Bovary s’y décide. […] Elle s’était mise à être une bienfaitrice active, une civilisatrice dans la contrée un peu sauvage où le sort l’avait fixée.

581. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Je ne crois pas que si l’Université moderne avait eu à produire un échantillon d’elle-même, elle eût pu choisir un plus parfait modèle entre les élèves dont elle s’honore ; car il n’était pas comme d’autres également brillants, mais infidèles : il n’aspirait pas à en sortir. […] Il sortit victorieux de toutes les épreuves qui consacrent et couronnent les trois années d’études de l’École normale. […] Ironie du sort ! […] En un mot, professeur autant qu’écrivain, non seulement il n’aspirait pas à sortir de l’Université, mais il avait besoin d’en être, de s’y rattacher jusque dans ses succès extérieurs, de se retremper au sein de l’Alma parens en Benjamin fidèle et reconnaissant ; il y puisait sa force et sa joie, et quand, par un malentendu fâcheux, il s’en vit tout à coup retranché un jour, une partie de sa sève lui manqua : il défaillit.

582. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Le bon sujet Racine, poète de la Grâce et non des Grâces, reçu à l’Académie des Inscriptions dès 1719, était l’hôte de Frênes, d’où on lui écrivait, après son départ, qu’il avait fait les délices de tous par sa présence ; mais il ne faudrait pas prendre ce compliment pour autre chose qu’une pure politesse, et une lettre du Chancelier à M. de Valincour montre que le jeune Racine, dans son séjour à Frênes, s’était montré doux, facile d’humeur, mais peu inventif, rétif à la réplique, nullement propre aux jeux de société, donnant peu l’idée que de beaux vers pussent sortir de cette tête-là ; et de fait, il était de sa personne sans aucun agrément. […] D’autres lettres de lui, publiées il y a quelques années17, et se rapportant la plupart au dernier temps de son séjour en province, à Soissons, l’avaient montré littérateur instruit, sachant même un peu d’hébreu, lisant les langues modernes, l’italien, l’anglais, citant à propos ses auteurs, et justifiant le mot de Voltaire qui le définit quelque part « un homme laborieux, exact et sans génie. » Ce n’est pas de celui-là qu’on dira que l’esprit lui sortait par tous les pores. […] Il est doux en effet et commode de se dire de bonne heure : tout ce qui est grand est fait ; tous les beaux vers sont faits ; tous les discours sublimes sont sortis : il n’y a plus, à qui vient trop tard et le lendemain, qu’à lire, à relire, à admirer, à goûter et déguster, à se tenir tranquille et coi en présence des modèles, à mettre sa supériorité à les trouver supérieurs à tout ce qui s’est tenté depuis, à tout ce qui se tentera désormais. On a sur ses rayons un petit nombre d’auteurs choisis ; on n’en sort pas, et quand on a fini de l’un, on recommence de l’autre.

583. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

J’y arrivai le premier par un accident : je montais un cheval d’Espagne fort vigoureux et qui souffrait impatiemment la neige qu’il avait jusques au ventre, et je craignais, par les efforts qu’il faisait pour en sortir, qu’il ne se jetât dans le précipice qui était sur notre droite, car nous étions fort serrés par la montagne sur la gauche, le chemin n’ayant pas plus de quatre pieds de large. […] «  J’arrivai le premier à Roncevaux, où je trouvai les religieux de l’abbaye qui sortaient de l’église, où ils avaient été remercier Dieu de ce que les Français n’avaient pu passer à Roncevaux ; ils furent donc dans une grande surprise de nous voir. […] Leur démolition engagea les ministres de sortir de la province, et, par leur désertion, ces faux pasteurs me laissèrent le champ libre aux conversions. » Qu’en dites-vous ? […] Foucault à Caen en honnête homme Ce serait par trop sortir de mon cadre étroit que de suivre Foucault dans la nouvelle intendance où il arrive tout prêt à déployer le même zèle, mais où il est contrecarré par Louvois de qui dépendait directement cette province du Poitou.

584. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

quand y serai-je admis pour n’en plus sortir ! […] La nation est trop aveugle ou trop lâche pour vouloir et pouvoir en sortir. […] Il a beau se contenter des dons du sort et de la médiocrité du sage, il y a des moments où il sent le besoin pourtant d’un peu plus de fortune pour la variété et pour le renouvellement de la vie ; il a conscience de ce qui lui manque, tant pour l’entière satisfaction du cœur et de l’esprit que pour les excitations légitimes du talent : « Il nous faudrait à tous deux (à Thomas et à lui), mais surtout à moi, dit-il, un peu plus de fortune : cela me mettrait à même de couper, par quelques parties agréables, la monotonie d’une existence qui n’a point assez de mouvement pour un homme né penseur, que la vue des mêmes visages et du même horizon ramène trop facilement sur son état et sur la misère des choses humaines. » Puis il se repent presque aussitôt d’avoir trop demandé, et faisant allusion à quelque image mélancolique que lui suggérait une lettre de Deleyre (malheureusement nous ne possédons aucune de celles qui sont adressées à Ducis) : « Hélas ! […] Voir la Notice sur la vie et les ouvrages de Deleyre, par Joachim Le Breton, secrétaire de la seconde classe de l’Institut, dans le recueil des Mémoires de cette seconde classe, tome II, page 9 ; et dans la Décade philosophique du 30 mars 1797, page 44, une courte note nécrologique, assez curieuse. — Il faut tout dire, et un moraliste de ma connaissance, qui aime marquer le plus qu’il peut les contradictions de la nature morale, me souffle à l’oreille ce dernier mot : « Allons, convenez-en, ce tendre et mélancolique Deleyre était athée en toute sécurité de conscience, et à la Convention, dans le jugement de Louis XVI, il vota la mort sans biaiser et sans sourciller. » L’aveu qui me coûtait le plus à faire est sorti.

585. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Marie-Thérèse n’était pas sans le savoir autant et mieux que personne ; elle n’avait consenti qu’avec répugnance à ces démarches violentes et précipitées de son fils ; elle sentait bien que cette affaire n’avait pas été assez liée ni concertée avec les alliés ; qu’une nouvelle guerre de Sept Ans eu pouvait sortir, et que l’Autriche n’y était point préparée. […] : la tête me tourne, et mon cœur est depuis longtemps déjà entièrement anéanti. » Pour l’aider à sortir de sa détresse, elle implore de Louis XVI non des secours réels (elle sent bien l’impossibilité), mais de simples démonstrations de troupes, des ostentations, comme elle dit ; elle ne les obtient pas. […] Peu de princes, ne l’oublions pas, ont eu un plus sincère amour de l’humanité, une pensée plus fixe et plus suivie d’améliorer le sort des hommes confiés à leurs soins. […] Dans les visites que nous allions faire dans l’après-midi du dimanche à notre aimable et cordial professeur, il nous entretenait souvent de ces idées de réforme, de ces plans d’amélioration pour le sort du grand nombre, de ces rêves de bon et philanthropique gouvernement et de régime sensé, humain, égal pour tous, essentiellement moderne ; le souffle, qui lui était venu, le matin, de cet ancien ami de Joseph II, respirait dans ses paroles et arrivait jusqu’à nous ; il nous communiquait, tout pénétré qu’il était, une véritable inspiration de bienfaisance.

586. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Pourtant ce rôle impliquait de nombreuses inconséquences qui tendaient à sortir, et qui rendaient la tenue prolongée de la position, scabreuse et à peu près impossible. […] Il fallait ou en sortir et tomber à la démocratie pure et à un christianisme librement interprété, ou bientôt être réduit à se taire en vertu de défense supérieure. […] Les Paroles d’un Croyant, non plus que le chapitre des Maux de l’Église, inséré à la fin du présent volume et assez anciennement composé, ne me semblent point, dans leur violence, sortir de ce rôle de foi, de cette inspiration d’un prêtre, non pas absolument sage, mais généreux et presque héroïque, et toujours le crucifix en main. […] Ces Russes qui, dit-on, au sortir d’un bal, courent se plonger nus dans la neige, n’éprouvent certes pas une impression plus violemment contradictoire que n’en ressentirait ce jeune homme tout ému de sa première lecture, et venant se heurter contre des assertions si opposées, également logiques, également éloquentes, également sincères !

587. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

De cette comparaison sortent deux remarques fécondes : l’une, que la nature vivante paraît, en général, beaucoup moins grande et moins forte dans le nouveau monde que dans l’ancien ; l’autre, que les animaux du nouveau monde, comparés à ceux de l’ancien, forment comme une nature collatérale, comme un second règne animal, qui correspond presque partout au premier. […] Après avoir raconté l’histoire de la terre émergeant du sein des mers desséchées, celles des animaux qui la peuplent, des végétaux qui revêtent sa surface, des minéraux que recèlent ses entrailles, celle de l’homme, roi de toutes les choses créées, il voulut raconter ce qui a précédé toute histoire, décrire ce qui n’avait pas de forme, débrouiller le chaos, y suivre, y tracer les grands commencements des choses, en faire sortir par degrés l’univers avec la dernière face que la création lui a imprimée. […] Après le spectacle de l’homme de Descartes, se connaissant par sa pensée et ne pouvant connaître sa pensée sans connaître Dieu, le plus beau sans doute est celui que nous donne Buffon, quand il fait apparaître devant nos yeux la terre, d’abord masse incandescente, détachée du soleil et emportée vers la route où elle doit éternellement rouler, puis, par le déluge des vapeurs condensées qui tombent sur sa surface attiédie, devenant une mer sans rivages, d’où sort par ses pointes de granit la roche intérieure qui forme le noyau du globe ; les continents s’emparant des espaces abandonnés par la mer ; les volcans vomissant les masses vitres-cibles ; les grands animaux qui viennent peupler les régions du Nord, les premières refroidies et desséchées ; le déchirement du globe en deux vastes continents, dont l’un sera le monde ancien et l’autre le nouveau ; enfin, l’homme prenant possession de la terre pacifiée et rendue digne de recevoir son nouvel hôte. […] Pour un écrivain qui se replie sur lui-même et s’y défend contre l’imitation, combien qui se livrent, qui abdiquent et qui, une fois sortis d’eux-mêmes, n’y rentrent jamais !

588. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

La vivacité et les saillies de la princesse dérangeaient bien un peu parfois des conseils si bien concertés par la prudence, et elle sortait à tout moment du cadre qu’on voulait lui faire. […] La foule était si grande et les chambres si petites que le roi, après y avoir demeuré quelque temps, fit sortir tout le monde, et puis rentra chez lui, où il nous dit qu’il allait commencer à écrire à Mme de Maintenon ce qu’il pensait de la princesse, et qu’il achèverait de lui écrire après souper, quand il l’aurait encore mieux vue. […] Il faut, quoi qu’il en coûte, se décider à sortir de la chambre de Mme de Maintenon et de ce demi-jour de sanctuaire. […] La duchesse était déjà morte quand il en sortit.

589. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Il parvint à se dérober aux mesures de rigueur qui furent décrétées en cette journée, et à sortir de France avec un passeport danois. […] C’est une chose assez piquante que de voir proprement la nature humaine renaître et sortir du chaos de la servitude féodale. […] Scepticisme absolu ou miracle, il n’y a plus d’autre moyen d’en sortir. […] Il paraît que les Russes avaient eu l’idée, dans une incursion armée sur notre territoire, de présenter Louis XVIII à la France, comme pour essayer l’esprit national et voir ce qui en sortirait.

590. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Trissotin s’abouchait avec Vidocq, et de ce tête-à-tête sortait une inspiration complexe. […] Ils emportaient à jamais dans leur pensée cette apparition de deux sépulcres côte à côte, l’arche surbaissée du caveau, la forme antique des deux monuments revêtus provisoirement de bois peint en marbre, ces deux noms : Rousseau, Voltaire, dans le crépuscule, et le bras portant un flambeau qui sortait du tombeau de Jean-Jacques. […] Les autres piétinèrent dessus pour lui ôter son air de terre fraîchement remuée, un des assistants prit pour sa peine le sac comme le bourreau prend la défroque, on sortit de l’enclos ; on referma la porte, on remonta en fiacre, et sans se dire une parole, en hâte, avant que le soleil fut levé, ces hommes s’en allèrent. […] L’infini qu’ils ont en eux sort d’eux et les multiplie et les transfigure devant vous à chaque instant, fatigue redoutable pour votre regard.

591. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

« Il peut se faire, dit-il, qu’on sorte du commerce de Montesquieu un peu trop content de son esprit, mais on en sortira toujours meilleur citoyen. » En outre, on peut trouver que M.  […] Eh bien, si je regarde autour de nous, et si je considère les principaux événements de l’histoire du monde depuis le Contrat social, il me semble que le principe de la souveraineté sort de plus en plus de l’utopie pour entrer dans la réalité des faits. […] La vérité est que nous sommes sortis du xviiie  siècle, que nous vivons de son esprit et de sa flamme, là est notre véritable origine. […] De quelle règle de Boileau peut-on faire sortir la poésie de Lamartine ou les romans de George Sand ?

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